« Non s’il te plait, laisse-moi dormir encore un peu ! »

Ce genre de phrases qu’on ne contrôle pas faisait totalement partie de mon quotidien. En fait, je devrais même dire qu’il faisait partie de moi. Pourtant, je savais parfaitement que personne ne pourrait allonger le temps, que personne ne pourrait dire à mon manager que « Katase Kenta n’a pas pu venir car il a préféré rester un peu plus longtemps dans son lit. » Et il fallait être honnête, j’étais réellement triste quand, le matin, je devais délaisser mon confortable lit à baldaquins. Malheureusement, en réalisant cette chose assez tragique qu’était l’obligation que j’avais de me lever, je poussai un profond et long soupir avant d’abattre le plat de ma main sur le haut de mon réveil dans l’espoir de le faire taire.

« Ça t’apprendra à réveiller ton maître. » Fis-je au petit appareil qui semblait m’observer de ses deux zéros ébahis devant tant de splendeur tout en quittant mes draps.

Il était tôt. Très tôt. Trop tôt pour moi, en réalité. J’avais encore un peu de mal à me remettre du décalage horaire qu’il y avait entre le Japon et BoraBora… En plus, j’allais devoir retourner en cours et retrouver la petite routine désagréable dans laquelle je vivais depuis que mon père avait décidé de me faire suivre des cours à la Royal Private School. Pour ajouter un peu de piment à tout cela ? J’avais perdu mon téléphone portable… Et en plus de cela, j’avais pu remarquer, la veille, que certaines personnes me regardaient de travers dans les couloirs de l’agence…Une rumeur sur mon dos, encore ? J’espérais tellement que Sayuri n’y était pas mêlée car, après notre discussion de l’autre jour, mon avis à son sujet avait légèrement changé…

Malheureusement, avant de partir de la maison, je fus happé dans ma salle de bain par un joyeux phénomène appelé perfectionnisme et, résistant à l’idée de sourire comme un lover devant ma glace, j’optai pour une petite toilette matinale, ne laissant absolument rien au hasard, même si je savais pertinemment que les maquilleuses et coiffeuses de l’agence allaient trouver leur mot à dire à propos de mes choix et de mes goûts capillaires. Bref. Une matinée tout à fait normale pour moi. Je m’étais rapidement vêtu entre deux tentatives de sourire et, quelques secondes plus tard, j’étais prêt à quitter la maison. Enfin… presque ! J’avais perdu les clés de ma voiture. Un nouveau soupir. Une mine désespérée.

Fort heureusement, il ne me fallut pas longtemps pour remettre la main sur les fugitives clés et, heureux d’avoir réussi à les retrouver, je sortis enfin de chez moi afin de rejoindre le parking sur lequel je me garais habituellement lorsque je me rendais à l’agence. En chemin, je m’étais beaucoup concentré sur la route. Parfois, je me disais que j’aurais eu grand besoin d’avoir quelqu’un à qui parler, comme Muffin, par exemple, ou tout simplement un collègue de travail avec qui j’aurais pu faire le trajet et discuter un peu… Mais je n’avais pas de réelle raison de penser à tout ça, je devais aller m’acheter un café.

Vous ne le savez peut-être pas encore, mais j’avais toujours eu une habitude, depuis que j’étais à l’agence : aller acheter un café dans une cafétéria bien précise. Je le fis donc, comme d’habitude, et cela fait je repris mon chemin vers l’agence, marchant tranquillement en regardant devant moi avec tout le naturel du monde, préoccupé simplement par mon but… et peut-être aussi par les différentes choses qui m’étaient arrivées durant les jours précédents.

Sans attendre, quand j’arrivai devant les portes de l’agence, j’entrai dans le bâtiment, le sourire aux lèvres, et j’adressai un grand bonjour aux gardes de l’entrée. Quelques instants plus tard, néanmoins, je pus constater à quel point le sac à main d’une femme est lourd et surtout particulièrement douloureux. Je fermai les yeux pendant quelques secondes et me tins le nez en râlant pendant une demi-seconde, puis je réalisai que j’allais perdre ma dignité, ce qui me fit me relever. En entendant la jeune femme me traiter de pervers, je continuai à l’observer en me frottant légèrement le nez, puis je poussai un petit soupir.

« C’est pas vrai, vous baladez quoi, du plomb en lingots? Vous auriez pu me cassr le nez !» Demandai-je en soupirant un peu.

Sérieusement ? Cette fille transportait des briques dans son cabas ? Je fermai les yeux quelques secondes et recommençai à me masser le nez, ou du moins son arête, avant de reprendre la parole.

« Je ne suis pas un pervers ! » Repris-je directement, en repensant à ses paroles.

Je n’étais pas d’une grande délicatesse, mais je venais de recevoir un sac à main dans la figure, n’était-ce pas une raison suffisante pour exprimer ma souffrance ? Je fermai les yeux pendant quelques secondes et poussai un nouveau soupir.

Mais quelle mouche avait donc piqué cette diablesse ? J’étais encore occupé à me masser l’arête du nez qu’elle me traita de microbe et m’intima de ne pas m’en inquiéter. Et pourquoi n’aurais-je pas du le faire ? Y avait-il une autre chose dont j’aurais du me préoccuper plus que de la blessure qu’elle eût occasionné à cette proéminence naturelle ? En parlant de cela, elle eût pu en blesser une autre alors j’évitai de faire un commentaire sur le sujet afin de ne point lui en donner l’idée. À la place, je grimaçai un peu, singeant presque ce qu’elle venait de me dire car je ne trouvais pas cela franchement drôle. Si elle avait frappé plus fort, elle eût pu me briser le nez, ce qui n’eût pas forcément été agréable ! Je ne rétorquai pas, malgré toute la verve dont j’eusse pu faire preuve, et je me contentai de masser silencieusement ce pauvre cap endolori…

Quelques instants plus tard, je lui dis clairement ne pas être un pervers, mais cela n’eut malheureusement pas l’effet escompté. Je n’étais pas un pervers, il fallait lui parler en quelle langue, en petit suisse ? Peut-être eût-elle mieux compris... Un soupir traversa la barrière de mes lèvres quand je l’entends ironiser sur mes paroles. Non, je n’étais pas un pervers, je le lui avais dit et j’eusse été prêt à le lui répéter une centaine de fois encore si madame en avait éprouvé l’envie soudaine. Mais pas pour son bon plaisir, non, simplement pour l’en saouler et l’en exaspérer jusqu’à ce qu’elle me lâchât enfin.

Comme elle me regardait d’un air mauvais, je ne pus m’empêcher de lui rendre ce regard, écoutant avec attention les paroles qu’elle m’adressait, car bien que je ne le disse pas, elle me faisait craindre un coup, une prise ou je ne sais qu’elle autre chose violente qu’elle eût pu me faire. Je fronçai les sourcils quelques secondes en l’entendant déblatérer et, quand elle eut terminé, je me redressai enfin, sans manquer de masser encore un peu mon nez endolori depuis quelques minutes. Je poussai un petit soupir, court mais profond, et je me préparai à rétorquer, mais elle ne m’en laissa malheureusement pas l’occasion, recommençant à parler d’une manière qui ne me plaisait pas du tout. Était-elle sérieuse ? Je fermai les yeux pendant quelques secondes avant de finalement reprendre la parole, assez amusé par la situation dans laquelle je me trouvais. Sérieusement, me fait tenir par le col par une femme qui est censée travailler pour l’agence… N’était-ce pas une situation tout simplement ironique ? Pour ne pas dire un comble, en fait.

« Vous avez tout faux, je travaille ici. » Dis-je en un profond soupir qui trahissait mon exaspération, mais en même temps l’ironie de la situation me portait à rire. « Katase Kenta, idole de l’agence. Mais peut-être ignorez-vous comment se lisent les badges ? » Demandai-je, affichant un petit sourire moqueur.

Je ris un peu et je fermai les yeux quelques secondes avant de poser ma main sur celle de la demoiselle afin d’essayer de lui faire lâcher mon col car, l’air de rien, cette situation n’avait rien de confortable et j’avais légèrement l’impression d’être serré dans la veste que j’avais enfilée avant de quitter la maison.

« Allez, tout doux Duchesse, je veux bien admettre que t’es plutôt pas mal, mais tu me lâches et on reprend les choses correctement, tu veux ? » Dis-je en riant un peu pour lui faire comprendre que je lui laissais une seconde chance de mieux se comporter envers moi.

Sérieusement, elle s’était prise pour qui là ? Je voulais bien admettre que les pervers étaient nombreux à cette époque, mais n’avait-elle pas légèrement exagéré en cet instant ? Il ne fallait pas pousser le bouchon trop loin, là.

Je lui en foutrais, moi, des pervers. Si elle ne me laissait pas tranquille sur le champ, j’allais sérieusement m’énerver et elle risquait sans doute d’avoir de gros problèmes avec l’agence si je rapportais les faits à mon manager… Non pas que je comptasse réellement le faire, mais j’avais de la suite dans les idées la concernant alors elle avait intérêt à me lâcher et à retourner s’occuper de ses petites affaires après m’avoir agressé comme cela… D’un autre côté, je ne pouvais pas réellement affirmer que, si elle n’arrêtait pas tout de suite, j’allais essayer de lui causer des problèmes, bien au contraire, j’en avais suffisamment eu de mon côté pour savoir à quel point il est ennuyeux de se faire poursuivre par son patron ou ses collègues et, surtout, à quel point il est agaçant de se faire regarder de travers à chaque fois que l’on fait un pas.

Alors que je recommençais à avancer, je sentis un nouveau coup, à l’arrière de ma tête cette fois, et je me retrouvai empêché d’avancer par Duchesse qui semblait prendre un malin plaisir à troubler ma journée et qui devait avoir décidé de m’énerver jusqu’au bout. Franchement, n’avais-je pas mieux à faire que supporter les simagrées d’une fille comme celle-là ? Je pensais que le bac à sable était une époque révolue depuis longtemps pour nous…haha… À croire que certaines personnes étaient un peu en retard sur leur âge, bien qu’elles ne semblassent pas le réaliser. Exaspéré, je pris la décision la plus agaçante de ma vie (et dieu sait combien il y en a eu jusqu’à aujourd’hui) : m’adresser à elle en keigo. Madame pensais que j’étais un pervers ? Et bien le pervers allait être poli, au moins.

« Sachez très chère que je m’y rends chaque jour afin d’y prendre un café. » J’attendis un moment avant de reprendre la parole sur un ton amusé. « Et pardonnez mon impudence, Princesse, je ne voulais point vous froisser. »

J’en avais plus qu’assez de cette femme qui, visiblement, se prenait pour le centre du monde. Cela existait réellement, les personnes de son genre ? Un soupir agacé m’échappa et je repris la parole car, franchement, j’étais excédé par son comportement exubérant et ses exigences excessives. Suite à son petit geste avec son pouce je levai les yeux au ciel avant de pousser un petit soupir. Quelques instants plus tard, à peine, je levai mes deux pouces de part et d’autre de mon visage afin de m’adresser à elle dans un langage beaucoup moins soutenu, mais avec toute la franchise du monde… N’étais-je pas parfait pour ce genre de choses ?

« Me pousse pas au vice, t’es carrément bonne. » Dis-je en cherchant à soutenir son regard.

Quelques instants plus tard, j’inversai le sens de mes pouces, les dirigeant donc vers le bas, et je repris la parole presque aussitôt, effaçant ce sourire amusé de mon visage.

« Malheureusement, je ne suis pas un pervers et je ne cherche pas à attirer la première femme qui passe dans mon lit. »

Paumes ouvertes de part et d’autre de mon visage, désormais, je repris un large sourire et je fermai deux fois les mains, comme pour la saluer avant de m’adresser à elle à nouveau et de faire un pas de côté pour l’éviter, elle qui se trouvait encore sur mon passage…

« Allez Beauté, j’ai autre chose à faire que m’occuper de tes crises existentielles, on reparlera de ton physique avantageux une autre fois. »