L’entraînement avait fini plus tard aujourd’hui au vue des matchs qui arrivaient la semaine d’après. On avait eu un peu de repos niveau compétition mais cela revenait en flèche et ce n’était pas des plus encourageants. Du moins pour moi qui n’était pas motivé par tout ça. Je soupirai tandis que je restai encore sur le terrain, observant autour de moi pendant que mes coéquipiers se changeaient dans les vestiaires. Je n’aimais pas être avec eux, ils m’insupportaient et je savais pertinemment que si je me changeais en même temps, ils trouveraient toujours un moyen de s’en prendre à moi. Alors à force j’avais commencé à venir plus tôt le matin et partir plus tard après l’entraînement lorsque tous ne seraient plus là. Je perdais beaucoup de temps mais au moins mes ennuis diminuaient quelque peu. M’asseyant sur le banc je soufflai de lassitude, contemplant l’enceinte du Tokyo Dôme sans grand intérêt. Quand je pensais qu’adolescent, j’admirais ce terrain et que mon plus grand rêve était de pouvoir un jour le toucher de mes propres pieds, de courir de base en base comme un fou afin de marquer des points, d’avoir l’impression d’enfin toucher les étoiles, je me trouvais stupide. C’était tellement différent de ce que je m’étais imaginé et je regrettais de ne pas avoir écouté mes parents à l’époque. Même s’ils étaient fiers de moi aujourd’hui - sûrement - je me le reprochais parce qu’au bout du compte, c’étaient eux qui avaient raison. Néanmoins quand on est jeune, on n’écoute pas les adultes et on n’en fait qu’à sa tête. On pense toujours que ce sont eux qui ont tort alors qu’au final, ils ont beaucoup plus d’expérience que nous leurs enfants.

Buvant quelques gorgées d’eau et m’essuyant le visage de ma serviette de sport, je m’échappai enfin dans les douches où je me changeais ensuite. Les autres Giants étant partis. Je traînais encore un peu dans les vestiaires et pris la route en direction de mon quartier, mon sac de baseball sur les épaules. Je n’habitais pas à côté cependant j’aimais beaucoup marcher, cela me permettait de m’aérer, de me libérer l’esprit et de penser à autre chose tout en contemplant ce qui m’entourait. Je préférais cette sensation plutôt que prendre ma voiture ou le métro. Tokyo était toujours animé, peu importait l’heure, il y avait énormément de monde dans les rues mais plus dans les bars-restaurants en réalité. J’évitais les trottoirs bondés, la foule des quartiers en passant par les parcs qui étaient plutôt déserts à cette heure tardive. Ginza n’était pas forcément la porte à côté mais j’avais de la chance d’être sportif et de marcher plutôt vite. Je m’apprêtai à sortir de l’autre côté du parc lorsque j’entendis des bruits près de moi. Arquant un sourcil je m’interrogeais sur quoi faire, partir sans me poser de questions ou aller voir d’où provenait ses bruits étranges. C’était glauque et je savais que je ne devrais pas m’aventurer dans ce genre de chose néanmoins ça m’intriguait... Juste voir, ne rien faire, pour ne pas avoir à me tracasser après. Je soupirai. D’avance je savais que ce n’était pas une bonne idée, que je devrais faire demi-tour pendant que j’en avais encore le temps toutefois c’était comme si mes jambes se mouvaient d’elles-mêmes. J’étais plus curieux que je ne l’aurais songé. Je crois surtout que c’était parce que ça n’aurait cessé de me tourmenter alors que ça paraissait louche. Si ça l’était, je n’avais qu’à me faire discret et appeler la police. Hors, tandis que je m’approchai doucement, marchant sans faire de bruit, mes pupilles s’écarquillèrent à la vue de la scène qu’elles observaient. Discrètement je sortis mon téléphone, près à contacter le commissariat cependant un détail attira mon attention et je regardais à nouveau ce qui se passait. Il y avait deux gars assez baraqués - autant dire qu’à côté, je ne faisais littéralement pas le poids - et une femme.  Rien qu’à les voir, ça m’écoeurait. Ils essayaient de s’en accaparer, l’un et l’autre en la tenant fermement. C’était évident que la victime n’était pas consentante au vue de ses réactions et ce qui me figea littéralement sur place était probablement l’identité de cette « victime ». Je trouvais qu’elle me disait quelque chose, qu’elle ressemblait étrangement à une connaissance et je ne m’étais pas trompé. Sae Ra. Qu’avait-elle fait encore ? A eux aussi, elle a tenté de leur faire des câlins sauf que finalement elle n’avait pas obtenu l’effet escompté ? Je ne savais pas quoi faire. Je ne pouvais pas rester là sans intervenir et je ne pouvais m’en aller non plus. Appeler la police était inutile dans ce cas précis, sachant que le temps qu’ils arrivent ce serait trop tard. Quand je vis la main d’un des harceleurs commençait à soulever son tee-shirt, mon sang ne fit qu’un tour, je ne pouvais supporter ça. Les gens n’ont aucune moralité... J’empoignai fortement la lanière de mon sac de sport et me pressai vers eux, élançant l’objet en pleine face afin de l’obliger à lâcher toute emprise qu’il avait sur la jeune femme.

- Eh ! Tu es qui toi ?! Pesta l’homme, Dégage de là.

Il me bouscula en même temps qu’il balança mon sac un peu plus loin. Aie. Cela ne sentait pas très bon. Je l’entendis parler à son collègue, lui dire de s’occuper de moi tandis que je me plaçais automatiquement devant Sae Ra, lui bloquant le passage.

- N’approchez pas ! Criais-je en colère, les foudroyant de mes yeux sombres.

Mais c’était bien inutile. Je ne faisais pas le poids face à eux. Je le savais, cependant je ne pouvais pas faire grand chose d’autre. J’aurais sûrement du me battre avec la batte de baseball se trouvant dans le sac néanmoins il était à présent trop tard puisque ce dernier était trop éloigné de moi. Je les voyais déjà venir... L’un qui s’occupe de moi, l’autre de Sae Ra. Sans même réfléchir, je fronçai les sourcils et me tournai vers la jeune femme, l’enlaçant brusquement contre moi. Je la serrai le plus fortement possible, la protégeant des coups que ces vauriens pourraient donner. Je gardais l’étreinte renforcées, grimaçant lorsque je sentis les premières attaques qu’ils m’infligeaient. C’était douloureux cependant je ne réagissais pas ni ne criais. Cela leur ferait trop plaisir. Je ne montrais aucune émotion bien qu’au fur et à mesure que les minutes s’écoulaient, je me sentais faillir un peu plus. Je luttais pour garder les yeux ouverts et crispaient mes doigts sur les cheveux de Sae Ra, m’assurant qu’elle au moins n’avait rien. La seule chose que je faisais, c’était toussé à chaque fois que son pied heurtait mes côtes et me provoquait de violentes souffrances dans mon corps. J’avais l’impression que j’allais m’évanouir... Des coups j’en avais déjà reçu, pas qu’à une seule reprise cependant je crois que c’était la première fois que c’était aussi violent. Je n’osais même pas imaginer ce qu’ils auraient fait à cette infirmière si je n’étais pas intervenu... Je ne regrettais pas en fin de compte.  Mes paupières se fermèrent lentement, essayant encore de se battre pour ne pas se clore complètement.

- Ils me soulent, allez vient on y va !

Ses dires me permirent de ne pas flancher. C’était fini. Je relâchai doucement l’emprise que j’avais sur la jeune femme, me reculant de façon à voir si elle allait bien et un léger sourire s’étira sur mes lèvres en constatant qu’apparemment, elle n’avait rien. Du moins, pas physiquement. Je tentai de répliquer quelque chose, je voulais qu’elle me le dise de vive voix cependant aucun son ne sorti de ma bouche et je vacillai aussitôt, ma tête se retrouvant contre elle. Pour un garçon comme moi qui habituellement déteste le contact avec les autres - encore plus avec elle - j’estimais avoir fait fort aujourd’hui. C’était exceptionnel certes, je ne m’en étais pas rendu compte tant j’étais furieux contre ces types et que j’avais peur pour Sae Ra, mais j’étais assez fier de moi.

Je peinais à discerner tout ce qui se passait. Ma vue était troublée et mon corps tellement engourdi. Je me doutais que je n’était pas dans un excellent état. Les yeux faiblement entrouverts, j’observai Sae Ra devant moi qui s’agitait et je gardai ce léger - voir infime - sourire accroché à mes lèvres. J’étais rassuré. Au moins elle allait bien même si elle paraissait chamboulée, elle n’était pas blessée. J’avais envie de lui dire de se calmer, que ce n’était rien de grave, que je m’en sortirais cependant ma bouche resta fermée et mes paupières luttaient pour ne pas se clore. Je pouvais faire le fort, je ne me sentais pas en très grande forme en réalité. J’avais l’impression que c’était fini, que tout s’arrêterait là aussi bêtement. De toute façon, je ne considérais pas ma vie comme une grande importance. Qui s’en soucierait ? J’ai toujours été seul. Ce n’était pas maintenant que cela changerait. Personne ne pouvait reconnaître à quel point au fond je n’étais pas une mauvaise personne, que j’étais juste maladroit et que je ne savais pas dialoguer correctement. On me reprochait souvent mon sale comportement néanmoins jamais on cherchait à me connaître non plus. Personne n’était allé plus loin que ce qu’il entrevoyait. C’était triste dans un sens. J’avais mes parents certes cependant c’était différent. Ils n’étaient pas souvent là et malgré tout ce qu’ils avaient pu me donner jusqu’ici, cela n’avait rien à voir avec mon entourage. J’ai passé mes années de scolarité à essayer de me faire une place sans jamais y arriver, je n’ai jamais pu rencontrer mon fils, j’ai réalisé mon rêve qui a fini par se détruire, je suis dans une équipe qui ne fait que m’achever encore plus. Qu’est-ce que j’y gagnais là-dedans moi ? Rien. Je ne disais pas que je ne voulais plus vivre, ce n’était pas vrai. Malgré ça, j’avais envie de vivre, d’avoir espoir que la roue tournerait un jour, qu’à mon tour je pourrais connaître l’amour, retrouver mon fils et peut-être les joies de sentir un terrain de baseball frémir sous mes pieds. Seulement, quand je constatais les circonstances dans lesquelles j’étais aujourd’hui, je me disais que c’était sûrement inutile de se tourmenter autant, que c’était trop tard et qu’il était préférable de laisser tomber. Pourtant je luttais durement à garder les yeux ouverts malgré mes pensées saugrenues. Certainement que l’envie de vivre était plus forte que tout. Le fait de la voir seule à se tracasser autant m’aider probablement à ne pas abandonner complètement. Je ne pouvais pas la laisser dans cet état et je devrais la ramener chez elle, m’assurer qu’elle soit en sécurité. Ensuite, moi, on aviserait plus tard. Encore une fois, ça n’avait pas d’importance.

D’un geste faible, je posai ma main sur la sienne afin qu’elle arrête de gesticuler et qu’elle porte son attention sur moi.

- Je vais bien, Parvins-je à répliquer dans un murmure, Ce n’est pas de ta faute.

C’était difficile mais mollement, je réussis à bouger mes jambes l’une après l’autre. Je pris alors appui contre le mur derrière moi et tentai du mieux que je le pouvais de me redresser. Ma tête tournait, mon corps entier tressaillait de douleur et j’avais l’impression de ne pas avoir les yeux en face des trous.

- Je vais te...

« Raccompagner » avais-je voulu dire. Néanmoins le dernier mot n’était pas sorti et j’avais failli tomber de plus bel. Heureusement le mur à côté de moi me permettais de tenir debout sans avoir besoin de faire excessivement d’efforts. Je crois que c’était plus moi qui avait besoin de me faire raccompagner que le contraire en fait...

- Je n’habite pas loin, vient...

Je marchais comme je le pouvais, me saisissant de mon sac qui avait volé à terre et titubant, je manquais de trébucher de plus bel mais la jeune femme me rattrapa aussitôt. Je devais paraître tellement pitoyable... Je n’aimais pas trop ce contact, ma conscience semblait revenir petit à petit, cependant je dois dire que dans une telle situation, ce n’était pas de refus. Je fatiguais et je me laissais complètement traîner en indiquant mon adresse.
Lorsque j’eus repris plus ou moins mes esprits, j’étais allongé dans mon canapé. J’avais été conscient sans réellement l’être et une partie de moi peinait à se souvenir qu’on avait marchait jusqu’à mon appartement. Je grimaçai et voyant Sae Ra près de moi, mon premier réflex fut de me décaler un peu plus dans le fond du canapé. Je ne savais pas ce qu’elle avait en tête néanmoins je préférais m’éloigner, par précaution. Mes pupilles la détaillèrent de haut en bas et finirent par la contempler d’une expression que je n’affichais jamais habituellement, j’étais si faible, si touché, que cela se reflétait dans mon regard.

- Tu vas bien ? Lui demandais-je d’une petite voix, Tu n’es pas blessée ?

C’était le plus important. Si j’avais réussi à faire en sorte de la protéger sans qu’elle n’en soit heurtée, j’étais satisfait. J’aurais au moins fait une bonne action dans ma misérable existence.

Aussi longtemps que je m’en souvienne, je n’avais vu la jeune femme avec une telle expression. Je ne parlais pas du sérieux dont elle essayait de faire preuve mais de cette peur qui se reflétait au sein de ses pupilles. Plus que chamboulée, elle avait l’air paniquée. Je me doutais que cela avait un rapport avec l’agression néanmoins je ressentais comme l’impression que ce n’était pas uniquement à cause de ça. Certes elle n’avait pas été touché physiquement mais mentalement cela avait l’air d’être autre chose. J’aurais bien voulu l’aider, lui dire que c’était fini et essayait de la réconforter cependant dans mon état actuel, je n’étais pas le mieux placé pour dire quoi que ce soit. Pourtant j’aurais aimé être un peu plus utile plutôt qu’être allongé comme un flemmard dans ce canapé. J’étais toutefois content d’être passé dans ce parc à cette heure-là et d’avoir pu ne serait-ce lui éviter quelques dommages. Je n’osais imaginer ce qui serait arrivé si je n’avais pas été là. Peut-être que quelqu’un d’autre aurait pu prendre sa défense mais peut-être pas non plus. Peut-être que ses séquelles auraient été encore plus grosses que celles qu’elle éprouvait en cet instant précis. Je levais mes yeux vers elle, l’écoutant me « gronder » à propos de ma condition néanmoins je n’étais pas idiot et remarquais bien qu’elle semblait culpabiliser pour les blessures que j’avais à présent sur le corps. Elle n’avait pas à se reprocher quoi que ce soit, j’ai souhaité la protéger de mon plein gré, en aucun cas elle ne m’y a forcé et sincèrement, je préférais me savoir blesser, au bord de la mort ou pire encore plutôt que de ne pas être intervenu et de savoir qu’elle s’était faite agressée ou même violée. Je l’aurais eu sur ma conscience durant toute mon existence et je n’aurais rien pu faire pour revenir en arrière. Alors évidemment que je reconnaissais l’état dans lequel j’étais mais ce n’était pas grave, je m’en sortirais. Je n’allais pas mourir et cela devrait être le plus important. Dans un sens, j’en serais presque heureux... J’aurais même le droit à des jours de repos cependant d’un autre côté, cela ne promettait rien de bon avec les coéquipiers et j’avais peur de ce que serait capable de dire les journalistes.

Songer à cela me fit remarquer que justement Sae Ra n’avait pas l’air de me connaître. Du moins, pas de ce côté là et c’était mieux ainsi. Dés qu’on le savait, en général on aimait bien me poser toutes sortes de questions que cela soit sur le baseball ou sur mon parcours jusqu’à aujourd’hui. Je n’avais pas à me tourmenter de cela avec elle puisqu’elle n’était vraisemblablement pas au courant. Tout en m’évadant dans mes réflexions, je ne cessais de l’observer d’un regard discret et même si elle disait « je vais bien », je voyais bien que ceci n’était qu’un mensonge. Elle ferait mieux d’aller se reposer elle aussi au lieu de se préoccuper de moi. Mais, mes pupilles s’écarquillèrent aussitôt lorsqu’elle parla de soins. J’avais oublié ce détail... Je ne voulais pas. Je n’avais pas besoin de ça - enfin si quand même - je pouvais me débrouiller tout seul. Je n’aimais pas ça. Et c’était gênant en plus. Lorsqu’elle s’approcha pour mettre ses termes à exécutions, je la bloquai de main, criant spontanément un « Non ! » de ma voix faible. Autant dire, je ne devais pas paraître aussi stricte que j’avais souhaité le faire paraître. Je grimaçai de douleur à cause de mon propre comportement et soupirai en contemplant le regard que m’adressai la jeune femme.

- Je vais le faire, Dis-je alors plus calmement, l’observant d’un air méfiant, Je suis encore capable de me déshabiller tout seul.

Je pouvais très bien me soigner moi-même également cependant je savais d’avance que cela serait inutile d’insister. Peu importait la personne avec qui j’étais, celle-ci aurait adopté certainement le même comportement que Sae Ra. Et d’un certain point de vue, je comprenais. Je crois. Déjà qu’elle culpabilisait, je pense qu’elle avait envie de s’assurer que tout soit bien fait et non à la va vite comme moi-même je l’aurais fait. On prend toujours moins soin de soi que les autres de toute façon.
M’asseyant avec difficulté, je retirai mon haut sans montrer d’émotions quant à la souffrance que ce geste me provoquait puis je me calai en sorte qu’elle puisse me soigner..

- Tu n’es pas obligé de faire ça, Soufflais-je.

Mais je parlais pour rien dire et je ferais mieux de me taire plutôt que de me fatiguer si bêtement. Je n’aimais tellement pas ça. Je ne voulais pas qu’elle en profite non plus... Néanmoins, je n’étais pas en position de pouvoir me défendre au vue de mon état actuel. Je la laissai me soigner, égarant mon regard ailleurs que dans sa direction, pas à l’aise tandis que mon corps se crispait tout entier à chaque fois que ses mains frôlaient ma peau. J’avais l’impression que ça durait des heures et que c’était une abominable torture qu’on était en train de m’infliger. Je me mordais la lèvre en pensant amèrement des « Stop, stop » jusqu’à - à mon grand soulagement - ce que cela soit terminé. Je fronçai les sourcils instinctivement, me dépêchant de remettre mon tee-shirt tandis que je m’allongeai à nouveau sur le divan. Malgré tout, j’étais épuisé et plus faible que je n’osais l’avouer à voix haute. D’ici quelques jours, ça irait mieux. Pour ce qui était de Sae Ra, je l’ignorais. Elle avait l’air plus « touché » que moi par les évènements et c’était normal, je suppose.

- C’est fini maintenant. Cesse de t’en faire.

J’aurais voulu la comprendre, savoir ce qui la mettait réellement dans un tel état cependant j’étais incapable de lui poser la question.

- Tu devrais te reposer aussi, va dans ma chambre. Fait juste attention à Sekai, il dort sûrement.

J’étais rentré plus tard que prévu et vu qu’il a ses petites habitudes, je pense qu’il n’avait pu se sortir de son sommeil profond. C’était rare pour un chien mais le mien était comme ça, dés qu’il dormait, il ne se réveillait pas si facilement.

- Si tu ne te sens pas bien, il sera plus doué que moi pour t’aider. Alors vas-y, moi je vais dormir.

Peu à peu, je retrouvais ce ton détaché que j’utilisais habituellement même si au fond de moi, j’étais tout de même énormément tracassé. Il y avait tant de choses que j’aurais aimé savoir néanmoins je n’étais pas encore capable de laisser mes mots s’échappaient de mes lèvres. Ce n’était pas les évènements qui allaient changer quoi que ce soit. J’étais ainsi, je n’y pouvais rien.

C’était difficile. Je ne savais pas quoi faire, j’étais mal à l’aise et je ne pouvais rien faire pour elle alors que je voyais bien évidemment que Sae Ra n’allait pas bien. J’aurais tellement voulu pouvoir la soutenir, la rassurer mais ce n’étaient pas de vulgaires mots qui y changeraient grands choses. Il fallait plus que ça sauf que ce n’était pas moi. Je réfléchissais, la contemplant d’un air inquiet tandis que je pensais sérieusement que je devrais dormir au vue de la faiblesse dont mon corps faisait preuve. Cependant, autant dire, au vue de l’état de la jeune femme, c’était clairement impossible de ne pas se tourmenter. Même si elle souriait, même si elle essayait de paraître calme et bien, cela se voyait que ce n’était pas réellement le cas. J’étais curieux et inquiet à la fois. Je n’étais pas idiot et savais que si elle allait mal, qu’elle était autant troublée, ce n’était pas uniquement pour l’agression d’aujourd’hui. Peut-être que cela lui rappelait des faits passés qu’elle aurait souhaité oublier. Je l’ignorais. Toutefois, je pouvais m’empêcher d’être quelque peu surpris… Jamais je n’avais imaginé voir Sae Ra ainsi depuis que je l’avais rencontrée. Elle semblait si insouciante, si « dingue » et si souriante aussi qu’envisageait qu’elle ait déjà pu avoir des problèmes ne m’avaient même pas traversé l’esprit. Il fallait dire aussi que je ne m’intéressais pas à grand-chose et ne me prenait pas la tête donc je suppose que je ne m’étais jamais vraiment posé la question. Je l’avais simplement cataloguée comme « folle » parce qu’elle avait cette fichue manie de tout le temps me poursuivre afin de m’obliger à recevoir un quelconque zeste d’affection. Je pense que n’importe qui penserait la même chose que moi et la verrait comme une personne bien vivante, sans soucis, juste à qui il manquerait une case. Hors, je m’étais merveilleusement trompé. Je le constatais à présent et ne pouvait qu’admettre que cette jeune femme savait aussi être sérieuse lorsqu’elle le désirait. Bien sûr je m’étais décalé et crispé, bien sûr je n’avais pas réellement apprécié quand ses mains avaient touché mon torse, bien sûr j’avais été horriblement mal à l’aise et j’avais honte néanmoins, je n’avais pas pu passer à côté du professionnalisme dont elle avait fait preuve pour me soigner. Je reconnaissais alors qu’elle n’était pas juste cette fille qui me courait tout le temps après et d’un certain sens, cela me rassurait.

Elle s’en allait, me remerciant d’une voix me semblant peu habituelle tandis qu’elle disparut de mon champs de vision. Closant mes paupières, je soufflai légèrement alors que je m’échappais dans mes songes, réfléchissant à tout ce qui s’était passé depuis que j’avais quitté le Tokyo Dôme et à l’attitude de la jeune femme. J’avais l’impression que notre « relation » avait fait un tour de cent quatre vingt dix degrés tant la situation paraissait improbable. La dernière fois, je courrais comme un pauvre déluré afin d’éviter tout contact avec cette fille et aujourd’hui, la voilà dans mon appartement avec cette aura de tristesse qui se dégageait dans ses actions. Ca m’angoissait, me paniquait parce que je me connaissais et remarquais bien ô combien j’étais inutile dans cette situation. Même sans cela, on n’était pas proche donc je ne pouvais pas me mêler de sa vie comme bon me semblait, surtout si elle ne m’en parlait pas d’elle-même n’est-ce pas ? Je soufflai, tentant de dormir et priant à ce que tout aille mieux demain. Mais, je n’y arrivais pas. Les douleurs étaient intenses et malgré la faiblesse qui m’encombrait, mes tracas m’empêchaient de trouver le sommeil. C’était la raison pour laquelle difficilement je me redressai, allant me servir un verre d’eau dans la cuisine, jetant un coup d’œil vers le couloir qui conduisait à la chambre. J’avais cru entendre du bruit… Peut-être avais-je rêvé. Je détournai aussitôt mon regard sur mon verre lorsque la porte s’ouvrit. Je n’avais pas rêvé… Elle s’était levée et rapidement je compris que l’état dans lequel elle était s’était aggravé. Mon cœur se serrait à cause de l’angoisse que j’éprouvais et je paniquais. Je n’avais jamais été dans ce genre de situation jusqu’à aujourd’hui. Bien sûr il y avait eu Sehen cependant c’était différent, il était mon ami. Et encore, même avec lui, je ne me considérais pas comme un « bon ami », je n’étais pas doué pour réconforter qui que ce soit et cela me m’était terriblement mal à l’aise. C’était égoïste cependant au plus profond de moi j’aurais voulu m’enfuir, ne pas avoir à affronter de telles circonstances mais je savais qu’agir ainsi m’aurait également fait culpabiliser. J’écoutais ce qu’elle faisait, comprenant qu’elle était dans la salle de bain, j’attendis dans le couloir adossé contre le mur qu’elle daigne en sortir. Elle n’avait pas du m’entendre ni me remarquer néanmoins au contraire, j’avais pu apercevoir ces rougeurs sous ses yeux et je ne sus comment réagir, constatant qu’elle avait certainement beaucoup pleuré. Lorsque nos regards se croisèrent, je ne pus rien faire d’autre que d’incliner subtilement la tête. J’aurais dû lui sourire, lui montrer qu’elle n’était pas seul et essayer de la réconforter avec cet éclat toutefois je n’étais pas parvenu à effectuer ce geste. Peu importait l’ampleur de la situation, je ne réussissais pas à modifier mes agissements et gardais toujours cette distance.

- Tiens, Fis-je simplement, un peu brusque néanmoins tout en lui tendant un verre d’eau.

C’était un peu inutile certes cependant c’était l’une des seules choses que je pouvais faire. Je n’allais pas la serrer dans mes bras ni lui caresser les cheveux ou encore moins lui embrasser le front comme ce que l’on voyait tout le temps dans les films. Je n’avais rien de ces protagoniste là, je n’étais ni un héro, ni un personnage important. Je devais sûrement être de ceux qui sont laissés en arrière ou que l’on considère comme des idiots. Je n’avais malheureusement pas ce charme là et au contraire, on me détestait plus que l’on ne m’enviait parce que justement je n’étais pas comme ce que la plupart des gens rêvaient que je sois.
Je la contemplais de mon expression neutre, tentant de découvrir ce à quoi elle pouvait être affligée mais n’y trouvant rien, je la devançai et allai lui tenir la porte de la chambre pour la laisser passer.

- Je ne sais pas ce que tu as mais tu devrais retourner te coucher.

Ce n’était pas une bonne idée d’être si froid et ça n’allait pas non plus l’aider à se sentir mieux. Je soufflai en pénétrant dans la pièce et m’abaissai lentement pour caresser mon chien qui s’était enfin décidé à me saluer. L’envoyant à son panier, je me redressai et fit signe à Sae Ra de s’allonger, lui tirant gentiment le drap pour la motiver à revenir. J’eus machinalement un mouvement de recul lorsqu’elle passa près de moi et la recouvrit du linge quand elle s’installa sur le matelas. Mes iris fixaient un point vide dans la pièce, à l’opposé d’elle, à cause de la gêne que cela occasionnait. Parce que j’avais toujours cette impression d’être complètement inutile et je ne me sentais pas non plus très bien. Je réfléchissais silencieusement, essayant de trouver une solution afin de l’apaiser, afin qu’elle ne soit plus triste et essaie d’oublier tous ces mauvais moments toutefois je n’avais pas d’idée. Je doutais que ce que je faisais pour moi fonctionnerait pour elle. Je crois même que ça risquait d’aggraver son état, elle semblait particulièrement sensible et je n’avais pas envie qu’elle se remette à pleurer. Pour qu’elle se sente mieux, il fallait quelque chose qui puisse la faire rire ou sourire et malheureusement, ce n’était pas dans mes facultés.

- Tu veux en parler ? Proposais-je alors froidement, tournant mon attention vers elle.

Je ne voyais pas quoi dire d’autres de toute façon et je me disais que peut-être en discuter lui ferait du bien même si je n’étais pas le mieux placer pour donner des conseils ou réconforter. Je soupirai et peinant à tenir sur mes jambes, j’attrapai le tabouret derrière moi, m’asseyant dessus sans montrer la souffrance que faire ce mouvement me provoquait. Je l’observais d’un regard hésitant mais toujours détaché avant de souffler pour la énième fois de la soirée. En silence, je posai ma main sur le rebord du lit, ouvrant ma paume légèrement sans jamais river mes yeux en sa direction.

- Ne te fais pas d’idée. C’est juste si tu en as besoin tu n’as qu’à la prendre ! Mais je déteste ça, je te préviens !

Je pense que cela se remarquait au vue de comment je me braquais que je n’aimais pas vraiment ce genre de chose. J’étais embarrassé et ça ne me plaisait pas de devoir agir ainsi. Cependant, j’acceptais de faire ne serait-ce qu’un petit effort. Juste pour ce soir.

Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas emporté ainsi et je me sentais bizarre. Je crois que la dernière fois remontait à une dispute avec mes parents donc cela ne datait pas de maintenant. Je me m’étais généralement en colère contre les gens avec qui je m’entendais bien, avec qui j’étais proche ou bien ceux qui dépassaient réellement les bornes et me mettaient hors de moi comme aujourd’hui. Mais je n’aimais pas m’énerver, je n’allais pas bien après parce que mon corps peinait toujours à se remettre de ses émotions pour s’être éveillé d’un coup. Les battements de mon coeur avait du mal à s’atténuer et mes bras tremblaient légèrement à cause de toute cette frustration que j’avais relâché subitement. J’entendis du bruit néanmoins, une main posée contre front, je n’ouvris pas les paupières. Malgré tout, j’étais toujours en colère et je ne voulais plus parler. Si elle avait des choses à dire qu’elle le fasse mais moi pour l’instant je ne discuterais pas. J’estimais en avoir assez dit de toute façon. Ses agissements, le fait qu’elle tente désespérément de ne pas montrer sa souffrance, qu’elle mente alors que la vérité était évidente m’avait réellement exaspéré. J’avais eu l’impression de sortir d’ailleurs tant j’avais débité un nombre de paroles incalculables et que je ne lui avais même pas laissé le temps de me répondre. Je crois que c’était parce que si je l’avais laissée faire, je n’aurais pas pu ressortir tout ce que j’éprouvais au fond de moi et la frustration de rester silencieux sur ce que je pense aurait été encore plus grande.

le « Tu dors ? » qu’elle me demanda me fit hésiter à sortir de mon « sommeil » et à la regarder cependant je me décidai de le faire tout de même. Rien que le son de sa voix semblait frêle et fragile alors je me disais que si je continuais de me rebeller comme je l’avais fait, on avancerait probablement pas. La lueur dans mes pupilles n’était néanmoins pas moins froide qu’elle l’était lorsque je m’étais emporté. Je fus toutefois soulagé qu’elle accepte enfin la réalité et déclare que non, elle n’allait pas bien même si j’étais encore plus mal à l’aise à présent parce que je ne savais pas quoi faire. Je la voyais pleurer devant moi et j’étais incapable d’effectuer le moindre geste afin de la réconforter.

Je remarquais par ailleurs que je m’étais mal à exprimer et qu’à nouveau, je n’étais pas parvenu à me faire comprendre entièrement. Ce n’était pas le fait qu’elle me plaigne mais plus le fait qu’elle ne se soucie pas de son état parce que moi j’étais déjà blessé. Et c’était ce qui m’avait le plus énervé. Si elle était incapable de sourire alors qu’elle ne sourit pas. Si elle avait envie de pleurer, de crier, qu’elle le fasse peu importait le malaise qu’elle créerait en ma compagnie. Ce n’était pas important, du moment que cela la soulageait et qu’ensuite elle pourrait reprendre une vie normale, oubliant ses tracas du passé. Tracas qui me tourmentais aussi en réalité. Elle n’avait pas fini de s’expliquer et j’en étais plus curieux que je n’y paraissais. Peut-être parce qu’une personne qui se fait prendre en otage trois jours de suite, on ne voit ça généralement que dans les films ou à la télévision... Quand elle me fit comprendre qu’elle voulait - allait - s’asseoir sur le canapé, je me décalai aussitôt m’éloignant rapidement afin d’éviter toute proximité éventuelle. Ca en devenait une maladie ce truc... J’agissais tellement machinalement que cela ferait presque peur. Néanmoins je revins vivement dans la discussion et d’un geste instinctif mes sourcils se froncèrent quand Sae Ra déclara qu’elle n’arriverait pas à dormir. C’était du n’importe quoi. Si elle n’y parvenait pas, j’aurais du mal aussi. Enfin non... Mais je refusais de me plonger dans le sommeil si je n’étais pas certain que ça n’allait pas pour elle. Je culpabiliserais, je le savais. Et si elle faisait un effort, elle pourrait le faire. Surtout qu’on était deux, on pouvait se soutenir plus facilement, s’entraider bien que j’avais un caractère qui au contraire était assez difficile à utiliser dans ce genre de situation. Je me doutais qu’elle n’avait pas envie que j’insiste, que j’accepte cependant je n’étais pas comme ça. Je devais très certainement aller dans le contraire de ce que désiraient mes interlocuteurs.

« Tu peux poser ta tête ici si tu veux ? » et j’eus automatiquement un mouvement de recul, la foudroyant du regard tandis que j’étais incapable de discerner s’il s’agissait d’une plaisanterie ou non. Au vue des circonstances, je supposais que oui néanmoins je n’appréciais guère ce genre de réflexion. Parce que comme on le dit souvent on ne plaisante qu’à moitié n’est-ce pas ? Alors si je posais ma tête sur ses jambes, je savais qu’elle serait contente et surprise aussi mais il n’en était pas question.

- Si on avançait avec des « si » dans la vie, ça se saurait, Rétorquais-je froidement à sa première réplique sans la regarder. Je préférais ignorer sa dernière remarque.

Cela ne permettait pas à l’atmosphère de se détendre et puis je n’avais pas envie de fuir la discussion non plus. Mais je pensais ce que je répliquais, la jeune femme avait dit « et si... » à plusieurs reprises néanmoins malheureusement on ne peut jamais prévoir ce qui va nous arriver à l’avenir, la vie serait trop simple dans ce cas là et je ne vois pas pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué n’est-ce pas ? Je me levai, doucement cette fois-ci et de mon index, je lui indiquai le canapé.

- Allonge-toi. Et arrête de dire que tu ne peux pas dormir. Ce n’est pas comme si tu étais toute seule donc arrête de dramatiser et dort ! Et puis si ça ne va pas, y a toujours un moyen.

Le « je suis là » refusait de sortir mais je pense que c’était tout de même compréhensible malgré ma maladresse. Je retournai m’installer sur le divan une fois qu’elle avait exécuté mes dires puis je restai dans le fond, évitant ses pieds qui se trouvaient non loin de mes jambes. Je me saisis de la télécommande et en silence, j’allumai la télévision lançant une chaîne de dessin animé. Ce n’était pas vraiment que j’aimais ça néanmoins je songeais au fait qu’au vue des circonstances, ce serait mieux qu’un film qui pourrait nous rappeler les évènements précédents. Les animés en général c’est plus « fun », plus drôle et moins réaliste. Evidemment, il avait fallu que ça soit Touch, un manga sur le baseball, ce qui me fit aussitôt soupirer discrètement. Mais fut un temps, cela me détendait de regarder une telle série et j’enviais un peu le personnage principal qui se débrouillait vraiment bien dans ce sport. Je crois même que enfant, c’était mon dessin animé préféré et que je ne me lassais pas de le regarder encore et encore. Posant mon coude sur celui du canapé, j’appuyais ma main contre ma joue alors que mes paupières se clignaient parfois, luttant pour ne pas succomber au sommeil.

- Essaie de dormir, Dis-je alors sans tourner mon attention vers elle, Et si ça te panique ou te fait pleurer, bah tu te laisses aller et voilà.

De toute façon, je suppose qu’il n’y avait pas de meilleur remède à cela que de libérer ses émotions. Tant qu’elle les garderait enfoui au fond d’elle, qu’elle se persuaderait ne pas réussir à fermer l’oeil de la nuit, Sae Ra n’irait pas mieux. Il fallait simplement qu’elle se calme, pense à autre chose, et évacue son chagrin si elle en avait envie.