| On ne choisit pas sa famille. C'est un fait avéré. Et peu importe les circonstances, on ne la choisira jamais, même quand on arrive à s'en débarasser.
Ma mère m'a abandonné alors que je n'étais qu'un nourrisson. Innocent, impuissant et encore ignorant de la cruauté de ce monde. Je ne pouvais même pas prononcer un mot ou même tenir assis par moi-même quand elle m'a supprimé de sa vie. Elle m'a jeté dans cet orphelinat, sans même se donner la peine de me donner un nom. J'étais inexistant, sans nom à clamer, sans anniversaire à fêter, sans famille à aimer. Rien. Juste le visage froid d'une femme qui avait vu trop d'enfants comme moi passer dans son établissement. On m'a collé des étiquettes, un prénom dénué de tout sens et une date de naissance par défaut, comme si je n'étais qu'une anomalie dans leur système, une anomalie qu'ils devaient ramener aux normes, réinitialiser avec de banales valeurs par défaut. C'était leur métier, je n'étais rien pour eux. Shintarō, né le premier janvier mille neuf cent quatre-vingt-treize. Ce sont les deux seules choses qui sont restées stable tout au long de ma vie. Un prénom et une date. C'était tout ce que j'avais, c'est tout ce que j'ai toujours eu.
Je suis resté Shintarō pendant trois ans. Trois ans où on m'a élevé de la manière la plus basique qu'on puisse faire, dénué de tout amour, des années passées à manger toujours à la même heure, pas une minute de plus, pas une de moins, à se coucher toujours à la même heure, à passer des journées entières dans cette cage avec tous les autres bambins, à jouer avec les trois uniques jouets à notre disposition et à se faire réprimander à longueur de journée pour nous apprendre ce qui était bien et ce qui était mal. Une éducation martiale visant à nous transformer en de petits automates obéissant qui ne causeraient aucun problème à la société. Mais là commence leur première erreur, leur premier faux-pas.
De Shintarō, je suis passé à Igarashi Shintarō. On m'a placé dans ma première famille d'accueil à l'âge de trois ans. Des gens adorables, très affectueux et doux avec les enfants. La famille parfaite. Du moins c'est ce qu'ils nous ont fait croire. Je n'étais pas le seul bambin dans ce soit disant paradis visant à nous redonner stabilité et joie de vivre, il y avait avec moi une petite fille, de mon âge et un autre garçon, à peine plus grand que nous. Nous étions trois étrangers dans cette famille qui comptait déjà cinq membres. Cette famille au semblant parfait. Au semblant seulement. Je n'étais qu'un gosse, mais je peux vous dire que cette famille n'avait rien de parfait. Ils nous avaient surement pris pour faire bonne figure et pour renforcer leur image de parents modèles. Comme ils étaient mielleux avec nous, comme ils prenaient soin de nous, comme ils étaient doux. En présence d'autres personnes. Et Dieu sait que c'était un tout autre spectacle qui se déroulait derrière la porte close de leur demeure. Nous n'étions rien pour eux, nous n'étions que des orphelins insignifiants, des indésirables. Leur maison était grande, mais nous étions parqués dans une chambre, sans jouet décent, sans liberté de mouvement ni même de parole. Que pourrait dire un enfant de trois ans de toute évidence. Nous n'étions pas autorisés à manger avec la famille, nous ne pouvions pas sortir de notre chambre sans autorisation, nous nous sommes contenté de jouer silencieusement avec les jouets cassés des trois enfants, bien plus grands, bien plus forts que nous, bien plus puissant. Nous n'étions rien et il a fallu deux ans pour que l'orphelinat se rende compte de cette aberration. Deux années à se sentir inexistant, à se sentir comme des chiens qu'on attache à un poteau jour et nuit. Mais nous étions petits et nos jouets et nos présences respectives suffisaient à combler nos coeurs en manque d'amour. Nous étions frères et soeur, mais ça, personne ne semblait en tenir compte.
Et de Igarashi Shintarō, je suis devenu Ibaï Shintarō. Ma seconde famille d'accueil. Bien plus horrible que la précédente, et cette fois, j'étais seul, mon frère et ma soeur de substitution m'avaient été arraché pour être remplacé par ces visages inconnus, ternes, froids. Des enfants, comme moi, eux aussi orphelins, mais d'eux se dégageaient une aura malsaine, ils n'étaient plus que des automates eux aussi. Des automates qui se contentaient de suivre les règles. J'étais livré à moi-même face à la cruauté humaine. Une famille pieuse. Très pieuse. Trop pieuse. Là-bas, tout devait être parfait. L'erreur n'était pas admise. Les repas devaient se tenir à une heure précise, de même que le couché et le levé. Les enfants ne pouvaient pas s'exprimer sans y avoir été invité, il fallait se tenir droit, sans aucune bavure, aller dans le sens du troupeau comme un robot dénué d'émotion. Je n'étais pas comme ça. Dès mon plus jeune âge, je ne l'avais jamais été et c'est à cause de cela que j'ai pu goûter au châtiment qu'on réservait à ceux qui ne suivaient pas les règles. Le père de cette famille était un homme extrêmement strict qui ne tolérait pas la désobéissance. Un homme comme on en faisait il y a mille ans, qui n'hésitait pas à battre femme et enfants pour se faire respecter. Le bâton. Un simple mot qui faisait trembler le foyer, mais ça faisait longtemps qu'il ne me faisait plus peur. Je savais pertinemment que, quoi que je fasse, je ne rentrerais jamais dans les normes dictée par cet homme. Alors j'avais accepté mon sort. J'avais accepté de me faire battre, jour après jour. Parfois, j'avais même droit à une variante, lorsqu'il était trop en colère, il prenait une ceinture et me fouettait le dos. C'était tellement récurant que ça en a laissé des marques sur mon corps encore fragile. Des marques qui me rappelleront encore pendant des décennies ce dont est capable l'Homme.
Quatre ans, c'est le temps que j'ai passé dans cette famille avant de m'enfuir. J'ai fugué. Je suis retourné à l'orphelinat et je leur ai tout dit. Mais que vaut la parole d'un enfant face à la droiture et aux sens des responsabilités d'un adulte ? Rien du tout. On m'a renvoyé là-bas sans même me donner la chance de m'expliquer. On m'a traité de menteur, on m'a dit que les menteurs devaient être chatié car ils avaient bafoué l'un des dix commandements dictés par Dieu. Car oui, on m'a forcé à croire en leur Dieu. Oui, je dis bien forcé. Certes, toute ma vie j'ai été élevé avec une éducation stricte, impartiale et hautement catholique. J'étais habitué à la messe tous les dimanches, aux prières avant chaque repas, j'ai même été baptisé. C'était normal dans un sens, l'orphelinat dans lequel j'ai été abandonné était un établissement catholique, il était normal que leurs familles accueillantes soit catholique également et que même les enfants le devienne à leur tour. Mais je n'étais pas les autres enfants. Ce Dieu en lequel ils croyaient tous n'était pas si bon qu'ils le prétendaient. S'Il était si bienveillant, Il ne laisserait pas ce genre de chose arriver. Il n'aurait pas laissé ma mère m'abandonner sans rien me donner, Il n'aurait pas laissé cet homme me frapper, Il ne m'aurait pas laissé mourir de faim et de soif pendant deux jours, sequestré dans ma chambre après ma fugue. Il n'aurait pas laissé ça. Je n'avais que neuf ans et j'avais déjà compris l'injustice de ce monde. Je restais à l'écart de ces enfants que j'étais sensé fréquenter dans mon école de snobinard qui dégoulinait la croyance. J'étais sortie des sentiers battus, me mélangeant aux gens normaux malgré l'interdiction qui tentait de me contrôler et c'est là que j'ai ouvert les yeux. Ce Dieu n'était rien. Alors je me suis de nouveau enfui, je suis retourné à l'orphelinat, preuve a l'appui, espérant au fond de moi qu'un miracle se produise.
Mais il ne s'est pas produit et le petit Ibaï Shintarō est devenu Kurosaki Shintarō. Il y a cependant un point positif avec cette famille, c'est que je ne subissais plus de violences physiques. Ça aurait pu être un soulagement, mais le problème venait bien de ce manque de contact physique. Ma précédente famille était peut-être la plus détestable que j'ai connue, eux s'occupaient de nous. Ils nous nourrissaient, ils nous achetaient des vêtements, ils nous donnaient une éducation. Mes nouveaux tuteurs n'en faisaient rien. Ils jouaient la famille parfaite devant l'orphelinat, mais ils n'en étaient rien. Ils avaient des enfants eux aussi, les leurs, j'étais le seul malheureux tombé dans cette famille d'accueil. Leurs enfants étaient grands, au lycée pour les plus jeunes et ils se débrouillaient déjà entièrement seuls. C'était comme ça que ça marchait chez eux. Ce qu'il semblait oublier, c'est que je n'avais que neuf ans, et trois mille yens n'étaient pas suffisants pour palier aux besoins d'un enfant. On me donnait cette somme toutes les semaines. Une belle somme pour un enfant comme moi, si on oublie le fait qu'il me faille acheter ma propre nourriture matin, midi et soir, sept jours sur sept. J'aurais aimé demander plus d'argent à mes tuteurs, si seulement ils ne revenaient pas que quelques heures, une fois par semaine. Je n'étais qu'un enfant, comme pouvais-je gérer mon argent tout seul ?
Il fallait bien se douter que je n'arriverais absolument pas à vivre dans ce genre de condition alors j'ai développé des techniques pour survivre. Autant, je pouvais faire les yeux doux à certains marchands en me lamentant sur mon faible argent de poche pour qu'il me donne à manger, mais ça ne marchait pas toujours et s'en est même devenu trop fréquent et, bien vite, plus personne ne marchait en me traitant même de profiteur. J'ai donc été forcé de changer de tactique, et c'est là que j'ai commencé à voler. Je n'avais pas le choix, c'était ça ou ne prendre qu'un repas par jour et m'affamer en attendant sagement que mes tuteurs reviennent. C'était une question de vie ou de mort après tout. Et puis je ne dérobais que de la nourriture, des fruits ou des biscuits, des choses faciles à manger. Je ne savais pas cuisiner après tout. Les enfants de la famille n'avaient pas de mal à se nourrir eux, ils savaient cuisiner et dans ce genre d'environnement, c'était chacun pour soit. Je pouvais toujours attendre qu'ils montrent un semblant de compassion envers un pauvre gosse tel que moi, il ne l'aurait jamais fait. Alors je passais le plus clair de mon temps dehors, dans la rue, seul. En quelques mois, j'ai dû perdre une dizaine de kilos, déjà que je n'étais pas très gros. Heureusement, il y avait cette âme charitable qui s'inquiétait pour moi. La seule et l'unique qui ne s'est jamais souciée de moi. Une femme, une fleuriste qui me donnait à manger chaque fois que je passais devant sa boutique. Elle s'inquiétait pour ma santé, de voir un si jeune enfant seul dans la rue. Je lui ai dit que j'avais des parents alors elle laissait couler et elle se contentait de m'accueillir à bras ouvert. J'aurais aimé être confié à une femme comme ça. J'aurais aimé être adopté par une personne aussi aimante, trouver une vraie famille contrairement à ces familles d'accueils faux-cul qui aidaient l'orphelinat à se débarasser des parasites tel que moi. Mais non. Quand bien même cette âme charitable m'a sortie de ma famine en faisant un geste aussi simple qu'est de composer le numéro des services sociaux, je ne fus pas adopté. Ni par elle, ni par aucune famille aimante et bienveillante.
Et le jeune Kurosaki Shintarō qui passa près d'un an affamé devint Azame Shintarō et ce fut de loin la meilleure identité que je n'ai jamais eut. Il ne faut cependant pas se bercer d'illusions, Dieu ne m'a pas accordé le bonheur d'avoir une famille digne de ce nom. Il ne m'a tout simplement pas accordé le privilège sacré qu'est le bonheur. Sûrement indigne d'être l'un de ses nombreux enfants. Peut-être était-ce à force de douter de son existante, pourtant je n'ai jamais quitté sa croix. Il me faudrait tout un paragraphe pour expliquer la raison pour laquelle je garde ce collier même en remettant en doute la parole de Dieu. Peut-être en a-t-on le temps, peut-être pas, mais si un jour, mon histoire devait être contée, alors j'aimerais qu'on sache qu'à une époque, au milieu de tout ce malheur, quelqu'un m'a vraiment aimé.
Cette anecdote remonte au commencement de ma vie, lorsque je suis arrivé dans cet orphelinat catholique. En plus de mon prénom et d'une date qui marquait le début de ma vie sur cette terre, les nonnes de cet orphelinat m'ont donné autre chose. Un collier. Un collier en argent portant le pendentif représentant la croix du Christ. Tous les enfants devaient en avoir un, sans exception, mais c'est sous ma première véritable identité que je l'ai égaré. A cette époque, je pensais encore que ce bien était aussi précieux que nos misérables existences, qu'il faisait partie de nous et que le perdre serait perdre une part de nous-même. Je ne l'ai jamais retrouvé, mais cette petite fille, celle qui a partagé ma vie pendant les cinq premières années de ma vie, celle que je considérais comme une soeur, la seule et l'unique qui ne m'est jamais enlacé et embrassé, la seule personne qui n'est jamais montré autant d'affection à mon égard. Cette petite fille a enlevé ce collier qui était une part de nous-même, la seule chose qui nous prouvait qu'il y aura toujours quelqu'un pour veiller sur nous, et elle me l'a donné sans même hésiter une seconde. Elle aura été la seule à répondre à mes larmes et si je parle de cette petite fille que j'ai rencontrée il y a bien des années de cela, c'est que je l'ai retrouvé.
Nous avions dix ans lorsque nous nous sommes retrouvés dans cette même école catholique, dans cette même classe. Elle avait changé d'identité, tout comme moi, mais elle avait trouvé une famille aimante et gentille, ce qu'elle méritait. Ce n'était pas mon cas. C'était peut-être la meilleure famille que j'ai eue, et c'est vrai, cette famille était loin d'être la pire, mais l'histoire se répétait toujours, incessamment. Je ne me suis pas intégré dans cette famille et elle n'a rien fait pour. J'étais encore l'orphelin en marge, comme je l'avais toujours été. Peu considéré, moqué, ignoré. C'était bien là le fil qui conduisait ma vie entière. Mais heureusement que je l'avais retrouvée, ma soeur de coeur. Elle m'a été d'un grand soutien pendant ce court laps de temps où l'ont s'est retrouvé. Elle était devenu très croyante, contrairement à moi et elle était encore plus belle que jamais, de grands yeux noirs et une chevelure d'ébène. Elle était vraiment belle. Malheureusement, je n'ai pas eu le temps de renouer avec elle. Après tout, de nombreuses années s'étaient écoulées et nous étions bien trop jeunes pour que ça ne s'efface pas malgré la distance. C'était peut-être mieux ainsi, j'étais une cause perdue. Un déchet tel que moi ne devait pas souiller une telle fleur en éclosion. Si jeune et déjà une si faible estime de moi-même. N'était-ce pas regrettable ?
Il n'y a pas grand chose à dire sur ce Azame Shintarō, il n'a même pas vécu un an, arraché à cette famille qu'il n'affectionnait pas à cause d'une crise financière. Soit, mais si j'avais su ce qui m'attendait, je me serais définitivement affilié à ce patronyme avec joie, car ce Yamamoto Shintarō fut bien le pire 'moi' que j'ai endossé, un 'moi' que j'aurais effacé de ma vie plus d'une centaine de fois si j'en avais eu la possibilité. Ma marginalisation n'était un secret pour personne, je n'avais que peu d'amis, changeant beaucoup trop fréquemment d'école, seul intrus dans ces enseignements bien trop religieux pour ma nature trop contradictoire. J'étais ce poisson qui s'entêtait à remonter le cours de la rivière et que personne ne voulait suivre. On me considérait comme un envoyé du Diable, un hérétique, un alien venu semer la discorde et le pêcher parmi ses enfants de Dieu. Peut-être l'avais-je été. Si on considère que rester à l'écart, ignoré de tous est une incitation maligne. On a toujours cette image immaculée de l'enfant d'église chantant en choeur avec ses pairs, pur, innocent, plein de bonté. Je peux affirmer avec certitude, pour avoir été dans les entrailles de la bête, qu'un enfant d'église n'est pas moins cruel qu'un enfant lambda. Être le mouton noir au milieu d'une bande de moutons immaculé suivant leur berger aveuglement, ça n'a jamais été plaisant. Mais c'était bien le cadet de mes soucis. Après tout, je m'y étais accoutumé.
Yamamoto. Ce nom résonnera à jamais comme le synonyme d'une vie de souffrance et de terreur. Cette famille fut la pire de toute. Ma vie, qu'autrefois je trouvais injuste et difficilement supportable, je n'avais qu'une envie, c'était de la retrouver. Quitte à devoir changer de famille tous les ans, tous les mois, tous les jours s'ils le désiraient, je la préférais mille fois plus que cet enfer dans lequel on m'avait plongé. Je mentirais si je disais que ma tutrice était la pire des femmes, elle était de loin la plus gentille et aimante que j'ai connu, une femme d'une incroyable gentillesse, qui ne pouvait se résigner à élever la voix. Jamais je n'aurais pu imaginer, même dans mes cauchemars les plus sombres, qu'une telle gentillesse, dont je manquais cruellement, pouvait avoir un double tranchant si cruel. Ma tutrice n'a jamais levé la main sur moi, ni même sur ses deux fils et le problème était bien là. Ses fils, deux jumeaux, liés comme les deux doigts de la main, liés jusque dans le crime. Deux garçons qui jouaient aux petits anges catholiques devant leur chère mère, si fière d'eux. Si seulement elle avait su voir ce qui se cachait derrière leur sourire. Si j'étais l'envoyé du Diable, alors ces deux-là n'étaient autres que Satan en personne. Ce qu'ils m'ont fait est au-delà de tout ce qu'on peut imaginer venant d'enfant d'une dizaine d'années seulement. Ils étaient à peine plus vieux que moi et ça leur suffisait pour faire de moi leur nouveau jouet préféré. Je ne devrais sûrement pas en dire plus mais ce serait camouflé la plus cruelle des vérités que de taire une telle abomination.
Je n'avais que onze ans lorsque je suis arrivé chez eux, un enfant déjà usé par l'abandon et le rejet, un enfant qui en avait déjà trop vu sur la cruauté de ce monde. Un enfant qui n'allait sûrement plus jamais être l'enfant qu'il aurait dû être. J'ai essayé de sympathiser avec les jumeaux, d'entrer dans leur estime, j'ai fait tout ce qu'ils voulaient pensant que j'allais enfin pouvoir m'intégrer quelque part. Enfin. Car ces chers garçons n'avaient pas l'air si horrible au début, ils semblaient être ce genre de garçon cool qu'on veut fréquenter, qui peut t'ouvrir les portes d'un cercle très fermé appelé popularité. Enfant naïf que j'étais. Ils n'avaient fait que m'attirer dans leur filet, m'amadouer pour mieux m'utiliser. Je venais sans le savoir de pactiser avec le Diable et je l'ai su le jour où ma descente aux enfers a débuté. Ils m'avaient fait croire que j'allais enfin atteindre les sommets, mais ce n'était que pour me faire tomber d'encore plus haut. Il y eut de nombreux signes annonçant ce déclin. Les araignées énormes apparu mystérieusement sous ma couette, les asticots croulant dans mes déjeuners, mes vêtements déchirés soit disant par la machine à laver, mes cours imbibés de peinture. Et tout ça accompagné de ces rires qui, encore aujourd'hui raisonnent dans ma tête de la manière la plus vicieuse qu'il soit. Si seulement ça s'était arrêté là. J'ai tenté d'ignorer ces railleries, mais ça allait toujours plus loin. Ils voulaient une réaction, ils voulaient me voir souffrir, et ils ont fini par réussir. Ce jour-là marqua le début de longues années de souffrance, d'agonie et de séjour à l'hôpital. Ce jour-là, ils ont eu l'excellente idée de faire tomber un nid de guêpes alors que je passais à proximité. Ce jour-là, je suis allé à l'hôpital avec plus de cinquante-deux piqûres recouvrant la totalité de mon corps. Ce jour-là, j'ai vraiment compris ce qu'était la souffrance physique.
Les jours qui ont suivi ne sont pas allé en s'améliorant. Entre les chutes soit disant accidentelles, les produits toxiques insérés en douce dans mes repas, les accidents bien trop évidents pour être de simple accident. J'étais devenu un habitué des hôpitaux. Peu importe où on allait ou ce qu'on faisait, je finissais toujours à l'hôpital, même quand on ne faisait rien de particulier. J'étais fiché comme étant l'aimant à catastrophe, le fils renié par Dieu qu'Il essayait à tout prier de supprimer pour effacer cet être raté de sa création. Le fils du Diable. Je n'étais plus son envoyé, j'étais devenu son fils, plus bas que ça on fait difficilement. On a essayé de me tuer plus d'une fois, je n'ai pas honte de le dire, même si les jumeaux ne pensaient sûrement pas à ça d'une manière si radical, ma souffrance les amusait, ils ne pensaient pas que je pouvais mourir de leurs mains. Cette fois-là non plus ils n'y pensaient pas. Cette fois où ils m'ont poussé dans la piscine, sans aucun remord, où ils m'ont regardé me débattre pour garder la tête hors de l'eau, où ils ont rit face à mes appelles au secours. Ils m'ont regardé me noyer en riant, sans même bouger. Si ma tutrice n'avait pas été là, je n'aurais sûrement jamais été capable de raconter tout ça. C'est la première fois que je l'ai entendu élever la voix. Je me souviens encore de ses larmes et de ses milliers d'excuses proférées aux noms de ses fils. Elle me répétait sans cesse de ne pas haïr le monde entier, de rester fort face à cette injustice, de rester bon et généreux car tout le malheur que je subissais aujourd'hui sera récompensé dans le futur. Car tout le dur labeur fini toujours par être récompensé. J'ai voulu la crois, de tout mon coeur, et je l'ai cru, je l'ai écouté, j'ai suivi ses conseils. J'ai gardé la tête haute, j'ai essayé de relativiser, de fermer les yeux, priant pour un avenir moins sombre. J'ai supporté toutes les atrocités que les jumeaux m'ont faites, sans broncher. L'hôpital était devenu ma seconde maison, on me connaissait dans tout l'établissement comme un petit malchanceux maladroit qui s'attirant tous les problèmes. Car jamais je n'ai révélé les tortures qu'on me faisait subir, tout passait pour un accident et j'étais déterminé à continuer ainsi. Je voulais rester auprès de cette tutrice, mais au final, après un énième "accident" qui avait amené mon vélo à dévier du chemin de randonnée pour me faire dévaler une pente rocailleuse d'environ soixante-dix degrés et qui m'avait valu un autre séjour à l'hôpital avec plusieurs os cassés et de profondes plaies ouvertes, plus un léger trauma crânien, ma tutrice à décidé d'arrêter les frais.
Après quatre ans passés avec eux, Yamamoto Shintarō s'est effacé des registres, mes certainement pas de ma mémoire. Nishimura Shintarō en a porté les marques, de sa naissance jusqu'à aujourd'hui. Ce qu'ils m'ont fait m'a hanté chaque minute de ma vie. C'est bien de là que viennent la plupart de mes phobies. Mais cela n'importe que peu. Du moins, pas pour ce Nishimura Shintarō, celui qui est né avant l'homme que je suis aujourd'hui. Lorsque je suis arrivé dans cette famille, j'ai en quelques sortes retrouvé la vie que j'ai toujours eut dans mes précédentes familles. J'étais devenu leur petit homme à tout faire, le Harry Potter japonais qui occupait la plus petite chambre, qui nettoyait la maison, qui faisait même les devoirs des enfants de la famille et qui devait servir de souffre-douleur. Le père avait tendance à me frapper dès que quelque chose lui déplaisait, quant au fils, un garçon de mon âge, et bien j'étais son bouc émissaire. Il aimait me rabaisser, nous étions dans la même classe et c'était lui le riche populaire et aimé de tous, il était facile pour lui de me faire passer pour la pire des personnes. Avais-je omis de dire que cette famille était incroyablement riche, plus riche que toutes les familles qui m'ont accueilli. Fini les écoles catholiques, c'était direction Royal Private School, le plus gros rassemblement de bobos blindés de tune et capricieux. Enfin ça n'a en rien changé ma façon de vivre. J'aurais pu croire à un changement lorsqu'on m'a sorti de ces écoles croyantes, je n'allais plus être ce "fils de Satan" mais à voir le comportement de mon "nouveau frère", je savais pertinemment que rien n'allais changer. Et j'avais raison. J'ai pourtant gardé la tête haute. J'ai ignoré les railleries, restant sagement dans mon coin, tentant de berner mon coeur qu'il y avait toujours du bon dans ce monde. Je voulais croire ce que ma précédente tutrice me disait, mais un tel acharnement ne pouvait qu'aboutir au résultat qu'on observe aujourd'hui.
La mort de ce petit Nishimura Shintarō, encore naïf et inoffensif, a été signée le jour d'une ultime humiliation. A cause d'une fille. Cette fille fut le déclencheur d'un ouragan qui allait balayer toutes leurs misérables petites vies. Cette fille, j'en étais fou. D'une beauté éblouissante, l'une des seules, pour ne pas dire la seule, qui me parlait, qui se montrait gentille avec moi. Pourtant, elle me menait à la baguette et je le savais, je ne voulais tout simplement pas l'admettre. J'étais l'idiot de service pour elle. Mais elle m'a trop pris pour un idiot. On dit que les plaies du coeur sont plus douloureuses que les plaies du corps. Je ne démentirais pas ce dire. Elle a tout planifié, elle et mon "demi-frère". Ils ont tout planifié pour que je les trouve en train de se bouffer les amygdales. Et, au risque de paraître bateau, quelque chose s'est brisé en moi, et ce quelque chose, ce sont mes croyances. Ces croyances auxquelles je m'accrochais désespérément, qui me permettaient d'endurer mes souffrances. Je n'avais plus aucune compassion pour aucun d'entre eux et, à ce moment, mon seul objectif était de me venger de cet homme. Mon plan s'est dessiné instantanément dans ma tête et le lendemain, j'avais déjà préparé le terrain. Mon objectif, sa copine. Je me suis rapproché d'elle, j'ai joué au parfait gentleman avec elle, j'ai été le plus adorable des hommes. Même si au début elle se méfiait, trop endoctrinée par les dire de son petit-ami, elle a fini par s'ouvrir, par m'apprecier puis elle a trouvé en moi le garçon qui la considérait, qui pouvait l'aimer comme il se doit, celui qu'elle ne trouvait pas auprès de mon "demi-frère". Elle est tombée amoureuse de moi, si bien qu'elle avait accepté de s'offrir à moi, dans la chambre même de son petit ami alors qu'elle l'avait repoussé depuis le début de leur relation, trop attachée à sa virginité. Bien évidemment, tout était planifié, l'endroit, le moment, tout. C'était, par ailleurs, notre première fois à tous les deux, mais j'ai tout de même réussi à la mettre en confiance. Nous n'avions que seize ans, mais pour moi, ça n'avait aucune importance, ce qui comptait, c'est que mon "demi-frère" est arrivé exactement au moment escompté, nous surprenant en plein acte, et ça, ça n'avait pas de prix. Je ne l'avais jamais vu autant en colère, il m'a tellement frappé ce jour-là que j'en ai perdu connaissance. Je me suis réveillé à l'hôpital, complètement défiguré. Je me souviens encore du sang qui envahissait ma bouche, obstruant mes voies respiratoires et de la douleur de chacun de ses coups, mais la satisfaction que j'avais ressentie valait tous les coups du monde.
Après cela, je me suis métamorphosé, je n'étais plus ce petit loser au fond de la classe, mes prouesses s'étaient rependu comme une traînée de poudre, personne ne le croyait, mais les marques sur mon visage et la rage de mon "demi-frère" ne trompaient personne. On a essayé de se rapprocher de moi, de faire ami-ami, après tout, j'étais l'un des premiers de cette école de faux coincé à perdre ma virginité, ça me donnait un air 'cool', mais je n'allais pas leur accorder ce bénéfice. Ils ont senti que la balance du pouvoir était en train de basculer lentement et ils ont voulu être dans le camp du gagnant, mais je me suis appliqué à me venger de chacun d'eux, rassemblant tous leurs plus horribles secrets pour les regarder couler avec leur roi minable tel la tempête balayant leur forteresse de carton. La pitié ne faisait plus partie de mon vocabulaire et je n'allais pas m'arrêter là. Ces petits bourgeois péteux n'avaient aucune valeur pour moi. Je voulais me venger de la moindre personne qui m'avait fait du mal. Du moins c'était mon objectif. Je haïssais ces personnes, mais sans m'en rendre compte, j'avais fini par haïr le monde entier. J'ai développé une carapace qui me protégeait de l'extérieur, une enveloppe de pierre et de glace qui recouvrait mon coeur meurtri par des années de souffrance. Je me suis promis que plus personne n'aurait plus jamais la possibilité de se jouer de moi et j'étais bien décidé à éradiquer ne serait-ce que le germe de cette idée chez quiconque croise ma route.
Mes premières victimes furent, naturellement, ma famille d'accueil actuelle. S'ils pensaient s'en tirer comme ça. Je m'étais occupé de mon "demi-frère", c'était au tour de mon tuteur maintenant. Je n'ai pas montré mon vrai visage tout de suite, je devais d'abord trouver ses failles avant d'agir. Une vengeance pareille ne pouvait pas se mettre en application tout de suite. Je l'ai longuement observé, dans son travail, dans sa relation avec sa famille ses amis. J'ai observé ses moindres faits et gestes jusqu'à le connaître par coeur, cet homme était d'un prévisible déconcertant, mais le plus intéressant était ses petites escapades nocturnes et ses mystérieux coups de fil. J'ai tout d'abord cru à une maîtresse, mais bon sang, c'était mille fois mieux que ça. Je me suis un peu penché sur ce comportement étrange qu'il a, pour tout avouer, toujours eu. J'ai fouillé dans ses papiers, dans ses mails, ses contacts et j'ai même pu accéder à son compte en banque, un homme comme lui ne pouvait pas avoir un mot de passe bien compliqué de toutes évidences, et c'est là que j'ai trouvé cette perle. Il était corrompu jusqu'à la moelle. Entre rentrer de sommes exorbitantes et virement astronomique d'inconnu plus que douteux, il ne m'en a pas fallu plus pour deviner. Je venais de trouver la branche qui allait faire s'écrouler toute sa vie entière. Avec ça, je le tenais en laisse, au moindre faux pas, je n'avais qu'à tout balancer à la police et son business s'effondrait et avec un peu de chance, il finissait en prison. Le coup de la maîtresse aurait pu être extrêmement divertissant aussi, voir la famille se déchirer de l'intérieur n'avait pas de prix, mais là, de la fraude, ne serait-ce qu'imaginer les conséquences m'en donnait la chaire de poule. Ils allaient payer, mais pas tout de suite, ils pouvaient encore mettre utile. Du moins, mon tuteur, sa femme n'avait aucune influence, mise à part son cercle de vieille peau pleines aux as qui pompent l'argent de leur mari comme des sangsues, leur fille, toute aussi inutile à mes yeux, elle me détestait, je la détestais, mais nous ne nous adressions pas la parole, ni même un regard et tant que ça continuait ainsi, tout allait pour le mieux. Quant à leur cher fils, je m'étais déjà vengé de lui, et même s'il cherchait encore le moyen de me le faire payer, il n'en avait pas les capacités, toutes ses tentatives ne cessaient de se retourner contre lui. Celui qui m'intéressait le plus, c'était le chef de famille, le seul qui avait la possibilité de faire changer cette vie de merde. Du moins, la rendre un peu plus confortable.
Chercher toutes ces informations m'a pris du temps, beaucoup de temps, si bien que j'avais déjà quitté le lycée lorsque j'ai pu rassembler toutes mes cartes. On m'a envoyé en fac de droit, un cursus à mourir d'ennui qui me donnait envie de me tirer une balle juste en voyant la tête des profs. J'avais pour objectif de rendre ma vie plus confortable, et c'était par là que j'allais commencer. Petit à petit, j'ai fait comprendre à mon tuteur que j'en savais un peu trop. Voir son expression se décomposer devant mes yeux lorsqu'il a compris était la meilleure chose que j'ai pu voir de toute ma vie, ça passait même avant le visage rempli de haine de son imbécile de fils lorsqu'il m'a surpris en train de se taper sa meuf. C'est là que j'ai pris le contrôle. Une simple phrase, qui est vite devenu un simple mot, puis un geste suffisait pour lui faire plier le genou devant moi. J'avais le champ libre, je n'allais plus laisser quiconque s'emparer de ma vie. A partir de ce jour, j'étais maître de mon destin, et je ne comptais pas stopper ma vengeance maintenant, la liste de mes victimes étaient encore longue, trop longue pour m'arrêter en si bon chemin.
Ai-je déjà parlé de ma mère ? C'est une femme très distinguée, très classe, une riche New Yorkaise qui mène une vie de château à l'abri de tous tumultes. Ma mère doit être une femme très classe maintenant, je suis sûr qu'on la croit immaculé. Forcément, elle a pris soin de cacher la moisissure avant de recommencer sa vie. Un coup de gomme sur une erreur du passé et c'est reparti. Quelle incroyable femme elle fait. Elle et sa charmante petite princesse. La seconde femme d'un homme respecté avec déjà deux fils et maintenant une adorable petite fille. Quel beau tableau, l'idéal de la famille recomposée. Foutaise, je pouvais voir la pourriture derrière cet écœurant sourire de mère parfaite. J'ai toujours voulu connaître mes racines, savoir d'où je venais, savoir pourquoi. Simplement, pourquoi ? Pourquoi m'avoir abandonné de la sorte. Je me suis posé la question depuis que je suis en âge de comprendre ce qui m'arrivait, je me berçais d'illusion, essayant de berner mon coeur qu'elle avait une raison, qu'ils avaient une raison pour m'abandonner. Peut-être étaient-ils trop pauvres pour s'occuper de moi, peut-être ne voulaient-ils que mon bien-être en espérant m'offrir une vie meilleure de la sorte. Que de mensonges. Je n'ai cessé de chercher, ne serait-ce que pour trouver le nom de l'un de mes parents. J'ai trouvé bien plus que ça, j'ai pu trouver la vie entière de ma charmante mère. Aucune trace de mon père, mais de ce que j'ai pu voir du côté maternel, ce n'est peut-être pas plus mal. J'aurais préféré ne jamais apprendre tout ça. La savoir dans son petit palace à faire comme si elle n'avait jamais rien fait de mal dans sa vie me rendait malade. Mais le pire fut lorsqu'elle est revenu à Tokyo. Lorsqu'elle a osé fouler la terre du pays qu'elle a abandonné. Savoir qu'elle s'est remariée ne m'a pas étonné. Je ne l'avais jamais rencontré, mais j'avais déjà l'impression de la connaître par coeur. Ce genre de femme, je les connaissais bien pour en avoir fréquenté plus d'une, à commencé par ma tutrice et toutes ses amies. Mais je dois avouer que son acte m'a quelque peu étonné. Revenir à Tokyo après ce qu'elle a fait ? M'avait-elle oublié ? Pensait-elle que j'étais mort, quelque part sous un pont comme un chien galeux ? Elle aurait peut-être du après tout, il aurait été préférable qu'elle m'abandonne sous un pont et me laisser en pâture aux chiens errants. Je vais me faire un plaisir de lui rappeler m'a présence, elle regrettera amèrement le jour où elle a décidé de me donner naissance au lieu d'avorter, elle regrettera de m'avoir laissé en vie, elle regrettera de m'avoir laissé une chance de vivre en me confiant à cet orphelinat. Elle a gâché ma vie tout entière et je vais me faire un plaisir de gâcher la sienne, par tous les moyens possible.
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