Tenue

Une heure de pause entre deux cours était toujours une bonne chose à mes yeux, même si certains pouvaient voir cela comme une rallonge inutile du temps passé à l’université. Non seulement cela me permettait de souffler un peu, chose non négligeable dans cette atmosphère pesant, mais en plus, j’avais ainsi le temps de régler quelques problèmes par-ci, par-là. Et outre ceux qui occupaient déjà bien mon quotidien et auxquels je n’avais pour le moment pas envie de songer, il y en avait que je comptais régler à ce moment précis. Il était d’autant plus pratique de mettre au clair ces divers détails lorsque leur point de départ se trouvait lui-même dans les locaux de la Royal Private School, j’avais par conséquent moins de chance de risquer d’être en retard au cours suivant. Comme je ne tenais pas spécialement à me faire remarquer en ce moment, c’était l’idéal. Je me dirigeais ainsi d’un pas décidé et plus que dynamique vers la cible de mes préoccupations : Mai Xun. Je ne le connaissais pas personnellement, je n’avais d’ailleurs aucune envie de le connaître : c’était une idole, il ne m’en fallait pas plus pour le fuir comme la peste. C’était systématique, dès que je le croisais dans un couloir, ou à la bibliothèque, il fallait absolument que je fasse un détour de plusieurs mètres, simplement pour être certaine de ne pas croiser son chemin. Ce n’était pas ma faute si je nourrissais une répulsion presque pathologique contre ce type d’individus. Mais ce n’était pas pour cette simple raison que je m’apprêtais à lui adresser la parole pour la première fois en plusieurs mois, voire années, à force, je ne savais plus à quand remontait la première fois que j’avais eu le malheur de croiser son chemin.

Le problème était plus complexe que cela. Par un curieux hasard, alors que je m’apprêtais à dévier mon parcours pour l’éviter une nouvelle fois, je l’avais surpris en compagnie de Jun Min, dont j’avais appris depuis peu qu’il était mon demi-frère. Autant dire que cela ne laissait rien présager de bon à mes yeux. Je savais pertinemment que ce n’était pas mes affaires et que Jun Min souhaiterait certainement que je n’aille pas mettre mon nez dans sa vie privée, sans compter que nous n’étions pas forcément encore très proches, mais malgré tout, je ne pouvais pas m’empêcher de m’inquiéter pour lui. Je n’avais que trop vu la façon dont il tenait à obtenir le poste de CEO après notre père, hors de question de laisser un type comme Jun Min gâcher tout cela. Ce n’était pas en apprenant trois pauvres pas de danse et en apprenant à faire du play-back de manière convaincante qu’il parviendrait à son rêve. Car je les avais vus discuter et j’avais aussi entraperçu une feuille qui ressemblait beaucoup à une partition – heureusement que j’étudiais la musique ça me servait au moins pour ça – et j’en avais immédiatement déduit que cet imposteur de première classe essayait d’enrôler mon demi-frère dans son univers pourri. Il était de mon devoir d’intervenir pour que ce Xun tienne ses distances et ce, pour toujours.

Cible repérée. Poings serrés, regard implacable, j’accélérai le pas pour arriver jusqu’au jeune homme. Heureusement, s’il était apparemment dénué de talent, il n’était pas totalement dénué d’intelligence et comprit assez rapidement que c’était vers lui que je me dirigeais et que nous allions ainsi avoir une petite conversation. Je ne comptais pas m’attarder, ce serait concis et clair, j’espérais simplement qu’il ne résisterait pas trop longtemps. J’étais prête à employer la manière forte s’il le fallait, même s’il fallait reconnaître que mon petit gabarit impressionnait difficilement sur ce plan. Cela dit, je ne compris pas pourquoi il se mit à esquisser un sourire quand j’arrivai enfin à sa hauteur. Oh non, il n’avait pas à sourire, cela ne s’annonçait pas être une partie de plaisir, il pouvait bien me faire confiance sur ce point. Je croisai les bras quand il se mit à débiter ses mots remplis d’idiotie profonde. Soit, il n’était pas dépourvu d’intelligence, mais il s’avérait bien que ses capacités intellectuelles étaient terriblement limitées. Pour qui me prenait-il ? Il croyait que j’allais lui demander un autographe, là maintenant ? On devrait peut-être se pencher davantage sur l’enseignement de la modestie aux idoles, un jour leur orgueil risquerait de leur porter préjudice.

« Très drôle, répondis-je avec sarcasme, les agences vous enseignent l’humour maintenant ? »

Au moins, ça donnait déjà le ton de la conversation. Il n’était cependant pas question pour moi de perdre mon temps à philosopher sur l’absence de valeur de son « métier ». J’étais là pour quelque chose de plus important en vérité et il ne fallait pas que je le laisse m’éloigner du sujet. C’était capital, et bien plus vital que mes a priori sur ce milieu dépravé.

« Bref, c’est pas le sujet. Je suis là pour parler de Jun Min, annonçai-je, le visage grave, je sais pas ce que t’as en tête, mais lâche-le ok ? Il a d’autres ambitions que de devenir un chanteur pour minettes, tu me suis ? »

Cela avait le mérite d’être direct, comme toujours. Je comptais bien l’amener à laisser Jun Min en dehors de ses histoires d’idoles à trois sous, cela ne regardait que lui s’il avait envie de se trémousser sur scène, acclamé par une foule de préados. Il n’était pas question qu’il entraîne Jun Min dans son délire, voilà tout.

Je ne connaissais pas personnellement Xun et je n’avais à vrai dire rien de particulier contre lui. En vérité, je ne le connaissais pas du tout, ne serait-ce pas que par sa carrière, non je ne savais rien de ce qu’il chantait – ou ce qu’on appelait du « chant » pour les idoles haha – et je n’aurais sans doute jamais eu affaire à lui si Jun Min n’avait pas été impliqué dans l’histoire. C’était plus fort que moi, je n’arrivais pas à m’intéresser à cette industrie musicale si superficielle à mes yeux, je ne retenais brièvement que certains visages connus quand ils passaient à la télévision et c’était souvent dans des émissions de variété où je n’avais pas à supporter leurs singeries de performeurs. Je voulais volontiers admettre que mon point de vue était purement arbitraire et totalement dénué d’objectivité mais il en était ainsi, ils ne m’inspiraient que répulsion et cela n’était pas prêt de changer, heureusement pour moi. Et peut-être aussi tant mieux pour moi, cela leur faisait une personne en moins qui serait susceptible de les dénoncer quand elle les reconnaissait dans la rue. Parfois, j’en venais presque à les plaindre – même si après tout c’était leur choix tant pis pour eux – de devoir supporter toutes ces contraintes au quotidien. J’imaginais que les paillettes et le salaire aidaient dans ces circonstances.

Cela expliquait sans doute pourquoi je n’avais aucune envie de voir mon demi-frère emprunter cette voie et devoir se dandiner sur scène pour le simple plaisir de la foule de fans hystériques en face de lui. J’étais bien décidée à ce que ça n’arrive et j’espérais pour Xun qu’il l’avait compris. Apparemment non. Il se mit à rire très franchement, comme si je venais de lui offrir la meilleure blague du siècle, chose qui me fit davantage froncer les sourcils. Je ne voyais pas bien ce qu’il y avait de drôle dans cette histoire, c’était très sérieux. A vrai dire, je dus me faire violence pour ne pas lui répliquer que lui non plus n’avait pas des capacités vocales époustouflantes – même si je n’en savais rien – et attendre calmement de plus amples explications. Pour lui c’était peut-être un jeu mais j’étais très sérieuse, prête à devoir me battre pour sauver l’avenir de Jun Min. J’avais dû être un super héros dans une vie antérieure, je ne voyais pas d’autre explication sensée à cette soudaine poussée d’héroïsme pour quelqu’un que je connaissais à peine en vérité. On allait dire que c’était en raison des liens familiaux tout simplement.

J’arquai un sourcil quand il m’annonça, sur un ton des plus naturels de surcroît, qu’il songeait plutôt à présenter Jun Min en tant que rappeur. Sérieusement ? Je pouvais clairement voir qu’il s’amusait à jouer avec mes nerfs mais honnêtement, j’espérais pour lui que cette petite plaisanterie ne durerait pas longtemps, puisque mon sens de l’humour était très limité dans des moments pareils. Même si je devais le traîner au sol dans l’ensemble de l’université pour le faire céder, je n’hésiterais pas une seule seconde. Pas question de laisser cet énergumène visiblement dérangé approcher mon demi-frère tant qu’il ne se serait pas décidé à le laisser suivre tranquillement son propre chemin. Toujours les bras croisés, j’esquissai un sourire froid, qui ne montrait que trop bien à quel point j’étais agacée. Mieux valait pour lui qu’il s’en rendre compte.

« Tu oublies. Tout de suite. Il n’est pas question que Jun Min perde son temps pour une audition à la noix. Ce n’est pas une « opportunité », c’est un suicide. »

S’il n’avait pas encore compris que je n’affectionnais pas son milieu, il devait vraiment aller consulter pour des problèmes d’ouïe. Mon ton était sec, sans appel. Il n’y avait pas de négociation possible, Jun Min n’irait pas à cette audition et j’irais brûler l’agence moi-même pour l’en empêcher. Je pouvais être excessive dans mes idées mais la volonté était elle bien réelle. Quand je repensais à la façon dont il avait tenu tête à notre père pour affirmer ses droits sur le poste de CEO, se prenant une gifle au passage, je ne pouvais pas laisser un saltimbanque mettre un terme à tout cela en lui faisant miroiter ce qui n’était que mirages et chimères. Je ne savais dire si Xun plierait facilement ou s’il résisterait coûte que coûte, au moins il cachait bien son jeu. Tant que je ne l’aurais pas entendu très distinctement de sa bouche, je ne bougerais pas de toute façon, alors il pouvait prendre son temps, enfin, plusieurs minutes plus tôt, j’avais cours moi après.

Sa question me surprit quelque peu. Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire les raisons qui me poussaient à venir le voir ? Est-ce que moi je m’occupais des raisons pour lesquelles il voulait endoctriner Jun Min ? Ah, ces idoles. Je lâchai un lourd soupir, visiblement exaspérée par son attitude. On s’en fichait du pourquoi, moi je voulais le résultat, voilà tout. Et non je ne fangirlisais pas devant des types comme lui – je me refusais à l’assimiler à Jun Min – même si une part, profondément refoulée en moi, enviait parfois la chance qu’ils avaient de monter sur scène pour chanter et danser. Cela expliquait sans doute pourquoi je mis plusieurs secondes à répondre, perdue un moment dans mes pensées. Voilà, maintenant j’étais énervée.

« Bon, alors même si franchement ça ne te regarde pas, Jun Min est mon demi-frère. Ça te va ? Bon, maintenant, tu as intérêt à le laisser tranquille. Rappeur ou pseudo chanteur, c’est pareil. J’ai pas envie qu’il perde son temps avec ces idioties d’idoles. »

Tout d’un coup, j’avais très envie d’écourter cette conversation, pour je ne savais quelle raison. Comme si je craignais de me trahir à un moment ou à un autre. Mais bien entendu, il n’en était pas question, aussitôt que cette histoire serait réglée, je m’en irais au pas de charge, en oubliant cette histoire. Du moins je l’espérais.

Je ne saurais dire exactement à quand remontait mon antipathie profonde envers toutes les personnes qui osaient se lancer dans le show-business, à vrai dire j’avais le sentiment qu’elle faisait partie de moi depuis toujours. Ainsi, je ne savais même pas quel avait été le point déclencheur, je supposais simplement que ça avait dû me prendre un jour alors que je regardais un show télévisé coréen, tout simplement. Je n’étais pas même certaine de devoir débattre sur le sujet avec des arguments construits, fondés sur des faits précis, je ne me référais qu’à des lieux communs bien connus de tous, des clichés qu’on avait certainement l’habitude de leur sortir dès qu’on avait envie de leur cracher dessus pour une raison lambda. Au fond, je n’avais rien contre le fait même de monter sur scène pour danser et chanter, puisqu’il me prenait également de temps à autre l’envie de faire la même. C’était tout ce qu’il y avait autour qui créait cette répulsion qui faisait que mes poils de bras, discrets cela dit, se hérissaient en présence d’un des représentants de cet univers. Je ne voyais pas l’intérêt majeur de sourire en toute circonstance, même quand on vous sifflait, et de faire du fan service à tout va. Même si en vérité, ces raisons n’étaient que la face émergée de l’iceberg.

Si je « fangirlisais » pas devant les idoles, je ne pouvais pas tant ignorer ce sentiment de jalousie qui s’emparait de mon être dès que j’avais le malheur de voir l’une d’elles faire son show. J’aurais aimé être indifférente en voyant ceux que je me plaisais à appeler « guignols » se trémousser sur scène mais la vérité était toute autre : je les enviais cruellement et je donnerais assurément monts et merveilles pour être à leur place, incognito, sans devoir piétiner en même temps ce que j’affirmais haut et fort à tout le monde. Cela m’arracherait tellement la gorge que de reconnaître cette évidence que je préférais me voiler la face et laisser croire que je m’en fichais et me tenir le plus loin possible des idoles, tout faire en quelque sorte pour ne jamais avoir à leur adresser la parole ou même me retrouver à proximité de celles-ci. Plus loin je me tenais du monde qui faisait l’objet de mes convoitises, mieux je pouvais me persuader que c’était certainement néfaste et que de toute façon, il n’y avait rien de positif à en tirer.

Inévitablement, je gonflai les joues, agacée, quand Xun m’assura que Jun Min n’avait pas besoin de moi pour le défendre dans cette affaire. Certes, je voulais bien reconnaître que mon demi-frère était un adulte responsable et clairvoyant, mais c’était bien mon devoir de sœur, même si je ne l’étais qu’à moitié, que de l’empêcher de faire une énorme boulette et ce, en écartant Xun, non ? Je ne voulais pas faire cela à cause de mes – fausses – convictions personnelles mais parce que j’étais consciente du rêve de Jun Min concernant le poste de CEO. Cela dit, cela ne m’évita pas de lâcher un ricanement plein d’ironie quand l’idole reconnut elle-même que son avis n’avait pas de poids dans l’affaire. A vrai dire, j’approuvais tout à fait l’expression « avis de merde » qu’il venait d’employer. Au moins, il comprenait mon point de vue, c’était déjà ça, je n’étais pas sûre pour autant qu’il l’approuve. En fait, je songeais qu’il devait être passablement énervé, vu le regard froid qu’il m’adressait désormais. Ouhlà, serait-il en train de s’énerver ? Il n’avait pas apprécié ma précédente réflexion ? Ou il était juste en colère parce que j’étais apparemment très têtue ?

Rien de tout cela a priori. J’ouvris et refermai la bouche instantanément au moment où il affirma qu’il n’avait aucunement l’intention d’embrigader Jun Min. Plaît-il ? Je le toisai de haut en bas, cherchant à voir s’il bluffait mais il avait l’air on ne pouvait plus sérieux. Je fus à nouveau sous le choc quand il m’annonça qu’il ne faisait rien de louche avec Jun Min, chose que j’avais suspecté dès qu’il avait écarté l’hypothèse de « Je vais en faire une idole ». Il était clair que je m’étais trompée sur toute la ligne, Xun ne souhaitait apparemment pas nuire à mon demi-frère. Je devais avoir l’air fine tiens. Néanmoins, cela ne m’expliquait toujours pas pourquoi je les avais aperçus en train de discuter, avec une partition dans les mains. C’était assurément louche.

« Si tu ne veux pas l’amener à ton agence ou te servir de lui, qu’est-ce que vous faisiez à bavarder avec une partition ? Tu vas pas me dire que tu lui donnais des cours de musique ou de chant, ce serait le comble. »

Alors qu’en vérité, ce pourrait être tout à fait logique, si on faisait abstraction du fait que j’étais persuadée que peu d’idoles savaient vraiment chanter ou jouer d’un instrument. Mais je n’eus pas tant l’occasion de m’attarder sur la chose, puisque Xun se mit à me détailler, comme s’il me passait aux rayons X. Vous savez, un peu comme on devait détailler les steaks pour savoir s’ils étaient aptes à la consommation. Je recroisai les bras et lâchai un toussotement assez expressif en lui-même, histoire de ramener son attention là où elle était supposée être quand on parlait à quelqu’un, c’est-à-dire sur mon visage. Il était dérangé ?

« Un problème peut-être ? , demandai-je sèchement. »

Moi qui ne voulais pas éterniser la conversation, voilà que je me mettais à la relancer sans réfléchir. Si ça continuait ainsi, je pourrais bientôt dire adieu à mon prochain cours et supplier un de mes camarades pour me passer ses notes.

Il était vrai que j’avais tout de même une fâcheuse tendance à monter sur mes grands chevaux dès que quelque chose ne me plaisait et peut-être devrais-je travailler là-dessus plus que je ne le pensais. Non pas que j’avais un sérieux besoin presque maladif d’avoir l’entier contrôle sur tout ce qui se passait autour de moi, mais disons qu’il n’en fallait pas beaucoup pour que je démarre au quart de tour si jamais je me sentais insultée ou menacée. Il en allait de même pour les personnes auxquelles je tenais et, même si on ne se connaissait que depuis peu et pas très bien de surcroît, Jun Min en faisait assurément partie. N’importe quel psychologue ou psychiatre digne de ce nom pourrait interpréter mon attitude comme un besoin criant de me faire une place dans la vie de mon demi-frère, par tous les moyens qui s’offraient à moi. Je devrais effectivement songer à prendre consultation avec ce merveilleux capharnaüm familial qui composait mon existence et qui expliquait sans doute que j’avais besoin de me défouler sur quelqu’un et ce quelqu’un étant présentement Xun, dont je peinais à supporter les remarques. S’il y avait bien une chose dont je n’avais absolument pas besoin pour le coup, c’était de me faire faire la leçon par une idole. A force, j’allais finir par démolir une salle de classe.

Si le problème avec Jun Min semblait être pleinement résolu puisqu’ils n’étaient que de simples « amis » - même si j’étudierais la question avec mon demi-frère en personne, cela me paraissait judicieux – le jeune homme ne paraissait pas en avoir fini avec moi. Pour une raison qui m’échappait totalement, il me détaillait comme si j’étais un mannequin qui essayait une tenue pour un défilé et qu’il fallait que tout soit parfait. Déjà que je n’étais pas très à l’aise avec ma morphologie, si on faisait abstraction de cela, je n’appréciais pas forcément l’idée d’être reluquée comme un steak haché dont il fallait déterminer s’il était apte à la consommation. Je finirais presque par croire qu’il fallait que je me résolve  à laisser mes jupes et robes au placard. Il n’y avait pas suffisamment de groupies dignes de ce nom  à son goût pour qu’il puisse évacuer sa frustration ou bien ? Pourtant, cela ne devait pas manquer tout de même des jolies filles prêtes à accepter ses avances de star incontestée. Ou alors l’idée de séduire une fille qui l’avait pris en grippe l’intéressait davantage. Décidément, peu importe la façon dont je prenais les choses, il demeurait un sacré tordu celui-là. Les hommes…

Néanmoins, il me prit de court avec son explication inattendue. Je ne comprenais pas tout d’abord où il voulait en venir avec le fait que je chantais bien selon ses mots, alors que de mon point de vue, je dirais que je ne chantais hypothétiquement pas trop mal. Où avait-il entendu cela ? Je ne savais pas que mes capacités vocales alimentaient les bruits de couloir, après tout, il n’y avait rien d’extraordinaire à chanter sous la douche ou dans sa chambre de temps en temps. Alors pourquoi amenait-il cela dans la discussion ? Ses mots suivants m’en dirent plus sur ses intentions. Monsieur proposait d’évaluer mes talents par le biais d’une prestation et ainsi me prendre sous son aile pour intégrer son agence. Il était sourd ou tout simplement fermé au dialogue ? N’avait-il toujours pas compris que je me fichais de son monde de paillettes ? Il fallait croire que non et une bonne mise au point s’imposait de toute évidence.

« Tu plaisantes j’espère ?, répliquai-je en ricanant, tu n’as pas suivi ? Je déteste les idoles, alors je ne vois pas pourquoi je perdrais mon temps pour en devenir une. J’ai autre chose à faire. »

Oui comme devenir artiste, mais au moyen de peintures et de dessins, pas de semblants de vocalises entre trois pas de danse. Si je m’étais trouvée dans des conditions plus favorables, en étant moins sur les nerfs par exemple, j’aurais sûrement mis plus de temps à répondre. Je ne pouvais trop nier le fait que la perspective de monter sur scène ne me faisait pas tant horreur que je voulais bien le dire à quiconque souhaitait l’entendre. Mais les sourires faux et les arrangements de bonne entente me rappelaient trop le milieu de mon père biologique et pour rien au monde je ne souhaitais ne serait-ce que frôler un bout de ce qui pouvait s’y apparenter. Je préférais suivre une toute autre voie, en rapport avec personne, que je me serais tracée toute seule comme il se devait. Et ce n’était pas parce que Xun faisait mine de vouloir m’accorder une faveur que j’allais soudainement changer d’avis, encore moins pour lui faire plaisir.

« Il y a si peu de gens prêts à faire ce métier que maintenant vous vous sentez même obligés de recruter ceux qui vous crachent dessus ? C’est pas un peu pathétique comme procédé ? J’ai rien à te prouver et je vois pas comment on pourrait s’entendre là-dessus… »

Alors qu’est-ce que je faisais encore, plantée face à lui en attendant sa réponse ? Ne devais-je pas plutôt mettre un terme à notre échange en m’en allant promptement ? Il semblait que malgré tout, une partie de moi souhaitait savoir ce qu’il pouvait me faire comme offre, au cas où une opportunité pareille ne se représentait pas. Après tout, j’étais abonnée aux initiatives stupides et mal réfléchies en ce moment, c’était plus fort que moi, même si je ne cessais de me dire qu’il faudrait peut-être songer à me ressaisir.

Pour une raison évidente, j’étais intimement persuadée que les idoles s’accordaient forcément avec la politique de leur milieu – sinon comment diable parvenaient-elles à travailler dans ces conditions ? – et qu’elles s’admiraient forcément entre elles. Il était fort peu probable à mon sens qu’une personne lambda choisît de se lancer dans une carrière musicale sans avoir de modèle au préalable. Si on décidait du jour au lendemain qu’on serait chanteur, c’était qu’il y avait bien une personne qu’on admirait et dont on rêvait d’imiter le parcours quelque part. Du moins cette démarche me paraissait être la plus logique et la plus sensée quand j’entendais quelqu’un déclarer qu’il voulait absolument se lancer dans le monde du showbiz. Sinon, je ne voyais pas comment on pouvait s’y résigner, je ne pouvais concevoir que quelqu’un décidât de devenir idole, juste comme ça, sans approuver le concept même de ce métier ou sans avoir le moindre modèle dans ce domaine. C’était un peu choisir une voie, au hasard, par dépit faute de pouvoir faire autre chose de sa vie. Or, il me semblait qu’il y avait bien plus de voies dans lesquelles on pouvait s’engager par dépit autres que celles du showbiz. Si les gens n’avaient même pas la passion nécessaire pour faire ce métier, je ne voyais même pas l’intérêt de s’engager dans un chemin si épineux.

Pourtant, Jun Min parvint à me surprendre sur ce point, me confiant qu’il détestait également les idoles. J’étais stupéfaite, ébahie et sans voix. Comment pouvait-il haïr ses collègues dans de telles circonstances ? Il n’allait pas me faire croire que c’était parce qu’il les détestait personnellement, il ne pouvait pas tous si bien les connaître, si ? C’était un vaste milieu tout de même, on ne pouvait pas avoir une idée précise de chaque personnalité même en faisant partie du milieu, ça me semblait assez improbable et irréalisable. Alors, qu’est-ce qui le poussait et l’avait poussé à être une idole s’il méprisait lui-même ce métier ? Car, s’il haïssait les idoles de façon générale ce ne pouvait bien être que pour une question d’idéologie, donc sa démarche était assez surprenante. Déjà que je trouvais mon dilemme plutôt difficile à suivre, son raisonnement à lui échappait tout simplement au bon sens. Ou il y avait un détail crucial qui m’était inconnu, détail à ne pas oublier à prendre en considération. Si j’avais su qu’une idole pourrait un jour me surprendre à ce point, j’aurais acheté du popcorn pour observer la scène. Peut-être ne l’avait-il pas encore compris mais Xun éveillait soudainement ma curiosité et mon intérêt.

Son intervention suivante ne fut pas moins intéressante. Non seulement il affirmait que montrer mon talent potentiel ne m’engageait à rien, chose à laquelle je n’avais pas forcément songé étant donné les circonstances, mais il avançait également le fait que cela pourrait lui épargner d’être entouré de gens qu’il ne savait pas encadrer. Qu’est-ce qui pouvait bien lui faire penser que j’étais plus intéressante que les trainees de son agence ? Avaient-ils si peu de talent ou de personnalité ? Je me mis à gonfler les joues, impassible quand il entreprit d’évoquer les diverses qualités que je possédais déjà à ses yeux. Je savais bien que bien des filles rêveraient d’avoir ma fine carrure pour pouvoir briller plus aisément sous les feux des projecteurs mais ça ne m’apparaissait jamais comme une qualité première. Si ce physique était celui de l’emploi pour les idoles, il connotait des choses bien plus sinistres de mon point de vue, mais bon je n’étais pas là pour jouer les malheureuses. Et de toute façon, Xun me coupa vite dans ma réflexion en enchaînant sur le point essentiel de sa démarche : monsieur souhaitait faire un duo avec moi.

Pour le coup, je ne m’y attendais pas. Déjà, qu’il me proposât de devenir une idole, c’était bizarre mais qu’en plus il y vît une opportunité de booster sa propre carrière, ça m’épatait. Qu’est-ce que je pouvais bien avoir qui le persuadait que j’étais la candidate idéale pour ce genre d’occasion ? Le pire, c’était qu’il était on ne pouvait plus sérieux, ce n’était pas des mots légers, lâchés comme ça, pour séduire par exemple. Voilà qu’il ne cessait de piquer ma curiosité un peu plus à chaque fois, et je n’étais pas certaine de la ligne de conduite à adopter vis-à-vis de cela.

« Je sais pas trop, confiai-je non sans rire doucement, un rire qui masquait en réalité ma nervosité, pourquoi je t’aiderais dans cette histoire ? Qui te dit que j’ai justement envie de former un duo et avec toi qui plus est ? »

Il était à présent clair que j’avais failli. Le niveau de la conversation ne se résumait plus à « Veux-tu être une idole ? », « Non je ne veux pas en être une » mais sur la possibilité de former cet éventuel duo. Je n’avais jamais chanté sur une scène digne de ce nom et encore moins avec quelqu’un, alors comment pouvais-je être certaine que cela me plairait ? En même temps, il faudrait être fou je supposai pour refuser une opportunité pareille sans plus de détail. Aussi décidai-je de me lancer.

« Bon, va pour la « démonstration », déclarai-je dans un soupir, avec un peu de chance, j’aurais une voix inintéressante et on n’en parlera plus. »

A force de faire des concessions, j’allais mal finir moi. Mais peu m’importait, je voulais en finir et me dévouer à la tâche me paraissait le meilleur moyen d’être fixée sur la question. Ainsi, ce fut après un bref raclement de gorge que je me décidai à chanter, doucement, plus avec un peu plus d’assurance mais sans jamais trop hausser le ton.

Je n’arrivais plus à comprendre comment je m’étais retrouvée à chanter dans un couloir de l’université sur une proposition de Xun, alors que j’étais initialement venue le voir pour discuter de Jun Min et qu’il le laisse tranquille avec ses histoires d’idoles. Alors que j’étais pratiquement occupée d’auditionner pour en devenir une, allez chercher la logique. Le fait était que je m’étais finalement lancée, j’étais en train de fredonner une chanson choisie à l’improviste, la première qui m’était venue en tête et dont j’étais certaine de connaître les paroles par cœur. Il fallait dire que je la chantonnais dans ma chambre dès que j’étais d’humeur joyeuse ou pour me donner du courage en faisant mes devoirs d’art, le choix n’avait donc pas été bien compliqué, il s’était presque imposé tout simplement. Cela dit, je ne m’étais jamais occupée de regarder la partition ou de faire attention à la justesse des notes, de toute façon je ne donnais pas mon premier concert en l’occurrence. Xun voulait entendre ma voix et bien c’était chose faite désormais, même si j’étais consciente de ne rien avoir d’une professionnelle et de faire quelques écarts de temps à autre. En même temps, chanter à froid n’était pas vraiment ce qu’il y avait de mieux pour obtenir une performance parfaite mais je me voyais mal faire des vocalises au milieu des élèves qui allaient et venaient. Déjà que je n’en avais jamais faites en temps normal, ce n’était pas le moment de me lancer parce que j’avais potentiellement une chance de pouvoir devenir chanteuse.

Au final, les trois minutes de chant me parurent avoir défilé à toute vitesse et je clignai des yeux plusieurs fois pour me rendre compte que j’avais bel et bien terminé ma petite prestation. Voilà qui était fait, il n’y avait plus qu’à attendre le verdict de monsieur l’idole célèbre avant de réfléchir aux suites de l’affaire. Je n’étais toujours pas entièrement décidée à me jeter à l’eau, j’avais chanté certes, mais cela ne signifiait pas que j’allais accepter sans broncher, docilement. Cela ne me ressemblait pas et ce n’était pas mon intention. Je voulais simplement entendre l’avis de Xun dans un premier temps, pour une raison qui m’échappait cela dit, vu que son jugement n’était pas supposé compter à mes yeux. J’allais de paradoxe en paradoxe, ce qui ne présageait rien de bon à mon avis. Son sourire me laissa penser que ça n’avait pas dû être trop mal, sans quoi ses oreilles l’auraient fait terriblement souffrir et donc un peu grimacer par conséquent.

En effet, il me proposa d’emblée de venir réitérer la performance à l’agence, chose qui supposait que j’avais été  à la hauteur de ses attentes. C’était déjà ça de gagné. Mes neurones se mirent à réfléchir quand il m’annonça que je pouvais commencer dans quelques semaines, chose qui m’arrangeait plutôt bien pour une raison que je ne pouvais pas tellement lui révéler. Mais bon, il n’avait besoin que de ma voix, pas de connaître ma vie privée. Alors cette opportunité de commencer rapidement dans les meilleurs délais éveillait une nouvelle fois mon intérêt si bien que je me sentais presque être sur le point d’accepter. Doucement Yun Hua, les décisions précipitées n’étaient pas toujours les bonnes à prendre. Mais avoir la possibilité de faire mes premiers pas sur scène avec quelqu’un qui avait visiblement besoin de moi et de pouvoir continuer à suivre les cours par la même occasion, il fallait bien avouer que présenté comme ça, c’était quelque chose qui ne se refusait pas. Mais comme rien n’était jamais simple avec moi, il fallait encore quelques éléments supplémentaires pour me pousser à lâcher un « Oui » décidé et définitif.

« Juste par curiosité. Y’a pas de test ou de contrôle médical obligatoire, n’est-ce pas ? »

Bon, le coup de la simple « curiosité » était faux, c’était évident et je n’attendais pas tellement à ce qu’il me croie, du moment qu’il ne cherchait pas à savoir ce dont il s’agissait. J’avais en tête que la vie des idoles était si contrôlée que je préférais poser la question d’emblée car je n’avais aucune envie de les voir fouiner dans ce domaine. De toute façon, s’ils le faisaient, je pouvais assurément dire adieu à la possibilité de monter sur scène, personne ne laisserait pas cet « écart de conduite ». Ahem. Cela dit, cela ne me paraissait pas suffisant comme condition à remplir pour obtenir mon consentement et je me mis alors à réfléchir à autre chose. Voilà que j’en étais au point de trouver des idées pour retarder l’inévitable, si ce n’était pas malheureux. Il me vint alors une idée brillante qui me fit esquisser un sourire en coin. Je n’étais pas sûre que Xun appréciât réellement cette initiative mais tant pis, je décidai de me laisser tout de même.

« Et puis c’est bien beau tout ça, mais je ne vois toujours pas pourquoi je devrais faire un duo avec toi. Tu ne crois pas que tu me dois au moins une démonstration de ce que tu sais faire toi aussi ? »

Il me devait bien cela n’est-ce pas ? Je ne voyais pas pourquoi je devais être la seule à m’afficher en chantant devant les autres élèves dans un couloir, d’autant plus que lui était un professionnel et que ça ne devait pas tant l’embêter que cela par conséquent. Il devait bien connaître un air en tête pour me prouver sa valeur non ?

Il me paraissait logique, ne sachant rien de Xun, de vouloir exiger un petit aperçu de ce qu’il avait à m’offrir. Je n’étais pas une personne particulièrement exigeante mais j’estimais avoir droit à une performance de sa part, après ma propre prouesse. Au fond, je me doutais plus ou moins que je ne pourrais pas lui reprocher grand-chose, c’était une idole et donc un professionnel, je n’allais pas commencer à jouer les fines bouches en pointant quelques imperfections à tel ou tel moment. Ce serait pousser la mauvaise foi un peu trop loin et pour quelqu’un comme moi qui y étais abonnée, c’était dire si ce n’était pas exagéré. En revanche, j’avais beaucoup plus d’inquiétude à avoir au sujet de la politique médicale de son agence. Sa réponse ne m’avait pas échappée et j’avais peiné à cacher combien cela me glaçait le sang en vérité. Ce qui apparaissait sans doute comme une blague de son point de vue était en fait un sujet très sérieux pour moi, puisque c’était exactement la situation épineuse dans laquelle je me trouvais. Si jamais je me devais me soumettre à ce prétendu test, les carottes étaient cuites et en plus, j’aurais gagné le droit de me faire afficher devant le personnel de l’agence. Je devais donc songer à éclaircir ce point avec lui par la suite.

Je me contentai de hausser les épaules en faisant la moue quand il me demanda, apparemment étonné, si je n’avais écouté un de ses albums ou un de ses titres qui passaient à la radio. Oui je jugeais les gens sans savoir et alors ? Etait-ce ma faute si je n’écoutais justement pas les radios qui diffusaient les derniers hits des boysbands, girlsbands et artistes solos qui se revendiquaient comme des idoles ? J’avais ma propre playlist et je soignais mes recherches quand il me prenait l’envie de découvrir de nouveaux artistes ou musiques. Cela dit, je ne voyais pas pourquoi il mettait tant de temps à s’exécuter, ce n’était pas parce que je n’avais jamais entendu une de ses chansons que ça allait poser un problème, si ? Ouhlà, quelque chose me disait que je m’étais aventurée sur une route épineuse, j’avais le pressentiment que ma requête posait étonnamment problème pour quelqu’un supposé être plus expérimenté que moi. Avait-il peur de chanter dans un couloir ? Ou alors on avait mis un veto ou un copyright sur sa voix ? Ce serait assez effrayant en y réfléchissant.

Sans comprendre pourquoi il souhaitait changer subitement de lieu, il me fit signe de le suivre, sans un mot. Ma curiosité étant assurément plus forte que mon bon sens et ma ponctualité en classe, je ne bronchai pas et obéis, jusqu’à arriver dans la salle de musique. Je le regardai avec étonnement saisir une guitare, chose inattendue. D’après ce que je voyais, il avait décidé de sortir le grand jeu, chantonner dans un couloir ne devait pas lui paraître suffisant pour m’impressionner. Cela ne me posait pas de problème à vrai dire, moins de personnes nous entendaient discuter d’un potentiel avenir pour moi en tant que chanteuse – et donc de le rapporter à Royal Shit – mieux je me portais. Autant garder ça confidentiel aussi longtemps que possible, je n’avais aucune envie de devoir répondre à des individus que la rumeur intéresserait au point de venir me questionner sur le sujet. Mais si Xun pensait m’impressionner, il lui faudrait plus que simplement me montrer qu’il savait jouer trois notes de guitare. J’étais moi-même en cours de musique, je savais jouer de plusieurs instruments, sans pour autant exceller avec l’un d’eux en particulier, allez savoir pourquoi, alors la tâche serait plutôt ardue, mais certes pas impossible. Je l’imitai et m’assis sur l’un des bureaux, attendant qu’il commence, intéressée de voir ce qu’il pouvait faire.

Surprise, il semblait avoir choisi d’improviser la mélodie de la chanson que j’avais interprétée un peu plus tôt. Je me doutais bien que ce ne pouvait être une coïncidence et qu’il ne pouvait pas avoir appris la partition par cœur en ayant anticipé que je la choisirais. Ainsi, il était donc capable d’improviser sur l’air d’une chanson pour recréer la mélodie. Sans oublier l’harmonica qu’il maîtrisait tout aussi bien que la guitare, tandis que je n’avais réussi à maîtriser ce fichu instrument. Détail qui ne manqua pas de susciter un bref sentiment de jalousie à cette pensée. La mélodie était en soi si entraînante que, encouragée par le regard de Xun, je me pris à chanter de nouveau la chanson, accompagnée cette fois de la guitare et de l’harmonica. Je ne pouvais nier qu’à première vue, le rendu n’était pas si mal, au contraire, je pensais même que ça devait plutôt être classe d’un point de vue extérieur. La messe était dite.

Quelques instants plus tard et la seconde prestation fut terminée, non sans un sourire qui illuminait mon visage. Je ne pouvais pas le nier, j'aimais vraiment cette perspective de chanter avec quelqu’un pour m’accompagner, l’idée m’emballait désormais encore davantage après ce premier essai. Mais je n’étais pas certaine du fait que Xun se contenterait simplement de jouer de la guitare sur scène pour m’accompagner, si ?

« Donc c’est ce que tu me proposes ? Toi, tu joues et moi, je chante ? Ou tu as simplement mal à la gorge aujourd’hui ?, demandai-je sur un ton rieur sans pour autant être moqueur. »

Voilà que je me prenais à rire avec lui, il allait finir par neiger en plein été, ce n’était pas possible autrement ! Mais je n’étais plus à un imprévu près. Reprenant mes esprits, consciente du point qui pourrait s’avérer délicat dans l’histoire, je revins cependant très vite à la source de mes préoccupations principales.

« Sinon pour l’aspect médical… Heu… Tu es sérieux quand tu parles du test de grossesse ?, tentai-je, cachant mon inquiétude comme je pouvais, parce que ce serait exactement ce « truc » qui pourrait me poser problème… »

J’osais espérer qu’il ne s’enfuirait pas d’un coup pour le crier sur tous les toits. La situation était suffisamment compliquée en elle-même, je n’avais pas besoin d’une idole psychopathe pour enfoncer le couteau dans la plaie. Si jamais c’était réel, il pouvait bien m’arranger cela, non ?

Je ne comprenais pas moi-même pourquoi j’avais soudainement décidé de jouer cartes sur table avec Xun. Il allait de soi que ma situation actuelle risquait fortement de compromettre le projet qu’il m’avait proposé et qu’elle la rendait presque impossible. Aussi ne comprenais-je pas pourquoi, au lieu de simplement refuser avec un prétexte improvisé en deux temps trois mouvements, je m’évertuais à vouloir trouver une solution, un compromis pour que cela fonctionne. Ironique quand on y songeait qu’il y avait encore à peine quelques minutes, j’étais décidée à l’envoyer balader lui et son idée sortie de nulle part au milieu de notre conversation. Cela avait été plus fort que moi, il avait fallu que je tente le tout pour le tout, quitte à me confier sur ce sujet sensible à un type que je connaissais à peine et qui pouvait aisément faire ce qu’il voulait de cette information, facilement nuisible si elle était utilisée contre moi. Décidément, les décisions réfléchies n’étaient pas mon fort en ce moment, je devais vraiment faire attention à mes mots, cela s’imposait. Mais une idole comme lui qui était sans doute traquée par des paparazzi n’allait certainement pas participer à ce genre de coup bas, n’est-ce pas ? Il était dans mon intérêt que Xun ne soit pas du genre mouchard pour le coup.

Pour être franche, je ne fus qu’à moitié surprise quand il se mit à me dévisager de haut en bas une fois la nouvelle annoncée. Je me doutais bien que je devais à cet instant précis être à peu près l’équivalent d’un extraterrestre sorti de nulle part à ses yeux et je regrettais déjà de m’être confiée à lui. J’aurais pu lui annoncer qu’il y avait des éléments similaires dans mon code génétique à celui d’un raptor que ça aurait été la même chose. Il fallait croire que je n’étais de toute évidence pas encore prête à accepter le regard des gens sur la chose, au point que même si je me doutais que ce n’était pas forcément méchant ou empreint de jugement, sa réaction me blessait. C’était presque comme si en trente secondes j’étais passée de la fille étincelante au monstre de foire. Chose pas très agréable cela allait de soi. Je lui intimai vite de baisser le ton quand il me demanda si j’étais enceinte – ce qui était évident – histoire que ça ne rentre pas dans des oreilles indiscrètes qui passaient par là. Je venais déjà de faire une bourde en révélant cette information à quelqu’un, je n’avais pas envie de confirmer à toute l’école que la rumeur de Royal Shit était effectivement fondée.

Je me mis à cligner des yeux, surprise par la capacité du jeune homme à enchaîner les questions à toute vitesse et à se répéter également. Ouah. Visiblement, il était sous le choc, ce qui était on ne pouvait plus compréhensible, mais contrairement à ce que je pensais, il n’était pas énervé à l’idée de voir son plan être légèrement contrecarré par mes frasques de jeune fille irresponsable. Il paraissait réellement préoccupé par ma situation, chose à laquelle je ne m’attendais pas, mais alors pas du tout. C’était pour ainsi dire la première personne à laquelle je révélais mon état et je ne croyais pas recevoir un semblant de compassion de sa part. C’était quand même assez drôle que cela vienne d’une idole que j’étais venue gronder à la base.

« Non, je ne pense pas, exposai-je en haussant les épaules, je suis pas assez mature pour ça. Je crois que je vais le faire adopter, ça me paraît être la meilleure solution. »

A vrai dire, je ne m’étais toujours pas fixée sur la question, entre l’avortement pur et simple et cette solution qui ne m’obligerait pas à m’occuper de l’enfant plus tard mais qui lui donnerait sa chance en quelque sorte. Le fait était que je n’allais pas m’amuser à jouer les mamans novices dans les mois qui allaient suivre, c’était le principal. Il me restait désormais à convaincre que les prochains mois ne poseraient pas problème quant à l’offre qu’il me faisait. Je n’avais pas songé en effet que ça allait être une contrainte assez conséquente et que ça remettait complètement en cause la possibilité pour moi de former ce fameux duo. Mais les arguments vinrent d’eux-mêmes.

« C’est que le début, poursuivis-je avec la meilleure volonté du monde, si on réussit à mettre en place le truc dans quelques semaines, ça devrait passer. Ça ne se verra pas tout de suite, et avec mon gabarit ce sera pas bien difficile à cacher pour quelques temps. Disons que si on commence rapidement, qu’on s’en tient à un ou deux mois de promotion du titre, ça devrait le faire. Après je m’occupe de « ça » et on pourra reprendre comme si de rien n’était. »

Dit comme ça, cela avait l’air tout simple en vérité, mais dans les faits, je sentais que ça allait être bien plus complexe et qu’il faudrait ruser pour que personne ne se rendre compte de rien. Mais puisque ce ne serait pas visible tout de suite et que je n’allais pas être incapable de faire un effort physique tout de suite non plus, c’était faisable de mon point de vue. Restait à voir si Xun était prêt à prendre le risque de son côté, mais il ne faudrait pas traîner si tel était son souhait, vu que désormais, nous avions un planning assez serré par ma faute.

J’étais évidemment consciente d’en demander beaucoup à Xun. A la base, il n’avait en tête qu’une simple collaboration artistiquement qui pourrait lui être bénéfique en bien des points d’après ce que j’avais saisi. Il cherchait un jeune talent qui pourrait percer et redonner un petit élan à sa propre carrière, pas une pauvre fille enceinte qui, malgré ses capacités vocales – d’après ce que j’avais déduit de sa réaction – allait inévitablement compliquer la chose. Il n’y aurait pas trente-six façons de procéder, si jamais il décidait de tenter le coup, ça se jouerait mensonge sur mensonge, cachoterie sur cachoterie et je n’étais pas convaincue que lorsqu’on était une idole et qu’on avait déjà ses propres problèmes à gérer, on eût forcément envie de s’adonner à ce petit jeu. Néanmoins, cela ne m’avait pas empêchée de défendre ma cause comme je pouvais, essayant de trouver des parades aux situations les plus gênantes. Évidemment que je prenais cela au sérieux, ma vie pouvait prendre un tournant considérable grâce à cette offre, alors s’il fallait que je travaille plus dur pour compenser le handicap que j’amenais dans l’histoire, j’y étais prête. Cela aurait été sans doute ennuyant si ç’avait été si simple au fond, enfin, c’était ce que je me disais pour essayer de ne pas trop stresser quant au choix qu’allait faire mon vis-à-vis. J’espérais sincèrement qu’il ne bloquerait pas tout à cause de ma grossesse, je m’en voudrais pour un moment si c’était le cas.

Mais il fallait croire que Xun avait également un goût prononcé pour les mises en scène dangereuses car il commença à réfléchir à voix haute, exposant les différentes étapes de l’opération. Pour ce qui était de l’apprentissage avec sa prof, j’étais relativement confiante et persuadée que je pouvais régler ça en deux semaines comme il l’avait énoncé. Je n’étais pas spécialement convaincue de mon propre talent mais si lui paraissait certain qu’on pourrait faire quelque chose avec ma voix, il n’y avait pas trop d’inquiétudes à avoir, non ? Pour ce qui était de la danse, je ne me faisais pas plus un sang d’encre, puisque je me débrouillais plutôt bien en la matière, mes entraînements avec le club de danse l’an dernier et celui des cheerleaders cette année étant pour le moins bénéfiques. Je continuai de l’écouter énumérer les phases de procédure, telle une élève modèle et particulièrement attentive. Son calcul était important, j’en étais bien consciente, c’était la raison pour laquelle je ne perdais pas une miette de ce qu’il avançait, des répétitions pour le morceau au MV, en passant par les promotions télés et radios. Je ne pus retenir une petite grimace quand il avança qu’il faudra trouver un concept qui ne nécessiterait pas que je sois habillée avec quelque chose de moulant. Ce ne serait certes pas le bienvenu pour le coup.

J’étais plus qu’enthousiaste de voir qu’il s’impliquait réellement pour que cela pût fonctionner, ça me touchait. Il envisageait même d’enchaîner avec un solo après le duo pour me gagner du temps et me permettre de gérer mes petites affaires personnelles une fois qu’on serait trop proche du terme. Je ne pensais pas qu’il se préoccuperait autant de ma situation, j’en vins même à penser qu’il devait tout simplement beaucoup tenir à cette collaboration et qu’il misait presque l’avenir de sa carrière là-dessus, chose tout de même flatteuse pour moi. De toute manière, je ne lui demandais pas de me couvrir constamment, même si je me disais que ça risquait d’arriver deux ou trois fois, ni de jouer les nounous, je voulais simplement son silence, mais au final, il m’apportait même plus que cela. Beaucoup auraient peut-être accepté en me disant de me démerder pour ne pas me faire prendre.

« Se tuer à la tâche ne me fait pas peur. Je suis prête à travailler et à répéter autant qu’il le faudra, confiai-je, mes yeux brûlant de détermination, pour ce qui est d’éviter la tenue moulante, je crois qu’en voyant que j’ai pas d’atouts majeurs à mettre en valeur de toute façon, ils y renonceront facilement, non ? »

Ce n’était pas comme si un décolleté moulant pouvait s’avérer particulièrement flatteur sur moi de toute manière. Même si je ne m’étais pas retrouvée dans cette situation, jamais je n’aurais accepté de porter ce genre d’habits, pas parce que je trouvais ça vulgaire comme certaines personnes, mais parce que ça me complexait terriblement. Il y avait tant de façon de s’habiller quand on était idole qu’il ne leur serait pas trop compliqué de trouver autre chose. A vrai dire, le plus préoccupant demeurait le dernier point évoqué par Xun, soit ma présence en classe quand il ne serait plus possible de cacher mon secret. Je n’y avais effectivement pas pensé et je me disais que j’aurais le temps d’anticiper le moment venu, mais cela risquait d’être compromettant si jamais je m’affichais à l’université avec mon ventre rond. Hm.

« J’y réfléchis. Je… Ne t’en fais pas avec ça, ok ? Je trouverai bien le moyen d’obtenir une absence pour cette période, un arrêt maladie bidon ou quelque chose dans le genre. Mais je m’afficherai pas quoi. »

Je me voyais presque déjà trimer pour obtenir les cours auprès de mes camarades, afin de ne pas trop être larguée dans le programme. Ce serait le comble qu’en plus je rate mon année à cause de cela. Il devait bien y avoir une personne suffisamment influente dans mon entourage pour convaincre l’administration de fermer les yeux là-dessus, j’espérais juste ne pas avoir à recourir à celle que je détestais terriblement. Je me levai donc du bureau et vins me placer devant Xun, l’air on ne pouvait plus sérieux, en tendant la main vers lui.

« Alors ? Affaire conclue ? »

Présenté comme cela, j’avais le sentiment de pactiser avec le diable, bien que dans un sens ce fût exactement ce que je faisais, si on prenait ma haine des idoles en considération. Une fois les choses lancées, il serait difficile, voire impossible de faire marche arrière.

Je ne savais dire si mon soudain enthousiasme était lié à ma situation actuelle qui se rapprochait terriblement du désespoir ou si c’était simplement parce qu’au fond de moi, j’avais toujours attendu le moment opportun pour me jeter à l’eau, et décider de monter sur scène comme ça pour chanter, du jour au lendemain. Sans doute un peu des deux me semblait-il, je songeais que si je ne m’étais soudainement pas retrouvée dans une situation aussi délicate, ma fierté aurait certainement mis beaucoup moins de temps à flancher face aux arguments de Xun. Même si dans ma tête toute cette histoire prendrait fin d’ici quelques mois, j’avais un mauvais pressentiment, cette espèce de peur qui m’envahissait et qui me soufflait que c’était peut-être pour moi la dernière occasion que j’aurais de pouvoir chanter devant un public un de ces jours. Cette mise en danger imminente était ainsi l’explication la plus rationnelle que j’avais pu trouver pour justifier mon empressement qui pouvait paraître surprenant pour beaucoup. Il pouvait être en effet étonnant que je pusse retourner ma veste aussi rapidement sans trop broncher et, pire encore, que j’en vienne à plaider ma cause auprès de Xun, afin qu’il ne renonçât pas au projet du duo, simplement parce que j’avais été imprudente un soir et que j’en payais les conséquences au prix fort. Au moins, il ne me jugeait pas, c’était déjà un bon point.

Et voilà comment nous nous étions retrouvés à organiser tout un planning pour les jours, les semaines et les mois à venir, anticipant au maximum les problèmes qui pouvaient se poser. Sincèrement, je ne pensais pas qu’il irait jusque-là pour obtenir ma collaboration, mais il devait être plus compréhensif que la plupart des gens, chose qui me fit penser que je l’avais trop rapidement jugé et en mal de surcroît. Je devrais songer à revoir mes élans impulsifs pour ce qui était de cerner les gens et de les cataloguer sans jamais leur avoir parlé. C’était une belle claque en somme qu’il venait de me donner, sans même peut-être s’en rendre compte, même si je me doutais qu’il ne manquerait certainement pas de me le faire remarquer à l’avenir. Et je ne pourrais assurément pas le contredire, puisque ce serait pure vérité. Je me contentai de hausser les épaules quand il évoqua l’idée du séjour à l’étranger en guise d’excuse pour m’éclipser dans les derniers mois de grossesse qu’il me resterait. Ce n’était pas idiot et au fond, ce ne serait peut-être pas un mensonge.

« Ca me paraît tout aussi bien, sinon mieux. Ma mère réside en Corée du Sud, je n’aurais qu’à me réfugier à la maison en attendant que « ça » arrive. »

Cela me paraissait être l’attitude la plus sûre et la plus adéquate étant donné les circonstances. J’étais plus ou moins sûre que ma mère ne me jetterait pas la pierre en apprenant la nouvelle et qu’elle m’aiderait à me sortir du pétrin où je m’étais jetée la tête la première. De toute façon, ce n’était pas comme si elle était la mieux placée pour me faire la morale sur ce sujet. Ma détermination quant à la perspective de gérer tout cela fut décuplée au moment où Xun serra ma main, signe de confirmation quant à notre accord. Bien, j’avais au moins quelqu’un de mon côté pour m’en sortir, c’était toujours agréable et rassurant. Pour une raison inexpliquée, je sentais tout à coup que nous formerions un duo d’enfer et que ce serait l’éclate totale pendant les répétitions et également sur scène. Je n’aurais jamais été aussi heureuse de partager la vedette avec quelqu’un, bien qu’en vérité, je n’eusse aucune expérience en la matière. Mais mon instinct me chuchotait que je n’aurais pas pu trouver meilleur partenaire.

J’écarquillai les yeux quand il m’informa qu’il devait y aller, me rappelant alors que j’avais également cours d’ici peu de temps, raison pour laquelle je n’étais pas supposée m’attarder en sa présence à la base. Je m’exécutai sans broncher quand il me demanda d’entrer mon numéro dans son téléphone, après ce que je lui avais révélé, je pouvais bien lui faire confiance pour cela, tout en écoutant son petit discours au sujet de mon emploi du temps et le reste. J’étais partante pour commencer au plus tôt et en l’occurrence, je n’avais rien de plus intéressant à faire, les cours ne faisant pas vraiment partie de mes préoccupations en ce moment. Du moment que je réussissais à avoir des notes convenables, c’était l’essentiel, je n’avais pas besoin de me tuer à la tâche en faisant passer les entraînements avec Xun au second plan. Je lui rendis donc son téléphone en acquiesçant, montrant toute la volonté que j’éprouvais à l’idée de relever ce défi, même si c’était bien plus important qu’un petit pari entre amis par exemple. Il n’en demeurait pas moins que j’étais prête à me donner à fond.

Je profitai du fait que le jeune homme se dirigeait hors de la salle pour vérifier que j’avais bien mes affaires pour le cours, on n’était jamais trop prudent, et relevai aussitôt la tête, surprise, en attendant ses dires. Pour le coup, je ne m’attendais vraiment à ce genre de réaction et franchement, si c’était une personne lambda qui me les avait dites, je l’aurais explosé sans réfléchir, en pensant que c’était ironique. Mais il paraissait très sincère, alors mal à l’aise, je ne savais pas trop comment réagir.

« Heu… Merci, balbutiai-je, avec maladresse. »

A vrai dire, je n’eus pas même l’occasion de me rattraper sur ce coup-là, puisqu’il sortit aussitôt. Il était vrai que sa réflexion m’avait déboussolée, je ne m’étais pas attendue à ce qu’on se montre si… Attentionné à mon égard ? Oui, n’importe quel individu moyen de mon âge m’aurait soit qualifiée de « conne imprudente » ou de « salope dévergondée », alors il était plutôt imprévisible de m’attendre à des félicitations à ce sujet. Mais je mentirais si je disais que ça ne m’apaisait pas. Entendre des mots pareils sortir de la bouche de la première personne à laquelle je m’étais confiée me remontait le moral et m’aidait à dédramatiser en quelque sorte. Il ne le savait pas mais Xun venait de m’encourager à me battre pour affronter les épreuves à venir. A commencer par me rendre en cours en deux minutes maximum. Secouant la tête pour reprendre mes esprits, je me hâtai ainsi à sortir de la salle de musique à mon tour et me dirigeai précipitamment vers la classe où je devais me rendre.