L'économie, voilà une matière que tu pratiquais depuis bien des années. Tu es arrivé à Royal Private School au lycée. Quand tu as atteint l'université, tu es parti dans la gestion et l'économie. C'était une matière qui te plaisait. Tu pensais quelle allait t'être utile. À cette époque, tu ne savais toujours pas si tu voulais reprendre la succession de l'entreprise de ton père. Du coup, tu as pris cette direction pour avoir toutes les bases possibles. Si tu venais à devenir le président, tu voulais atteindre le sommet, être le meilleur. Cependant, tes choix avait changé avec le temps. Beaucoup de choses sont arrivées depuis. Ta décision était claire, tu ne reprenais pas l'hôtel de ton paternel. Tu voulais avoir le moins de rapports possible avec ta famille. Cette pensée était toujours d'actualité...
Il était dix heures et tu faisais cours dans une salle qui pouvait accueillir une trentaine d'étudiant. Même si l'effectif pouvait atteindre environ trente-cinq élèves, tu en voulais une vingtaine dans une classe. Tu détestais quand les élèves étaient trop nombreux. Dans ton fonctionnement, plus l'effectif des étudiants dans une salle était bas, plus ils étaient concentrés. Ce matin, dix-neuf étudiants de cinquième années étaient présents. Ils étaient pour la plupart silencieux et attentifs à ce que tu tentais de leur enseigner. Cependant, du bruit s'émanait souvent d'un coin de la pièce. Même s'il y avait cinq ou dix personnes, tu savais très bien qui en étant le facteur. C'était régulièrement le même, ce garçon au visage enfantin, Sho. Tu connaissais son prénom, d'une part parce que cela faisait cinq ans que tu l'avais dans tes cours et d'une autre part, parce qu'il était un fouteur de trouble.
Pendant que tu étais en train de parler, tu jetais un regard dans sa direction. Tu espionnais ces agissements sans rien lui reprocher pour le moment. Tu ne faisais rien, parce que tu lui dirais de se taire une fois et il recommencerait juste après. Et tu pourrais le faire trois fois, ce sera toujours la même. Avec les années, on en apprenait des choses à faire et à ne pas faire. Pendant une heure, tu exposas des théories. Tu répondis à quelques questions des élèves. Tu as bu des gorgées d'eau. Tu as écris sur le tableau avec un feutre noir. Tu t'es assis et levé. Tu es resté mobile et tu as marché de gauche à droite. Et arriva la fin de l'heure. Juste avant que tout le monde s'exile, tu interrompis un élève en forçant un peu sur ta voix afin qu'il puisse t'entendre.
Monsieur Kobayashi, veuillez venir me voir s'il vous plait.
Ce n’est pas que tu n’aimais pas l’économie, ni même que tu n’apportais pas d’intérêt au cours que te dispensaient les professeurs de la Royal Private School, mais tu n’arrivais jamais à te concentrer suffisamment que pour donner à tes leçons toute l’attention qu’elles méritaient. Quelques secondes suffisaient généralement à te faire perdre toute ta concentration et te mener sur le dangereux chemin du bavardage et de l’inattention. Tu ne pouvais pas t’en empêcher. Pourtant, ce n’était pas faute d’avoir été rappelé à l’ordre par tes professeurs à de nombreuses reprises. C’était un défaut que tu ne parvenais pas à corriger.
De cette manière, tu t’étais une fois de plus retrouvé à distraire tes camarades en discutant avec eux du dernier Star Wars qui venait de sortir, pour leur demander ce qu’ils en avaient pensé, s’ils n’étaient pas déçus. Tu ne l’avais pas vu, de ton côté, mais cela n’était pas grave, car tu savais qu’ils auraient envie d’en parler et c’était tout ce qui comptait à tes yeux : communiquer avec les autres. En plus, tu aurais menti si tu avais osé dire que tu n’aimais pas ce genre de situations. Encore aurait-il fallu que tu sois capable d’écouter les cours tout en conversant avec tes voisins.
Malheureusement, cette capacité n’était pas tienne, et au bout de cette heure de cours, tu en savais certainement plus sur l’univers de George Lucas que sur la matière que le professeur venait de se donner la peine d’expliquer. Une chance qu’il y ait d’autres étudiants dans cette classe pour rattraper tes conneries. Cela n’empêcha visiblement pas l’enseignant de t’interpeler à la fin des cours, s’attirant de ta part un regard particulièrement surpris, incompréhensif.
Tu hochas la tête pour signaler que tu avais entendu ses propos et, laissant tes camarades quitter la classe, tu rejoignis calmement l’endroit où se trouvait ton professeur, tes yeux noisette se posant sur lui, curieux de découvrir la raison pour laquelle il t’interpelait aussi soudainement. Tu ne pensais pas avoir été plus turbulent qu’un autre jour, et à vrai dire tu ne pensais pas qu’il t’avait entendu, mais tu étais loin d’être capable d’en juger.
« Qu’y-a-t-il, monsieur ? »
À ce moment, tu espérais sincèrement qu’il n’allait pas t’interroger sur le contenu de son cours ou te demander si tu avais préparé un travail annoncé depuis quelques semaines, car la réponse n’était clairement pas en ta possession. Avec un peu de chance, il voulait simplement te demander si tu allais bien ou si tu avais l’heure – ce qui aurait été un peu stupide, comme on venait de sonner la fin d’une heure de cours.
Dès que les élèves commencèrent à sortir de la classe, tu débutas le rangement de tes affaires dans ta mallette faite de cuire noir. Tu attendais que l'élève interpellé vienne te voir. Tu repris ta bouteille d'eau pour y boire une gorgée. Quelques secondes plus tard, Sho débarqua enfin devant toi. Tu reposes la bouteille sur ton bureau et te tournes dans sa direction. Tu le fixes un instant en silence, les bras croisés.
Qu’y-a-t-il, monsieur ?
Tu pinces légèrement tes lèvres, le regard neutre. Tu laisses quelques instants passer sans dire un mot. C'était ta manière d'agir. Tu réfléchissais un peu. Tu pensais à tes paroles, à ce que tu pourrais lui dire correctement. Tout était soigné. Tu laisses tes bras se détendre pour les engouffrer dans ton pantalon. Tu réfléchissais à cet élève. Pourquoi était-il aussi distrait pendant tes cours ? Est-ce parce que tes explications étaient ennuyeuses ? Hum... Il fallait que tu lui en parles. Tu aimais connaître le ressentiment de tes élèves par rapport à tes cours. Tu voulais constamment les améliorer dans le but que tout le monde soit satisfait. Surtout que tu ne voulais pas faire une heure à exposer tes connaissances pour rien.
J'aimerais que vous passiez la semaine prochaine devant toute la classe. Faites un exposé de votre choix sur le sujet que l'on étudie en ce moment. Tout seul, bien sûr.
Ce n'est pas exactement ce que tu voulais lui dire au début. Tu l'avais appelé à ton bureau pour des choses différentes. Cependant, tu as pensé qu'il serait intéressant que Sho face un exposé. Cela te permettrait de voir ses compétences.
Il devra durer quinze minutes. C'est bon pour vous ?
Tu lui donnais un temps plus court. Tu souhaitais voir comment il agissait devant tout le monde. Comment se comporte t-il face aux autres, s'exprime t-il bien ? Est-ce qu'un sujet de son choix pourrait faire en sorte qu'il se sente concerner par la matière ? ...
La vérité, c’est que tu avais envie d’apprendre ; certes, tu rencontrais des difficultés lorsqu’il fallait te concentrer, et cela te menait bien souvent à distraire tes camarades en leur détaillant le repas que tu avais mangé la veille au soir, mais ce n’était absolument pas volontaire. La distraction, néanmoins, restait une nuisance. Pourtant, lorsque le professeur t’indiqua d’aller le voir, tu espérais encore qu’il ne soit pas question de ces perturbations de l’ordre de la classe. Un espoir vain, comme tu pus le constater quelques instants plus tard.
Ce professeur était intimidant. De tous ceux qui te donnaient cours, il était sûrement celui qui t’inquiétait le plus, bien que cela ne t’empêche pas de faire n’importe quoi durant ses heures. Quelques fois, tu l’écoutais avec toute l’attention dont tu pouvais faire preuve. D’autres, tu passais chaque minute de son cours à rêvasser. Aujourd’hui était l’un de ceux-là, même si le contenu de tes rêveries n’était pas très original. Au moins, tu étais certain que les autres allaient te répondre, ce qui n’était pas toujours le cas. Ils arrivaient à se concentrer, eux.
Lentement, tes yeux marron détaillèrent le professeur qui ne semblait pas particulièrement en colère. Tu n’étais pas particulièrement doué pour discerner ce que pensaient les gens, mais c’était ton impression. Et quand il se décida à prendre la parole, tes yeux se firent aussi ronds que leur forme le permettait et ta bouche s’entrouvrit imperceptiblement.
Un exposé ? Mais à quel propos ? Et seul ? Ton regard scruta, durant quelques secondes, le visage de cette figure d’autorité, y cherchant inlassablement un tremblement de muscle, une fossette qui aurait pu prouver que ton professeur plaisantait. Rien. Alors tu déglutis difficilement, espérant avoir mal compris ses exigences.
« Je, balbutias-tu alors que ton regard devenait fuyant, je ne sais pas si j’en serai capable, monsieur. »
Quand tu osas de nouveau poser les yeux sur lui, ton visage affichait un sourire contrit, à peine une risette. Tu avais honte de toi, désormais, tu regrettais de ne pas avoir écouté plus sérieusement le cours que dispensais ton professeur, mais il était trop tard pour faire demi-tour.
« Ça doit être à propos de ce chapitre ? repris-tu après un instant, t’appuyant sur une jambe pour tapoter doucement le sol de la pointe de l’autre, les bras croisés contre ton torse avec embarras. »
La classe était maintenant vide. Petit à petit, les élèves vous ont laissé l'opportunité d'être que tous les deux. Ce n'était sûrement pas dans l'avantage du garçon qui se tenait debout devant toi. Il semblait plutôt inconfortable. Est-ce toi qui le mettait dans cet état ? Qui se pourrait-il être sinon... Il est vrai que tu avais cette prestance qui pouvait effrayer de nombreux élèves. Pourtant, ce n'est pas clairement ton but. Ce n'était pas ton kiffe de voir les jeunes embarrassés quand ils étaient avec toi. Mais bon, tu avais ce naturel froid. Cette nature distante...
Je, je ne sais pas si j’en serai capable, monsieur.
Cette manière de s'exprimer montrer bien son malaise. Il faut dire que tu ne l'aidais pas non plus. Aucun sourire ne scrutait ton visage. Impassible comme toujours.
Bien sûr que vous en serez capable.
Tu poses soudainement ta main sur son épaule. Deux secondes après, tu la retires. Ne sois pas trop amicale. Tu mets ta main dans une des poches de ton pantalon.
Ça doit être à propos de ce chapitre ?
Il devait vraiment être stressé. Tu venais de lui dire que son exposé devait se porter sur le sujet étudié du moment. C'est pas grave. Faut que tu tentes de le calmer un peu, de le rassurer un minimum.
Effectivement. Tiens...
Tu prends une feuille sur ton bureau. Elle résumait un peu le chapitre. Tu faisais toujours une feuille récapitulative pour toi. Normalement, tu l'as filé qu'à la fin du chapitre. Mais bon... le gamin semblait si désemparé. Sans avoir pitié de lui, pour le préciser.
Aide-toi de cette feuille. Sinon, demande à tes camardes leurs notes.
Généralement, c'était pas le genre de choses que les professeurs disaient. Prendre les notes des autres élèves ? Allez, faut pas être con. Toi aussi, t'es allé à l'université. Toi aussi, tu prenais les cours de tes potes à l'époque quand tes notes étaient blanches.
Si t'as des questions, t'as mon adresse mail non ? N'hésites pas à m'écrire si quelque chose te bloque. Au pire des cas, tu pourras toujours me chercher dans la salle des professeurs ou les couloirs.
Tu étais toujours présent pour tes élèves. En fait, tu tirais toujours une sale gueule quand on venait te poser une question, ou te demander des renseignements. T'étais constamment en train de faire autre chose, toujours occupé. Néanmoins, tu faisais un petit break pour écouter l'élève dans toute ta splendeur sociale (ou pas).
Tes capacités n’étaient sûrement pas comparables à celles des autres étudiants, car tu avais du mal à étudier et mémoriser les notions qui étaient expliquées durant les cours. De plus, ton naturel dissipé t’empêchait bien souvent de comprendre tout ce qui était cité, de prendre en note les moindres paroles de tes professeurs. Ce n’était pas forcément volontaire, tu faisais en général de ton mieux pour te sortir des situations problématiques en empruntant, par exemple, le cours d’un autre élève, mais cela ne suffisait pas toujours. Et en l’occurrence, tu avais l’impression que monsieur Ok te demandait la lune, même s’il te confirmait le contraire.
Et tu mentirais si tu affirmais que ce professeur ne t’impressionnait pas plus qu’un autre. Il était imposant, semblait savoir ce qu’il attendait de ses étudiants et, le cas échéant, te demandait des travaux que tu n’étais pas ne mesure de rendre. Sauf que tu savais qu’il avait raison, et que tu n’avais pas écouté durant ses leçons, ce qui était problématique.
Alors tu posas simplement les yeux sur la feuille que te tendit le professeur, mordillant inconsciemment ta joue pendant que ton regard parcourait le morceau de papier qui se trouvait entre tes doigts légèrement tremblants. Un résumé du chapitre ? Les propos de ton enseignant te le confirmèrent, et tu ne pus contenir un léger soupir de soulagement alors que tu déchiffrais doucement les mots qui figuraient sur le papier. En un hochement de tête, tu confirmas ensuite que tu avais compris.
« Oui monsieur, je vais le faire… »
Tu retrouvas enfin le sourire, écoutant monsieur Ok reprendre la parole avant de hocher la tête plus vivement.
« Je le ferai, affirmas-tu en souriant un peu. Dois-je apporter un support ? Un diaporama ? »
Ta volonté de travailler était réelle, même si tu n’étais pas le plus attentif durant les cours. Tes troubles de l’attention étaient un véritable handicap, mais tu ne savais pas s’ils étaient normaux ou non. Tu avais toujours eu du mal à te concentrer, de toute façon.
Ton regard se reposa sur la feuille que tu avais dans les mains, puis tu te décidas à la plier soigneusement, pour ensuite la glisser dans la poche arrière de ton jean, estimant que sa place se trouvait là en attendant que tu rentres chez toi pour la ranger avec les autres. Car évidemment, tu n’avais pas envie de ressortir ton cours maintenant.
Ce gamin semblait désemparé par la tâche que tu venais de lui fournir. Ce n'était guère étonnant vu sa capacité de concentration pendant tes cours et c'était peut-être le cas pour les autres. Tu n'étais pas énervé contre celui-ci. Franchement, il n'avait pas l'air d'être une mauvaise pousse. Au contraire, il avait l'air très sympathique. Il pouvait s'agir d'un de ses élèves qui avaient un mal fou à s'intéresser aux études. Tu en avais rencontré plusieurs au cours de tes années d'études et d'enseignements. Toi, tu n'en faisais pas parti de cette catégorie. Plus jeune, tu étais un élève modèle qui bossait très dure et qui n'avait pas particulièrement des difficultés pour apprendre. Durant tes années d'études, tu étais toujours en tête du classement. Tes bons résultats tu les avais gagnés par un travail acharné.
Oui monsieur, je vais le faire…
Cette manière de s'exprimer montrer bien son malaise. Il faut dire que tu ne l'aidais pas non plus. Aucun sourire ne scrutait ton visage. Impassible comme toujours.
Bien sûr que vous en serez capable. Hey gamin, prend davantage de confiance en toi.
Tu le vois avec sa petite mine. Tu étais presque triste pour lui. Presque. Il fallait que tu trouves un moyen de l'encourager et qu'il retire cette expression de condamné à mort sur son visage.
Je le ferai. Dois-je apporter un support ? Un diaporama ? Tu fais comme tu le sens. Diaporama, clip-vidéo... Fais comme tu le sens.
En fait, tu aimais quand les exposés étaient originaux. Tu étais à fond dans la modernité, dans la technologie. Mais, tu oublias d'appuyer cette envie pour éviter tout stress supplémentaire chez le garçon.
Ecoute, tu es libre ce vendredi à seize heures ?
Une idée t'était venue en tête. Tu comptais lui proposer quelque chose. Une chose dont tu avais pris l'habitude de faire de temps à autre pour certain élève. Cette chose, c'était de boire un café en dehors de l'université avec un élève. Le but n'était pas de parler de la pluie et du beau temps. Non, il fallait que ce soit constructif comme rendez-vous. Comme pour le cas de Sho, tu comptais le voir à l'extérieur pour l'aider dans son exposé. De cette manière, tu pensais l'aider en lui donnant ton avis et des suggestions dans son travail. Tu choisissais un entrevu à l'extérieur de la fac parce que cela te semblait plus sympathique et peut-être moins dans un aspect scolaire. Bref. Tu attendais sa réponse avant d'ajouter quoique ce soit sur ton idée parce qu'il était peut-être occupé à autre chose.
Certains étudiants étaient incroyablement doués lorsqu’il s’agissait d’étudier, d’avaler les mots et de les mémoriser, mais ce n’était pas ton cas. Alors tu faisais de ton mieux dans l’espoir de trouver une méthode de travail qui fonctionnerait pour réussir tes examens. Pourtant, même si tes notes s’étaient améliorées pendant une période, celles-ci se trouvaient de nouveau en chute libre et tu ne parvenais plus à te concentrer comme tu le faisais avant. Les étudiants auprès desquels tu vivais étaient trop bruyants, ou la télévision trop intéressante. Tu n’aurais pu expliquer comment ton attention parvenait toujours à être attirée ailleurs qu’à l’endroit où elle aurait dû aller, mais c’était le cas.
Par précaution, tu préféras ne pas répondre à ton professeur, changeant de sujet pour lui demander s’il avait besoin d’un matériel particulier, essayant inconsciemment de surpasser ton impression d’agir comme le plus grand des idiots. Tu souriais un peu, mais ce n’était qu’une vague esquisse, car tu craignais encore qu’il te reproche d’avoir été inattentif durant ses leçons. Et quand il te posa une question, tes sourcils se haussèrent rapidement.
« Euh… Oui ? Enfin je pense. »
En général, en fin de semaine, tu appelais ton père pour savoir comment il se portait, puis tu te plongeais dans tes cours… Enfin, lorsqu’il n’y avait rien à faire de plus distrayant, comme regarder la télévision, aller au cinéma ou voir d’autres étudiants. Il t’arrivait également de rencontrer des camarades de classe afin de discuter des leçons, mais c’était plus rare, car te concentrer n’était pas ton fort et qu’ils l’avaient bien compris. Au moins, tu faisais de ton mieux.
« Pourquoi ? »
Tu espérais quand même qu’il n’allait pas t’obliger à venir en cours pour rattraper tes faiblesses, car cela te faisait un peu peur. Tu avais déjà dû voir l’une des enseignantes de l’université, récemment, à cause de tes pauvres résultats aux derniers examens, et tu avais tout fait pour éviter d’admettre que, oui, tu avais des problèmes avec la matière et avec ta méthode de travail. Ton regard resta posé sur le professeur durant quelques secondes après ta question.
Certains de tes élèves étaient effrayés par toi. C'était peut-être par rapport à ton physique qui était trop classique. Tu t'habillais toujours - ou du moins très souvent - avec un costard. Tu portais des couleurs généralement sobres n'aimant pas trop l'extravagance. Ensuite, ta position naturelle faisait que tu te maintenais toujours droit, le dos jamais courbé. Tes mains se cachaient des fois dans les poches de ton pantalon ou alors, elles faisaient des gestes nets et précis. Bref. Tout ce que tu entreprenais était très calculé, rien ne débordait. Puis, au niveau du caractère c'était assez complexe. Tu étais loin d'être le gars le plus exubérant du monde. Au contraire, au premier abord tu faisais plutôt (comme dirait certain), coincé du cul. Tu ne laissais pas tes sentiments s'emporter. Les sourires se faisaient rares, mais ils existaient quand même. Ta voix était souvent sur la même intonation. Bref. Rien de très perceptible.
L'élève en face de toi était toujours pareil : pas très à l'aise. Malgré tes tentatives de relaxation, il ne semblait pas plus se calmer qu'avant. En tout cas, tu ne perdais pas espoir et tu continuas dans la lignée de le mettre à son aise. Du coup, tu venais de lui demander s'il était libre un jour précis dans la semaine. Tu comptais le rencontrer à l'extérieur de l'université. Alors, en attendant sa réponse tu restas silencieux, juste debout à l'écouter.
Euh… Oui ? Enfin je pense. Pourquoi ?
Il semblait être libre ce jour là. Temps mieux alors. Tu allais pouvoir lui proposer la rencontre extérieur, en espérant que cela lui plaise. Le but de cette action n'était pas de l'effrayer, mais en quelque sorte de le réconforter.
Je voudrais qu'on se rencontre à l'extérieur de la fac. On se donne rendez-vous dans un café par exemple. Le but de cette rencontre est de voir l'avancé de ton projet. Tu laisses un moment de pause pour examiner sa réaction. J'aimerais que ce jour-là, tu es ton sujet, ton plan et ton ou tes supports de travail. Je serais là pour t'aider et répondre à tes questions. Tu relèves ton visage, toujours en le fixant. Ouais bon... il paraissait un peu perplexe par rapport à ton projet. Mais bon, tu savais que cette manière de faire fonctionnait plutôt bien. Alors, tu étais assez rassuré et confiant. Ça te va ?
Pour une raison qui t'échappais totalement, les professeurs semblaient te porter un intérêt particulier. Tu ne le comprenais pas vraiment, en vérité, mais Watanabe-san et Ok-san semblaient s'attacher à la réussite de leurs étudiants autant que tu essayais d'obtenir la tienne. C'était, en soi, une plutôt bonne chose, même si tu avais parfois l'impression d'être une véritable source de déception pour eux. Heureusement, ce sentiment ne t'empêcha pas de sourire à ton professeur lorsqu'il te proposa de le voir en dehors des cours. Ça aussi, c'était particulier.
« Vous... Vous pensez que c'est possible? »
Habituellement, les professeurs rencontraient leurs étudiants à l'école et discutaient avec eux en toute formalité, alors même s'il était question de voir Ok-san dans le cadre de la préparation de l'exposé que tu allais devoir présenter devant la classe, tu ne pouvais qu'être surpris, ce qui se voyait certainement à tes yeux écarquillés et son air incrédule. Pourquoi toi, alors que tu n'arrivais pas à écouter les cours correctement.
« Oui, oui, ça va. »
Tu souris un peu à ces quelques mots, puis tu pris un moment pour réfléchir, relevant ensuite les yeux vers ton professeur qui ne t'avais jamais semblé aussi impressionnant qu'il ne l'était maintenant.
« Je peux apporter des questions sans rapport avec l'exposé, si j'en ai? »
Cette question t'étais venue sans que tu y réfléchisses vraiment, mais après que ton professeur avait accepté de t'apporter son aide, tu ne pouvais que sauter sur l'occasion pour lui poser des questions. Tu avais de gros problèmes avec la compréhension de certains points de la matière qui était dispensée dans ton année et tu craignais parfois d'être incapable de saisir l'essence même de l'enseignement qui t'était donné. Avec un peu de chance, ce professeur te permettrait de t'améliorer, enfin.
« Je suis désolé d'abuser ainsi de votre temps... »
Et tes paroles étaient sincères, car tu n'avais pas envie qu'il pense que tu te servais de lui sans aucun scrupule, ce qui n'était absolument pas vrai, dans le fond. Un sourire se dessina alors sur ton visage, tandis que tu essayais déjà de réfléchir à un sujet d'exposé.
C'est le bien de tes élèves avant tout. Si t'es professeur c'est pour apprendre à ces jeunes gens. Ce que tu as étudié jusqu'à aujourd'hui, c'est pour le leur enseigner. Le salaire, c'est primordiale. Mais pas la chose la plus importante. T'es pas avare. Le luxe te passe au dessus de la tête, même si tu portes de la marque. Tu n'es pas du genre à dépenser l'argent comme s'il en pleuvait tous les jours pour te le permettre. Tes parents ont du fric. Mais à presque quarante ans, on ne dépend plus d'eux. On vit par soi-même. Même quand tu étais plus jeune, tu te débrouillais déjà par tes propres moyens. La relation que tu avais et que tu as encore aujourd'hui avec tes parents, n'était pas et n'est pas très bonne. Tu as toujours été distant. C'est la même chose avec ton petit frère. Tu es loin d'être très famille. C'est le boulot avant tout. Vous... Vous pensez que c'est possible? Bien sûr, pourquoi ce ne sera pas possible ? Sho avait l'air d'être surpris de ta proposition. Ce n'est pas peut-être pas aussi courant que tu le penses. Après tout, chaque professeurs a sa propre manière d'enseigner et d'aider les élèves. Toi, tu connais bien la fac. Tu as passé quelques années à RPS en tant qu'élève. Tu sais très bien que les jeunes sortent dans les bars pour passer du temps avec leurs potes ou pour bosser parfois. Alors, tu t'es dis à ta première année d'enseignement, pourquoi ne pas continuer de faire ce que tu faisais autrefois, mais avec un rôle différent ? T'as remarqué que ça fonctionnait bien. C'est pour cela, que tu poursuis les rendez-vous dans les cafés et bars avec eux. Oui, oui, ça va. Voilà sa réponse. Positive. Ainsi, vendredi vous irez dans un lieu public pas loin de l'université sûrement, pour bosser. C'est enfin décider et il ne peut se permettre de ne pas venir. S'il ose te poser "un lapin", il te prendrait très mal... Je peux apporter des questions sans rapport avec l'exposé, si j'en ai? Oui, je suis là pour ça et autant en profiter pour le faire. Tu tentes de faire un regard sympathique. Sa phrase, tu l'as apprécié. Elle montre bien que Sho s'intéresse quand même à ses études. Qu'il n'est pas le genre d'élève qui croise les bras pendant son année et qui laisse le temps passer. Il semble vouloir s'en sortir malgré ses difficultés de concentration. Je suis désolé d'abuser ainsi de votre temps... Ne le sois pas voyons. C'est moi qui t'as imposé un exposé et qui t'as proposé que nous nous voyons vendredi. Si je dois me plaindre de quelqu'un, c'est de moi uniquement. Tu lui tapes amicalement son épaule droite. Tu attends un instant et tu commences à ranger tes affaires. Tu prends ta mallette en cuire dans une de tes mains, tu enfiles ta veste de costard et finis par dire au garçon. Je te laisse à présent. Si tu as un empêchement vendredi, veuilles à me prévenir avant.
Après un moment d’hésitation, tu n’avais pu t’empêcher d’accepter la proposition du professeur. Cela ne pouvait te faire de mal, comme tu avais pas mal de difficultés pour les cours, et qu’il était largement temps que tu y remédies. D’un autre côté, tu craignais profondément que cet exposé te pénalise, comme tu n’étais pas doué lorsqu’il s’agissait de mettre en pratique les notions que monsieur Ok t’enseignait. Avec un peu de chance, le professeur allait t’apporter l’aide dont tu avais besoin et te permettre de t’en sortir par toi-même, comme tu tentais de le faire depuis longtemps.
Lorsqu’il répondit positivement à ta question, un large sourire éclaira ton visage. Tu ne pouvais cacher ta joie face à cette nouvelle. Il allait falloir que tu listes les choses qui te posaient problème, et ce sans exagérer, en vue de ton rendez-vous avec le professeur. C’était toujours bon à prendre, après tout, même s’il ne répondait qu’à l’une ou l’autre de tes nombreuses interrogations. Il suffisait parfois de tirer du bon côté du nœud pour qu’il se défasse d’un coup, comme par magie. N’est-ce pas ?
« Entendu. »
Ton enthousiasme était revenu aussi rapidement qu’il était parti, ce qui ne t’avais pas empêché de présenter tes excuses à ton professeur. Cependant, quand il reprit la parole, tu hochas la tête en souriant un peu. Il avait raison. Ton corps sursauta légèrement quand monsieur Ok frappa légèrement ton épaule droite, mais un rire remplaça rapidement ton silence.
« J’y penserai, ne vous en faites pas. Encore merci, professeur. »
Et à l’instar de ton enseignant, tu t’empressas de rassembler tes affaires afin de quitter la salle de classe et de rejoindre ta chambre. Tu avais encore beaucoup de choses à préparer pour tes cours suivants, et il n’était pas question de traînasser. De toute façon, tu savais que tu mettrais plus de temps que les autres élèves pour réaliser le travail qui t’était demandé. Sans oublier que tu avais désormais une tâche de plus qu’eux, ce qui n’était pas forcément agréable. Tu avais toutefois décidé de faire des efforts pour que l’on comprenne que tu tenais à ton diplôme malgré tout.
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