Nouvelle session de recherche à l'Université pour l'ex-profiler, Fen en ayant pour quelques heures encore. Et pourtant, le temps avait déjà bien filé depuis l'arrêt des cours, la nuit ayant nimbé de ses sombres apparats la Royale Private School. La tête penchée sur un ouvrage de criminologie, le chinois peine cependant à se concentrer sur le sujet de sa lecture. La cause ? Un colis particulier arrivé ce matin, boîte de carton contenant la promesse de toute une vie, la bague de fiançailles que portait il y a encore peu son ex-fiancée. Certes, leur rupture remontait à ce tout début d'année, mais l'anneau reposant dans son écrin de velours ne venait que rendre plus tangible cette séparation. Dernier vestige de leur amour, le professeur  n'avait pu se résoudre à le jeter, préférant le confier au gardien de celui qu'il avait lui aussi retiré. Pour l'heure, il ne savait que faire de ces souvenirs douloureux et avait placé le coffret les contenant dans la plus haute étagère de son armoire, seul lieu où la coalition poilue n'avait pas accès, du moins, il l'espérait.

Trop ailleurs pour pouvoir continuer ainsi, c'est avec  regret qu'il dût se résoudre à avorter cette session qui ne donnait de toute manière rien. Après un dernier soupir las, il enfila son trench-coat marine et referma la bibliothèque derrière lui.  À l'extérieur, il s'autorisa à sortir son paquet de cigarettes et ne tarda pas à en extirper un cylindre de tabac bien vite allumé malgré le vent glaciale qui tentait de s'infiltrer sous les pans de l'épais manteau du chinois. Première bouffée salvatrice expirée, son regard rencontra la structure aux proportions titanesques du gymnase. Mais, ce n'est pas ce qui attira l’œil du brun, mais plutôt le bruit ténu qui semblait s'en dégager. Étrange... Voulant en avoir le cœur net, il s'approcha à  pas feutrés, remarquant que la porte n'était pas scellée comme habituellement. Bien que de nature raisonnée, l'ancien profiler vit son rythme cardiaque s’accélérer sous l'effet de l'adrénaline.

Des bruits de gomme résonnaient à intervalle régulier alors qu'une respiration plus prononcée qu'à l'habitude les accompagnait. Un sportif, un basketteur très certainement. Enfin, Fen n'allait pas tarder à pouvoir vérifier son hypothèse, le terrain n'étant plus très loin à présent. Quelques pas plus tard, il se trouvait fasse à une scène des plus....difficile de trouver les mots pour la décrire en fait. Un jeune homme de haute stature évoluait au milieu de la pièce sous l'éclairage de quelques discrets projecteurs. Torse nu, on pouvait aisément conclure qu'il était là depuis un certain temps, de fines gouttelettes ruisselant sur sa peau échauffée. Bien que n'appréciant guère les élèves qui ne respectaient pas le règlement d'un côté, de l'autre le chinois a toujours respecté ceux qui se donnaient les moyens de réussir. Voilà pourquoi il ne héla pas celui qu'il avait reconnu comme un de ses élèves. Non, il préférait plutôt soigner son entrée et s'approcher à pas de loup vers son cadet et lui dérober son précieux ballon une fois arrivé à sa hauteur en arborant un petit sourire satisfait. Les masques n'allaient pas tarder à tomber...

Les journées et les soirées se suivaient autant qu'elles se ressemblaient beaucoup.  Le jeune homme avait plus d'heures de sport que de cours, pour son plus grand plaisir. Il fallait bien l'avouer, le basket était son élément, sa passion, une femme à laquelle il était très dévoué. Certains ne pouvaient pas vivre coupés du téléphone, d'internet ou de la dernière fringue à la mode, dans son cas, c'était sans son ballon qu'il amenait absolument partout. Il ne faudrait pas rater une occasion de jouer n'est-ce pas ? Bien qu'il restait assez jeune, son perfectionnisme était aussi grand que sa détermination. C'était pourquoi, depuis un peu plus d'un an, il revenait dans le gymnase du campus la nuit, à l'insu de tous et sans autorisation. Dans ses entraînements, que ce soit avec le club ou bien la fac, l’entraîneur ne prenait plus le temps de revoir les fondamentaux. Le jeune homme n'avait pas d'autre choix que de les entretenir, seul.

Pour cela, le japonais avait élaboré plusieurs exercices afin de se compliquer la tâche. Il n'était pas question qu'il ne se donne pas toutes les chances pour décrocher un contrat professionnel. Dans ses rêves de gloire, il devenait un basketteur reconnu, représentant son pays dans l'équipe nationale. Mais il restait aussi très réaliste, ce n'était pas en rêvant qu'il pourrait réussir. Ce soir, rien n'échappait à la règle. Après s'être échauffé comme il fallait, étape importante, il avait commencé par des shoots pendant plus d'une heure, perfectionnant son geste. Toutes les sortes de tirs y étaient passés et, à force, son t-shirt, comme d'habitude, s'était retrouvé sur le banc. Les sensations apportées par l'air était importantes. 

Une pause boisson et petit encas ne fit pas de mal. Daiki se remit ensuite à la tâche, décidé à bosser son dribble. C'était important de connaître si bien le ballon, ses rebonds, ses reliefs, ses sensations, le terrain afin de pouvoir gérer n'importe quelle situation ou pression défensive. Puisqu'il s'entraîner en solo, il fermait les yeux, s'imaginait son dernier adversaire ou quelqu'un qui lui avait donné de la difficulté  et, les jambes pliées, la balle vire-voltait entre ses mains, entre ses jambes, dans son dos. Soudain, il sentit un courant d'air. La balle ne revint d'ailleurs pas comme à son habitude jusqu'à son autre main alors qu'il savait qu'elle aurait dû le faire. Ses paupières se rouvrirent, son corps se redressa. Une silhouette tenait son précieux entre ses mains. « Nakagawa-Sensei... » Dit-il assez bas. Mots qui étaient davantage pour lui-même que le contraire.

Se remettant de la surprise, il n'était pas le moins du monde capable de remarquer cette ambiance légèrement électrique. L'étudiant ne perdit pourtant pas son calme. Mais il ne pouvait s'empêcher de  penser à sa bourse et aux ennuis qu'il risquait d'avoir. « Je vais avoir des problèmes ? » Demanda-t-il sans chercher à tourner autour du pot. Il avait besoin d'être rassuré ou alors définitivement inquiété, bien qu'il y avait peu de chances que ce ne soit pas le cas. Une goutte de sueur perla sur sa tempe qu'il essuya à l'aide d'un de ses protèges poignets. Déglutissant, la pression commençait à être pesante.

Droite, gauche, droite, gauche, le ballon résonnait de façon régulière contre le béton ciré. Du moins, jusqu'à ce qu'un professeur intrigué ne s'en mêle...  Le précieux du jeune homme en main, ce dernier ne mit guère de temps à rouvrir les yeux pour tomber nez à nez avec l'un de ceux qu'il devait très certainement redouter de croiser.  Un « Nakagawa Sensei... » fut soufflé, « Lui-même » fut tenté de répondre le chinois qui s'en abstint tout de même. Le stress de se faire surprendre étant une punition suffisante, il n'y avait donc nul besoin d'en rajouter. « Je vais avoir des problèmes ? » Très bonne question en soit, bien qu'elle penchait plus sur la rhétorique en y pensant à deux fois. Finalement, le jeu l'emporta et l'ancien profiler ne put s'empêcher de taquiner un peu son cadet malgré sa précédente décision. « À votre avis monsieur Inoue ? », Fen laissant intentionnellement un silence pesant s'installer afin d'inquiéter plus encore le japonais.

Une minute, deux minutes.... Quittant son inertie, le plus vieux se mit à décrire des cercles égaux tout autour de l'autre tandis qu'il continuait de maintenir entre ses longs doigts l'objet fait de cuir. Ses prunelles posées sur Daiki, il reprit enfin la parole en continuant sur son axe. « Ce n'est pas dans vos habitudes monsieur Inoue ... » Le ballon reprenant à présent sa course entre les mains d'un autre.  « Vous avez peur pour votre bourse n'est-ce pas ? » Continua-t-il alors que ses prunelles ne reflétaient en rien son amusement interne. Vous remettez l'humour particulier du chinois maintenant non ?  Le professeur stoppa son dribble pour garder le ballon dans sa main., ce dernier devenant la cible des lames affûtées qui lui octroyaient le don de la vue. « Vous avez raison, il me suffirait …. » Le ballon tombant juste après lesté d'une main nonchalante tandis que Fen reprenait. « De vous dénoncer pour que tout s'arrête pour vous.... »

Le chinois se remit alors en mouvement, reprenant bien évidement pour cible l'étudiant. Puis, le silence fut à nouveau de mise, seuls les pas du professeur  venant le troubler à intervalles réguliers. Une fois de plus, l'ex profiler se fit désirer pour ouvrir la bouche, préférant largement continuer de torturer encore un peu son élève qui ne brillait pas. Toutefois, n'étant pas non un sadique, il se posta brutalement devant lui en faisant volte-face. « Détendez-vous, je ne dirais rien... » Les traits du plus vieux se faisant moins crispés et un léger sourire amusé venant même attester ses dires. «  J'espère pour vous que personne d'autre que moi ne découvrira votre petit secret. Vous, vous donnez à fond dans votre domaine. J'aime ça. Et c'est justement grâce à cette volonté que votre bourse est sauve. »

Fen ne tint pas plus longtemps en place, préférant déjà éteindre les spots qui éclairaient le gymnase d'une lumière tirant sur le jaunâtre, sans doute de la basse qualité. Enfin, ce n'était pas tous les étudiants de RPS qui roulaient sur l'or, Daiki faisant parti des chanceux boursiers. Boursiers qui étaient  une aubaine pour les professeurs qui avaient la surprise de sortir du schéma nippon habituel. Il faut dire que l'on pouvait croiser de sacrés spécimens dans les couloirs....À l'image d'un certain petit con fils de commissaire un peu trop coulant. Enfin....Là n'était pas le sujet de la soirée.

Le dernier spot éteint c'est de la lampe-torche de son téléphone qu'il put s éclairer, bien qu'il ne put éviter de rentrer dans le plus jeune. « Excusez-moi, je ne vous avais pas vu.... »

Tout ce qu'il avait redouté depuis plus d'un an qu'il venait s'entraîner en secret dans le gymnase était en train de se dérouler sous ses yeux. Un enseignant se tenait là, devant lui, son ballon entre les mains. Le japonais ne pouvait pas dire qu'il était un élève assidu, réfractaire au système scolaire, il ne faisait jamais que le minimum. Même s'il s'était inscrit au cours de psycho pour tenter de s'ouvrir à de nouveaux horizons, juste au cas où il ne pourrait pas devenir professionnel. Parmi tous les profs, celui qui semblait le plus droit et sévère était justement devant lui, sûrement des restes de son passé de policier. Il ne put se retenir de déglutir en écoutant ses premières paroles. Il jugea inutile de répondre, ne souhaitant pas non plus avoir des mots malheureux qui pourraient jouer contre lui.

La suite fut une accumulation de secondes qui formèrent des minutes et qui contribuèrent au calvaire que lui faisait vivre le plus âgé. Enfin le silence fut à nouveau brisé, toujours pas par lui. A observer le brun faire des tours, il avait l'impression d'être devenu une proie encerclée par un gros félin. Encore une fois, il n'avait pas l'impression de devoir répondre à ses questions rhétoriques. Bien entendu qu'il craignait pour sa bourse. Tout comme il ne souhaitait pas le moins du monde retourner dans sa ville natale où s'était rapatrié cet oncle trop dur. Daiki priait pour que ça ne se répercute pas non plus sur son projet professionnel. Enfreindre un règlement, ce n'était pas du tout de la bonne publicité. Le bruit du ballon a intervalle régulier sur le parquet n'aidait pas le plus jeune à se détendre. En apparence il donnait le change, peu expressif depuis plusieurs années, mais à l'intérieur, il se décomposait…

Bien qu'il était en tort, une part de lui commençait à trouver la scène gonflante. Une légère contraction réflexe courut au niveau de son poignet jusqu'à sa main. Il ne devait pas en rajouter une couche et continua de prendre sur lui. Encore ce maudit silence. A croire que ça amusait l'autre de le malmener de la sorte… Plutôt que de le regarder, sa tête se baissa en signe d'apaisement. Le couinement des chaussures de ville, autre chose qui le faisait tiquer, se fit entendre, indiquant un changement de direction. Puisqu'il venait vers lui, il se tendit davantage. De nouveaux mots fendirent l'air, son visage se redressa aussi sec. Il le faisait marcher encore ou bien… ? Le sourire du chinois ne le fit pas en avoir un. Le doute s'envola avec le reste du discours de son prof. Quel humour de merde sérieux… La pression fut relâchée par une longue expiration.

Partir. Vite. Cette situation était déplaisante. Le trop plein d'émotions ne l'avait pas encore quitté. Puisque Nakagawa-san se chargeait d'éteindre ses lumières, le japonais s'empressa d'aller jusqu'à son sac de sport sur lequel avait été jeté son t-shirt et l'enfila en partie, avant de se faire rentrer dedans. Le léger choc le fit faire cela en deux temps. Dissimulant enfin son torse sous le vêtement. Ses yeux noirs se rivèrent à ceux fendus de l'autre. « Ce n'est rien. » Lâcha-t-il simplement. Quelle idée aussi de tout éteindre sans s'être assuré de qui était où et du comment sortir. Daiki s'accroupit afin d'enfourner le reste dans son sac. Ses baskets retirées, il en enfila d'autres. Puis il se remit debout afin de terminer par son gros sweat. Son sac sur l'épaule, il ne remarqua pas que le bandeau, bout de tissu qui pouvait être utile à certains jeux coquins, bien qu'il ne s'en servait pas ainsi, pendait un peu de son sac et il ne put se retenir de parler à son tour. « Ce n'était absolument pas drôle votre blague. J'ai failli rendre l'âme. Mais… Merci de ne rien dire à personne. » Être seulement éclairé par  la lumière du téléphone donnait à présent une tout autre ambiance à l'endroit.

Il semblerait que le petit jeu du chinois n'était pas au goût du plus jeune qui conservait de la tension en lui, en témoigne ses épaules qui semblaient prêtes à se disloquer tellement elles s'étaient raidies. À le voir se presser ainsi, il était clair que le jeune homme n'aspirait qu'à une seule chose, partir d'ici et vite, surtout vite. De son côté Fen ne s'était pas départi de sa démarche nonchalante tandis qu'il rendait son obscurité originelle aux lieux. Toutefois, il ne fut pas assez rapide à allumer sa lampe-torche et il avait percuté son élève de plein fouet. Ce dernier ne s'en formalisa pas, lâchant même un « Ce n'est rien. » De toute manière, même si Daiki en avait pensé autrement, la donne aurait été la même, la notion d'avis étant assez floue du côté nippon. La hiérarchie trop respectée sûrement, c'est dans ces moments précis où l'ex-profiler ne pouvait que trop bien se rendre compte à quel point son mode de pensé s'était  occidentalisé.

Il ne pressa nullement son cadet qui finissait de se revêtir convenablement, surtout en cette période de l'année où les températures n'étaient pas du genre clémentes, en particulier avec ceux qui oubliaient de se couvrir correctement. Mais, la pensée du professeur ne put poursuivre, le silence étant à nouveau brisé par le basketteur. « Ce n'était absolument pas drôle votre blague. J'ai failli rendre l'âme. Mais... Merci de ne rien dire à personne. »Le plus vieux signifia un « De rien .» d'un simple hochement de tête. « Vous me remercierez lorsque vous constaterez que je ne dis effectivement rien, pour l'heure vous n'avez que des paroles. » Si certains se contentaient de simples promesses, le chinois préférait la tangibilité des actes.  Il reprit ensuite. « Votre franchise, peu d'élèves auraient osés me faire remarquer ma blague de mauvais goût. Enfin élèves, ailleurs qu'à RPS... » Le ton de l'ex-profiler étant entendu au sujet de la faune locale. De plus, mettant son jeune interlocuteur dans la confidence il amoindrissait le poids du secret qu'il portait à ses yeux. Habile détournement psychologique, il fallait bien que son doctorat serve non ?

« J'aime ça, vous irez loin, du moins pour peu que vous saviez manœuvrer habilement avec les mentalités... nippones. » Bien que maître  de ses mots, Fen s'était retenu de peu d'exprimer un avis au sujet de la pensée japonaise et asiatique plus en général. Toutefois, son ton le trahissait, nul n'est parfait comme on dit. La porte du gymnase franchie le professeur ne se fit pas prier pour sortir son paquet, ce n'est que cigarette en bouche qu'il se ravisa. Cylindre de tabac en bouche il se tourna vers son élève. « Ça te dérange si je m'en grille une en te raccompagnant à ton dortoir ? »  Recevant une réponse par l'affirmative il lâcha un petit soupir et entreposa à nouveau dans son écrin ce qu'il avait en bouche. Frustré, le fumeur enfonça ses mains dans ses poches et resta un instant silencieux. Tout le restant de la traversée du Campus en fait, sûrement la frustration qui parlait pour lui par ce silence éloquent. C'est de notoriété, si un fumeur demande, lorsqu'il demande, l'autorisation de fumer devant vous non fumeur, il n'aimera d'aucune manière un refus et comptera sur votre réceptivité à sa politesse qui n'est là que pour s'attirer votre assentiment. La manipulation, le nerf de ce monde....

Le bâtiment se dressant enfin devant eux, le chinois allait pouvoir laisser là son élève. Du moins, cela aurait été le cas si ils n'avaient pas trouvé portes closes. « Merde.... Tu as un endroit où loger pour ce soir au moins non ? » Habituellement, l'ex-profiler n'était pas Fan du concept de religion, mais en ce moment même, il implorait toutes les divinités existantes de faire que oui...

Décidément, il avait un mal fou à suivre ce type. Son humour le laissait sceptique, son attitude était étrange. Ce n'était pas la première fois que le japonais avait à faire avec quelqu'un avec lequel il n'avait pas le feeling, mais celui-là, il était dans un tout autre genre. Avant de sortir, l'étudiant ne put s'empêcher de lâcher une phrase qui aurait pu paraître anodine dans un autre pays, mais qui l'était moins au Japon. « Je suppose que la notion de ne pas mettre en doute la bonne foi de quelqu'un qui a l'air d'en avoir ne fait plus partie de vos habitudes avec votre autre travail. » A moins d'avoir des preuves évidentes qu'il fallait se méfier, et ne pas non plus tomber dans une confiance aveugle, si tout le monde se mettait à douter à la première parole, où irait le monde.. ? Écoutant à nouveau la suite, il décelait forcément très bien que l'enseignant n'en pensait pas moins au sujet de certains autres élèves. « Il ne fallait pas s'attendre à mieux d'un endroit où une majorité de fils et filles à Papa est concentrée. Le montant des frais de scolarités, c'est ce qui octroie le droit de faire comme ils ont envie. » De toute manière, le basketteur n'attendait rien de ces personnes. Il ne pouvait pas non plus dire qu'ils avaient des amis dans le coin.

Il ne releva pas le reste, car rien de plus facile pour un japonais de s'accommoder des mœurs de son propre pays. Après tout, le conditionnement faisait partie de l'éducation ici. A la question sur la cigarette une fois dehors, il refusa. C'était important que ses poumons restent en meilleur état possible, le tabagisme passif était autant une plaie que l'actif, surtout quand on savait que sur le premier, il n'y avait pas de notion d'accord. Le silence régna ensuite. Il l'avait définitivement refroidi avec sa réponse négative. Ca lui faisait un peu les pieds au passage.

En marchant, il remarqua son bandeau qui dépassait et le remit discrètement dans son sac. Heureusement que le prof ne l'avait pas vu. La mauvaise soirée continuait, les portes du dortoir étaient closes… A la question, il tourna la tête dans sa direction. « Non. Ma famille vit à Osaka. » De toute manière, si son oncle avait encore été là, il aurait choisi de dormir dehors plutôt que d'aller chez lui. « J'ai pas les moyens de payer un hôtel. » Légère pause. « Je vais rester dans le gymnase, les vestiaires sont chauffés, je dormirai sur un banc. » Il s'inclina légèrement ensuite. « Bonne nuit Nakagawa-sensei. » Aussitôt salué, Daiki commença à rebrousser chemin. Une chance qu'il avait gardé les clés, qu'il connaissait bien le moyen d'y entrer sans se faire voir. Une bourrasque glaciale souffla contre son visage. Les vestiaires étaient chauffés au moins. Il verrait demain pour manger malgré le gargouillement audible de son estomac.

Le trouble du jeune homme était palpable, sans doute peu habitué à côtoyer ce genre de personnalité.  Peut-être Fen avait-il un peu trop forcé le trait sur sa plaisanterie ? Très certainement, mais peut importe, l'autre s'en remettrait. Preuve en est il reprenait déjà du poil de la bête en évoquant son « autre travail » .   Un sourcil se haussa du côté du plus vieux avant qu'il n'enchaîne. «  Mon autre travail ? Je ne suis que conférencier actuellement, mais il est vrai qu'un profiler a tendance à sur-analyser, déformation professionnelle.....Je suppose.» Quant à la suite, le chinois s'était contenté de hausser les épaules, son cadet n'énonçant que des vérités au sujet de ses camarades. Parfois, le professeur se demandait si il ne préférait pas la compagnie des criminels en côtoyant ces « fils de »...

On lui refusa par la suite la cigarette tant attendue, refus bien que désagréable tout à fait recevable, les jeunes prenant soin de leur santé se faisant de plus en plus rare. Néanmoins, ceci n'avait pas empêché de voir le demandeur se renfrogner. Ah la douce expérience du manque de nicotine, une violente piqûre de rappel visant à nous tenir loin de cette substance hautement addictive. Moins détendu qu'à l'habitude, le trajet retour s'était fait en silence, ce dernier semblant  parfaitement convenir aux deux parties. Bien évidement, la vision du bandeau n'échappa à Fen qui n'avait pas commenté. Il n'en n'eut pas le temps, les portes se présentant déjà à eux.

Fermées... C'était bien leur veine, et bien évidement le jeune homme n'avait pas de famille ou de connaissances susceptibles de l'héberger pour la nuit. Le temps de peser le pour et le contre d'emmener jusqu'à chez lui son élève et lui éviter ainsi une nuit désagréable et une mise à pied si on le trouvait, ce dernier s'était déjà incliné et avait tourné les talons en souhaitant la bonne nuit  son aîné. Un léger soupir filtra alors des lèvres du chinois qui l'attrapa par le col. « Viens avec moi. » Le ton ne laissant nullement place à la négociation et la surprise y aidant il put entraîner à sa suite son cadet en se saisissant de son poignet.

Une fois arrivés au niveau de sa monture le brun  ouvrit son coffre et en sorti deux casques dont un  qu'il tendit à Daiki. «  Il fait un peu froid pour ce genre de virée, mais ça ira vite au vu de l'heure. Et puis... ça ne m'étonnerait pas que tu n'aies rien dans le ventre. » Non désireux de voir le plus jeune attraper froid, il déposa sur ses épaules l'épaisse veste de moto qu'il avait récupéré sur le chemin dans le casier qui lui était réservé. « Mais, je pense qu'avec ça tu devrais survivre. » Lui avait plus l'habitude, ne pas être du genre frileux aidant aussi.

Ayant déjà enfourché sa moto, Fen se tourna en direction de son élève interdit. « Et bien qu'est-ce que tu attends ? On ne va pas y passer la nuit non plus. »

Alors qu'il pensait réellement qu'il allait enfin pouvoir retrouver le calme, la solitude, sans non plus craindre particulièrement l'idée de dormir au gymnase, il sentit son col se faire attraper et tirer vers l'arrière. Comme il n'y avait personne derrière lui à part le prof, c'était facile de déterminer qui l'avait saisi. La surprise aidant, ses jambes suivirent le mouvement jusqu'à se retrouver devant une moto. Il fallait croire que son vis-à-vis avait un minimum de compassion, bien qu'il ne voyait pas le problème de rester au gymnase. Ses yeux caressèrent les courbes de l'engin de manière appréciatrice, n'écoutant que d'une vague oreille les propos. Le casque tendu jusqu'à ses mains le fit reporter son attention sur le plus âgé. Pas difficile non plus de déduire que l'autre comptait l'emmener quelque part. Le mot ventre rappela la faim à son esprit. Encore sans lui demander son avis, la veste de motard fut imposée sur ses épaules. Le japonais le fixa longuement pendant qu'il enfourchait l'engin. S'il comptait lui payer à manger, c'était toujours ça de pris. « Pas la peine de grogner. Vous êtes pire qu'un gosse quand ça n'avance pas à votre rythme. » Répondit-il en enfilant ses gants.

Daiki remonta la fermeture de la veste, cala son sac de sports afin qu'il ne dérange pas durant le trajet, le laissant sur son dos bien entendu. Quelques pas et il s'installa derrière lui. Connaissant l'engin, mais pas forcément le conducteur, bien que ce genre de cylindrée puissante annonçait un peu la couleur, il ne fit pas le prude en se collant derrière lui et en l'agrippant d'un bras autour de sa taille. Son autre main était accrochée au siège sur lequel il était, à l'arrière. Durant tout le trajet, la conduite était aussi agressive que pouvait bien l'être le singulier esprit de l'enseignant. Le basketteur n'en fut pas le moins du monde effrayé, bien au contraire, il accompagnait dans chaque virage, avide de sensations. Le froid n'était pas réellement perceptible, il se moquait aussi de la possibilité que l'autre crâneur, moins habillé, puisse tomber malade, ça lui ferait les pieds. Il ne comprendrait jamais les hommes qui ne peuvent pas s'empêcher de jouer les poseurs.

Une fois en bas de l'immeuble, le moteur coupé, il descendit le premier, retirant casque et ouvrant veste. Le conducteur plus présent sur l'engin, sa main gantée ne put s'empêcher de partir du bas de la moto pour remonter lentement ses courbes tout en parlant de chaque endroit sur laquelle elle passait. « Ducati 899 Panigale, petit clone de la 1199,  sortie en 2014, elle a mis au placard toutes ses petites sœurs sorties avant. Cadre monocoque en aluminium, poids à sec 169kg, une boite à 6 rapports, transmission secondaire par chaîne, mono-amortisseur Sachs à l'arrière, fourche téléhydraulique inversée Showa à l'avant, moteur bicylindre en L à 90°, 4 temps, refroidissement par eau, 4 soupapes par cylindre, 898 cc, 148 ch à 10 750 tr/min. » Sa main arriva au niveau de la clé qu'il attrapa tout en relevant les yeux vers lui. « C'est un sacré engin que vous avez là. » Dit-il, encore un peu vibrant de sa balade. Il les lui donna ensuite. Quelques secondes passent avant que le japonais ne jette un coup d’œil autour d'eux. « On est où au fait ? »