Fidèle à moi-même, je m'étais rendu à la bibliothèque à la première occasion. Je n'étais pas, comme tout le monde, équipé d'un portable et d'une connexion internet. J'avais donc utilisé un ordinateur de l'école pour mes recherches. Il me fallait de la colle assez forte pour être sûr que l'oeil du lapin en peluche qu'on m'avait confié resterait cette fois-ci bien fixé dans son orbite. Il était vrai que j'avais d'abord pensé à aller chercher de l'aide auprès de quelqu'un mais je ne connaissais personne d'assez qualifié dans le domaine de la réparation. Du coup, je m'étais débrouillé par moi-même. Et je m'étais même dépassé ! Oui, j'étais sorti de l'enceinte de l'école et j'avais affronté ma peur pour me rendre dans un magasin. Après une crise d'angoisse mémorable, j'étais finalement rentré au dortoir et j'avais pu m'atteler à la tâche que m'avait confié Ying.
Le cours se termina mais je ne bougeai pas de ma chaise. C'était toujours ainsi. J'attendais que le flot d'élèves fût passé, qu'il eût vidé les couloirs. Mais aujourd'hui j'étais bien impatient que tout le monde s'en allât. J'avais très envie de revoir l'étudiant. Pourtant j'appréhendais ce moment.
Tandis que je me dirigeais vers le pôle scientifique, je repensais à la succession d'événements étranges qui avait eu lieu deux jours plus tôt. Mes habitudes avaient été totalement chamboulées au cours de cette soirée, de cette nuit, passée dans les bras du jeune homme. En y repensant, mes joues rosirent un peu. Je n'avais raconté ça à personne. Tout d'abord parce que je ne voulais pas qu'on me posât de questions, ensuite parce que j'estimais que ces moments auraient toujours plus de valeur s'ils restaient secrets. Marchant en direction du couloir où devait m'attendre Ying, je me remémorais ses mots. Une phrase toute simple qui n'avait cessé de tourner dans ma tête. Je n'étais pas armé pour en comprendre totalement le sens.

Ying était assis par terre, penché sur son téléphone. C'était une mode dont je me tenais scrupuleusement à l'écart. Je m'arrêtai devant lui et lui adressai un sourire en le voyant si enthousiaste. J'avais eu peur, c'était vrai, qu'il ne fût plus le même que l'autre soir. Souvent, les gens changeaient d'un jour à l'autre. Je n'eus pas le temps de le saluer correctement. A peine debout, il m'interrogeait déjà sur l'objet précieux qui était dans mon sac. « J'ai fait de mon mieux ! » Mon cartable glissa de mes épaules et je l'ouvris pour en sortir la peluche que j'avais rangée soigneusement. L'oeil était à sa place, comme si rien ne s'était passé. Avec le lapin, je donnai à Ying un petit tube de colle, le petit tube pour lequel j'avais fait tant d'efforts. « Tiens, tu en auras besoin si jamais l'autre veut aussi partir. » Je n'aurais pas osé l'avouer, mais j'étais fier. J'avais tenu ma promesse et j'avais maintenant la plus belle des récompenses : Ying et son sourire radieux. Un peu intimidé d'ailleurs, je refermai mon sac qui, à l'image de la peluche, avait bien vécu, puis le remis sur mes épaules.

J'avais rendu son secret à l'étudiant et à présent… Quelque chose à laquelle je n'avais pas pensé fit surface. C'était tout ? Enfin… Est-ce qu'il allait me remercier puis s'en aller ? Secrètement, inconsciemment même, j'avais nourri l'espoir de passer du temps avec lui. Maintenant encore, j'espérais qu'il ne partît pas. Après tout, c'était lui qui m'avait demandé de rester l'autre nuit. « Est-ce que tu vas bien ? » Ce n'était pas mon genre d'entamer réellement une conversation. Mais si j'avais pensé à Ying, je m'étais aussi inquiété pour lui. L'accès de terreur qu'il avait vécu durant cette nuit m'avait marqué. J'espérais qu'il n'avait pas de nouveau fait face à quelque chose de ce genre.

Ying avait l'air ravi. J'avais l'impression d'avoir offert son cadeau de Noël à un enfant. J'étais vraiment très fier de moi en fait. Il me rendit le tube de colle et je le glissai dans ma poche, me retenant de sourire le plus largement possible. J'avais un peu de mal à le regarder. Parce que quand je posais mes yeux sur lui, j'avais envie de rire bêtement. Il rangea son secret bien soigneusement et puis je secouai légèrement la tête à sa question. Non, je n'avais rien d'autre à faire que de rester dans ce couloir avec lui. Et, honnêtement, j'aurais pu rester là des heures s'il voulait bien me donner un peu de son temps. « Pour te remercier, j'aimerais t'emmener quelque part. Tu veux bien ? » Etonné et intrigué, je relevai la tête. Je ne m'attendais pas à des remerciements, encore moins à une surprise. Avant même que j'eusse pu répondre, la main de Ying avait saisi la mienne et il m'entraînait à sa suite dans le pôle scientifique. Nous passâmes sans que je le remarquasse devant le planétarium, cet endroit qui m'avait fait vivre des moments merveilleux avec Ayden. Aujourd'hui, mon regard n'était posé que sur Ying, sur sa nuque que je voyais vraiment pour la première fois. J'étais tellement absorbé par cette image que je ne remarquai pas tout de suite que la lumière avait changé. Ce ne fut que lorsque le jeune homme fit volte face que je relevai la tête, promenant mon regard sur ce qui nous entourait.

Mes lèvres s'entrouvrirent et je restai sans voix. Il y avait là des couleurs féeriques, de l'eau à perte de vue et des vitres qui nous protégeaient juste d'une inondation. On aurait pu se croire sous la mer tellement l'atmosphère avait été étudiée pour qu'on se sentît au plus proche des poissons. Comme je sentis la main de Ying m'échapper, je reportai mon attention sur lui. Comme je réalisais que j'aurais bien voulu qu'il tînt la mienne un peu plus longtemps, je rougis légèrement. Heureusement, les lumières artificielles ne le laissaient pas remarquer. Un sourire se dessina sur mes lèvres quand Ying m'expliqua ce qu'on était venu faire ici. Il avait avancé un peu alors je courus un peu, tout léger afin que ça ne s'entendît pas, pour le rattraper et me mettre à sa hauteur. « Moi aussi c'est la première fois. C'est magnifique. » Cela faisait un peu trop de premières avec la même personne… Pourtant cela ne me dérangeait pas. Cette surprise dépassait toutes mes espérances. Quoique… J'avais quand même un peu espéré que, sous le coup de l'émotion, trop heureux d'avoir retrouvé son précieux lapin, Ying m'aurait pris dans ses bras ; j'aurais alors retrouvé un peu de sa chaleur, son odeur si douce aussi. Est-ce que l'aquarium était mieux ? Je ne savais pas trop. J'en prenais plein la vue et j'étais avec l'étudiant alors j'étais aux anges. Soudain, mes yeux s'écarquillèrent et je m'approchai d'un grand bassin où nageaient tranquillement tout un tas de poissons. Je me penchai, collant presque mon nez à la vitre. « Oh regarde ! Celui-là a des yeux aussi grands que les miens ! » Exactement les mêmes globes étonnés, ceux qui me complexaient beaucoup. J'étais persuadé que les yeux étaient le miroir de l'âme. Les miens, si grands et expressifs, m'embarrassaient beaucoup. J'avais du mal à soutenir le regard des gens, convaincu qu'ils pouvaient lire en moi comme dans un livre ouvert.
Le poisson, comme s'il s'était fait la même réflexion que moi, vint se positionner juste devant mon nez, de face, pour observer ce qui lui semblait sûrement être son reflet. J'attendis que Ying me rejoignît pour me décaler et lui laisser voir la créature. Mon sourire ne me quittait plus. Je devais avoir l'air bien idiot à regarder mon compagnon de la sorte. « Merci Ying. C'est super ici. » Ma voix s'était faite plus douce, était presque devenue un murmure. Je n'étais pas très à l'aise avec mes émotions. J'espérais qu'il ne m'en tînt pas rigueur et qu'il comprît que ma façon de m'exprimer n'avait souvent rien à voir avec ce que j'éprouvais réellement.

En regardant le jeune homme, je réalisais que, bien que j'eusse l'impression de le connaître depuis toujours, je ne savais absolument rien de lui. Ou alors bien peu de choses. Ma question sembla sortie de nulle part, mais elle résultait d'une série d'interrogations silencieuses en réalité. « Qu'est-ce que tu étudies ? »

Il se produisit une chose à laquelle je ne m'attendais pas. Ying me fit un compliment. A vrai dire, je détestais ça. J'avais toujours pensé que ceux qui m'en faisaient ce moquaient de moi. Il y en avait un qui excellait dans cet exercice, un garçon qui semblait beaucoup s'amuser à me pourchasser dans les couloirs, à me crier tout un tas de jolies choses pour m'embarrasser. Est-ce que Ying se moquait de moi aussi ? Mon sourire s'estompa sans disparaître, suite à la surprise qu'il venait de me faire. Mes joues s'étaient empourprées et je n'avais pas pu soutenir son regard, embarrassé. J'avais l'air bête quand je souriais, je le savais bien. Si j'avais été totalement honnête avec moi-même, j'aurais su que ce que je détestais le plus dans les compliments, c'était de ne pas savoir comment les accueillir. Est-ce que je devais le remercier ? Lui en faire un aussi ? Je préférai changer de sujet, l'interroger sur lui.

J'appris qu'il était étudiant en deuxième année. Il était donc plus vieux que moi. L'année scolaire touchait à sa fin, l'année universitaire aussi du coup. Il allait donc passer en troisième année. Chant et cinéma… Ça faisait rêver. Un instant, je repensai à la chorale de la paroisse. J'aimais tellement y aller… Mais je ne le pouvais plus. Je chassai vite ces pensées émouvantes de mon esprit. J'étais bien capable de fondre en larmes tellement ça me manquait. J'étais curieux d'entendre Ying chanter. J'étais sûr que sa voix était encore plus belle quand il la mettait sur une mélodie. Mais je n'aurais jamais osé lui demander une démonstration de ses talents. « Je suis en première. Au lycée... » Je me mordillai la lèvre, un peu embarrassé. Je me sentais minuscule soudain face à l'étudiant. Alors je précisai, comme si je me justifiais, comme si j'essayais de réduire notre différence d'âge. « Je vais passer en terminale. J'étudie les lettres et les langues. » Ying pensait connaître mon secret depuis qu'il savait que j'étais effrayé par la foule. En réalité, ce n'était un secret pour personne. La chose que je gardais réellement pour moi était mon activité d'écrivain. Ça, je le cachais du mieux que je le pouvais. J'adorais écrire, seulement j'étais très loin de me considérer comme un auteur. J'esquissai un sourire et penchai légèrement la tête. « Tu étudies le cinéma ? Le jeu d'acteur ? Ou des choses annexes ? » Je ne savais pas vraiment formuler cette question. Seulement j'étais curieux de savoir ce qui l'intéressait car le cinéma, c'était large et ça rassemblait un tas de choses.

Nous nous trouvions devant une vitre derrière laquelle une foule de minuscules poissons faisaient leur vie sans se soucier de nous. J'avais un peu de mal à savoir où regarder. Il y avait toutes ces couleurs, ces poissons fantastiques, et puis il y avait le visage de Ying, que je trouvais si beau… J'avais envie d'avancer, de découvrir chaque recoin de l'aquarium avec lui. Mais je n'osais pas aller plus loin. J'attendais qu'il le fît, afin de le suivre.

« Oh non ! C'est juste… Ce qui m'intéresse. » Je n'étais pas intelligent. Si je l'avais été, j'aurais depuis longtemps surmonté mes peurs, mes doutes, mes angoisses, j'aurais répondu à toutes ces questions qui m'empêchaient trop souvent de dormir, j'aurais compris déjà qu'Ayden ne pouvait être qu'un ami… Tout comme Ying. Quand les gens sont parfaits, ils ont forcément quelqu'un qui les aime à leurs côtés. Comme l'étudiant me parlait de ses études, je retrouvai le sourire. Ça avait l'air vraiment passionnant. J'étais admiratif devant lui. Un instant, je l'imaginais sur scène, un projecteur faisant irradier son beau visage. Dans mon esprit, il n'avait pas besoin de chanter ou de jouer la comédie. Il restait là, debout face au public. Ce dernier, comme moi, admirait l'étendue de ses qualités, toutes ces belles choses qui se dégageaient de lui sans qu'il n'eût rien d'autre à faire que de retrousser progressivement ses lèvres dans un magnifique sourire. J'imaginais tout ça pendant que nous déambulions dans les allées de l'aquarium. Je ne regardais qu'à moitié les poissons, perdu dans ma rêverie. Mon corps suivait tout naturellement les pas de mon compagnon.

Ce ne fut que lorsqu'il s'assit que je m'arrêtai. Il me fit signe de le rejoindre, alors je m'exécutai sans discuter. Tout autour de nous, les bassins nous offraient une vue magique. Mon esprit naïf se prit à rêver que cet aquarium n'existait et n'était beau que parce que Ying était avec moi. J'étais sûr que sans lui, cet endroit perdrait de sa valeur. L'étudiant reprit la parole. J'avais les yeux fixés sur le bassin face à nous, sur tous ces poissons qui nageaient dans un silence feutré. Machinalement, je tendis le bras devant moi et étirai mes doigts comme s'ils étaient posés sur la vitre que je ne pouvais atteindre à cette distance. Je chuchotai, comme pour moi-même : « Il n'y a pas de vitre dehors… Ni de couloir dans lequel je peux être seul... » C'était le problème. Je n'aurais jamais souhaité mettre des gens dans un aquarium. En revanche, je me serais senti bien mieux si j'avais été entouré d'une cage de verre. Personne n'aurait pu me toucher, me parler, m'atteindre. Comme mes doigts qui se refermèrent dans le vide. Je ne pouvais pas attraper de poisson. Ma main retomba sur ma cuisse et je frémis doucement en sentant celle de Ying sur la mienne. Elle était chaude. J'avais envie de la prendre entre mes doigts, de la caresser, de la serrer. Mais je ne le ferai pas. Je n'en aurai pas le courage. Tandis que je tournais la tête vers le jeune homme, ce fut lui qui enlaça délicatement mes doigts. De nouveau, cette sensation étrange courut le long de ma colonne vertébrale, dans mon ventre aussi. Dans les yeux trop grands que je posais sur Ying se mélangeaient plusieurs émotions dont je n'avais pas conscience : l'émerveillement, l'admiration, la confiance naïve que j'avais placée en lui. J'avais raison. Ying était un magicien. Sinon je ne serais pas dans cette pièce. Je le croyais, oui, mais je ne pouvais pas lui parler de ces requins. Ils m'avaient suffisamment répété ce qui arriverait si je le faisais. En revanche, il y avait une chose que je pouvais lui assurer. « S'il y a des requins qui s'en prennent à toi la nuit, tu peux... » Je cherchais les mots, plongé dans ses yeux qui me captivaient. Je ne les trouvais pas, alors je décidais de répondre aux derniers mots qu'il m'avait dits avant de se rendormir. « Je ne partirai jamais. » Je n'étais pas sûr que cette phrase me fût réellement adressée. Seulement j'avais besoin de lui faire cette promesse à haute voix. Je voulais qu'il sût qu'il comptait pour moi. Parce qu'au fond j'avais envie qu'il ne partît jamais lui non plus.

Ying me parla de choses que je connaissais. L'imaginaire, c'était mon domaine. Du coup, j'étais bien placé pour savoir qu'il avait ses limites. Quand j'étais arrivé dans cette mégalopole qu'était Tokyo, j'avais compris que j'avais fait une grave erreur. Par chance, j'avais fait ici les plus belles rencontres de ma vie. Il y avait ces gens qui m'avaient appris plein de choses, notamment à contrôler mes crises. J'avais encore beaucoup de chemin à parcourir et je savais la route semée d'embûches. Mais je n'avais jamais fait autant d'efforts de ma vie. Je ne le faisais pas pour moi. J'espérais que si je continuais de tenter d'appliquer leurs conseils, ces personnes continueraient de s'intéresser à moi. Je m'évertuais donc à leur plaire. Heureusement, parmi eux, il y avait ma meilleure amie. C'était la seule qui réussissait à me faire sortir de l'enceinte de l'école – sauf quand je m'enfuyais de moi-même. Je tenais sa main, je la serrais très fort et je m'efforçais de la croire quand elle disait que nous étions dans notre bulle, que personne ne pouvait nous toucher. Les rues de Tokyo étaient tellement remplies qu'il était quasiment impossible de ne pas se faire bousculer, surtout quand, comme moi, les pas étaient maladroits. Plusieurs fois déjà, j'avais tenu bon. Alors je comprenais ce que Ying voulait dire. Mais il ne se rendait peut-être pas compte de tout ce qu'il me restait à faire.

Ses bras m'entourèrent si doucement que je ne résistai pas. Lentement, mes mains se posèrent sur son dos, avec la timidité que m'inspirait sa délicatesse. Contre lui, je me sentais minuscule et très grand à la fois. La sincérité était palpable dans sa voix alors j'étais sûr d'être en sécurité, enveloppé par son odeur agréable. « Moi aussi. » Mon coeur s'emballait. Encore une fois, je savais que ce n'était pas négatif mais je n'en trouvais pas la raison. Sans affirmer le désir qui se cachait derrière mon geste, mon nez effleura la peau de son cou. C'était tellement léger qu'il n'était même pas sûr qu'il l'eût senti. Sans vraiment me lâcher, Ying recula et ses yeux, de nouveau, attirèrent les miens. Je ne pouvais pas lui dire la vérité. S'il l'avait su, il se serait certainement attiré des ennuis. Et puis je ne voulais pas qu'il s'inquiétât pour moi. Ce n'était pas une bonne façon de le remercier d'être là et de me prendre dans ses bras. Au contraire, je voulais qu'il trouvât auprès de moi une certaine tranquillité. Tant qu'il sourirait, alors je saurai que je remplissais bien ma part du contrat.
Comme j'avais l'impression que Ying cherchait quelque chose dans mes yeux, je tentais de les rendre moins expressifs. Je n'avais pas répondu, considérant que le silence n'était ni un mensonge, ni une promesse. Et alors que je m'apprêtais à parler, je sentis quelque chose au niveau de mes côtes. Sous la surprise, je ne pus réprimer un éclat de rire sonore, la bouche grande ouverte alors que je me contorsionnai légèrement pour échapper à cette amusante torture. Je reposai mes mains dans son dos, gardant un sourire sur mes lèvres. Mes yeux pétillaient. Je ne savais plus depuis combien de temps je n'avais pas été aussi content. J'étais même plus que content. Sur son t-shirt, mes doigts furent agités d'un léger tremblement. Même si je souriais, une crainte s'était logée en moi, qui faisait écho aux mots qui m'échappèrent. « Ying, on ira dehors un jour ? Ensemble.. ? » Et si je sentais l'angoisse monter, ce n'était pas pour rien. Je ne demandais jamais quoi que ce fût à personne. Jamais. Cela faisait naître tout un tas de peurs. Je pouvais déranger, je pouvais essuyer un refus, je pouvais perdre une amitié, je pouvais me ridiculiser… Et puis encore d'autres choses sur lesquelles je ne parvenais pas à mettre de mots. Du coup, malgré mon sourire, mon regard était à la fois plein d'attente et d'appréhension.

L'attente prit fin très rapidement et vraiment pas comme je l'aurais espéré. Maintenant ? J'entrouvris les lèvres, l'air… halluciné. Une tonne d'informations assaillaient mon esprit, me faisant visualiser des choses qui me firent frissonner. Il y avait la foule, tout ce monde, sans aucune vitre à l'horizon, sans aucune cachette. Achevant d'amorcer la crise qui s'annonçait, Ying se détacha soudain de moi. Après la surprise, c'était la détresse qui se lisait dans mes yeux. J'étais pétrifié, incapable de bouger ou de parler. Seule ma tête remuait très lentement de droite à gauche en signe de refus. Il était hors de question que je sortisse maintenant. Je n'étais absolument pas préparé. Habituellement, il me fallait au moins deux heures, souvent quatre, pour m'accoutumer à l'idée que mon corps allait être ballotté, que je pourrais faire une mauvaise rencontre, ou pire, me perdre. L'idée venait à peine de s'insinuer dans mon esprit et Ying voulait déjà m'emmener en dehors de cet endroit merveilleux ? Le contraste risquait d'être bien trop rude pour moi. Mon regard descendit jusqu'à la main tendue du jeune homme. J'avais envie de la prendre. En fait, j'avais envie de me blottir tout contre lui. Je sentais mon souffle se faire court et je n'osais pas prendre cette main dont j'avais pourtant tant besoin. Je savais parfaitement ce qu'accepter impliquait, alors…

Ying m'en dit un peu plus sur ses intentions. Et moi je restais muet comme une carpe, terrifié à l'idée de dire oui comme il me le demandait. Lentement, je mis ma main tremblante dans la sienne. Je laissai passer une petite minute, afin d'être sûr que mes jambes me porteraient. « C'est loin ? » Il fallait que j'évaluasse le temps que nous mettrions à y aller. Tandis que je me redressai, je jetai un petit coup d'oeil autour de moi, me figurant tous ces poissons comme étant des êtres humains. Je n'étais pas certain de parvenir à faire ce que Ying attendait de moi, mais je me promis d'essayer. Alors sans plus attendre, je le suivis vers la sortie. Pour quelques secondes encore, nous étions dans ces couloirs surréalistes, dans ce lieu empreint de poésie et de mystère. Plus je voyais la porte se rapprocher, plus l'étau se resserrait autour de ma poitrine. Je serrais déjà un peu plus fort la main qui m'avait été offerte. Je ne voulais plus la lâcher, c'était hors de question. S'il me lâchait, je m'effondrerais. La porte était là et Ying s'apprêtait à abaisser la poignée quand je m'arrêtai net. Avec hésitation, mes doigts libres agrippèrent son haut et le tirèrent légèrement pour qu'il se retournât. « Tu… Tu ne me perds pas, hein ? » Ma question était idiote. Pourtant c'était bien ce qui me faisait le plus peur. Je savais pertinemment que si je me retrouvais seul dans ces rues, la panique serait trop grande pour que je retrouvasse mon chemin. Tout ce qui se trouvait derrière cette porte que nous nous apprêtions à franchir me terrorisait. Je voulais pourtant revoir le sourire de Ying, j'avais envie qu'il fût fier d'avoir réussi à me faire sortir de cette école. J'avais déjà compris que s'ils se sentaient utiles, les gens restaient.