C'était le gosse de base, aux yeux brillants et au sourire candide ; celui qu'on voit à peu près partout et à qui on sourit, histoire de se dire qu'on a fait une bonne action pour la journée. Mais si c'était que ça, bam bi, il aurait pas eu d'intérêt à venir au monde.
& ça a commencé en beauté avec une mère à peine majeure, perdue entre deux ruelles de bangcock, c'est là qu'on la mise en cloque – elle imaginait déjà l'idylle parfaite mais la vraie vie est plus dure, plus rêche que les fantaisie d'une gamine au coeur de lapin. Alors elle s'est retrouvée seule, madame pan, elle a dû se débrouiller avec des parents aussi secs que la vie.
((elle a toujours dit qu'un goût amer lâchait jamais sa langue))((lui, il disait que c'était sa salive qui devenait fade))
elle a trouvé le grand amour quelques années plus tard, il était beau, plus vieux et surtout plus riche ; avide de retrouver le bonheur d'être dans une position moins délicate, elle l'aurait suivi au bout du monde, même en traînant un petit faon à peine capable de marcher. Alors ils ont tus les trois déménagé en chine, parce qu'il voulait – devait – travailler là-bas, et qu'elle rêvait des grandes maisons qui la changeraient de son appartement pouilleux.
Bambi, lui, il se contentait de manger des bonbons, de savourer ce qu'on lui donnait, toujours avec ses yeux brillants et son sourire candide.
((ce qu'il savait pas, c'est que la majeure raison de leur mariage, c'était ce qu'elle gardait dans ses entrailles))
c'est quand ils sont arrivés, armés d'un amour feint et d'un espoir mort-né, que le mini bambi est arrivé – trois ans et presque deux mois de différence, pourtant bambi il voyait ça comme la plus belle chose du monde. Un morceau de vie plein de bave et de larmes, certes, mais un morceau de vie quand même. Et du haut de ses quelques poignées de centimètres, il a déclaré tout haut et tout fort que ce petit, il allait s'en occuper.
l'école primaire, ça a été la plus belle période de sa vie. Pas parce qu'il allait sérieusement à l'école et qu'il apprenait doucement le mandarin, mais parce que là-bas, y avait un petit garçon, maigrichon et qui sentait le bonbon – hong xian, celui qui vole avec la grâce du cygne. Mais hong xian c'était trop long pour le faon, donc c'est rapidement devenu
poussin, pour le rapprochement des oiseaux.
Ça aurait pu être beau, ça aussi ; ça l'a été, à défaut d'être long. L'histoire de deux gamins qui découvrent le monde avec leur vue d'enfant, leur imagination au bout des doigts et le goût perpétuel du sucre sur la langue. Mais là aussi, bambi a dû apprendre que l'existence avait rien de mignon, rien de beau et surtout, surtout, rien de long.
Onze ans et déraciné une seconde fois, comme si ça suffisait pas d'avoir un petit frère et des parents absents – papa est parti, mais c'était pas vraiment papa, n'est-ce pas ? Il s'est jamais formalisé bambi, il le connaissait pas vraiment. C'était qu'une grande figure qui donnait de l'argent, à défaut d'être affectueux. Onze ans et démoralisé une seconde fois, comme si ça suffisait pas de soutenir une maman au coeur brisé, une veuve même pas quarantenaire.
pleure pas maman, on rentre.cette fois, c'était le japon, tout à l'est. C'était un joli pays, celui où maman avait grandi ((le coréen, c'était papa, d'après elle. Pas celui qu'ils ont enterré, mais celui qui a disparu)). Le petit frère tout fragile, trop fragile ; la santé bancale mais toujours le sourire aux lèvres, comme bambi lui avait appris. Ça s'améliorait doucement pour eux, en plein milieu de la campagne – grand-maman était gentille et l'école était loin, mais c'était bien de faire le chemin tous les matins. Bambi était heureux, encore une fois. Il était bien, jusqu'à ce que maman tombe encore amoureuse.
Treize ans, adolescent, les doigts entre ceux du petit frère et le sourire qui fane un peu, mais pas assez pour inquiéter la génitrice. Alors ils bougent, encore et encore ; et cette fois encore, il est plus riche que beau, parce que c'est comme ça qu'elle les aime maman. C'est à partir de là que bambi a dû apprendre à marcher correctement, même sur la glace – c'est à partir de là qu'il a décidé tout seul que le vrai homme de la maison, c'était lui.
Il s'en faisait beaucoup des amis, mais y en a jamais eu un comme le poussin, jamais un qui s'accrocherait à lui aussi fort, jamais un qu'il aimerait autant ; mais y a eu un autre type, plus grand, plus beau et plus drôle que bambi. Pas méchant, pas intelligent non plus, mais le genre qui met en confiance, le genre qui donne l'impression de contrôler la situation.
((il s'est mis à l'envier et à l'admirer en même temps))
son futur était déjà tout tracé, dès l'instant où ils avaient mis le pied sur le sol japonais – maman y croyait pas trop, au début. Une petite paysanne sans mari, ça peut pas intégrer ses enfants aux royals private schools ; mais une citadine avec un diamant accroché au doigt, le mari richissime qui suit comme un chien, elle a tout de suite plus de chance, plus d'espoir. C'était la seule chose dont elle avait besoin : de l'espoir. Alors elle les y a mis tous les deux, quand elle a réussi à convaincre la banque humaine ((papa, elle a dit de l'appeler papa)) de leur payer leurs études.
Un an. Il a fallu qu'une année de doux mots et d'attention complète pour qu'il signe les chèques et envoie les deux gosses dans ce que bambi aurait appelé l'abattoir, si y avait pas eu le grand ni méchant ni intelligent qui y allait aussi. S'il était pas certain que, sans lui, son petit frère allait avoir besoin de lui.
et voici bambi, élève depuis six ans, pas modèle mais pas dernier non plus ; un type dans la moyenne, aux yeux brillants et au sourire éclatant, à défaut d'être candide.