J'ai une course à faire à Bunkyo. Arisu a foncé comme une grosse débile dans l'appartement et a fait tomber mon téléphone. Je commence sérieusement à croire que je suis maudit à ce niveau. C'est donc avec espoir que je me rends dans le magasin où je l'ai acheté afin de faire réparer l'écran. Oui, je continue de penser que je pourrai le faire réparer sans avoir à dépenser la moitié de son prix, même si les chances sont minces.

Je pousse un soupir et traverse la rue, m'avançant tranquillement jusqu'au magasin où je dois déposer l'appareil pour quelques jours, et lorsque je ressors du magasin, je suis assez satisfait. Bon, ça me coûtera quand même un oeil, mais c'est pas grave, je pourrai au moins revivre. J'espère juste que Yun Hua n'aura pas trop de problèmes avec le petit, en attendant. Non, parce que c'est pas que je m'inquiète lorsque je vais au travail et que mademoiselle est toute seule à l'appartement avec le bébé, mais un peu quand même. En plus, depuis quelques temps, elle retourne en cours, alors j'ai besoin de savoir quand je dois être rentré ou non. J'espère que la réparation ne prendra pas trop longtemps.

Alors que je m'approche de ma voiture parquée un peu plus loin, je lève les yeux en entendant un cri. "Papa", ça ne devrait pas m'interpeller; après tout, Roxas n'est pas encore en âge de parler et je doute qu'il s'adresse à moi comme ça. En fait, c'est plutôt la voix qui m'a interpelé, une voix plutôt familière.

« Yuzu?  »

Mes sourcils se froncent légèrement quand je comprends qu'elle s'adressait à moi. Qu'est-ce qu'elle veut? Et c'est quoi son problème? Je m'approche sans attendre et il me suffit d'un regard pour comprendre qu'il y a un vrai souci.

« Tu n'étais pas censée étudier? »

Crédibilité? Je n'en sais rien, je suis pas là pour m'autoévaluer, voyez-vous? Je jette un regard à l'homme qui l'accompagne, espérant le dissuader. D'habitude, ce sont des lâches qui s'enfuient en se faisant repérer. M'enfin. Je saisis le bras de mon étudiante, l'éloignant de l'individu qui l'accompagne.

«  Tu vas rentrer avec moi, tout de suite. Et vous, retournez près de vos amis avant d'avoir des problèmes. »

Oui, bon. Se battre en rue c'est pas trop ça, alors on essaie l'autorité quoi.

Bon, la situation semblait complexe… En même temps, si Yuzu se comporte avec tout le monde comme elle l’a fait avec moi l’autre jour, je n’ai pas trop de mal à comprendre que certains types se fassent des idées assez particulières… Ok, disons carrément malsaines, parce que même si son comportement laisse à désirer, je ne peux pas admettre qu’on force une femme à faire une chose dont elle n’a pas envie, et c’est clairement ce qui semble se passer maintenant.

« On verra ça à la maison. »

Pourquoi ils marchent pas ? Pourquoi ? Je fronce un peu les sourcils, embêté à l’idée de voir les autres imbéciles s’approcher un peu trop dangereusement de l’endroit où on se trouve, et je pousse un soupir agacé, à la fois parce que je dois entrer dans mon rôle de père mécontent, mais surtout parce que je suis vraiment énervé de voir autant d’imbécilité en quelques personnes. C’est quand même pas difficile de respecter le monde, si ?

« T’en fais pas, ma voiture est pas loin. »

Je repousse un peu l’autre imbécile avant de tirer Yuzu avec moi, espérant rejoindre rapidement la voiture que j’ai garé un peu plus loin. Sur la route, je soupire profondément avant de m’adresser à Yuzu que je tiens toujours aussi fermement, sans même m’en rendre compte.

« Comment tu fais pour te foutre dans des situations pareilles ? T’es inconsciente ? »

Je sais que je ne suis pas vraiment plus doué lorsqu’il s’agit de s’attirer des ennuis, que je suis même un pro dans le domaine, mais je pense qu’à son âge elle devrait être beaucoup plus attentive à ce qu’elle fait. En plus, l’air de rien, c’est une gamine, pas un mec, alors c’est encore plus dangereux, putain. Alors qu’on avance, je ne peux pas m’empêcher de regarder derrière nous, histoire d’être certain que les imbéciles ne nous suivent pas de trop près.

C’est quand même fou de toujours s’attirer des emmerdes. Franchement, s’il y avait un prix Nobel pour les situations de merde je suis carrément sûr qu’il me reviendrait. Avec Yuzu, Yun Hua,… On est quand même une belle bande de galériens, en fait. Un soupir m’échappe alors que je continue d’éloigner la demoiselle de la bande de types louches qui semblent en vouloir à son corps. Un jour, je sauverai le monde. Genre, avec un collant, un short, je sais pas, comme Superman quoi. Non, vous y croyez pas ? Un peu de sérieux, s’il vous plaît. J’suis parfaitement crédible, là.

« T’en fais pas, j’ai pas encore la tremblote. J’ai pas soixante ans. »

Faudrait peut-être que j’arrête d’être aussi susceptible lorsqu’il est question de mon âge, ça serait pas mal. Ah, mais que voulez-vous, j’ai du mal à grandir, à vieillir, à assumer l’idée que je suis un adulte et que, maintenant, je suis papa. Bordel de merde, je m’y ferai certainement jamais. Bon, si, dans quelques années, voire quelques heures, quand je rentrerai à l’appartement et trouverai le petit dans son berceau, quand il me regardera de ses grands yeux sombres… Ok.

« Faudrait peut-être faire gaffe à qui tu fréquentes ? J’sais pas. »

Papa Ryû va se calmer. Je ferme les yeux un instant et cherche mes clés avant de réaliser qu’elles sont déjà sur le contact. Bien. C’est du grand Ryû, comme d’habitude. Je soupire sèchement contre moi-même, puis je démarre la voiture, doucement, et les mots de mon étudiante m’arrachent un franc rire.

« Doucement Hisagi, on est pas dans Fast&Furious. »

J’appuie un peu sur le champignon, histoire de ne pas non plus lambiner, mais je n’ai pas forcément envie de me faire enlever le permis pour avoir conduit comme un fou. En plus, je veux pas dire, mais je transporte quand même une gamine qui n’est pas la mienne, ça peut paraître suspect, non ? Je deviens parano ? Jamais.

« J’te dépose où ? »

Mes yeux cherchent les panneaux du regard alors que l’on s’éloigne de la zone risquée. Je me vois mal débarquer chez elle comme ça, et encore moins la ramener à la maison. Et maintenant que j’y pense, même rentrer au lycée semble inutile : je ne sais pas si elle y loge.

Rien ne pourrait me mettre plus mal à l’aise que l’évocation de ce qu’il s’est passé dans cette salle de classe. Non, j’ai pas oublié que cette gamine incontrôlable m’a embrassé. J’ai pas oublié non plus que j’ai peur que ça me retombe dessus, compte tenu de l’opinion que le directeur doit avoir de moi après ce qu’il s’est passé au cours de l’année. Franchement, si je garde mon job l’an prochain, c’est un véritable miracle. Ok, je suis habitué aux miracles, mais là, ça serait vraiment trop beau.

« Très drôle, vraiment. » Non, c’était pas drôle, pas du tout.

Et ensuite elle insiste sur le fait qu’elle ne connait pas les types qui l’ont accosté ? Bon, admettons. Je vais pas lui faire de commentaire là-dessus, elle risque de mal le prendre. Autant continuer de conduire tranquillement… Enfin, si elle me laisse le faire, parce qu’elle a l’air vachement trop emballée, là, tout de suite.

« C’est vrai, mais quitte à choisir, je préfère avoir des cheveux. »

Bon, j’ai pas forcément ses muscles, mais je préfère largement ça, hein, parce que ce type est quand même moins bien que moi de toute façon. Bon, je dirais pas non si on me proposait son salaire, j’avoue. Mais effectivement, elle a raison, cette petite. Je ris un peu en lui jetant un regard, mais je peux pas m’empêcher d’être mal à l’aise. Elle m’a promis de plus me toucher, mais elle est toujours bizarre, et sa réponse n’arrange rien, heureusement qu’elle se reprend.

« Hm, je peux te déposer de devant l’école, si tu veux ? »

J’ai l’impression d’être un daron qui ramène sa fille à sa première journée d’école, mais tout va bien. Encore heureux qu’elle n’est pas ma fille, elle est tellement bizarre que je m’en voudrais un peu de l’avoir éduquée. Tristesse.

« Dans les environs, ça te va ? »

La chauvitude, je crois qu’un jour je parviendrai peut-être à comprendre le langage des jeunes, parce que pour le coup je dois avouer que j’ai un peu de mal. Bon, je suis pas totalement con non plus, j’ai compris ce qu’elle voulait dire, mais franchement, je devrais faire un dictionnaire de ce genre d’expressions un peu inutiles et bizarres que les ados utilisent de nos jours… Ça serait sûrement très intéressant, si vous voulez mon avis. Un rire me vient alors que je lève les yeux au ciel, pour finalement les reposer sur la route.

« Quoi, tu voulais que je t’emmène au parc ? Qu’on aille promener mon chat ? »

Les limites elle connait ? C’est quand même mon étudiante et l’air de rien je ne suis pas payé pour jouer au babysitter. Surtout pas en cette période, s’il vous plaît, j’en ai un à la maison et c’est déjà amplement suffisant. Non pas que Hisagi soit encore un bébé, mais il ne faut pas oublier qu’elle est assez… particulière quand même. Sa question me fait néanmoins sourire. Une élève particulière et curieuse, ça, c’est sûr.

« Ça te regarde pas, si ? » Parler de ma vie ? Très peu pour moi, merci, je préfère avoir mon intimité. « Vous allez sûrement avoir un remplaçant pendant un moment. »

Pourquoi je dis ça avec autant de sérieux ? Oh mais pour rien du tout, voyons, il s’agit juste d’une personne susceptible de prendre ma place définitivement. Vous voyez, une personne qui ne s’attire pas d’ennui avec les étudiants, quelqu’un d’équilibré, avec une vie normale, tout ça. Je soupire profondément à cette pensée alors que je continue à avancer. Il faudrait que je trouve une place dans les environs de l’école afin de déposer Hisagi et de rentrer à la maison, mais ça n’est pas gagné. La seule place où je suis sûr de pouvoir me garer, c’est le parking des professeurs, mais c’est sans doute un peu trop risqué, aussi bien pour moi que pour elle.

C’est fou, mais on dirait que cette cure, c’est la pire idée de ma vie. Je veux dire, des milliers de personnes prennent cette décision à un moment de leur existence, je le sais parfaitement, mais j’ai l’impression que, comme je suis le principal concerné cette fois-ci, ça change tout. Ouais, voilà, ça change tout parce que c’est moi. Triste vie. Enfin, dans le fond, pas tellement triste : une fois que j’aurai fini cette cure, je pourrai rentrer chez moi et mener une vie à peu près normale, avec Roxas. Oui, et avec Yun Hua, si elle décide de rester à la maison, mais je doute que ce soit vraiment le genre de chose qui donne envie. Elle n’a pas parlé d’une contrepartie, après tout ? Peut-être qu’elle va me demander de garder le gamin à jamais tout seul. Bon, on va pas envisager les choses comme ça.

Je tourne les yeux vers elle lorsque je réalise que Yuzu a ouvert la fenêtre, claquant imperceptiblement ma langue contre mon palais. J’ai pas besoin de tout ce boucan à l’intérieur. C’est rien, allez, on va survivre… pas vrai ? Oui, allez, on va passer au-dessus de tout ça, on va être un homme.

« Woh, calme ! » Encore un peu et je donnais un mauvais coup de volant, elle est totalement folle ? C’est plus de mon âge. « Je vais revenir. J’ai juste quelque chose à faire. Quelque chose d’important. »

Les mains toujours sur le volant, je pince les lèvres et pousse un léger soupir. Non, c’est pas de sa faute, mais je déteste parler de ma vie, qu’est-ce qu’elle veut que je lui explique ? Que je suis un alcoolo pas foutu de changer sa vie tout seul ? Nickel, j’ai vraiment besoin d’expliquer ça à une gamine.

« Non, ça n’a rien à voir avec toi, d’accord ? » Je ricane après quelques secondes, les yeux posés sur la route. « Si ça avait rapport avec toi, je t’aurais fait virer au lieu de me barrer, tu crois pas ? »

Oui, j’ai des problèmes dont il faut que je m’occupe sans attendre, et ce n’est pas parce qu’une étudiante a décidé que j’étais à son service que c’est le cas, évidemment. Sauf que voilà, Yuzu m’a fait assez spéciale et ne semble pas comprendre que, non, le monde n’est pas à ses pieds et, même si elle fait partie des étudiants avec lesquels je me comporte différemment, je n’ai pas envie qu’elle commence à piquer une crise dans ma voiture. C’est vrai quoi, ce n’est pas comme si je lui devais des comptes, pas vrai ? C’est juste une étudiante un peu trop… bizarre.  Je lève les yeux au ciel suite à son interdiction. C’est pas possible, c’est une vraie enfant… Elle est pas censée avoir 17 ans, dans ces eaux-là ?

« Yuzu… » Je soupire, mais je reprends quelques instants plus tard. « Je te promets que je reviendrai enseigner, c’est bon ? »

De toute façon, tout ce qu’elle peut dire ne changera rien à ma volonté de changer ma façon de vivre actuelle. Avec un gamin sur les bras je ne peux pas continuer à agir comme un idiot, même si je sais que c’est également la responsabilité de Yun Hua. Un sourire me vient néanmoins au commentaire de Yuzu.

«   Vous me désespérez pas... » Bon, je mens peut-être un peu. « Bon, peut-être un peu, parfois.  »

Je continue à observer la route et ralentis doucement à l’approche de l’endroit où j’ai prévu de déposer la petite. Quand j’arrête le véhicule, quelques secondes plus tard, je tourne le regard vers elle en lui adressant un sourire.

« Allez, je te dépose ici, ça devrait le faire. On se revoit en cours à la rentrée alors, Yuzu ? »

Désespéré ou pas, bon prof ou pas, je ne compte pas abandonner maintenant. De toute façon, ce n’est pas comme si j’avais beaucoup mieux à faire dans la vie, right ?