TENUE ■ La tête dans mon bouquin, je slalome entre les différents étudiants. Quand j’étais au lycée, je n’avais pas spécialement d’intérêt pour les études. Les cours je les suivais parce qu’il le fallait. Mais franchement vous dire, ça me soulait grave. Je ne trouvais pas grand-chose d’intéressant et les professeurs de l’époque étaient tous plus ennuyants les uns que les autres. Ici, c’est différent. Déjà, parce que je fais enfin ce dont je me passionne. Et puis, le rythme, la vie étudiante n’a rien à voir avec les années lycée. Les cours, mon boulot et le club me prennent tout mon temps. C’est pour ça, qu’assez souvent, je prends le temps que je peux prendre pour avancer.

En relevant la tête, plusieurs étudiants passent et repassent. Mais j’en repère un plus que les autres. Rien que de dos je le reconnaitrais, avec sa démarche mal assurée : Reon. C’est un peu par hasard que j’ai fait sa connaissance. Je peux pas dire qu’on soit amis. Disons qu’on a un ami en commun. Mais j’apprécie ce garçon, parce qu’il est vraiment super super réservé et que c’est amusant de le déstabiliser. Je suis le genre emmerdeur et quand je trouve quelque chose, j’ai tendance à appuyer dessus. Reon, c’est sa grande timidité qui lui fait défaut. Alors je m’éclate à l’embarrasser. Avant lui, je n’avais jamais vu un mec rougir. Je referme mon bouquin et le remet dans mon sac avant d’avancer d’un pas plus rapide pour me tenir à côté de lui. Sans crier gare, je passe mon bras autour de ses épaules et le rapproche de moi. « Salut Reon ! Tu m’avais pas dit que tu étudiais ici ! Tu me fais des cachoteries ? » En vérité, il ne me doit rien du tout. Mais je sais que ça va le mettre mal à l’aise. Le pauvre Reon n’a pas eu de chance de tomber sur moi. On continue à avancer, mon bras toujours sur ses épaules. « Où est-ce qu’on va ? »

TENUE ■ Le stresse me gagne rapidement tandis que je suis toujours dans la salle des professeurs, ici c'est un peu mon refuge où aucun élève ne peut m'atteindre, mais les autres professeurs oui. Je les entends parfois dire des choses à mon sujet, comme quoi je dois serrer la vice pour ne pas que mes efforts tombent en morceau, mais ce n'est pas si simple. J'ai beau mettre tout l'entrain du monde dans ma voix ou mes paroles, mes étudiants ne se gênent pas pour me rire au nez. Ce n'est pas marrant, je le vis très mal quand je pense à la fin de mon année et de ma période d'essai. Bon, faut se reprendre Reon ! J'inspire, expire, fait craquer mes doigts et commence à me faire un monologue mental sur mon comportement d'aujourd'hui. Je dois être un lion ! Pas une biche. Un lion féroce et sans pitié! Pas une mignonne petite biche que l'on peut prendre pour cible et servir à dîner. Je me décourage davantage en imaginant le pauvre animal, tirant une tête d'enterrement.

Le truc cool en étant professeur de sport, je n'ai pas besoin de manuel, ni vraiment d'affaire. Je porte une tenue normale, pas un jogging comme on pourrait le croire. Depuis que je suis enseignant, je fais moins de sport à l'école mais ce n'est pas évident de donner des consignes ou des ordres quand personne ne m'écoute. Je rumine encore en marchant, prenant la direction de la sortie pour rejoindre le gymnase où vont m'attendre mes étudiants. Quant quelqu'un me saute dessus et me colle, déréglant mon rythme cardiaque qui s'affole brusquement. Usami ? « J-j-je ne ne... » Bon sang, les mots ne viennent pas comme je le voudrais et je me sens rougir un peu plus. Les élèves nous regardent, certains discutent entre eux et j'imagine déjà les rumeurs à mon sujet... Même pas fichu d'être sérieux avec des étudiants. « U-u-usami-kun! » Ma voix ressemble à un miaulement mais c'est mon plus gros effort. « Tu n'as pas cours ? » Demandais-je, étonné qu'il puisse me poser une telle question. Moi je dois aller au gymnase et lui dans sa classe, ça devrait fonctionner ainsi jusqu'à preuve du contraire... Mais faut dire que rien ne va dans mon sens.

TENUE ■ « Aigo ! Reon, tu rougis déjà ? Je te fais vraiment de l’effet! » Je le serre un peu plus contre moi et éclate de rire. Qu’est-ce que je disais ? Il me suffit de très légèrement le déconcerter et il rougit comme une fille. C’est à la fois hilarant et touchant. N’a-t-il jamais appris à gérer sa timidité ? Le pauvre, il devait être une cible facile au lycée. Surtout pour un garçon aussi sensible qu’Inuzuka Reon. Le lycée, c’est un peu une jungle. Si on ne s’impose pas rapidement, on se fait facilement et rapidement manger. Les personnes timides, réservées ou éteintes deviennent les cibles préférées des autres. Mais peut-être que son air touchant a dû émouvoir plus d’une demoiselle, très certainement.

Nous continuons d’avancer – vers où ? Je ne sais pas – et je glisse ma main dans la poche de mon pantalon. Là, nous croisons le regard de plusieurs étudiants faisant les yeux ronds. Je les regarde avec insistance et quand nos regards se croisent, je n’ai pas besoin de les menacer verbalement pour qu’ils comprennent qu’il vaut mieux qu’ils s’intéressent à autre chose. Quand il prononce – enfin, quand il bégaye – mon nom de famille, je retiens un rire. Il est si intimidée que sa voix est basse, presque éteinte. Je secoue la tête, répondant à sa question. « J’ai deux heures à tuer ! J’ai de la chance d’être tombé sur toi. Reon, tu aurais dû me dire que tu étais étudiant ici. Je serais venu te voir plus souvent, tu ne crois pas ? » Nous nous sommes rencontrés, quoi, trois fois maximum. Mais je sais que je vais apprécier ce mec. Il n’est pas du genre à avoir un mauvais fond. En fait, il est comme un livre ouvert : tout transparait dans son visage. Actuellement, la couleur cramoisie de ses joues m’indique qu’il n’est pas du tout confortable avec la situation. Je décide donc de le laisser souffler et finis par retirer mon bras de ses épaules. Les mains dans les poches, je me calque sur son pas et le suis, mine de rien. « Donc, j’ai du temps à passer avec toi. Tu es dans quelle section ? »

TENUE ■ C'est si flagrant quand je rougis ? Quand il dit cela, j'ai l'impression d'être une tomate sur patte, ça me perturbe encore plus. Je ne suis pas seulement cramoisi, mais je dois être brûlant de honte aussi. Comme si je pouvais faire de l'effet à un garçon comme Seiki, puis c'était une blague! Je prend vraiment tout au pied de la lettre, qu'est-ce que c'est embêtant par moment. Très peu de gens ont réussi à me manger au lycée ou à l'université puisque Sasuke était toujours là pour me protéger et me surveiller, même si ce n'était pas si terrible que là -le lycée hein-. Le problème avec ma timidité, c'est que cela éloigne les potentielles petites copines qui ne veulent pas gérer un tel trait de caractère, faut dire que je n'ose même pas leur parler ou m'approcher. Y a que les gens comme Seiki qui profite pleinement de mon comportement pour parvenir à être aussi proche de moi, jusqu'à me tenir contre lui.

C'est difficile de me faire entendre dans une telle ambiance, entre le regard des étudiants et la proximité de Seiki, ma voix s'amuse à sauter et cela rend vraiment très mal. J'ai eu peur l'espace de trente secondes qu'il sèche les cours , je ne voudrais pas trop le balancer à la direction non plus. étudiant... « C'est que ... Je suis là que ré-récemment. » D'accord, mais je n'ai toujours pas dissipé le malentendu. Quand il me relâche, c'est comme si l'air revenait brusquement dans mes poumons et que la peau de mon visage perdait doucement de ses couleurs rouges. Je fais un pas sur le côté pour marquer la distance, le coeur battant trop vite à mon goût. C'est une réaction familière, mais malgré tout je ne parviens jamais à m'y faire. « S-sport, mais... Je ne suis pas... » J'ai vraiment la tronche d'un étudiant ? J'étais encore là l'année derrière, à courir après mon diplôme dans l'espoir de rentrer parmi les enseignants, mais cela ne change rien pour autant. « Je ne suis pas étudiant. » Avouais-je finalement après avoir repris une bonne dose d'oxygène. Voilà, la bombe est lâchée, maintenant Seiki va se comporter comme un élève... Dans le fond, ça ne devrait pas me déranger, puisque je suis professeur.

TENUE ■ Ah ouais, donc s’il venait d’arriver cela expliquait le fait que je ne l’avais encore jamais croisé. Et puis, nous ne nous connaissions pas vraiment avant. Alors forcément, je ne l’avais pas forcément remarqué non plus. On continue de marcher et je vois du coin de l’œil que Reon en a profité pour s’écarter d’une distance d’un bras. Ça me fait marrer d’ailleurs, comme s’il avait peur que je recommence à être trop proche de lui ou bien un truc dans le genre. Mais bon, les hommes ce n’est vraiment pas du tout mon genre. Je ne me suis jamais posé de question sur ma sexualité. J’ai toujours été attiré par les femmes et les hommes … Il n’y a rien de chez rien qui m’attire en eux. Je n’ai aucun de doute là-dessus. Mais ça m’amuse d’être aussi proche de Reon. Déjà, parce qu’il ne ressemble en rien aux mecs avec lesquels j’ai l’habitude de trainer. Il est beaucoup plus timide pour commencer. Mes amis me correspondent habituellement. On n’est gêné de rien et on s’amuse de tout. Avec Reon, c’est différent. Un rien le perturbe et le fait bégayer. Deuxièmement, parce qu’il réagit un peu comme une femme, mais je devine qu’à travers son extrême timidité, c’est un mec génial. C’est pour ça que j’aime bien passer du temps avec lui, même si Sasuke – notre ami en commun – n’est pas avec nous pour faire le lien entre nous deux.

Reon me répond qu’il est en sport. Je m’arrête pour l’étudier un peu. Après tout, sous cet air gringalet doit se cacher un corps d’athlète. J’allais lui demander quel sport il pratique, par curiosité, quand il me scotche sur place avec sa déclaration. Je me fige, me retourne, pour franchement l’observer. Je dois avoir l’air incrédule, la bouche grande ouverte, les yeux ronds. Je finis par mettre ma main devant la bouche, parce que je me rends compte que je dois avoir l’air grossier comme ça. Puis je sautille sur mes pieds et le pointe du doigt. « OH ! Inuzuka Sensei ! » Ca fait drôle de le dire, comme ça, de vive-voix. Mais c’est pourtant vrai. Reon est un prof ! J’ai toujours le bras tendu, le doigt pointé sur lui. Quelques étudiants, interloqués, se sont mis à nous regarder. J’en vois certains saluer Reon. Putain, c’est vraiment vrai ! Reon est un professeur à la Royal. J’ai tellement de questions à lui poser, d’un coup. Mais là, tout de suite, j’ai surtout cet immense rire qui me sort de la gorge avant de taper dans mes mains. Je les pose finalement sur ses épaules et le secoue doucement. « Waouh ! Est-ce que je dois t’appeler Sensei et m’incliner ? T’adorerais avoue-le Re … Inuzuka Sensei ! Waaaah j’en reviens pas. Et cet enfoiré de Sasuke ne m’a rien dit ! » Je continue de rire, parce que, mine de rien, je viens d’agir comme s’il était un étudiant et non pas comme un professeur. Mais j’ai tellement de mal à agir comme tel, que je reste un moment con.

TENUE ■ L'année dernière, j'étais là comme étudiant au même titre que lui, sauf que nous devons pas traîné dans le même coin de l'université. J'étais souvent vers le gymnase ou à l'extérieur pour jouer, rarement dans une pièce si ce n'est pour suivre des cours normaux et peu intéressant à mon goût. C'est quand même étrange que l'on ne se soit jamais vu auparavant, même en étant tout deux élèves à la royale. Comme quoi, les choses changent avec le temps ou peut-être qu'être professeur me donne une autre image ? J'en sais trop rien, mais quand je dis être là récemment, c'est seulement dans la fonction de mon boulot. La distance remise correctement entre nous, je peux souffler sans me remettre bêtement à rougir à cause de ses gestes. Il me connait bien malgré notre récente rencontre, il sait déjà comment je fonctionne ou comment je réagis. En même temps, il n'a pas besoin d'un long apprentissage pour comprendre ma timidité ou ma gêne. C'est presque maladive et j'ignore encore si je le vis si bien que ça. Pour moi, je ne serais jamais ce garçon confiant qui n'a peur de rien, qui parle sans peur et même si j'agis ainsi qu'avec Sasuke, je ne pourrais l'être avec les autres.

Mon bégaiement légèrement passé, j'arrive à parler un peu avec Seiki pour dire ma section, sans parvenir à avouer ma place. Il me regarde et je souris timidement. Non, je n'ai pas le physique d'un sportif mais je cours plutôt vite pour mes jambes courtes, je saute haut aussi. Je peux me faufiler n'importe où, éviter les mouvements et marquer rapidement. Les mots viennent d'eux-mêmes, donnant enfin le détail qui change tout. Sa réaction me surprend, on dirait qu'il est... Content ? J'hausse un sourcil, peu rassuré. Les étudiants n'ont pas fini de nous observer, et j'en oublie de saluer ceux qu'ils le font, encore surpris par le doigt pointé sur moi. Je sursaute quand il pose brusquement ses mains sur mes épaules, lâchant un couinement incontrôlé. Voilà, rougissement le retour. Je baisse les yeux et voûte légèrement le dos, dans l'embarras. « Pas si fort... » On se fait remarquer, surtout en pleins couloir. Je me pince les lèvres et relève mes yeux humides vers Seiki, au bord de la honte. « J-juste Reon ... Je ne suis p-pas plus vieux que t-t-toi. » Puis, j'ai vraiment l'impression que tout est plus simple quand il me nomme par mon prénom, et non avec une formule de politesse. ça ne dérange pas s'il agit comme avec un pote, sans se confondre en excuse ou en manière. J'étais comme lui, quelques mois plus tôt. « Usami ... Je ne me sens pas à l'aise... » Quand je dérape pas sur les mots, je rougis tellement que mes oreilles chauffent. Il peut faire -50 degrés dehors que je me sentirais comme dans un volcan en éruption, c'est désagréable.

TENUE ■ Nous sommes presque à l’extérieur de l’université, s’approchant du gymnase. Alors je pense qu’à partir de maintenant, nous croisons beaucoup plus d’étudiants de Reon. Est-ce que je viens de penser « étudiants de Reon » ? Wah, j’ai beau tourner ça 50 fois dans ma tête, ça sonne toujours étrange. Je ne vois tellement pas le garçon timide que j’ai en face de moi tenir une salle d’athlètes. Le pauvre, je le vois déjà mal tenir une simple conversation avec moi, alors je n’ose pas imaginer ce que ça donne avec une bande de mecs prêt à la moindre erreur du professeur pour partir en vrille. A moins que Reon brille d’une certaine aura quand il se met en mode professeur de sport. Je le relâche et me gratte nerveusement le sommet du crâne. Non, j’ai vraiment du mal à le visionner de cette façon. Pour moi, Reon est un simple étudiant, plutôt timide, dans son coin et que ne cherche pas les embrouilles. Il n’est certainement pas le sport athlétique qu’il revendique être. « Aigo ! Comment tu veux gérer une classe si tu bégayes comme ça ? » Je me tape la cuisse contre le plat de ma main. Voilà qu’il recommence à perdre toute contenance et à rougir comme une pivoine. Ses joues prennent la couleur cramoisie et quand il relève la tête vers moi, je jure voir des larmes perler sur le bord de ses yeux. Il ne va tout de même pas se mettre à chialer. « Aaah, d’accord d’accord je me tiens tranquille », dis-je en levant les bras, paumes visibles. Face à ses yeux larmoyants, je vois déjà Sasuke venir me régler mon compte pour avoir autant secouer Reon. Ils sont curieux ces deux-là. En tant qu’amis, ils font une drôle de paire. Mais quand on les observe bien, on finit par accepter le fait : ils vont bien ensemble. Sasuke est plus du genre protecteur, alors que Reon a l’air de calmer son côté impulsif. Je croise les bras et tapote du pied. Sérieusement, que va-t-on faire de cet enfant ? En nous regardant, on ne dirait pas que Reon est en fait mon Hyung. Bon, il ne faut pas abuser, pas de beaucoup. Mais, sérieusement, qui pourrait penser ça ? Reon fait tellement plus enfant, plus fragile. Je finis par me racler la gorge et retrouver un peu de sérieux. « Mais, t’es super jeune quand même pour être prof ! Tu dois être une sorte de génie du sport ou un truc dans le genre, non ? » Avec mon index, je me tapote les lèvres, volontairement gonflées. Il ne m’en faut pas plus pour avoir une idée. Je vais pour agripper Reon par les épaules, avant de me raviser. A la place, je m’incline respectueusement et lui adresse un énorme clin d’œil, me retenant de rire. « Si on allait à ton cours alors ? » J’étais super curieux de voir ce qu’il donne en cours. J’espérais juste que sa spécialité ne soit pas un truc chiant genre le tennis.

TENUE ■ Seiki n'a pas tout à fait tord, puis je ne suis pas vraiment à 100% un professeur, juste une sorte d'apprentis. Mes élèves ont tendances à me marcher dessus, ils me compliquent toujours plus la tâche et je ne sais comment gérer mes cours sans vouloir chialer dans la réserve. Seiki ne serait sûrement pas étonné en me voyant travailler, surtout que je n'ai aucun feeling pour donner des ordres. J'aurai dû suivre une carrière de footballeur pro, plutôt que vouloir devenir enseignant et apprendre ma passion. Tout cela me rend extrêmement nerveux, je n'arrête pas zieuter les autres élèves, la boule au ventre. C'est un miracle si je n'ai pas encore tourné de l'oeil avec l'intensité de mes battements de coeur. Ils sont si forts qu'ils résonnent dans mon crâne à m'en rendre sourd. Bon dieu, même Seiki me trouve ridicule dans ce rôle, il sait déjà que mon problème est une grosse difficulté pour moi. Je sens les larmes monter rapidement vers mes yeux, à deux doigts de fondre en larme tel un bébé. Sa façon d'être me fait sourire et je renifle discrètement pour reprendre mon calme, virant ce voile larmoyant dans mes pupilles. En réalité, mon propre comportement me désole mais je ne sais comment être autrement. Un âne ne devient pas un cheval de course, comme disait mes professeurs. « Bah ... Je ne suis pas totalement professeur non plus. » Vraiment désolant, pire que pire. Génie ? Je souris en secouant doucement la tête. « Je ne suis pas mauvais mais ... Je ne sais pas gérer une classe comme je peux gérer un ballon. » Un soupir m'échappe et je baisse les yeux, affligé. Même un ballon est plus facile à diriger que des étudiants dans ma tranche d'âge. Le comportement de Seiki me surprend, je ne m'attendais pas à le voir s'incliner devant moi. C'est gênant. Hein ?! Mes joues reprennent feux et je parviens à peine à décocher ne serait-ce qu'un mot. « C-c-c-c'est que... » C'est qu'il va surtout se moquer de moi ! Je m'arrête de marcher, tournant ma tête vers les vestiaires externes. Je ne vais pas dans le gymnase, ce n'est pas trop mon point de ralliement. « Là-bas. » Lui dis-je en montrant un groupe d'étudiant entrain de se chahuter sur le terrain de foot. ça, c'est ma classe.

TENUE ■ Mine de rien, d’apprendre que Reon est professeur dans la prestigieuse Royal m’impressionne. Je commence à entrevoir un peu plus que le jeune adulte timide qu’il montre. Derrière son attitude se cache en fait un athlète bosseur et doué en plus. Je devrais peut-être commencer par m’inspirer de lui, non ? S’il a réussi à aligner deux phrases sans bégayer – ce qui est rare quand je commence à le taquiner – le revoilà qui bégaye sur un simple mot. On dirait que de savoir que je vais assister à son cours le perturbe plus que ce que je ne l’aurais pensé. Pourtant, si je suis le genre à taquiner gentiment, je ne suis clairement pas le type de mec à me foutre de la gueule des amis, surtout devant témoin. Parce qu’à bien y regarder, je commence à considérer Reon comme un ami et il ne me viendrait pas à l’idée de le descendre devant sa classe. Déjà que j’ai beaucoup de mal à le visionner en professeur qui se fait respecter, je ne vais pas ajouter du trouble dans l’éducation de sa classe. Il m’indique le terrain de foot et je comprends maintenant sa spécialité. Ça me ravit d’ailleurs. J’adore le football. Je ne suis clairement pas aussi doué que le professeur, mais je me défends plutôt bien. J’acquiesce en agrippant mon sac et fais un signe de la main, tandis que je m’éloigne de Reon pour me diriger dans les vestiaires. « A tout à l’heure Sensei ! »

Quelques minutes plus tard, je rejoins le groupe d’étudiants qui commencent déjà à s’échauffer. Ne doit-on pas attendre le professeur pour ça ? Je hausse les épaules et me joins à eux. Je check rapidement tout le monde et me présente rapidement, comme quoi je suis étudiant en journalisme, mais que j’avais envie de me défouler dans un ballon, d’où ma visite d’aujourd’hui. Entre quelques passes, on discute assez rapidement et les blagues viennent très vite à fuser. Je suis le genre à m’intégrer facilement dans un groupe et puis, ce n’est jamais très compliqué. Il suffit d’être à l’aise et d’avoir confiance en soi. Le reste – si on est un minimum agréable – ça vient tout seul. « Oh Usami ! On t’a vu saluer Inuzuka. Tu le connais ? » J’hésite sur l’attitude à adopter et puis finis par balancer la vérité. Ça ne sert à rien de cacher des choses, surtout si l’on m’a vu agir de façon informelle avec lui. « Ouais mais je savais pas qu’il était prof ! » Quand je prononce le mot « professeur » quelques étudiants se mettent à pouffer et je leur envoie direct le ballon dans le ventre. Je n’y suis pas allé à pleine puissance, mais ça a suffi à les agacer un peu avant que le capitaine ne s’interpose entre nous. « Je croyais qu’ici on respectait nos professeurs ! C’est la connerie qui te fait oublier tes bonnes manières ? » Même si le capitaine me retient, je ne manque pas d’avancer de deux pas supplémentaires, l’air menaçant. Les deux autres étudiants s’avancent aussi, mais beaucoup plus hésitant comme leur capitaine est entre nous.

TENUE ■ Être professeur ne change rien à ma timidité, ni à mon comportement maladroit. Je reste le même garçon qui rougit pour trois fois rien, celui qui n'arrive plus à parler face à une personne et qui manque à chaque fois de s'étouffer tellement il stresse. Je ne sais pas ce qui peut être le pire, que Seiki assiste à mon cours ou que je me retrouve seul face à ma classe. L'angoisse revient à la charge et je tente au mieux de ne pas me mettre à trembler comme une feuille. Je vais mourir d'une crise cardiaque plus tard, à force de paniquer d'une manière extrême et trop exagéré. Seiki n'est pas mon élève mais il tient à participer pour cette fois, je ne lui refuse pas et le laisse partir vers les vestiaires avec les autres. Soit il va passer inaperçu dans la masse, soit tout le monde va le remarquer. Je ne sais jamais comment réagit cette classe, c'est déroutant. Pour seule réponse, je soulève ma main et lui fait un signe avec un léger sourire. Cette situation va me rendre fou, mon coeur est déjà parti dans un marathon contre la montre. Le temps que Seiki se prépare, je vais cherche un ballon de foot dans la réserve et en profite pour reprendre un semblant de calme. Ce n'est pas ma première leçon, je dois savoir gérer tout ça à présent. Si seulement je pouvais en discuter avec mon meilleur ami et trouver une solution à mon problème sans l'énerver... Malheureusement c'est peine perdu.

Quelques minutes plus tard et je reviens vers le groupe avec un ballon, voyant déjà de l'animation dans la foule d'élève. Qu'est-ce qui se passe ? J'arrive pile au moment où Seiki parle de respecter les professeurs, voyant le capitaine de classe s'interposer entre les garçons. Une boule se forme dans ma gorge et je peine à ouvrir la bouche, comme si je n'étais pas l'enseignant responsable. « Usami... » Je sais déjà tous ce qu'ils pensent de moi, il n'a pas à prendre ma défense. La tension est palpable entre lui et les autres, mais j'essaye de calmer le jeu en ordonnant à ma classe de courir autour du terrain pour s'échauffer. « Je vous dirais quand arrêter. » Même si je ne bégaye pas, ma voix est trop basse pour qu'ils puissent me prendre au sérieux et ma visage exprime un sentiment loin d'être confiant. « Usami, m-merci. » Je ne suis pas plus âgé qu'eux, ils ont du mal à me respecter sous prétexte que j'ai un titre particulier. « Tu veux bien jouer avec mon capitaine ? » Demandais-je avec une profonde timidité, mes yeux passant de lui à la bande qui s'échauffe.

TENUE ■ Je lève le menton, l’air provocateur. Ce n’est pas parce qu’ils sont deux que ça va m’empêcher de cogner. Mais le capitaine me demande de me calmer et puis Reon fait son apparition. Alors je desserre mes poings et pivote pour me retrouver dos à eux. L’entrainement reprend par des tours de terrains en courant. Je passe devant Reon et ce dernier me remercie, en bégayant bien sûr. Je souris, les bras croisés sur mon torse. Pas besoin d’observer longtemps la classe pour comprendre qu’il n’arrive pas encore à se faire respecter. Pour autant, je suis sûr qu’il doit avoir quelques alliés, comme le capitaine d’équipe qui semble vouloir maintenir un certain ordre dans la classe. Je reste à une distance raisonnable, rien à voir avec tout à l’heure. Parce que si je tente de le taquiner, je pense que les perturbateurs vont encore plus foutre la merdre et en profiter pour le mettre mal à l’aise. « Pas de soucis. Hésites pas à être ferme. Ce sont que des petits cons. Suffit d’en imposer plus une fois et c’est bon. », ajoutais-je plus bas, pour que personne ne nous entende. Ce qui manque à Reon, c’est un soupçon de confiance en soi. Je suis persuadé que s’il se tenait bien droit, la tête bien haute, les autres lui prêteraient un peu plus attention. Ajouté à une voix légèrement plus forte, il aurait beaucoup plus de crédibilité. Mais bon, je ne suis pas sa mère ou son frère. Je laisse à Reon le temps de s’habituer à sa classe. C’est son taff, après tout. A mon tour, je pars en courant et interpelle le capitaine d’équipe pour courir avec lui, l’informant au passage qu’on fait équipe pour les entrainements. Ce dernier acquiesce et nous continuons la course en chahutant un peu. Il est sympa ce mec, en fait. Les tours finis, nous nous plaçons en ligne devant Reon. Je me demande depuis combien de temps il exerce cette profession et pourquoi ne pas avoir choisi de passer pro. C’est rare, les génies qui poursuivent cette voie. En général, ce n’est pas plutôt suite à une blessure ou quoi ?

TENUE ■ Il est sûr que si mon physique était aussi parfait que celui de Seiki ou de Sasuke, peut-être que j'aurai plus eu confiance en moi. Avec mon un mètre soixante cinq, les autres gars ont vite fait de m'écraser ou de rire de moi. Je n'ai jamais été très sûr, ni très à l'aise avec les autres et à part avec mon meilleur ami, je ne suis pas décontracté et franc avec les gens qui m'entourent. Mon cours est autant un calvaire que quand j'étais étudiant, sauf que là je dois gérer une bande d'étudiant sans avoir l'opportunité de me terrer dans un coin pour faire mon huître. Mes ordres ne ressemblent en rien à ceux d'un enseignant, encore moins un professeur de sport. ça doit être ferme et sévère, mais plus facile à dire qu'à faire. Seiki a beau me le dire et j'ai beau le savoir, ça ne change strictement rien à mon caractère pacifique. Je lui souris faiblement, sachant déjà que je manque grandement de conviction. Des fois, j'envie les jeunes comme lui qui ont du mordant et de quoi s'imposer sans trop se questionner à la moindre seconde qui s'écoule. J'envie vraiment Seiki, il n'hésite pas à faire ce qu'il veut sans crainte. Lui aussi termine par filer avec le reste de ma classe et je les regarde courir en soupirant. Il a l'air de bien s'entendre avec le capitaine, ça me fait plaisir bien qu'il ne soit pas mon élève. Les tours terminés, ils reviennent quasiment tous face à moi dans l'ordre et presque le silence, attendant sûrement les directives. C'est un combat mental à chaque nouvelle séance mais je pointe le capitaine du doigt, puis un second. « Vous ferez deux équipes. » Dis-je aussi clairement que possible, repensant aux paroles de Seiki. Être ferme, au moins une fois. Les garçons comprennent qu'ils doivent se placer d'un côté ou de l'autre selon la demande du chef d'équipe, puis attendre mon signal pour se placer. J'hoche la tête et indique qui doit se mettre où et patiente pour donner le départ d'un match.

TENUE ■ Les équipes sont très vite faite. Je ne suis pas un professionnel du ballon, alors j’espère ne pas trop handicaper l’équipe dans laquelle on m’a assignée. Si pour moi c’est un jeu, pour eux c’est un entrainement pour leur carrière. Mais bon, vu la mentalité de certains, je ne suis pas sûr qu’ils en ont tous véritablement conscience. Le capitaine me demande rapidement en quoi je suis bon. Personnellement, quand on joue entre amis, on est à la fois en défense et en attaque. Alors je me fiche pas mal de la place qu’on m’assignera. Nous attendons donc le signal pour le début du match. Chacun semble avoir repris un peu plus de sérieux, par rapport à tout à l’heure. Certains joueurs se montrent même un peu agressifs dans le jeu, mais bon, c’est du football. Vaut mieux ça que ceux qui plaident la blessure pour décrocher la faute. Moi, on m’a collé en défense. Comme les deux étudiants qui se sont amusés sur le dos de leur prof sont attaquants de l’équipe adverse, le capitaine s’est dit que ça ferait un excellent divertissement. Ça ne loupe pas, d’ailleurs. Le premier me fonce clairement dessus, mais je réussi à intercepter le ballon et l’envoie à mon premier coéquipier qui est démarqué. Tout ça m’amuse en fin de compte. C’est un bon moyen de tuer le temps. Soudain, un membre de mon équipe crie à la faute. Il est à terre, alors que trois autres étudiants hurlent qu’il l’a fait exprès. Bref, c’est un beau bordel. Le match est suspendu et tout le monde finit par se rassembler autour de l’étudiant qui a l’air de souffrir. Il est allongé et se tient le genou. Apparemment, l’un des joueurs lui aurait donné un coup de pied. Avec les chaussures qu’ils ont, ça ne pardonne pas. Les crampons, ça doit faire un mal de chien. Je grimace en regardant le mec étendu sur le sol, tandis que plusieurs étudiants demandent au professeur de trancher. Le pauvre Reon se retrouve sous les feux de la rampe. Tranquillement, je l’observer et vois ce qu’il va faire. Je ne peux pas intervenir, parce que ça détruirait sa crédibilité en tant que professeur. En plus de ça, je ne serais pas tout le temps pour assurer ses arrières. Peut-être qu’un boulot d’assistant paierait bien, qui sait ?

TENUE ■ Quand il s'agit de disputer un match ou de jouer à la seule matière qu'ils aiment, les élèves sont plutôt compatissant où ils font ce qu'ils ont à faire sans rechigner. J'ignore ce qu'ils pensent tous à cet instant, s'ils croient que je peux les dispenser de sport ou pas, mais en tout cas ils ne font pas de vague pour le moment. Ils se répartissent chacun comme ils se doivent jusqu'à débuter la bataille après le ballon que j'ai pu récupérer au départ. Tout ces jeunes présent à mon cours ont un grand rêve d'avenir, être pro, se démarquer dans le domaine du foot ou peut-être devenir professeur comme moi ? Il n'y a pas trente six milles idées quand on pratique un sport en étude, généralement c'est pour une carrière centrée autour de ça. Je laisse donc les deux équipes décides de leurs places sans intervenir, jugeant qu'ils sont capable de le faire sans moi. Une fois prêt, je récupère mon sifflet dans ma poche et annonce le départ. ça commence directement, sans attendre et je les observe. Seiki joue bien malgré qu'il ne soit pas dans ma classe, il a l'air de bien s'entendre avec son équipe et c'est agréable malgré ma gêne précédente. Tout se passait bien jusqu'à ce qu'un élève soit à terre en criant à la faute et que d'autres contredisent comme à chaque fois. Je sens un frisson remonter dans mon échine et le stresse me paralyser sur place. Je suis le professeur, mais je ne sais comment m'interposer contre autant d'élèves. C'est mon rôle, je dois être autoritaire mais là j'ai surtout l'impression d'être un naze. Si l'autre ne se tordait pas de douleur en tenant son genou, sûrement n'aurais-je jamais réagi. Ma conscience revient et je me rapproche de l'attroupement. « é-écartez vous! » Même si ce n'est pas suffisamment ferme, l'intention était quand même là et la bande s'écarte du blessé. Bon, garde ton calme, respire. Je fixe les élèves et désigne deux plutôt calme. « Vous deux, amenez le à l'infirmerie. » Je vois qu'ils m'écoutent et aident celui à terre à se relever, bras dessus bras dessous, pour le sortir du terrain et le ramener vers le bâtiment. Mon dieu, mon coeur bat tellement vite que je sens mon visage brûler à m'en donner le tournis. Je dois me reprendre, c'est mon métier! D'une voix tremblante, je me tourne vers les deux attaquants qui ont blessés l'autre garçon. « V-v-vous! Sur le banc! » Ouais bon, y a mieux comme punition mais voilà ... Faut pas trop m'en demander.

TENUE ■ Reon fait son apparition et les élèves le laisse passer pour qu’il puisse juger par lui-même. Je ne le connais pas vraiment, mais je commence à comprendre comment est-ce qu’il fonctionne. Rien qu’en le regardant, là, comme ça, je devine la confusion qui le gagne. Franchement, si je m’écoutais, j’irais l’aider. Mais j’avoue que ce n’est pas le desservir que d’agir comme ça. Il restera éternellement le prof facilement intimidable sans quoi. Au bout de quelques secondes, Reon semble reprendre ses esprits et donne très vite les instructions. Okay, si je suis impressionné sur la partie soin je le suis clairement moins sur la « punition » des fautifs. Mais bon, ça reste Reon. C’est déjà vachement bien. Les deux joueurs commencent à râler, plaidant le fait que c’était dans le feu de l’action. Il y en a même un qui ose avancer le fait que Reon n’a rien vu du moment de l’accident et qu’il ne peut pas se permettre d’agir ainsi. Je serre les dents, le poing serré, avant de jeter un coup d’œil au capitaine d’équipe. Je montre du menton l’insolent et lui aussi semble d’accord. « Ferme ta gueule Junsu. Le prof te dit sur le banc, tu vas sur le banc, c’est tout. » J’ai vraiment du mal à comprendre cette mentalité. Okay, Reon est loin d’être le professeur autoritaire et qui force le respect. Mais le respect dans tout ça ? Les deux joueurs râlent encore mais ils se dirigent tout de même vers le banc de touche. Tout le monde est agité et on doit attendre plusieurs minutes avant que ceux partis avec le blessé ne reviennent. L’un deux annonce à Reon qu’il n’a rien de cassé mais qu’il a encore du mal à marcher. Il faudra qu’il se repose et est donc dispensé de sport pour aujourd’hui au moins. Franchement, je ne pensais pas qu’un cours de sport au niveau presque professionnel pouvait être aussi distrayant. Il y a vraiment de tout. « Bon. On fait quoi maintenant, Sensei ? » Ca m’éclate trop de l’appeler comme ça que je ne m’en cache même pas. Je crois que ça amuse les autres aussi. C’est clair que c’est étrange que d’appeler un mec qui a le même âge que sois « Sensei ». Mais bon, c’est ce qu’il est, non ? A son tour, le temps commence à se gâter. Il y a de gros nuages qui se forment au-dessus de nos têtes. L’air est humide soudain mais il ne pleut toujours pas. Quelques étudiants, en vue de maintenir leurs muscles chauds et en activité, sautillent sur place.

TENUE ■ Je commence à croire qu'ils le font exprès pour me tester, pour voir de quoi je suis capable en cas de crise ou de dispute, mais j'ai la sensation de ne pas avancer quoi qu'il se passe. Un blessé, deux coupables et je ne sais déjà plus où donner de la tête dans cette tempête. Le plus important est de savoir quoi faire de celui à terre se tordant de douleur, c'est ce qui m'inquiète le plus sur le moment. Une fois envoyé à l'infirmerie avec l'aide d'un élève plutôt calme, je tente de « punir » les deux autres en le envoyant sur le banc pour ne plus qu'il joue, évidement ça dégénère et je perds doucement de ma pseudo autorité. Il n'y avait rien de base, mais là c'est moins que rien. J'ai failli couiner de désespoir face à leur accusation, me retenant de faire à nouveau l'autruche en plongeant ma tête dans le sol, comme à l'époque du lycée. Heureusement que le capitaine de classe intervient et me sauve encore la mise... ça devient une mauvaise habitude. Ils obéissent à contre coeur seulement parce qu'un autre étudiant est contre eux, sinon ils m'auraient déjà fait la tête au carré. Je suis fatigué de leur comportement enfantin, autant abandonner et les laisser s'agiter jusqu'aux nouvelles de l'autre garçon revenant de l'infirmerie. Un élève en moins sur le terrain, deux sur le banc de touche. On dirait une classe de maternelle qui se chipote pour rien et qui veulent rendre fou l'enseignant. Je vais devenir dingue. Seiki m'interroge pour la suite mais en levant le nez vers le ciel, je remarque le temps changeant qui risque d'être un problème. « Le gymnase doit être libre. » Sinon, on ira en salle, mais même dans le gymnase nous pouvons continuer à faire quelque chose plutôt que rester assis sur une chaise. Les élèves comprennent aussitôt et prennent la route vers le bâtiment le plus proche, sans faire attention à moi. « Je me demande s'ils n'arriveraient pas mieux avec un autre professeur ? » Soufflais-je une fois à côté de Seiki, l'air subitement contrarié. Je fais de mon mieux pour réussir, mais on dirait qu'ils ne veulent toujours pas de moi. Finalement j'hausse les épaules et souris doucement. « 'Fin bon! Il me reste encore quelques mois. V-viens. » Je dois pas me décourager, sinon ce sera fini pour moi. Le temps peut se gâter davantage, nous ne craignons rien à l'intérieur du gymnase.

TENUE ■ J’acquiesce avant de chercher le ballon des yeux. Je cours à petite foulée pour aller le récupérer, tandis que les autres ramassent le reste du matériel et s’éclipsent pour aller dans le gymnase. Je regarde ma montre pour vérifier que j’ai du temps encore. Il ne faudrait pas oublier que je suis quand même un étudiant et qu’en fait, j’ai cours. Même si j’ai l’air de jouer et de faire comme si j’en avais rien à foutre, je suis sérieux dans mes études. Je ne suis pas arrivé jusque-là pour abandonner. Je suis donc à la traîne et Reon emboîte mon pas. Il a l’air épuisé, mais aussi complètement démotivé. Je ne peux pas lui dire que ses étudiants seront mieux avec un autre professeur, parce que je n’en sais rien du tout. Bah c’est sûr qu’avec un peu d’autorité, ils seraient plus cadrés. Mais en même temps, c’est aussi leurs gamineries qui ralentissent le cours. Ils sont là pour devenir des pros, pensent-ils qu’avec leur attitude ils dénicheront un contrat ? Clairement pas et Reon se monte beaucoup trop la tête. « Si tu penses que tu peux faire mieux, à toi de te donner les moyens, tu sais. » Ouais, je sais qu’il sait. Je sais aussi que c’est inutile de le lui rabâcher, puisqu’il en a pleinement conscience. Il faut juste qu’il se mette un coup de pied au cul. Je presse son épaule à l’aide de ma main. C’est ma manière de lui dire que ça ira avec le temps, qu’il faut qu’il prenne ses marques. C’est aussi ma façon de lui transmettre mon soutien. Je ne le connais pas vraiment, mais comme je l’ai déjà dit, je l’apprécie. Et puis, s’il fait partie de l’entourage proche de Sasuke, c’est qu’il a de la valeur. Je reste comme ça, la main sur son épaule, alors qu’on avance dans le gymnase. Je passe ma main sur mes yeux et m’arrête. « Aller ça va le faire. Faut que t’ai confiance en toi. Au moins ai confiance en ceux qui t’ont confié cette classe. Tu crois pas ? » Mine de rien, je suis content d’apprendre que Reon bosse ici. Déjà, je peux le voir plus souvent et puis ça rapproche de fréquenter les mêmes endroits.

TENUE ■ Le gymnase reste le meilleur endroit quand l'extérieur est impraticable et que les salles ne sont pas appropriés pour la situation. Ces garçons ont besoins de courir, de se défouler, d'apprendre toujours plus à être le meilleur et je sais qu'à leur place, je n'aimais pas resté assis sur une chaise à écouter des théories plutôt que faire de la pratique. ça n'empêche que je me sens las et démotivé, regardant la bande se diriger vers le bâtiment sans faire attention à leur professeur. Seiki est resté à ma hauteur et j'en profite pour dire ce que j'ai sur le coeur, oubliant deux secondes mon embarras. En vérité, ça me pèse qu'ils ne sachent pas faire la différence entre plaisanterie et sérieux, comme s'ils mélangeaient tout à la fois. C'est désolant, mais il ne tient qu'à moi de remettre les pendules à l'heure avec mes étudiants. Est-ce que je peux faire mieux ? Je me le demande, mais si j'arrivais à vaincre cette timidité qui me bouffe la vie. Sasuke m'a trop couvé durant l'école, maintenant je me sens perdu tel un poussin sans sa mère. La main de Seiki sur mon épaule me réconforte et je souris doucement, tout en tentant d'effacer cette ombre sur mon visage. Les portes du gymnase ne sont qu'à quelques mètres, encore deux pas et nous serons avec les autres, mais je m'arrête à mon tour. « Oui, tu as raison. Merci. » ça fait longtemps que je cours après le courage mais il semble me fuir, je vais devoir redoubler d'effort et aller plus vite. Finalement je rejoins la classe avec Seiki et les regarde tandis qu'ils sont dispersés un peu partout. Le truc bien ici, c'est que ça résonne. « Ou-oublions le foot. » Lâchais-je brusquement, les regards se portant sur moi. Certains ne comprennent pas, d'autres râlent mais je récupère le ballon dans les mains de Seiki pour le lancer sur l'un de mes élèves. « Balle aux prisonniers. » Heureusement que je ne joue pas avec eux, ce serait trop facile de me viser mais ainsi ils pourront se défouler un peu. Une grande inspiration et ajoute avant qu'ils ne fassent des groupes. « Le premier qui fait n'importe quoi, je lui donne le dictionnaire à lire. » Ma voix était ferme, je me surprend moi-même. Intérieurement, je suis heureux d'avoir pu modifier un tant soit peu le timbre de ma voix pour être menaçant. Si pour moi le dictionnaire est intéressant, pour eux c'est sûrement la pire punition au monde.

TENUE ■ On entre dans le gymnase, les étudiants sont tous un peu dispersés. Moi, j’entre avec le prof, normal. De toute façon, tout le monde a bien compris qu’on était amis. Moi, personnellement, je m’en fous un peu. C’est drôle d’être dans les petits papiers du prof. Ça ne m’était encore jamais arrivé. Alors forcément, j’en profite comme je peux. Je suis tenté de charrier une nouvelle fois Reon sur son autorité bancale – le pauvre a encore bégayé – mais je ne fais aucun commentaire. J’adore embêter les personnes que j’apprécie, mais je ne suis pas un idiot. Je sais très bien que si je le fais, cela portera préjudice à Reon vis-à-vis de sa classe. Déjà que les étudiants ont compris qu’il avait un problème d’autorité et que la grande majorité d’entre eux n’hésitaient pas à piétiner ses ordres. Si je me mettais à en rajouter, c’était jeter de l’huile sur le feu inutilement. Je me gratte la tête face à ce problème, quand Reon fais un peu plus de voix et propose une partie de balle aux prisonniers. Je ne vois pas trop, sur le coup, l’intérêt de ce changement de sport, mais je me prête volontiers au jeu. De toute façon, je ne suis pas vraiment là pour assister à un cours. Ma présence relève plus du tourisme qu’autre chose. Avant que les autres garçons ne se mettent à protester, Reon profère la sentence. J’ai envie de rire, parce que le tout est extra comique. Mais franchement, je suis un ami sympa, je me retiens. Les étudiants ne disent rien et nous faisons les équipes, commençant la partie. Ça doit bien faire des années que je n’ai pas joué à ce jeu. C’est assez drôle en fait, ça rappelle des souvenirs aussi. Comme nous ne jouions pas au sport dans lequel ils veulent faire carrière, j’ai l’impression que les étudiants sont plus détendus, plus enclins à la déconnade et à écouter ce que Reon leur dit. En bref, nous avons plutôt mal débuté, mais nous terminons plutôt bien. L’heure de fin du cours approche déjà.

TENUE ■ Ce n'est pas parce que je suis professeur de foot que je vais forcément faire toujours la même chose avec mes étudiants, puis je vois bien qu'ils sont de plus en plus sur les nerfs, à trop vouloir s'améliorer et être les meilleurs. Ce n'est pas ainsi qu'ils pourront y arriver, ils ont besoin d'autre chose pour se défouler et prendre du bon temps en même temps. C'est bien pour cela que je les fais jouer à ce jeu, plutôt qu'au foot. Sur le coup ils n'ont pas l'air emballé, mais je fais en sorte qu'ils se plient plutôt que râler, voyant qu'ils écoutent et forment les équipes. Tant mieux, je n'ai pas envie de perdre ce soudain regain de confiance, même s'il ne durera pas éternellement. La partie comment, ils se débrouillent chaque de leur côté pendant que je les observe, assis dans un coin. C'est mieux comme ça, sans pression, sans insulte et sans bagarre. Ils peuvent s'attaquer sans être dangereux ou sans vouloir se taper dessus à la moindre occasion. Cette classe a besoin de fondation, d'esprit d'équipe et d'une bonne entente. Je ne suis pas sûr de pouvoir tout apporter, mais je fais de mon mieux pour avoir un changement, une évolution. Les minutes filent plus vite que je ne le pensais, la fin de l'heure approche rapidement et je siffle un coup pour les arrêter. « V-vous pouvez aller vous changer. » Pour aujourd'hui, c'est déjà pas mal. Demain, on se remettra plus sérieusement au foot, même si je vais devoir trouver des exercices d'équipe. Voyant les étudiants se diriger vers la sortie pour rejoindre les vestiaires extérieur, là où ils ont laissés leurs affaires, je vais vers Seiki. « Désolé de te mon-montrer tout ça. » Dis-je avec un sourire timide, les joues encore un peu rose. Je n'aime pas trop montrer une telle image de ma personnalité, mais je ne peux pas modifier une chose qui a toujours été ainsi. « La... La prochaine fois, ce sera mieux! » M'exclamais-je, un peu plus confiant qu'auparavant. Oui, la prochaine fois il pourra voir un vrai cours de sport. En attendant, il doit sûrement retourner vers les siens. « Mais c'était sympa que t-t-tu sois là. »

TENUE ■ Je comprends un peu mieux les difficultés auxquelles fait face Reon. Etre prof, c'est chiant perso. Pour commencer, quand on a l'âge de nos élèves, c'est encore plus chiant. Parce qu'on doit se battre plus qu'un prof plus vieux, pour avoir une certaine crédibilité mais aussi se faire respecter. La frontière entre le professeur et l'élève est trop aminci quand la différence d'âge n'st pas vraiment élevée. Et puis, je suis désolée, on ne me la fera pas, enseigner n'a jamais été une partie de plaisir, un métier qu'on se dit qu'on va faire ça par passion. Y a qu'à regarder la dégaine et l'attitude de la classe de Reon. On doit se retenir d'en frapper quelques uns, parce qu'on est un professeur, qu'on représente l'école et que, sait-on jamais, en cas de violence à l'encontre d'un étudiant, ce dernier peut porter plainte. Ce qui peut être relativement embêtant et difficile à expliquer à la direction.

Je laisse les autres rentrer dans les vestiaires. Il n'y a plus que Reon et moi dans la salle et le prof timide décide de s'approcher. Il est trop mignon, on dirait qu'il s'excuse, comme si j'étais un inspecteur ou un truc du genre. Je le laisse finir et me promettre que ce sera mieux la prochaine fois. Ah ? Amusé, j'entoure ses épaules de mes bras, et une de mes jambes enroulent ses hanches. Je transpire, je ne suis pas lavé, sans compter le fait que Reon a vraiment beaucoup de mal avec le contact physique. Mais moi ça m'amuse et je le trouve trop mignon.« Oh tu veux que je revienne, Reon chou ? T'es trop mignon ! » Je le bloque de manière à ce qu'il ne puisse pas s'échapper, à moins de me faire perdre l'équilibre. Je répète qu'il est chou en lui ébouriffant les cheveux, au bord du rire.

TENUE ■ ça n'a jamais été une partie de plaisir, surtout avec un caractère timide et refermé, pourtant la direction a vu en moi un professeur avec du talent dans son domaine, qui mérite une chance malgré tout. Ils ne m'ont pas refoulé à cause de mes défauts et ils attendent sûrement de moi que je me bouscule un peu plus et montre qui est l'enseignant. Certes, je ne fais pas le poids contre une classe d'une vingtaine d'élève plus grand et baraqué que moi, mais je dois apprendre à me renforcer. Je présume que pour cela, je vais devoir embêter Sasuke et son altruisme pour me rendre convainquant. Le seul hic, c'est que je ne peux pas lui parler sport. Finalement le cours se passe plutôt bien, grâce à Seiki qui a été là pour m'encourager et croire en moi. J'en verrais d'autres, à force je suis habitué à ce rôle de faux étudiant. Les élèves en moins, je discute avec lui en promettant que je ferais des efforts et que la prochaine fois, ce sera un autre Reon qu'il aura en face! Ouais bon, autant attendre la neige en pleins été. Quand il se colle subitement à moi, j'ouvre grand les yeux et reste scotché sur place. Le rouge revient marquer mon visage et je peine à déglutir, pire qu'embarrassé. « A-ah je... Je... Oui! Enfin... Comme tu v-v-v-voudras! » Tentais-je de dire en cherchant quoi faire de mes deux mains et de mes dix doigts. Il est vraiment bizarre mais ça me gêne qu'il s'accroche à moi comme un Koala en me décoiffant sans gêne. « Seiki-kun! » Couinais-je en essuyant de bouger un peu, histoire qu'il arrête de fourrager ma tignasse bouclée. « N'oublies pas tes cours! » Je lui rappel quand même que mon heure est terminée et qu'il va bien falloir qu'il retourne aux siennes. Surtout, je lui fais comprendre que j'ai besoin d'air!