ien sûr que se trouver dans une situation en apparence banale relève du bizarre, voire de l'incroyable. Quelque part, cela me donne l'impression d'avoir sciemment enterré mes problèmes quelque part dans mon esprit, sans avoir envie de les ressortir tout de les ressortir tout de suite. Mais peut-on vraiment me reprocher de ne pas vouloir songer tout de suite que l'individu en face de moi est plus ou moins lié à moi à cause de cet enfant ? Ou encore qu'il est présentement marié à une autre à qui il va devoir un jour ou l'autre devoir rendre des comptes par ma faute ? Je crois qu'on peut aisément comprendre que je préfère faire un break avec tout ça, au moins pour les premières minutes qui suivent mon lever. Pour une fois que je ne me sens pas comme un zombie qu'on a accidentellement déterré, j'aimerais un peu en profiter si ce n'est pas trop demander, même si c'est pour entendre Ryû énoncer des bêtises absurdes, comme le fait de me faire manger par les oreilles. Sérieusement, il y a vraiment des parents pour faire ce genre de menaces ? Leurs gamins ne doivent pas être bien futés si ça marche parce que ça me paraît être le truc le plus impensable tout de même. Je suppose qu'à force, on doit être à court d'idées pour professer des élucubrations pareilles.

Enfin bon, du moment que monsieur a ce qu'il faut pour me nourrir en bonnes et dues formes, je ne vais pas trop me plaindre non plus, à croire que c'est moi l'animal domestique dont il faut soulager la faim. Heureusement que je ne suis pas particulièrement difficile, ce serait une bien mauvaise surprise pour quelqu'un qui n'a pas si bien dormi, si j'en crois ses dires. Dois-je en conclure qu'il ne s'est pas endormi de suite ? Ou qu'il s'est réveillé dans la nuit ? A bien y réfléchir, ce ne sont pas tellement mes oignons, il a une jambe dans le plâtre, on ne peut pas y faire grand-chose, à part attendre que ça passe dans ces moments-là. Dans un sens, c'est même de sa faute s'il doit en passer par-là, cette fois, il ne peut pas se réfugier derrière Dakota pour jouer les coupables, à moins qu'il soit devenu un ninja s'amusant à verser de l'alcool dans le verre des gens, Ryû est l'unique responsable de sa condition actuelle. Pour ma part, je me contente de hocher doucement la tête pour signifier que non, je n'ai pas passé une mauvaise nuit. Je regretterais presque de ne pas avoir pu profiter du lit plus longtemps, si la pensée de savoir que j'ai dormi sur son torse n'était pas incroyablement gênante.

Il a beau sortir plusieurs boîtes de céréales, j'avoue que je n'accorde pas tellement d'importance au goût de ces dernières. Si ça ne tenait qu'à moi, je préférerais manger de bonnes pâtisseries bien sucrées, mais bon, attendre un enfant implique de savoir faire des concessions et de revoir ses priorités, aussi saisis-je le paquet le plus proche de moi en guise de choix. J'ai à peine le temps d'en verser dans un bol que j'ai trouvé au passage, que le brun s'adresse de nouveau à moi. Ce que je bois ? Je me demande si lui faire la blague du lait est une initiative judicieuse mais je me ravise, on garde les mauvaises plaisanteries pour plus tard. Fou comme une bonne nuit de sommeil amène à prendre de bonnes résolutions. Ce qui ne m'empêche pas de lâcher un soupir quand j'apprends qu'il faut que je m'occupe de mademoiselle Arisu – dont je viens en fait d'apprendre le nom – puisque son maître est invalide. Autant dire que je ne saute pas de joie.

« N'importe quel jus de fruit se trouvant dans ton frigo, s'il te plaît, je réponds en me dirigeant à contre-coeur vers la boule de poils, non sans cacher ma démotivation totale. »

Je ne suis pas une experte en guise d'animaux et même si parfois je songe qu'en avoir un pourrait être amusant, je constate que je m'y prends toujours plus ou moins comme un manche avec eux. Exemple concert : je n'ai aucune idée de la façon dont on porte un chat sans que celui-ci n'ait peur sur le coup au point de s'agripper à vous de toutes ses forces. Alors on m'excuse si j'ai un peu d'appréhension à m'occuper d'Arisu, qui semble d'ailleurs me dévisager avec un air curieux, se demandant sans doute ce que je compte faire. Brrr. Cela dit, je ne veux pas non plus passer pour une froussarde auprès de Ryû et une fois de plus, je me prends à penser que si je suis capable de tenir à tête à quelqu'un comme mon père, je ne devrais pas être effrayée par un petit animal à quatre pattes. Prenant donc sur moi, je saisis l'animal au ventre, non sans prendre le soin de le tenir bien à distance de moi et l'amène dans la chambre, dont je claque la porte sans autre forme de procès. A bien y regarder, je l'ai plus « jetée » que je ne l'ai « posée » en vérité et elle doit me haïr comme personne maintenant. Reste juste à ne pas perdre totalement la face une fois de retour dans la cuisine.

« Les animaux c'est pas vraiment mon fort, j'explique pour combler le silence gênant, tandis que je me saisis d'une cuillère, afin d'entamer mon bol de céréales. »

Oui je compte manger debout sur le meuble de la cuisine et alors ? Ce n'est pas un crime de ne pas vouloir déjeuner sur un canapé aux dernières nouvelles que je sache. Et ça n'a aucun rapport avec le fait qu'on puisse entendre moins clairement les miaulements plaintifs d'Arisu, pas du tout.

e fais partie de ces gens qui vous proposent à boire en sachant pertinemment qu'ils ne disposent pas de grand chose dans leurs placards. Pour ma défense, j'ai la jambe dans le plâtre et je manque de courage pour aller chercher de quoi remplir mon réfrigérateur, alors on va dire que pour l'aspect boisson présente dans l'appareil, on risque de ne pas trouver grand chose à part, peut-être, des bouteilles de bière. Oui, parce que je n'ai pas bu au cours des derniers jours. J'ai eu trop peur de recommencer des conneries alors je me tiens à carreau, vous voyez. Un soupir m'échappe à cette pensée alors que je m'approche du frigo pour l'ouvrir, constatant avec une certaine tristesse que j'avais raison de penser que je n'aurais rien de bien intéressant à offrir à Yun Hua.

« Hm, j'ai pas grand chose. Tu veux du café? »

Oh, hey, j'ai jamais été enceinte et je ne me suis jamais intéressé à ce type de choses, alors on peut me pardonner une proposition pareille non? C'est pas comme si Yun Hua m'avait caché qu'elle était encore en cloque et que je m'étais renseigné sur le sujet, du coup. Je ne fais que proposer autre chose, puisque ce qu'elle m'a demandé n'est visiblement pas disponible dans mon frigo pour l'instant. La tristesse quoi. Je referme la porte eu réfrigérateur en soupirant un peu, ennuyé d'avoir du annoncer une si triste nouvelle à Yun Hua qui, au final, va penser par croire que je suis vraiment un imbécile fini qui n'a rien de plus chez lui que de l'alcool pour passer ses soirées solitaires. Je crois que je devrais songer à me faire livrer les courses, un jour. Ça doit bien exister, non? Comme ça je deviendrai encore plus ermite. Mauvais plan.

Levant les yeux comme j'espère qu'elle m'a entendu depuis la chambre, je réalise que ce n'est peut-être pas le cas, et j'attends qu'elle revienne afin de savoir ce qu'elle veut dans ce cas. J'espère aussi qu'elle n'a pas eu trop de problèmes avec Arisu. Ce chat est particulièrement affectueux et gentil, mais j'ignore ce qu'il en est avec les autres personnes. Je sais qu'elle aime beaucoup Mi et qu'elle cherche souvent à s'approcher d'elle lorsqu'elle vient, mais Yun Hua... Aucune idée. En tout cas, quand j'entends les miaulements plaintifs de la demoseille féline qui semble ne pas apprécier d'avoir été isolée du reste du monde dans ma royale chambre. Franchement, ce chat m'arracherait le coeur à geindre comme ça, et je sais que j'aurais tendance à aller lui ouvrir si je n'avais pas l'intime conviction que c'est le mieux pour l'instant. Surtout si je déjeune au salon et qu'elle vient manger dans mes affaires comme elle le fait si bien d'habitude. Elle sait que c'est mauvais pour elle, surtout malade comme elle est... Enfin je crois? Aucune idée de ce que pense ces vils animaux.

« Tu vas manger là? » Demandé-je, intrigué.

Bon, chacun ses habitudes, je ne peux pas lui imposer de s'asseoir pour manger, mais ça me semble un peu bizarre, non? Je hausse les épaules après quelques secondes, prenant la direction du salon pour m'installer et manger tranquillement après m'être servi un mug de café. Je regarde la porte de la chambre, un peu apitoyé par les miaulements d'Arisu qui a entreprit d'y gratter dans l'espoir de me faire céder, mais bien décidé à ne pas aller lui ouvrir, tandis que je porte le morceau de marbré à mes lèvres pour y mordre. Je sais que je devrais discuter avec Yun Hua, mais je pense qu'il vaut mieux éviter de faire ça n'importe comment, n'est-ce pas? J'aimerais éviter une nouvelle guerre stupide entre nous, parce que je sais parfaitement que c'est ainsi que les choses vont tourner si l'on commence à discuter sans réfléchir sérieusement à ce qu'on raconte. Après tout, j'imagine qu'elle n'était pas prête à apprendre tout ça hier, ou du moins qu'elle ne l'imaginait pas en arrivant. Maintenant que mes parents sont au courant, les choses sont encore plus délicates.

En parlant d'eux, je me demande s'ils sont bien rentrés. Je pousse un soupir et me redresse pour aller chercher mon téléphone que j'ai du abandonner à la salle de bain, la veille, et je retourne m'asseoir dans le canapé avant de regarder ce qu'affiche l'écran. Un appel en absence et deux messages. Je fronce un peu les sourcils, ne sachant pas trop ce que je vais y trouver, puis je comprends mieux les raisons de leur venue. Ils vont déménager. Like, really? Si seulement ils avaient mieux calculer leur arrivée, on aurait pu en discuter calmement. Enfin. Le second message change déjà de sujet.

« Ah, mes parents demandent de tes nouvelles. »

Oui, parce qu'ils n'ont pas l'air d'avoir capté que Yun Hua et moi n'étions pas ensemble, et il faut croire que ma mère n'a pas compris qu'elle s'appelait Yun Hua et pas Yuna, non plus, soit. Un jour, j'espère pouvoir leur présenter Mi, si les choses vont mieux entre nous. D'ailleurs, il faudrait que je prenne de ses nouvelles aussi, que j'essaie de la croiser, puisque pour l'instant c'est relativement mort et qu'il faudrait qu'on parvienne à discuter de ce qu'il s'est passé à Vegas. Si seulement j'avais été plus malin. Si seulement. Je pousse un nouveau soupir alors que je verrouille mon téléphone et que je le pose sur la table basse, à côté de mon assiette, pour prendre mon morceau de marbré et continuer à le manger, profitant également de mon café pour me réveiller. Étrangement, la motivation d'aller donner cours me manque. En plus, j'ai cours avec les lycéens cet après-midi. Ça me donne tellement envie d'aller bosser.

« T'as cours aujourd'hui? »

on les animaux ne m'effraient pas particulièrement, je ne suis pas morte de peur à chaque fois que j'en croise un dans la rue au point de changer de trottoir, il ne faut pas exagérer non plus. Mais, pour une raison qui m'échappe, le courant ne semble pas passer entre Arisu et moi, je ne sais pas si c'est parce que je n'ai pas daigné lui filer une part de marbré ou parce qu'elle ne m'aime pas tout simplement, mais on ne peut pas dire qu'elle saute de joie alors que je suis forcée de la porter pour l'amener dans la chambre. Ce qui peut aussi s'expliquer par le fait que je m'y prends comme un manche, soit, le fait est que je ne tiens pas me trouver dans un rayon proche d'elle. Je peine suffisamment à gérer les contacts humains, on ne va pas non plus me demander d'être conciliante avec les animaux de compagnie, un peu d'indulgence par pitié. Surtout le matin, alors qu'elle m'a causé une frayeur dépassant toute concurrence. Alors, honnêtement, manger des céréales debout est le cadet de mes soucis, je trouve ça presque sympathique après tout ce flot d'émotions intempestif. Même si je sais pertinemment que je dois sembler être un extraterrestre aux yeux de Ryû à cause de cela, mais j'ai envie de dire que je ne suis plus à ça près. Cela me paraît presque dérisoire en comparaison à la violente crise de nerfs que j'ai piquée contre lui au camp de vacances, et tant que je ne cause pas de problème, ce n'est pas grave, n'est-ce pas ?

C'est donc sans lui offrir la moindre réaction que je l'observe se diriger pour sa part dans le salon pour prendre son petit-déjeuner, songeant qu'un peu d'espace ne peut pas nous nuire. Loin de là, surtout si on considère que j'ai dû passer une bonne partie de la nuit allongée sur son torse, maudit sommeil qui ne peut même pas faire en sorte que je garde mes distances. Mais bon, je n'ai pas du tout envie de débattre intérieurement sur les intentions cachées de mon inconscient, qui de toute manière m'échappent. Je me dis plutôt que c'est beaucoup trop calme pour le moment et je crains que ça n'explose d'un moment à l'autre, n'excluant en rien que je puisse en être à l'origine. Je veux dire, à quand remonte la dernière fois où on a tenu ensemble aussi longtemps sans se chamailler comme des enfants ? Jamais, si ma mémoire est bonne, c'en est presque affligeant. Cela semble donc être beaucoup trop beau pour être vrai.

Surtout si on continue de faire la conversation comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Heureusement que je ne suis pas maladroite au point de m'étouffer avec une bouchée de céréales, sinon on aurait été bons pour les urgences par-dessus le marché. Ses parents demandent de mes nouvelles ? Genre ?! Ahem. Il me semble pourtant bien me souvenir que je n'étais pas vraiment sous mon meilleur jour la veille et je doute sincèrement leur avoir fait une impression positive. Je fais pitié à ce point ? Ou alors ils n'ont toujours pas compris que je ne suis ni Mi, ni la petite-amie de leur fils ? Sur le coup, je me réjouirais presque de ne pas avoir de « vrais » parents, cela a l'air d'être la source de tellement de prises de tête. Ce n'est pas tout, mais je ne peux pas simplement me permettre de faire comme si je n'avais rien entendu, je ne suis pas sourde encore.

« Ah ? Vraiment?, je demande d'un air incrédule, ne comprenant toujours pas pourquoi ils s'intéressent tant à moi, c'est gentil… mais très bizarre. »

Dire le contraire aurait été un sacré mensonge. Surtout que je ne pense pas les revoir de sitôt, c'est vraiment très étrange. Je suppose que parfois, mieux ne vaut pas connaître la réponse de nos interrogations et juste faire abstraction. C'est limite si la routine de l'université ne me manque pas là, tout de suite, et pourtant, je ne saute pas de joie quand Ryû aborde le sujet. Ce qui ne manque pas de me faire froncer les sourcils. Qu'est-ce que ça peut lui faire si j'ai cours aujourd'hui ou non ? Il a prévu une promenade au parc comme tous les gens dans les films quand ils veulent discuter de leurs problèmes ? Vraiment, là, cette tentative de mener à bien une conversation normale devient franchement ridicule, on croirait assister à une mauvaise comédie.

« Oui, même si je ne vois pas en quoi c'est intéressant, lui fais-je remarquer, peinant à contenir mon sarcasme, avant de me diriger dans le salon une fois mes céréales terminées, lui faisant face, d'ailleurs je ne peux pas m'attarder éternellement donc voilà ce qu'on va faire. Je vais aller me laver et pendant ce temps tu réfléchis à tout ce que je t'ai dit hier. Et après ça, on va pouvoir avoir enfin une discussion qui ne soit pas franchement bizarre vu la situation. »

Sur ces bonnes résolutions, je fais volte-face pour retourner dans la chambre, afin de m'emparer de ma robe, sèche mais loin d'être dans un parfait état. On ne va pas faire la difficile, je doute que Ryû ait des vêtements pour moi de toute façon. Sans traîner – ni songer à demander la permission d'ailleurs – je file dans la salle de bains, sans même vérifier au passage si Arisu n'en a pas profité pour s'échapper de sa prison. Au pire, ce n'est pas si grave je pense. Je ne suis pas longue, puisque que de toute manière, à part prendre ma douche, il n'y a rien à faire, ce n'est pas comme si Ryû avait prévu un jour une trousse de toilettes avec des soins pour la peau et du maquillage au cas où. J'espère au moins avoir le temps de repasser par ma chambre aux dortoirs avant d'aller en cours, histoire de ne pas avoir une tête de zombie. Inutile en plus de tendre le bâton pour se faire battre. Bref. Environ dix minutes plus tard, me voilà hors de la salle de bains, de nouveau vêtue de ma robe, les cheveux relevés en queue de cheval et plus ou moins prête à enfin avoir un échange sérieux.

« Alors ?, j'interroge, bras croisés sans plus de précision. »

Il l'aura bien compris, c'est l'occasion ou jamais, puisque dans quelques jours j'aurai quitté le pays.

i on me demandait ce que je ressens à l'instant, j'aurais clairement envie de dire que je me sens vide. Je suis fatigué, même si j'ai particulièrement bien dormi cette nuit malgré mon plâtre et les événements de la veille, et j'ai clairement l'impression que je réfléchis à trop de choses pour réussir à me concentrer sur quelque chose en particulier. Du coup, je suis dans le vague, incapable de me focaliser sur une idée précise, ce qui me dérange fortement puisque j'aimerais être à même de discuter normalement avec Yun Hua, sans être constamment en train de remettre en question la moitié de ma vie et de mes convictions. Parce que oui, je suis perturbé par tout ce qu'il nous arrive et ce que l'on peut penser. À croire que tout est mis en oeuvre pour me perdre. Chassant ces pensées de mon esprit, je pousse un léger soupir alors que je prends mon petit-déjeuner, l'oreille tendue aux miaulements d'Arisu qui continue à geindre dans son coin.

« Oui, je pense qu'ils ont du s'inquiéter de ton départ soudain. »

Même si elle a fuit vers ma chambre. C'est plutôt normal de la part de mes parents, vous savez. Je reprends donc mon petit déjeuner, tranquillement, sans vraiment prêter attention au reste du monde parce que j'ai franchement d'autres choses à penser qu'à ce qu'on pourrait me vouloir à une heure pareille, et je fais même abstraction du chat qui miaule derrière la porte. Et la réaction que j'obtiens lorsque je me hasarde à demander à Yun Hua si elle a cours dans la journée, me fait légèrement froncer les sourcils. En quoi c'est intéressant? Bah peut-être pour savoir si elle va à l'université aujourd'hui, si on risque de devoir faire le trajet, comment elle y va, qu'en sais-je? Sur le coup, j'ai vraiment l'impression qu'on essaie de me remettre à ma place, et encore plus quand j'entends la suite, levant les yeux vers elle quand elle se tient devant moi, les sourcils soudainement haussés. Genre, vraiment?

« Euh... Oui madame? »

Un léger rire m'échappe suite à cette réflexion tandis qu'elle se dirige vers ma chambre pour chercher ses vêtements. Non, vraiment. Elle vient de me dire quoi faire, comme ça? Je dois lui rappeler que c'est elle qui est venue me trouver, la veille, pour me dire qu'elle était encore enceinte? Puis on m'explique pourquoi elle agit comme si elle était chez elle? Non parce que je veux bien être gentil, adorable et tout ce qu'on veut, là j'ai vraiment un problème avec ce qu'il se passe. Du coup, pour passer ma frustration d'être pris pour un enfant en bas âge à qui l'on donne des consignes, je continue à manger et termine mon café alors que madame la duchesse de je-ne-sais-où prend la liberté d'utiliser ma salle de bain. Bah oui, et comme je ne lui ai pas expliqué où étaient les affaires, j'imagine qu'elle va fouiller. Génial quoi. Je vous jure, parfois, je me demande où est le respect.

Quand Yun Hua ressort enfin de la salle de bain, j'ai terminé de manger et lève les yeux vers elle à nouveau, perplexe quand elle m'adresse un "alors" qui, je vous l'avoue, m'énerve légèrement sur le coup.

« Alors quoi? » Oui, parce que je vois pas trop ce que j'aurais à dire exactement, pour le coup. « Tu veux que je me roule à tes pieds en te suppliant de rester? »

Je suis peut-être énervé, mais la question est particulièrement calme. Elle m'a expliqué en long et en large qu'elle ne voulait pas rester, qu'elle serait mieux là-bas et qu'elle préférait éviter d'être remarquée par sa grossesse à la RPS, alors autant qu'elle parte, non? De toute façon, j'ai d'autres problèmes à régler ces temps-ci et il faut impérativement que je discute avec Mi. Genre c'est urgent. Après quelques secondes à peine je, reprends la parole sur le même ton.

« Tu as l'air de savoir parfaitement ce que tu fais, et ce en toutes circonstances, alors j'imagine que je n'ai rien à dire. J'espère juste que tu me tiendras au courant et que tu ne me mentiras plus. » De toute façon, c’est pas comme si je commençais à être habitué, à force.

e reconnais que ma démarche n'a rien à envier aux militaires et que c'est légèrement – pour ne pas dire « ouvertement » - irréfléchi d'agir ainsi, sans demander l'avis de personne et surtout pas du propriétaire des lieux. Mais, comment dire ? Le fait est que je suis un peu lasse de nous observer tourner autour du pot depuis plusieurs minutes et qu'il me semble qu'il faudrait peut-être qu'on aborde le fameux sujet, celui pour lequel je suis venue ici à la base, car non, mon but n'était pas de m'incruster chez Ryû pour la nuit, ni de profiter de sa nourriture ou de sa salle de bains. Même si je ne peux pas dire que changer de décor par rapport aux dortoirs n'est pas désagréable. Le fait est que je dois avouer que j'ai un peu paniqué en songeant qu'il serait possible que je doive partir à la hâte parce qu'au final, à force de prendre des détours, l'heure aurait tourné et j'aurais dû aller en cours, et on en serait toujours au même point, c'est à dire une incertitude on ne peut plus floue. Ce n'est pas que je veux m'enfuir de son domicile le plus vite possible, même si je trouve que la situation commence à devenir un peu gênante surtout si ses parents s'amusent à demander de mes nouvelles, mais je veux être sûre qu'on puisse parler sans que je doive décamper sans prévenir. Je n'avais pas pensé que cela me vaudrait une scène.

Déconcertée, oui je le suis, c'est le moins que l'on puisse dire, j'arque un sourcil sous le coup de l'étonnement en entendant Ryû se montrer si agacé, malgré le ton modéré de ses paroles. En vérité, je ne devrais pas être si surprise, la réponse qu'il m'avait fournie quelques minutes plus tôt aurait tout de suite dû me mettre la puce à l'oreille. Ce qui ne m'aide pas vraiment à saisir pourquoi il se met à réagir comme ça et pourquoi il préfère m'attaquer et prendre ça avec ironie plutôt que d'en discuter sérieusement. Enfin, jusqu'à ce qu'il m'en dise plus, ce qui me fait pousser un soupir. Et voilà, monsieur s'indigne que je l'aie tenu à l'écart jusqu'ici et joue les mauvaises têtes. Sincèrement, je ne vois pas en quoi c'est supposé être bénéfique pour avancer ce qu'il me dit là et je dois avouer qu'il me faut prendre sur moi pour ne pas piquer une crise, là maintenant. Parce que je dois reconnaître que je suis à deux doigts d'exploser, encore, parce que ça m'exaspère, je ne vais pas non plus rester pour ses beaux yeux, juste parce que monsieur préférerait que je reste dans les parages.

Alors oui, j'aurais pu m'énerver et lui hurler dessus, encore une fois, mais je n'en fais rien. Voilà, contre toute attente, je ne vais pas piquer une crise de nerfs, non, je vais faire beaucoup mieux que cela, genre quelque chose qu'on n'attendrait pas de moi, mais alors pas du tout. Je vais prendre le temps de réfléchir, d'analyser la situation et de comprendre pourquoi il me débite ce flot de paroles qui me paraissent à priori absurdes. Étonnant, n'est-ce pas ? Moi qui ai le don de démarrer au quart de tour, souvent pour peu de choses de surcroît, c'est une première, alors oui, je ravale ma colère et je décide, pour une fois dans ma vie, de faire preuve de réflexion. Le fait est que quand les enjeux vont au-delà de votre amour propre et qu'il y a une vie au milieu de ceux-ci, cela pousse à dépasser ses pulsions agressives. Surtout quand cette dernière se trouve dans votre ventre et se plaît à vous le rappeler en y donnant de petits coups de temps à autre. Et donc il ne me faut pas bien longtemps avant de pouvoir comprendre ce qui pousse Ryû à agir de la sorte. A sa place, moi aussi j'aurais dû mal à faire confiance – si ce n'est en être totalement incapable – à la fille qui m'a menti pendant des mois en me cachant qu'elle était toujours enceinte, sans que ce soit réellement justifié en plus. Et sans compter que cette dernière a la fâcheuse tendance à être émotionnellement instable, si on se souvient du fait qu'il est possible qu'elle hurle sur quelqu'un et qu'elle l'embrasse ensuite en l'espace de quelques minutes. Fâcheux épisode que j'aurais préféré oublier. Mais le faits sont là, Ryû ne me fait pas confiance, et je ne peux pas lui en vouloir pour cela.

« Je comprends, mais vraiment, j'énonce avec sérieux, des fois qu'il penserait que ce serait une mauvaise plaisanterie de ma part, je sais que les faits ne jouent pas en ma faveur et que tu n'as aucune raison de me faire confiance, Ryû. Et je n'ai aucun moyen de te le prouver, sinon ma parole, pour ce que ça vaut. Je suis sincère quand je te dis que tu as ton mot à dire, même si je suis plus sur place. Mais on pourra jamais avancer si tu me jettes la pierre dès que j'essaie de faire un pas vers toi, j'argumente avec un faible sourire, un peu contrariée qu'on en soit là à cause de moi, on dirait presque que tu essaies de te servir de ça pour ne pas à avoir en t'en soucier parce que y'a des problèmes plus importants à tes yeux. »

Outch. C'est plus fort que moi, je ne peux pas retenir un petit reproche au milieu de toute cette vague de bons sentiments. On ne peut pas vraiment lutter contre sa propre nature je suppose, mais je refuse de terminer ce discours, pour lequel je mets clairement ma fierté de côté, je crois même que je l'ai enterrée provisoirement sous terre, sur une note négative. Je ne veux pas qu'il pense qu'il s'agit d'un moyen vicieux pour reporter la faute sur lui, ce n'est en rien mon objectif.

« Mais je ne veux pas croire que c'est ça. On m'a dit que je pouvais te faire confiance et j'ai envie de penser que c'est vrai, c'est loin d'être le cas, je ne me sens pas du tout prête à lui faire pleinement confiance, mais ça, ce n'est pas lié à lui personnellement, alors si jamais tu te poses la question, oui le bébé est en parfaite santé, y'a rien à signaler de ce point de vue. »

Je me dis qu'en lui tendant la main, il finira peut-être par comprendre que je suis honnête avec lui cette fois. Après tout, ça en vaut bien la peine, non ?

arfois, certaines choses se produisent sans que je comprenne vraiment par quel miracle elles ont lieu. En l’occurrence, je ne sais pas non plus pourquoi mes parents ont soudainement décidé qu’ils souhaitaient des nouvelles de Yun Hua. Peut-être tout simplement parce qu’elle a disparu soudainement dans ma chambre après avoir fait tomber une assiette ? Parce que je suis allé discuter avec elle ? Probablement. Il faut dire que les choses ne sont pas plus nettes à mes yeux qu’aux leurs, car j’ai clairement l’impression de revenir toujours au même point. En pire, en général. À force, je peine à croire que ma vie reprenait un cours à peu près normal il y a quelques mois.

Avant de retomber sur Hikari, les choses allaient mieux, bien mieux que maintenant et qu’au cours des cinq dernières années. Je faisais des efforts pour ne plus fumer autant, je ne buvais presque plus, ou du moins plus au point d’en finir ivre, et je parvenais à m’intéresser un minimum à ma carrière et aux opportunités qui se présentaient à moi. Si j’osais, je dirais même que je commençais à me prendre au jeu de ce métier totalement fou qu’est celui d’enseignant. Je donnais mes cours, rentrais chez moi pour jouer et sortais de temps en temps pour faire la fête, le tout entrecoupé de visites que je rendais à Mi pour vérifier qu’elle allait bien.  Et maintenant ?

Maintenant, j’ai l’impression d’être devenu le plus parfait des idiots, un homme à qui l’on ne peut pas faire confiance et à qui on ne veut laisser aucune décision importante. Sérieusement, depuis quand je suis passé sous la tutelle d’une autre personne ? Depuis quand est-ce que j’ai perdu tout droit de décider de ce qui est important ou non à mes yeux ? C’est une blague, ma parole ? Non, parce que là je ne trouve vraiment pas ça drôle de me sentir diminué comme ça, toujours un peu plus. Ce n’est pas comme si c’était la première fois qu’elle me parlait de la sorte en plus, et à force ça commence à plus m’amuser du tout qu’on dicte ce que j’ai à faire de cette manière, comme si j’avais cinq ans et que j’étais incapable de me gérer tout seul. J’en ai trente-et-un, pour rappel.

« Ce n’est pas une question de confiance, Yun Hua. » Dis-je alors qu’un léger rire m’échappe. « Si tu appelles faire un pas vers moi le fait de débarquer chez moi à comme une fleur pour m’annoncer que tu n’as pas avorté, ce après m’avoir menti pendant des mois entiers et avoir refusé mon aide, et ensuite me dire que j’ai tout à fait mon mot à dire à ce sujet, mais que tu pars en Corée, on n’a clairement pas la même vision de faire un pas vers l’autre. » Soudainement, je suis beaucoup plus froid que je ne l’aurais voulu. En fait, je suis plus blasé par cette foutue situation qu’autre chose. « Par contre, il faudra sérieusement m’expliquer de quoi je me sers et dans quel but ? Je t’ai proposé mon aide dès le début, jusqu’au moment où tu t’es servie d’un prétendu avortement pour m’éloigner. Même lorsque tu m’as demandé de nier en bloc, j’étais prêt à t’aider pour éviter que d’autres problèmes arrivent. Excuse-moi du peu, mais je ne pense pas être celui qui empêche l’avancement des choses dans de telles conditions. Je n’ai aucun avis à donner si c’est pour qu’il soit purement consultatif, alors si c’est le cas, comme tu le dis si bien, j’ai d’autres problèmes à régler. »

Et une vie à reconstruire, aussi, une carrière à sauver, ce genre de choses qui sont quand même plus utiles que m’entêter à essayer d’aider une personne qui n’en a strictement rien à foutre de ma gueule et de ce que je tente d’apporter pour l’assister. Franchement.

« Je suis pas ton père, Yun Hua, mais si vraiment tu me considères comme un connard qui n’en a rien à faire de la situation et qui n’est pas prêt à t’aider, libre à toi. »

Oui, elle porte mon enfant, mes gênes, nos gênes même, mais je n’ai pas l’intention de me fatiguer une fois de plus à essayer de lui apporter une aide qu’elle n’acceptera pas, qu’elle balaiera d’un revers de main parce qu’elle a décidé d’être la petite miss indépendante qu’elle prétend être. Qu’elle retourne en Corée avec sa mère qui sait visiblement mieux gérer la situation que moi, qu’elle montre à tout le monde que Bae Yun Hua fuit l’université pour une raison inconnue qui ne fera que confirmer les rumeurs à son sujet. Je suis blessé et fatigué, alors je n’ai pas l’intention de passer pour celui qui n’a pas essayé d’aider l’autre.

rès concrètement, je crois que j'ai perdu le fil de la discussion depuis un moment déjà et mon esprit n'est plus en mesure de réagir correctement par rapport à cela. Pourtant, je fais l'effort – immense – de prendre le temps d'analyser les choses pour ne pas m'emporter sans considérer les impacts en jeu. Il va de soi que je me suis plantée quant à la démarche à adopter et que je ne peux pas tout réparer d'un claquement de doigts, mais je suis fatiguée de jouer à savoir qui a raison et qui a tort. Ce que je souhaite c'est qu'on puisse dépasser ça et aller de l'avant, comme je le lui ai exposé et je ne crois pas que c'est en s'en prenant à moi dès qu'il en a l'occasion qu'on y arrivera. Mais en vérité, j'ignore moi-même ce qu'il faudrait pour y parvenir et il apparaît évident que je m'y prends comme un manche. La preuve, je ne peux m'empêcher d'émettre l'hypothèse qu'au fond, ça l'arrange peut-être que ce soit moi qui suis responsable dans cette histoire, pour qu'il n'ait pas à culpabiliser de ne pas prendre les choses en mains à partir de maintenant. Ce qui est un peu tordu, je le reconnais mais c'est une habitude de toujours redouter le pire chez les gens et ce, même si j'espère sincèrement que cette fois, ce ne sera pas le cas.

Néanmoins, on ne peut pas dire que la réaction à laquelle j'ai droit était vraiment celle que j'espérais. Je ne savais pas trop quoi penser ni à quoi m'attendre à bien y réfléchir, au pire comme au meilleur je suppose, mais il va de soi que je nourrissais l'infime conviction que mon honnêteté serait récompensée, comme un signe que je suis désormais sur la bonne voie. On en est bien loin. Je suis indécise quant au fait d'avoir empiré la situation mais le fait est que j'ai l'impression de me prendre un boulet de canon en pleine figure. Je ne peux pas faire autrement que d'accueillir ses arguments avec une moue renfrognée, n'étant en rien convaincue par les premiers. On ne peut pas dire que débarquer avoir traversé la ville sous la pluie comme si ma vie en dépendait puisse vraiment s'apparenter au fait de se pointer chez les gens « comme une fleur ». Ce n'est pas comme si je lui avais annoncé la nouvelle fleur en souriant de toutes mes dents avant de partir sans plus d'explication. Mais de son point de vue, il semblerait que la différence ne soit pas bien grande, ce qui n'est pas sans me déranger, d'autant qu'il entreprend de démonter tout ce que je viens de dire de manière brillante. Génial, j'avais tellement besoin d'un nouvel élan de culpabilité.

Soit, je comprends plus ou moins qu'il ne supporte pas vraiment l'idée d'avoir un rôle qui compte à moitié, si j'ai bien suivi, mais est-ce bien utile d'en arriver là ? Mes mains se crispent d'elles-mêmes à l'instant où il évoque mon paternel, ce qui est bien la dernière chose que j'ai envie d'entendre, là maintenant. Et qui confirme définitivement que le dialogue est clos, pour la simple et bonne raison que je ne veux pas en entendre davantage, et je doute qu'il ait envie de poursuivre de toute évidence. A croire que quoiqu'il arrive, on n'arrivera jamais à s'entendre, quand bien même je fais de mon mieux pour ne pas m'énerver sans réfléchir, il faut croire que ce n'est pas le nœud du problème. Mais pour l'heure, il me semble qu'il n'y plus grand-chose à faire, j'irais même jusqu'à croire que c'est une cause perdue.

« Je vois, je reprends, faisant de mon mieux pour ne pas perdre mon sang-froid, ok, laisse tomber, de toute façon, c'était clairement une erreur de venir t'en parler. Occupe-toi de tes problèmes, je vais me débrouiller toute seule, j'ai l'habitude. Je voudrais surtout pas t'embêter plus longtemps. »

Je ne sais même pas pourquoi je m'attendais à ce que les choses se passent autrement, j'ai dû rêver très probablement. Je ne sais pas exactement dire quand cela a dérapé mais le fait que la discussion est compromise, au point que j'en viens même à souhaiter me rendre en classe au plus vite. Ce que je compte faire puisque de toute manière, je ne vois plus de raison qui me pousse à demeurer ici plus longtemps, puisqu'il ne veut pas en entendre davantage et que ma présence est soudainement devenue trop pénible. C'est donc avec un soupir que je saisis mon sac et que je passe la porte sans plus de cérémonie, pas plus satisfaite que la première fois. Heureusement, le temps se montre un peu plus clément à mon égard, car la pluie a cessé, c'est déjà un point un peu moins négatif. Pourtant, c'est loin de pouvoir compenser tout ce qui s'est passé, le fait étant que je suis encore plus pressée de m'envoler pour une autre contrée et camper sagement pendant des mois sous ma couette. Que du bonheur.