Un vendredi du mois d'octobre

pyjama ☇ La lumière était éblouissante, si bien forte et rayonnante qu’il n’y avait quasiment pas d’ombre dans la chambre. Les murs d’un blanc délavé étaient recouverts de feuilles ;  du simple post-it au schéma de conception d’un drone ou encore de photographies du prochain lieu de mission.  Et sur son bureau qui faisait presque une bonne partie de la chambre, son atelier. Elle, elle était allongée sur le parquet froid qui lui gelait presque le dos, avec une pile de livre en guise d’oreiller. Les yeux rivés sur l’horloge mécanique accrochée au mur devant elle, elle regardait la trotteuse décrire inlassablement ses rondes de soixante arrêts. De cette façon, elle espérait toujours que cette course finirait par l’assommer, mais elle pouvait rester ainsi jusqu’au petit matin. Il était vingt-trois heures et cela faisait deux heures qu’elle avait quitté le salon en prétextant le besoin de repos pour éviter de dîner en tête à tête avec lui, ou pour tout simplement ne pas le voir.

Le vendredi soir sonnait comme le début de son calvaire. Si toute la semaine, elle pouvait trouver mille et une excuse pour rentrer tard voire pas du tout, elle était sûre de le retrouver quasiment sur le palier de la porte en train de l’attendre à dix-huit heures tapantes. En soi, elle pouvait serrer les poings et laisser passer ce couvre-feu spartiate, mais quand elle savait que les quarante-huit prochaines heures, elle allait à coup sûr les passer dans cet appartement miteux avec lui, cela la rendait folle. Ses excès de colère étaient moins nombreux, il le fallait bien au bout de trois ans. Elle avait appris à ses dépens de prendre sur elle, d’économiser ses forces mais une chose était sûre : mais moins elle le voyait et mieux elle se portait. Enfin, c’est ce qu’elle disait parce qu’il ne voulait pas admettre que parfois, elle avait vraiment besoin de lui. Comme ce soir-là. La raison pour laquelle elle ne veut pas rentrer le soir, c’est parce qu’à chaque fois, elle savait qu’elle allait devoir frapper à la porte de sa chambre si elle voulait trouver le sommeil.

Ce cercle vicieux, elle voulait y mettre fin. Elle ne savait pas par quel moyen y parvenir, mais elle allait trouver. Elle se redresse avant de s’étirer félinement, pour finalement quitter sa chambre et traverser le petit bout de couloir. Un regard à gauche, puis à droite, il ne semblait pas présent. Elle se dirige vers la cuisine, l’air désintéressé alors qu’elle scrute la moindre trace du repas.

Un vendredi du mois d'octobre

pyjama ☇ Son sang se glace lorsqu’elle entend les pas silencieux de son pseudo-tuteur, du moins lorsqu’elle réalise qu’il est à cinquante centimètre d’elle, elle soupire intérieurement. Bordel, pourquoi a-t-il fallu que je me pointe maintenant ? Elle voulut improviser mais au lieu de ça, elle bascula vers l’avant. « Putain de vieux schnock » cracha-t-elle en se massant la fesse douloureuse, avant de rabattre sur sa tête, sa capuche, et grommeler vaguement d’autre injures d’une voix quasi-inaudible. « On a faim le chat ? Les restes sont dans le frigo. » Plutôt mourir que manger ce qu’il avait préparé, l’appétit coupé ou du moins, maintenant qu’il lui proposait, elle avait étrangement plus envie de manger. Les lèvres pincées, la mine affligée, les mains dans les poches de son pyjama hyper huppé, elle pénètre dans la cuisine. Soudainement la pièce devenait trop petite, peu importe où elle se plaçait, elle était toujours trop proche de lui.  

Le toisant de bas en haut, elle ne put s’empêcher d’avoir un rictus sur le coin des lèvres, s’il pouvait attraper froid, elle en serait heureuse ; une bonne pneumonie. Elle haussa les épaules et ouvrit une étagère pour y sortir un verre, le fond de celui-ci ayant une trace blanche suspecte, elle le rinça par précaution. « Ramen ? » elle saisit la carafe d’eau et verse le contenu avant de porter le verre à ses lèvres et boire deux gorgées. Elle avait faim, pas soif. Quel merdier. « Tu vas ajouter quelque chose à la MSG ?  » répondit-elle, blasé, bien que si les rôles aient été inversés, elle aurait évidemment rajouté quelque chose du type laxatif vu que le poison n’avait aucun effet sur lui, comme sur elle. La demoiselle avale d’un trait l’eau avant de se resservir un verre et répéter l’action. Elle repose son verre, avant d’ouvrir une autre étagère et kidnapper la boite à bonbon. « Bouffe seul  » gros con, à manger avec lui, elle aurait une indigestion.  Maintenant qu'il contrariait ses plans, elle glissait vers la sortie, sans demander ses restes.  Franchement, qui mangeait à cette heure-ci ?

Un vendredi du mois d'octobre

pyjama ☇ Dépossédée de sa boîte à bonbon et obligée de ranger un verre, l’adolescente leva les yeux au ciel avant de s’exécuter sagement. Ce n’était que le commencement, elle ne comptait pas de faire de dommages collatéraux pour l’instant, sachant que la durée des assiettes et des verres avaient un durée de vie très limité dans cet appartement. Elle l’entend claquer la porte de sa chambre et elle soupire, exaspérée. Elle rêvait d’indépendance, une folie, elle en était consciente, mais Xia He était étouffant. Elle ne savait pas ce qu’il voulait, si ce n’était l’enfermer de façon quasi-maladive. Pas de sucre, et puis quoi encore ? Ce n’est pas comme si manger des ramens étaient plus équilibrés ; les deux craignaient. Vérifiant que monsieur avait bien fermé sa porte, un sourire s’étire ses lèvres, son regard se fit enjoué. Saisissant les chaussures de Xia He qu’elle cacha un peu partout dans le salon, avant d’ouvrir la fenêtre, peut-être pensera-t-il qu’elle est sortie de ce côté. Elle n’y croyait pas mais le retenir ne serait-ce que cinq secondes, c’était pas mal. En un rien de temps, elle se chaussa de ses baskets et elle partit de l’appartement en toute discrétion. Elle avait faim, à l’extérieur, il y avait des stands, elle irait là-bas. Elle avait son pyjama, et alors ? Les gens dans ce pays s’habillaient de façon encore plus exubérante qu’elle. Elle n’irait pas loin, juste dans le coin où elle avait l’habitude trainer lorsqu’elle voulait prendre l’air. La demoiselle ne se préoccupa pas de son tuteur, il la retrouvera, c’est ce qu’il faisait de mieux après le fait de lui pourrir la vie. Elle laissait des indices, volontairement presque, mais ce soir, elle s’arrêta à un stand de rue peu fréquenté. « Obasan, tes meilleurs Yakisoba ~  j’ai faiiiiim  » chouina-t-elle en se glissant derrière la vieille femme pour lui faire un câlin, la pauvre sursauta mais lui pris la main pour la serrer dans les siennes. «  Assis-toi, je vais te faire ça tout de suite . »  Qing Zhao lui embrassa bruyamment la joue avant de s’asseoir à l’une des tables.  Le stand se situait sous le pont, un endroit calme et uniquement connu par les clients les plus fidèles. «  Encore à le fuir ? » demanda la vieille femme en plongeant dans l’eau bouillante les pâtes. Elle ne connassait Xia He que de ce qu’elle lui racontait. « Toujours, c’est compliqué… Si tu le vois…  ».. « tu me caches ! » dirent-elle à l’unisson. L’adolescente ria.  

Un vendredi du mois d'octobre

pyjama ☇ Parfois, elle se demandait ce qu’elle faisait ici, à rire alors que ces éclats éphémères ne trouvaient jamais écho. À respirer et vivre au jour le jour cette existence étouffante dès lors que le jour déclinait et que plus rien ne l’occupait. Lui pourrir la vie, le faire souffrir, voir dans ses regards du remord, jeter toute sa haine à son encontre, elle pouvait le faire mais pas indéfiniment. Elle avait beau détruire tout ce qu’elle possédait, rien ne semblait pouvoir le ramener lui, Leng Xue. Au bout de trois ans, elle se sentait déjà plus las, plus douce et plus amère. Beaucoup de choses lui torturait l’esprit, beaucoup de questions, mais elle ne pouvait pas le partager. Bien trop intime, bien souvent sans réponse possible. « Obasan, tu crois qu’en grandissant, je trouverais toutes les réponses à mes questions » demanda-t-elle, regardant droit dans les yeux, la vieille femme, avant de faire mine de s’étirer en voyant se dessiner sur le visage ridé de cette dernière, de la perplexité. Les questions sérieuses avaient toujours le don d’assombrir l’expression des adultes, comme si au fond, mettre face à la réalité un enfant dérangeait. Mais Qing Zhao n’était plus enfant, malgré ses traits très juvéniles, elle portait des cicatrices qu’un enfant ne devait connaître à cet âge, dans cette vie. « Ne fais pas cette tête, je plaisantais. Dépêche-toi, j’ai faim, très faim de tes yakibosa, tu ne m’en voudras pas si je te ramène demain l’argent ? » Finit-elle par dire en faisant les yeux doux, c’était un problème récurrent, le fait qu’elle oublie de prendre son portefeuille. La dame avait l’habitude, à ce qu’elle se fasse payer le lendemain et acquiesça, avec cet air que vais-je faire de toi ?

Le problème résolu, la demoiselle posa sa tête contre la table en plastique, le regard rivé vers le paysage nocturne, les flots miroitants du fleuve Sumida.  Le vent frais lui balaie doucement les cheveux, elle sent ses forces se vider. « Qing Zhao. » Son sang se glaça un instant avant que son expression reflète parfaitement les sentiments qui la traversaient : la surprise, l’exaspération, l’agacement. Elle se redresse sur son tabouret et le fusille du regard. « Le laquais fait son apparition » articula-t-elle, dents serrés, d’une voix quasi-inaudible. Décidemment, il n’avait rien d’autre à faire que l’ennuyer. Pour une fois qu’elle voulait la paix, il déterrait la hache. « Tout ça car je ne sais pas cuisiner tu fuis ? » Elle passe sa main dans ses cheveux, geste de frustration avant de le décocher un regard mauvais. « Quelle perspicacité, dégage. » rétorqua-t-elle en chinois, impassible, poings fermés.

Un vendredi du mois d'octobre

pyjama ☇ Si seulement elle pouvait saisir les baguettes rangées dans le verre en plastique d’un orange délavé au centre de la table et les lui planter en pleins cœur, elle pourrait enfin se libérer de lui. La mort ou rien, il devait crever pour qu’elle puisse de nouveau respirer, sans entrave, sans avoir à partager le même air que lui. Il s’installa à côté d’elle, même pas en face, alors elle glissa son tabouret sur le béton. Elle préférait l’avoir de face, le subir ainsi que d’être à proximité de lui. « Quelle règle de vie ? C’est pire que là-bas » rétorqua-t-elle, le sourire mauvais. Là-bas, elle faisait allusion à la caserne, là où elle avait passé quasiment toute sa vie, jusqu’à qu’il l’arrache de ce qui a toujours été pour elle, son repère. Elle aurait voulu y retourner, les recontacter mais elle savait que par sa faute, elle tout comme lui avait été radiée. Si elle comptait remettre les pieds, vivante, elle devait revenir avec la tête de cet homme. « Ce n’est pas une vie, mais un enfer » murmura-elle, toujours en chinois, presque sans bouger ses lèvres. Une demie confession, un demi aveu, elle ne vivait pas elle subissait. Il était son tortionnaire, elle rêvait de mort mais lui l’en privait. L’adolescente repoussa la main tendue de Xia He tout en claquant sa langue et attrapa l’assiette, c’était la sienne qu’il attende son tour. « Je préfère amplement que tu manges ça que des sucreries si tard », sa main se crispe sur les baguettes qu’elle venait d’empoigner. Tout en lui faisant la misère, il avait ses mots  qu’un frère aurait dit à sa sœur, sauf qu’il n’était pas son frère, il n’était pas Leng Xue et jamais il pourrait le remplacer, puisqu’il l’avait tué. En le laissant là-bas, il l’avait condamné. « Tu es mal placé pour me donner des conseils », sa voix était rauque, tremblante sous la rage qui l’envahissait, elle cache ses mains sous la table, plantant ses ongles contre sa propre peau.  L’enfant ferme les yeux, inhale l’air frais qui lui brûle les poumons, avant de saisir de nouveau avec nonchalance ses baguettes dans ses nouilles sautés et avaler sans réellement savourer sa première bouchée.  Elle le regarde droit dans les yeux, « bois, fume et crève putain. Si tu veux te détruire, fais-le bien. Ne viens pas me pourrir mon existence »

Un vendredi du mois d'octobre

pyjama ☇ Son corps se raidit lorsqu’elle voit la main de Xia He se lever. Pourtant dans son intérieur, l’adolescente l’encourageait à aller jusqu’au bout de son geste, elle le mettait même au défi de continuer. Au moins, elle aurait une raison de plus pour le détester davantage, de le rejeter avec autant de hargne. Des limites ? Elle n’en avait pas, parfois elle se disait qu’elle devait s’arrêter mais elle ne trouvait pas de freins à sa colère, avec ou sans elle, elle se sentait déjà perdu. Mais sans, il y aurait ce vide en elle, ce trou béant que rien ne pouvait combler ou rassasier. Un fin rictus s’étire sur ses lèvres, peureux. Elle hausse les épaules, et baisse le regard pour manger de nouveau, avec davantage d’appétit que tantôt. « Ah. J’ai plus faim. » La chinoise ne lui prête pas le moindre regard, se concentrant sur son bol de nouille qui se vidait lentement. Elle mâche, avale, et se resserre, un geste mécanique, pourtant, du coin de l’œil, elle l’observe. Elle notait dans un coin de sa tête qu’elle ne pouvait désormais plus trop traîner ici, maintenant qu’il connaissait l’endroit, elle devait aller trouver un autre stand. « Rentre à la maison quand tu as fini. » Il pouvait rêver, maintenant qu’il le lui intimait elle avait encore moins envie de retourner à l’appartement. Lui obéir, le conforter à l’idée qu’elle finirait par se soumettre, pas question. « Je rentrerais quand bon me semblera » murmura-t-elle en lui tirant la langue lorsqu’il eut un instant le dos à elle. Mais son geste la déconcerta, elle avait moins froid, veste sur ses épaules. Elle lève les yeux, sceptique, ne sachant pas quoi répondre. « N’attrape pas froid. » Elle le détestait ainsi, encore plus. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire qu’elle se choppe un rhume ? Elle n’allait pas se plaindre à lui. « Reprend ta… » Elle se lève mais il est déjà parti. Elle se rassie, le visage dubitatif, écarte son bol et pose son front contre la table. Elle soupire, tout ça, ça la fatiguait. « Obasan, je ne le comprends vraiment pas, je le déteste et pourtant, parfois… je doute » confessa-t-elle, les yeux fermés. Parfois, elle regrettait leur relation d’avant. « Mais je ne rentrerais pas. De toute façon, si je pouvais disparaitre, on serait tous heureux. Il n’aura plus cette responsabilité, ce poids et moi, je serais libre… » et peut-être heureuse. L’adolescente se lève finalement remercie la vieille femme et traîne des pieds le long du fleuve, au bord du fleuve. Elle ne voulait pas rentrer, dans tous les cas, ça allait être pire que la mort.

Un vendredi du mois d'octobre

nouveau pyjama ☇ La proximité du fleuve faisait que le vent nocturne était particulièrement froid et fort, mais pas suffisamment pour chasser toutes les pensées qui lui empoisonnaient l’esprit. La scène se joue en boucle, inlassablement, résonne dans ses oreilles les mots qu’elle avait prononcé plus tôt ; elle savait qu’elle était allée trop loin, qu’elle l’avait blessée, mais pas un seul instant l’idée de s’excuser lui traversait l’esprit.  C’était souvent la même scène qui se répétait, chaque fois qu’il la contredisait, elle réagissait au quart de tour, en allant même jusqu’à des extrêmes et peu importe ce qu’il lui disait, elle refusait obstinément de l’écouter. Ses pas la guidèrent jusqu’au dortoir de la Royal, mais l’extinction des feux et l’absence de clé ont compromis ses chances de pouvoir dormir ailleurs. C’est avec les pieds lourds qu’elle prit le chemin pour retourner dans l’appartement qu’elle partageait avec Xia He. Avec peu d’entrain, elle montait une par une les marches de l’escalier pour arriver devant le palier. Si elle avait pu, elle se serait faufiler par la fenêtre de sa chambre qu’elle laissait souvent ouverte mais les murs lisses et l’absence d’équipement rendait l’expédition périlleuse voire suicidaire. Un dernier soupire, un dernier compte à rebours jusqu’à vingt et elle pousse avec précaution la porte d’entrée. L’obscurité ambiante la rassure, il était couché. Silencieusement, elle se déchausse et à pas feutré, elle rejoint sa chambre. Chambre, le mot était accessoire car la pièce lui serait d’avantage de bureau, de salle d’opération comme elle aimait le dire, que de pièce où elle se couchait. Elle avait un lit, mais c’était seulement pour la forme. La chinoise chercha une activité pour l’occuper jusqu’au petit matin, mais rien qui la plongeait dans cet état de transe où le temps donnait l’impression de filer à toute allure. La seule activité qui l’occupa au moins dix minutes, fut le choix de son pyjama. Elle n’allait pas se coucher avec l’actuel, elle était sorti avec comme une crétine, du coup un nouveau s’imposait. Finalement, elle opta pour un vert  avant de sortir de la pièce et se figer devant la porte de la chambre de Xia He pour une vingtaine de minute. La main posée sur la poignée, elle se décida à abaisser la poigner et entrer. Elle avait hésité entre y aller à quatre pattes pour se glisser sous la couette, ou y aller franchement, mais dans tous les cas, elle savait que le sommeil d’un soldat était superficiel, qu’il devait même être déjà éveillé. Afin d’éviter de sa taper la honte, c’est d’une démarche nonchalante, qu’elle pénétra la chambre pour rejoindre le lit, sauf qu’au lieu de faire le tour de celui-ci, elle préféra écraser Xia He et s’étaler comme une masse sur le matelas, en mode étoile de mer. Parce que sa main était déjà sur le visage de son frère, elle en profita pour le piquer de l’index. «  Tu dors ? »  

Un vendredi du mois d'octobre

nouveau pyjama ☇ Sans gêne, elle le savait mais n’en avait absolument pas honte car il ne dormait pas. À quoi bon les bonnes manières si monsieur avait certainement les yeux grands ouverts ? Elle plaidait non coupable. La question était innocente, mais elle ne s’attendait pas à ce qu’il lui réponde et lui empoigne le poignet pour l’attirer contre lui. Silencieuse, malgré l’obscurité elle tente de discerner les traits de son visage mais l’exercice est difficile. Elle frémit lorsqu’elle sent les doigts de Xia He lui caresser les cheveux. Le premier réflexe qu’elle eut fut de s’approche de lui pour voir s’il n’avait pas bu avant de dormir car il était louche, mais vraiment louche. « Qing Zhao…Tu as tellement grandis » elle eut une grimace, qu’est-ce qu’il racontait encore ? Il déconnait sérieusement le vieux ou alors Obasan avait glissé une substance bizarre dans ses nouilles. « Hmm… » Pas suffisamment pour pouvoir quitter cet appartement pensa-t-elle. La majorité, elle était bien à dix-huit ans non ? Elle espérait qu’une chose, partir. Et puis avant ça, régler toutes ses mauvaises habitudes qu’elle avait.  « Et toi, tu ne vas pas tarder à devenir sénile » chuchota-t-elle en haussant les épaules.

Si elle aimait bien qu’il lui touche les cheveux, le baiser frontal en revanche manqua de l’achever, avant même qu’elle y réfléchisse, elle se recroquevilla, du moins pour placer son pied contre l’estomac de Xia He et le repousser hors du lit.  Oups. « Shiiiit. Trouve-toi une copine, tu vas ressembler au pervers qui couche trois rues plus loin » lui cria-t-elle presque en essuyant d’un revers son front. Elle attrapa un oreiller et y enfouit son visage. Le souci n’était pas le geste, c’était plutôt sa réaction à elle. Elle n’avait pas besoin de miroir pour savoir qu’elle avait le visage cramoisi.   « Va te brosser les dents, tu pues de la gueule en plus » bafouilla-t-elle en lui tournant le dos.

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ Il part, elle respire de nouveau ou du moins, s’agite sur le lit, pestant et donnant des coups dans le vide. La honte,  elle avait les joues fiévreuses et les oreilles rouges, elle tenta de se calmer en collant ses doigts glacés mais en vain. Parfois, Xia He lui faisait complètement perdre les pédales. Lui le mettait sur le compte de son immaturité, mais elle, elle réfléchissait dessus pendant des heures parfois même plusieurs journées. Elle n’était qu’une enfant à ses yeux, mais les filles ne sont-elles pas matures plus jeune ? Il revient et elle se fige.

« Tu joues la grenouilles cette fois ? » Elle adorait ses les pyjamas qu’elle s’achetait, s’il y avait une chose qu’elle aimait depuis qu’elle était arrivée sur le sol japonais, c’était bien ces petites créatures qu’elle pouvait enfiler la nuit. Confortable et mignon, elle rêvait d’avoir une collection à faire craquer son armoire. En attendant, elle se débattait, tentant de fuir son emprise mais monsieur a les bras lourds et n’en fait qu’à sa tête. Après un soupire, il la laisse tranquille et continue de lui pincer la peau du bras, gentiment. Finalement, elle se redresse et garde une position assise, coiffant rapidement ses cheveux de ses doigts. Elle avait des nœuds grâce à lui. Pft. «  C’est toi le crapaud ! Tu crois qu’en m’embrassant tu te redeviendrais un prince ? » Chuchota-t-elle en levant les yeux vers lui, un sourire espiègle étiré sur ses lèvres, elle se fichait clairement de lui car pas un seul instant elle n’avait pensé de lui de cette façon. Même au temps de la caserne, il n’était pas un prince, juste un modèle, un soldat sur lequel on pouvait espérer qu’il reviendrait toujours de ses missions.  « Tu dors ici ? » Elle hausse les épaules et en guise de réponse, se glisse dans la couette. « Tu crois que j’ai envie de dormir ici ? » Elle lui attrape le bras pour mieux caler sa tête dessus. « Tu ronfles, t’es mort »

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ Sachant pertinemment qu’il ne pouvait la voir, elle roula des yeux, elle ronfler ? En guise de représailles ou de réponse à cette déclaration erronée, l’adolescente lui assena un coup de poing dans les côtes et un second pour lui avoir ébouriffé les cheveux. « T’es chiant, je venais tout juste de les arranger » fulmina-t-elle avec exaspération, sans pour autant se redresser et les coiffer ; elle se résigna à tenter de les peigner archaïquement à l’aide de ses doigts. Elle abaissa sa capuche et secoua ses cheveux, pas de nœud garantie, normalement. Ajustant un peu plus la position de sa tête sur le bras de Xia He, elle ferma finalement les yeux. Elle repensait à beaucoup de choses, souvent les mêmes lorsque l’heure du sommeil sonnait mais contrairement aux nuits seules, la chaleur et la proximité d’une personne l’aidait à chasser l’insomnie et les cauchemars qui l’accompagnait. Une faiblesse qu’elle aurait voulu cacher, surtout à lui, mais chaque soir, il y avait ce même rituel. Depuis qu’ils avaient quitté la Chine, la vie semblait plus calme mais seulement en apparence.

Elle sent une main lui frôler le visage, elle a se petit gémissement pour exprimer son insatisfaction, un dégage ou laisse-moi tranquille sans avoir qu’elle ouvre la bouche.  De nouveau, il lui embrasse le front, instantanément ou presque elle porte sa main sur son front, les yeux ouverts. « T’abuses ! » siffla-t-elle en collant sa main libre sur le bas du visage de Xia He. Parfois, elle voulait le comprendre, d’autre non et c’était le cas. Elle ne savait pas absolument pas ce qu’il pouvait se passer derrière le crane de cet imbécile mais elle ne tenait absolument pas à le savoir. « Y’a pas de princesse ou de jolie fille mais juste un gros crapaud dégueulasse. » Elle baisse sa main et s’essuie dynamiquement le front. Elle se relève un peu, juste pour chasser le bras de Xia He et saisir un oreiller et prendre un peu plus de distance. « Tu ne tournes pas rond, Xiao Lu. »

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ Parfois, elle se demandait si elle ne devrait pas se droguer au somnifère, peut-être que ça pourrait l’endormir une bonne fois pour toute au lieu de subir de séance nocturne. Soit c’était elle qui buvait la petite poudre blanche dissoute dans l’eau, soit c’était lui mais si elle devait estimer qui avait une chance de vivre plus longtemps et sainement, c’était bien elle donc c’était à lui de se sacrifier. Après tout, ce n’était pas la voix rocailleuse de Xia He qui lui servait de berceuse, loin de là. « Toi, t’es chelou, chiant et assommant, même les discours de la vieille démente sont plus intéressants »  au moins, cela la faisait rire. Cette vieille dame racontait beaucoup de choses, des mélanges entre son passé, ses rêves et les sensations qu’elle éprouvait. Qing Zhao avait de la compassion pour cette dame, et parfois, l’écoutait, se faisait passer pour cette petite fille qu’elle attendait jour après jour tout en oubliant le lendemain qu’elle était venue. « J’aimerais bien dormir, mais c’est toi qui m’embête.» ronchonna-t-elle en lui donnant un coup au niveau des côtes de son pied. Elle remonte la couverture sur elle et tente de trouver une position confortable mais l’oreiller était bien trop plat et avait une odeur hyper bizarre. « Par tes conneries, j’ai plus sommeil en plus  », elle relève le museau, voyant le visage du ringard à côté d’elle baigné dans la lumière artificielle de son téléphone, elle s’approcha un peu pour voir ce qu’il pouvait faire dessus et ne voyant pas réellement, elle s’accoude et pose son menton sur son épaule. « Tu fais quoi ? Tu envoies des sms à ta copine ? » railla-t-elle en fixant l’écran. La question était enfantine, anodine mais aussi moqueuse. Oui, elle était curieuse mais elle ne pouvait pas le demander gentiment, normalement.

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ La chinoise soupira, levant les yeux un instant avant de répondre du tac au tac, presque sèchement : « pour savoir, la curiosité comme tu le dis. » Hormis la curiosité, rien d’autre ne pouvait réellement la motiver quand il s’agissait de Xia He, sauf si quelqu’un avait la solution miracle pour lui dire comment résoudre tous les problèmes que ce dernier lui posait. Lui pourrir la vie, c’était une autre histoire et elle n’avait pas besoin d’écouter les suggestions naïves et plus enfantines qu’elle pouvait envisager d’elle-même. Mais si jamais un tiers venait à se présenter, elle devait le prendre en compte car l’adolescente estimait avoir le monopole exclusif de la personne de Xia He. Il ne pouvait être libre, sans qu’elle puisse exercer un contrôle en amont. Continuant à observer ses activités sur son smartphone, notamment à observer des étudiants dans leur quotidien éloigné du cadre universitaire, la demoiselle s’amusait à enfoncer son menton dans son épaule. Si au réveil il avait une douleur par sa faute, elle serait ravie de l’entendre râler. « Tu n’as toujours pas répondu à ma question » chuchota Qing Zhao en ne voyant toujours pas de demoiselle qui pourrait potentiellement occuper le rôle ; de toute façon,  répéter indéfiniment, elle savait le faire et avec patience pour le coup.  « Tu veux faire quoi pour ton anniversaire ? C’est bientôt. Tu veux que je t’amène quelque part ? Visiter le pays ? Manger un truc spécial ? » À la question, elle avait certainement beaucoup de vœu à formuler, mais il les connaissait tout. Si on oubliait les coutumier souhaits qu’il disparaisse et dans d’atroces souffrances, elle souhaitait désespérément retourner à la Mère Patrie, y retrouver son frère, qu’importe si elle devait mourir. Ses pensées s’évanouissent, la proximité du visage de Xia He lui coupe le souffle. Troublant, même dans l’obscurité, elle discernait son visage comme si les rayons diurnes avaient irradié la chambre miteuse. Il se détourne et elle respire de nouveau, mais le comportement de Xia He attise sa curiosité, bien plus que l’histoire d’une petite-amie potentielle. « Quoi ? » sa voix déraille, elle est elle-même surprise du son qu’elle venait de produire, mais elle pose sa main sur l’épaule de l’imbécile et le force à lui faire face. « Il t’arrive quoi le vieux ? » Un sourire amusé s’étire sur ses lèvres.

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ Peut-être que si cela ne faisait pas trois ans qu’elle vivait un calvaire quotidien avec lui, elle l’aurait cru lorsqu’il lui disait qu’il n’y avait rien. En ayant passé la plupart de son temps à l’observer bien plus qu’à la caserne, elle avait appris non pas à deviner le fond de ses pensées –bien trop complexe,  dense pour le faire en trois années surtout sur un soldat entraîné – mais simplement à remarquer les micro-expression faciale qui pouvait le trahir. « Tu mens ! » s’exclama-t-elle en brisant le silence, impressionnée de pouvoir enfin assister à un changement dans le comportement de son pseudo-tuteur. C’est comme si elle venait de faire une découverte après de longue recherche, à la manière d’un scientifique qui voyait réaliser un changement inespéré, promesse d’une réussite prochaine. L’excitation était telle que sa voix montait sans peine dans les aigues, et qu’un grand sourire s’esquissait sur son visage. La chinoise trouvait plus intéressant de connaître la raison pour laquelle il lui mentait que de savoir ce qu’elle aurait pour son anniversaire. Fêter un anniversaire ne voulait rien dire, ce n’était pas en dix-sept ans de vie qu’elle allait commencer. Si elle voulait fêter une chose, ce serait peut-être le passage à l’indépendance, sinon le reste semblait inintéressant. Et même si elle fêtait une chose, elle était certaine qu’elle ne l’inviterait pas, car sa simple présence lui suffisait à lui couper tout élan festif. Pour rendre une journée spéciale, il fallait qu’il en soit absent, c’est ce qu’elle se disait. « Tu es en train de mentir » se répéta-t-elle, comme pour être certaine de ne pas halluciner. Cela ne voulait pas dire qu’il ne lui mentait jamais, mais il y avait quelque chose de différent ce soir-là, et elle en était convaincue. Jusqu’à présent, elle n’avait jamais vu ce genre de comportement de sa part.

Qing Zhao se redresse en position assise, avant de lui saisir le visage de ses deux mains. « Répond-moi, que caches-tu ? » Pour être certain qu’il cesse de lui tourner le dos, pour l’esquiver, elle s’assied sur lui, si elle avait un pistolet, elle le lui aurait bien posé sur la tempe, mais la seule chose qu’elle disposait, c’était le trouble de cet imbécile.