On me dépeint souvent comme une personne chiante, jamais contente et toujours en train de me plaindre de la moindre petite chose qui ne va pas comme je le veux, alors soyons clairs :  J'aime ce jour ! Vous allez sans doute vous demander pourquoi ? Et bien parce qu'aujourd'hui, j'apprends à de pauvres petites créatures à se servir de logiciels de graphismes... Ouais, j'aime bien mon job lorsqu'il s'agit de souligner à tel ou tel gamin qu'il a mal utilisé un outil ou simplement affiche un sourire mauvais lorsque j'en vois un peiner avec une coupe de cheveux un peu trop complexe à détourer. C'est drôle, genre vraiment, et c'est pour ça que j'adore le cours que je donne aujourd'hui, comme chaque semaine à la même heure. En plus, il y a des choses qui me mettent de bonne humeur à cette heure précise, genre, les élèves supplémentaires qui n'auraient normalement rien à faire à mon cours... vous voyez ? Mais oui, vous voyez, ces élèves qu'on se plaît à ennuyer dès que l'occasion nous est offerte.

En l'occurrence, il s'agit d'une demoiselle avec qui j'ai passé un marché bien précis. Elle vient à mon cours, elle porte une jupe ; c'est ainsi que ça fonctionne et pas autrement. Oh, on pourrait me traiter de pervers à cause de cette demande, mais si je devais décrire cette idée autrement, je dirais qu'il s'agit d'un bon moyen d'affirmer mon autorité sur mes élèves. J'aime leur imposer des règles bizarres, presque autant que leur faire passer des examens qui exigent qu'ils connaissent vraiment bien leur matière ou leurs logiciels. Je trouve cela tellement jouissif ! J'aime bien faire comprendre aux étudiants qui n'ont pas leur place dans mon cours que c'est effectivement le cas. Pour ceux qui sont doués ou qui font des efforts fructueux... C'est différent. Revenons à nos mouton, ce cours si intéressant que je vais donner aujourd'hui.

J'arrive en classe et je repère directement la demoiselle, vérifiant qu'elle porte bien la jupe requise afin d'assister à ma leçon. Check. C'est parfait, elle peut rester. Par contre, qu'elle ne s'attende pas à être épargnée, je ne vais certainement pas la manquer si elle fait une erreur ou autre. En fait, je pense que je passe mon temps à chercher une occasion de lui rappeler qu'elle est à mon cours sans que ce soit prévu, c'est un peu comme une passion, quelque chose qui remplit ma journée de joie, de bonheur... Bon, je suis peut-être sadique sur les bords, maintenant, je n'y peux rien.

Je pose le sac qui contient mon ordinateur sur la table et je souris un peu à l'ensemble de mes élèves. Oh oui ils sont contents de me voir, mais je ne suis pas dupe, je sais que beaucoup d'entre eux profitent de mon cours pour ne rien faire et se tourner les pouces... Malheureusement, ils ne passent pas aussi inaperçus qu'ils le pensent. Je sors mon ordinateur de son sac et je souris un peu plus encore, y ouvrant la liste des élèves de la classe avant de commencer l'appel.

« Mademoiselle au fond, vous pouvez me rappeler votre nom ? Je ne l'ai pas sur ma liste. Vous avez déjà assisté à ce cours?»

Oh, c'est petit. En plus je le vois là, sur ma liste, son prénom. J'affiche un sourire pleinement satisfait à la demoiselle qui se trouve au fond de la classe, laissant un silence planer le temps qu'elle me réponde. J'aime voir les autres élèves se retourner vers elle, j'aime bien montrer aux élèves qu'ils ne sont pas aussi discrets qu'ils le pensent dans la masse.

I've got less problem without you.

La tension montait malgré moi et je sentais d'avance que j'allais encore passer le cours à faire les frais des fantaisies d'humeur de Monsieur Katsura. Un pressentiment comme ça, peut-être parce que je ne connaissais que trop bien sa tendance à vouloir me rappeler que je ne devais ma présence à ses cours qu'à son bon vouloir. Et que donc théoriquement il avait "tout pouvoir" sur ma personne, pédagogiquement parlant bien entendu. Enfin, je n'étais pas certaine que la pédagogie requiert l'obligation de porter une jupe ou une robe à chaque cours mais soit, je n'allais pas faire la fine bouche, après tout, je n'avais pas envie de m'attirer les foudres de l'administration de l'école. Je n'avais pas non plus envie d'attirer l'attention des autres élèves, qui eux avaient entièrement le droit d'être présents à ce cours. Un mauvais pressentiment me disait qu'un jour ou l'autre ils n'hésiteraient à me faire comprendre que je ferais mieux de partir et d'assister à mes cours officiels au lieu de flâner à celui-là. Et mes intentions auraient beau être nobles car j'étais effectivement là pour apprendre et m'améliorer pour mon futur travail, sur le papier je n'étais rien de moins qu'une clandestine dérangeante.

Je sentis d'avance que je ne réussirais pas à demeurer discrète très longtemps. A vrai dire, dès le moment où notre professeur pénétra dans la pièce, je me sentis aussitôt en danger. Pourtant, j'étais au fond et j'étais cachée mon ordinateur portable mais j'étais convaincue du fait qu'il parviendrait à me repérer. C'était comme s'il avait un radar connecté précisément sur ma fréquence, en fait, cet enseignant était peut-être un cyborg. Et son sourire ne me rassura en rien, il avait beau avoir l'air gentil comme tout, au fond, je savais que c'était un psychopathe accompli. Du moins à mon égard. Car j'avais beau être l'une des élèves les plus sérieuses de son cours, il ne m'épargnait pas. C'était comme si j'étais reléguée au même plan que ceux qui passaient leur temps à vadrouiller sur leurs téléphones ou sur les réseaux sociaux. Il allait de soi que je ne me permettais pas et ne me permettrais jamais ce genre d'écart : j'abusais déjà de la compréhension de Monsieur Katsura, je n'allais pas jouer les distraites par-dessus le marché. Autant ne pas venir dans ce cas, cela m'éviterait au moins de servir de bétail pour ses expériences sadiques. Oui, oui ce professeur me faisait peur et je n'essayais pas vraiment de m'en cacher. Il faudrait être idiot ou inconscient pour oser le défier je pense.

Mon sang ne fit qu'un tour lorsqu'il s'adressa à moi. Voilà je l'avais dit, ça allait encore être pour ma pomme. J'avais vraiment le sentiment de prendre pour tous ceux qui étaient inattentifs, c'était trop facile tout de même. Pourtant, je savais qu'il connaissait mon nom, il me l'avait fait répéter trop de fois pour ne pas s'en souvenir et il savait également que j'étais déjà venue,  je n'avais pour ainsi dire pas séché un seul de ses cours depuis que j'avais commencé à m'y rendre. Ainsi donc, je consentis à me redresser et à regarder ledit professeur, esquissant un petit sourire. Autant ne pas paraître nerveuse, cela risquerait d'éveiller les soupçons mais mon sourire n'avait rien d'insolent : je tentais juste de rester suffisamment neutre pour ne pas essuyer une autre remarque désagréable qui m'enfoncerait encore un peu plus dans ma honte.

« Bae Yun Hua, monsieur. Et oui, j'assiste à vos cours avec la plus grande assiduité. C'est presque blessant que vous ne vous souveniez pas de moi... »

J'avais prononcé la dernière presque en chuchotant, mais je ne doutais pas un instant que son ouïe fine puisse l'entendre. Peut-être venais-je de me brûler les ailes avec cette réflexion et sans doute allait-elle me coûter cher. Je le voyais déjà me demander de montrer les prouesses des choses que j'avais apprises pendant les classes et mon rythme cardiaque se mit subitement à accélérer. Le fait était que j'avais beau étudier du mieux que je pouvais, être la plus attentive possible, j'avais toujours quelques difficultés à comprendre certaines notions - ce dont je n'hésitais pas de lui dire - et il semblait qu'il se plaisait à amuser mes petites faiblesses pour me ridiculiser constamment devant les autres élèves. Elèves qui chuchotaient un peu trop bruyamment par ailleurs, et les commentaires qu'ils faisaient ne m'enchantaient pas tellement. Entendre que c'était parce que j'étais totalement mauvaise que Monsieur Katsura m'oubliait n'était pas vraiment agréable.

Offensée, je me pinçai nerveusement les lèvres, appréhendant la réaction de l'enseignant. Allait-il m'achever ? Rah, je commençais déjà à regretter de lui avoir demandé la permission d'assister à son cours, ce devait être la pire idée que j'avais jamais eue. Qui sait, peut-être qu'à la fin de ce cours j'irais peut-être lui demander de ne plus assister à son enseignement ? Restait à voir s'il comptait mettre ma motivation à rude épreuve ou s'il cherchait tout simplement à me faire fuir. Pauvre de moi, j'aurais peut-être dû mettre une robe plus courte...

Spoiler:

J'accepte cette élève à mon cours, mais en contrepartie elle porte des jupes à chaque fois qu'elle s'y présente. Il n'y a pas à dire, à chaque fois que je me repasse ce marché en tête, je me rends compte que c'est sans doute la meilleure idée que j'aie pu avoir de toute ma vie! D'ailleurs, cela me rempli de fierté à chaque fois et, quand j'entends la demoiselle répondre à la question que je viens de lui poser. Son sourire m'en fait afficher un plus large encore; c'est mignon cette justification. "Avec la plus grande assiduité"... En plus, elle vient de me donner l'occasion rêvée de l'embêter un peu plus.

« Oh, vous m'en voyez désolé. Vous voulez bien venir dans la première rangée, que je vous voie mieux? Avec un peu de sens, je finirai par imprimer votre visage une bonne fois pour toute. »

Même avec toute la bonne volonté du monde, je n'aurais pas pu m'empêcher de faire ce commentaire à la demoiselle qui vient de me répondre si sagement. Elle a essayé de se faire passer pour une élève parfaite qui a parfaitement sa place au milieu des autres étudiants présents en classe? Visiblement, ce n'est pas une réussite, car j'entends déjà les commentaires des autres qui commencent à dire des mauvaises choses, ce qui ne me plaît pas pour autant. C'est moi, le maître dans cette classe, et les médisances ou reproches doivent échapper de mes lèvres.

« Et les autres sont priés de se taire pendant ce temps. Nous ne sommes pas au restaurant, mais en classe. »

En attendant que la Yun Hua s'avance à la première rangée, je poursuis l'appel paisiblement, avant de reprendre la parole à son adresse.

« Et comme vous êtes assistez à mon cours "avec la plus grande assiduité", j'aimerais que vous rappeliez à tout le monde ce que nous avons fait la semaine passée.»

L'avantage des cours un peu plus pratiques, c'est le nombre réduits d'élèves et, en l'occurence, la possibilité pour moi de faire participer ceux que je veux. J'aime bien être prof, les jours comme aujourd'hui, ça me met un peu de gaieté au coeur et je peux ennuyer les élèves à qui je veux rappeler qu'ils ne font pas ce qu'ils veulent quand ils veulent. Je crois qu'après ça, je pourrai la laisser tranquille pour leur, du moins un peu, si elle se montre sage et docile... Sinon, peut-être que je continuerai un peu, je trouve ça tellement drôle.

Franchement, je me demande ce que serait ma vie si je n'avais pas ces élèves pour l'égayer un peu. Certes, ils sont chiants, pénibles et parfois ils ne comprennent pas des explications très simples à mes yeux, mais je pense que sans eux, je ne pourrais pas exercer mon rôle de chieur comme je le fais là. Ils me permettent de déployer mon potentiel au maximum, vous savez? Oh, puis ils sont utiles aussi, quand j'ai la flemme de faire un rappel de la semaine précédente, comme je viens de le demander à mademoiselle la clandestine.

D'ailleurs, je lui adresse un nouveau large sourire alors que je referme ma liste d'appel une fois que je l'ai terminé. Comme ça, au moins, on ne pourra pas dire que je suis un professeur peu consciencieux qui fait comme si ce n'était rien que les élèves s'absentent de mon cours.

Spoiler:

I've got less problem without you.

J'avais conscience que je venais de creuser ma propre tombe en répondant de manière un peu trop décontractée à l'enseignant. Cela avait été plus fort que moi, ces mots m'avaient presque échappé, et je savais dès la minute où je les avais prononcés que monsieur Katsura ne laisserait certainement pas passer une occasion si belle de m'enfoncer un peu plus. Tout comme les autres élèves qui paraissaient se réjouir d'avance de mon malheur. Je ne comprenais jamais cette attitude qui consistait à profiter des mésaventures d'autrui pour s'en moquer à cœur joie. Je voulais dire, ça aurait pu tomber sur n'importe qui cette histoire non ? Pas seulement sur moi la pauvre fille qui était tombée sur le mauvais professeur pour assister à un cours de manière illégale. Mais non, la compassion devait être quelque chose de rare et précieux de nos jours et je n'avais que mes pauvres épaules pour soutenir l'angoisse qui m'envahissait de plus en plus. Je cherchais déjà maintes excuses pour justifier le fait que je quitterais peut-être le cours en plein milieu. Mais ma conscience me soufflait que si jamais j'osais faire cet affront au professeur, il me le ferait certainement payer très cher, et porter des jupes serait le dernier de mes problèmes.

Mes mains se mirent à trembler quand il me demanda de venir au premier rang, histoire de pouvoir mieux me voir et pouvoir ainsi "imprimer mon image", comme il disait. Je savais que j'aurais dû tenir ma langue. Docilement, je rassemblai mes affaires et m'exécutai. Il n'y avait pas matière à discuter, je n'avais pas le choix, si je voulais faire de mon mieux pour mériter ma place dans ce cours, j'avais tout intérêt à obéir et à ne pas faire d'histoire. De toute façon, je n'étais pas le genre de fille qui se prenait pour une princesse et qui pensait que tout lui était dû, alors, ma fierté ne souffrit pas tellement de ce qui pouvait paraître pour certains une véritable humiliation. Et je devinais bien que plusieurs élèves présents n'auraient jamais souffert d'être rabaissés ainsi, parce que leurs parents les avaient toujours traités comme des rois. En tout cas, j'appréciai l'intervention du professeur pour qu'ils se taisent, même si je n'en laissai rien paraître. Inutile d'ajouter un nouveau fardeau au-dessus de ma petite tête. J'essayai de ne pas faire le moindre bruit dans mon déplacement car il poursuivait son appel et je réussis brillamment un pied placé pour me faire trébucher. Non mais ils avaient quel âge ? Retenant un soupir, je m'installai à ma nouvelle place, presque recroquevillée sur moi-même.

De nouveau, il s'adressa à moi, me priant de rappeler ce que nous avions fait la fois passée. Sérieusement ? Paniquée, j'allumai précipitamment mon ordinateur, afin de trouver le fichier du cours en question. Je n'avais nullement envie de me griller une nouvelle fois et je préférais mettre un peu temps pour répondre correctement, que répondre à côté de la plaque et subir la colère noire de l'enseignant. J'avais entendu des bruits de couloir qui suggéraient qu'il ne fallait pas l'énerver, à moins de vouloir subir un châtiment terrible. Parfois, je me demandais si ce type n'était pas un dieu vengeur venu punir les élèves paresseux ou maladroits. Chose qui expliquerait le fait qu'il soit plutôt pas mal physiquement. Ahem. Après quelques petites minutes de silence, je retrouvai enfin le fichier Word où j'avais pris les notes du dernier cours. Le titre était "Superposer différents calques sur une seule image", j'en déduisis donc que cela était la réponse qu'il souhaitait. Allez courage Yun Hua, tu peux le faire sans bredouiller !

« Eh bien, nous avons appris comment réussir à superposer plusieurs calques sur une image de façon à ce que ça rende bien, n'est-ce pas ? »

J'avais fait de mon mieux pour que ma voix ne tremble pas trop mais je n'étais pas du tout convaincue du résultat pour être honnête. Il fallait dire que se retrouver au premier rang, toute seule de surcroît, face à un professeur qui vous fixait droit dans les yeux était une situation plutôt intimidante. Surtout face à un professeur qu'on n'avait pas envie de décevoir. Monsieur Katsura l'ignorait sans doute, mais son estime comptait pour moi, certainement parce qu'il avait eu la gentillesse de m'accueillir, chose dont je lui serais toujours redevable. Alors il avait beau être un peu "spécial", il restait à mes yeux l'un des meilleurs enseignants de cette école. Mais ça, je ne le lui dirais sûrement jamais (sauf sous la torture éventuellement) en grande partie à cause de ses lubies étranges.

Spoiler:

Je n'en ai pas l'air comme ça, mais j'apprécie pas mal Yun Hua. C'est une bonne élève et, même si elle commet parfois des erreurs que je qualifierais de stupide, je sais qu'elle est motivée et qu'elle ne vient pas à mon cours par dépit ou pour se tourner les pouces. Après tout, c'est vrai, il y a des élèves qui n'assistent à mon cours que lorsque qu'il le faut ou parce que leurs parents ont décidé qu'ils feraient de l'informatique. Ces gars-là, croyez-moi, je leur fais rapidement comprendre qu'ils n'ont plus intérêt à poser un pied dans ma classe, sauf s'ils veulent que le mien rencontre leur fessier avec la plus grande délicatesse du monde. C'est pour ça que j'ai pris la parole quand j'ai entendu ces imbéciles commencer à jaser sur le dos de l'étudiante à qui je viens de demander d'avancer au premier rang, en plus de cette envie folle d'être le seul à la tourmenter dans cette classe, ce qui n'est pas toujours évident compte tenu de certains trolls qui peuvent s'y trouver.

Un peu plus tard, je demande à la demoiselle de rappeler à la classe l'endroit où nous nous trouvions dans le cours à la fin du précédent et, motivé comme jamais, mon sourire s'élargit quand je l'entends donner une bonne réponse.

« Exactement! Tu peux réexpliquer rapidement à la classe? » Demandé-je en souriant un peu.

Vous savez, je n'ai absolument pas le comportement d'un professeur par moment. Alors que certains feraient tout pour rassurer leurs élèves, je m'enchante à l'idée de souligner leurs erreurs. C'est vrai, quoi, si je passais mon temps à appuyer sur leurs qualités, au final, ils risqueraient d'en oublier leurs défauts! C'est pour ça que j'espère qu'elle ne fera pas trop d'erreurs stupides, car elle a l'air vraiment intéressée par les leçons et si je dois encore faire connaître des erreurs de sa part aux autres élèves présents en cours, je crois qu'elle va finir par penser que je ne l'apprécie pas, elle, genre, personnellement. Il y a plein de gens que je ne supporte pas dans cette école, en particulier un des gars du troisième rang qui est actuellement en train de faire un boucan phénoménal au lieu d'écouter ce qu'il se passe, ce que je fais cesser d'un petit toussotement et d'un regard presque assassin lancé dans sa direction.

« On t'écoute. » Dis-je après un instant, les bras croisés et un sourire à nouveau sur le visage.

J'ai fait mon chieur, maintenant c'est le moment d'être prof. Bon, j'ai toujours été relativement étrange, même comme prof, mais je crois que je peux rester calme. C'est juste que, comprenez-moi, avoir l'occasion de faire quelque chose de pénible pour les autres ressemble toujours à une grande occasion de me divertir, alors avoir une élève incrustée dans mon cours sans devoir y être est en soi une très bonne chose. Quelque part, je ne suis pas non plus obligé de me comporter comme avec tous les autres, même si ça induit certaines choses peu agréables pour elle, à partir du moment où j'ai décidé d'endosser le rôle du gamin difficile.

«  Et si tu as une question ou que tu n'es pas sûre, dis toujours. » Reprends-je rapidement.

Soyons honnêtes, vous voulez, je n'ai jamais été doué pour la délicatesse et lorsqu'il s'agit de montrer aux gens qu'ils ont les capacités de bosser, je ne suis pas le meilleur non plus. Ce sont bien les deux domaines dans lesquels je me sens terriblement mal à l'aise, et ça doit être pour ça que beaucoup d'élèves me voient comme le parfait chieur qui passe son temps à pourrir leur vie et à leur faire des examens bien trop difficiles pour eux. En vrai, même si j'aime beaucoup être le gars qui sème le trouble dans la vie des autres, je suis tout à fait capable de compréhension et de sympathie, la seule condition étant bien évidemment de la mériter, et en général les gens qui la méritent sont les gens qui sont capables de réaliser des choses.

C'est aussi pour ça que j'ai demandé à Yun Hua d'expliquer à la classe ce que l'on a fait la semaine précédente. Je sais parfaitement qu'elle a les capacités de suivre ce cours, qu'elle est très appliquée dans ce qu'elle fait, en tout cas c'est l'impression que j'ai eu. Après tout, quelle étudiante serait assez dingue pour accepter une requête comme la mienne afin d'assister simplement à des cours d'informatique? Je crois qu'elle doit vraiment en vouloir et, pour cela, j'essaie de me montrer un peu plus encourageant que je le serais habituellement, avec d'autres élèves, voire tout simplement avec d'autres personnes qu'elle.

Je la regarde baisser les yeux et fronce un peu les sourcils. Hm. J'aurais espéré qu'elle me réponde directement. Peut-être qu'elle réfléchit? Mes espoirs sont déçus lorsque je la vois relever les yeux et répondre qu'elle ne s'en rappelle pas et qu'elle a du mal avec les outils. Bon, bon, bon...

J'enfonce les mains dans les poches de mon jeans, sans un mot, et je continue à l'observer pendant quelques secondes. Je dois faire quoi exactement? La regarder comme ça en espérant qu'elle change soudainement d'avis et me donne la réponse que j'attendais? Cela ne va certainement pas venir comme ça. Je m'apprête à lui répondre qu'elle peut quand je la vois quitter la classe sans pouvoir la retenir. Je la suis du regard et fronce un peu les sourcils, tournant bien vite le regard vers les étudiants qui commencent déjà à jaser - ce qui a toujours eu le don de m'énerver au plus haut point, et compte tenu de la réaction que Yun Hua a eue un peu plus tôt, je ne peux pas m'empêcher de m'inquiéter un peu.

« Reprenez vos travaux de la semaine prochaine et pour ceux qui ont terminé, commencez un nouveau projet. En silence. » Dis-je avec une certaine autorité, espérant bien me faire entendre.

Quelques instants plus tard, je quitte la classe et réalise que mon élève n'est pas allée bien loin. Juste en face, à vrai dire. Je referme la porte derrière moi et enfonce mes mains dans le fond de mes poches à nouveau avant de m'approcher d'elle.

Bon. On reparle de mon problème de délicatesse? Je réfléchis à ce que je pourrais dire pour essayer de savoir ce qui ne va pas, mais j'ai curieusement s'impression que c'est de ma faute si elle agit ainsi. Oh oui. J'en suis presque sûr, en fait, mais je crois que je m'en veux un peu. J'inspire un peu et essaie d'obtenir son attention avant de parler.

« Yun Hua? Qu'est-ce qu'il t'arrive? »

Elle n'a pas pu expliquer ce qu'ils ont fait au cours la semaine précédente et elle ne s'en sort pas avec les outils, et alors? Je n'ai jamais refusé d'aider un élève à partir du moment où il le demande et, surtout, à partir du moment où il le mérite. D'ailleurs, j'ai tendance à aider plus facilement ces dames que ces messieurs.

« Calme-toi. »

J'ai toujours eu du mal à garder la distance nécessaire avec mes élèves et avec les autres. Je crois que c'est parce que je ne suis pas très conventionnel, ou en tout cas parce que j'ai simplement pas envie de me pourrir la vie à réfléchir à qui je dois respecter et qui je ne dois pas.

« Si tu veux mon avis, la moitié des autres n'auraient pas pu expliquer non plus. » Dis-je en lui souriant un peu.

J'essaie de me montrer rassurant, mais je crois que je manque de pratique. Il faudrait vraiment que j'engage, genre, un professeur de savoir vivre avec les autres. Ça serait une idée grandiose, mais je crois hélas que cela n'existe pas, pas encore en tout cas; je crois que je vais l'inventer.

« Pourquoi tu l'as pas dit plus tôt si t'arrive pas à gérer les outils? » Demandé-je soudainement.

Sur le coup je ne me reconnais pas vraiment, mais vu la manière dont elle a quitté la classe, je me vois mal lui faire la moral et lui dire qu'elle aurait du travailler plus... J'aurais pu, mais je ne pense pas qu'elle le mérite, elle s'en prend suffisamment de ma part lorsque nous sommes en classe et je ne voudrais pas qu'elle pense que j'ai quelque chose contre elle.

Si je lui ai dit que j'étais convaincu que la moitié des autres élèves n'auraient pas été capable de répondre à ma question, c'est bien parce que j'en suis convaincu. Certains d'entre eux, pour une raison qui m'échappera toujours, s'obstinent à venir à mon cours en touriste. Personnellement, je préférerais mille-fois qu'ils n'y assistent pas au lieu d'y venir afin de mettre le boxon dans la classe et de perturber mon enseignement. Après tout, ce n'est pas parce que ces futurs web-designers (ou du moins c'est ce que doivent être ceux qui viennent assister à mes leçons d'infographie) n'ont pas la graine artistique qu'ils doivent faire aussi peu d'efforts, pas vrai ? Je crois que c'est pour ça que j'ai tendance à aider uniquement ceux qui le méritent et à laisser les autres à la traîne, histoire qu'ils me montrent ce dont ils sont capables. Pourtant, en général, ce sont ceux qui sont loin derrière qui restent sur les mêmes bancs l'an suivant, parce que mes examens ne sont clairement pas faits pour ceux qui se moquent à moitié de l'affaire. Vraiment pas. Je crois que j'y mets un peu du mien pour les rendre aussi durs, d'ailleurs. C'est même une certitude, je l'avoue, et c'est aussi pour cela que cela m'énerve un peu de voir une élève comme Yun Hua baisser les bras face à une question « parce qu'elle ne maîtrise pas les outils ».

D'habitude, j'aurais clairement laissé le gamin sortir en ne manquant pas un commentaire stupide, mais ce n'est pas pareil. Cette fille est venue me voir personnellement afin de pouvoir assister à mes cours, elle a souhaité y venir, mais en dépit de sa présence régulière elle semble avoir du mal avec l'outil. C'est problématique, vraiment, et inconsciemment cela me donne une mauvaise impression de moi-même : est-ce que c'est parce que j'enseigne mal ? C'est impossible, le reste de la classe comprend et j'ai confiance en mes méthodes. Après tout, pour réussir à réaliser un montage ou une quelconque manipulation, le mieux est quand même de s'exercer directement sur le programme, non ? Je ne sais pas pourquoi elle n'a pas pensé à me dire plus tôt qu'elle n'y arrivait pas, peut-être que j'arrive à être aussi impressionnant que je le voudrais ? Aucune idée. Dans tous les cas, j'ai essayé d'être rassurant et j'espère qu'elle n'a pas encore plus l'impression que je suis sorti de la classe pour lui passer un savon, car pour une fois ce n'est clairement pas dans mes intentions. J'ai pas envie qu'elle fasse un malaise non plus.

Je suis un peu rassuré quand je la vois se calmer, car ça me donne l'impression d'avoir enfin réussi à être moins con que d'habitude. Je veux dire, vous savez, ce sentiment agréable d'arriver à ne pas empirer une situation lorsque, d'habitude, vous manquez cruellement de patience. Parce que oui, je manque de patience, mais parfois je lutte contre cet aspect de ma personnalité, histoire de ne pas faire fuir les gens... Si je ne le faisais pas, je crois que j'aurais deux pelés et un tondu à mon cours, et ça ne serait certainement pas suffisant, sauf si ceux-ci étaient vraiment motivés ou, mieux encore, doués. Malheureusement, je crois qu'une classe pleine d'élèves parfaits et capable de venir à bout de leurs projets sans aide n'existe pas encore, et c'est tant mieux pour moi sinon ma profession n'aurait tout simplement aucun avenir. M'enfin, elle ne sert pas vraiment si les élèves s'obstinent à taire leurs difficultés, pas vrai ?

« Ouais... M'enfin j'imagine que si t'as demandé à venir à mon cours, c'est quand même pas parce que tu voulais t'en sortir toute seule, hein ? » Demandé-je en croisant les bras, légèrement pensif. « Moi je trouve ça cool que des élèves viennent me trouver pour progresser dans un domaine, ça veut dire qu'ils s'y intéressent, peut-être même plus que ceux qui viennent aux cours parce que c'est inscrit dans leur grille horaire. »

Après, c'est peut-être justement ça qui lui pose problème, non ? Faut dire que je suis rapidement exaspéré par le bruit et que j'ai tendance à les laisser vivre en électron libre lorsqu'ils m'agacent de trop en faisant du bruit. Je ne sais pas trop. Je réfléchis un peu plus longtemps à la question, puis je reprends la parole avec sérieux.

« Écoute, si vraiment tu as du mal avec les outils je dois pouvoir trouver du temps pour te les réexpliquer.  » Proposé-je en souriant un peu. « Ça serait dommage d'abandonner pour ça.  »

Quoi, je peux pas être franc envers mes élèves ? Yun Hua m'a parlé de la même manière, alors je ne vois pas pourquoi je prendrais les même pincettes qu'avec les autres gosses de riche de cette école qui me hérisse le poil.

« Puis, c'est pas comme si j'avais un agenda de ministre non plus, hein. Donc bon, je sais que tu dois avoir pas mal de choses à faire avec tes cours d'art ou je sais plus quoi...  » Dis-je en essayant vaguement de me rappeler à quel cursus elle appartient exactement. « Mais si t'as besoin d'aide, tu viens me voir après le cours et on essaie de voir pour arranger ça, ok ? »

Oui, parce qu'il faut quand même pas qu'on reste cinquante ans en dehors de la classe, surtout avec les énergumènes bruyant que je connais dans celle-ci et les idées stupides qu'ils pourraient avoir pour tricher. En plus, je veux pas dire, mais j'ai du abandonner mon ordinateur, mon bébé, et ce n'est pas une chose que j'apprécie.

« J'te laisse y réfléchir. »

AWKWARD CLASS

Au fond, je me disais que monsieur Katsura ne me reprocherait peut-être pas ma franchise. Au moins, je jouais cartes sur table et je ne me cachais pas derrière de grands principes philosophiques dont je ne pensais pas un mot. Je reconnaissais que je n'avais peut-être pas mis tous les atouts de mon côté mais, comme je le lui avais expliqué, il ne m'était pas venu à l'esprit d'abuser davantage de sa « bonté ». Il m'acceptait en classe, j'avais pensé que c'était à moi de me débrouiller pour me mettre au niveau et suivre les autres élèves. Si en plus de braver la haute administration de l'école il devait passer du temps à m'expliquer des trucs parce que je n'y connaissais rien, il allait finir par me montrer la porte me semblait-il. Mais apparemment, j'aurais dû voir les choses autrement, vu qu'il s'était étonné que je ne sois pas allée vers lui. Me considérait-il donc comme une élève officielle qui avait sa place dans son cours et non comme l'étrangère hors-la-loi ? Je n'en savais rien et c'était bien le problème avec ce professeur, c'était que je n'arrivais pas à savoir s'il avait une dent contre moi ou s'il me taquinait par pure distraction. J'ignorais si j'étais son souffre-douleur ou une élève à laquelle il s'intéressait, pédagogiquement parlant bien entendu. Le fait même de devoir porter une jupe relevait-il de la simple taquinerie ou du fait d'imposer son autorité suprême ? Le mystère était entier. Il me confia alors qu'il trouvait ça plutôt « cool » qu'on vienne le voir pour lui poser des questions. Non seulement il ne fit pas de remarque sur ma façon de parler, mais en plus cela semblait également lui convenir. Bien, au moins on n'allait pas tourner en rond pour de simples conventions dont je me passais volontiers au quotidien. Cela faisait tellement faux et c'était fatigant selon moi, même si je comprenais qu'il y avait un minimum de politesse à respecter. Je ne me serais sans doute jamais permise de tutoyer un professeur par exemple. Je haussai alors les épaules : ça n'avait jamais été dans mes habitudes d'aller voir mes professeurs parce que j'étais en difficulté à vrai dire. Je n'étais pas une élève brillante, loin de là, mais je m'en étais toujours bien sortie et j'avais de meilleurs résultats depuis que j'avais intégré la filière en Arts dans cette école, parce que c'était quelque chose que j'aimais. L'échec n'avait donc jamais trop fait partie de mon quotidien et c'était peut-être pour ça que c'était si frustrant pour moi de ne pas savoir refaire un exercice qu'on avait pourtant vu en long, en large et en travers. Il était peut-être temps d'arrêter d'être aussi bornée, de mettre ma fierté de côté et de demander quelques conseils à l'enseignant pour progresser, enfin. Nerveuse, je me mis à tripoter ma gourmette au poignet en écoutant monsieur Katsura me proposer son aide pour me réexpliquer tout ça. Je fronçai les sourcils : trouver du temps dans le sens des cours particuliers ? Sérieusement ? Malgré moi, je le dévisageai de la tête aux pieds. Sans rire, je ne le voyais absolument pas donner des cours supplémentaires à ses élèves, mais il fallait croire que derrière ses airs de tyran hyper exigeant se cachait un professeur à l'écoute prêt à aider ses petites brebis. Peut-être était-ce tout simplement parce que personne n'était jamais venu le voir pour expliquer ses difficultés qu'on avait cette image de professeur autoritaire un brin dictateur ? Nouvelle découverte, il paraissait qu'il n'avait pas beaucoup de travail en dehors des cours, une surprise pour moi qui pensais que tous les enseignants de cette école étaient presque aussi débordées que les célébrités. Je devais sans doute arrêter d'avoir des préjugés sur les gens dans cet établissement... Il m'annonça ainsi que je pouvais le voir après le cours si ça m'intéressait et qu'il me laissait y réfléchir, avant de retourner en classe. Je n'avais en effet pas pensé qu'il valait mieux ne pas trop laisser la salle sans surveillance, mais en même temps, je n'aurais pas pensé qu'il viendrait me voir pour me rassurer. Je pensais éventuellement à une brève remontrance et c'est tout. Décidément, il était surprenant. Ainsi, après m'être encore un peu calmée, non sans me traiter d'idiote, et avoir remis rapidement mes cheveux et ma robe en place, je trouvai l'immense courage de revenir en classe à la suite du professeur. J'évitai soigneusement les regards curieux de mes camarades et trouvai le chemin jusqu'à ma place. Il fallait dire que ce n'était pas bien compliqué vu que j'étais au premier rang haha. Je n'avais pas observé l'état des lieux plus que cela, mais quelque chose me disait que les élèves s'étaient dispersés pendant l'absence de notre professeur. Des fois je me demandais si j'étais vraiment en cours ou en cour de récréation. J'essayai donc de reprendre le fichier du cours précédent, quand je sentis quelqu'un tapoter mon épaule. Intriguée, je me retournai vers mes voisines de derrière, qui avaient visiblement l'air de s'amuser beaucoup. « Pas mal ta technique pour appâter le prof, me balança l'une d'elles avec une grimace assez étrange, mais je crois pas que ça soit efficace. Il faudrait un volcan pour émouvoir ce mec-là. Tu devrais arrêter de penser que tes robes et tes jupes te permettront de passer ma pauvre... » Et elles ricanèrent comme fières de ces paroles, assez médiocres quand même. Je lâchai un profond soupir. Moi qui pensais qu'on atteignait un stade supérieur au niveau de la mentalité à l'université, il semblerait qu'il y avait toujours des exceptions. Poings et dents serrés, je les fusillai du regard, chose qui les surprit quelque peu. Pensaient-elles que je n'étais pas capable de m'énerver ? « Au moins j'ai la décence de pas me limer les ongles ou de me maquiller pendant son cours, rétorquai-je avec amertume, et toi même avec tes décolletés et tes mini-jupes personne daigne te regarder et c'est pas faute d'essayer... » Ce n'était que pure vérité et même si je concédais que leur répliquer sur le même ton était un poil puéril, je ne pouvais pas me laisser descendre par ces gamines qui n'avaient sans doute pas un grand intérêt pour l'informatique.

RYÛ & YUN HUA

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Spoiler:

Si on prend la peine d'y réfléchir, on peut constater que j'ai toujours aidé plus facilement ces dames que ces messieurs. Oui, je l'admets, je suis plus facilement motivé à l'idée d'aider une fille qu'un mec, et alors ? C'est normal, non ? Puis bon, je pense que les gars sont parfaitement capables de se débrouiller avec un ordinateur sans avoir un mec calé dans le sujet derrière eux, non ? Je crois que je surestime un peu le monde, mes élèves en particulier, mais j'aime bien penser qu'ils sont débrouillards parfois, même si ces espoirs sont fréquemment déçus lorsque je vois les réponses que certains d'entre eux donnent à mes interrogations. Il faudrait vraiment qu'on me donne du renfort, histoire que je n'ai pas envie de publier sur les réseaux sociaux ces informations si croustillantes que j'apprends à propos de mon propre métier, parce que ça vaudrait vraiment le coup certains jours, compte tenu de l'inventivité de la jeunesse ! Mais bon, ce n'est pas le plus important. Le plus important, là, tout de suite, c'est de retourner donner mon cours à ces énergumènes que j'ai abandonné à leur triste sort en allant vérifier que tout allait bien pour Yun Hua, qui même si je lui donnais l'impression contraire était autant mon élève qu'une autre.

Lorsque j'ai confirmation qu'elle a bien compris ma proposition, en particulier par l'air étrange qu'elle affiche en me regardant, je retourne en classe et découvre que l'anarchie y a pris place. Bon. Ils vont pas commencer à me faire chier eux, sinon je pense qu'on va pas s'entendre. Je m'adresse à eux avec autorité, comme à mon habitude, et je leur indique de reprendre leur place, sous peine de devoir me recopier une phrase en binaire une bonne cinquantaine de fois, et ils savent parfaitement que j'en serais capable. Et même si ça me ferait chier, je passerais mon temps à vérifier. Quand je vous dis que je n'ai rien de mieux à faire de mes journées parfois. Personne, à part les ordinateurs, n'aime le binaire, pas vrai ?

Après un instant, je leur demande – une fois encore, mais visiblement ça ne veut pas rentrer dans leurs jeunes esprits rebelles – de reprendre leur travail et de s'y atteler avec attention. Bien évidemment, l'un d'entre eux me prend pour un con et me fait remarquer que j'ai parlé du « travail de la semaine prochaine », ce qui n'est pas totalement faux, mais il arrive à tout le monde de se tromper bêtement en parlant, non ? C'est tellement évident à mes yeux qu'ils devaient prendre celui de la semaine précédente et le terminer. Parfait, il me copiera 20 fois « je dois arrêter de faire le malin » en binaire, lui. Je lui indique avant de frapper légèrement de mes phalanges sur le bureau de Yun Hua, face au quel je suis actuellement debout, et d'ajouter un petit « ssh » afin qu'elle ne réponde pas aux imbéciles qui se trouvent derrière elle. Je ne veux pas devoir lui donner la même punition qu'à l'autre imbécile, en plus je ne suis même pas sûr qu'elle connaisse le binaire, ça lui ferait perdre un temps fou.

« Bien, on va reprendre ou nous en étions. Ceux qui maîtrisent déjà l'outil, je ne vous oblige pas à écouter, mais je vous impose le silence, comme d'habitude. »

Et je commence ainsi mon cours qui traite de fonctions de base du logiciel de manipulation d'image que nous utilisons au cours. Il faut qu'ils maîtrisent les bases s'ils veulent être capable d'innover et de créer de petits chef d’œuvres, et je suis persuadé qu'ils y arriveront. Quand j'ai terminé, je vais m'installer derrière mon bureau et je vérifie ma boîte mail afin de répondre aux questions que des élèves m'ont envoyé, puis je vérifie que j'ai bien préparé la prochaine interrogation que je dois leur imposer. On ne dirait pas comme ça, mais je suis relativement appliqué dans mon travail ; ce n'est pas parce qu'il est comme une épine à mon pied que je dois le négliger. C'est ma source de revenu, alors je dois le faire correctement, c'est aussi simple que ça. Quand une question arrive, je me lève et me dirige vers la demoiselle qui la pose, juste derrière Yun Hua. Celle-là, elle était prévisible. Je l'ai déjà croisée en boîte une fois, je vous laisse imaginer son comportement. Pas de bon pour elle, j'étais encore assez sobre pour réaliser qu'elle faisait partie de ma classe et qu'elle essayait de se rendre intéressante. On ne me paiera jamais pour des points, peu importe le moyen de paiement, haha.

Ainsi arrive la fin de l'heure. Je souris à ma classe, leur conseillant de vérifier qu'ils ont bien sauvé leur projet avant de leur souhaiter une bonne journée et de mettre mon ordinateur en veille. Comme j'ai cours juste après, je ne vais pas quitter la classe, alors je reste là pour les éventuelles questions, sans compter que Yun Hua doit m'informer de sa décision. Elle se voit malheureusement devancée par sa voisine de derrière qui vient s'appuyer sur mon bureau et me poser des questions... Vraiment stupide. Meuf, t'es étudiante en informatique ou t'es simplement venue là pour draguer le prof ? Bon, j'veux pas dire mais j'en profite un peu et je crois qu'elle le sait, mais c'est son problème. De toute façon elle n'y gagnera rien. Quand elle a enfin terminé ses bêtises, je lui fais également quitter la classe tandis que d'autres rangent encore leurs affaires.

Franchement, je crois que l'on pourrait m'accuser de faire du favoritisme sans même que je cherche à le nier. J'en fais clairement. Oui, j'aime les élèves appliqués et j'ai tendance à aider les filles avant les garçons, mais c'est normal, non ? Non ? Bon d'accord, ce n'est pas bien normal aux yeux d'une personne bien éduquée et parfaite sous tous les angles, mais je ne suis pas une personne bien éduquée (quoique, on en garde de vague souvenir du côté de la conscience ) et encore moins un professeur parfait sous tous les angles. Je vous rappelle quand même que j'ai tendance à agir exprès pour ennuyer mon monde et mener la vie dure à ceux qui rendent la mienne pénible. Douce rancune.

Dans tous les cas, la fille qui vient de quitter la classe est clairement du genre de personne qui cherchent sans cesse à attirer les faveurs des autres, mais elle n'aura pas les miennes, ou du moins pas celles qu'elle espère. Oh oui, je pourrai parfaitement l'aider, regarder ses jambes et lui laisser croire qu'elle m'intéresse un minimum, mais je ne suis pas du genre à sauter sur tout ce qui bouge non plus, même si j'aime passer mes soirées accompagné. En plus, cette fille fait partie de mes élèves et je ne pense pas que ça soit vraiment possible, vous voyez ? Je souris un peu à cette pensée et la laisser partir sans essayer de la retenir.

Quand la voix de Yun Hua se fait entendre, je lève les yeux vers elle et lui accorde mon attention (quelle gentillesse Ryû, le monde entier te congratule.) en souriant un peu. Des cours supplémentaires ? C'est mignon, dis comme ça on pourrait presque croire que le terme « cours particulier » ne lui plaît pas. Je ris un peu en l'entendant dire qu'elle a encore eu du mal au cours, mais je me calme bien vite car il ne faudrait pas qu'elle pense que je me paie sa tête, pour une fois que ce n'est pas le cas.

« Je t'ai dit que je pouvais. » Dis-je en riant un peu. « Tu as mon mail ? Je sais plus si je l'ai donné à cette classe. »

La question de ma vie. Ai-je ou n'ai-je pas donné mon mail à mes étudiants ? Ai-je reçu un mail pénible de la demoiselle que j'ai vue un peu plus tôt et qui a semblé bon de me montrer sa poitrine en vue plongeante ? Haha. Je pense que oui, mais là n'est pas la question.

« Faudrait que tu m'envoies tes horaires, que je puisse arranger ça. À l'école ou ailleurs, de toute façon ça change rien tant qu'il y a un ordi. »

Dans le fond, c'est pas tout à fait faux. Puis bon, c'est pas comme si j'essayais en permanence de fuir cette école de gosses de riches qui ne pensent qu'à être le plus notable ou le plus stupide (parce que oui, j'ai clairement l'impression que certains font des paris à ce niveau, vu la densité de crétins qu'il peut y avoir entre ces murs).

« Tu as une préférence ? »

Oui parce que tant qu'à faire moi ça m'arrangerait de quitter cette école et de pas avoir à y passer encore plus de temps. J'veux dire, on peut s'installer quelque part pour bosser, non ? Genre, dans un café, dans un fast-food, sur une place publique ou tout simplement chez moi ou chez elle... Bon après je doute que ses parents voient d'un bon oeil que leur fille fasse venir un prof comme ça, sans raison apparente, juste pour l'aider à s'améliorer en informatique alors qu'elle n'est pas censée assister à ce cours, pas vrai ?

Au final je me dis que je dois avoir l'air vachement bizarre comme professeur. Je veux dire, je refuse d'aider certains élèves officiellement inscrits à mes cours, mais j'offre des cours particuliers à des élèves comme ça, sans raison, alors qu'ils ne le sont pas... Je crois que je devrais réviser ma manière de faire, même si j'ai confiance en elle et que je sais qu'elle me permet de faire progresser mes élèves sur le chemin de la grandeur... Les références, mes amis, les références. Je souris un peu à Yun Hua quand j'ai posé ma question, espérant recevoir une réponse de sa part. Avec un peu de chance, elle va me dire qu'elle n'aime pas l'école, elle non plus, et ça m'arrangerait bien !

Je devrais peut-être faire un peu plus attention à la manière dont je m'adresse aux élèves, mais je crois que je ne suis vraiment pas prof, dans la réalité, vous voyez ? J'suis un peu genre, un adolescent qui a grandi mais qui n'a jamais réussi à devenir un adulte... Un adulescent, c'est ça le mot, pas vrai ? Oui voilà, un adulescent ! Rah, si seulement les gens pouvaient m'aduler. Non, ça n'a rien à voir, mais je crois que ça fait aussi partie des raisons pour lesquelles j'aime que les élèves viennent me poser leurs questions après les cours.

HRP:

AWKWARD CLASS

Qu'on ne s'y trompe pas : je n'aimais en rien l'idée de devoir suivre des cours particuliers. La simple idée de me dire que je me trouvais face à une impasse et ce, parce que je n'étais pas assez douée, me rendait à vrai dire malade. Je ne supportais pas l'échec, plus que cela même, je le redoutais et rejetais toujours cette pensée du plus profond de mon âme. Pour être tout à fait honnête, j'étais même sûre que si monsieur Katsura ne m'avait pas poussée dans mes retranchements ce jour-là, il ne me serait certainement jamais venu à l'esprit d'aller le voir pour qu'il me réexplique les choses plus en détails. Pourquoi ? Eh bien, déjà ce serait avouer une faiblesse comme expliqué précédemment et je n'aimais pas cela. Je détestais reconnaître que je peinais à faire quelque chose, moi qui semblais pouvoir affronter toute situation la tête haute sans jamais me laisser abattre. Ensuite, parce qu'il ne fallait tout de même pas se leurrer, j'avais regardé suffisamment de dramas, japonais comme coréens, pour comprendre que la situation pouvait parfois aisément déraper dans ces circonstances, et que les enseignants qui offraient volontiers des cours particuliers n'étaient pas forcément des gens aux intentions pures. Surtout quand le professeur qui vous suggère l'idée vous impose de vous mettre en jupe pour venir à ses cours en temps normal. J'étais prête à parier qu'à ma place, beaucoup d'étudiantes se seraient enfuies les joues en feu. Mais le fait était que je ne pouvais pas ignorer éternellement mes difficultés plus qu'évidentes - car il apparaissait clair que je n'avais jamais fait d'informatique et donc que j'étais complètement perdue - et que vu la bonne volonté de monsieur Katsura, je ne pouvais pas faire la mauvaise tête. Ce serait pour ainsi dire nul de me plaindre d'avoir à répondre à des questions dont je ne connaissais pas la réponse, si je ne faisais rien de mon côté pour m'améliorer. Et me voilà donc face à l'enseignant le plus sadique - et le plus pervers ? - de tout Royal Private School, priant pour qu'il n'ait pas changé d'avis en voyant que j'avais moins d'attributs à lui offrir que ma camarade précédente. Haha, il fallait bien un peu d'humour pour ne pas trop stresser en attendant sa réponse je suppose ? Il fallait dire que le rire qu'il m'offrit en réponse ne me rassura pas tellement : se moquait-il de moi ? Cela le faisait rire de me voir rendre les armes de la sorte ? Je fis une moue contrariée en écoutant sa réponse : il semblait évident pour lui qu'il était prêt à mettre tout son temps à disposition pour m'aider dans ma galère solitaire. Je hochai la tête quand il me demanda si j'avais eu son mail. Bien entendu que je l'avais son mail ! Il avait même fait exprès de le redonner à la classe le premier jour où j'étais venue, en ne manquant pas d'appuyer que ça pourrait servir aux, je cite, « gens qui avaient été distraits au point de n'être pas encore venu en cours ». Histoire de bien faire remarquer ma présence aux autres élèves en somme. Par ailleurs, je ne manque pas de réagir immédiatement lorsqu'il suggère de faire le cours hors de la fac. Je n'aurais pas dit mieux et j'eus du mal à contenir mon enthousiasme. « Franchement, plus on sera loin de cette école, mieux je me sentirais, avouai-je en toute franchise, c'est pas que l'établissement me répugne hein, mais si on peut travailler loin de cette ambiance un peu...  Gossip Girl ? ça m'arrangerait quoi. » J'avais des raisons de penser que je ne risquais rien en jouant cartes sur table avec lui. Il ne semblait pas non plus porter dans son cœur cette atmosphère d'enfants de riches qui cherchaient continuellement à trouver les meilleurs ragots sur les gens au lieu de se soucier réellement de leurs études. Parfois, j'avais même l'impression d'être coincée dans une série télé sans le savoir, j'en faisais même occasionnellement des cauchemars. A se demander pourquoi j'avais eu la brillante idée d'accepter d'entrer dans cet établissement. Sans doute devais-je avoir bu un peu trop ce jour-là ? Bref, désormais, j'étais confrontée à toutes sortes d'individus, avec des réactions dont je n'avais parfois pas soupçonné l'existence jusqu'à les voir de mes propres yeux. Peut-être devais-je songer à écrire un bouquin ? Partager mon expérience de fille presque normale au milieu de tous ces gens tellement hors du commun ? Avec un soupçon d'ironie à chaque page bien entendu. « J'ai pas mon emploi du temps sous les yeux mais je pourrais mes disponibilités rapidement. Genre, ce soir même en fait. Il est pas trop chargé de manière générale donc même si on va dans une bibliothèque paumée à l'autre bout de la ville, c'est pas grave. » Je ne pouvais pas être plus claire : tout sauf Royal Private School en résumé.

RYÛ & YUN HUA

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Spoiler:

J'ai forcément donné mon mail à la classe. Maintenant je m'en rappelle. Je l'ai fait dans mon optique d'ennuyer Yun Hua et de faire remarquer à tout le monde son arrivée. Franchement, je suis une vraie peste lorsque j'en ai envie ; d'un autre côté, il faut dire que cette fille n'a rien à faire à mon cours à la base, et qu'elle n'est là que parce que je l'en ai autorisée, alors forcément que je fais des choses pour l'ennuyer un peu. Je crois que c'est ma passion dans la vie, ennuyer les autres, il n'y que quelques personnes qui n'y passent pas et, en général, ce sont celles pour lesquelles j'ai le moins d'intérêt, qu'il soit professionnel ou personnel. Par exemple, prenez Mi Ran, je l'adore, c'est une élève très talentueuse, mais je passerais des heures à l'ennuyer ou à lui tweeter des choses débiles simplement pour spammer son fil ! Une bique, je vous dis. Bref, on aura compris que mes affinités avec les autres passent en général par ma manière de les charrier, et il en va de même pour mon appréciation professionnelle, alors il n'est pas bien difficile de comprendre que, si je mets autant l'accent sur la présence de Yun Hua dans cette classe, c'est parce que je sais qu'elle n'y est pas sans raison, malgré les difficultés qu'elle peut rencontre. Puis je ne sais pas, dans le fond, j'ai du mal à croire qu'elle ait décidé d'assister à mon cours pour mes beaux yeux, elle n'a pas l'air aussi limitée dans son jugement, heureusement d'ailleurs, parce que parfois j'ai un peu pitié de mes élèves... Juste un peu, bien sûr. Haha.

Quand l'étudiante me dit que plus on sera loin, mieux ce sera, un large sourire prend place sur mon visage. Bien évidemment, je suis d'accord. Franchement j'ai autre chose à faire que passer mes journées dans cette école et j'ai pas le temps pour ces conneries de bébés riches orgueilleux. Au moins, en dehors du bâtiment, je peux faire comme je veux, parler comme je veux, expliquer comme je veux. Voilà. Puis je peux faire ce que je veux pendant que les étudiants font leurs exercices, aussi, ce qui n'est pas forcément le cas dans l'enceinte de l'école puisqu'il faut rester irréprochable et attentif, pas vrai ? Saleté d'école de merde. J'aimerais bien les voir bosser dans le vrai milieu du travail, moi, ces enfants gâteux.

« Pas de problème, ça m'arrange aussi figure-toi. C'est mieux si c'est ailleurs. »

Une ambiance un peu Gossip Girl. J'avoue que je n'aurais pas dit mieux moi-même. Oh, bien sûr, cette gossip n'a plus vraiment de secret pour moi, mais j'avoue qu'elle me fait plus rire qu'autre chose, au bout du compte. Franchement, on n'a qu'à assumer nos conneries au lieu de faire comme si l'on n'avait rien fait. Je suis pas parfait et je le serais jamais alors bon, il n'y a pas mort d'homme ! C'est pas de ma faute si j'ai une attitude spéciale envers les étudiants et les autres professeurs et, si vous voulez mon avis, il n'est pas encore né celui qui me fera changer d'attitude. Je ris un peu en repensant à cette remarque. Ouais, franchement, je crois que je vais la garder pour la ressortir plus tard, celle-là. Au moins ça me conforte dans l'idée que Yun Hua ne risque pas de me prendre de haut lorsque l'on bossera, pas vrai ? Je serais tellement déçu d'avoir proposé mon aide exceptionnelle à une étudiante trop gâtée et profondément ingrate. Trop bon, trop con, comme on dit. D'accord, je suis pas forcément trop bon, enfin, dans le sens gentillesse, puisque dans l'autre personne ne pourrait le nier (Ca va les chevilles, Ryû?)

« Ok, j'attendrai ton mail. En attendant je verrai pour trouver un endroit convenable. »

Oui, parce que je vous avouerais que j'ai pas envie de me taper le ménage de mon appartement, là, tout de suite, vu comment on peut avoir l'impression que c'est un champ de bataille (en même temps, si tu passais pas tout ton temps à sortir, ça serait certainement mieux, Ryû.), puis j'ai pas trop envie d'amener une étudiante là, vous voyez ? Bon ok en vrai j'en ai rien à faire de ça, mais ses parents trouveraient certainement ça louche et j'ai pas trop envie de m'attirer des ennuis avec eux. Je réfléchis un peu, puis cherche un morceau de papier et un bic qui se trouve dans la poche de mon jean (toujours pratique, les amis), afin d'écrire mon numéro de portable.

« Au cas où tu n'aurais plus mon mail. »

Je précise parce qu'il ne faudrait pas qu'elle pense que je suis quelqu'un de bizarre qui donne son numéro à tous les élèves, vous voyez ? Roh, c'est bon hein, ce n'est pas comme si Yun Hua était la seule élève à qui je proposais une aide extra-scolaire, si ? Franchement, faut arrêter de rêver un peu.