et si c'était pas la mère mais le père de bambi, qui était mort ?
c'est allé comme ça, pour moi - c'était y a quatre ans, pas plus, pas moins
je sais pas si c'est injuste ou mérité, mais maman disait que ça n'aurait pas fait moins mal, d'avoir une réponse
alors on s'en est contenté, moi et chul hei.
chul hei, c'est mon petit frère ; enfin, petit, on a que deux ans de différence, donc c'est pas si... petit. chul est plus grand que moi d'une tête, mais ça m'a jamais vraiment dérangé - lui, il en est fier. très fier, même.
on est nés tous les deux en chine, avec un père coréen et une mère chinoise ; ils s'étaient marié deux mois avant ma naissance, elle avait que dix-huit ans. les parents de papa les ont soutenu et avaient même financé le mariage. ceux de ma mère ? ils l'ont reniée, parce qu'elle avait refusé d'avorter.
avoir un enfant en chine, c'est mal vu. et quand mon petit frère est né, ils l'ont caché.
moi j'allais à l'école, j'étais un garçon normal qui devait se dire fils unique ; c'est impensable, quand on y réfléchit, tellement je l'aimais. j'aurais voulu l'amener à l'école en le tenant par la main, l'aider à monter les marches et le porter sur mon dos quand il serait trop fatigué.
j'ai pas pu faire ça, à l'époque.
mais à l'école, j'ai rencontré un petit garçon. lui aussi j'pourrais dire qu'il était pas si petit, il avait qu'un an de moins que moi. hong xian - maman m'a dit que ça voulait dire
celui qui vole avec la grâce du cygne. et je sais pas si xian était vraiment gracieux, mais je peux affirmer qu'il était très beau.
et il comblait un peu le vide de l'absence de chul, parce qu'il était doux. doux et gentil, un peu collant mais pas dérangeant.
j'ai jamais pensé que ça se passerait pas bien entre nous - c'était fascinant, un peu écrit dans les étoiles. dans l'Histoire, avec un H majuscule.
sauf que la chine ne voulait pas des pan et de leur bébé en trop ; la peur au ventre à l'idée d'être démasqués, papa & maman ont décidé qu'on partirait, qu'on retournerait chez les parents de papa, un peu.
c'est toujours un peu, jamais assez pour moi.
la corée du sud, c'était un joli pays - pas trop grand, pas trop petit et juste assez élitiste pour qu'on passe, même en étant des métissés. maman elle a eu du mal avec le coréen, mais elle était forte et papa l'aidait. chul et moi ? on parlait déjà coréen, grâce à papa. il faisait des grandes choses, papa ; c'était un héros, mais pas de ceux qui meurent.
name one hero who was happymaman nous a raconté que, pendant son service militaire, il avait vu des choses tristes. il était jeune, à l'époque - jeune et gentil, trop tendre pour le monde de la mort. une vraie biche au milieu des loups, qu'elle disait ; et on la croyait.
elle dit que c'est pour ça qu'ils m'ont appelé bambi
ça m'a jamais dérangé, ça non plus.
quelque chose s'était cassé à l'intérieur de papa quand il avait traversé cette «épreuve». et quand on demandait ce que c'était, elle ne répondait pas. maman respectait la blessure intime de papa.
j'ai toujours admiré la relation de mes parents ; réunis contre l'adversité, comme les personnages principaux d'une tragédie. on ne laisse pas les personnages principaux des tragédies être heureux. & moi, personnage secondaire, j'étais là pour chul.
pour qu'il comprenne que c'était pas sa faute, si on avait dû partir de la chine. au moins ici, il pouvait aller à l'école.
la corée du sud, c'était joli. les écoles étaient belles, aussi. mais papa et maman n'étaient pas heureux, parce que mamie et papy étaient malades et un peu trop vieux. ils avaient vécu longtemps, assez pour avoir vu de grandes choses, à défaut d'en accomplir. papy m'avait raconté les conflits, le problème de la corée du nord. mamie, elle, m'avait confié sa rencontre avec papy.
les rencontres entre deux âmes soeurs, je trouve ça beau. soixante ans de couple, cinquante de mariage. j'aimerais trouver quelque chose comme ça, moi aussi.
quand ils sont partis, papa et maman ont beaucoup pleuré - ils ont essayé de surmonter ça en travaillant fort, plus fort que jamais. et ils ont réussi, à peu près ; c'est quand j'ai eu... treize ans qu'on est encore partis. on y est restés trois ans. la corée du sud, c'était joli.
mais le japon aussi, c'est beau. et c'est là qu'on est allés, grâce - à cause ? - du travail de papa. maman a arrêté de travailler, parce qu'elle n'en pouvait plus.
chul et moi, on est entrés dans les écoles royales, parce que maman et papa avaient beaucoup d'argent. c'était bien, c'était gentil. ça l'est encore, mais peut-être un peu moins.
et puis papa est tombé malade. très malade. un AVC, quand on est arrivés au japon - il y a survécu, mais la rééducation du côté gauche de son corps avait été dure. un an à l'hôpital et dans les centres, un an pendant lequel on passait nos weekends à aller le voir, à l'occuper. il avait l'air différent, papa.
trois ans après sa sortie, il est parti. pour de bon, cette fois. une crise cardiaque, le matin.
ça a fini de casser notre famille. maman pleure encore beaucoup, elle déteste le 29 avril. c'est leur anniversaire de mariage, le 29 avril. aujourd'hui, c'est le jour le plus triste de l'année. veuve à trente-huit ans, avec deux enfants de dix-huit et vingt ans.
mais maman a aussi des frères et soeurs, et ils l'ont soutenue - contrairement à l'autre papy et à l'autre mamie, que j'ai jamais vus.
aujourd'hui, je vis dans l'école, et chul hei aussi. on est comme maman avec ses frères et soeurs, on se soutient mutuellement. on a plus que ça, après tout.