TENUE ✩ Je l'ai promis à Toru, de venir le chercher à la gare et de l'emmener jusqu'à chez moi, dans la banlieue Coréen. C'est une idée qui m'a de suite enchanté, sans savoir l'avis de mon ami. Après tout, je sais où il vit à Tokyo, et il n'a vu que la chambre d'Emrys, jamais mon véritable chez moi. C'est différent, beaucoup plus différent que chez les Yanagi. Ce n'est pas une villa, ni une maison, il n'y a rien de riche, de grand et de vide. C'est petit, en hauteur mais très chaleureux malgré l'apparence pitoyable de l'appartement. Je ne m'en suis jamais plains, mes parents triment suffisamment pour se payer un toit, de l'eau, de la nourriture à chaque repas et un endroit où dormir confortablement. En réalité, c'est ma petite fierté de mec pauvre, cette fierté qui l'emporte sur les remarques des autres citoyens dont les poches sont pleines de fric et d'orgueil. Bref! J'ai dû faire le trajet aller vers la gare de Séoul, là où il m'attend normalement. En arrivant à mon arrêt, j'ai sorti mon masque médical de ma poche pour me couvrir une moitié du visage, les lunettes de vue et la capuche de mon sweat couvrant le reste. Si là je suis reconnaissable, c'est que les gens sont pires que des inspecteurs de police. Toru ne veut pas de problème, et je ne veux pas non plus m'amuser à titiller qui que ce soit. Les mains dans les poches, je me trouve déjà à l'intérieur de la gare, mais prévois déjà de sortir de là pour trouver le Japonais. Je lui ai dit d'attendre devant, j'espère simplement qu'il n'est pas au mauvais endroit. Une chance pour moi, Toru est très intelligent et perspicace, je ne tarde pas à le voir et à m'approcher de lui, un sourire dissimulé sous mon masque. « Salut ! » Lâchais-je, mon esquisse se voyant surtout à mes yeux plissés et brillant de malice. « Tu n'as pas trop attendu ? » Je demande par politesse et par égare pour lui, mais en vérité je ne m'inquiète pas vraiment du temps perdu. D'un signe de main, je lui fais comprendre de me suivre et fais demi-tour par là où je suis arrivé, donc à l'intérieur du bâtiment. « Tu as déjà ton billet ? On n'a pas tellement vu pour ça hier. » ça ne me dérange pas de lui payer le trajet, mais ça m'aurait ennuyé de payer double pour rien. Autant être sûr et agir ensuite, plutôt que l'inverse. Avec mon masque et ma dégaine, presque personne fait attention à moi, si ce n'est pas dame de l'accueil qui me voit si souvent passer par-là.

TENUE ✩ Pour mieux connaitre une personne, il faut d’abord comprendre le milieu dans lequel il vit. Et c’est ce qui m’a poussé à accepter d’aller voir la banlieue de Peter. Je veux savoir quel genre de personne il est, d’avoir des « preuves », des choses concrètes sur lesquelles je peux me dire : « oui c’est Peter, non pas Emrys ». Maintenant que j’ai accepté le fait qu’il n’est pas Emrys et que sa présence ne me dérange pas, je veux comprendre pourquoi il a voulu se faire passer pour mon beau frère défunt. Et qui sait, peut être qu’en apprenant ses raisons, je pourrai entièrement le pardonner ? En tout cas, je suis légèrement impatient d’aller voir sa banlieue. J’ai dit à mon manager de ne pas m’accompagner. Il pense que je vais encore faire mon touriste dans la capitale. Et comme la veille s’est très bien passée, il ne proteste pas. Je quitte la chambre de l’hôtel pour me diriger jusqu’à la gare de Seoul. Honnêtement, à part me dire que c’est la banlieue de Peter, je n’ai aucune idée de où est ce que je vais. J’ignore s’il m’a déjà dit le nom mais comme la langue m’est étrangère, il n’est pas probable que je ne l’ai pas retenu. Je ne mets pas longtemps à arriver au point de rencontre. Je vérifie l’endroit en levant la tête avant de regarder l’heure. Je suis dans les temps. Mains dans les poches, je n’ai pas attendu longtemps avant que Peter vienne me voir. Comme demandé, il a mis un masque et je l’en remercie intérieurement. « Salut ! » dis-je avant de sourire légèrement. Si ce n’était pas lui qui est venu me voir, je ne l’aurai pas reconnu au premier coup d’œil. « Non non. » Je le suis jusqu’à l’intérieur de la gare. « Non, je n’ai pas de billet. Je ne connaissais pas le nom de l’arrêt. » Mais j’ai de l’argent pour l’acheter. J’ai juste besoin du coréen de Peter et je peux me débrouiller. « Merci d’avoir mis le masque. » Je l’avais déjà remercié la veille mais je voulais le dire une nouvelle fois. Quand on sera dans sa banlieue, il pourra le retirer s’il le souhaite.

TENUE ✩ Pour moi, c'était évident là où je vivais, mais j'ai oublié que ça ne l'était pas pour Toru. Le train s'arrête à plusieurs reprises pour laisser descendre ses passagers, et mon arrêt n'est sûrement pas le dernier puisque les rails vont beaucoup plus loin. Une fois à la hauteur du Japonais, je le salue et lui demande s'il a attendu, ce qu'il répond à la négative. Tant mieux, je n'aime pas trop faire attendre les gens, même si je prends souvent du retard pour x ou y raisons. En même temps, je le questionne sur son billet, me rendant compte que j'ai donné très peu d'information. La banlieue est un endroit évident pour moi, à la limite c'est ainsi que l'arrêt se nomme, banlieue de Séoul. « Ce n'est pas bien grave, allons prendre ce qu'il te faut. » J'ai déjà mon billet retour, ou plutôt j'ai une sorte de carte à l'année. Après tout, je fait toujours le même trajet, banlieue-Séoul, Séoul-banlieue. « Y a pas d'quoi, c'est ce que tu voulais après tout. » Que je porte un masque pour ne pas que l'on me reconnaisse, ou que l'on pense que je suis Emrys ou son sosie usurpateur. « Mais tu n'as pas peur d'être attaqué par des fans ? » Il n'a pas l'air bien couvert pour une idole, un musicien, ou un truc dans ce style-là. N'importe qui pourrait le reconnaître, même si de toute évidence, un masque ou une casquette ne cache pas toujours tout les détails. Faisant signe à mon ami, je me dirige vers le guichetier et demande un billet pour la banlieue, donnant le nom exacte de l'endroit où l'on va. C'est coréen, comme mes paroles. Ensuite je laisse régler Toru en lui indiquant le prix, n'ayant pas assez sur moi pour payer l'entièreté du ticket. C'est désolant, mais à force on s'habitude. Généralement, je traîne avec des gens comme moi, qui n'ont pas toujours les moyens de se faire plaisir. On se serre les coudes, trouve des deals ou partage. Quand il a son billet, je reprends la marche vers le train qui n'est toujours pas repartie depuis mon arrivée. C'est le même qui part dans l'autre sens, puisqu'il ne va pas plus loin que Séoul.

TENUE ✩ Je laisse Peter prendre l’initiative d’aller au comptoir pour acheter mes billets. J’aurai pu me débrouiller si je connaissais le nom de la banlieue mais vue que je ne le savais pas, je dois compter sur mon ainé. Je lui aurai bien demandé de m’apprendre quelques mots coréens mais je vais bientôt repartir et j’ignore quand sera ma prochaine occasion de parler coréen, donc pour le moment, je me remets à Peter. Je lache un petit rire avant de passer une main dans mes cheveux, à l’arrière du crane. « Je ne pense pas qu’on me reconnaitrait. Je ne suis pas encore à ce stade là de popularité. » Déjà que ça ne s’est encore jamais arrivé au Japon, je doute que je croiserai des fans dans les rues coréennes, et encore moins dans la banlieue. « Pourquoi ? On t’a déjà reconnu dans les rues coréennes ? » Il a le physique d’Emrys, donc ce n’est pas improbable. Je suis le natif et le laisse faire. Je n’ai rien à faire, si ce n’est que l’écouter parler dans une langue que je ne comprends pas. J’imagine sans problème ce qu’il dit. Le montant s’affiche sur le petit cadran et je sors les billets. On me donne mon billet de train à la place. Objet en poche, on se dirige vers le quai. Le train est déjà là, mais je pense qu’on doit encore attendre un petit moment avant qu’il ne démarre. « On en a pour combien de temps ? » On monte dans le train. Il n’y a pas grand monde donc beaucoup de place libre. Les quelques personnes présentes sont soit en train de dormir, soit en train de lire un journal. Autant dire que nous sommes les seuls « jeunes » du compartiment. On s’installe sur à une des nombreuses places libres. Peter côté fenêtre et moi coté couloir. Dire que la dernière fois qu’on avait pris le train c’était pour aller voir le médecin légiste. Et dire que je croyais que c’était la dernière fois que je verrai Peter. Sans m’en apercevoir, j’étire finement mes lèvres en un sourire discret. La vie peut être étonnante parfois.

TENUE ✩ La dame de l'accueil a dû voir passer des étrangers par sa gare, je suppose qu'elle n'est pas à touriste près, mais je préfère quand même m'occuper du billet pour Toru, puisque l'on va chez moi. Elle est gentille et souriante avec n'importe qui, qu'elle le comprenne ou non, je pense pas que ça ternisse son humeur à toute épreuve. « Tu as quand même fait un concert à Séoul. » Ou il va le faire ? Ce n'est pas rien. Il doit avoir quelques fans ici, mais qu'on le reconnaisse n'est pas vraiment soucis ... Faut juste pas qu'on le reconnaisse avec moi à côté. C'est sûr qu'il pourra se balader librement dans mon quartier, les gens s'en fichent des idoles, des acteurs, de la politique, tout ça. Eux, ils pensent surtout à vivre. Moi ? Je souris, puis hausse les épaules. « ça m'est déjà arrivé que l'on me confonde. La dernière fois j'ai rencontré une fille de l'université. » Je parle de Royal, et cette rencontre ne date pas de longtemps. Akio a été choqué de voir un « fantôme » avant de comprendre que j'étais juste un usurpateur et un menteur, peut-être pas dans ce sens-là, mais c'est tout comme. Toru échange ses billets contre un ticket et nous sommes enfin paré pour monter dans le train, même s'il ne s'en va pas de suite. Il y a des heures à respecter, malgré les possibles retards dans la journée. On ne peut pas prévoir ce qu'il se passera sur les rails, malheureusement. Je remercie la dame avec un sourire et guide mon ami vers le quai, où l'on va devoir patienter encore un peu. « De trajet ? ça dépend, trois quart d'heure. » Peut-être plus, peut-être moins. C'est ça le désavantage de vivre en dehors de la capitale, on perd beaucoup plus de temps dans les trajets qu'ailleurs. Je ne m'en plains pas, j'ai su voir le bon côté des choses à la longue, comme pioncer, réfléchir, se motiver, et toute sorte de truc dans ce genre-là. Grimpant dans le train, je choisis des sièges où nous asseoir et me colle presque à la vitre, préférant voir le paysage défiler que les gens passer dans l'allée centrale. ça peut paraître étrange de prendre à nouveau le train avec Toru, surtout après nos adieux. Je n'ai jamais songé une seconde que l'on pourrait se revoir ici, à Séoul. à mes yeux, c'est une bonne chose et je ne suis pas déçu qu'il gagne en popularité. « Comment ça s'est passé ensuite... à l'agence ? » ça n'a pas dû être facile tous les jours avec la disparition d'Emrys et les autres, je n'étais pas là pour le voir, alors je m'informe à travers mon ami. Puis, ça fera passer le temps jusqu'à notre arrêt.

TENUE ✩ Je ris à sa remarque. « J’étais dans une petite salle. » Elle était remplie et l’ambiance était géniale. Bien sur, mon rêve serait de remplir les grandes salles mais la gratitude envers mes fans est déjà présente. Ce que je cherche à faire comprendre à mon ainé que je ne suis pas populaire au point de cacher mon visage dans un pays étranger. Je pense que je serai même content de découvrir par hasard un fan dans la rue. Peter a rencontré une fille de Royal ? Cette révélation ne me fait pas rien. « C’était avant ou après la mort d’Emrys ? » Mort officielle bien entendu. « Tu lui as dit que tu n’étais pas Emrys ? Je connais cette fille ? » Pour savoir si je dois aller la voir à mon retour au Japon. Je suis du genre à m’inquiéter pour pas mal de choses mais là, il y a de quoi me rendre nerveux. Après avoir obtenu mon billet de train, je suis mon ainé. « Ça dépend ? [/b][/color] » Je sais qu’il peut avoir des bouchons lorsqu’on utilise la voiture mais je ne savais pas que ça pouvait exister sur les rails. Je ne suis pas du tout habitué aux trains donc je découvre un peu plus cet univers ferroviaire. La dernière fois que j’ai utilisé ce moyen de transport c’était aussi avec Peter. « Tu as regardé les informations ? » Les informations ne disent pas l’envers du décor mais ça pourrait être une bonne base à mes explications. « Je n’ai eu aucun problème avec les autorités mais les managers n’ont pas arrêté de me questionner sur « ta » mort… Ils savent que j’ai été la dernière personne que « tu » as vu. Ton manager est personnellement venu me voir pour me demander si c’était vrai. » Mais je ne pense pas qu’ils avaient des doutes sur notre projet. « On a eu une semaine de deuil et il y a un petit espace commémoratif pour Emrys à l’agence. » Des fans ont aussi déposé des fleurs, objets en la mémoire du défunt. Son ancien manager s’occupe d’entretenir l’espace, et ce même s’il s’occupe d’un autre artiste.

TENUE ✩ Une petite salle, c'est mieux que rien. Un jour, il remplira des grands et immenses pièces où les gens ne pourront même pas le voir sur scène, si ce n'est à travers un écran géant zoomant sur sa performance. Les rêves permettent d'avancer, c'est le but, le principe même. Ce serait amusant de le voir avec une fan, mais je doute que ce soit une bonne chose d'être avec lui. Avant ou après ? Je secoue doucement ma tête. « Après, ça remonte y a pas longtemps. » Normalement je mens comme je respire, mais je n'ai pas pu jouer la comédie avec Akio. « Oui, j'ai été honnête avec elle. Je ne sais pas si tu la connais, Sasaki Akio ? » Peut-être de nom ou peut-être pas du tout. En tout cas, j'ai été franc avec la jeune fille, pour une fois dans ma vie, je n'ai pas mentis. « Ne t'inquiète pas, elle ne dira rien. » à voir sa tête, on dirait qu'il a vu un fantôme. Les transports en commun sont traitres, y a des jours où c'est fluide et rapide, et d'autres où y a un soucis. Une fois, un gars s'est jeté sur les rails ... Le trafic a été ralentis durant des heures, bloqué dans le train. « Ouais, ça dépend ta chance. » Fis-je avec un sourire. Quant aux informations, je secoue négativement ma tête. Je n'ai pas trop eu le temps de regarder la télé. En vérité, je ne m'arrête jamais devant un écran. « Que lui as-tu répondu ? Je suis désolé pour lui, j'aurai voulu qu'il soit au courant. » C'était mon manager après tout, il m'a suivi durant des semaines, des mois, avant d'être prit de court par la mauvaise nouvelle. Le pauvre n'a même pas vu la différence entre Emrys et moi, hélas jamais il ne saura. « C'est étrange de me dire que Emrys a vraiment existé, et que c'est lui que les gens pleurent, pas son sosie. » Après tout ce temps à jouer le rôle, j'ai commencé à me confondre moi-même avec l'idole. Si Toru n'avait pas découvert la vérité et poussé à la dévoiler, peut-être que je ne saurais même plus qui je suis réellement. C'est bizarre, mais pas improbable. « C'est dommage que les Yanagi n'ont pas déclaré la mort de leur fils plus tôt. J'ai l'impression que ses funéraires ne lui sont pas pleinement dû. » Surtout à cause de mon mensonge, de notre subterfuge, du fait que les gens et les fans ont encore crus à la présence du chanteur bien après sa mort. Finalement, c'était une très mauvaise idée et aujourd'hui je regrette de m'être laissé berné par l'argent.

TENUE ✩ Après ?! Je commence à cogiter, réfléchissant à comment réparer la chose si jamais ça se passe mal. Ça peut être embêtant si c’est mal gérer. Alors quand il me révèle qu’il a tout avoué à cette personne, c’est Hiroshima dans ma tête. Je ne peux pas comprendre pourquoi il a choisi de faire ça. Il aurait très bien pu faire comme s’il ne la connaissait pas. Mais une partie (mais alors une toute petite) de moi est fière de lui parce qu’il a choisi de ne pas se cacher et de ne plus mentir. Cette histoire a fait naitre en moi des contradictions. Il m’a montré que tout n’était pas blanc ou noir, que tout était une question de nuance. Je secoue négativement la tête. Son nom ne me dit rien mais je ne vais pas l’oublier pour autant. Je devrais aller la surveiller un petit moment pour m’assurer qu’elle ne va rien dire. « C’est une de tes amies ? » Ou celle d’Emrys peut être ? J’hésite un petit instant. « Je peux savoir pourquoi tu as décidé de lui en parler ?  » Ce n’est pas une accusation, ma voix n’est ni stricte, ni dure. Je suis juste curieux. J’arque un sourcil. On verra bien si j’aurai de la chance ou pas. Je réponds à la question de Peter en lui révélant ce qu’il s’est passé après son départ. J’hausse légèrement les épaules. « Je lui ai dit que c’était vrai, qu’Emrys a eu un accident de voiture après que je sois parti. » Je le fixe quelques instants. « Tu veux lui dire ? » Je ne connais personnellement pas le manager d’Emrys donc si Peter juge qu’il est digne de confiance, pourquoi pas le mettre dans la confidence. Mais évidemment, s’il demandait mon avis, je ne serai pas d’accord car c’est un facteur risque, mais c’est lui qui décide et je respecterai son choix. Je soupire à ses propos car ils sont tellement vrais. Toute cette mise en scène n’avait pas lieu d’être. Les Yanagi n’ont pas du tout respecté leur fils et malheureusement, Peter en est indirectement la cause. « L’essentiel est qu’il les ait eues.  » Ne dit on pas mieux vaut tard que jamais ? Une voix off annonce le départ du train dans quelques minutes. Lui par contre, j'espère qu'il ne prendra pas du retard. « Chanceux ?  » Demandai-je en souriant.

TENUE ✩ Il y a de quoi paniquer, pourtant ce n'est pas l'effet que je voulais donner avec ma petite histoire. Je ne sais pas pourquoi j'ai voulu parler de ça avec Akio, ni pourquoi j'ai été sincère avec elle. ça m'arrive rarement, voir jamais, d'être franc avec quelqu'un. En fait, je l'ai été uniquement avec Toru et Kaori. Même avec mes parents, que j'adore par dessus tout, je ne suis pas toujours honnête et obéissant. « Disons une camarade. » Je l'ai rencontré à l'école et nous jouions parfois au volley ensemble, mais c'est tout. Je ne sais pas si elle connaissait Emrys, et dans le fond je m'en fiche un peu. « Une soudaine envie d'être sincère ? Je ne sais pas...Peut-être pour m'alléger d'un poids. » Faut pas se mentir, cette histoire est un fardeau trop lourd à porter. Elle m'a reconnu, elle a eu peur et je ne me voyais pas lui dire qu'elle était folle ou que je ne connaissais pas Emrys. Je ne sais pas, j'avais besoin d'apaiser cette chose à l'intérieur de moi qui palpite de temps en temps à l'évocation de ce prénom. Emrys. Bref, changement de sujet. Toru me parle des événements qui ont suivi la mort de l'idole, parlant de mon manager. C'était un gars sympa, je regrette de l'avoir trompé. « Je ne sais pas. » C'est la vérité. Je ne sais pas si je devrais lui dire ou non, après tout je n'étais pas Emrys... Il serait trop déçu par ce petit manège, je ne veux pas décevoir encore une autre personne. Finalement je secoue la tête, un léger sourire en coin. Il serait digne de confiance, je n'en doute pas, mais je préfère qu'il reste sur cette histoire d'accident, etc. Discuter funérailles et enterrement, ce n'est clairement pas réjouissant. Bon, c'est une bonne chose pour le défunt, il le méritait. « Oui. Personne ne l'oubliera. » Approuvais-je. Emrys peut avoir l'âme en paix, plus personne ne tentera de prendre sa place pour jouer la comédie. L'annonce du départ me surprendrait presque, levant la tête vers le plafond. Chanceux ? Je souris, haussant vaguement les épaules. « Faut croire. Voyons si ça dure. » Mieux ne vaut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.

Je suppose que l'on a été chanceux, parce que le trajet s'est déroulé sans encombre jusqu'à notre arrêt. Il a fallut moins d'une heure pour arriver et descendre du wagon, les jambes engourdie. Un soupir s'échappe de mes lèvres, tandis que je m'étire. « Suis-moi. » D'un mouvement du menton, je lui indique la sortie à suivre pour quitter la gare. Le paysage n'est de suite pas le même, comme il a pu le voir par la fenêtre du train. Des immeubles haut comme le ciel à perte de vue, voilà l'endroit où je vis. « Bienvenue dans la banlieue. » Souriais-je à mon ami, à peine sur les marches de la gare. C'est grand, vaste, moche et bruyant. Il n'y a pas tellement de voiture qui circulent, malgré celles garées un peu partout au pied des complexes, mais les sons viennent surtout des bâtiments en eux-mêmes, des gens vivant à l'intérieur ou de ceux dans la rue. C'est vivant, c'est le moins que l'on puisse dire, mais ce n'est pas la même ambiance qu'à Séoul.

TENUE ✩ Une simple camarade ? Je suis perplexe. Comment peut il révéler son histoire qu’à une simple camarade ? Il ne sait même pas si elle est digne de confiance. Que va-t-on faire si jamais elle décide d’en parler à une autre personne. Je sens les soucis arriver et ça ne me rassure pas. Sasaki Akio. Je cherche dans ma mémoire si je n’ai pas déjà entendu ce nom mais je ne sais réellement rien d’elle. Le campus est tellement grand que je ne pourrai pas la trouver avec qu’un simple nom. Peter va surement se dire que j’en fait peut être trop, mais il est difficile de faire confiance à une personne dont je ne connais rien. Je reste immobile pendant un instant. Je suis légèrement désolé pour lui mais il n’a pas d’autre choix que de vivre avec ce secret pour le reste de sa vie. Tout comme moi d’ailleurs. « Je sais que c’est difficile… mais ce poids ne s’effacera pas. » Je ne dis pas ça pour le faire culpabiliser ou le rendre encore plus mal, il s’agit d’un simple constat. Mais cela ne signifie pas forcément qu’il devra le porter seul. S’il en a parlé à une camarade, il pourrait très bien parlé à son manager s’il le souhaite. Même si je n’approuve pas forcément. Mais comme je ne suis pas à sa place, je n’ai aucun droit de l’en empêcher. Peter ne sait pas. « Personne n’aime être pris pour un idiot. » C’est tout ce que je peux lui dire. C’est à lui de décider. Il est vrai que ce n’est pas un sujet très gai, mais cet événement ne peut être ignoré. Certaines choses ont besoin d’être dites. Et sur ses mots que nous concluons la discussion sur le défunt.

Le trajet se déroule sans problème et nous arrivons sans retard à notre destination. Enfin, je comprends qu’il s’agit de notre arrêt puisque Peter m’a demandé de le suivre. Je me lève et sors du wagon. Ça fait du bien de se dégourdir les jambes après être resté une heure assis. Le changement de décor ne passe pas inaperçu mais ça ne me répugne pas. C’est un nouvel environnement, un que je n’avais encore jamais vu de près. Je souris. « Merci. Tu peux enlever le masque si tu veux. » C’est son chez lui après tout. « Tu habites près de la gare ? » Je détaille les alentours. Autant j’étais confiant pour me retrouver dans les rues de Seoul, autant là, je ne suis pas si sur. Cependant, je ne trouve pas cela effrayant non plus.

TENUE ✩ Toru a deviné juste, je trouve qu'il en fait un peu trop pour pas grand chose. Cette fille, Akio, je l'ai rencontré à Tokyo et je n'ai rien trouvé de louche ou mauvais en elle. Je suis sûr qu'elle ne dira rien, puis elle m'a bien fait comprendre qu'elle ne connaissait aucun Peter en rapport avec Emrys, juste deux garçons différents et sans lien. Toru n'a pas besoin de s'inquiéter là-dessus, personne ne saura au courant de cette affaire. De toute façon, je ne peux pas continuer à regarder derrière moi, je vais devoir avancer en mettant de côté cet épisode-là de mon existence, même si ça m'embête que Toru soit inclu dedans. J'aime bien Toru, ça n'a pas toujours été le grand amour avec lui, mais maintenant je pense saisir son fonctionnement et l'apprécier à sa juste valeur. « Je sais. » Il n'a pas besoin de me le dire pour que je le sache. Si c'était possible d'en garder une trace, je suis persuadé que ça me collerait à la peau comme une faute grave sur un CV. Sauf que là, je peux le cacher et éviter de tomber dans des histoires. Quant à mon manager ... Je le connaissais plus ou moins bien parce qu'il était proche de moi dans l'agence, mais de là à lui dire la vérité... Non, je ne veux pas le décevoir. « Tu insinues que je devrais lui dire la vérité ? » Normalement, Toru aurait approuvé ma décision de ne rien dire, sauf que là, j'ai un doute sur ses paroles. Est-ce que je prends mon manager pour un idiot ? Je croyais le préserver en le laissant à l'écart. Puis au final, il ne me connait pas. Franchement, il va me falloir du temps pour réfléchir et pour être sûr de mes choix. Lui dire ou non, c'est à moi de voir.

Voyant la cité se profiler à l'horizon, je me prépare déjà à quitter mon siège et à descendre du train, faisant signe à Toru que nous devons bouger. J'aurai largement eu le temps de somnoler durant le trajet, si j'avais été seul. Or, avec Toru, j'ai eu de quoi faire passer un peu le temps. C'est étrange de lui montrer là où je vis, tout en sachant là d'où il vient. ça n'a rien à voir, comme deux mondes contradictoires. Il doit vivre du côté lumineux, tandis que je loge dans le coin sombre. ça ne veut pas dire que je déteste cet endroit, au contraire, ce sont mes origines et je ne peux les renier. Le masque ? Ah oui. Je l'ai gardé dans le train et je suis bien content de pouvoir le retirer, même si je le garde bloqué sous mon menton au cas où. Ils me connaissent tous ici, dans la banlieue, mais sait-on jamais. « à quelques minutes. » Et à quelques bâtiments près, ce qui est pratique. Je le guide donc à travers les rues, jusqu'à mon immeuble. Il faut une clé pour ouvrir la porte du hall -même si celle-ci a tendance à facilement se faire démonter à coup d'épaule-, aucun ascenseur malgré les tonnes d'étages et pour conclure, il règne une drôle d'odeur dans la cage d'escalier. En bref, ce n'est pas le paradis, mais on s'y fait à la longue. Je vis au troisième étage, derrière une vieille porte qui devait être rouge autrefois, mais qui désormais est juste délavé et terne. Sortant la clé, je l'insère dans la serrure et tourne mes yeux vers mon cadet. « Prêt ? » Mon sourire en dit long, mais je ne le fais pas patienter davantage avant d'ouvrir et de présenter mon chez moi. Un appartement soft, ni trop vieux, ni trop moderne. Avec ce qu'il faut comme meuble, mais d'où le parfum d'encens contraste avec celui de l'extérieur.

TENUE ✩ Je peux être une personne assez dure et qui dit les choses un peu trop directement. J’ai encore du mal à prendre en compte les sentiments des autres et Peter en fait souvent les frais. Pourtant, j’essaye de ne pas être si stricte mais mes paroles sortent spontanément. Quand j’ai l’impression qu’une chose est mal faite, je n’arrive pas à tenir ma langue. Et à cause de ça, on a souvent peur de moi. Pourtant, blesser les autres n’est pas mon but. Je ne voulais pas rendre Peter plus coupable qu’il ne sent déjà et j’ai encore été maladroit dans mes mots. Vu qu’il a parlé de son secret à une fille dont il n’est pas proche, je lui demande s’il souhaite le révéler à son ancien manager. Je ne sais pas à quel point leur relation est bonne mais je me doute qu’il ait plus d’affinité avec son manager qu’avec Sasaki Akio. « Je n’insinue rien du tout, c’est à toi de décider. » Mais s’il compte lui dire, Peter a intérêt à le faire avant qu’il ne découvre la supercherie. Car comme je l’ai dit, personne n’aime être pris pour un idiot. Malheureusement, je sais ce que j’avance puisque je suis le mieux placé, pour avoir gouté à l’amertume de la vérité. Donc soit il garde le secret enterré à jamais et son manager (ou quiconque) ne découvrira qu’il a été dupé, soit Peter prend le risque de révéler la vérité. L’un comme l’autre, ce n’est pas un choix facile à assumer. C’est pourquoi, c’est à lui de décider.

C’est en voyant le signe de Peter que je comprends que nous sommes arrivés. J’ai eu droit à un aperçu à travers la fenêtre mais comme je n’étais pas sur si c’était notre destination, je n’ai pas tellement fait attention. Mais maintenant qu’il me l’a confirmé, je prends plus de temps pour observer l’endroit. Je dois le reconnaitre, c’est assez spécial. Je savais que je n’aurai pas le droit à des rues aussi lumineuse et larges qu’à Seoul mais je ne savais pas qu’il pouvait avoir une telle différence entre les rues de banlieue et celles de la capitale. La maison de mon ainé se trouve à quelques minutes de la gare, ça doit être assez pratique pour lui de faire les aller retour. Comme il me l’a dit, on arrive devant l’immeuble après une petite dizaine minutes de marche. J’essaye de ne pas paraitre « touriste » mais je ne peux pas m’empêcher de zieuter partout. ‘‘Est-ce qu’il y a réellement des personnes qui habitent dans cet immeuble ? ’’ fut ma première impression. Escaliers montés, l’appartement de Peter se trouve juste sous nos yeux, derrière la porte. « Oui. » J’acquiesce avec un mouvement de tête. Honnêtement, sa question m’a un peu pris au dépourvu, car dit comme ça, j’ai l’impression qu’il me cache quelque chose de gros. Mais il est vrai que je suis curieux de découvrir comment il vit. Il déverrouille la porte et m’invite à entrer. « C’est sympa. » En fait, beaucoup plus qu’à ce que je pouvais imaginer à la vue de l’immeuble. Je suis rassuré de voir qu’il ait le nécessaire. Je retrouve un peu plus l’univers du bus aménagé. C’est bien Peter qui a vécu ici, pas Emrys. « Tu habites tout seul ? » Ou avec ses parents ?

TENUE ✩ Parler à mon manager ne devrait pas à être difficile, c'est un homme qui sait écouter et qui ne s'énerve pas pour rien. J'ai pu lui parler à de nombreuses reprises, notamment quand il devait me suivre un peu partout pour ma carrière d'artiste. Un homme dévoué, bosseur et digne de confiance. Je ne sais pas trop où j'en suis dans cette histoire, ni si je dois lui dire. Mais entre décevoir quelqu'un et le prendre pour un idiot, il y a quand même une grosse différence. Toru me le fait comprendre à sa manière, mais ça ne m'aide pas encore à choisir. Avouer et perdre sa confiance. Continuer à mentir et se faire attraper, puis juger. à bien réfléchir, je préfère encore appeler le Japonais et lui dire toute la vérité, au moins je ne serais ni un lâche, ni un moins que rien. ça ne changera pas le passé, mais psychologiquement, je serais soulagé. « Je sais ce que j'ai à faire... Je crois. » Dis-je, finalement sûr de moi. Tout se sait, tôt ou tard. Ma mère me disait toujours cela enfant, pour ne pas que je mentes. Bon, ça ne m'a pas trop appris la vie, mais ça reste un conseil très important d'une mère à son fils. J'ai encore le temps, mon manager ne va pas disparaître comme par magie.

Le train arrive à destination et nous descendons, tombant au beau milieu des hauts bâtiments. Ils ne ressemblent pas à ceux de la capitale, ils ne sont ni beaux, ni neufs, ni modernes. On dirait juste un tas de ferraille en forme de rectangle avec des fenêtres, pleins de fenêtres. Du linge pend par des fils le long des murs, comme dans une vieille citée. C'est ça, la banlieue. ça doit changer de Tokyo ou de Séoul, de là d'où il vient ou de là où j'ai vécu quelques mois auparavant. Pourtant c'est mon chez moi. Il y a de tout ici, des petits commerces aux devantures parfois peu accueillante, une école qui mélange un peu tout les âges, des terrains de sport pour les jeunes en manquent d'exercice physique. Bref, ce n'est pas un mauvais endroit non plus, même s'il ne sera jamais dans les brochures touristiques. Guidant mon cadet jusqu'à mon appartement, je le questionne avant d'ouvrir la porte, montrant ainsi là où j'ai vécu avant de le rencontrer. Vu de l'extérieur, on pourrait croire que c'est moche et vieux, mais une fois dedans, c'est plutôt accueillant et chaleureux. Il fait bon y vivre. « Tu trouves ? » Je n'ai pas fait le rapprochement avec le bus aménagé, mais il est vrai que ça y ressemble presque. Petit, mais bien meublé. « Je vis avec mes parents. Mon père doit bosser, et ma mère... Sûrement chez les voisins ou dehors. » Elle ne travaille pas, alors si elle n'est pas là, elle est forcément à côté ou dans les rues. « Tu veux boire un truc ? J'ai du soda à l'Aloe vera. » Il s'y fera, j'en suis sûr.

TENUE ✩ Jamais je ne m’étais dit que j’allais « visiter » la banlieue. Ça ne m’avait jamais attiré et je ne voyais pas trop l’intérêt d’y aller. Pourtant, j’accorde un certain intérêt pour ce genre de lieux depuis que je sais que Peter a grandi dans un tel environnement. Je suis curieux car savoir le décor dans lequel il a grandi est une manière de le comprendre davantage. Et en le comprenant, je pourrais peut être accepté la raison de son contrat. C’est pourquoi, je ne porte pas un jugement négatif sur la banlieue. J’essaye d’avoir un regard le plus objectivement possible. C’est un peu dur puisque l’univers dans lequel je vis est totalement différent de celui qui se trouve sous mes yeux, mais je prends sur moi. Il n’y a rien de très attractif mais on peut dire que ça a son charme, même si je ne me sentirai pas capable de vivre ici ou d’y passer un petit séjour dans de telles conditions. Je ne dis pas que c’est un environnement malsain ou répugnant mais c’est tellement différent de ce dont j’ai l’habitude. Par exemple, le batiment qu’il me montre ne me donne pas confiance. La porte ne se verrouille pas (du moins on peut l’ouvrir facilement), l’odeur n’est pas agréable, l’air n’est pas drainé. Heureusement je change d’avis quand il m’ouvre la porte de son appartement. J’avais pensé au pire en voyant l’état du batiment mais l’intérieur n’est pas si désagréable. J’hoche activement la tête en écarquillant les yeux. S’il savait ce dont j’avais imaginé avant qu’il n’ouvre la porte, il saura que je suis sincère dans mes propos. En parlant de ses parents… «  Est-ce qu’ils savent… » Je m’arrête un instant avant de finir ma question. «  pour ce que tu faisais à Tokyo ? » Est-ce qu’ils l’avaient encouragé à partir et à mentir à une autre famille ? J’ai conscience que je reviens presque toujours sur ce sujet mais c’est plus fort que moi. Finalement, peut être que je n’arrive pas si bien à passer à autre chose non plus. «   Allons pour le soda à l’Aloe vera. » J’avance un peu plus dans l’appartement et observe les lieux. «  Tu n’as plus de guitare ? » Aucun étui à l’horizon.

TENUE ✩ Ce n'est sûrement pas lieu de vacance, ni un endroit où je voudrais inviter mes amis, mais je ne peux pas faire autrement s'ils veulent venir chez moi. Je vis ici, impossible de renier ma maison ou ma famille. Ce n'est pas non plus dramatique, nous vivons très bien parmi ces immeubles. J'ai vu pire derrière nos écrans, il y a des pays où même moi je ne pourrais survivre deux jours, alors je me sens plutôt chanceux d'être dans une banlieue avec un toit sur la tête, de l'eau potable et de quoi remplir suffisamment mon frigo pour ne pas mourir de faim ou de soif. C'est sûr que comparé à la vie de Toru, ça doit être égal à la sécheresse en Somalie ou la famine dans d'autres pays, pourtant nous vivons vraiment très bien. La sécurité est moindre, l'atmosphère n'est pas des plus aérés, mais ça ne nous empêche pas de vivre. Nous ne sommes pas malheureux ici, pour la plus part. Si je pouvais, je partirais. Si j'avais les moyens, je m'en irais dans un endroit où je ne manquerais de rien et où je n'aurai surtout peur de rien. Un endroit safe, avec des verrous qui tiennent et des murs épais. ça ne veut pas dire que j'ai peur d'être cambriolé ou quoi, ça n'arrive pas souvent en vérité. L'introduisant dans mon chez moi, je me doutais que le Japonais n'imaginait pas mon appartement comme une résidence habitable ou confortable, mais c'est bien le cas. Mes parents ? Ah. « Non, ils ne savent pas. » Répondis-je, ne sachant pas si je dois en sourire ou être déçu. à dire vrai, je ne sais quelle expression aborder. « Je leur ai juste dit que j'avais trouvé un boulot et que je partais à Tokyo. » Des mensonges, encore des mensonges. Même quand ils m'interrogeaient au téléphone, je leur mentais. C'était plus facile pour moi de ne rien dire à ma famille, plutôt que prendre le risque d'être découragé. J'étais prêt à tout pour eux, quitte à vivre encore dans des bobards. Acceptant ma proposition, je sors deux bouteilles de 50 cl et donne l'une d'elles à Toru. Une guitare ? Je regarde aussi l'appartement pour m'assurer de ne pas voir traîner d'étui, mais non. Y a rien de tel chez moi. « Je te l'ai dit, je ne fais pas de musique. » J'en avais déjà parlé hier, durant nos retrouvailles. Je n'ai pas rejoué de la guitare, ni aucun autre instrument, encore moins chanté. « Je n'ai jamais eu les moyens de m'acheter une guitare. J'ai tout appris dans les rues. » Les gens qui jouent dans les parcs, le métro ou les rues, dans les boutiques d'instruments qui laissent les clients tester -même si je n'étais clairement pas un client-, chez des potes ou des connaissances. J'ai appris par-ci par-là, alors quand je suis arrivé à Angel, j'ai pu avoir un entraînement complet. Grâce aux Yanagi aussi. « Tu as embarqué la tienne ? » De guitare. Je serais curieux de revoir cet objet, même si je n'ai jamais mis les doigts dessus.

TENUE ✩ Vivre dans la banlieue n’est pas forcément quelque chose de mal. C’est un univers qui est complètement différent du mien, même si je n’ai pas toujours vécu dans le luxe non plus. Je ne me sentirai pas totalement à l’aise si on me demanderait de vivre ici. Mais ça ne me dégoute pas non plus. Mon impression de la banlieue change légèrement lorsque je rentre dans l’appartement de Peter. Je n’aurai jamais pu imaginer qu’il y aurait un tel confort juste en me basant sur l’extérieur de l’immeuble. Bien entendu, tout est relatif, nous sommes loin de la demeure des Yanagi mais c’est là qu’a vécu Peter. Contrairement à la chambre d’Emrys, cet endroit me parait déjà plus vivant. Il y a des petits indices qui montrent qu’il y a de la vie, comme la bouteille d’eau à moitié remplie posée sur la table à manger ou les différentes tailles de chaussures à l’entrée, qui me font penser qu’il ne doit pas vivre seul. Cependant, je préfère demander pour en être sur. Peter vit donc avec ses parents qui n’étaient pas au courant pour son contrat au Japon. Il a donc pris cette décision tout seul, sans demander l’avis de ses parents. Il me propose à boire et j’accepte avec politesse sa boisson. « Merci.  » J’ouvre la bouteille et bois une première gorgée avant de faire la remarque sur l’étui de guitare manquant. « Je pensais que tu ne touchais plus à la musique, pas que tu n’avais plus de guitare.  » Je voyais là une petite nuance. Dans le premier cas ne pas faire de la musique était son choix alors que dans le deuxième c’était une conséquence. Car s’il avait une guitare, peut être qu’il voudra se remettre à la musique ? Appris à jouer dans les rues ? Cette révélation est surprenante. On ne peut pas se faire passer pour un génie si on n’en a pas les moyens. Et s’il a réussi à tous nous duper, c’est que Peter est, à sa manière, un génie. Je garde cependant cette remarque pour moi. Je ne veux pas l’obliger à faire quoi se soit. S’il n’a plus envie de chanter ou de jouer, personne ne peut le forcer. Quoi que, cette expérience avec le contrat devrait m’inciter à ne pas le laisser faire ses choix tout seul. « J’étais en concert donc oui. Mais mon manager l’a récupérée. » Je bois une autre gorgée. « Il n’y a pas une boutique d’instrument pas loin ?  » S’il a envie de voir une guitare, rien de plus approprié que d’aller dans une boutique d’instruments. « Car ça me fait penser que je dois changer une corde de ma guitare.  » Ce qui n’est pas faux non plus et c’est ce qu’on appelle faire une pierre deux coups.

TENUE ✩ Ce ne sont pas les beaux quartiers ou la résidence des Yanagi qui me manquent le plus, mais plutôt ce que je faisais là-bas, à Tokyo. L'agence, mes journées à m'entraîner ou à bosser dans le corps d'une idole. Les Yanagi non plus ne me manquent pas, comparé à Toru ou Kaori. J'aurai préféré être leur ami sans devoir mentir sur mon identité et avoir une chance de les garder, plutôt que bêtement les perdre. Bon, Toru est là chez moi, donc je ne peux pas dire que notre lien soit rompu, sinon il ne serait pas venu. C'est quand même étrange de lui présenter ma véritable maison, sans l'ombre d'une supercherie. Tout est vrai ici, jusqu'aux bibelots sur les meubles du salon, ou les photos qui traînent par-ci par-là. J'ignore ce à quoi pense Toru et cela m'intriguerai sûrement. Or, je préfère lui proposer à boire, plutôt que l'interroger sur son ressenti. Sortant les bouteilles du frigo, je n'ai pas encore ouvert la mienne qu'il me parle de guitare. Ah, je n'ai pas de guitare chez moi. J'envisageais d'en acheter une auparavant, mais avec le manque d'argent, je n'ai jamais eu l'occasion de me faire plaisir. Aider mes parents passe avant tout, même avant la musique. « Désolé de te décevoir. Peut-être la prochaine fois que tu reviendras ? » Ce qui est fort pu probable, à mon avis. J'ai toujours fais de la musique chez les autres, par mes propres moyens, mais jamais chez moi. Sauf qu'avec la dernière histoire en date, je n'ai pas retouché à un instrument. ça me manque, c'est vrai, mais en même temps ça ramène des souvenirs indésirables, et tentant. Récupérée ? Oh, c'est dommage. « Je croyais que tu gardais ta guitare avec toi. » Comme quoi, nous avons tous les deux tords. « Ouais, si on peut appeler ça une boutique. Y a un gars qui vend quelques instruments à deux blocs d'ici. » Ce n'est pas très loin et c'est là-bas que j'allais perdre mon temps, à la recherche de nouveauté. « Vraiment ? Tu veux y aller maintenant ? » Ce serait peut-être mieux que traîner à l'intérieur et s'ennuyer. S'il veut parler, nous pouvons toujours le faire en route. Après je ne promets pas que la marchandise de la boutique soit de bonne qualité comparé à ces commerces haute gamme de la capitale. C'est un commerce de banlieue, au même titre qu'une épicerie d'urgence. « Ce n'est pas tant l'occupation des gens ici, alors ne t'étonne pas si c'est... Un peu délabré ? » Difficile de décrire l'enseigne, mais ça n'a sûrement rien à voir avec tous les endroits dédiés à la musique où il a mit les pieds.

TENUE ✩ C’est vrai qu’il ne touchait plus à la musique. Il n’y a pas l’ombre d’un instrument dans ce salon. J’avais espéré entendre qu’il avait une guitare dans sa chambre mais ce n’était pas le cas. La prochaine fois que je reviendrai… Nous savons tous les deux que ce jour ne dépend pas de ma propre volonté et que je ne pourrai pas revenir si ce n’est pour un emploi de temps officiel. Je ne peux prendre de vacances puisque mes derniers congés remontent à il y a quelques mois. « Peut être oui. » dis-je quand même pour ne pas le contredire. De toute façon, je ne pense pas le revoir au Japon. Même si le décès d’Emrys n’est plus à la une des journaux, il n’en est pas oublié pour autant. «  Oui c’est vrai, mais comme on doit préparer notre départ, je l’ai laissée chez lui, dans sa chambre d’hôtel. » Mais je pourrai la récupérer si je le voulais. Il m’évite de faire des aller retour entre l’hôtel et la salle de répétition avec la guitare puisque j’ai tendance à visiter le pays avant d’aller en répétition. Peter m’informe de l’existence d’une boutique d’instruments de musique. C’est parfait. «  Ça fera parfaitement l’affaire. Sauf si tu as autre chose de prévu.  » Je l’ai un peu pris au dépourvu avec ma suggestion. D’ailleurs, ça me fait penser que je devais lui donner un cadeau. Je sors de mon sac à dos un sac plastique. «  C’est pour toi. Merci de m’avoir invité. » Ce n’est qu’une boite de thé à fleur de cerisier. Comme je ne savais pas s'il vivait tout seul ou pas, j'ai pris une boîte moyenne par défaut. Je lache un rire à sa description de l'enseigne. J'ai cerné le quartier donc je ne vais pas avoir de hautes espérances non plus. Je ne le réprimanderai pas parce qu'il emmené là bas. Je suis strict mais pas un tyran. «  Ne t’inquiète pas, je vais juste jeter un coup d’œil, s’il y a ce qu’il me faut, tant mieux, sinon, tant pis. Ce n’est pas grave. » C’est toujours mieux que rien non ?

TENUE ✩ Je ne suis pas stupide, je me doute qu'il ne reviendra pas de si tôt à Séoul, à moins d'avoir un nouveau concert dans la capitale. Pourtant, ça ne veut pas dire que l'on se croisera à nouveau ou qu'il aura le temps de revenir ici. Il se passer tellement de chose en l'espace de quelques mois, ou quelques années. Toru pourrait m'oublier, passer à autre chose ou au contraire, espérer que j'assister à ses performances. Quant à un séjour au Japon, c'est encore moins probable qu'un nouveau concert pour Toru dans ma ville natale. Départ. ça ne sonne pas si bien à mes oreilles, ça me rappel juste qu'il va bientôt repartir chez lui et qu'à nouveau, nous n'aurons plus aucun contact. C'est la vie, sûrement. J'ai assez de mal à l'accepter pour autant. « D'accord, ce n'est pas plus mal. » ça ne serait pas amusant pour lui de se balader avec un étui sur le dos. Ce n'est pas plus mal au final, qu'il soit sans instrument. Mon ami a subitement de l'intérêt pour une petite boutique de musique de mon quartier, je n'ai rien contre l'idée de faire un tour là-bas, si ça peut lui faire plaisir. « Non, rien du tout. » Je l'ai amené ici pour lui faire découvrir mon chez moi, donc ça doit faire partie du plan. Toru me déconcerte de plus en plus, d'abord la guitare, maintenant un cadeau... Je ne m'attendais pas à recevoir quelque chose de sa part, j'en reste légèrement interdit, ne sachant pas quoi faire dès les premières secondes. Attrapant le sac plastique, je tire d'abord la boîte avant de sourire. C'est joli. « Je te remercie. » Il n'avait pas besoin de m'offrir quelque chose, mais ça me fait plaisir quand même. Sortant l'objet du sachet, je le dépose sur le meuble de la cuisine avant de décrire la boutique de musique. Ce n'est pas un endroit de rêve. « ça marche, allons-y. » Je ne m'embête pas à récupérer des affaires, je n'ai besoin de rien pour sortir d'ici. Les poches vides, j'indique à Toru que l'on redescend par là où nous sommes montés. Fermant la porte à clé une fois dans la cage d'escalier, je passe devant en m'assurant qu'il soit derrière moi. « Le vendeur est sympa. Il laisse les jeunes tester ses instruments tant qu'ils ne cassent rien. » C'est aussi lui qui m'a montré deux trois trucs à la guitare, parce qu'il a sûrement vu ce petit quelque chose en moi qu'il ne voit jamais chez les autres.

TENUE ✩ Quitte à penser à quand est ce que sera notre prochaine rencontre, autant profiter de ce jour ensemble. Je trouve que visiter la banlieue où il a grandi est un très bon endroit pour ce « dernier jour ». Il y a bien plus d’intérêt à aller en banlieue avec Peter que de visiter un lieu touristique avec une personne tierce. J’ignore ce que je t’attends réellement de cet endroit mais j’espère trouver les réponses que je cherche, du moins m’y approcher. Voir l’état des lieux de mes propres yeux me fait doucement réalisé que gagner sa vie n’est pas une chose aisée. J’ai l’air d’un riche qui n’y connait rien à la vie. Même si j’ai travaillé dur pour arriver là où j’en suis, je n’ai jamais souffert de problème d’argent, mon plus gros obstacle venait de moi et non pas la vie en elle-même. Je ne pourrai jamais accepter son choix de se faire passer pour Emrys et blesser ma sœur, mais je commence à le comprendre. J’évoque mon envie d’aller voir une boutique d’instruments. Mais avant, je lui donne un cadeau pour le remercier de m’avoir invité chez lui. Offrir quelque chose lorsqu’on m’invite est une chose naturelle. Je n’aime pas venir les mains vides. Tout est question de principe. Je n’avais pas prévu de le rencontrer donc ce n’est pas un cadeau qui vient du Japon. J’ai pris cette boite de thé dans une boutique après qu’on soit séparé la veille. Ce n’est qu’un petit présent mais je tenais à le lui offrir. «  C’est rien.  » Mais je suis content que ça lui fasse plaisir, puisque c’est le but de tout cadeau. Qu’il se rassure, je ne le jugerai pas responsable pour l’état de la boutique. C’est aussi pour découvrir comment est son monde que je suis venu ici. Si c’était pour être dans le luxe, jamais je ne serai venu ici. Je quitte l’appartement en ignorant si je reviendrai ici. Gardant ma bouteille d’Aloe Vera, je suis Peter menant le chemin. «  Il est gentil.   » Ça devrait être là bas que Peter ait pu jouer de la musique. « C’est là que tu as appris à jouer ?  » Si je m’en souviens bien, il m’a dit qu’il avait appris dans les rues, mais sans un vrai « professeur » ça ne devrait pas être facile.

TENUE ✩ Toru n'a pas besoin de me comprendre, même si ça me touche qu'il aille si loin pour savoir autant sur moi. Nous avions chacun décidé d'aller de notre côté, mais aujourd'hui je peux clairement dire que c'est un ami. Qu'il me pardonne ou pas ma supercherie avec les Yanagi, cela n'a plus vraiment d'importance à mes yeux. S'il est venu jusque là, ce n'est pas pour me juger, mais plutôt pour partager une journée là où je vis. Malgré mon arrêt de la musique, Toru trouve le moyen de ramener le sujet sur le tapis, me demander s'il existe une boutique dans le coin. C'est le cas. Je sais qu'il aime les instruments, alors ça ne me dérange pas d'y aller avec lui, pour faire découvrir l'endroit où je traînais souvent auparavant. Je ne m'attendais pas à ce que Toru m'offre un présent pour l'invitation, mais là encore, je suis content de recevoir quelque chose de sa part. La boîte risque autant de plaire à ma mère qu'à moi, surtout qu'elle adore le thé mais ne sait jamais où le ranger. ça tombe bien, comme ce concert à Séoul qui a amené mon ex-demi frère ici. Rien ? Je dirais même que c'est beaucoup, signifiquement parlant. Laissant son cadeau sur la table de la cuisine, je fais signe à Toru de me suivre en dehors de l'appartement, reprenant les escaliers pour sortir dans la rue. En route, je parle du vendeur, un homme d'âge mûr très sympathique. Il a le mot juste, il est gentil. « Hm, c'est cet homme qui m'a donné envie de jouer et d'apprendre. » Il m'incitait toujours à tester des nouveau instrument, même si je préférais de loin les guitares. Quand il recevait un nouveau modèle, j'étais le premier à l'essayer. Je me demande bien pourquoi j'ai arrêté... ça me manque. « C'est bizarre de revenir vers lui après tout ce temps. » Avouais-je dans un petit rire. Une fois proche de la boutique, j'indique l'enseigne avec des notes de musique perché au-dessus de la porte d'entrée. C'est là, il ne peut pas le louper. La boutique possède une grande vitrine, ou plutôt des vitres à la place de mur. La nuit, le vendeur tire toujours son rideaux de fer pour ne pas avoir de casse ou de vol. « Monsieur Yong est assez curieux, ne soit pas étonné qu'il te pose des questions. » Sans ça, il ne saurait pas quel jeune est une perle ou non. En ouvrant la porte, un carillon sonne, annonçant notre arrivée. Quant à l'homme, il est derrière son comptoir, lunette sur le nez et les mains trifouillant un vieux modèle de violon.

TENUE ✩ S’il y a bien un sujet qui revient constamment chez moi, c’est la musique. J’ai grandi dans cet univers et je ne pourrai jamais me lasser de cet art. C’est pourquoi, je ne comprends absolument pas comment Peter peut quitter la musique comme si de rien n’était. S’il n’aimait pas la musique, je pourrai comprendre mais ce n’est pas le cas. Je suis persuadé que jouer à la guitare lui manque, plus qu’il ne le laisse apparaitre. De plus, il a vraiment un talent unique. Ça m’a vraiment surpris lorsqu’il m’a annoncé qu’il n’a pas touché à la musique depuis son départ pour la Corée. Si jamais on m’interdisait de jouer, je ne pourrai pas être aussi calme que lui. Pour moi, la musique est aussi vitale que de manger. La musique est partout. Même dans cette banlieue. Et c’est là que nous allons, à l’unique boutique d’instrument à proximité. Peter me parle du responsable des lieux. Sans le connaitre, je sens déjà la sympathie du patron. « Vraiment ?  » Mes sourcils haussés, ma bouche encore entrouverte expriment ma surprise. Il me donne encore plus envie de le rencontrer. « Tu pourras lui montrer tes progrès.  » Grace aux cours qu’il a eu à Angel Entertainment. Après tout, ce n’est pas une des plus grandes agences du Japon pour rien. Je repère bien rapidement l’enseigne. Vu de l’extérieur, elle n’a rien de différent des boutiques que j’ai l’habitude d’aller, si ce n’est que le quartier. «Ah, dans ce cas, tu devras me servir d’interprète.   » Mon coréen n’est pas du tout au point et à part acquiescer en silence, je ne pourrai rien faire d’autre. Du coup, ce sera Peter le plus occupé de nous trois à répéter chaque question et réponse d’une langue à l’autre. Enfin, peut être qu’avec la différence de langue, Monsieur Yong fera taire sa curiosité. Je le découvre près de son comptoir avec un violon dans la main. Je souris poliment et me courbe pour le saluer. « Je te laisse avec vos retrouvailles.   » Il a surement des choses à lui dire. Je peux toujours demander des renseignements après qu’ils se soient salués. Il y a pleins de choses intéressantes. J’étais venu pour me trouver des cordes de rechanges, mais rien ne presse. J’ai le temps de regarder chaque instrument présent. Il n’y a pas de piano à queue, ni de piano, juste des claviers qui conviendraient plus aux logements de ce quartier. J’effleure des doigts, sans appuyer les touches.

TENUE ✩ J'aime la musique, j'ai toujours aimé la musique. Durant quelques mois, j'ai pu pleinement en vivre et montrer à bon nombre de gens de quoi j'étais capable. Sauf qu'une fois l'affaire classée, je n'ai pas trouvé le courage de toucher à nouveau à un instrument. Je mentirais si je disais que ça ne me manque pas, mais je mens déjà trop souvent. Toru se doute que je n'ai pu définitivement une croix sur cette passion, même si je n'ai pas joué depuis mon départ. C'est plus compliqué que ça, y a un gros manque de temps, mais aussi de volonté. Chaque fois que je vois une guitare, ça me rappel ces journées passées à Tokyo. Alors si j'en rejoue, je crois que je vais finir par déprimer. En route, je lui parle du propriétaire de la boutique, histoire qu'il ne soit pas surpris par son comportement, ainsi que cette sensation étrange qui m'accapare à l'approche du magasin ou du vendeur. Son air étonné me fait sourire, malgré sa phrase. Mes progrès. « Ouais. » Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer dans l'immédiat. « Pas de soucis. Il doit connaître quelques mots en anglais. » J'ai toujours parlé Coréen avec lui, donc j'ignore s'il pourra discuter directement avec Toru ou pas. Entrant dans la boutique, je remarque le vieil homme penché sur un violon, celui-ci relevant la tête au son du carillon. Il salut d'abord le Japonais, puis se redresse à ma présence. Des retrouvailles ? Je lance un regard à Toru, ne l'ayant pas pensé ainsi. Monsieur Yong a déjà quitté son comptoir pour venir à notre rencontre, ou plutôt pour me serrer dans ses bras. C'est encore plus bizarre que mon impression de tout à l'heure. à croire que je l'ai manqué. « Bonjour, monsieur. » Fis-je, plutôt gêné. Il me fait un sourire aux dents manquantes, avant de poser des questions de courtoisie, que je lui retourne après avoir vaguement répondu aux siennes. Je ne parle pas de Tokyo, ni de mon coup peu glorieux. Pas de suite. Pour changer de sujet, je me tourne vers mon cadet, le voyant près des claviers. « Je vous présente Toru, un ami à moi. Je l'ai rencontré à ... à Tokyo, durant mon voyage. » Difficile de ne pas en parler, finalement. Il est surprit, surtout pour le voyage. Il sait que je manque d'argent, que je ne pouvais pas m'acheter d'instrument ou prendre des cours. ça me dérange encore plus, cherchant presque de l'aide chez l'autre garçon... Hélas, il ne parle pas Coréen.

TENUE ✩ Je pense que Peter fuit la musique. Mais j’ai très bien compris que ça lui manquait. On ne peut pas éviter éternellement quelque chose qu’on aime. J’ignore ce qui l’en empêche de jouer mais je suis persuadé qu’il finira par retoucher un instrument. Je n’aime pas les mensonges et la situation de Peter vis-à-vis de la musique me désole. J’aimerai le revoir rejouer. Je pars dans quelques jours donc je n’espère pas de grand miracle mais j’espère au moins qu’il va ouvrir les yeux sur ce qu’est la musique pour lui. En plus d’être un homme gentil, le propriétaire de la boutique est aussi un homme bavard et curieux. Je ne suis pas forcément la plus sociable des personnes mais ça ne me dérange pas de discuter avec le monsieur. Enfin, discuter serait un grand mot puisque je ne sais pas parler coréen et je doute qu’il sache parler japonais. L’anglais reste une solution possible. Je maitrise bien cette langue. En entrant dans la boutique, je salue le monsieur en me courbant. Laissant le temps à Peter de parler tranquillement avec monsieur Yong, je m’éclipse discrètement. Ils ont l’air proches. En tout cas, notre ainé a serré Peter dans les bras. Ils parlent en coréen donc je ne comprends pas un mot à leur discussion. Après quelques minutes à parler, ils se dirigent vers moi. J’imagine qu’il est en train de me présenter puisque je reconnais mon prénom parmi les mots prononcés par mon ainé. Peter a l’air d’attendre quelque chose venant de moi mais je ne sais pas quoi. Il me regarde avec assistance. Mes yeux défilent à droite à gauche, à la recherche d’une solution. Je force un sourire. « C’est chouette ici.  » dis-je en anglais. Je ne comprends pas pourquoi Peter a l’air plus gêné que moi dans cette situation. « Je cherche des cordes pour guitare électrique.  » Je lui décris ce que je veux dans l’idéal pour savoir s’il en a en réserve. J’ignore s’il comprend l’anglais donc je me tourne vers Peter.

TENUE ✩ Ce n'est pas évident de se retrouver dans cette boutique, même avec Toru. Le vendeur me rappel juste combien j'aime la musique, ainsi que la moindre chose qu'il m'a apprise. Sans oublier que c'est un homme gentil, qui adore les jeunes de cette banlieue et qu'il m'a tellement apporté que je me sens mal de vouloir renier la musique dans cet endroit. Toru ne comprend peut-être pas ma réticence, et ce serait trop long à expliquer. Le vendeur est trop affectueux avec moi, comme si je pouvais être son petit-fils. J'ai dû lui manquer depuis le temps, surtout qu'il n'a jamais su où j'étais. Dire la vérité n'est pas mon truc, pourtant je ne peux pas lui mentir. Quand j'énonce Tokyo, je ressens une certaine panique. Comme si monsieur Yong pouvait m'interroger sur tout ce que j'ai fait là-bas, au Japon. Sauf que je tente de retomber sur mes pattes, comme un chat, lui présentant mon ami. Je parle coréen, au damn de Toru qui ne doit rien piger. Des fois, je me dis heureusement que j'ai appris le Japonais. J'avais commencé à l'école, avec une professeur qui donnait gratuitement des cours pour les plus curieux, puis sur place à Tokyo, quand j'ai intégré la famille Yanagi. Toru utilise l'anglais pour se faire comprendre, et là encore, une chance que le vieil homme comprenne ce langage. Je soupire discrètement, tournant ma tête ailleurs que sur le vendeur. Celui-ci s'intéresse subitement à Toru quand il parle de corde pour sa guitare, c'est limite s'il ne va pas lui demander de montrer son instrument. évidement, l'homme ne comprend pas tout, du coup je tente de lui décrire l'instrument. Hochement de tête sur hochement de tête, monsieur Yong fait quelques pas vers son bureau et fouille dans des tiroirs. Je l'ai déjà vu faire, surtout quand il raccorde des guitares. « Il a compris. » Dis-je à Toru. « Je ne sais vraiment pas comment me comporter avec lui. » C'est un aveux. Une chance que je puisse parler Japonais avec Toru, et ainsi être en confidence avec lui, même devant le vendeur. Le temps qu'il trouve ce que l'on cherche, je regarde les guitares et souris. « J'adore cette odeur. » L'odeur du bois, du métal, des cordes, de la moindre matière qui constitue les instruments présents ici. M'approchant d'une guitare électrique -sûrement l'une des seules du magasin, je la saisis et laisse mes doigts parcourir les cordes dans un sons à peine audible. « Si je m'écoute, je repartirai à Royal. » Encore un aveux, ou un souhait. Un désir intense mais étouffé. Lançant quelques notes puissantes, j'accentue la derrière en restant le doigt appuyé sur la même touche, avant de lâcher. C'est plaisant comme bruit, je pourrais en vivre.