One of us had to go
Now I've changed and I want you to knowNana tournait le dos à l’appartement. Postée devant la baie vitrée, elle fixait un Tokyo endormi. Lui, il continuait de s’agiter comme un fauve en cage. Comment les choses avaient-elles pu changer si vite ? Pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? Avant de s’engager. Avant de lui dire « oui ». Une enseigne lumineuse clignota en bas à gauche tandis qu’un feu passait au verre. Elle croisa les bras et soupira. Cette vue si familière, elle la quitterait bientôt pour se créer un nouveau chez elle. Solitaire cette fois. Elle regarda des jeunes qui sortaient d’un bar, un groupe de collègues qui se disaient au revoir et un couple qui s’embrassait. Un couple… Son cœur se serra. Pourtant, ce pincement restait invisible. Lui, il n’en saurait jamais rien. Il ne connaitrait jamais sa douleur. Il penserait juste qu’elle est indifférente. Peut-être. Et surtout, fatiguée… Voilà qu’il s’arrêtait enfin de déambuler. Sûr, il avait quelque chose à dire. Il tapa du poing sur la table du salon. Un salon trop grand, trop luxueux. Elle en aurait vomi.
« - Tu ne veux pas d’enfants. Comment je suis censé me comporter face à ça ? Comment je suis censé l’accepter ?
- Des enfants ? Quoi. Pour que tu puisses te pavaner avec devant les photographes ? »
Elle ricana méchamment avant de se tourner vers lui. Jamais il n’avait été aussi laid. Et dire qu’il était présenté comme un modèle de beauté et d’élégance. Elle croisa les bras et le fusilla du regard. Elle ne voulait plus discuter. Elle voulait juste partir et tourner enfin la page. Mais lui en laisserait-on seulement le droit ? Non, ils feraient certainement la « une » des journaux. Ce n’était pas difficile à imaginer. Le célèbre acteur Honjo Senri lâchement quitté par sa femme. Nana voulut revenir à sa contemplation de la ville quand il s’approcha et l’attrapa par l’épaule. Elle hésita avant de lever les yeux vers lui. Il paraissait blessé, torturé. Qu’est-ce qu’il jouait bien la comédie ! Et qu’est-ce qu’elle le connaissait bien aussi. Il baissa la main le long de son bras et attrapa finalement sa main gauche dans la sienne. Nana avait retiré son alliance. Mais contrairement à lui, c’était la première fois qu’elle le faisait en cinq ans. Lui, il ne s'était pas gêné pour l’enlever régulièrement, histoire de ne pas vexer ses maîtresses.
« -Regarde toi, Nana. Tu ne peux pas continuer comme ça. C’est à peine si tu tiens encore debout.
- Arrête tout de suite. »
C’est vrai, elle avait perdu du poids. Maintenant, elle nageait dans ses vêtements trop grands et ressemblait aux pauvres jeunes filles anorexiques qui passent à la télé et dont on loue une beauté pourtant dangereuse pour leur santé. Des cernes s’étaient creusées sous ses yeux et seuls un interdit et précieux jeune homme de compagnie acceptait de poser les yeux sur elle. Oui, elle s’était payée ses services. Plusieurs fois même. Mais juste pour ne pas être seule, pour pouvoir se blottir dans les bras de quelqu’un et admirer un beau visage tourné uniquement vers elle, juste un instant. Elle n’avait rien fait de plus, même pas ce pourquoi il était initialement payé… Elle l’avait bien payé pour qu’il accepte de lui servir juste d’oreiller, parfois de modèle. Elle ne l’aimait pas. Ce qu’elle aimait, c’était ses jolis traits et le réconfort temporaire qu’ils lui apportaient. Senri la serra un peu plus fort. Son corps se glaça.
« - Dis-moi ce que j’ai bien pu faire pour te blesser ? Nana, ça fait neuf ans qu’on est ensemble, putain !
- Je t’ai dit d’arrêter…
- Si tu ne me parles pas, comment je peux comprendre ? Tu veux me quitter, tu veux divorcer et tu me dis ça juste… Comme ça. »
Le visage de Nana s’éclaira et elle le fixa plus intensément. Tout lui revint en mémoire. Les bons moments, les flashs des paparazzis, le souci de Senri de toujours faire bonne figure devant la presse tout en se comportant comme un pauvre enfant égoïste le reste du temps une fois le rideau baissé. Et les disputes, puis les silences et finalement l’indifférence. Elle lui reprochait sa lâcheté. Qu’il la trompe, d’accord. Ces derniers temps, il ne se cachait même plus. Il n’y avait plus aucun respect. Rien. Quand ils s’étaient rencontrés, Nana était une jeune peintre chargée de réaliser l’illustration pour l’affiche d’un film. C’était Senri qu’elle devait peindre. Leur histoire d’amour avait été digne des pires romans à l’eau de rose. A l’époque, Nana était irrévérencieuse et son franc-parler lui valait bien des soucis. Lui, c’était l’inverse. Elle le trouvait si désagréable, à la fois soucieux de plaire et arrogant. Sans qu’on sache trop pourquoi, six mois plus tard, ils étaient ensemble. Et quatre ans après, mariés. Si leur divorce risquait de faire la « une » people, leur mariage n’avait pas été en reste non plus. Des journalistes avaient tenu à les photographier dans un quotidien surfait et construit de toutes pièces pour le reportage, Nana devait le suivre à toutes les cérémonies et ne cesser de sourire bêtement. C’était ce qu’on attendait d’elle. Elle l’avait fait, un temps. Bien qu’ils étaient toujours globalement discrets sur le reste de leur vie et de leur romance, personne n’avait pu manquer les écarts de conduite du magnifique acteur depuis qu’il commençait à perdre en popularité. On s’était aussi plu à critiquer la fois où Nana été sortie en simple survêtement, quand elle ne venait pas à la première d’un film, et même sa récente perte de poids. Si cela pouvait faire le bonheur de quelques fans… Mais Senri n’était plus si jeune… Des célébrités plus « fraîches » prenaient progressivement le relais sur le devant de la scène. Son égo blessé et vengeur n’était plus supportable pour Nana.
« - Tu ne te caches même plus quand tu sors avec ces filles. C’est là que je me sens humiliée. Et…
- Vraiment ?! Tu n’es pas en reste que je sache !
- On ne va pas se mentir. On ne s’aime plus.
- Tu oublies... Tu oublies que l’on s’est marié, que l’on s’est juré de rester ensemble !
- À quoi bon ? Tout ce que tu veux, c’est faire bonne figure. Ça fait bien, ça fait classe d’être mariée à une artiste et une professeur de la Royal Private School. Tu préfères les mannequins, mais tu n’assumes pas qu’on puisse voir ton vrai visage.
- Et le pauvre garçon que tu invites toutes les semaines, c’est quoi ?
- Je n’ai jamais rien fait qui puisse te porter déshonneur. Je cherchais juste du réconfort.
- C’est un prostitué, Nana. C’est comme ça que ça s’appelle.
- Comme tu voudras. Même si tu ne sais pas ce qui se passe dans cette chambre. »
Senri recula d’un pas, horrifié. Il imaginait des choses terribles cet idiot. Il avait trop peu d’imagination ou de romantisme pour se dire que le réconfort, ce pouvait être seulement aussi de parler à quelqu’un, de rester assis l’un à côté de l’autre. Simplement. Si elle l’avait vraiment trompé, il l’aurait su. Parce qu’elle avait des tas de défauts mais qu’elle était honnête. Elle ne mentait pas. Elle ne savait pas et elle détestait ça.
« - Et tout ça !
- Quoi, tout ça ?
- L’appartement, les maisons de vacances, les voitures, et j’en passe ! Tout ce que j’ai payé pour toi, on en fait quoi ?
- Tu peux tout garder.
- …
- Je ne t’ai pas épousée pour ton argent. Peut-être pour ton charisme, ta renommée et l’attrait que représentait une idylle cachée au début, je l’admets, mais pas pour l’argent.
- Nana… »
Parce qu’elle l’avait vraiment aimé, elle se mit à pleurer. Elle se rappelait ce beau jeune homme, sûr de lui, drôle et si sublime à l’écran. Elle se rappelait avoir eu la chance de l’embrasser, de l’entendre lui dire « je t’aime » et d’aussi simplement tenir sa main. Elle avait eu plus qu’elle n’en méritait et plus que beaucoup d’autres. Il s’approcha et essaya de la prendre dans ses bras. Elle recula vivement et se cogna contre la baie vitrée. Il posa les mains de chaque côté de son visage et essuya doucement ses larmes. Elle savait ce qu’il pensait. Qu’il ne l’avait peut-être pas assez bien aimé. Ou que c’était elle qui ne reconnaissait pas sa chance. Elle plongea ses yeux dans les siens et renifla.
« - Je crois, Senri, que l’on a eu trop de bonheur d’un coup.
- Pourquoi tu dis une chose pareille ? »
- Je dois réapprendre à vivre sans toi. Ce sera douloureux, mais c’est nécessaire. Maintenant, ça fait trop mal de voir où nous en sommes arrivés, de voir que l’on ne s’aime plus.
- … »
Le lendemain, elle quittait leur appartement à Tokyo et partait passer quelques jours chez son père à Nara.
…
En marchant le long du chemin boisé, elle reconnut progressivement la douce odeur qui émanait de l’échoppe de son père. Elle franchit le seuil et resta debout dans l’entrée à le regarder travailler. Il commençait à préparer la pâte de haricots rouges et divers mets étaient déjà entrain de cuire dans d’immenses récipients. Il se tourna, prêt à saluer un nouveau client avant de reconnaître sa fille. Sans un mot, parce qu’il était peut-être modeste mais sensible et intelligente, il s’avança, lui prit la main, l’obligea à s’asseoir devant le comptoir et lui servir un grand bol de soupe. Dès la première cuillère, Nana sentit un flot de sensations familières l’envahir, toute retenue la quitter et elle se mit à sangloter. Il la laissa finir son repas puis vint s’asseoir à côté d’elle. « Madame Kitagawa lit beaucoup les journaux. Elle m’a dit que ton mari partait en vacances avec la dame de la météo. » Nana hocha une fois la tête. « La beauté n’est pas qu’extérieure ma fille. Je l’ai compris quand je l’ai vu au mariage. » C’était la seule occasion pendant laquelle il avait vu Senri. Ce dernier n’était jamais venu rendre visite à son beau-père dans son restaurant. C’était aussi un choix de Nana, pour préserver son père qui tenait tant à une certaine tranquillité. « Il n’aura pas goûté mes dorayakis. Tant pis pour lui ! » Nana se mit à rire et posa la tête sur l’épaule du vieil homme. Sa mère l’avait quitté des années plus tôt, avant que Nana n’entre au lycée à RPS. Alors que son père rêvait d’une vie paisible, son épouse avait fait agrandir son salon de coiffure jusqu’à créer une véritable chaîne à travers le pays qui lui avait permis de mener une vie aisée, d’inscrire sa fille à RPS où Nana avait fini sa scolarité. « Quand tu es partie pour Tokyo avec ta mère, je n’étais pas tant triste qu’inquiet. Tu fais un beau métier maintenant, mais l’essentiel n’est pas là. » Nana redressa la tête et le fixa d’un air interrogateur.
« - Tu as la passion. Dans ton métier et dans ton art.
- C’est une chance de pouvoir faire ce que l’on aime.
- Mais ton mari t’a quitté.
- C’est moi qui ai demandé le divorce.
- Je vois… »
Des clients venaient d’entrer, il dut se remettre à son travail. Nana resta assise à le regarder faire. Le soir venu, elle lui sourit. « Cette madama Kitagawa, pourquoi j’ai trouvé ses affaires dans la salle de bain ? » Son père rougit, baissa les yeux avant de les ramener sur elle. « Il n’y a pas d’âge pour trouver l’amour. » Nana posa les mains de chaque côté de la tasse chaude dans l’obscurité grandissante de la nuit. « J’ai cru manquer d’amour en quittant Senri. Mais c’est faux. Je t’ai toi. Et maman. »
…
Le lendemain, Nana rencontrait la fameuse madame kitagawa qui eut à cœur pendant toute la durée de son séjour de lui faire retrouver un poids décent. La veille de son départ, elle lui tendit une feuille de papier. « Dessus, je veux que tu écrives ton histoire pour qu’elle soit une fois pour toute gravée sur le papier et que tu puisses continuer à avancer. Crois-moi, ça marche ! » Plus par amusement que par réelle conviction, Nana entreprit de le faire.
Je m’appelle Sukegawa Nana. Je suis la fille de Sukegawa Koda et d’Ogawa Reiko. Mon père tient un restaurant traditionnel à Nara et ma mère a fait fortune en créant une chaîne de salons de coiffure à travers le pays. J’ai passé mon enfance à Nara avant d’entrer au lycée à la RPS à Tokyo, j’ai poursuivi jusqu’en première année à l’université avant de terminer mes études d’arts à Londres. Si mon père menait une vie simple, ma mère, de son côté, ne cessait de faire prospérer son affaire. En revenant de Londres, j’avais vingt-trois ans. J’ai d’abord travaillé comme peintre pour une boîte de communication. C’est ainsi que j’ai rencontré Senri. Mon mari. Ou plutôt, futur ex-mari. Nous sommes en plein divorce. C’est Honjo Senri, un acteur plutôt connu qui tend toutefois à perdre en popularité. Nous nous sommes rencontrés alors que je faisais son portrait et avons vécu ensemble neuf ans, en comptant cinq ans de mariage. J’ai travaillé ensuite pour une galerie et un conservatoire. Il y a quelques mois, alors que ma vie prenait un tournant nouveau avec l’annonce du divorce, j’ai décidé de postuler comme professeur de dessin et de peinture à la RPS, l’un des professeurs venant de prendre sa retraite. Il faut croire que ma chance a de nouveau tourné car j’ai été prise. J’aime enseigner. Je l’ai fait longtemps au conservatoire et dans des associations. Maintenant, je serai aussi plus libre de mes mouvements. Je n’ai donc pas vraiment à me plaindre. Fille unique, gâtée, qui a pu faire le métier qu’elle aime. Dessiner, c’est ma passion. Ma spécialité, ce sont les portraits. Alors, si je m’approche de vous avec un pinceau, je vous conseille de fuir. Je suis relativement déterminée, même un tantinet exaspérante, quand je veux dessiner une personne. Dire que je suis une fanatique des visages, n’est pas tellement mentir… J’ai bien mon caractère, oui. Un mauvais caractère. Je suis bornée et franche, un peu rancunière aussi. Pour ma défense, il faut bien que je compense ma petite taille et ma carrure de crevette. Je ressemble de plus en plus à ma mère avec ma tête ronde. Demain, je rentre à Tokyo. Ma mère, qui vit actuellement à Osaka, m’a pris rendez-vous dans l’un de ses salons. Si j’ai toujours gardé mes cheveux noirs, j’opterais bien à présent pour quelque chose d’un peu roux. À voir !
…
Nana sortit du salon de coiffure. Elle espérait que la coloration rousse s’estomperait avec le temps. Elle passa s’acheter de nouveaux vêtements à sa taille puis rentra dans son nouveau chez elle. Un appartement encore vide et froid. Elle essaya de s’occuper. Elle commença une illustration, puis la lecture d’un livre, engloutit un ramen tout prêt et infecte, puis resta assise dans le noir. Enfin, elle attrapa son sac et en sortit la carte sur laquelle se trouvait son numéro. Elle se sentait seule, affreusement seule. L’aisance matérielle ne pouvait rien y faire. Elle avait beau cacher sa solitude derrière des beaux sourires et une énergie dévastatrice, elle restait là. Elle avait appris de Senri à faire semblant. Elle joua avec la carte entre ses mains. Elle voulait voir ce jeune homme, cet escort boy en fait. Toucher son visage, juste le regarder et pouvoir s’endormir en paix. Elle mit longtemps à se décider, partagée entre le honte et l’envie. Elle se sentait pitoyable. Pourtant, elle composa le numéro.
« Mince, je suis pas dispo ce soir ! »
Elle s’était déjà imaginée lui ouvrant le porte et l’embrassant sur le front tout en le taquinant. Avant d’oser enfin se dévoiler et d’afficher sa détresse.
« - Mais j’ai un pote qui pourrait !
- Un pote ?
- Il a l’habitude aussi. C’est un mec sympa ! Parfait pour toi.
- S’il est laid, ce n’est même pas la peine !
- Encore plus beau que moi !
- Alors…
- Tu sais, je préfèrerais être avec toi ce soir. Si tu le vois, tu voudras plus de moi, c’est sûr !
- Oh, pas de ça avec moi.
- Si tu savais. Ce soir, je vois une vieille de Shibuya et…
- Stop, j’ai compris !
- C’est le jeux, tu sais. T’es trop bizarre.
- Bon, c’est quoi son numéro ?
- Tu le veux ?
- Oui. »
Un nouveau visage, peut-être un nouveau modèle, Nana alla se recoiffer, se maquiller et patienta devant la porte. Elle était stressée et en même temps excitée. Ce jeune homme ne devait pas savoir ce qui l’attendait. C’est vrai, elle était peut-être bien bizarre. Elle payait très bien pour… Rien en fait. Quelque chose de tendre et presque enfantin. Un psy aurait pu faire pareil, même s’il aurait surement refusé de la prendre dans ses bras. Demain, elle irait faire classe à RPS, priant pour que ses jeunes hommes qui lui tiennent compagnie n’égalent pas trop l’âge de ses élèves adorés. Elle penserait aussi à toutes les sorties et activités qu’elle veut leur faire faire et à la joie de découvrir leurs œuvres et leur talent naissant.
One of us is crying, one of us is lying
In her lonely bed