| petit enfant de haute bourgeoisie, tu arraches l'herbe du jardin familial sous les yeux de tes parents émerveillés. insouciant, à cette époque-là, tu n'as que trois ans. le sourire délicat aux lèvres, tu es loin de t'imaginer à quel point ta vie future ne sera plus aussi belle qu'à ce moment précis. enfant choyé, tu grandis entre l'entente et l'amour démesuré de deux êtres. une enfance douce et sans noirceurs jusqu'à ton adolescence. tu es toujours, à cette époque là, ce qu'on appelle aujourd'hui, un enfant pourri-gâté. bien loin du manque d'argent et plus encore, chaque caprice devient réalité, que ce soit pour ton bonheur comme pour celui de tes parents. aucune limite n'a été faite et pourtant, sans que tu en prennes conscience, un mur, une barricade se construit sous tes yeux. le sourire d'une mère disparaissant de jour en jour, sa vitalité s'envolant, tu observes et deviens spectateur d'une descente aux enfers de cette femme qui t'as aimé depuis ton premier souffle. pour toi, alors que tu portes seulement treize années sur les épaules, ce n'est qu'un coup de fatigue, une simple maladie qui la quittera d'ici quelques petits jours, comme elles le font toutes.
puis non, les jours passent, puis les mois et tu la regardes, encore et encore. son teint devient pâle, sa joie de vivre disparaît et parfois, la nuit, au bout du couloir, dans cette salle de bain, tu l'entends. parfois, elle vomit, puis d'autre fois, elle pleure, seule. assis sur ton lit, tu écoutes chaque nuit cette âme qui s'apprête à partir sous peu. tu le sens, tu le sais. elle ne verra pas ce fameux noël qui approche. alors chaque soir, tu analyses, tu écoutes et attends qu'elle retourne dans son lit pour te glisser sous les couvertures. on ne cesse de te dire que tout ira bien, mais au diable les belles paroles, toi tu sais que ça n'ira pas. rien ne va et rien ira bien désormais. débutant une guerre avec ton paternel suite à ses mensonges, tu deviens exécrable sous les yeux de ta mère qui observe les scènes, impuissante. elle devient spectatrice, comme toi quelques semaines plus tôt. elle observe les deux hommes de sa vie se déchirer sous ses yeux, le tout en restant silencieuse, incapable de faire franchir le son de sa voix à travers ses lippes sèches et blanchâtres. les jours défilent, puis la fin arrive. un matin, tu descends ces escaliers qui mènent à cette fameuse cuisine et rien ne tourne rond. personne. aucune présence. tu remontes, déboulant dans la chambre parentale et encore une fois, personne. tu passes ta journée à tourner en rond tel un lion en cage. le soir venu, ce n'est ni ta mère, ni ton père qui vient à passer cette porte boisée qui orne l'entrée. oncle et tante viennent à toi, l'air triste, les yeux rouges. il ne te faut pas une seconde de plus pour comprendre. c'est terminé, tout est terminé. aucune larme ne coulent, aucun son franchit la barrière de tes lèvres, tu te contentes de les suivre, à leur demande.
ton seul souvenir, le seul que tu as voulu conservé de ce moment là aura été ces tuyaux branchés, se mêlant les uns aux autres, forçant ta mère à respirer, ou presque. en réalité, à ce moment là, lorsque tu passes la porte de cette chambre d’hôpital, elle n'est plus là depuis bien longtemps. ta présence dans la pièce et à ce moment là n'est qu'une formalité. à ce même moment, tu prends conscience que deux ans ce sont écoulés avant qu'elle ne parte définitivement. deux ans que ton père te laisse de coté, deux ans qu'il te cache ce que tout enfant a besoin d'entendre pour comprendre. à ce moment, tu prends conscience que tu n'as pas besoin de lui, plus maintenant. tu comprends de toi même que c'est terminé, qu'elle ne reviendra jamais à la maison et qu'elle a laissé cette maladie prendre le dessus. à ce même moment, tu te dis que ta vie n'est qu'un mensonge, une pièce de théâtre dont tu es le personnage principal.
les funérailles, tu n'as pas voulu t'y rendre, tenant tête à ton paternel, tu n'as pas voulu retrouver ta mère dans cette urne alors que ta place aurait dû être plus importante. le deuil, tu ne le fera jamais car au final, tu ne lui a jamais dis adieu puis tu sais toi, qu'une partie d'elle est en toi, tu le sens, mais n'en dis rien. alors tu vis, tu laisses les jours s’enchaîner, puis les mois, et vient les années, dont une année particulière. tu es en dernière année de lycée et te voilà privé de ta vitalité à ton tour. persécuté, souvent traité d'orphelin, tu te bas contre tous en te levant chaque jour pour obtenir un foutu bout de papier dont tu te fout royalement. puis vient un matin, ce matin d'hiver où finalement, au lieu de terminer ta journée après un cours de sport, tu la terminera dans une chambre d'hôpital. analyses sur analyses, tu souris, ça en devient presque malsain, mais tu sais toi, tu sais ce qui ne va pas et bien que cela n'est rien de bon, tu es fier car elle est là, de retour et elle est en toi. cette foutue maladie qui a eu la peau de ta mère, elle est en toi et cela te ravis car au fond de toi, tu te dis que c'est tout ce dont tu mérites, tout ce dont lui, ton paternel mérite.
si le chef de famille souhaite te faire poursuivre des soins, tu refuses catégoriquement. retournant dans ce lycée, tu marches la tête haute au milieu de ce couloir, puis tu y retournes le lendemain et te voilà faible, prenant les coups des autres. le sourire aux lèvres, tu auras ta revanche un autre jour. les jours s’enchaînent, psychologiquement, tu deviens instable, devenant violent, puis parfois éteint, tes humeurs ne cessent de changer. tu finis par quitter ton cher paternel car avec lui aussi, la situation, la relation se dégrade, comme avec tous. aujourd'hui, tu enchaînes les jours comme tu enfilerais des macaronis pour en faire un collier. les soins, tu les refuses, encore et encore. la maladie prenant le dessus, tu vis, tu chantes, parfois tu te glisse dans ce rôle d'étudiant, puis parfois, tu deviens ce garçon pommé qu'on a envie de cajoler, dorloter, mais le fauve, l'instable refait rapidement surface et ça sera ainsi, tu le sais, tu veux rester ainsi jusqu'à ton dernier souffle, sauf si ton rêve vient à toi lorsque tu passes ces appels à l'aide derrière un micro et cet instrument à cordes. tu attends car c'est la seule chose que tu puisses faire désormais.
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