Tenue // J'en avais parlé avec Mme Lee -qui m'autorisait quand même à l’appeler Hazel, mais je n'osais pas-, et elle avait accepté de me caler une horaire pour que je puisse m'entraîner seule. Comme avant. Aujourd'hui, j'allais le faire pour la première fois, et j’appréhendais un peu. Je dois avouer que ce qui ne rentre pas dans ma routine me fait souvent peur. J'avais réglé mon réveil plus tôt, par réflexe. On était samedi, et je n'avais pas cours. Je m'étais donc réveillée à Shinjuku, en même temps que le soleil. Le sol carrelé était froid sous mes pieds et je me déplaçais ma serviette enroulée autour de moi. Je n'avais pas eu la force de garder l'appartement que mon frère louait. Il m'en fallait un nouveau. Je passerais mon temps à y pleurer, sinon. Là, il allait être habité par d'autres gens, se remplir de vies d'autres personnes. C'était mieux comme ça.

J'avais fait un tour en ville avant d'aller à RPS. Je voulais prendre mon petit déjeuner dans un café du coin qui servait le meilleur cappuccino à la vanille de tous les temps. La vendeuse commençait à me connaître, avec le temps que je passais là-bas... Je m'étais assise à la terrasse, pour contempler Tokyo, qui se levait également. Mon dos me faisait mal, j'avais travaillé trop penchée hier. Il avait fallut nettoyer les toilettes de fond en comble. Et j'étais seule. Je m'y étais rendue directement après les cours, pour pouvoir me coucher tôt. Un petit couinement de douleur m'échappa quand ma main pressa mon omoplate pour envoyer mon second bras vers l'arrière. Ouch. J'allais devoir bien m'échauffer si je ne voulais pas perdre l'équilibre et tomber lamentablement sur le sol. Enfin, au pire, ça c'était pas grave ; j'allais être seule de toute façon. Je devais juste essayer de ne pas me blesser, nulle part, pour donner le meilleur de moi-même lundi, avec Mme Lee. Je crois que c'est la femme la plus exceptionnelle que je connaisses. Elle est une prof, un modèle ; parfois une sœur. Tout dépends de comment on le prend. Elle est dure, certes, mais c'est ce dont j'ai besoin pour progresser.

Un coup d’œil à ma montre me montra que j'avais presque une heure d'avance. Je pris mon temps sans vraiment le faire ; après tout, le plus tôt sera le mieux. Je montais les escaliers de la section arts, passait devant les salles de cours vides. Ça sentait la peinture fraîche près du club de peinture, et pour une fois la partie musique était silencieuse. J'avais l'école pour moi, en quelque sorte. J'aurais pu en rire et improviser des pointes en me tenant au bureau du professeur ; mais je n'osais pas, vraiment. Je marchais d'un pas déterminé vers la salle de répétition de danse, connaissant le chemin que trop bien. Il fallait traverser la salle pour accéder au vestiaires, et donc enlever ses chaussures dans l'entrée, pour ne pas salir le sol. J'étais tellement perdue dans mes pensées, que je n'entendis pas la musique sortir de la pièce. J'ouvris calmement la porte, en déposant mes chaussures sur le sol comme d'habitude Un sursaut m'échappa quand je relevais la tête. Je n'étais pas seule, en fait.

Ce gars, il me disait quelque chose. Je l'avais déjà vu quelque part, et évidemment j'en avais entendu parler. Il était riche, mais en rébellion contre ses parents ou un truc du genre. L'archétype du bad boy par excellence. Je le toisais, très surprise. Il se mouvait sur une musique rythmée, du rap ou une musique de ce style. Je connaissais ça, mon frère en écoutait. Et puis les gars de l'association, quand j'étais petite, ils dansaient dessus. Mon cœur se réchauffait face aux souvenirs que ça m'évoquait, et un petit sourire franchit la barrière de mes lèvres. Je me repris soudainement en secouant la tête et traversais l'endroit, le visage rouge. C'était gênant de se replonger dans ses souvenirs de cette façon ; je ne voulais pas paraître faible face à une personne que je ne connaissais pas. Je me changeais rapidement, en disant qu'Hazel avait dû lui donner une clé à lui aussi. C'est donc pour ça que j'avais un horaire... parce que je n'étais pas seule.

Tenue (chaussettes descendues) + gilet // Je revins dans la pièce quelques minutes plus tard, en réajustant mon chignon. Rien à faire, un épi se battait pour rester levé. J'avais abandonné, mais je ne pouvais m'empêcher de le plaquer contre le reste de mes cheveux, à cause d'une certaine nervosité. Je m'asseyais sur un petit banc près de l'entrée pour l'observer silencieusement, en attendant mon tour, buvant une gorgée d'eau de temps en temps. Je ne voulais pas, ne serait-ce que m'échauffer devant lui. C'était avec tout le monde pareil ; sauf Hazel bien sûr, mais c'était différent.
Je me laissais totalement porter par la musique, ses enchaînements. J'avais l'impression d'avoir déjà vu certains gestes, c'était étrange. Je me replongeais dans une époque où je n'avais pas encore conscience que c'était de la danse. Un nouveau sourire béat s'installa sur mes lèvres. Je remontais de ses pieds à sa tête en passant par ses hanches et son torse. Il maîtrisait bien, rien à dire. J'avais envie de lui poser des questions. De savoir où il avait apprit tout ça. Je me demandais si ça avait un rapport avec les gens que je ne connaissais dans la rue... C'était tellement semblable! Je me levais sans m'en rendre compte à la fin de la chanson, lorsqu'il s'arrêta. Mes deux mains se serraient l'une contre l'autre ; j'étais stressée. Je pris avec moi un courage que je ne connaissais pas pour lâcher, en brisant le silence : « Où tu as appris ça? ».

Tenue // C'était  une journée  comme une autre  à  mes yeux. Une journée  hors du dortoir, puisque  nous étions  en week-end. Une journée  où  je risquai d'être  bien  seul, sans personne  dans cette immense maison. Mon père  devait bosser sur un nouveau modèle  de robot, tandis que ma mère  se chargeait de son commerce. En gros, ils ne seront pas là  avant ce soir, du moins l'un  s'est  certains. Mon père  a tellement tendance à  découcher à  cause de son  travail. Pourtant, je n'ai  pas la vie dure. Bien  au contraire, je suis nourris, logé  et blanchi par ma famille. Quoi que je fasse, je ne peux qu'aller bien. Il me manque seulement mes parents, justement. Si ils étaient  là  avec moi, peut être que ce serait  parfait. Cette idée  ne me permet pas de rester  éternellement  dans mon lit, me forçant  même  à  le quitter. Lentement, mes yeux se pose sur les chiffres lumineux affichés  sur mon réveil. Cinq heures du matin. Trop tôt. Beaucoup  trop tôt  pour  un samedi matin, pourtant, je n'ai  aucune  envie  de me rendormir. Là ,  dans l'immédiat, je voudrais  simplement  me changer  les  idées . Sortir faire un tour, voir du monde et des couleurs, sortir les odeurs des commerces et des rues. Ma maison m'emprisonne dans sa solitude et j'ai  horreur de cela, être  seul et enfermé.

Chaudement  vêtu  pour  sortir, je quitte rapidement la maison en prenant soin de bien fermé  derrière  moi. Après   tout, la richesse attire les malhonnêtes  et je  ne tiens pas à  être  réprimandé  pour une erreur  si futile. En tout cas, ça  me fait perdre deux secondes de mon temps. Deux précieuses   secondes à  tourner une clé  dans sa serrure. Loin d'être  rabat-joie, je me défais rapidement  de cette pensée pour aller me perdre dans les rues  de tokyo. Comme un mois de février, il ne fait pas chaud et la température  froide me force à  rentrer ma tête  dans mon écharpe  blanche. Je suis trop frileux, en vérité. Moi qui me donne des airs de dur, je  plie devant ce manque de chaleur et ce temps à  rester  à  la maison proche de la cheminée. Gros nul, pensais-je en ricanant pour moi-même. Je risque de devenir  une guimauve  si je m'installe  devant un doux feu. Encore pire si je commence  à  discuter avec  mon petit  robot, baymax. Mine de rien, il a des sujets intéressants à  raconter. Son système  d'analyse  est beaucoup  plus développé  que  celui  d'un  humain, pourtant il me cause  comme si c'était  l'un  de mes potes. Malheureusement, il n'a  ni la taille, ni la forme pour danser avec moi. Je penserai  à  demander  un autre  compagnon à  mon vieux. Le jour où  il  aura  du temps  pour  moi .  

Penser  à  la danse me donne envie, soudainement. Il est à  peine six heures du matin  et je songe déjà  à  me remuer sur une musique  entraînante. Rien  que de l'imaginer, je sens mon corps  faire quelques  mouvements sur le rythme de la ville. Je ris encore, ne faisant  pas  attention aux regards  des gens. J'en  n'ai  que faire  d'eux, qu'ils  me trouvent  étrange, fou ou juste  passionné  ou talentueux. À  mes yeux, ils n'ont  pas tellement  de valeur. Je ne les connais pas et eux  non plus. Qu'importe, j'ai  juste  envie d'un  endroit calme pour danser ... genre, une salle de danse. La seule que je connais est celle de l'école. Pas tellement  accessible  quand  on y réfléchit  bien. Pourtant c'est  bel et bien moi qui ait piqué  un double  des clés à  la proche remplaçante. C'est  quoi déjà  son nom ? Hansel ? Ah non, ça  c'est  le gamin d'un  conte... hazel ! Voilà, lee hazel. A-t-elle remarqué  ce manque dans son trousseau ? Je sais pas et je m'en  fiche. À   moins de me prendre la main dans le sac, elle ne le saura jamais. Voilà  donc mon plan: je file à  l'école, j'ouvre  la salle de cours et je m'amuse  tranquillement. Très  bon plan.

Samedi, école  vide. J'ai  du perdre un peu de temps dehors avant d'arriver  à mon but, mais quelle  importance maintenant  que j'y  suis. D'ailleurs, je ne respect jamais rien puisque  que je ne quitte même  pas mes chaussures  en rentrant  dans la pièce. Non, je pense juste  à  refermer  à  clé  dernière  moi et éviter  de mettre  la musique à  fond. Je suis trop intelligent  pour me faire gauler quand même. Et vu ma tenue à  l'aise que j'ai  enfilé  avant de sortir, je n'ai  même  pas besoin  de me changer. À  croire que je prévoie  tout à  l'avance, même  le câble  pour relier  mon téléphone  à  la chaîne  hifi et polluer  la salle de ma musique  pour racaille. Du hip hop, rien de mieux pour mon style. Les premières  sont plutôt  longue à  venir, mais des  l'instant  où  ça  commence, rien ne peut m'arrêter. Au point que j'en  oublie  le monde autour de moi, et même  la personne qui vient d'entrer  et de passer dans mon dos. Un groupe  d'éléphant  pourrait  retourner  la pièce  que je serais sourd et aveugle. Moi, je me contente  d'enchaîner mes combines, celles  que j'ai  apprise dans  la rue avec mon sensei, comme celles  que j'ai  inventés  par moi-même. Que ce soit au sol ou droit sur mes deux jambes. La musique  ne change pas tellement durant le morceau, tout comme mes pas de danse. Ça  reste  soft et contrôlé, même  plutôt  calme, m'épuisant à  peine. Je ne fais rien de plus qu'une  danse basique.

Le morceau  terminé, je reprend  mon souffle en fixant mon reflet  dans le miroir. Je ne suis  pas seul. Outre  le fait que je la remarque que maintenant, j'entends  aussi clairement  le son  de sa voix. Sa question me laisse  perplexe, comme sa tenue, en fait. Pourquoi  ça  m'agace ? Le simple fait de la regarder  me fout en rogne, alors qu'elle  n'a  rien fait de mal. Automatiquement, je lui répond  d'une  manière  froide et incontrôlé: « qu'est  ce  que  ça  peut te faire ? » C'est  devenu une habitude  d'être hargneux  comme un chien  de garde. « C'est  pas le genre de danse que tu serais  capable  d'apprendre, de toute façon » renchérissais-je avec véhémence, sans me soucier d'être  brusque ou  méchant  avec elle. À  présent  énervé, je m'éloigne  de la danseuse étoile  pour aller débrancher  violemment  mon portable, manquant  d'arracher  la moitié  de mon câble  dans ce geste. Moi-même  je ne me comprends  pas. Qu'est  ce qu'une  danseuse  à  tutu veut savoir du hip hop, hein ? Pff, elle ne devrait même  pas me parler, sérieux. Nous ne sommes  pas du même  monde elle et moi. Arf, me voilà  aigri pour trois fois rien.

Il ne m'avait pas remarquée, du moins je ne penses pas. Du moment où j'ai ouvert la porte à celui où je suis retournée dans la salle, je crois qu'il ne m'avait toujours pas vue. Pas que ça me dérange, loin de là même. Mais j'étais entrain de me dire qu'il devait être tellement impliqué dans ce qu'il faisait qu'il ne faisait pas attention au monde autour de lui. Et dire que moi j'aurais déjà éteint la musique depuis longtemps avant de retourner dans les vestiaires en rougissant... Savoir que quelqu'un m'avait vue danser, ça m'aurait pétrifiée d'angoisse. Vous pensez peut-être que j'exagère, mais c'est pas le cas. Je suis timide en règle générale ; quand je danse, je suis encore plus vulnérable que dans la vie, à fleur de peau. Parce que c'est mon moyen dire ce que je ressens, je n'ai pas envie que tout le monde le voit. Même si bon, c'est sûr que c'est un langage que peu de personnes maîtrisent ; les personnes vraiment passionnées seulement. Mais quand même, je trouvais ça trop personnel pour pouvoir le faire, ça me gênait à un point pas possible. Pourquoi je divague comme ça? Peut-être parce que sa façon de vivre la musique me laissait à comprendre, ou presque, qu'il devait faire partie de ces gens passionnés... de ceux qui liraient ce monologue intérieur. Raison de plus pour ne pas danser devant lui, ça serait encore pire. Et puis habillé comme il est, et vu la musique sur laquelle il bouge, ça se voit que la danse classique, bah c'est pas son truc. Il ne doit pas en saisir la sensibilité. Remarquez, au vu des gestes qu'il fait depuis tout à l'heure, danse ça doit pas forcément rimer avec sensibilité pour lui...

Quand la musique se termine, il se regarde, essoufflé, dans le miroir en face de lui. Ma question, que j'avais pourtant préparée dans ma tête longtemps à l'avance car elle m'intriguait beaucoup, n'eu pas l'air de lui faire « plaisir ». Ma présence non plus, d'ailleurs. Il me toisa de haut en bas, l'air agacé, comme s'il s'offusquait qu'une personne comme moi ose lui poser une question pareille. Qui avait-il de mal? Je portais un justaucorps, donc je n'avais pas le droit de m’intéresser à d'autres danses? Sa réponse m'apparue froide, sèche. S'il avait pu me la cracher au visage, il l'aurait fait. Ce que ça pouvait me faire? Rien, en effet. La suite de sa phrase m'irritait encore plus. Et je lui aurais répondu de la manière la plus polie possible pour lui faire comprendre qu'il allait devoir se calmer, si je n'avais remarqué une chose qui m'étonna de moi-même. Je l'avais interpellé un peu brusquement, en oubliant mes « bonnes manières ». D'une certaine façon, je me plaisais à croire que c'était pour cette raison qu'il m'avait répondu de la sorte. Je n'aurais pas aimé non plus, je crois, que l'on me hèle comme je l'avais fait pour lui. Même si, bien évidemment, je n'aurais pas non plus répondu avec une telle véhémence. Je baissais la tête, un peu honteuse, et lui répondit, cette fois-ci beaucoup moins confiante que tout à l'heure : « Excusez-moi, je... je n'aurais pas du... vous... vous posez cette question... de la sorte... ». Je plaquais une nouvelle fois l'épi sur ma tête, nerveuse et gênée. Je fixais toujours le sol, et lissais désormais mon justaucorps au niveau de mon ventre. J'avais vraiment du mal avec les relations sociales, décidément. Surtout quand il s'agissait de garçons... « Je m'appelle Maylie... et je... suis ici en section danse... c'est pour ça que... je suis là. ». J'avalais ma salive avant de relever les yeux vers lui, en triturant mes doigts. « Et vous? », lâchais-je simplement, rouge.

Je fis ensuite un demi tour pour retourner m’asseoir sur le banc. Un peu recroquevillée, j'avais ramené les jambes sur ma poitrine et posé mon menton sur mes genoux. Je l'observais encore, silencieuse. C'était l'état dans lequel je me sentais bien, l'observation. Ça n'impliquait rien, juste un regard, et c'était exactement ce qui me correspondait. Une nouvelle fois, je me rappelais certains mouvements qu'il enchaînait devant moi à cet instant. Je revoyais les jeunes du quartier se déhancher dessus, se laisser aller. Je ne sais pas pourquoi je fais à ce point une fixette sur ça... Sûrement car ça me rapprochait de l'époque où il vivait encore. Je m'étais fait comme un devoir, depuis quelques minutes, de savoir où ce jeune homme avait bien pu s'inspirer pour ses chorégraphies. Mon cœur battait en même temps que je me préparais à une éventuelle déception. Peut-être que c'était des mouvements basiques, et que je me faisait des films toute seule, parce qu'un peu de hiphop passait sur le lecteur CD et qu'il bougeait vaguement comme dans mes souvenirs... Mais je voulais en avoir le cœur net. Aussi, j'attendis une nouvelle fois patiemment qu'il termine ses enchaînements avant de défroisser ma position. Un air presque suppliant sur le visage, je lui demandais, d'une voix claire : « Je t'en prie, je te demande pas grand chose... Dis-moi juste d'où tu sais tout ça... Réponds-moi ce que tu veux, je te croirais... ». et là, évidemment, mes bredouillements avaient cessé. Quand il s'agit de mon frère et de mes souvenirs, c'est sacré. Je peux changer totalement à cause de ça, de la même façon que je changeais totalement quand il était avec moi. Mais quand même, le garçon qui me regardait devait se poser tout un tas de questions...

Cette fille aurait pu faire n'importe quoi que je ne l'aurai même pas remarqué. C'est toujours ainsi quand je commence à danser, plus rien ne compte autour de moi. Peut-être devrais-je t'être plus réservé et intimidé par le regard des autres, mais pourtant non. Bien au contraire. J'ai tendance à danser n'importe où, n'importe quand. Leurs yeux ne me font rien, eux-mêmes ne me font rien. Je me sens invisible, indestructible, quand je me met à bouger sur un rythme quelconque. Ils peuvent bien murmurer, critiquer ou m'admirer, cela ne me fait ni chaud ni froid. à la limite, je pourrais prendre la grosse tête et me sentir meilleur que je ne le suis, haha. En attendant, je n'ai pas daigné une seconde faire attention à elle, continuant à danser sur ma musique underground. Plus je m'affiche, et moins je m'embarrasse. Que dis-je, jamais je n'ai été gêné de danser, que ce soit seul ou accompagné, seul ou observé. Je me sens libre comme un oiseau, un rapace à l’afflux de sa proie: la perfection. Il n'y a rien de plus envieux que frôler la perfection à chaque nouveau pas de danse. Même si j'échoue, ça ne m'empêche jamais de reprendre, que ce soit de zéro ou d'après. Qu'importe, vivre la musique s'est comme manger ou dormir, un besoin vital. Un désire d'être toujours meilleur, d'être fort, de se sentir capable de déplacer des montagnes. Rien à voir avec la sensibilité et la fragilité de ces danses pour filles. C'est tellement ridicule, le balais. Ballet ? Bah, pareil, faudrait faire le ménage là-dedans, moi je dis. Un bon coup de balais, justement.

La musique terminée, j'en fis de même avec mes mouvements, stoppant aussitôt mon corps pour reprendre mon souffle. Mine de rien, j'ai dû m'emporter de trop pour avoir besoin d'autant d'oxygène. Au moins, je suis fier. Je gère plutôt bien ma chorégraphie, et cela me réjouit. Jusqu'à voir cette silhouette, puis entendre cette voix. Comme j'ai horreur de ce genre de personne, ces filles-là avec leur justaucorps ridicule. Automatiquement, je m'emporte contre celle-ci, négligeant autant sa question que la personne. Je ne fais pas tellement attention à mon comportement, tellement j'ai l'habitude d'être ainsi avec la plus part des gens. C'est mal, mais je m'en fous. Mes mots sont cru, ma voix froide et désagréable. Je ne manque pas de lui montrer que sa présence me dérange, et qu'elle ferait mieux de ne pas me parler. La pauvre ne devait plus savoir où se mettre après cela, et je ne m'en sentais pas désolé pour autant. Elle pouvait bien dire ce qu'elle voulait, ça m'agaçait toujours plus. Partir, ce serait mieux pour elle. Ou juste disparaître de mon champs de vision. Sauf que non, elle n'est pas décidé à déguerpir comme je l'espérais en me comportant comme un salaud. « Tu n'aurais pas dû la poser du tout. » Appuyais-je sans gentillesse, mon attention se portant sur son geste malgré moi. Elle se battait avec un épi de cheveux, rendant sa coiffure un peu en désordre. Pourquoi je regarde cela ? Pourquoi je regarde le moindre de ses gestes ? Je la vois lisser son vêtement trop près du corps, l'air intimidé. Je ne l'ai pas épargné, apparemment. Maylie ? Elle danse aussi ? Non, ça, je m'en doute déjà en voyant sa tenue. Qu'elle me retourne les présentations m'énerve aussitôt, et je me presse de l'ignorer en lui tournant le dos. Pff, comme si j'allais sympathiser avec une ballerine.  Sans réponse, la demoiselle s'en alla sur un banc pour s'y recroqueviller. J'y suis aller un peu fort, mais tant pis.  

Je retournais ensuite vers la chaîne hifi, bidouillant mon portable pour changer de musique et mettre quelque chose de moins violent, de moins agressif. Les premières notes se déversaient dans les enceintes, tandis que je me remettais au centre de la pièce, ignorant toujours la danseuse étoile. Cette dernière m'observait en silence, et malgré la patiente qui m'habite, je ne pouvais pas faire abstraction de ses yeux ancrés sur moi. Finalement, elle me gêne. Dans le sens où ça m'agace, pas dans celui où ça pourrait me faire rougir. Oh non, loin de là. Néanmoins, je tente de me concentrer à nouveau dans ma danse, reprenant mes enchaînements en me disant qu'elle n'est pas là. Avec ma façon dégueulasse de me comporter, cette fille n'a pas été dissuadé pour un brin. Je crains qu'elle soit folle... Peut-être qu'elle m'admire en secret ? Beurk, non! Pas une princesse tutu, pitié. Je suis bête. Elle a réussit à me perturber dans ma chorégraphie, rendant le résultat plutôt médiocre. Du moins, à mes yeux. Je me suis sentis bien plus nul et inexpérimenté que les premières minutes de ma vie à danser avec les gars du quartier. Où j'ai appris ça ? Punaise, mais elle est collante! Qu'est-ce que ça peut bien lui faire de savoir où j'ai appris ce genre de danse ? Une nouvelle fois en rogne, je fis mine de l'ignorer pour aller éteindre mon téléphone et le débrancher. Elle ne compte pas me lâcher avant d'obtenir une réponse, c'est ça ? « J'ai appris seul, contente ? » Répondis-je désagréablement en lui lançant un sale regard. Ce n'est qu'un mensonge. Je n'aurai jamais pu en apprendre autant par moi-même. Mon « sensei » m'a bien aidé à gravir les échelons pour devenir meilleur, pour gérer sans tomber, ou pour me relever quand je chutais. Cette fille n'était pas obligé de savoir la vérité, alors je m'en fichais de lui mentir. « Tu as cours, là ? » Voulais-je savoir à tout hasard, que je me casse avant qu'elle ne débute. à cette question, je portais mes yeux sur l'écran de mon portable. Wow, ça fait un moment que je suis là, en fait.

Si j'avais une haute opinion du ballet, on ne peut pas dire que je « haïssais » totalement le hiphop. Je voyais ça de très loin. Je ne m'y connaissais pas, et sincèrement je n'arrivais pas à en comprendre la sensibilité. On dirait un combat ; un coup à chaque mouvements. Toute cette violence, c'est décidément pas pour moi. Mais bon, ça doit permettre à tous ces jeunes des rues de se défouler. Et puis, il vaut mieux une battle de dance qu'un vrai combat. Le problème, c'est que parfois, certains mélangent tout. Avec mon frère, c'est ce qu'ils avaient fait. Tout mettre dans le même panier. Je ne connaissais aucune ballerine qui ne se soit faite tuée dans une ruelle sombre, parce qu'elle savait mieux faire des pointes qu'une autre. Même si la compétition est rude, on sait rester professionnels. Je sais bien ce que vous allez me dire : au final, je ne savais même pas pour quelle raison Charlie avait été froidement abattu. Mais je vais vous répondre simplement ; je m'en fiche, puisque le résultat est le même. Lui qui avait toujours voulu être libre se retrouver froid, et enfermé entre quatre morceaux de bois, six pieds sous terre. Je devrais arrêter maintenant de divaguer comme ça, avant de me mettre à pleurer pour rien ; et surtout devant l'être odieux qui se tenait fièrement devant moi. Comme si j'avais envie de partager quoi que ce soit avec lui.

Étaient-ils tous comme ça? Les bad-boy qui se la jouait? Moi qui croyait qu'ils se donnait un genre pour suivre leur groupe. En fait, même seuls, ils se comportaient mal. L'exemple qui confirma la règle, c'est mon frère ; il était si gentil, doux, à l'écoute. L'inverse total de ce danseur de pacotille qui me criait presque dessus. On peut pas dire que j'avais été méchante avec lui, en plus. J'avais fait l'effort de rester polie. Amicale. Sur le moment, j'étais à un tel état de gêne, que je n'avais pu que m'excuser. Il est vrai que je n'avais pas été totalement aimable, à l'interpeller comme ça. Mais je m'étais rattrapée, non? Pourquoi continuait-il d'être si dédaigneux à mon égard? On ne se connaissait pas, si? Pourquoi arrivais-je à lire tant de mépris dans son regard? Je crois que c'est parce que je portais un tutu. En attendant, je ne pouvais que me débattre pour lisser ce sale épi ; pas seulement, je tentais de lisser mon vêtement également. Chaque partie de moi, en fait. Je m'appliquais à me lisser jour et nuit. Pour être parfaite. Ça me permettait de penser à autre chose, puisqu'être parfaite, c'est du boulot à plein temps. J'étais encore loin du compte, mais je m'appliquais quand même. Cet idéal, ce but, c'était tout ce qu'il me restait. Bon soit, cette question, je n'aurais pas du la poser du tout selon lui. Je ne répondis pas, me contentant d'hocher mollement la tête en avalant ma salive. Je me rasseyais, me pliait à ses affirmations. Sincèrement, même si son comportement m'agaçais, je ne pouvais m'empêcher de vouloir ne pas le déranger. Je tentais de ne pas être de trop, de me faire toute petite. Je crois que c'est raté, mais bon...

C'est peut-être le fait que la musique qu'il lança ensuite était plus douce ; mais je repris suffisamment confiance pour insister un peu plus. Je sais pas pour quoi je passais. Ni ce qu'il pensait. Ni quelles conséquences cela aurait sur sa vision de moi. Hey, mais attendez : j'en avais rien à faire de sa vision de moi! Maylie, ressaisi-toi. Ce gars est un bourge mal élevé, alors impose-toi un peu plus. Tu renvoies toujours l'image de la petite fille fragile, même si tu n'en penses pas moins. C'est l'occasion, va-y... « Non, pas contente. Tu te rends compte de la façon dont tu me parles depuis tout à l'heure? Je ne crois avoir fait quoi que se soit pour que tu sois si désagréable avec moi! ». Je tremblais. Et pas qu'un peu. Je m'étais levée un peu plus tôt, et mes mains toujours occupées à lisser le tissus sur mon ventre étaient prises de spasmes incontrôlés. Mon cœur battait la chamade, et j'avais les jambes en compote. Je n'osais pas souvent répondre ainsi, et pour moi, c'était toujours une révolution. Je ne devais pas être très crédible, c'est sûr, mais au moins j'avais dit ce que j'avais sur le cœur. J'avais baissé mes yeux qui le fixais vers le sol, encore un peu sonnée après cette « pseudo-rébellion ». Je m’asseyais une nouvelle fois, de peur de défaillir pour de vrai. Quelle chochotte, je vous jures. En plus, sa réponse ne me convenait vraiment pas. S'il avait appris seul, ça voulait dire que toute ma théorie tombait à l'eau. Finalement, je m'étais trompée ; absolument rien ne me reliait à ce jeune homme. Tant mieux, au final.

Sa question me fit relever la tête. Cours? Je le regardais, l'air surpris. Ah oui, il devait penser que ma classe ne devrait pas tarder. Peut-être cela voulait-il dire qu'il était là de façon « non-officielle »? Autrement dit, il avait forcé la serrure, ou un truc du genre? « Non, pas du tout... Je venais juste m'entraîner... ». Vraiment, je n'osais pas lui demander ça. Mais une nouvelle fois, ma curiosité l'emporta sur ma timidité : « Et toi... Pourquoi tu... es là? », lâchais-je, en continuant de le regarder. Je le détaillais un peu plus ; il représentait vraiment le stéréotype du mec qui parcours les rues, deal de la drogue, parle fort et engage des prostituées. J'espérais pour lui que ce n'était pas le cas ; on sait tous que ça finit pas toujours bien, ces trafics douteux-là... Et tomber là-dedans, je le souhaite pas à mon pire ennemi.

Nous sommes vraiment à deux pôles opposés, elle et moi. Bien qu'elle m'est interpellé d'une quelconque façon, ça n'explique, ni ne l'excuse, mon timbre de voix. Je suis désagréable avec mes mots, mauvais avec mes paroles, comme si j'étais à deux doigts de la balancer en dehors de la pièce. Pourquoi ? J'en sais rien. Vraiment, pourquoi ? Parce que c'est une danseuse étoile, et que j'ai horreur quand ces « trucs » s'approchent trop près de moi. Un peu comme avec la professeur de danse classique, Lee Hazel. Alors elle, c'est même un haut level de désagrément. En tout cas, cette fille-là face à moi n'échappait pas à mon mauvais caractère et à ma sale humeur. Je ne suis pas né dans les rues, mais j'y ai vécu vaguement un moment, autant comme spectateur que pratiquant. J'ai longtemps observer les autres habitués des quartiers malfamés, en admiration devant leurs talents, leurs fiertés et leurs courages. Pour moi, seulement eux méritaient mon respect, mon attention, mes applaudissements. Une ballerine, ça vit dans le confort, la luxure, les pompons et autres machins gnangnan dans le même style. Des stéréotypes qui me bouffent un peu trop, malgré mes différentes opinions. Mise à part le hip hop et autres danses violentes, qu'est-ce qui m'inspire ? Rien, faut croire. Petit cerveau étriqué que je suis. Quant à la demoiselle en tutu, je devais l'avoir froissée pour qu'elle ne cesse de s'arranger, autant avec ses cheveux, que sa tenue. Quel être méprisant puis-je t'être. Au point qu'elle ressemblait à une souris devant un chat, cherchant juste un trou où se terrer et se cacher. Bah voilà, je lui ai fait peur, apparemment. Quelle importance, pensais-je en reprenant mon entraînement solo devant le miroir, ma musique de mal élevé résonnant à nouveau dans la pièce. Je la force limite à écouter celle-ci, bien que je me force à dire qu'elle n'a rien à foutre là. Au final, je ne prêtais même plus attention à elle.

Second round, le retour de la ballerine. Cette fiche me lâcherait jamais les bask', ma parole! à peine ma chanson terminée, qu'elle revenait m'adresser la parole. Punaise, c'est comme une mouche autour d'une mer- Non, plutôt une abeille autour d'une fleur. Bah, l'un comme l'autre,, c'est moche! Dans les cas, elle m'agace d'avantage, et ce n'est pas bon pour elle et son tutu. Le soulèvement des ballerines, first chapter. Cette fille me parlait avec une assurance que jamais, ô grand jamais, je n'aurai douté. Une veine devait palpiter contre mon front, marquant la colère qui grouillait en moi. Bordel, quelle enquiquineuse. « Comment dire cela simplement et gentiment... J'en ai rien à fiche ? » Tentais-je de dire d'une façon posée et maniérée. Ouais, voila, je m'en bats les cou*lles. Elle tremblait comme un chiot, sur le point de me clamser entre les mains. Sérieux, qu'elle se calme avant de mourir sur place! Je tiens pas à avoir sa mort sur la conscience, tss. Pourquoi faut-il qu'elle insiste pour se mettre dans un état aussi médiocre ? Je comprends pas les danseuses étoiles. Ni même pourquoi elle veut tant savoir. Mentir, c'est une solution à chaque problème. Elle n'a pas à savoir où j'ai appris le hip hop, ni avec qui. Au final, mieux vaut que rien ne nous relie, surtout avec de tels différences. Elle défaillit, retournant s'asseoir par manque d'équilibre. J'y crois pas... Tout ça, pour ça ? Elle joue les dures, elle me fait sa rébellion, pour mieux se vautrer ? Pff, qu'elle ne fasse rien à ce prix-là! J'en soupirais avec mépris, prenant ce petit air hautain pour la dévisager. Une vraie poule mouillée, je vous jure. à peine capable de s'imposer à un mec à peine plus âgé. D'ailleurs, elle avait quoi... Dix huit ans ? Dix neuf à tout casser ? Et ça joue les grandes, ahlala.

Bon, qu'est-ce qu'elle comptait faire, finalement ? Je ne vais pas passer une heure de plus ici avec elle dans la même pièce. C'est méchant, mais bon, je ne suis pas non plus l'être super gentil du monde. Ah ? Elle s'entraîne, elle ? Depuis quand une ballerine s'entraîne pour tournoyer et faire des pointes ? C'est tellement ridicule et facile... Non, je n'ai jamais essayé, n'allez pas croire n'importe quoi ! Puis, elle me retourna ma question. Je plissais mes paupières, la jugeant deux secondes avant de répondre naturellement. « Je m'entraîne, aussi, pardi. » En voilà une question stupide! Qu'est-ce que je fous depuis tout à l'heure, à son avis ? « Tu n'es pas trop fûte-fûte, ça ne m'étonne même pas d'une ballerine. » Me moquais-je avec un sourire en coin. C'était quoi déjà son prénom, Maylie ? Bizarre, jamais entendu un tel nom de ma vie. « Maylie... Tu ne viens pas d'ici, hein ? » J'ignore si je suis curieux et qu'elle m'intrigue malgré mes préjugés sur les danseuses classiques, ou si je fais juste ça pour mieux l'enfoncer après. En fait, ça dépendra de mon cerveau, de mon esprit. Pour le moment, je ne danse pas et elle non plus. Je me contente de l'interroger vaguement, sans réelle émotion, à part un sourire en coin. Ce serait étonnant que je me montre docile à la seconde, quand même. Au pire, je finirai par la casser pour mieux reprendre de ma supériorité. Je sais, c'est mauvais. Sûrement moins que l'image qu'elle pourrait se faire de moi. Genre, comme si je pouvais être ce genre de mec dealer de drogue et proxénète par dessus le marché. Non, je ne touche pas à tout cela. La rue, ça ne m'attire que pour danser et traîner avec des gars comme moi. Pas des désespérés de la vie, sans aucun avenir.

Sur ce point, je ne dois pas rentrer dans les cases. Je ne suis pas le genre de fille à papa qui a toujours vécu dans le luxe. J'ai jamais eu de limousine ou de villa pour mon anniversaire. Ni d'ordinateur, de paires de Louboutin, de vêtements de créateurs. Je n'ai jamais eu de cours de maintient, ou de bonnes manières. Je ne suis pas fiancée, je n'ai pas de poney, ni d'étoile qui porte mon nom. Je suis née à Seattle dans un garage, j'avais des fruits frais comme cadeaux de Noël, je réutilise toujours les mêmes pointes, que je recoud inlassablement. J'ai peur de la compagnie des hommes, surtout si elle se veut intime. Je ne suis pas de ce monde, les paillettes ne me collent pas à la peau. Je m'y efforce, mais c'est dur. En même temps, je dois tenter de rester moi-même, de ne pas me laisser atteindre par le show business, les promesses en or, les sales coups. Les quartiers mal fréquentés, c'est là d'où je viens, l'air de rien. Les gens ne le savent en général pas. Et je tente de ne pas le montrer. Mais les choses en lien avec mon frère, ça a tendance à me faire flancher. J'ai envie d'en savoir plus sur lui, les endroits où il allait quand je travaillais ma danse, les personnes qu'il rencontraient alors que je l'attendais le soirs. Sûrement a-t-il aimé des filles. Eu des meilleurs amis. Tant de personnes que je n'ai jamais connues, et que je ne connaîtrait certainement jamais. La seule chose dont j'étais sûre, c'est qu'il savait faire du hiphop. Et qu'il aimait ça. Il dansait peu devant moi, il savait la terreur que cela m'inspirait ; mais pour autant, je le savais. Je voulais approfondir ce lien, ce fil qui restait, et qui me rattachait à lui. Même si pour ça je devais parler avec un garçon qui ne connait pas les bonnes manières et me parle mal depuis tout à l'heure. Et qui qui plus est, me fait peur avec ses mouvements hachés. Tsss... Je dois être idiote pour penser que mon frère aurait pu avoir un quelconque lien avec lui. Ils étaient -et c'est un euphémisme- totalement à l'opposé.

Ridicule. Je devais être clairement ridicule. A insister comme ça, comme une mouche collé sur du scotch. Surtout si c'était pour trembler derrière. Mais j'étais comme ça, et c'est pas maintenant que ça allait changer. Il me toisait avec un air méprisant au possible. Je devais être, visiblement, la dernière personne qu'il avait envie de voir. Ça va de soi ; c'est la même chose pour moi. « Tu n'es pas juste mal élevé en fait, tu es foncièrement méchant. », marmonnais-je entre mes dents. Avant de retourner m’asseoir. Encore plus ridicule ou inutile, voyez-y ce que vous voulez. Je me sentais mal, sérieux. Je n'avais pas l'habitude d'être face à des cas pareils. En général, les gens que je rencontraient étaient plutôt gentils avec moi -s'il me remarquaient, bien sûr. Gentil, ou tout du moins polis. Mais là... j'étais totalement décontenancée. Je ne savais pas comment réagir face à ses « agressions » verbales répétées. Je ne sais pas quoi faire, je préfères le toiser de loin. J'avais prévu de ne plus lui adresser la parole, jusqu'à ce qu'il s'en aille.

Mais c'est lui qui réengage la conversation. Je ne sais pas si j'en suis heureuse ou non. A vrai dire, je ne comprend pas trop pourquoi ; il doit avoir peur pour sa peau, s'il est là en ayant forcé la porte, ou un truc du genre. Ou alors il essaie juste d'être un peu gentil... je sais pas trop. Je suis naïve, j'en ai conscience, mais c'est surtout parce que je n'ai pas envie de voir le mal partout. Je pense que lui et moi, on est vraiment pas faits pour s'entendre, sur ce point là non plus... On est si différents, c'est dingue. Un soupir m'échappe face à sa réponse. Bien sûr qu'il s'entraînait. Quelle idiote je fais. « Epargne-moi tes remarques désobligeantes, pitié. J'en ai suffisamment entendue. ». Je savais rester calme. Très souvent, d'ailleurs. J'avais un petit côté timide, qui me faisait souvent passer pour « la bonne poire ». Mais je sais répliquer quand il le faut. Et en l’occurrence, là, il le faut. Il m'avait vraiment agacé, avec ses sous-entendus là. Comme si les ballerines étaient toujours des petites princesses avec le cerveau vide. Pfff. Ça se voyait qu'il n'avait jamais fait de danse classique. Cela demandait une telle rigueur, il fallait se concentrer au maximum. Et c'était, pour moi, une forme d'intelligence. Quel abruti, pensais-je fortement. Je le trouvais de plus en plus décevant. Ses préjugés étaient vraiment poussés à l'extrême. Remarque, les miens aussi ; faut dire qu'il les motivaient bien... Sa question me surprit d'autant plus que je ne me doutais pas que mon nom « l'intriguait ». Pourquoi il me posait cette question? Je le toisais, l'air surprit, ne sachant que répondre. Au final, je crois que ça me faisait plaisir qu'il s’intéresse un tant soit peu à ça. Je suis lunatique, vous ne trouvez pas? La seconde d'avant il m'agaçait au plus haut point, et maintenant je trouvais ça sympa qu'il s’intéresse à l'origine de mon prénom. « Non, je... suis, euh... », je bafouillais un peu, toujours incrédule. « ... américaine, à la base. Je suis née à Seattle. », terminais-je, les joues rouges de gêne. Pourquoi j'avais besoin de préciser ça? J'aurais pu lui sortir un truc du genre « Non, je ne viens pas d'ici. », avec un ton froid. Mais je n'y arrivais pas, il fallait que je lui trouves des qualités dans cette mare de défauts. « Et toi? », osais-je finalement, « Tu veux bien me dire comment tu t'appelles? ». Je le connaissais de vue, mais autant vous dire qu'on avait pas du tout les mêmes fréquentations. Du coup, bah, je n’avais aucune idée de comment il s’appelait. Plus ça allait, et plus c'était lui qui m'intriguait. Je n'étais pas la seule à être lunatique, hum.

Méchant ? Moi, méchant ? Elle plaisante, quand même ? Je ne suis pas méchant, ni mal élevé. Qu'est-ce que dirait mes parents si ils entendaient ça, hein. Quoi que, on ne peut pas dire qu'ils m'aient vraiment bien élevé, ni été très présents. M'enfin bref, ce n'est pas sympa de dire une telle chose. En même temps, je ne le suis pas non avec elle, depuis tout à l'heure. Le simple fait de la voir dans cette tenue et de l'imaginer danser, ça m'agace et me répugne. D'où me vient cette haine et ce mépris envers les ballerines ? Nous ne sommes pas du même monde, voilà tout. Elle danse sur du mozart et du beethoven, moi je pratique sur du kanye west ou du chris brown. Ce serait comme mettre un caniche royal et un bitbull sur le même ring, inconcevable. Je risque juste de la bouffer, d'en faire mon repas. Nous ne dansons pas sur les mêmes notes, les mêmes paroles. Je suis dans l'illégale, adepte d'une certaine violence. Elle est dans le juste, élève de la douceur et de la délicatesse. Le jour et la nuit, vraiment. Maintenant, de là à dire que je suis foncièrement méchant... Un peu, quand même. J'ai grandi dans la rue, vécu dans la richesse et l'isolement. Mes parents ne voulaient pas que je fréquente des racailles, ni que je délaisse l'école, alors ils ont prit des mesures plutôt sévère. J'ai tenu quelques années avant de retomber bien bas, dans les quartiers malfamés de Tokyo. Mais on s'en fiche, ce n'est pas de cela que je parlerais avec elle. Non, je veux juste savoir si elle a cours et si elle compte rester bien longtemps ici. Apparemment, ouais.

Nous étions tous les deux là pour s'entraîner, faut croire. Sauf que nous ne pouvons pas le faire ensemble, vu la différence de musique et de danse. Puis, je n'ai aucune envie de terminer aveugle ou sourd à cause d'elle. Faut dire, elle n'est pas très maligne, ça ne m'étonne pas venant d'une danseuse étoile. Mon mépris va finir par la faire fuir, ou la rendre malade, j'en sais trop rien. à moins qu'elle ne s'agace et me donne une image différence de la princesse que j'ai d'elle. Une sorte de Fiona, dans Shrek. Ou pas. Toujours avec ses bonnes manières et sa façon polie de me répondre. Répugnant, beurk. Elle est loin du modèle underground que j'ai l'habitude de fréquenter, sérieux. Pas de mini short, ni de haut au dessus du nombril, pas de bonnet, ni de cheveux long et lâché. Rien semblable à ses filles provocantes des quartiers chauds. Outre le fait que je baisse dans son estime depuis quelques minutes déjà, son prénom m'intriguait réellement. était-ce une envie ou une folie de ses parents, ou était-elle vraiment d'origine étrangère ? J'ai beau la juger sur son domaine et son répertoire, j'ai quand même une pointe de curiosité, aussi étonnant que cela puisse être. De toute façon, nous étions dans la même pièce, à quelques pas l'un de l'autre. Autant faire quelque chose qu'être snob et complètement je-m'en-foutisme. Vous me direz, ça ne change pas de mon précédent comportement, mais bon. Là, je fais un effort sans raison, juste parce que je me demande d'où elle vient pour se nommer Maylie. En même temps, ça me rappel mon « sensei » et son nom occidental. étrange coïncidence, n'est-ce pas ? Charlie, si je me souviens bien. C'est ainsi qu'il s'était présenté à moi, avant que je ne décide de le surnommer autrement.

Seattle ? Elle est donc Américaine. Intéressante, mine de rien. Je connais pas beaucoup de monde qui soit étranger. à part Hazel, et anciennement aniki. Pour seule réponse, j'hochai doucement la tête comme pour dire « hm, d'accord », l'air plutôt sérieux. Moi ? Je suis japonais, pardi! Ah, c'est vrai qu'elle ne connait même pas mon nom. C'est d'ailleurs la seconde fois qu'elle me le demande. Résigné, je lâche un soupir, passant ma main sur mon visage humidifié par l'effort et la sueur. Une douche ne me ferait aucun mal. « Miyaki. » Répondis-je finalement, sans en dire plus. Je lui donne juste mon nom de famille, pour le moment. Elle n'a pas à en savoir plus sur moi, puisque nous nous reparlerons jamais après ça. « Je suis japonais, si c'est cela que tu voulais savoir avec ton "et toi ?" » Sait-on jamais si elle se pose encore la question sur mes origines. Je n'ai jamais quitté cette ville, même en ayant une famille riche. Bref, ma séance de danse touchait à sa fin pour ma part. Je retirai mon haut, sans me soucier d'elle, et m'essuyait négligemment le visage. C'est sale, mais qu'est-ce que je m'en fou. « Si tu veux danser, vas-y. Je ne vais pas tarder à y aller de toute façon. » L'informais-je en lui lançant un regard, tentant bizarrement de voir une quelconque réaction venant d'elle. En y pensant, je n'ai même pas prit des rechanges... Bah tant pis, je remettrais les mêmes vêtements, je vais pas rechigner pour ça. En tout premier, j'allais débrancher mon portable, coupant la musique qui continuait de se déverser dans les enceintes, plongeant la pièce dans un silence sûrement bien mérité. D'ici peu, elle serait envahit par du classique et je ferais mieux de partir avant que cela n'arrive. Aucune envie d'écouter cela.

Pour une fois, j'avais réussis à dire vraiment ce que je ressentais. Ce que je pensais de lui. Il avait réussit en un temps record à me dégoûter. Bravo, j'applaudis l'artiste. J'ai un côté timide, c'est bon, je suis au courant. Mais faut pas trop me chercher non plus, et les gens ne savent pas ça. Alors oui, faut vraiment me pousser à bout, ou pointer le doigt sur les choses qui font mal. Ce gars, là, Yukine comme j'allais l'apprendre plus tard, il m'avait eue à l'usure. Mes mots, je les avaient pesés, et je ne les retireraient pas. Il m'avait agacée, et j'en étais à un point où je ne me souciait plus vraiment de ce qu'il pensait de moi. J'avais un peu trop tendance à me fier au regard des autres, et ça me jouais des tours. Maintenant, je m'habillais le plus sobrement possible, pour tenter de passer inaperçue. Je portais des lunettes, derrière lesquelles je me cachais à la fac. Aujourd'hui, je n'en avait pas (il faut dire que je ne m'attendais pas à rencontrer quelqu'un..), mais même ainsi, je ne cherchais pas à correspondre à un « type ». Plaire à un garçon, c'était le cadet de mes soucis. Je me disais souvent que je finirai vieille fille. Ça ne me rendait plus triste, maintenant, j'étais habituée. Je n'avais pas la prétention de me dire qu'un garçon pourrait me regarder autrement que comme une amie, et je ne le recherchais pas. Passer inaperçue, me fondre dans la masse, c'était ce que j'arrivais le mieux à faire. Les gens ne cherchaient pas à me parler, mes rencontres passaient par la danse, en règle générale. Je me disais à cet instant, que je n'avais jamais établi de « garçon idéal » dans ma tête ; une chose est sûre, si j'avais des critères, il ne rentrerait dans aucun.

Mais bizarrement, le fait qu'il me pose une question me donna un peu d'espoir. Peut-être n'était-il pas si méchant? Juste... timide? Ouais, nan, en fait c'est pas crédible du tout. Vu la façon dont il s'adresse à moi et me toise depuis tout à l'heure, je doute qu'il sache ce que c'est que de ressentir de la timidité... erm. Alors je lui réponds, un peu gênée, un peu confuse. Avant de lui retourner sa question. Il avait attisé ma curiosité, sincèrement. Je le fixais, en attendant qu'il me répondes. Je regardais la sueur qui perlait sur son front, et son avant-bras qui se tendit pour que sa main puisse l'essuyer. Je le fixais, encore, lui et son regard dur, ses traits tirés. Sa peau pâle. Ses yeux noirs. Sa bouche qui lâcha un soupir. Soupir qui me sortit de ma contemplation. Gênée, je baissais le regard. J'étais sérieuse, là? Je venais de le fixer? Je toussotais, n'en revenant pas moi-même. On se ressaisit. Sa réponse me fit presque sursauter. Miyaki, donc? Je vois. Je ne savais pas s'il s'agissait de son nom ou de son prénom ; enfin, on était au Japon, les inconnus ne doivent pas connaître votre prénom si facilement, normalement. C'était une différence face aux USA, et une chose qui m’avait étonnée, quand enfant j'étais arrivée ici, et que mes camarades s'évertuaient à m'appeler par mon patronyme. Il me donna même son origine, toujours sur un ton froid et moqueur. Je hochais la tête, toujours les yeux vers le sol, et lui répondis simplement : « Je vois. ». J'étais un peu perdue dans mes pensées, la tête ailleurs. Voulait-il me dire par là qu'il ne connaissais que le Japon? Je n'allais pas lui poser la question, ou j'allais passer pour une groupie sans nom. Je la gardais donc pour moi, en me disant que de toute manière, ça n'étais pas si important.

Je ne relevais la tête que quand il m'interpella une nouvelle fois. Oh. Mes joues retrouvèrent leur teinte rouge vermeille. Il était... torse nu... et puis... on était que tous les deux... Je détournais le regard, en jetant un rapide coup d’œil à ma tenue dans le miroir. Charlie m'avait suffisamment prévenue sur le fait que les garçons étaient des « bêtes » comme il disait, et que je devais faire très attention. Je rougis de plus belle, totalement perdue. Pourquoi il avait fait ça? Je mis un temps à replacer les mots dont il m'avait fait part dans ma tête, pour qu'enfin ils prennent un sens cohérent. « Je... je... oui, d'accord... ». Je ne voulais pas danser devant lui, j'allais donc attendre qu'il parte vraiment pour le faire. Mais je pourrais au moins m'étirer un peu. La musique s'éteignit brusquement, me faisant sursauter. Je me levais avant de me dire que mon CD était dans mon sac, et mon sac au vestiaire. Donc bon, vu que « monsieur » y était, j'allais pas m’incruster, hum. Je crois que j'en avais déjà trop vu. J'entendais la douche couler, mais n'y prêtais déjà plus attention. Une fois assise sur le sol, mais jambes s'étirèrent en un grand écart, et mon buste bascula vers l'avant, les mains écartées, la tête rentrée. J'inspirais et expirais doucement, par la bouche, pour détendre au mieux mes muscles. Je répétais l'opération à plusieurs reprises, histoire d'être sûre de ne pas avoir de claquage.

La porte des vestiaires se rouvrit alors que je faisais quelques points pour échauffer mes chevilles. Je le regardais partir, dans les mêmes vêtements que tout à l'heure. La porte claqua, sans un mot. Je ne sais que dire sur cette rencontre... étrange, disons.