- « Je vous trouve très beau. Pouvez-vous vous asseoir ici un instant ? »

L’homme avait déjà bien dépassé la soixantaine mais son visage était si lumineux et souriant qu’il avait attiré l’attention de Yi Qian. Le monsieur accepta et s’assit sur la chaise qu’elle avait installée dans le parc devant son chevalet. Elle s’assit à son tour et attrapa un crayon. C’était rare que quelqu’un accepte de poser pour elle. Comme ça. Aussi spontanément. La plupart de ses demandes étaient rejetées. Ce qui ne suffisait pas à la décourager. Quand elle voyait un beau visage, il était difficile de la retenir. Elle commença à tracer les contours du visage du monsieur. Il continuait à sourire. C’était magnifique. Puis les rides de celui-ci trouvèrent leur place sur la toile. Quelques minutes plus tard, il annonça qu’il devait partir. Il avait l’air désolé. Yi Qian, elle, perdait toute notion du temps quand elle dessinait. Elle lui rendit son sourire et le rassura. Elle avait ce qu’il lui fallait. Un magnifique portrait de plus.

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Quoi ? Vous pensez que son plus beau portrait, ou du moins son préféré, est celui de son petit ami ou de son crush du moment ? Pas quand on a trois frères, voyez-vous. Oui. Trois. Trois GRANDS frères plus dégénérés adorables les uns que les autres. A croire que maman Wang, en plus de servir de cavalière de soirées upées à papa Wang, rêvait de transformer leur luxueuse maison en garderie. Quoique, une vingtaine d’année plus tard, on parlerait plus d’un repaire de pirates. Yi Qian est née à Zhengzhou en Chine et s’est envolée à peine prête à faire ses premiers pas pour le Japon avec le reste de sa famille. Son père, ambassadeur de Chine, travaillait la plupart du temps à Tokyo mais femme et enfants étaient installés à Kyoto. C’était le rêve de Qin Lin Wang, « ma maman », de résider dans la traditionnelle ville des geishas où elle pouvait se livrer tranquillement à son art : la peinture.

Les années ont passé et, quand il fut temps pour Yi Qian d’entrer à l’école, ils déménagèrent à nouveau tous pour Tokyo. La capitale ! Et Yi Qian commença sa looooongue scolarité à la Royal Private School. Au début plutôt distraire et curieuse de mille choses, sauf des cours, elle ne brilla pas vraiment parmi les meilleurs de la classe. Elle préférait encore s’imaginant capitaine d’un bateau pirate s’appropriant un trésor et bâtissant une ville sous-marine. Oui, c’était ça son rêve. Les princes charmants et autres fées l’ennuyaient. A moins que… Il y a un dragon dans l’histoire ? C’est cool alors. Et est-ce qu’il mange la princesse ? C’est là que le rêve s’arrête. Il faut revenir à la réalité. Wei Wang, grand ambassadeur, ne peut pas avoir pour unique fille une sauvage ! Que son troisième frère lui ait inculqué de tels jeux, d’accord. Lui, il avait droit d’être un « punk ». Ses autres frères rattraperaient le coup et sauveraient l’équipage. Ah non, pardon, le blason familial ! Yi Qian, elle, n’avait pas le choix.

Soit gentille, pas trop bête, jolie, et tais-toi. Ce qui n’était pas du tout, mais pas du tout amusant. Pourtant, il a bien fallu s’y mettre. Rapporter de bonnes notes, avoir de bonnes manières, sourire comme une imbécile heureuse demeurée et pourrie gâtée. Aïe. Une parfaite jeune fille bien élevée, c’est vrai. Maman, elle était douce, mais trop effacée. Yi Qian commença à la regarder dessiner. A essayer de l’imiter. Mais elle n’avait pas le temps… Entre l’école, les cours de danse, de piano, l’aîné, devenu PDG d’une entreprise, qui commençait à mettre la pression sur le reste de la fratrie. Et puis, quand elle eut seize ans, maman tomba malade. L’année d’après, ses pinceaux et crayons se retrouvaient orphelins, comme ses enfants. Une nouvelle Mme Wang ne tarda pas à entrer dans la famille. Belle, jeune, ambitieuse et cruelle. Le deuxième fils, pourtant pas méchant, était son chouchou. Au troisième, elle fit les pires horreurs. Yi Qian apprit pour sa part à s’effacer, à se faire oublier. Alors, elle décida de consacrer plus de temps à la peinture. Une manière de se rappeler maman. Sa douce poésie et son art. Et le tempérament vif de la jeune fille qu'elle était alors commençait juste à cacher sa souffrance.

Elle avait tout pourtant. Argent, santé, avenir. L’espoir, juste, s’estompait. Jusqu’à ce que les sorties mondaines ne commencent à lui être imposées. L’horreur. L’infâme supplice. Son troisième frère, son préféré, est parti. Où ? Elle ne saurait le dire. Parfois, elle reçoit des lettres. C’est tout. Puis sa belle-mère reprit une galerie d’art. Qu’est-ce qu’elle y connaissait pourtant ? La théorie, certes. La sensibilité, non. On peut faire beaucoup de choses quand on a de l’argent et un mari puissant. Même devenir directrice d’une galerie d’art en plein Tokyo. Yi Qian n’a jamais abusé de l’argent de son père. Ni pour les vêtements. Pas même pour les sorties. A quoi bon ? Mais, celui-ci, quand même soucieux de la gâter à sa manière, n’arrêta pas de la faire crouler sous le matériel : sacs à main, chaussures, bijoux, etc, etc, etc. Et, pour une raison inexpliquée, Yi Qian devint plus proche de l’aîné. Parce que lui-aussi avait aimé et longtemps connu leur mère au fond.

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- « Yi Qian. Si tu veux dessiner, dessine. Laisse-moi m’occuper du reste. »

Il prenait toutes les responsabilités. C’était l’aîné et il s’engageait à lui assurer de pouvoir s’épanouir dans sa passion. Par bonté d’âme ? Par souci qu’elle ne lui fasse pas d’ombre ? Yi Qian ne s’est pas posée la question car, au final, cela a marché. Son père l’a laissé progressivement s’épanouir dans le dessin et la peinture, ne faisant finalement pas obstacle à son choix d’étudier l’art à l’université. La seule exigence était qu’elle s’engage à travailler en collaboration avec  Mme Wang #2 dans sa galerie. Yi Qian s’est toujours dit qu’elle trouverait une solution plus tard pour échapper à ces responsabilités, repoussant éternellement l’échéance. Mais, déjà, elle était diplômée. Elle a commencé à donner des cours dans un centre à Yokohama, ce qui ne suffisait malheureusement pas à justifier le fait qu’elle manque fréquemment à ses obligations à la galerie. Même en revenant à Tokyo et en devenant professeur à l’université au sein de la Royal Private School, elle fuyait toujours la réalité. Repousser, toujours plus, l’inévitable.

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Une silhouette de taille moyenne, mince, à la démarche rapide, rejoignait sa classe avec toujours en tête le fait que sa famille attendait d’elle plus que ça. Elle aurait aimé s’émanciper complètement. Retrouver son troisième frère et s’en aller. Mais elle aimait l’école. Tokyo aussi. Et elle était effrayée à l’idée de s’éloigner, seule. Ah, ça oui, elle est forte pour ne rien en montrer. Mais ce n’est que quand elle a la chance de dessiner un beau visage ou qu’elle enseigne qu’elle commence à oublier et à trouver un sens aux petits évènements du quotidien. Un jour, pour un devoir, une élève lui a demandé s’il pouvait réaliser son portrait. Yi Qian n’avait pas l’habitude de poser. D’habitude, les rôles étaient inversés. Pourtant, elle s’est finalement assise sur le petit tabouret, bien droite, et a patienté ainsi pendant plus de deux heures sagement. Sur la toile est apparue une femme jeune mais au visage déjà marqué par des rides d’expression, aux longs cheveux sombres et épais, accordés à ses yeux noirs en amande. Un regard intense sur un visage plutôt commun. Pour la première fois de sa vie, en voyant ce portrait, la jeune femme s’est trouvée belle. Mais ce portrait est-il bien le reflet de la réalité ?

■ pseudo: nin' ■ âge: 23 ans ■ presence connexion: 3-4/7 ■ presence rp :  3-4/7■ Personnage inventé ou scénario: inventé

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