Aujourd’hui, c’était jour de match. Qui dit jour de match dit confrontation, stress, pression médiatique - et pas seulement - et j’en passe... L’équipe qu’on affrontait était forte et l’entraîneur avait encore demandé à me mettre en avant. Je n’étais pas le capitaine mais c’était tout le temps moi qui avait le plus grand rôle et je pouvais déjà les entendre tous chuchoter dans le groupe. Je soupirai, les ignorant pendant que je me changeais. Le publique commençait déjà à s’installer, on pouvait écouter les acclamations des spectateurs qui encourageaient chacun leur équipe favorite. Takeshi-san était venu nous dire qu’il y avait énormément de monde et qu’on semblait avoir beaucoup de fan. Je n’y prêtais pas attention, me concentrant sur ma tenue et sur la stratégie qu’on avait mis en place pour le match. Je revoyais un à un les joueurs de l’équipe adversaire, réfléchissant aux points forts et faibles de chacun afin de me rappeler quelle sorte de balle je devrais lancer.

- On y va ! Lança le coach, avant de s’échapper au sein du Tokyo Dôme.

Peu de temps après, on le suivit les uns après les autres. J’entendis des réflexions me concernant de la part de mes coéquipiers mais comme d’habitude je les ignorais, allant m’installer dans les tribunes sans broncher. Takeshi-san donna des conseils de dernière minute, répétant certaines bases à respecter quant à notre jeu puis l’autre équipe rentra dans les tribunes d’en face. Je les observais, les enviant presque, ils avaient l’air de tous bien s’entendre... Néanmoins ce n’était pas le moment de songer à cela et je devais avant tout songer à mon propre rôle lors de cette confrontation. Je me saisis de mon gant puis parti me placer sur la base centrale du terrain, m’échauffant avec le receveur de l’équipe que je n’aimais pas au passage. Enfin, je n’aimais personne de toute façon. Ils ne m’appréciaient pas, je ne vois pas pourquoi je leur rendrais la pareille.

Puis, le match débuta. Le public criait, se retenait parfois avant de s’exclamer lorsqu’un joueur avait atteint la quatrième et dernière base, permettant à une équipe de gagner un point. Les scores étaient serrés. J’enchaînais les balles différentes au fur et à mesure que les joueurs de l’équipe adverse défilaient. J’étais concentré, je ne lâchais en aucun cas l’adverse des yeux, tentant de lire dans le regard de celui-ci comme j’avais l’habitude de faire... Cependant, il connaissait mes capacités. Il avait étudié scrupuleusement mes atouts et mes défauts et je devais faire attention de ne pas tomber dans son piège, de jouer la carte de la mesquinerie et de le tromper. Je changeai de stratégie. Une balle rapide. Une deuxième balle rapide. Les deux « out ». On pouvait entendre la déception du publique néanmoins je m’en laissai pas toucher et mimant une balle courbe, je modifiai ma trajectoire, lançant une knuckleball. C’est un des lancées des plus difficiles que j’utilise rarement, sauf en cas de nécessité car elle n’est pas toujours facile à faire. Et il est plus aisé de la rater que de la réussir. C’était la raison pour laquelle j’en lançais le moins souvent possible afin d’être sur que le peu de fois où je le ferais, je réussirais mon lancé à coup sûr. Et ça n’avait pas manqué. Les gens dans les gradins s’étaient levé, acclamant la victoire alors que je rejoignais mon équipe, me faisant féliciter par mon entraîneur. Je le remerciais, m’asseyant sur le banc afin de me rafraîchir et pour la manche suivante, c’était à notre tour d’avoir la batte. On s’en était bien sorti, marquant deux nouveaux points et on avait gagné pour de bon.

Après avoir salué poliment l’équipe adverse, je m’étais échappé dans les vestiaires, me changeant en premier. Jogging, basket, tee-shirt, pour le coup après un tel match, il n’y avait rien de plus confortable. Mon sac de baseball sur les épaules, je sursautais en entendant une voix me parler et je fis face à l’individu en question : Kim Sehen. Un ami de longue date. Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vu d’ailleurs. Y avait-il un problème soudainement ? Je ne suis pas proche de beaucoup de monde, j’ignorais si je pouvais dire que j’étais proche de lui mais je crois que dire qu’il était mon ami était juste. Il s’était passé pas mal de choses à l’université et sans vraiment qu’on ne se rende compte, on traînait souvent ensemble. Je l’écoutais plus que je discutais néanmoins j’appréciais sa compagnie, même si je ne le disais jamais à voix haute. Il était un peu chiant parfois aussi cependant certains diraient que cela fait partie de ses charmes donc je ne lui reprochais pas. A côté de moi, je suppose que c’était un ange. S’il était possible de voir les choses ainsi.

J’haussai les épaules en guise de réponse à sa question. Qu’est-ce qu’il voulait que je lui dise ? Que oui j’étais content de le voir ? C’était le cas, ça faisait longtemps après tout, mais je ne lui donnerais pas ce plaisir.

- Qu’est-ce que tu fais là ? Demandais-je simplement, cette expression toujours de froideur au sein de mes pupilles.

C’était plus fort que moi, même si je voulais paraître plus sympathique, plus « cool », je n’y parvenais pas. J’étais comme ça après tout.

- Tu es venu assister au match ? Ce n’était pas intéressant. Tu as gâché ton après-midi pour rien.

Je ne lui avais jamais parlé du fait que le baseball ne me motivait plus comme avant, des problèmes que j’avais dans l’équipe et tout ce qu’il en suivait. Je ne sais pas si ça se remarquait au vue de mon jeu que j’adoptais à chaque fois sur le terrain et au nombre de match qu’on a remporté.

- Enfin puisque tu es là, allons boire un verre.

Et je lui souris - légèrement certes - sincèrement, c’était ma récompense en guise de gratitude. Même si je ne le disais pas, j’étais content qu’il soit là. J’en avais plus qu’assez de voir leurs têtes à eux tous et avoir un visage plus familier faisait vraiment beaucoup de bien. Puis, peut-être qu’il aurait encore des anecdotes à me raconter s’il ne persistait pas à m’embêter comme il adorait si bien le faire à chaque fois.

Je le connaissais bien, je m’en doutais qu’il m’embêterait, envoyant ses petites vannes à deux balles. Mais intérieurement cela m’avait toujours fait sourire bien que parfois il arrivait que ça m’agace. En particulier lorsque j’étais de mauvaise humeur ou que ma journée n’avait pas été bonne. Aujourd’hui, je dirais que c’était assez neutre et puis, j’étais content de le revoir donc ça pardonnait ses petites réflexions qui au fond n’étaient pas vraiment méchantes. Dire qu’il m’avait manqué était toutefois exagéré, je dirais plus que cela me faisait plaisir de pouvoir discuter avec lui après tout ce temps. C’était certainement égoïste de songer ainsi mais je n’en restais pas moins une personne solitaire et je pensais rarement à mon entourage. Ce qui me faisait défaut assez souvent d’ailleurs et je finissais par regretter de ne pas avoir pris des nouvelles plus tôt, de ne pas être venu en premier. Mais j’étais comme ça. Je ne disais jamais ce que je pense et je n’allais pas vers les autres même mes plus grands amis. Au fond, il y avait cette peur de déranger, cette peur qu’on finisse par se moquer, une peur injustifiée, je dois dire. J’ai toujours été le genre de garçon maladroit dans ses sentiments qui plutôt que s’excuser s’énerve, qui au lieu de dire « je t’aime » crie « je te déteste » alors j’ignorais si on pouvait classé ma façon de voir les choses dans de « l’égoïsme » ou même de « l’indifférence ». J’étais juste parfois tellement enfermé dans mon monde, dans ma bulle empoisonnée que je finissais par en oublier le reste. Oublier que quelque part près de moi, il n’y avait pas que des mauvaises personnes, qu’il y avait aussi des gens adorables - un peu idiots et chiants aussi - qui m’appréciaient et qui ne refuseraient pas un verre rien que pour discuter. Seulement puisque j’avais toujours cette tendance à fuir, c’était rarement moi qui allait vers les autres. Cela m’arrivait, quand j’y pensais et que je me donnais du courage, je le faisais. Peut-être que la prochaine fois, je ferais l’effort d’aller rendre visite à Sehen. Pourquoi pas à un de ses concerts ? Je n’y avais jamais mis les pieds et j’en avais un peu honte, je l’admettais. Ce n’était pas mon genre de musique, il le savait, cependant ce n’était pas la raison principale pour laquelle je n’y étais jamais allé. Je n’avais simplement pas cherché à le faire, pensant que du moment où on arrivait à se voir, le reste importait peu. Néanmoins plus j’y pensais, et plus je me disais que cela lui ferait sûrement plaisir que je fasse cet effort-là et que je lui fasse ne serait-ce qu’un ou deux commentaires comme lui faisait à chaque fois qu’il assistait à un match.

Je n’avais toutefois pas répondu à sa réplique sur le baseball, je n’étais pas vraiment d’accord. Ma dernière balle n’avait rien d’exceptionnelle. J’avais juste fait preuve de stratégie et n’importe qui aurait sûrement pu la faire. Je sais que je me voilais la face, que mes pensées étaient faussés par mon moral concernant ce sport mais qu’est-ce que j’y pouvais ? A force, je m’y étais habitué.

Et voilà qu’on était installé au bar près du Tokyo Dôme. Machinalement, je fis vaquer mon regard à l’intérieur, examinant les lieux. Je n’y avais jamais mis les pieds avant aujourd’hui et je dois dire que c’était très calme. Peut-être parce que tout était à l’effigie du baseball et que je préférais le fuir plutôt qu’avoir à le supporter encore dans un espace de détente. Des écrans retranscrivaient des matchs de la league américaine, la major league et sans avoir besoin de regarder longtemps, je reconnus l’équipe des Yankees et celle des Red Sox. Ils étaient vraiment forts. Mais, je détournai mes iris ailleurs, me désintéressant de cette confrontation pour voir un serveur passé avec un immense cocktail et le donnait à la table derrière Sehen. Je ne buvais pas souvent de l’alcool toutefois les cocktails, c’était une sorte de petit péché mignon. C’était rafraîchissant et me provoquait toujours beaucoup de bien d’en déguster un verre. Encore plus après un match ou une situation éprouvante.

Je levai mon bras afin d’interpeller le barman mais je « beuguai »  par la question posée par mon amie. Je ne m’y étais pas attendu et pour le coup, j’avais été assez surpris. Je crois que cela s’était même reflété dans mes yeux. Doucement, j’abaissai alors mon poignet, plaçant ma main sur la table avant de prêter mon attention entière à mon vis-à-vis.

- Je ne vois pas de quoi tu parles, Répondis-je en haussant les épaules, C’est juste un peu épuisant ces temps-ci, on ne fait qu’enchaîner les matchs.

Je sais, ce n’est pas bien de mentir. Je déteste ça habituellement, hors je n’avais pas envie de parler de ça. Je n’avais pas envie d’inquiéter qui que ce soit et encore moins lui qui m’avait vraiment soutenu jusqu’ici. Je ne considérais pas mon problème comme quelque chose de très grave. Cela n’avait pas d’importance. Et puis c’était une demi-vérité, on avait une lignée de match cette semaine et je commençais à fatiguer. Heureusement que le dernier était vendredi avant un peu de repos. Mais, en le contemplant, j’avais comme l’impression qu’il ne me croyait pas totalement... Je soupirai. Après tout si moi je le connaissais, c’était la même chose dans l’autre sens. D’un côté c’était un point positif à notre relation, de l’autre, c’était embêtant parce que cela signifiait que je ne pouvais rien lui cacher. Certains trucs oui bien sûr cependant les grandes lignes, non.

- J’en ai marre, c’est tout, Soufflais-je en baissant les yeux, Le baseball tout ça, à force, ça ne me passionne plus.

C’était le cas de le dire. Dés que j’en entendais parler, je voulais m’enfuir loin. Très loin. J’aperçut le serveur et profitant de l’instant de silence, je l’interpellais pour commander. J’y tenais à mon cocktail et je crois que là, j’en aurais bien besoin. Il gribouilla sur son carnet puis nous laissant à nouveau tous les deux, j’haussai les épaules en complément à ma rétorque précédente.

- Mais ce n’est pas important. Je n’ai pas vraiment envie de parler de ça. Dit-moi plutôt ce que tu deviens, si tes producteurs et ton staff te supporte.

Je tentais la plaisanterie cependant tout le monde savait que la plaisanterie et moi ça faisait deux. Du coup je n’avais pas employé le ton que je voulais et j’avais parlé assez froidement. Comme d’habitude. Croisant mes bras contre mon torse, je l’observais néanmoins attendant que Sehen daigne me répondre. J’espérais sincèrement qu’il me comprenne et accepte de changer de sujet. Je n’avais pas envie de parler de baseball. Je n’avais pas envie de parler de cette histoire tout court. De toute façon comme je l’avais dit, ça n’avait pas d’importance.

Le son de la télévision résonnait dans mes oreilles tandis que je n’osais pas affronter le regard de mon ami. Qu’est-ce qui ne me passionnait plus ? Le baseball ou bien le fait d’être devenu professionnel ? Sa question ne cessait de tournoyer dans mon esprit alors que je n’avais plus confiance du monde qui nous entourait et des mouvements qui s’agitaient dans le bar. Je m’étais perdu dans mes réflexions. Je suppose que c’était en partie les deux. Je ne supportais plus d’entendre ne serait-ce que le nom de « baseball ». Dés que celui-ci était énoncé mon coeur se compressait et mon corps tout entier se crispait légèrement. Quand j’essayais d’en jouer hors match, hors entraînement mais juste pour le plaisir, je ne ressentais plus aucun enchantement. Cette magie que j’éprouvais autrefois avait complètement disparu et j’en étais dégouté. Pourtant à côté de ça, je gardais toujours cette balle qu’Ichiro Suzuki m’avait dédicacé quand j’étais enfant. J’avais songé plusieurs fois à la jeter cependant je n’avais pu m’y résigner. Quelque part, elle restait un des meilleurs souvenirs de cette époque et me permettait de me rappeler que fut un temps, je considérais le baseball comme quelque chose de fantastique. Aujourd’hui c’était tellement différent. Je me demandais comment Ichiro-san avait fait pour être si fort, pour avoir toujours cette passion qui s’agrandit sans arrêt même au fil des années. Il devait avoir une sorte de volonté que je n’avais pas ou alors comme il me l’avait avoué, le baseball était réellement sa vie et il ferait tout pour se donner corps et âme dans ce sport, quoi qu’il arrive. Même autrefois je n’avais jamais ressenti une telle chose pour ce domaine. Peut-être que je n’étais pas aussi talentueux que ce que les autres prétendaient et que cette faille était sûrement mon plus grand point faible.

Alors que je ne parlais plus, m’évadant dans mes pensées, j’en sortis presque aussitôt à l’entente du nom de « Yu Jin ». Mes lèvres quittèrent la paille que je glissais tout juste dans ma bouche et mon regard qui jusque là n’avait pas osé le contempler était venu se plonger dans le sien, le fixant de mon air habituel bien qu’au fond de moi j’étais curieux et inquiet. Je connaissais leur histoire, je savais également à quel point Sehen en avait souffert lorsque ce dernier avait mis fin à leur relation. Qu’il le revoit maintenant, je ne m’y serais jamais attendu et j’avais peur pour mon camarade. Je ne voulais pas qu’il en pâtisse à nouveau. Je regrettais de ne pas avoir pris contact en premier. Je reconnaissais de ne pas être des plus sociables et que je n’allais jamais vers les autres cependant si j’avais su trouver le courage, peut-être l’aurais-je découvert plus tôt. Je savais pertinemment que dans tous les cas cela n’aurait rien changé, que je n’aurais pas pu faire changer son manager et lui en trouver un autre. Mais sûrement aurais-je pu le soutenir, à ma façon. Parce que ça non plus, ce n’était pas trop dans mes capacités et je n’étais pas doué pour montrer mon réconfort auprès de mes proches. Je montrais que j’étais là, j’écoutais mais mis à part ça, j’étais un peu - beaucoup - inutile. Sehen devrait être triste d’avoir un ami tel que moi.  

- Je t’appellerais, Déclarais-je à sa réplique, plongeant mes yeux impassibles au creux des siens.

Je savais qu’il avait dit cela pour plaisanter cependant moi j’étais sérieux. Je ne le faisais jamais habituellement et c’était souvent lui qui me contactait en premier cependant là, après tout ça, je ressentais réellement l’envie et le besoin de faire un effort. Sehen a toujours été là pour moi, malgré le fait qu’il soit lourd et chiant parfois, il ne m’a jamais laissé tomber. Je voulais au moins une fois être capable de faire quelque chose pour lui. Je pense que quoi que je fasse, je lui serais toujours redevable.

- Qu’est-ce que tu vas faire ? Pour Yu Jin.

Je ne le quittais pas du regard, portant mon verre afin de placer la paille entre mes lèvres et d’en boire quelques gorgées. Comme je le pensais, il était délicieux.

- Je veux dire... Tu l’aimes encore non ?

C’était même évident. J’aurais du lui demander comment c’était passé leurs retrouvailles, s’il l’avait bien vécu ou si au contraire il en avait été blessé néanmoins apeuré de la réponse que mon ami aurait pu me donner, c’était une autre question qui était sorti à la place. Je ne pouvais m’empêcher de me traiter quant à mon propre comportement que je ne maîtrisais pas toujours.