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Tout est une question de choix

Tenue ♔ De l’air, enfin, bon sang ce que c’est agréable. Non pas que la sensation du vent frais s’abattant sur mon visage me manquait particulièrement, mais je commençais réellement à tourner en rond à l’appartement. Pas seulement parce que ma vie sociale se résume à Ryû et à Arisu, même si c’est déjà une raison suffisante pour vouloir sortir, mais également parce que je suis lasse d’alterner entre mon ordinateur et la télévision. Disons qu’au bout de deux jours, c’est rapidement ennuyeux et je suis en manque d’idées pour trouver d’autres occupations intérieures, puisqu’aujourd’hui je n’ai même pas eu la chance d’avoir été frappée par l’inspiration pour dessiner quoi que ce soit. Cela dit, c’est compréhensible, je ne vais pas indéfiniment dessiner Arisu sous tous les angles, c’est comme tout le reste, au bout d’un moment, on sature. De plus, n’ayant eu aucun épisode de migraine ou de vision qui se trouble depuis ce matin, je suppose que je peux prendre ça comme un encouragement à bouger mes fesses des quatre murs dans lesquels je me trouve depuis un certain temps. Je sais bien que je dois économiser mon énergie mais je ne crois pas que ce soit une petite sortie d’une heure à peine qui puisse aggraver mon état. Ce serait le comble.

Voilà donc comme je me suis retrouvée dans les rues de la ville, sans manquer d’avoir posé une casquette sur ma tête, de sorte à couvrir une partie de mon visage. Bien que je doute que beaucoup d’étudiants n’aient pas cours en début d’après-midi et que pour ceux pour qui ce serait le cas perdent leur temps à traquer d’éventuels potins un peu partout, on n’est jamais trop prudents. La dernière chose dont j’ai besoin c’est d’attirer l’attention sur moi, si on peut encore penser que je me trouve toujours en Corée chez ma mère, ce serait l’idéal. Aux dernières nouvelles, je ne suis censée rester encore ici que pour quelques malheureux jours et j’espère bien que la nouvelle de ma présence actuelle sur le sol japonais ne se répande pas. Disons que cela me permettrait de souffler encore un peu et cela m’éviterait de voir la rumeur se confirmer pour de bon. Parce que là, je ne peux décidément pas passer inaperçue avec mon ventre rond, comme me le confirme le fait que les gens se mettent systématiquement à me tenir la porte quand je passe après eux. Fou comme ils se montrent avec soi quand on est enceinte. Même si ça me fait plus soupirer que sourire en vérité.

L’avantage avec l’endroit où je me rends, c’est que je suis certaine que les étudiants ne viendront pas s’y perdre par hasard ou par curiosité, ou alors leurs intentions sont vraiment douteuses. Enfonçant la casquette un peu plus sur mon crâne, je me dirige alors vers le magasin de vêtements où j’avais l’habitude d’y aller, parce que je sais pertinemment qu’ils disposent d’un rayon pour femmes enceintes. A l’époque, je ne l’avais aperçu que de loin, j’étais loin de m’imaginer que j’allais devoir me trouver des fringues d’ici peu de temps dans ce coin-là. Mais puisqu’en recomptant mes affaires – oui je n’avais vraiment rien de mieux à faire – je me suis aperçue que pour peu que je tâche l’un de mes hauts, il m’en manquerait un pour terminer la semaine. Et puisque je suis partie pour prendre encore du poids d’ici quelques semaines, voire moins, autant prévoir à l’avance. Au moins je suis certaine que je ne me retrouverais pas avec un truc moche parce que ma mère aura été distraite dans ses achats. Reste à espérer que ce soit un aller-retour rapide sans contretemps.

Déjà que je ne suis pas forcément la personne la plus rapide au monde pour choisir des vêtements, la tâche est encore plus ardue quand il s’agissait de vêtements adaptés pour les femmes enceintes. Je ne vois vraiment pas avec des tops croisés ou des fins pulls avec une ceinture au-dessus de la taille. Finalement, je m’attarde sur un petit pull rayé avec un col rayé, qui me paraît à la fois suffisamment sobre mais pas trop pour que je déprime à cause de mon état. Même si la simple vue de ma silhouette dans le miroir suffit à me zapper le moral quand je ne suis pas d’humeur, ce qui arrive souvent en ce moment. Je suis ainsi à la recherche de ma taille pour le modèle concerné, quand je suis soudainement abordée par une jeune femme. Si j’aime ce genre de vêtements ? Ma consternation fait que je tourne la tête dans sa direction, arquant un sourcil, avant de prendre conscience de mon erreur. On n’a pas encore inventé de casquette qui puisse couvrir le visage de profil. Zut.

Comme je le redoutais, il ne lui faut pas longtemps avant de mettre un nom sur mon visage, car je m’attendais plus ou moins en la jaugeant à ce qu’elle soit étudiante. Et il fallait qu’elle étudie à la Royal Private School. Je suis maudite. Mais même dans un tel état de détresse, je ne peux retenir un soupir d’agacement en l’entendant énoncer ma situation. Alors c’est comme ça qu’on me définit officiellement ? Soit, c’est prévisible, mais je ne pensais pas qu’on prenait cette rumeur autant au sérieux. Mais étant donné les circonstances, je ne suis pas vraiment en position de démentir. Et le fait qu’elle m’apprenne son nom ne m’aide en rien à me calmer.

« Ok bien deviné, je lance sèchement, un peu de tact ne fait jamais de mal tu sais, j’ajoute avec sarcasme. »

Oui je sais bien que je ne suis pas la mieux placée pour faire cette réflexion mais peu importe. Sa remarque m’a irritée, entendre de la bouche d’une inconnue l’évidence même que ma situation actuelle est assez pourrie n’est pas la meilleure façon de me mettre de bonne humeur. Reprenant mes recherches, je tombe enfin sur la bonne taille et saisis le cintre vivement, trahissant inévitablement mon énervement.

« Maintenant si tu veux bien m’excuser… Ah et si tu peux ne pas prendre de photos pour Royal Shit, ce serait sympa. J’ai assez d’emmerdes comme ça. »

Et c’est donc d’un pas décidé que je pars en quête des cabines d’essayage, parce qu’ils ont eu la brillante idée de faire des travaux durant mon absence. Et qu’elles ne se trouvent pas du tout à côté du rayon.

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Si seulement ma mère n’avait pas eu la brillante de faire un métier qui la rend indispensable aux yeux de beaucoup de monde, je n’en serais certainement pas là. Pourquoi diable n’avait-elle pu décliner l’offre envers et contre tout, cela m’aurait épargné ce genre de situation que je souhaitais précisément éviter. Je suppose que survivre dans des conditions pas trop déplorables chez Ryû et échapper à la fois à tout contact avec l’université était trop demandé, je ne peux même pas sortir une pauvre et malheureuse fois pour chercher des vêtements que je me fais aussitôt attraper. Ce n’est pas faute d’avoir pris les précautions nécessaires pourtant, il faut croire que mes efforts de ce côté-là sont toujours vains, à croire que le destin voudrait que je crie au monde entier que oui je suis enceinte et oui, le père biologique est un professeur à la Royal. Autant dire que ce n’est pas près d’arriver, bien que je sois consciente du fait que ce soit de plus en plus difficile à démentir. Surtout quand on se fait apercevoir dans le rayon de vêtements pour femmes enceintes, avec un ventre difficile à ne pas remarquer. Il ne me reste plus qu’à espérer que cet épisode ne se propage pas comme une poignée de poudre dans l’école, même si je suis sceptique quant au fait que cette jeune femme puisse garder sa bouche fermée. On n’est jamais trop méfiant dans la vie.

Elle a beau m’affirmer que ce n’est pas son genre de propager des rumeurs par le biais de Royal Shit, cela ne m’empêche pas de douter de sa bonne foi. J’ai toujours appris qu’il pouvait y avoir un écart monstrueux entre les paroles et les actes d’une même personne, cela dit, je suis un peu soulagée de voir qu’elle n’a pas encore dégainé son téléphone portable, donc je décide de lui accorder le bénéfice du doute. Ce qui se résume pour ma part à ne pas m’attarder plus longtemps avec elle, lui épargnant ainsi d’éventuelles remarques sarcastiques et autres fantaisies en tous genres dont j’ai le secret ces derniers temps. Peut-être est-elle simplement étonnée de voir qu’après tous ces ragots j’arrive encore à tenir sur mes deux jambes et que je suis plutôt en bonne santé, même si je pense qu’on a vu des personnes mentalement plus stables que moi, je ne suis pas encore devenue folle. Ce qui pourrait n’être qu’une question de temps si je ne parviens pas à trouver ces fichues cabines d’essayage, déjà qu’elles m’angoissent, si en plus elles me font tourner en rond, je ne vais pas m’en sortir.

Cependant, je suis étonnée de voir que la dénommée « Astéria » s’est mise en tête de me rattraper, allant même jusqu’à tirer ma manche pour être certaine que je ne décampe pas avant d’avoir entendu ce qu’elle a me dire. Chose qui ne manque pas de me faire froncer les sourcils. Un problème ? Je ne vois pas bien ce qu’elle attend de moi, aux dernières nouvelles, à part faire de moi un monstre de foire aux yeux des autres élèves, ma grossesse n’a en soi pas d’intérêt fondamental pour quelqu’un de l’extérieur. Pourtant, à l’observer, on dirait bien le contraire, j’en viens même à me demander si elle ne compte pas me poser des questions d’ordre scientifique pour satisfaire sa curiosité. Sauf que je n’apprécie pas particulièrement l’idée d’être traitée comme un cobaye, alors j’espère sincèrement pour elle que ce n’est pas ça, sinon, discrétion ou pas, je fais un scandale. A vrai dire, ses réelles intentions sont encore plus déconcertantes. Plaît-il ? Besoin de mon aide ? Erreur 404. C’est bien la dernière à laquelle je me serais attendue de la part d’une étudiante inconnue dans les circonstances actuelles. Je ne suis pas vraiment un modèle de sociabilité et je n’ai pas la réputation de sauver la veuve et l’orphelin quand ils besoin de moi. Alors oui, ses mots sont plutôt étonnants, si bien que j’en viens à l’examiner de la tête aux pieds, comme pour m’assurer qu’elle ne vient pas d’une autre planète ou d’une dimension parallèle. Et c’est presque malgré moi que je finis par lâcher un rire amusé, non sans me demander ce qui a pu lui passer par la tête.

« C’est une blague ?, je demande, cessant alors de ricaner comme je peux, en voyant qu’apparemment ce n’est pas si drôle de son point de vue, excuse-moi hein, mais les gens viennent rarement me demander conseil, c’est pas tellement mon domaine d’expertise. A moins que tu aies envie d’être dans la ligne de mire de Royal Shit bien sûr mais je te le conseille pas… »

Il me faut quelques minutes pour que je parvienne finalement à reprendre mon sérieux et à examiner la situation. Honnêtement, j’ai suffisamment d’ennuis accumulés à moi toute seule, je ne suis pas vraiment en position de faire face à ceux de quelqu’un d’autre et j’aimerais couler des jours tranquilles sans avoir à me prendre la tête plus que nécessaire. D’un autre côté, j’ai récemment fait l’observation qu’arrêter de mettre des barrières entre moi et les gens de façon systématique pouvait être une bonne chose, meilleure que de les repousser sans arrêt. Je ne sais pas du tout ce que cette fille attend de moi, mais si c’est important je ne peux pas non plus jouer les sourdes oreilles, en prétendant que cela ne m'affecte pas. Lâchant un soupir – ma sensibilité me perdra – je finis par reprendre, m'armant de  bonne volonté autant que possible.

« Bon, admettons que je puisse t’aider, j’énonce, en roulant des yeux tant ça me paraît absurde, dis-moi, c’est quoi ton problème au juste ? »

Ce sera certainement plus simple si on en vient à la source même de sa soudaine envie de se tourner vers moi pour demander de l’aide. Aussi saugrenue soit-elle, il doit bien y avoir une raison pour cela et j’ose espérer qu’elle ne va pas tourner indéfiniment en rond avant de me la donner.

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Qu'est-ce qui me prend au juste ces derniers temps ? Moi qui me méfie ordinairement toujours de tout le monde, de façon presque pathologique même, pourquoi diable suis-je décidée à m'attarder dans un endroit où n'importe qui peut me surprendre, simplement parce que quelqu'un vient me demander de l'aide ? Je ne connais pas cette fille et au fond, rien ne me pousse ou ne m'oblige à répondre à sa requête, et plus j'y songe, plus ma raison me crie de prendre mes jambes à mon cou pour mon propre bien. Seulement, mon instinct me dicte, pour une raison inconnue, que ce n'est pas la bonne démarche à adopter, à croire que ma conscience a fini par se réveiller après des années de somnolence. Non pas que je me moque de ce qui peut arriver aux personnes autour de moi en temps normal, mais il a toujours été préférable de mon point de vue de me tenir à l'écart des gens, surtout quand je suis consciente qu'ils ont les armes nécessaires pour me nuire. Typiquement, si Astéria – je suis peut-être prête à l'écouter parce que son nom m'interpelle ? - le voulait, elle pourrait ne faire qu'une bouchée de ce qui me reste de fierté à cet instant précis. Cela dit, je pense que si c'était son intention, ce serait déjà fait, elle ne perdrait certainement pas son temps à me courir après pour me faire la conversation.

En revanche, je ne sais pas si c'est la grossesse qui ralentit mon processus de réflexion habituel, mais je peine sincèrement à faire le lien entre ce qui peut lui causer du souci et mon expérience. A-t-elle également un paternel psychopathe, ou pire encore, se fait-elle aussi harceler par Dakota ? Elle m'a déjà révélé ne pas s'intéresser à mon cas dans le but de s'afficher sur Royal, ce qui en soi relève du bon sens, il faudrait avoir un sérieux problème mental pour désirer le contraire. Cela ne m'avance toutefois pas à cerner ses intentions c'est pourquoi j'en viens à lui poser directement la question, n'appréciant en rien le fait de tourner en rond pendant des heures. J'ai beau ne pas accoster souvent les individus au quotidien, quand c'est le cas, je suis plutôt du genre direct, encore plus quand je ne nourris pas une envie particulière à m'attarder dans un endroit. Ce serait franchement dommage que je sois soudainement prise d'une migraine parce que je me suis attardée à l'extérieur plus que prévu. Heureusement pour moi, mon interlocutrice semble décidée à aller droit but et c'est donc en croisant les bras que j'accueille finalement sa réponse.

Comment n'ai-je pas pu deviner plus tôt ? Il est évident qu'aucune fille ne se serait approchée de moi pour me demander conseil si elle ne se trouvait pas également dans une galère digne de ce nom. Cependant, dans mon esprit, je ne songeais pas un instant qu'il ait été possible que je ne sois pas la seule à commettre une erreur aussi grossière. J'en ai le souffle coupé. Presque par automatisme, mes yeux se prêtent à scruter le ventre de la jeune femme, pour le moment toujours en état « normal » avant de reporter leur attention sur le visage de cette dernière. Elle ne plaisante définitivement pas. Peinant à dissimuler ma nervosité, je me pince la lèvre, prise de court par la situation. Non, je n'arrive pas à prendre conscience du fait que je ne suis pas la seule élève à l'université suffisamment distraite pour tomber enceinte à un moment où elle est supposée se concentrer sur ses études. Inévitablement, je ne la vois plus du tout de la même manière et l'attention qu'elle réclamait de ma part ne me paraît plus du tout agaçante. Je ne peux que comprendre pourquoi elle se tourne spontanément vers moi, bien que je doute lui être véritablement d'un précieux secours, mais je pense que si j'avais entendu parler d'une fille dans le même cas que moi, je me serais aussi précipitée pour la voir. Je ne pensais simplement pas que ce serait moi qui en viendrais à partager mon expérience.

Perdue dans mes pensées, je finis par reprendre mes esprits, ne pouvant pas la laisser en plan indéfiniment. Cela dit, je suis obligée de prendre appui sur l'un des portiques de vêtements, histoire d'avoir un soutien stable. Je suis un peu dépassée par les circonstances, sait-on jamais, c'est plus prudent.

« Je vois, finis-je par déclarer en déglutissant, ouvertement mal à l'aise, écoute, je ne sais pas trop quoi te dire, avec le recul je ne pense pas m'en être brillamment sortie tu sais. Je… Le père est au courant ? »

S'il y a une chose que j'aurais fini par apprendre pour ce genre de cas, c'est que, malgré tout ce qu'on pourra trouver comme excuse, même sa propre fierté, on ne peut jamais s'en sortir toute seule dans ces moments-là. Je fais de mon mieux pour que mon regard compatissant ne soit pas pris pour de la pitié, après tout, ce n'est pas non plus comme si elle allait mourir. Et puis à deux semaines, elle peut encore choisir de mettre un terme à tout cela si elle le souhaite. Mais s'il y a bien un point que je peux lui mentionner, c'est de ne pas garder cela pour elle toute seule, surtout si elle est aussi inconsciente que moi pour vouloir renoncer à l'avortement.

« Je sais que ce n'est pas toujours évident, crois-moi, je suis bien placée pour savoir ce que c'est d'être enceinte de quelqu'un qui n'est pas ton copain. Mais je te jure que si tu ne dis rien, tu vas le regretter amèrement, à moins bien sûr que ça ne soit tombé sur le pire psychopathe que cette terre ait porté.  »

Comme quoi, donner des conseils est toujours plus aisé que de les appliquer soi-même je présume. Au moins le fait d'avoir voulu jouer les fortes invincibles contre toute épreuve m'aura au moins permis de mettre en garde quelqu'un contre cela. J'ai beau ne pas être directement concernée par sa situation, je ne peux m'empêcher de vouloir prendre du temps pour essayer de l'épauler, même si ce n'est que très légèrement. Si je peux lui épargner quelques épisodes fâcheux, comme se retrouver livrer à elle-même dans des moments de doutes et d'angoisses, je le ferais sans aucun doute.

« Tu veux peut-être qu'on aille dans un endroit plus tranquille pour en discuter ?, je suggère,  avec un petit sourire, prête à reposer le haut que je comptais essayer. »

Mon shopping improvisé peut attendre, je pense que pour le moment, il y a des enjeux d'une importance un peu plus élevée.

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Peut-être en ai-je assez de jouer les paranoïaques sans arrêt, peut-être n’ai-je plus envie de voir dans les gens une menace potentielle à chaque fois et peut-être ne puis-je simplement plus supporter le fait de n’avoir d’autre option que de me morfondre dans mes malheurs parce que je me refuse à en parler à qui que ce soit. En tout cas, il apparaît évident que je ne peux demeurer impassible à l’évocation de la situation d’Astéria. C’est presque si je ne suis pas gagnée un moment par un peu d’euphorie, ce qui, j’en suis consciente, peut paraître largement dépassé. Ce n’est pas totalement ma faute, je ne me remplirais pas soudainement de soulagement si on ne m’avait pas regardée et traitée comme une sorcière ces derniers temps. Le simple fait de songer qu’il y ait quelqu’un de mon âge qui ne me considère pas comme une bête de foire qui alimente des sujets de conversation sordides à souhait suffit à me donner du baume au cœur. C’est presque si je n’avais pas oublié moi-même que cela n’a au fond rien d’un crime qui mérite tant de reproches. Soit, il y a plus judicieux comme choix dans la vie mais au moins, avoir l’occasion de pouvoir en discuter avec une autre étudiante, qui est et sera confrontée aux mêmes questions que moi suffit à me faire baisser ma garde, bien que je la connaisse à peine.

Aussi renoncer à essayer un vêtement ne me pose en soi pas plus de problème que cela, surtout si c’est pour discuter d’un sujet si sérieux et déterminant dans une vie. De toute évidence, je cherchais à la base plus un prétexte pour pointer mon nez dehors quelques temps, de peur d’étouffer à force de rester cloîtrée, même si je suis consciente que c’était de ma propre initiative. Je voudrais pouvoir me montrer suffisamment forte et détachée pour gambader comme bon me semble, en allant envoyer promener Royal Shit et tous mes détracteurs, me dire qu’ils peuvent bien penser et raconter ce qu’ils peuvent, parce que je m’en contrefiche. Au fond, leur avis m’importe peu, c’est vrai, seulement, la pensée qu’il y a un risque potentiel pour que cela me coûte ma scolarité et malgré le fait que cette école m’irrite au plus haut point par moments, cela m’embêterait grandement. Sans compter le fait que je ne tiens pas non plus à décevoir ma mère sur ce plan, bien qu’elle ait tendance à me répéter constamment qu’elle me soutiendra quoiqu’il arrive. Pour le moment, autant faire profil bas, on verra bien pour la suite.

Le fait qu’un nouveau point commun surgit entre nous me conforte dans ma volonté d’essayer de lui venir en aide tant bien que mal. Je ne peux que trop comprendre sa résolution de ne pas vouloir être un poids pour le père, on aura beau dire ce que l’on veut, c’est cette raison première qui m’a poussée à mentir à Ryû au départ, afin qu’il n’ait plus ce poids à porter sur les épaules, en plus du fait que j’étais persuadée de pouvoir le supporter toute seule. Ce qui s’est avéré être un fiasco total au final, le fait même que j’ai l’impression que mes cheveux sentent de temps à autre le sirop de menthe peut en témoigner. Je comprends parfaitement que dans certaines circonstances les choses ne sont pas vraiment au beau fixe pour aller voir quelqu’un et lui apprendre qu’on porte son enfant, mais sincèrement, je pense qu’Astéria n’a pas envie de savoir ce que cela fait de devoir traverser cela toute seule, par ses propres moyens. Je veux bien faire de mon mieux pour elle mais je ne pourrais jamais lui apporter le soutien dont elle a tant besoin, même si elle l’ignore certainement pour l’instant.

« Non ne t’en fais pas, j’allais l’essayer plus par dépit qu’autre chose, je lui confie en tirant la langue et en remettant le dit haut à son emplacement initial, tu n’es pas obligée de me payer à boire, mais oui, on peut en discuter autour d’un verre, je poursuis avec un sourire joyeux. »

Je sais bien que ce dont elle doit me parler n’a en soi rien de réjouissant mais je suppose qu’elle n’a pas vraiment besoin que je prenne un air grave pour lui rappeler combien la situation est délicate. Si je peux encore sourire après six mois de grossesse, cela devrait la rassurer dans un sens, n’est-ce pas ? Sans débattre plus longtemps dans ma tête, je la prends par le bras pour nous diriger vers un petit café pas très loin du magasin, songeant intérieurement aux premiers conseils que je pourrais lui donner. Enfin, une fois que le point le plus important aura définitivement été réglé.

« Tu sais, je comprends que tu n’aies pas envie d’interférer dans sa vie, crois-moi, je sais tout à fait pourquoi tu veux faire cela, j’énonce sur le chemin, prenant soin d’adopter un ton assez bas pour ne pas être entendue par des oreilles indiscrètes, mais au final, tu vas plus en souffrir qu’autre chose. Surtout si tu comptes le garder. »

Je présume que si elle n’y pensait pas, elle n’aurait pas eu besoin de s’adresser à moi, cela coule de source. Quand on est déterminée à avorter sans le moindre doute, on ne va pas trouver une fille enceinte de plusieurs mois pour avoir un peu d’aide, à défaut de trouver la force d’en demander à quelqu’un d’autre.

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C’est peut-être idiot et tout à fait improbable, mais je me demande tout de même si le destin n’est pas en train de m’envoyer un message porteur de sens. Si j’étais une grande superstitieuse, j’irais presque jusqu’à songer que l’univers m’envoie Astéria en guise de test pour vérifier si je suis réellement décidée à suivre le bon chemin cette fois-ci, en renonçant à me murer dans ma propre existence au détriment des autres. En tout cas, il est certain qu’il n’est plus question de faire marche arrière, quitte à prendre un risque en passant un peu trop de temps à l’extérieur, je ne peux pas la laisser comme ça. Je m’étonnerais presque à vouloir prendre spontanément la jeune femme sous mon aile, d’autant que je suis loin d’être un modèle de référence, mais c’est plus fort que moi. L’occasion est trop belle, je ne peux pas la laisser filer et aller s’emmêler avec toutes les questions existentielles qui se posent au fil des semaines sans bouger le petit doigt. Que me demande-t-elle au fond sinon quelques conseils, sans doute basiques ? Ce n’est pas comme si elle était sur le point de me demander de m’occuper de son bébé en plus du mien, parce qu’elle aurait été suffisamment distraite pour songer que, puisque je n’avais pas avorté, j’étais prête à me lancer dans les joies de la maternité de bon cœur. On en est loin tout de même. Ma grossesse a beau être plus avancée que la sienne, cela ne me rend pas plus responsable pour prendre en main un enfant.

A l’entendre, on dirait presque que je suis un messie qu’elle attendait depuis qu’elle a appris qu’elle était enceinte, je ne comprends pas à vrai dire pourquoi elle tient tant à me payer à boire. Pour le peu que je sors, elle peut être certaine que ce n’est pas en buvant un coup avec elle que je vais me ruiner, loin de là. Enfin, je suis bien heureuse de voir qu’elle semble partagée ma bonne humeur soudaine, après tout, autant garder le sourire autant que possible, non ? Si je peux la convaincre que tomber enceinte en étant à l’université la plus prestigieuse du Japon ne plonge pas nécessairement dans un torrent de dépression et de perte d’envie de vivre, ce sera déjà un excellent point. Après tout, je tiens encore sur mes deux pieds, alors ce n’est pas si dramatique, du moins tant que la direction ne vient pas mettre son nez dans mes affaires. On y croit. Pour l’heure, mon objectif principal est de faire en sorte qu’Astéria connaisse moins de difficultés que moi, ce qui doit être faisable, surtout si elle ne connaît pas les complications que j’ai actuellement. Or, pour cela, je dois faire de mon mieux pour l’amener à la conclusion de rester dans son coin avec cette histoire n’est pas la meilleure solution, chose d’autant plus faisable que je suis passée par là. Ce qu’elle comprend aisément d’ailleurs.

« J’ai même fait pire que ça si tu veux tout savoir, j’explique d’un ton très bas, non sans grimacer en songeant au satané mensonge qui me hantera jusqu’à la fin de mes jours, il était là quand je l’ai appris, donc je lui ai fait croire que j’avais avorté par la suite. Une sacrée erreur, crois-moi. »

Evidemment que m’étaler sur mon propre cas n’est pas la chose la plus judicieuse à mon avis, moins on en sait sur mes déboires avec Ryû, mieux je me porterai. Seulement, si je veux lui démontrer qu’elle ne doit pas garder cela secret, je dois lui expliquer à quelles conséquences tordues cela peut mener. En espérant qu’elle ne songe pas que ce soit une idée géniale. Mais puisqu’elle me paraît être un minimum sensée et lucide, je présume que ce ne sera pas le cas, moi-même j’ignore ce qui m’a pris avec le recul, même si j’ai les explications en tête. En vérité, je m’en veux d’avoir été égoïste sur ce point au lieu de voir ce qu’il y avait de mieux à faire pour l’enfant et, surtout, de décider à la place de Ryû ce qui était plus commode pour lui. Il n’y a pas à dire, je suis en pleine évolution psychologique, c’en est presque effrayant. Mes pensées sont rapidement interrompues par Astéria qui me surprend alors, si bien que j’arque un sourcil. Ainsi elle ne souhaite pas garder l’enfant ? Pourquoi se tourne-t-elle vers moi alors si elle souhaite mettre un terme à sa grossesse ? Ce n’est qu’une fois installées à une table isolée des autres que j’en apprends davantage. Oh. Visiblement, elle a mal interprété mes propos, ce qui ne manque pas de me décocher un petit sourire.

« Oui je vois, je reprends, en parcourant rapidement la garde des boissons du regard, par le « garder », je ne voulais pas dire « l’élever », tu sais. Moi-même je ne sais pas bien quoi faire à ce sujet, mais passons. Même si tu comptes le faire adopter, tu vas avoir besoin d’aide pour tenir neuf mois. C’est plus difficile que ça en a l’air à première vue. Et je ne parle pas seulement des nausées qui peuvent survenir en classe. »

Dire que j’avais été assez idiote pour penser que le fait de devoir vomir en plein cours allait être mon unique problème, si seulement. Il est certain que j’ai sous-estimé tout ce que la grossesse allait pouvoir impliquer et j’aimerais qu’elle ne se fasse pas les mêmes illusions. Si elle a quelqu’un sur qui elle peut compter, le père par exemple et lui en particulier, elle ne doit pas garder cela pour elle. On ne tarde pas à venir prendre nos commandes, après tout, ce n’est pas parce que nous sommes à l’écart que nous n’avons pas l’intention de boire quelque chose, et pour ma part, mon choix se porte sur un chocolat chaud, la caféine étant absolument prescrite. Un autre inconvénient quand on a besoin d’un peu d’énergie supplémentaire de temps à autre.

« Si tu as des questions, vas-y je suis toute ouïe, je l’encourage, une fois que la serveuse s’est éloignée. »

Si elle a des doutes ou quoi que ce soit, elle peut m’en parler, je suppose qu’il n’y a pas que la question du père qui tourne dans sa petite tête, ce qui est normal. Au moins, j’ai définitivement trouvé comment occuper mon après-midi.

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Depuis combien de temps ne m’étais-je pas offert le luxe de m’asseoir à une table de café comme si de rien n’était ? Avec quelqu’un de surcroît, je n’ose pas même songer un instant combien de mois je peux compter, je tiens à conserver un minimum de moral et de courage. Plus que jamais d’ailleurs, puisque je dois guider une autre brebis en détresse, qui s’est écartée du droit chemin instauré par la haute société de l’université. Je ne peux pas lui révéler que j’ai été coupée de tout lien social – plus que d’ordinaire j’entends – à cause de ma grossesse, je peux aisément imaginer son visage se décomposer instantanément. Se confier quand on est enceinte en ayant à peine la vingtaine n’est pas chose facile, il y a le regard des gens qui entre en compte, la perspective qu’ils vous toisent avec un jugement atterrant, ce qui suffit largement à dissuader quiconque aurait aimé en parler. Franchement, je suis sûre à cent pour cent que si Ryû n’avait pas été présent lors de ma terrible découverte, j’aurais spontanément choisi de me taire là-dessus et de ne pas lui en parler. Pour de bon, même si avec le recul aujourd’hui, je suis consciente que cela aurait également été une grossière erreur, d’où mes efforts pour pousser Astéria à ne pas la commettre. On se trouve déjà suffisamment seule, alors mieux vaut ne pas l’être plus que nécessaire, non ?

Je me contente de hocher la tête alors qu’elle me demande si le « père » est au courant à présent. Il va de soi que c’est quelque chose que je ne peux plus trop dissimuler, quand bien même j’y mettrais la meilleure volonté et mes plus précieux efforts. Cela dit, cela n’aurait pas été impossible, si je n’étais pas venue le voir avant de repartir en Corée, il n’aurait sans doute jamais été au courant. Enfin, c’était sans compter son fidèle meilleur ami qui aurait fini par vendre la mèche je suppose. Passons. En soi, confier quelques-unes de mes péripéties à la jeune femme ne me paraît pas si étrange, peut-être parce que j’ai l’impression que partager ce fardeau contribue à nous reprocher plus que la moyenne ? Autrefois, j’aurais certainement trouvé cela idiot mais on dit qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, alors je ne m’en fais pas trop sur ce point. Elle a l’air trop inquiète pour jouer les comédies. Ce qui se confirme quand elle évoque ses différentes appréhensions. Grossir ? Devenir moche ? J’esquisse un petit sourire amusé, essayant de ne pas trop prendre ses mots au pied de la lettre, elle est inquiète, je ne peux pas trop lui en vouloir. Je pense que si j’avais eu moins de chance et que mon ventre s’était mis à gonfler considérablement plus tôt, je n’irais pas si bien cela dit, les séquelles du lycée ne s’étant jamais vraiment refermées, comme les autres.

« Bien sûr que je me la pose, je déclare en levant au ciel, légèrement accablée à cette pensée, tous les jours, du matin au soir, mais je n’arrive jamais à la même conclusion. C’est compliqué et il y a pas mal de facteurs à prendre en compte. »

On remercia le potentiel grand-père psychopathe de figurer sur le tableau. J’essaie de ne pas y penser mais imaginez un peu sa réaction le jour où il apprend que sa fille biologique est malencontreusement tombée enceinte d’un de ses enseignants ? Je mise n’importe quoi que ça amène une catastrophe à coup sûr. Heureusement, les questions de la jeune femme m’empêchent de disserter plus longtemps sur le sujet – et donc d’angoisser inutilement – et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle en a en réserve. Deux en si peu de temps, c’est pas mal, même si elles sont loin de me désarçonner. C’est assez basique comme réflexion, c’est le début, c’est normal et c’est presque rassurant même qu’elle y songe.

« Ça dépend des femmes. En ce qui me concerne, mon ventre a vraiment commencé à gonfler entre le cinquième et sixième mois. Mais ça peut apparaître bien plus tôt, tout dépend de ton organisme. »

C’est dans ce genre de situation que j’évite de me plaindre d’être devenue si menue après ma crise d’anorexie. Je sais que ce n’est pas forcément cela qui est entré en ligne de compte, mais je suppose que ça a un peu joué. Même si désormais je ne peux plus compter là-dessus pour empêcher mon ventre de devenir toujours plus rond de jour en jour, c’est presque si je ne guette pas la moindre évolution chaque matin dans la glace. J’attends que la dame nous apporte nos boissons avant de répondre à sa seconde question, m’offrant même le luxe de boire une gorgée de chocolat chaud juste avant.

« Et oui bien sûr que j’y ai songé. C’était même mon premier réflexe, mais je voulais réfléchir avant. Parce qu’après on ne peut plus revenir en arrière, évidemment, j’explique en repassant la scène de psychose à la clinique dans ma tête, je ne faisais pas la fière sur le coup, et je me suis dit : pourquoi ne pas laisser une chance à cet enfant ? Bon je t’avoue que j’avais pas anticipé tout ce qui m’attendait, c’est certain. Mais… Je me suis simplement dit que si ma mère avait tenu ce genre de raisonnement, je ne serais pas là non plus. »

Il est évident que ma propre situation familiale a beaucoup joué dans ma décision de ne pas avorter. Savoir qu’on est issu d’une liaison extra-conjugale et qu’il aurait été bien plus simple pour ma génitrice d’avorter m’avait amenée à réfléchir sur la question. Tout en constatant par la suite que le fait d’avoir fini ses études et d’être indépendante financièrement avait sans doute contribué à rendre la chose plus aisée. Mais quand même, je ne peux m’empêcher de penser qu’elle aussi était jeune et que ce n’était pas simple à l’époque, encore plus depuis les paroles qu’elle m’avait lancées la dernière fois à l’aéroport. Ce qui me fit penser qu’il serait peut-être bon d’avoir son opinion sur la question, histoire de savoir où elle en était.

« Et en ce qui te concerne, tu es fixée sur la question ? »

Je sais bien qu’elle avait mentionné le fait de trouver une famille à cet enfant, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle s’est fait un avis définitif.

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Tout est une question de choix

Combien de questions peuvent traverser l’esprit d’une femme qui vient d’apprendre qu’elle est enceinte ? Par minute j’entends, car oui il y a de nombreuses choses qui défilent en tête dans ce genre de situation et une appréhension cruciale de ce qui attend la personne concernée. Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ? Que diront les parents – enfin celui avec lequel on est en contact tout du moins - ? Dans la plupart des cas, on est spontanément poussée, voire dirigée par son entourage, à recourir à l’avortement, ce qui paraît être la solution la plus raisonnable et la plus rationnelle à la fois. Chose que je ne pourrais jamais contester, ce n’est pas parce que j’ai choisi l’option délicate de mener ma grossesse jusqu’à terme que je suis prête à lapider quelqu’un qui aurait préféré cette solution. Bien sûr que c’est plus commode et que ça évite bien des complications, d’autant plus quand on étudie dans une fac rongée par les ragots et les doigts pointés vers la première personne désignée par Royal Shit comme une hérétique qu’il faut abattre. Je ne m’attends certainement pas à ce que la plupart des gens se trouvant dans ce cas de figure fassent preuve d’autant d’inconscience ou de courage selon le point de vue. Pourtant, il semblerait que sur ce point, nous sommes plutôt d’accord avec Astéria et dans un sens, ça me rassure de constater que je ne suis pas totalement folle à lier en prenant une telle décision.

Sa réflexion ne manque pas de m’amuser. Il est vrai que sur ce point, mon organisme s’est montré être assez conciliant et salvateur, bien que désormais j’aie le sentiment d’être un ballon qui ne cesse de gonfler. Quelques semaines supplémentaires de dissimulation physique de la chose n’auraient pas été du luxe dirons-nous, mais il ne faut trop en demander à mère nature. J’espère sincèrement pour elle que cela se passera de même dans son cas si jamais elle décide de suivre mon exemple – pas très glorieux certes mais sait-on jamais – car manquer plusieurs mois de classe est assez difficile pour ma part, alors si on doit s’absenter de l’université plus tôt, je n’ose pas imaginer la galère. A souhaiter qu’elle ne décide pas d’aller en cours avec son ventre rond, chose que je n’ai pas su envisager un instant. Rien que d’imaginer les regards pleins de jugement se poser sur mon ventre apparent me terrifie et c’est la raison majeure pour laquelle je me suis résignée à disparaître du campus.

J’ai un petit sursaut suite à sa question concernant ma mère. Bien sûr, je ne devais pas m’attendre à passer à côté des détails même en éludant clairement ces derniers. Ce n’est pas quelque chose que je me plais à raconter et dont j’ai envie de parler mais maintenant que j’ai abordé le sujet, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. J’espère pour la jeune femme qu’elle ne réclame pas trop de précisions sinon elle risque d’être déçue avec moi.

« Plus ou moins. Disons qu’elle est tombée enceinte d’un homme dont il aurait mieux valu ne pas porter l’enfant. Un homme déjà pris, éludai-je vaguement en buvant mon chocolat chaud. »

Elle a beau m’apparaitre sympathique et joviale, je ne me vois pas lui confier que je suis la fille naturelle d’un PDG important et que ce dernier n’a fait que pourrir mon existence jusqu’à ce jour quand il a voulu s’immiscer dans ma vie. Disons qu’entendre son point de vue sur ses intentions futures quant à sa grossesse m’intéresse davantage et je l’écoute avec une attention particulièrement studieuse. Ainsi donc, elle sait déjà qu’elle n’avortera pas, c’est déjà ça de fixé, même si elle s’expose par conséquent à tout un tas de difficultés en perspective. Mieux vaut pour elle être suffisamment déterminée et avoir le cœur bien accrochée si elle veut faire les choses jusqu’au bout, d’où le fait qu’elle a besoin d’être entourée. Mais ça, pour ce qui est de son ressenti au fur et à mesure des mois qui passent, je ne peux pas le prédire pour elle, chaque femme a sa manière bien particulière de réagir par rapport à cela. Tout ce que je peux faire c’est satisfaire sa curiosité sur mon propre cas, je ne peux pas jouer de rôle déterminant en ce qui la concerne.

« Alors attends que je fasse le point. Le père évidemment, , j’énonce, ne me voyant pas franchement prononcer le nom de Ryû en sa présence, ma mère, une connaissance auprès de qui je suis allée demander conseil et toi. Ah et un mec mentalement dérangé l’a appris aussi sans que je sache comment. Bref, pas beaucoup de monde. »

Autant dire que je ne me retiens pas de grimacer en évoquant par des périphrases savamment élaborées monsieur Kasahara et Dakota. Entre l’un qui m’a passé un savon comme c’est pas permis la dernière fois que je l’ai vu et l’autre qui s’est amusé à m’envoyer de la fumée de cigarette en plein visage, sans mentionner le sirop de menthe qui a atterri sur mes cheveux, on ne peut pas dire que cela me réjouisse. Ce qui me fait penser qu’il ne m’est même pas venu à l’esprit que je devrais songer à en informer des personnes proches de moi, au lieu de les laisser dans l’ignorance avec pour seule ressource les rumeurs de ce blog pourri. Une résolution qui requiert d’abord que je prenne mon courage à deux mains pour cela, autant dire que ce n’est pas gagné.

« C’est pas glorieux hein ?, je reprends avec un soupçon d’ironie, franchement, si je peux te donner un conseil en bonne guerrière ratée que je suis, si tu as des gens dans ton entourage à qui tu ferais confiance aveuglément, n’hésite pas à leur en parler. Être épaulée n’a jamais fait de mal à personne. »

Non parce qu’on n’est pas là pour m’offrir une séance de psychologue gratuite, le but final c’est de l’aider à ne pas se planter là où je me suis brillamment vautrée comme personne.

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Au final, discuter avec Astéria s’apparente plus ou moins à avoir une espèce de miroir en face de moi, un miroir qui pointe les différents points sur lesquels j’ai minablement échoué au moment d’y être confrontée. Evidemment qu’elle ne souhaite pas que cela se répande, évidemment qu’il est compréhensible qu’elle ait la sensation de ruiner la vie du géniteur en prenant la décision de ne pas avorter et de vouloir lui en parler et bien entendu qu’elle pense n’avoir personne à qui se confier, sinon quelqu’un qui est déjà passé par là. Je suis passée par toutes ces étapes et à chaque fois, j’ai suivi ma façon de faire habituelle, autrement la mauvaise voie à prendre dans ce genre de situation. Il m’apparaît clairement à présent que c’est illusoire de penser qu’on peut tout gérer toute seule pendant des mois, quand on est étudiante en tout cas, on ne peut pas vraiment décréter de se débrouiller par soi-même en pensant que tout se passera bien. Je ne serais pas étonnée d’apprendre que certaines de mes complications de santé auraient largement pu être évitées si j’avais eu la présence d’esprit de me confier à quelqu’un et de ne pas jouer les femmes fières qui peuvent se débrouiller toutes seules. Tout ça pour vivre désormais aux dépends de Ryû qui doit garder un œil sur moi à cause de mon hypertension. Brillante stratégie oui, on l’aura compris.

Je ne sais pas si la jeune femme est réellement sincère quand elle affirme comprendre ce que je veux dire en évoquant le cas de ma mère, ou si elle comprend simplement que le sujet est sensible pour moi. En tout cas, je lui suis reconnaissante de ne pas me pousser à développer ce point, c’est déjà suffisant d’exposer mes propres déboires, je n’ai pas non plus spécialement envie de parler de ceux de ma génitrice. Ecouter ceux qu’a pu avoir Astéria me paraît être une option bien préférable, bien que je sois consciente que ce n’est pas forcément le cas pour elle. Mais elle sait bien que dans tous les cas, je ne suis pas là pour la juger, en vérité, à l’heure qu’il est, je ne suis pas en position de juger qui que ce soit, sauf cas extrêmes. Ce n’est certainement pas moi qui aurais envie de la brûler vive si elle m’avoue avoir commis une bêtise, bien au contraire. Pour une fois que je peux me montrer utile envers quelqu’un ces derniers mois, autant saisir l’opportunité les bras grands ouverts.

En prenant une nouvelle gorgée de ma boisson chaude, j’arque soudainement un sourcil à l’évocation sa tante comme personne potentiellement qualifiée pour accueillir la nouvelle. Sa tante ? Pourquoi sa tante et non pas ses parents directement ? Je suppose que pour en venir à une telle conclusion, ce doit être assez compliqué pour elle et je ne tiens pas à commettre une gaffe en l’interrogeant sur ce point. C’est un peu comme quand les gens me demandent pourquoi je ne parle jamais de mon père. Mieux vaut ne pas glacer l’ambiance en insistant sur un point contrariant. Je lui rends son sourire alors qu’elle me remercie, assez contente de voir que je ne fais pas un piètre exemple ou que je ne suis pas une cause perdue comme beaucoup de monde s’amuse à me le faire remarquer. Je crois que personne ne m’a jamais encouragée ou approuvée sur la moindre chose accomplie en ce qui concerne cette fameuse grossesse. C’est tellement plus facile de pointer du doigt tout ce que j’ai raté en même temps.

« Bien sûr. Je ne te dis pas non plus d’aller faire tes annonces en repartant tout de suite. Prends le temps qu’il faut pour cela et t’y préparer. Enfin n’attends pas non plus que des bruits de couloir les mettent sur la piste à ta place si tu vois ce que je veux dire… »

A mon avis, c’est un aspect des choses qu’elle doit avoir parfaitement saisi, le fait même qu’elle m’ait reconnue par le biais des rumeurs véhiculées sur moi en atteste. Je dépose mon gobelet une fois que j’ai fini – à une vitesse prodigieuse je l’admets – mon chocolat chaud et croise le bras, songeuse quant à ses dires. Je saisis parfaitement son sentiment de culpabilité mais zut, ce n’est pas uniquement sa faute si elle est tombée enceinte, on n’a pas encore découvert le secret de l’immaculée conception. Et je doute qu’elle se soit attardée dans un centre de dons de spermes, même en étant ivre.

« Ne t’en fais pas trop pour ça. Bon ça reste un choc, mais ça lui passera, j’énonce en haussant les épaules, qui sait ? Il pourrait t’être d’une grande aide. »

Sait-on jamais, s’ils sont suffisamment proches pour qu’il accepte de prendre soin d’elle durant cette période comme il se doit, ce serait bête de passer à côté non ? J’ignore si son cas de figure est préférable au mien mais je pense qu’il vaut mieux tenter le coup, quitte à se prendre une claque, plutôt que de vivre dans le regret de n’en avoir jamais parlé. Il suffit de voir la tête de Forest Gump quand il apprend que le gamin de dix ans devant lui est son fils pour en être convaincue.

« Oui, je comprends, je réponds à sa question, avec un sourire ravi, de toute façon, je n’ai pas vraiment d’activité palpitante en perspective, alors tu peux venir me poser des questions autant que tu le souhaites. Heu… peut-être qu’avec mon numéro ce serait plus simple ? »

Ce n’est pas mon genre de donner mon numéro de téléphone à n’importe qui, mais il se trouve qu’Astéria n’est en l’occurrence pas n’importe qui. Il est normal qu’elle se sente un peu dépassée par tout cela alors je peux bien faire une exception et partager cette information avec quelqu’un que je connais depuis un quart d’heure à peine. Je sors donc un papier et un stylo pour griffonner ledit numéro et je le lui tends ensuite.

« Tiens, voilà. Tu peux m’appeler si quelque chose te vient à l’esprit ou même me contacter pour qu’on en discute quelque part. Ou… si tu as besoin de quelqu’un pour t’accompagner pour des trucs médicaux. »

Mine de rien, c’est aussi une étape plutôt stressante et pour le coup, je suis bien contente que Ryû m’accompagne à mon rendez-vous de demain, c’est angoissant de se retrouver toute seule dans la salle d’attente puis face au médecin. Même si je préférerais m’y rendre seule à nouveau que de le reconnaître.

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Je pourrais presque m’amuser à compter le temps qui me sépare de la dernière fois que j’ai donné mon numéro à quelqu’un de manière si spontanée, sans me poser de question existentielle, notamment quant à l’usage détourné potentiel qu’on pourrait en faire. Et sans avoir besoin de connaître la personne depuis un bon mois déjà. C’est assez inédit quand on y réfléchit bien, mais en même temps, la situation elle-même est inédite, ma raison peut aisément me pardonner cet écart à ma ligne de conduite habituelle, étant donné le pétrin dans lequel nous nous trouvons actuellement Astéria et moi. Je crois qu’il n’y a rien de tel pour se rapprocher que de partager un même fardeau, bien qu’on ait du mal à trouver cela réjouissant avec toutes les complications qui vont de pair. Disons que cela m’apporte un peu de réconfort dans mon calvaire, d’autant que la bonne humeur de la jeune femme – certes un peu dissimulée derrière son inquiétude – n’est pas sans me requinquer quant au fait que j’ai une vie sociale aussi vide que le désert du Sahara dernièrement, ma mère et Ryû ne comptant pas, cela va de soi.

Cela me fait plaisir dans un sens de constater qu’elle a quelqu’un vers qui se tourner, même si je ne suis pas sans m’interroger – encore – sur la raison pour laquelle elle ne peut en discuter avec ses parents. Dans un sens, je dois le reconnaître, cela me tracasse, parce que c’est en principe la première chose à laquelle on réfléchit dans ces moments-là : que vais-je dire à mes parents ? C’est d’ailleurs un ressort couramment utilisé dans les séries où une adolescente ou une jeune femme tombe malencontreusement enceinte, car oui, je me suis aussi intéressée à la façon dont le sujet est traité à la télévision. Non sans constater de temps à autre combien le scénario est complètement éloigné de la réalité. Ce n’est pas vraiment le meilleur moyen de relativiser en fait, en parler de vive voix avec quelqu’un qui vous comprend et qui ne vous dévisage pas de haut en bas avec un air de jugement particulièrement désagréable est bien plus bénéfique. D’autant que nous avons exactement les mêmes interrogations, ce qui n’est pas sans me donner l’impression d’être encore un peu plus proche d’elle. Moi aussi j’espère sincèrement que le père de son embryon actuel se montrera compréhensif à son égard.

Moi qui pensais que notre entrevue ne tarderait pas à être écourtée une fois mon numéro dans les mains de la jeune femme, je dois dire que je suis consternée. Je ne m’attendais certainement pas à devoir répondre à une telle question et le fait qu’elle fixe mon ventre de la sorte ne m’aide pas vraiment à me remettre du choc ou à dédramatiser. Un prénom ? Autant dire que je reste bouche bée, à vrai dire j’ai même l’air d’un poisson à ouvrir la bouche sous l’effet de ces paroles inattendues. Comment diable pourrais-je songer à réfléchir à un nom pour ce bébé ? Je ne sais même pas si c’est une fille ou un garçon, même si je sais que certains parents préfèrent rester dans l’ignorance pour avoir la surprise et choisissent ainsi un prénom pour chaque éventualité, ce n’est pas mon cas. Si je ne veux pas savoir, c’est que je suis consciente de l’impact qu’aurait une telle nouvelle, cela rendrait le bébé plus « vivant » et plus « humain » dans mon esprit à coup sûr. Alors imaginez un peu ce que ça pourrait donner si je m’amusais à songer à divers prénoms pour le bébé en question.

« Non, finis-je par lâcher simplement en essayant tant bien que mal de cacher mon embarras, je t’avoue que je n’y pense pas vraiment, c’est un peu le fouillis dans ma tête donc bon. Je ne sais même pas si c’est bien utile que j’y réfléchisse…, je commente avec la gorge nouée. »

Non parce que tel que les choses sont parties, je vais devoir me faire une raison : ce petit bout de chou qui aura grandi dans mon ventre, j’en serais séparée bien assez vite après sa naissance si je reste sur ma position quant à l’adoption. Je sais bien que dans un sens c’est la meilleure décision à prendre, parce que je ne suis qu’une étudiante sans diplôme concret encore et qui a le don de s’attirer des nuées de problèmes, mais je suis bien consciente que cela m’attriste un peu. Alors mettre un nom sur cette petite frimousse qui apparaîtra bien assez vite devant mes yeux, c’est tout simplement impensable.

« Je pense que c’est mieux de laisser les parents adoptifs s’en occuper non ?, je reprends, avec un petit sourire maladroit, ce n’est pas quelque chose que je peux imposer de toute façon, je crois que je n’en ai pas tellement le droit. »

Et ce pour toutes les bourdes monumentales que j’ai commises jusqu’ici. Je ne sais pas si elle voit où je veux en venir, peut-être est-ce encore trop tôt pour elle et peut-être ne saisit-elle pas combien de mauvais choix j’ai pu prendre dernièrement, mais le fait est que je n’ai pas le droit d’exiger de laisser une trace sur cet enfant alors que je suis dans l’incapacité d’assurer son bonheur. D’autres le feront assurément mieux que moi. Cela me perturbe tant dans un sens d’y réfléchir que je préfère immédiatement changer de sujet.

« Tu n’as que ta tante dans ta famille pour en parler, je demande d’une petite voix en prenant mes précautions, je suis désolée si je suis trop curieuse, je me pose juste la question, tu n’es pas obligée de répondre. »

Disons que je préférerais qu’on parle de ça plutôt que de mes problèmes émotionnels avec le bébé dans mon ventre.

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C’est fou comme une simple entrevue avec quelqu’un qui pose les questions concrètes, et en principe attendues lors d’une grossesse, parviendrait presque à me faire chanceler. Je n’avais pas vu le coup du prénom du bébé venir et je pense que ce doit être assez criant sur mon visage. Je ne me sens ni disposée ni autorisée à prendre une telle décision, ce n’est pas à moi d’imposer égoïstement une marque sur cet enfant pour être auprès de lui en quelque sorte alors que je l’aurais laissé partir. J’ai beau avoir quelques hésitations par moments, pour l’heure, je demeure convaincue que c’est assurément la meilleure décision à prendre, dans l’intérêt de chacun. Je me vois mal alterner entre les cours et un bébé, sans compter le contrat de l’agence qui m’attend au tournant une fois l’accouchement passé. Quand bien même je serais une Wonderwoman de l’organisation – ce qui est quasiment le cas – il est clair que ce n’est pas possible, à commencer par le fait qu’il me faudrait un logement fixe à Tokyo en dehors des dortoirs, problème à cause duquel je suis déjà contrainte de séjourner chez Ryû en ce moment même. Et qui voudrait d’une mère comme moi avec un bagage émotionnel et historique aussi pourris ? Nul doute qu’au bout de quelques années on me cracherait à la figure et je crois qu’il vaut vraiment que je ne joue aucun rôle dans l’avenir de ce bébé, je ne serais qu’une immense et terrible déception peu importe la configuration des choses.

Pourtant, c’est un sourire, certes maladroit mais un sourire tout de même, que j’affiche quand Astéria reprend la parole. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il lui faut une famille parfaite, j’ai peu d’espoir en vérité à ce que cela puisse exister de toute manière, mais j’aspire au moins à ce qu’il grandisse dans un cadre plus bénéfique que le mien. Chose peu difficile à trouver en vérité. Je me contente donc simplement de hocher la tête pour acquiescer à ses propos, n’ayant pas vraiment envie de m’attarder sur la question. Ce qui se passera « après » est toujours une source d’inquiétude à mes yeux, parce que je ne sais pas comment je réagirais en voyant cette petite bouille s’éloigner quand il n’aura plus besoin de moi pour se développer convenablement dans mon ventre. Je suis à peu près certaine d’avoir le blues pendant plusieurs semaines après.

Comme attendu, ma question trouve une réponse quelque peu embarrassante et je me gifle intérieurement pour avoir été si bête. Je sais mieux que quiconque combien il peut être difficile de parler de sa situation familiale quand elle est compliquée, je n’aurais pas dû m’aventurer sur ce terrain glissant et je me sens profondément désolée pour elle quand j’apprends que ses parents sont décédés. Récemment qui plus est. Bon sang. J’ignore comment elle s’y prend pour garder le sourire aux lèvres en me racontant cela. A-t-elle peur de paraître trop pathétique à mes yeux ? Ce n’est pas moi qui risque de la juger de réagir face à cela de manière trop sensible et je mentirais si je disais que je ne compatissais pas un minimum à sa peine. Cela ne veut pas dire pour autant que je la considère désormais comme une pauvre fille qui perdu ses parents il y a peu. J’ose seulement espérer qu’elle ne feint pas d’être forte simplement devant et qu’elle arrive réellement à aller de l’avant. Ironique quand on sait que c’est ce que je fais en permanence de mon côté.

« Je vois…, sans surprise, je suis à court de mots pour le coup, c’est bien si tu as quelqu’un pour prendre soin de toi. »

Pire comme déclaration on en trouve peu. Je suis toujours un peu décontenancée quand il s’agit d’encourager quelqu’un quand il traverse une mauvaise passe, sans doute parce que rien de ce qu’on a pu me dire jusqu’alors ne s’est avéré efficace. Je n’aime pas vraiment utiliser des phrases type comme « ça va aller » ou « ça passera avec le temps, tu as la vie devant toi », parce que ce sont des mots tellement factices qui ne signifient pas grand-chose sur l’instant. D’autant qu’on n’est jamais vraiment sûr que les choses iront réellement mieux. Finalement, je n’ai pas vu le temps passer et je jette un œil à ma montre, constatant que j’ai effectivement un peu traîné. Ryû doit être rentré depuis un moment et j’ai oublié d’accrocher un post-it quelque part au cas où, même si en soi, une balade n’est pas encore considéré comme un crime quand on est enceinte.

« Tu ne m’as pas du tout dérangée, je la rassure avec un air bienveillant, si tu as encore des interrogations, n’hésite pas, mon emploi du temps est très light, j’ajoute avec un petit rire, la prochaine fois, c’est moi qui t’inviterai ! »

Qu’on ne se leurre pas, elle n’a pas besoin de me payer pour les maigres conseils que je peux lui fournir. Cela me dérange déjà un peu qu’elle s’occupe de régler nos boissons aujourd’hui, il n’est pas question que cela devienne une routine. Sur ce, je me lève en vue de partir, la salue toujours avec le sourire, sans manquer  de lui donner quelques tapes sur l’épaule en lui souhaitant bon courage. Car oui, elle en aura besoin si elle est décidée à marcher dans mes pas.