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jun ho & erin

I will go if you ask me to, I will stay if you dare ✻✻✻ C'était les traits tirés, sans enthousiasme aucun qu'elle avait croisé les bras sur sa poitrine, laissant son dos cogner contre une barre du métro, sans grimace ni ronchonnement, sans aucune expression d'ailleurs. Quand Erin était plongée dans ses pensées, on arrivait rarement à l'en tirer. Mutique, un visage sérieux surmonté de deux sourcils légèrement froncés, la Britannique perdait ses traits d'enfant au profit d'un air austère, tranchant même. Pas du genre qu'on osait déranger. Et elle avait presque oublié la présence de Jun Ho quand celui-ci attira son attention, la tirant non sans regrets de la nébuleuse dans laquelle elle s'était perdue.

« Alors quoi, tu réfléchis déjà à la façon dont tu vas te comporter devant le type ? Plutôt timide et souriante ou incompréhensiblement bavarde ? »

Deux jours plus tôt, son père lui avait laissé un message depuis ce qui semblait une éternité. Court, concis, tout ce qui le caractérisait. Ce n'était pas tant le fait qu'il ait pensé à elle pour la première fois depuis un mois que le contenu du message qui l'avait surprise – il voulait qu'elle rencontre quelqu'un. Chez lui, le soir du dix-huit octobre. Une personne spéciale, avait-il précisé, alors habille-toi bien s'il te plaît. Façon détournée de dire « range les jeans troués et les chemises, Erin, je n'ai pas un sac pour héritière ». Perdue, d'abord. L'Anglaise n'avait pas trop quoi su répondre, dans un premier temps. Ses parents ne s'étaient jamais vraiment mêlés de sa vie amoureuse, à son plus grand bonheur, et du haut de ses vingt ans et de ses quelques expériences infructueuses, elle ne se pensait pas tombée dans un niveau de désespoir tel qu'il fallait que son paternel s'en soucie. L'invitation s'était sous-entendue pressante, impérative même, de sorte qu'Erin n'avait que pu répondre par l'affirmative. Et, quelques heures seulement avant son rendez-vous, son placard retourné pour trouver en vain une chemise à peu près convenable, elle s'était décidée à sortir se trouver une tenue. Avec l'aide de Jun Ho.

Quelle idée.

« Je réfléchis à ce que je vais foutre là-bas, surtout », avait-elle rétorqué en relevant le nez, ses yeux encore songeurs croisant un instant ceux du jeune homme. « Et à pourquoi je t'ai demandé à toi de m'aider à trouver une tenue. »

Justement, l'intuition ne tarde pas à se confirmer car à peine entrés dans la première boutique, la jeune femme plantée devant une robe se fait interrompre par le brun qui lui balance que c'est une mauvaise idée. Elle le prendrait presque mal. Ses yeux se plissent et lui lancent un regard hostile puis retournent à la robe. Elle n'était pas si mal pourtant. Pas le genre bal-de-promo-et-première-fois, plutôt simple. Sans prétention ni aguichage. Quelque chose que sans les mots de Jun Ho, elle n'aurait pas hésité à essayer.

« Tu sais, je me demande vraiment pourquoi je t'ai proposé de venir. »

Elle aurait pu demander à Amy, pour ne mentionner qu'elle. Elle aurait eu le droit à un avis plus objectif. Quoiqu'elle avait dans l'idée qu'elle aurait pu demander à n'importe quelle nana sur Terre, ça aurait toujours été plus agréable que le regard de Jun Ho qui décelait un ma pauvre, tu ressembles à un poulpe crevé à peine voilé. Rentrant ses mains dans ses poches, faisant rouler ses pierres entre ses doigts, elle continue de glisser au hasard devant les rayons. Rien ne lui fait envie, et à vrai dire elle ne sait toujours pas ce qu'elle fout là. Ni ce qui lui a pris pour accepter ces conneries.

« Jun, fait-elle pour attirer l'attention du garçon. Elle retire son bonnet pour s'ébouriffer les cheveux, et poursuit dos au brun : A quoi est-ce que tu t'attendrais, si ton père t'annonçait que tu devais rencontrer une fille ? Je veux dire, niveau tenue, tout ça. Classe, mignon, provocant ? »

Et en général, d'ailleurs, comment était-on supposé réagir ? Ce n'était pas le genre de son père, de vouloir surveiller ses relations. À vrai dire, elle ne l'avait pas vu se préoccuper de quoi que ce soit d'autre que ses études et en y repensant, elle aurait préféré que ça reste ainsi.

« Merde quoi, c'est quoi cette nouvelle lubie ? » souffle-t-elle pour elle-même avant que sa main ne se perde dans un nouveau rayon de chemises. Elle se barrerait bien pour se barricader au dortoir, et la seule chose qui la retient d'en faire autant, c'est que Jun Ho la regarde et qu'elle ne veut pas passer pour ce genre de nanas. « Tu veux pas m'aider à choisir ? Je sais pas ce qui me va. » ✻✻✻

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I will go if you ask me to, I will stay if you dare ✻✻✻ Jun Ho et elle sont aussi similaires que l'huile et l'eau, et aussi complémentaires pour ce que ça change : on ne les met pas au même endroit sans que ça ne se brouille pour finalement se séparer. Jun Ho est aussi sociable et fantasque qu'elle est renfrognée et chiante. A priori, la pire combinaison possible. Pourtant, il leur arrive de se mélanger, et quand c'est le cas, ils mixent étonnamment bien. Et elle a beau se demander pourquoi elle l'a invité, déjà, et se maudire intérieurement de sa naïveté, au fond son avis compte. Et plus les minutes passent plus ça lui semble une sale idée de l'obtenir.

« Je t'évite le pire en quelques sortes. Tu sais, tu devrais être reconnaissante, tes goûts spéciaux dans le domaine de la mode ne te sauverons pas sur ce coup là.... Ni sur aucun coup enfaite. Je peux déjà imaginer tout ça... »

Elle n'a pas le temps de lui rétorquer une insulte quelconque que le jeune homme est déjà parti flâner dans le rayon voisin, abandonnant une Erin renfrognée face à un pull kaki à trous. Cette dernière ne se démonte pas et lui octroie un gracieux signe du majeur, non sans s'attirer au passage quelques regards perplexes des autres clientes. Rapide coup d’œil à sa tenue du jour, jean délavé qui a l'air d'avoir son âge, que surmontent une veste verte et noire par-dessus un pull blanc. Erin fait plus touriste un peu bourrue qu'indécrottable fashionista, pas le genre qu'on s'attend à rencontrer à un blind date. Surtout connaissant son père, qui a dû vanter tous ses mérites pour acheter le type qu'elle va devoir impressionner. C'est-à-dire en ne se vautrant pas jambes écartées dans son siège sitôt arrivée. Autant dire qu'il y avait du travail.

Mais ça aurait été trop coûteux de l'avouer. Cela dit, elle ne sait pas trop non plus pourquoi elle demande de l'aide à Jun Ho. Non que le jeune homme ait une allure d'épouvantail, mais quelqu'un qui s'y connaissait en robe, ça aurait été la moindre des choses, pense-t-elle alors que le Coréen attire une nouvelle fois son attention sur des robes. Il commence à en sélectionner quelques unes, les empilant sur son bras et elle ne peut s'empêcher de le regarder faire avec intérêt, plus silencieuse que jamais. Cette fois, elle n'a pas de piques à lui rétorquer.

« T'étais cross-dresser dans une autre vie ? Promis, c'est un compliment. »

Bon, peut-être une. Elle attrape sans un mot de plus la robe qu'il lui tend, un merci à peine chuchoté et elle s'évapore dans une cabine. Là, elle prend tout son temps pour examiner les traits de son visage. Fatigués, pas tellement avenants. Elle se demande si elle serait plus jolie avec un sourire et tente d'en ébaucher un. Elle se sent stupide, nue presque face à son reflet, et elle se débarrasse prestement de sa veste, puis de ses fringues et enfile la robe avec l'air de celle qui ne se sent pas à sa place. Pas dans son corps non plus. Ce n'est pas Erin qu'elle voit dans la glace, c'est une nana aux yeux de chat qui la reluque effrontément, un peu troublée par ce qu'elle constate. Elle n'est plus sûre de la dernière fois qu'elle a mis une robe, sûrement à l'époque où elle se roulait encore dans l'herbe et essayait de grimper aux arbres du parc de Manchester pour se retrouver un étage plus bas avec un bleu sur les fesses.

«  C'est bon, tu as fini ? »

La voix de Jun Ho la surprend au moment où elle ausculte ses formes moulées par la robe et se demande comment se faire des abdos d'ici le soir. Elle s'apprête à tirer le rideau de la cabine pour se découvrir, mais décide autrement. Son ton sort faussement innocent, feutré derrière la cloison qui les sépare :

« J'arrive pas à remonter la fermeture… Tu…veux bien m'aider ? »

Exquise attente pendant laquelle elle jubile en imaginant l'expression confuse qui doit se peindre sur les traits du garçon. Elle attend face au rideau, bras croisés sur sa poitrine, que son ami entre dans la cabine. Elle pourrait rester plantée pendant des heures juste pour surprendre son expression. Mais quelques minutes suffisent et dès que Jun Ho l'a rejointe, elle le gratifie d'un sourire narquois qui reflète toute sa fierté.

« T'affoles pas, je déconne. » Fashion terrorist, oui, mais elle sait encore comment s'habiller toute seule. L'envie d'embêter un peu l'étudiant la démangeait et l'emploi des clichés n'était jamais peine perdue. « Non, sérieusement. Ça me va ? C'est pas ma couleur, non ? On n'y voit rien ici. »

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I will go if you ask me to, I will stay if you dare ✻✻✻ Ça fait un drôle d'effet de se retrouver face à soi-même dans une cabine, à s'épier sous tous les angles avec une espèce d'insécurité agaçante qu'elle ne se connaît pas. Erin, elle s'est toujours trouvée passable. Pas super  sexy avec toutes les courbes là où il les faut, mais pas non plus hideuse. Peut-être pas l'idéal typique des asiatiques, avec ses yeux presque inexistants, mais ça lui a toujours été égal : elle n'avait personne à qui essayer de plaire. Quand bien même elle essaie d'attirer l'attention de quelqu'un qui lui plaisait, elle misait plus sur sa personnalité – peut-être à tort, en tout cas ça avait toujours été son mode de fonctionnement et c'est la première fois qu'elle doit le changer. Parce que là, ça ne dépend pas d'elle, c'est un parfait inconnu qu'il lui faut séduire et les techniques habituelles ne vont sûrement pas marcher.

«  Il n'y a rien à voir de toutes façons, je n'ai pas manqué le spectacle », lui assène le jeune homme en pénétrant dans la cabine.

Le con. Elle serre les dents en entendant un rire étouffé dans la cabine d'à côté. Elle ne tarde pas à répliquer, d'une pique qu'elle lance avec un air faussement apitoyé :

« T'es jaloux parce que tu n'en auras jamais autant, ni sur toi ni dans tes mains ? »

Les chamailleries pourraient continuer des heures. Elle est si habituée qu'elle ne se formalise même plus des taquineries du jeune homme et lui rend toujours monnaie de sa pièce. Une façon comme une autre de lui prouver son affection ; rien n'a jamais été très conventionnel dans leur amitié de toute façon. Il lui arrive de penser que si elle avait eu un frère, elle l'aurait sûrement traité de la sorte. Puis Jun Ho passe un doigt dans ses mèches, frôle sa joue d'un index et son fantasme famille parfaite s'évapore aussitôt qu'il est venu. Un frangin ne l'aurait pas autant déstabilisée.

« Est-ce que c'est ton père qui veut que tu y aille ou c'est toi qui veut y aller ? Petit blanc. Il doit remarquer qu'elle ne suit pas tellement, parce qu'il rajoute d'emblée : Tu sais ce que je veux dire... Ça te ressemble pas ces conneries ; blind date, fils à papa,.. »

Ah, ça. Erin chasse sa main d'un coup de la sienne et replace elle-même ses cheveux, passant une main dans ceux-ci pour les désordonner un peu plus et elle reprend un pas de distance avec le jeune homme. Dis donc, elle était étroite cette cabine.

« Ça fait un bail que j'ai pas passé du temps avec mon père, j'ai surtout accepté pour ça. » Silence. Elle ne veut pas s'étendre. « Je m'en fous, de ce mec. Je sais pas trop non plus pourquoi mon père veut absolument que je le rencontre mais hey, je pourrais avoir une bonne surprise. »

Quel optimisme. Que le type en question soit sympa, c'est tout ce à quoi elle pouvait se raccrocher. Et surtout, qu'il ne fasse pas trop attention à ses fringues parce qu'elle se sent salement vulnérable là-dedans. À moins que ce ne soit que maintenant.

« T'as pas une autre robe en stock ? J'ai l'air d'un sac là-dedans. Et pas assez de décolleté. »

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I will go if you ask me to, I will stay if you dare ✻✻✻ « Parle pas comme ça. Tu pourrais avoir à y recourir quand aucune femme de ton âge ne s'intéressera à toi. »

C'est la dernière phrase qu'elle s'est autorisée à lancer sur un ton léger bien que systématiquement sérieux. La question qui suit de la part de Jun Ho signe le commencement d'un sujet dans lequel elle ne veut pas s'embarquer. Elle répond pourtant, très brièvement, et elle achève sa déclaration sur une phrase qu'elle espère suffisante pour que le garçon arrête de lui poser des questions. Erin n'a aucune envie de s'embarquer dans des explications. Il n'y a rien à expliquer, d'ailleurs. Elle sait que son accord pour cette soirée est contestable, mais elle ne va pas chercher une dot ou signer un contrat de mariage. Elle va simplement rencontrer un inconnu et, sous ce prétexte, passer du temps avec son père. Et ça, elle n'a pas envie d'avoir à en donner une excuse, surtout pas à Jun Ho.

« Décolleté décolleté, tu pense que tu t'habille pour aller dans un club ? »

La réponse est sèche, aussi sèche que l'est la fermeture du rideau et l'espace d'un instant, elle lui en veut presque de cette réaction qu'elle ne comprend pas, qu'elle refuse d'interpréter. Alors, quoi ? Il lui a posé la question, elle lui a répondu sans détour ni enjolivement. À quoi s'attendait-il d'autre ? Ça l'énerverait presque mais elle décide de se contenir. Pas maintenant, pas ici, pas ce soir alors qu'elle a besoin de soutien et d'un esprit clair. La voix de Jun Ho derrière le rideau se fait plus douce, mais impatiente et elle obtempère, se débarrassant de la première robe pour revêtir la noire.

« Jun Ho », appelle-t-elle enfin, « au secours, je viens de prendre dix ans. »

Et elle pèse ses mots. Si avant il la trouvait infantile, elle peut désormais se faire passer pour sa tante en sortant, au moins. Elle ne pense pas à donner un aperçu au jeune homme et commence directement à retirer la robe, dos au rideau, jetant au passage un rapide coup d’œil sur son portable pour prendre note de l'heure.

« Puis qu'est-ce que tu as contre les décolletés ? Je parle pas d'une robe Marilyn ou des deux-pièces de Rihanna, j'aimerais juste éviter de ressembler à une nonne qui n'arrive pas à abandonner les soirées après s'être reconvertie. »

Toute absorbée qu'elle l'est dans sa tâche de redresser sa robe sur le cintre, elle n'entend pas le rideau s'ouvrir et ce n'est que quand elle sent un courant d'air frais chatouiller son dos qu'elle saisit qu'elle n'est pas seule.✻✻✻

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I will go if you ask me to, I will stay if you dare ✻✻✻ Elle rumine, elle râle mais au fond, elle est contente que Jun Ho soit là. La situation la fout dans tous ses états et il n'y a bien que lui pour lui changer les idées, même si c'est en la charriant avec ses réflexions mal placées. Elle l'injurie ouvertement et le maudit secrètement mais elle apprécie sa présence car même si tout ce qu'il fait c'est titiller ses points sensibles pour l'agacer davantage, au moins il lui a changé les idées. Pendant qu'elle songe à comment répliquer à toutes les piques qu'il lui balance, elle ne pense pas à son père ni à ce type qu'il veut absolument lui faire rencontrer et pour l'instant, elle n'a besoin de rien d'autre.

Elle commence à se demander d'où sort la clim qui envoie des frissons le long de sa colonne vertébrale quand elle remarque la tête de Jun Ho dans l’entrebâillement du rideau qu'il referme aussitôt, sous un hoquet surpris de la brune. Freeze, un pied en l'air et la robe froissée dans ses mains crispées, elle ne bouge plus. Son cerveau prend un moment à encaisser et analyser la situation, et elle se sent tanguer sur l'unique soutien qu'est son pied droit et elle sent ses ongles plonger dans ses paumes à travers le fin tissu de la robe noire. Ce n'est qu'à l'entente de la voix du jeune homme qu'elle semble reprendre ses esprits :

« La prochaine fois, dis moi d'entrer quand tu es habillée... I-idiote. »

Elle ramasse son cerveau éparpillé par terre.

« Je t'ai pas dit d'entrer, justement ! » riposte-t-elle immédiatement, collant instinctivement la robe à son corps bien qu'à présent hors d'atteinte. Elle utilise quelques précieuses secondes pour reprendre son souffle d'une profonde expiration par le nez, et rapidement, brièvement, elle finit par lâcher : « Pardon. »

Il a raison à un propos : elle aurait pu lui montrer la robe. Elle décide de passer l'incident sous silence lorsque le jeune homme lui tend un nouveau vêtement, qu'elle enfile cette fois sans poser de question. Elle se sent bête d'un coup. Ses joues ont pris la teinte de la robe qu'elle a revêtu et qui lui sied diablement mieux que les précédentes. Elle pince ses lèvres brièvement puis se tourne vers le rideau une fois de plus, et glisse timidement sa tête à l'extérieur pour jauger la réaction de son ami.

« Tu peux rentrer, le drame est fini. » Un nouveau soupir franchit ses lèvres, elle se sent recouverte de la gêne précédente et a envie de se gratter pour s'en débarrasser mais se retient. « C'est comment, cette fois ? »

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I will go if you ask me to, I will stay if you dare ✻✻✻ Ils balaient d'un commun accord l'incident sous le tapis, ils décident d'un regard que ça ne leur a fait ni chaud ni froid alors quand Erin sent ses joues se réchauffer une fois le jeune homme à nouveau dans la cabine, elle se sent une méchante envie de se frapper. C'est quoi, ça ? La réaction logique qu'elle aurait pu avoir à l'incident, ç'aurait été de l'embêter avec sa gêne tout aussi apparente que la sienne, comme elle sait si bien le faire. Mais là, elle ne s'en sent pas le goût. Elle se demande ce que Jun Ho pense à cet instant mais n'ose pas relever les yeux, s'interroge aussi sur d'éventuelles manières de remonter dans le temps pour effacer le malheureux épisode, ou l'effacer carrément de la mémoire du garçon…

Merde, pourquoi ça se passe que dans les films, ce genre de choses ? C'est dur d'ignorer la tension qui s'est installée, et Erin ne sait pas comment s'y prendre pour la briser. Il faut dire qu'elle n'y a jamais été confrontée, pas avec Jun Ho. Tout était tellement simple avec lui qu'elle se contentait de dire ses conneries. Ils pouvaient s'engueuler et la minute d'après, repartir dans leur conversation. Les tensions quelles qu'elles soient étaient si faciles à écraser qu'elles ne duraient jamais assez souvent pour qu'elle s'en souvienne. Cette fois-ci en revanche, autant dire qu'elle s'en souviendrait.

« ...Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? J'ai des goûts géniaux, alors merci Jun Ho, je sais, pas besoin de me le dire. Aller dépêche toi ma moche, on a pas que ça à faire. »

La remarque du Coréen la fait sourire et elle ne peut s'empêcher de le remercier silencieusement pour cette désinvolture qui l'agace d'habitude particulièrement. Elle laisse les plis soucieux de son front et la tension entre ses sourcils s'effacer et d'un coup, elle semble beaucoup plus jolie sans tout cet embarras. Elle quitte la robe pour la dernière fois et retrouve son cher et tendre pull blanc, se délecte de la chaleur apportée par son jean et sa veste et, la robe bordeaux d'un côté et les autres sur son second bras, elle quitte la cabine pour remettre les articles en place. Cœur léger, elle ne râle pas trop sur le prix de la robe (un peu, tout de même) et arbore même l'esquisse d'un sourire quand ils sortent de la boutique et regagnent le quartier. D'un commun accord, ils décident de s'arrêter à un coffee shop et Erin s'installe à une table pendant que son ami commande. Elle le remercie d'un sourire lorsqu'il revient avec les boissons et le laisse s'installer à son tour, agitant légèrement le bâtonnet en plastique dans son café.

« Tu n'as tué personne encore ? » Elle demande innocemment. « C'est drôle, j'ai du mal à t'imaginer médecin. Quand j'essaie, t'as toujours l'air du méchant dans les séries américaines. » Est-ce qu'elle l'imagine souvent comme ça ? Non. Soudain, elle lève ses deux mains devant elle et les écarte dans un geste théâtral, comme pour souligner le titre qu'elle donne à ses conneries : « 'Dr. Jekyll and Mr. Jackass'. Ses cheveux aussi sombres que ses secrets. »

Elle se met à rire toute seule, quelle fierté. Ses lèvres plongent légèrement dans sa boisson, et elle y colle ses deux paumes pour les réchauffer, toujours emmitouflée dans sa veste. Ce soir semble loin, tellement loin.

« Donc tu vas le voir ce soir c'est bien ça ? »

Elle s'arrête de boire pour s'humecter les lèvres et hoche lentement la tête à la question du jeune homme.

« Ouais », lâche-t-elle et le cœur n'y est pas trop. « Je prends le bus jusque chez mon père et je retrouverai le type pour dîner. Tu sais ce qui est le pire ? » Elle repose le gobelet et le contemple un instant. Sa voix s'est faite petite, éteinte. Soudain elle n'est pas sûre que le café super serré qu'elle a demandé soit une si bonne idée. « J'ai  absolument aucune idée de comment me comporter. Je suis nulle avec ça. Je suis même pas sûre d'arriver à m'en sortir durant les dix premières minutes. »

Silence. Elle se mordille la lèvre et s'enfonce un peu plus dans sa chaise, se prend tout le stress qui avait déserté dans la face une seconde fois.

« C'est pas mon monde, tout ça mais j'ai pas l'impression d'avoir mon mot à dire. »

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I will go if you ask me to, I will stay if you dare ✻✻✻ Les études, Erin a l'impression de ne parler que de ça depuis qu'elle a intégré cette université. Ce qui avait, lui était important mais pas essentiel lui paraît aujourd'hui central, nécessaire et surtout, plus que jamais douteux. Elle ne sait pas où elle s'aventure, dans quoi elle se lance, ni même pourquoi elle donne tant d'elle-même dans quelque chose dans quoi elle ne sait pas si elle va tenir plus de cinq ans une fois dans le monde professionnel. L'anthropologie, ça la passionne. L'histoire, ça a toujours été sa matière préférée et la recherche, elle est sûre qu'elle aimerait ça. Mais pour combien de temps au juste ? Se crever entre la pizzeria et les cours, auxquels elle tient parfois à peine debout, est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? À côté d'elle, Jun Ho semble sûr, motivé et surtout, passionné. Elle aime le voir parler de son job parce qu'elle peut presque vivre ce qu'il dit. Il est crevé, mais il sourit. Elle ne sait pas si à sa place elle en ferait autant.

« Je suis sans doute le plus sympa de tous tu sais. L'internat c'est le monde des requins cela dit. Une fois une interne a volé les soutifs de la fille à côté histoire qu'elle ne sorte pas des vestiaires avant un bon moment. Dans tous les cas cette histoire a mal fini... »

L'incident lui fait monter le rire et elle n'hésite pas avant de glousser. Vraiment, qui l'eut cru ? Ses raisons d'aller à l'hôpital dans la vie se sont limitées à une opération de l’appendicite étant petite et à une fracture en sport dont elle a tout oublié. Sa connaissance du milieu hospitalier se limite plus ou moins à ce qu'elle observe des séries qu'elle ingurgite ou que ses colocataires se passent les soirs de semaine, et à ce que lui raconte Jun Ho. Elle doit dire qu'elle apprécie beaucoup cette seconde version.

« Oh, non », fait-elle faussement déçue. « Moi qui croyais que les disputes se réglaient au scalpel. Tu brises un mythe. »

Elle aurait beaucoup voulu entendre d'autres histoires de soutien-gorges et autres crêpages de chignons mais la conversation du blind date revient sur le tapis et Erin perd visiblement de son entrain. Ça la stresse, tout ça, beaucoup plus qu'elle ne veut l'admettre. Si ça n'avait tenu qu'à elle, elle aurait probablement refusé mais elle n'est pas seule, il y a son père derrière elle, la seule famille qu'il lui reste et qu'elle a tant peur de perdre, de décevoir, de ruiner un peu plus. Son père n'a jamais été très fort par lui-même. Aujourd'hui elle a l'impression qu'il repose ses espoirs sur elle, sur ses études et sa vie amoureuse. Elle ne veut pas être la seconde à le laisser tomber.

« Et s'il est déçu par moi, tout court ? Je suis pas très douée pour ça, non plus. »

Charmer quelqu'un qu'elle apprécie, quand c'est son intention, ça va. Attendre que la magie opère face à un inconnu qu'elle ne connaît pas du tout et qu'elle n'est même pas sûre d'apprécier, c'est tout autre chose, surtout avec le poids de l'opinion de son paternel. La nouvelle remarque de Jun Ho rehausse un sourire à la commissure de ses lèvres, et elle hausse les épaules avant de prendre quelques gorgées de son café.

« Faut croire que je le suis, ouais. »

Peut-être que son père a tort de lui imposer ça, et qu'elle a tort d'accepter pour lui faire plaisir. C'est de son avenir dont il est question, se soumettre à la volonté d'autrui pour régir celle-ci lui paraissait complètement impensable il y a quelques mois. Aujourd'hui encore, d'ailleurs. Elle a accepté sur un coup de tête, mais elle refuse de regretter pour l'instant. Une soirée ne l'engage à rien, elle a toujours le choix de se désister. Jusqu'au prochain prétendant.

« Je sais pas pourquoi j'en ai quelque chose à faire, non plus. Juste… C'est mon père, il a beaucoup d'espoirs pour moi. J'peux au moins essayer. Pour lui. »

Un soupir franchit ses lèvres et elle termine son café d'une traite, puis ses mains viennent passer dans ses cheveux, les ébouriffer par frustration. Elle ne va pas se laisser déprimer si tôt avant son rendez-vous.

« Tu sais, peut-être que je devrais te le présenter. » fait-elle sur un ton plus léger. « Il te trouverait une jolie fille, gentille, bonne à marier, à laquelle tu devrais être fidèle toute ta vie. Ça ne pourrait que te faire du bien, monsieur bourreau des cœurs. À ce propos, tu en es où ? »

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