Certes, Yi Qian avait un peu l’obsession des visages. Du moins, c’est ce qui l’intéressait le plus d’étudier et de travailler. Ainsi, elle avait collectionné au fil des ans une belle collection de portraits. Il lui arrivait même parfois d’interpeller des gens dans la rue juste parce qu’elle les trouvait beaux et qu’elle les voulait pour modèles. Un phénomène qui s’était produit à nouveau quelques jours plus tôt alors qu’elle traversait le campus avec une collègue de la section science. Marchant tranquillement entre deux cours tout en discutant d’un film tout juste sorti au cinéma et profitant d’un temps plutôt ensoleillé, elles avaient finalement tourné au coin d’un bâtiment. Alors, elle avait croisé un jeune homme dont le visage, d’abord simple élément dans le paysage, avait instinctivement retenu l’attention d’Yi Qian. Ses yeux étaient revenus instinctivement sur lui pour vérifier ce qu’elle avait cru constater. Et, en effet, elle ne s’était pas trompée. Malheureusement, ces quelques secondes, brèves et presque irréelles, ne suffirent pas pour qu’elle puisse vraiment en faire quelque chose. Et irrémédiablement, ses mauvaises habitudes avaient repris le dessus...
Cela faisait plus de six mois qu’elle n’avait pas vu un visage comme celui-ci. La dernière fois, c’était une petite fille à Yokohama. Or, Yi Qian refusait de passer à côté. Elle avait donc questionné ses étudiants à partir d’un croquis rapidement griffonné et basé sur ses seuls souvenirs. Finalement, un étudiant avait pu lui donner un nom. Sakakibara Naoki. Un étudiant en section sport et patineur professionnel. Une ignorance qui lui avait valu une remarque plutôt moqueuse ponctuée d'un « madame » qui lui donnait l’impression d’avoir un siècle de plus. Bon, elle ne s’y connaissait pas en patinage artistique. Et alors ? En tout cas, il lui avait ensuite fallu moins d’une journée pour obtenir les horaires d’entraînement de la classe de patinage et du-dit Naoki. Ce portrait, elle le voulait, et elle l’aurait. Elle y pensait constamment et tout le monde lui semblerait moche à côté tant qu’elle n’aurait pas réussi à l'immortaliser sur le papier.
Munie de son carton à dessin, de feuilles et de crayons, elle se rendit donc à la patinoire ce jour-là. Rapidement confrontée à la fraîcheur du lieu, elle se sentit quelque peu intimidée quand elle en franchit les portes et se dépêcha de se trouver une place dans les gradins. Elle ne s’attendait pas à voir autant de monde ! Elle se plaça à bonne distance puis patienta, scrutant tous visages masculins apparaissant sur la glace ou aux alentours comme une fauve traquant une proie. Et finalement, il apparut. Alors, comme à son habitude, Yi Qian entra dans une autre dimension ; le seul fait de tenir un crayon et d’être face à un sujet intéressant suffisant à la couper du monde. Elle entendit des murmures autour d’elle. Des fans ? Vraiment ? Sans se soucier de passer à son tour pour une groupie, elle se rapprocha de quelques rangs. Adieu la fierté, vive l’art ! Puis, elle l’observa quelques minutes. Remarquable. Vraiment remarquable.
Elle n’y connaissait rien en patinage artistique mais il était fantastique, non ? On aurait dit un oiseau prêt à s’envoler. Avec une maîtrise due à l’habitude, Yi Qian commença à dessiner, relevant fréquemment la tête pour suivre les mouvements du patineur. Ces mouvements apportaient quelques choses de plus au portrait. Elle pouvait observer son visage sous différents angles et donner à son dessin quelque chose de vraiment vivant. Elle dessina, dessina, oubliant tout le reste. La musique, les personnes autour. Le temps, aussi. Elle releva une énième fois le visage pour tomber sur… Du vide. Quoi ? Elle se redressa et balaya du regard la glace. Où est-il ? « Bah… » Dépitée, elle baissa les yeux sur son dessin. Il n’était pas fini son portrait... Elle entendit du mouvement dans son dos. C’était la pause, déjà ? Elle regarda sa montre. Ah oui, quand même. Le temps était bien passé. Elle remarqua soudain qu’elle avait avancé sans s’en rendre compte jusqu’au premier rang, se retrouvant quasiment collée à la rambarde. Toujours assise, elle souffla puis baissa les yeux sur son croquis, désormais posé sur ses genoux. Elle était dépitée… Alors, un crissement sur la glace, tout proche, attira son attention et la fit relever le visage.
- (c) Dessin : zeldacw (DeviantArt)
Invité
Invité
Ce message a été posté Jeu 22 Déc - 22:56
Let me draw your skating. #Chapter_2
Yi Qian & Naoki
Si pour certain le début des cours était synonyme de "début d’entraînement", ce n’était pas réellement le cas pour Nao. Non, en réalité le jeune nippon ne terminait jamais vraiment l’entraînement et ne le commençait donc jamais réellement. Certains étaient capable de fractionner leur vie, de séparer vie privée et vie professionnel. Le fait est que Naoki n’avait absolument aucune vie privée. Il se levait en pensant au patinage, commençait par un petit déjeuner riche en glucide pour l’aider à tenir le rythme et en lipide pour éviter qu’il ne se déshydrate trop rapidement, sans compter la tonne de vitamine qu’il ingurgitait sous forme de salade de fruits divers… Le tout savamment étudié par Alicia, la nutritionniste qui s’était occupé de lui à Toronto, quand il avait rejoint le Cricket Skating Club. Le seul petit plaisir qu’il s’offrait c’était son café du matin avant d’aller se doucher, de préparer ses affaires et de quitter son appartement pour un petit footing jusqu’à l’université, le tout parfaitement orchestré pour lui permettre d’arriver pratiquement déjà échauffer au cours… Si on pouvait nommer ça comme ça, parce qu’ils n’étaient pas réellement une classe, mais plutôt sept patineurs professionnels pour quelques-uns, semi-professionnels pour d’autres. Et s’il y avait une bonne entente entre eux, ils travaillaient tous de leur côté, ne faisant que partager la patinoire le temps des cours collectifs, puisqu’en dehors ils avaient tous leurs horaires bien défini avec leur coach respectif. Généralement Nao arrivait le premier, aux aurores, alors que le concierge venait à peine d’ouvrir les portes. Si Brian fixait souvent ses entraînements à 6h, il n’était pas rare de déjà croiser le patineur dans les vestiaires une heure avant. Certes répéter ses programmes sur la glace était indispensable, mais travailler hors patinoire était aussi important. Affiner son équilibre, travailler sa grâce, muscler ses jambes et son dos, mémoriser le tracer des parcours et tester ses sauts.
Ce matin encore, Nao était arrivé le premier et en attendant le reste de ses camarades, il s’était isoler dans une salle un peu à l’écart pour s’échauffer correctement, travailler sa souplesse, se remémorer son programme de gala qu’il pouvait sans peine se permettre de travailler devant ses camarades, puisqu’il n’avait aucune incidence sur ses futures compétitions. Son court et son libre, quant à eux, Brian préférait qu’il les travaille lors de séances privée, loin des yeux indiscrets. Ce n’est que sur le coup de huit heures qu’il rejoint le reste de ses camarades, ayant troqué ses vêtements de ville contre un tenue plus isotherme et un haut de survêt estampillé "Japan" dans le dos. Les patins aux pieds, toujours chaussé de leurs protèges-lames, il alla saluer son coach et son préparateur physique, qui ne le quittaient jamais lorsqu’il patinait, leur abandonnant son sac avant de glisser sa bouteille, pleine d’un liquide jaune riche en glucide, sur la rambarde ou s’accoudait Brian. Il y posa Pooh, qui plus encore que son coach, ne le quittait réellement jamais et sous les recommandations de son entraîneur, il se dirigea vers l’ouverture de la balustrade. Ôtant un à un ses protèges-lames, il pénétra sur la glace, se baissant aussitôt pour l’effleurer du bout des doigts dans un petit rituel porte bonheur. A peine entré sur la glace, des murmures excités s’élevèrent d’un coin des gradins et même s’il n’aimait pas spécialement être l’objet de toutes les attentions, un sourire fendit son visage alors qu’il offrait un petit signe de la main aux quelques fans qui s’étaient glissés là comme toujours puisque les cours n’étaient pas fermés au public.
Un rapide échauffement de groupe sur la glace, la musique s’éleva et chacun vaqua à ses occupations. De son côté Nao en profita pour retravailler ce triple axel qui lui avait poser problème lors du Grand Prix Final à Marseille et après trois tentatives sans échec, il décida de se concentrer sur les pas de transitions, grand aigle, pirouette et la fente d’Ina Bauer. Parfois il s’accordait deux minutes de pause pour aller boire et échanger quelques mots avec Brian qui ne le lâchait pas du regard. Si tout au long du cours il fut concentré, prêtant peu d’attention aux fans qui filmaient et qui gloussait dès qu’il faisait un pas un minimum technique, il ne put s’empêcher de remarquer cette étrange personne qui, calme et discrète comparé aux autres, semblait accaparé par une chose sur ses genoux, bien qu’elle relevait fréquemment la tête pour le suivre des yeux. Il avait d’ailleurs plus d’une fois senti son regard insistant posé sur lui. Tout comme il l’avait vue se rapproché de la rambarde au fur et à mesure que l’entrainement avait avancer. Il connaissait de vue la plupart des fans qui se joignaient au cours pour l’épier en plein travail, qui lui réclamait photos et autographe dès qu’il avait le malheur de s’approcher, mais son visage à elle lui était totalement étranger, comme si elle s’était trompé d’endroit.
La pause était finalement arrivée et après avoir étanché sa soif, échanger quelques rapides paroles avec Brian, ses patins l’avaient mené de son côté alors qu’elle semblait absorbée par ce qu’elle faisait. Doucement Naoki s’était appuyé contre la balustrade et une seconde à peine après, il l’avait vu relever les yeux et parcourir la glace des yeux, à moitié dépitée de ne trouver que du vide. Il en avait profiter pour s’avancer un peu plus et jeter un regard à ce qu’elle tenait. Ça avait alors été à son tour d’être surpris… Tant pas le fait qu’elle soit occupé à dessiner dans le froid de la patinoire que par l’objet de son dessin. « Hum ! Wooow. C’est très joli… Je ne croise pas souvent de gens qui me dessine. » Un sourire sincère étira ses lèvres. C’est vrai qu’il avait plutôt l’habitude qu’on le film, qu’on le prenne en photo, mais pas qu’on le dessine. En plus, elle était vraiment douée. « Vous dessinez bien. »
Le froid qui régnait dans la patinoire n’était rien en comparaison de la déception d’Yi Qian. Voilà qu’elle se retrouvait avec un magnifique portrait à moitié terminé. L’essentiel y était et un œil inexpérimenté trouverait ce croquis déjà bien abouti, mais ses vilaines habitudes perfectionnistes y voyaient juste une base manquant cruellement des détails. Elle aurait sûrement dû l’observer moins longtemps au départ. Quoique non, en fait. Cette étape lui était toujours nécessaire et profitable à son travail. Surtout quand le sujet était en mouvement. Et quels mouvements ! Elle ne connaissait pas les termes précis, tel que le triple axel, mais ce que son expérience de la danse classique lui faisait appeler simplement saut ou pirouette l’avait vraiment impressionné. Mais ce qu’elle avait préféré, bien qu’incapable de le nommer, était la fente d’Ina Bauer. Dommage qu’elle n’ait pas eu de bouton replay pour se repasser cette figure en boucle ou un spécialiste à portée de main pour lui dire le nom exacte. Elle avait bien été tentée de poser la question au groupe de jeunes en survêtement installés non loin mais elle préféra opter pour de futures recherches assidues sur la question. Futur signifiant le soir même.
En bref, si elle avait pris du retard, c’était sa faute à lui. Non mais ! On ne commence pas un entraînement en rappelant cruellement à toutes les personnes autour qu’elles ne sont que de simples mortels. Et c’était la faute de toutes ces personnes qui peuplaient les gradins autour d’elle aussi. Impossible de se concentrer quand un mouvement qui était une bonne occasion d’ajouter un détail au portrait s’accompagnait de l’écho de petits murmures, voir gloussements. Bon, elle ne se serait pas permis de dire « chut », c’était un lieu public après tout. Mais elle aurait clairement souhaité demandé au monde entier de se taire afin qu’elle puisse tranquillement s’installer dans son travail. Le silence. Juste le silence et le crissement des patins sur la glace. La perfection. Elle se serait presque plu sur son banc glacé, penchée sur son dessin en essayant de graver le plus vite possible, handicapée par ses mains gelées et tremblantes. Et voilà qu’en plus on lui infligeait une pause.
Elle avait entendu deux personnes se passer en boucle le film qu’elles avaient pris précédemment. Il faut dire que les objectifs des appareils photo avaient sérieusement œuvrés pendant les quarante-cinq dernières minutes. Yi Qian aurait pu se baser sur une vidéo pour son dessin, c’est vrai. Mais elle préférait largement être face au sujet bien réel, sans filtre. Tout simplement parce qu’elle pouvait s’imprégner de l’ambiance et vivre réellement son dessin, si l’on peut s’exprimer ainsi. Mais quel dessin ? Ses yeux étaient baissés, jusqu’à ce qu’un bruit tout prêt n’attire son attention. Quelqu’un était toujours sur la glace. Elle releva son regard et celui-ci tomba sur une personne postée face à elle de l’autre côté de la balustrade. Son modèle. Surprise, elle manqua de s’assommer contre les sièges de la deuxième rangée.
Dans un instinct défensif, elle serra son dessin contre elle. On ne lui prendrait pas. Non, non, non. Un peu gênée aussi, elle fixa l’admirable visage du jeune patineur. Il lui disait bien quelque chose maintenant. Et, en même temps, il serait temps… Elle fut surprise alors de le voir sourire. Euh… Il était… Content ? Franchement, elle était bluffée. Elle aurait pensé qu’il le prenne plutôt mal ou qu’il demande à ce qu’on la sorte. Elle haussa les sourcils et le regarda, curieuse. Elle n’avait pas été discrète dans sa tentative de le dessiner, incognito, c’est vrai. Mais elle ne s’attendait certainement pas à ce qu’il vienne directement la voir et la complimente. Il ajouta qu’il ne croisait pas souvent des gens le dessinant. Vraiment ? Eh bien les gens étaient idiots alors. Elle garda cette pensée pour elle. Il la complimenta à nouveau et la gêne d’Yi Qian s’estompa un peu. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle en oublia une nouvelle fois à quel point il faisait froid et détendit un peu ses bras, toujours serrés sur le carton soutenant son dessin. « Merci ! » Ce compliment était sincère et cela lui faisait vraiment plaisir. Elle ne se gênait pas pour demander aux gens de poser pour elle, mais elle était souvent gênée à l’idée de montrer ses créations. Comme si c’était une part intime d’elle ou quelque chose dont elle n’était pas vraiment satisfaite.
Sortie de la dimension parallèle dans laquelle elle entrait pour dessiner, elle eut le sentiment qu’une centaine de paires d’yeux était braquée sur elle. Elle ignorait toujours qu’elle se trouvait face à un véritable champion et connaissait trop peu le monde du patinage professionnel pour savoir que les deux messieurs postés de l’autre côté de la patinoire étaient le coach et le préparateur sportif du jeune homme. En même temps, quand on est sur un campus tel que celui de la Royal Private Schools, on ne se surprend pas d’y voir un occidental de temps en temps. Et puis, très honnêtement, elle avait été trop accaparée par son travail pour prêter attention aux autres personnes présentes. Elle reposa son dessin à plat sur ses genoux. Il y avait quelques croquis plus petits autour de celui principale représentant le visage du patineur. Une chance qu’elle ne sache pas sa renommée, sinon elle aurait encore plus craint de le déranger en entretenant la conversation, ou encore qu’il n’attrape froid en restant posté là après tant d’efforts. Elle releva son carton et lui désigna sa petite représentation au crayon de la fente d’Ina Bauer qu’il avait exécuté plus tôt.
« J’ai beaucoup aimé cette figure. » Elle était magnifique, mais sûrement difficile aussi. Elle releva son regard vers lui, espérant qu’il lui dise le nom exact. Elle avait hésité à lui demander si le fait qu’elle le dessine pendant son entraînement ne le dérangeait pas trop. Cependant, elle craignait trop qui lui réponde par la positive. Promis, elle se ferait très discrète pour ne pas le déconcentrer. Qu’on lui laisse juste terminer ce qu’elle avait commencé et profiter encore un peu du spectacle. Elle était professeur à l’université, après tout. Elle avait donc droit à cet infime privilège, non ?
HRP ♪:
Cette musique ! **
Invité
Invité
Ce message a été posté Mar 3 Jan - 23:49
Let me draw your skating. #Chapter_2
Yi Qian & Naoki
Le froid, à force, il ne le sentait plus vraiment. Il faut dire qu’il patinait depuis l’âge de quatre ans et avec ses parents, passer une journée loin de la patinoire était chose compliquée, alors il y avait passé la majeure partie de sa vie. Si au début c’était surtout pour s’amuser, depuis que le patinage était devenu chose sérieuse pour lui et qu’il passait presque 8h par jour à s’entrainer, il ne craignait plus le froid. C’était un peu comme ces gens qui vivaient dans les pays chauds et qui supportaient mieux la chaleur que les autres. Eh bien, lui supportait mieux le froid et ce n’était pas les années passées à Toronto qui diraient le contraire, même s’il aimait bien la chaleur de temps en temps aussi, mais se retrouver en t-shirt sur la glace ne lui posait pas de soucis.
Pour Brian c’était une autre histoire parce qu’il avait souvent peur qu’il tombe malade, ce qui serait une catastrophe pour son programme de compétitions, en plus de le contraindre à se soigner en le tenant éloigné de ses entrainement quelques temps. Et pour un sportif, le moindre jour sans entrainement était un peu comme avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Contrairement aux connaissances, le physique avait besoin d’être constamment entretenu. Heureusement pour Naoki, s’il avait eu quelques soucis de santé enfant, c’était à présent une histoire lointaine et sa santé se portait parfaitement bien. En fait, il avait plus de risque de se blesser que de tomber malade, même s’il ne tentait jamais le diable pour autant. C’est pourquoi une fois bien échauffé, il avait ôté le haut de son survêt pour la suite de la « leçon ». Rien de mieux pour tomber malade que d’avoir trop chaud dans un environnement froid.
Un peu moins d’une heure avait filé avant qu’il ne s’accorde une pause, sous le regard bienveillant de son staff. L’espace d’une seconde son regard avait fouillé la glace à la recherche de Sandro avant de se rappeler qu’il n’était pas au Cricket club, mais à la Royal alors que son ami était à l’autre bout du monde, sous le soleil de Barcelone. Etre éloigné de celui qu’il considérait pratiquement comme un grand frère c’était un peu difficile à vivre, mais il se réjouissait quand même de bientôt le revoir puisqu’ils allaient s’affronter sur la glace de Gangneung, en Corée, pour le championnat des quatre continents dans quelques semaines.
Attrapant un mouchoir, Naoki avait éponger son front, écoutant distraitement les remarques de son coach alors que son préparateur physique lui tendait son survêt pour éviter que ses muscles de refroidissent trop vite. Un coup d’œil autour de lui et son regard était tombé sur cette étrange femme qui était installée dans les gradins. C’était la première fois qu’il la voyait. Elle ne ressemblait pas vraiment aux groupies qui assistaient généralement à ses entraînements publics et qui se tenaient d’ailleurs un peu plus éloignées qu’elle. Intrigué, il s’était excusé auprès de son entraîneur, avait flatté la tête de Pooh sur la rambarde avant d’aller se poser contre celle-ci juste à l’endroit où se tenait l’étrange visiteuse. Sa curiosité avait été piquée en la voyant penchée sur une feuille et émerveillé quand elle s’était relevé, lui laissant tout le loisirs d’observé son œuvre. Oui, oui, émerveillé, parce qu’il devait avouer que c’était magnifique… Même si aux vues de ses maigres talents en matière de dessin, il devait être tout aussi piètre juge. C’était toutefois plein de bon cœur qu’il l’avait complimenté avec un sourire. Sourire qui s’élargit devant son mouvement de protection, lorsqu’elle tenta de soustraire à sa vue son travail, par peur d’avoir surprise ou par honte. Mais le fait était que ça ne le dérangeait absolument pas et qu’il se sentait même honorée qu’elle le dessine. Ça le changeait tellement des photos et des vidéos. Il aimait ses fans, ce n’étaient pas ça le souci, mais contrairement à la technologie, le dessin avait quelques choses de personnel, de touchant, de chaleureux… Une interprétation que les photos n’avaient pas. Comme pour le patinage, le dessin demandait du cœur.
Patiemment, il attendit qu’elle daigne se rassurer et lui offrir à nouveau la possibilité de jeter un œil à son travail. Nao était vraiment curieux. Quand enfin, il put poser les yeux sur le dessin, il observa avec attention les courbes laisser par le crayon, redécouvrant les traits de son visage, cette détermination dans le regard, la souplesse dans ses mouvements. C’était à la fois comme se regarder dans un miroir et regarder évoluer un autre lui. La sensation était étrange mais pas désagréable. En plus, elle était vraiment douée. Il avait presque envie de faire signe à Brian de venir voir. Il allait d’ailleurs le faire quand elle lui avoua en lui désignant une position sur son dessin qu’elle avait beaucoup aimé cette figure. Son sourire, qui ne l’avait pas quitté alors qu’il avait passé en revue l’œuvre, se fit plus doux et une pointe de fierté traversa son regard. Il lui avait fallu de nombreuse heure pour réussir cette figure qui initialement était plus féminine que masculine. Il se souvenait parfaitement de sa mère qui s’était fichue de lui quand il avait tenté de la réaliser la première fois, avec un manque de souplesse évident dû en grande partie à l’anatomie masculine peut adaptée à ce genre de figure. « Hmm… La Biellmann. » Ses yeux étaient posés sur le croquis qui représentait bien le mouvement, de la tension de la jambe étirée aux placement fidèle des mains, en passant même par les doigts passés à la base de la lame. « Une pirouette qui demande beaucoup d’entraînement… »
C’est fou mais rien qu’en regardant le dessin il pouvait ressentir les mêmes sensations qui l’étreignaient lorsqu’il la produisait. Le léger élancement dans le moyen adducteur, le froid de la lame sur ses doigts, l’estomac qui se contracte… « C'est la première fois que je vous vois ici. Vous dessinez souvent les patineurs ? »
Yi Qian laissa le patineur observer librement son dessin, attendant impatiemment de connaître le nom de la figure qu’elle avait tant apprécié. Elle laissa donc son regard se promener le long de la patinoire, qu’elle découvrait plus en détail cette fois. Il faut dire que le jeune patineur avait accaparé la plupart de son attention. C’est pourquoi, elle avait été plutôt étrangère au reste de cet environnement tout nouveau pour elle. Et puis, regarder ailleurs était un moyen inconscient de faire diversion. Elle était tellement gênée qu’il l’ait prise sur le fait et, surtout, qu’il soit à présent en train de regarder en détail son dessin. Ce qui était plutôt étrange. Mais peut-être était-elle un peu intimidée suite à la performance à laquelle elle venait d’assister.
Très honnêtement, et à tort surement, elle n’avait pas pensé un homme capable d’autant de grâce. Même les danseurs classiques, elle les trouvait toujours un peu plus « lourd » dans leurs mouvements que les femmes parfois. Mais aujourd’hui, le travail de Naoki lui avait permis de vaincre un terrible préjugé. Et pour être tout à fait honnête, elle n’avait encore jamais autant aimé regarder du patinage. La séance était presque passée trop vite ! Pour la réalisation de son dessin, mais peut-être un peu aussi pour le plaisir des yeux. Elle jeta un bref regard à son dessin, peu satisfaite de son travail incomplet, puis écouta attentivement la réponse qu’il lui donnait. La… Biellmann ? Elle n’était pas sûre de retenir le nom mais sortit son carnet à dessin pour vite écrire le nom tel qu’elle l’avait entendu. Elle devait sûrement avoir fait une faute dans l’orthographe, mais internet lui permettrait de la corriger sans peine. Elle reposa son carnet à côté d’elle, satisfaite.
Il lui expliqua alors que c’était une figure assez compliquée et demandant beaucoup de travail. Elle écarquilla les yeux d’admiration puis se ravisa pour éviter de trop passer pour une ignorante. Elle détourna le regard puis hocha la tête. « Oui, sûrement ! En tous les cas, c’est vraiment très beau. » Et un peu douloureux à regarder aussi… C’est pourquoi elle avait préféré la fente d’Ina Bauer. C’était vraiment ce qu’elle avait préféré de tout l’entraînement et elle pourrait même se la passer en boucle. C’était indescriptible. Touchant et impressionnant à la fois. Très poétique aussi. Après, la vision que l’on avait d'une figure dépendait surement des sensibilités de chacun. Elle grava dans son esprit le beau sourire du jeune homme pour pouvoir le retranscrire plus tard sur le papier.
Elle sentait l’agitation muette de fans un peu plus loin derrière elle et tenta d’oublier ce détail. Pourtant, elle commençait de plus en plus à se poser des questions. Peut-être finirait-elle enfin par arriver à la conclusion qu’il était vraiment connu. Ou pas… Une chance qu’elle ne le sache pas. Sinon, elle aurait été bien moins naturelle, et surtout encore plus gênée qu’elle ne l’était à présent. Elle s’apprêtait alors à lui montrer cette fois son dessin représentant la fente d’Ina Bauer, en espérant qui lui donne le nom, quand il reprit la parole. D’une voix toute aussi sympathique que sa personnalité semblait l’être. La question ne tarda toutefois pas à la ramener à la réalité. « Euh… » Elle déglutit et détourna involontairement le regard vers le coach et le préparateur physique du patineur, installés de l’autre côté de la patinoire.
Que pouvait-elle lui dire ? Qu’elle avait décidé de le dessiner parce qu’elle l’avait croisé un quart de seconde sur le campus et que son visage gracieux avait tellement attiré son attention qu’elle avait questionné la plupart de ses étudiants pour avoir un nom ? Et que, finalement, elle s’était hâtée de venir ici, incapable de renoncer à le dessiner ? Il la prendrait pour une folle. Oui, sûrement. En plus, elle n’y connaissait vraiment rien en patinage. A tel point qu’elle ne connaissait pas sa renommée internationale… De plus, c’est à peine si elle arrivait à aligner deux pas sur la glace elle-même. Elle se sentait vraiment malpolie pour le coup. Elle croisa le regard du patineur. Avec son sourire sincère, il la faisait encore plus culpabiliser.
Elle repensa alors à son portrait et surtout à cette personnalité vraiment inspirante, essayant de se détacher du cadre. Elle prit son courage à deux mains, optant pour une réponse honnête. « En fait, je dessine surtout des portraits. Il m’arrive de dessiner des gens dans la rue, dans un parc ou encore au supermarché. » Elle s’arrêta là, craignant de passer pour une maniaque, puis afficha un sourire gêné avant de poursuivre. « Je ne connais pas grand-chose en patinage… Voire quasiment rien. Mais vous avez un visage très… » Elle hésita. Mais pourquoi mâcher ses mots ? Autant être complètement sincère, non ? Ce n’est pas comme si elle allait lui dire qu’il était laid, après tout. « Beau. » Elle pria pour ne pas rougir, puis leva la main pour repousser une mèche de cheveux derrière son oreille. La honte… Ces derniers étaient attachés en chignon au sommet de son crâne. Elle repoussa donc du vide puis se racla la gorge.
Son regard tomba sur un groupe de filles assis non loin. Elle ne voulait pas passer pour une groupie. Tout ce qu’elle appréciait, c’étaient les visages et surtout ceux qui dégageait une certaine émotion. Et ce d’un point de vue purement scientifique, et artistique, en fait. Elle tenta donc de se rattraper un peu. « Et puis, vous êtes impressionnant sur la glace. » Elle leva un pouce encourageant. Ils avaient certainement du souci à se faire tous les autres de sa classe. Elle se redressa et s’appuya à son tour à la rambarde, mais côté gradin pour sa part. « Je dirai à votre professeur de bien vous noter aux prochains examens. » Elle eut un sourire complice, n’imaginant pas que sa blague devait la faire passer plus pour une cruche qu’autre chose. Pour elle, s’était encore un simple élève en patinage très doué. Elle ignorait que c’était un athlète de haut niveau. Un malentendu qui ne jouait peut-être finalement pas tellement en sa faveur…
Dernières images
