« C'est une fille ! » annonce le médecin.
« Une fille ? » confirma le père alors que sa mine affichait à la fois une déception, une peur et une émotion des plus grandes. Il voulait un fils. Un deuxième oui. Il en voulait un pour ne pas à avoir s'inquiéter. Parce qu'une fille c'était drôlement fragile et drôlement vulnérable. Et pourtant devant le bébé il n'eut rien à redire. Et l'émotion fut telle qu'il versa une larme. Une larme qui se transforma en stress plus la petite grandissait.
Chaque soir ton père avait pris l'habitude de te chanter une chanson. Tout comme il l'avait fait à ton frère jusqu'à ton arrivée. Aujourd'hui âgée de 5 ans et lui de 10 vous partagiez cette passion pour la musique de ton père pendant que ta mère jouait toujours un air à la guitare en l'accompagnant. C'était sa façon de s'exprimer. En éteignant la lumière tu étais prête à te laisser emporter par les rêves qui peuplaient tes songes. Tu étais danseuses étoiles, puis chanteuses avant de finir devant une scène à faire des millions d’acrobaties. Mais le rêve du prince charmant hantait tes pensées. Merci papa pour ces chansons pleines de romantisme et de rêves démesurés.
Et ta vie ne fut pas difficile. Remplie d'une joie certaine à la maison tu apprenais à signer pour parler en « mode secret » avec ta maman alors que ton frère t'apprenait également. Il avait même été choisi par son école pour signer lors d'une représentation. Tu étais fière de lui autant qu'il l'était quand tu faisais des représentations de gymnastique. « Elle est prometteuse » avait dit ta professeure à l'époque. Et cette phrase restera dans la tête de tes parents et dans la tienne guidant tes pas et tes efforts tout au long de ta vie.
Heureusement, ta famille suivit toujours tes choix et bien vite l'arrivée de ce garçon qui devint ton meilleur ami. Un ami que tu suivais partout et qui te suivait partout dès le plus jeune âge. Il t'apprit à faire du skate et botter les fesses de ceux qui t'embêtaient te donnant souvent des morceaux de viandes ou des bonbons pour te faire grandir. Tu avais comme deux grands frères bien que tu te chamaillais souvent avec cet ami qui aimait te taquiner sur ta petite taille. Une vie calme et remplie de rire. Une vie où la chute était mortelle.
<2010> Des applaudissements des scores, une grande salle qui montre l'enthousiasme mais pas autant que ces quatre personnes qui tapaient dans leurs mains à s'en faire mal. Ces cris de joies alors que tu remportais la médaille d'or à ce championnat international. Tu brandissais la médaille avec fierté et un grand sourire avant d'aller te réfugier dans les bras de la famille parfaite. Après la victoire bien sûr qu'il fallait des glaces et un repas digne de rois. Toujours sous le regard bienveillant de tes parents. Vous étiez cinq ce soir là, à manger avec envie et joie. Ton meilleur ami suivant tous tes pas et toi les siens, partageant vos repas alors que ton père le regardait toujours avec cet œil méfiant et pourtant reconnaissant de prendre soin de toi quand lui ne pouvait pas. Tu te souviens de ce soir comme si c'était hier , tout allait bien et tu pensais que rien ne pouvait détruire ce bonheur.
Et cette journée ci ne fit pas exception, retournant en cours puis à ton entraînement tu ne t'attendais pas à devoir rentrer en urgence fonçant à l'hôpital où le monde venait de s'écrouler.
Bienvenue en enfer . Tout semblait te crier que ce n'était que le premier étage d'une descente rapide et douloureuse. Ce jour-ci celui que tu aimais profondément venait de s'éteindre. La cause d'un chauffard en fuite. La police informait tes parents du déroulement alors que tu avais explosé de rage en cherchant absolument un coupable à frapper. Tu te souviens avoir supplié et même menacé les policiers de retrouver le coupable. Tu leur avais demander de le ramener. Chose impossible tu t'en rendais compte, mais ton cœur te faisait tellement mal que tu ne pus rien contrôler, ni tes paroles ni ton comportement. Ton corps se dirigeant alors vers ta mère pour l'enlacer alors que le seul membre debout de cette famille, maintenant dévastée, était ton père.
<2011>Comme tu l'avais prévu ça n'avait été qu'un déclin depuis la mort de ton frère. Le sujet était tabou comme s'il n'avait jamais existé. L'ambiance pesant mais les exigences pour tes compétitions toujours plus grandes et la blessure devint facile. La tristesse aidant tu n'étais plus concentrée et bien vite la blessure vint. Tu fus arrêtée pendant deux semaines qui ressemblèrent à des mois voire des années. Ton père te demandant si tu allais bien toutes les cinq minutes, voyant ta mère essayer de se relever sans y arriver tu finis par tomber également.
Le surmenage, ta blessure mais surtout la mort de ton frère t'avait entraînée dans une spirale grise, une qui se mettait sur vos épaules sans jamais s'en défaire. Appuyant sur votre corps pour le faire rester dans le lit. Souvent la nourriture n'avait pas de goût et l'appétit ne venait pas. Tout se remettait en question dans ton esprit et rapidement sans sport, ton corps prit des kilos. Ce n'était pas tellement grave dirait on. Mais en cette période c''était la dernière chose qu'il te fallait. Il fallait que tu sois parfaite, que tu essayes d'atteindre les attentes de tes parents déjà dévastés. Et pourtant chaque jour ce poids t'empêchait de te tenir droite, la dépression prenait toute ton énergie te laissant sombrer lentement alors que tu cherchais un sens à tout cela. Absurde. La vie était absurde. Elle n'avait ni sens ni but et tu le comprenais. Tes rêves devenaient des rêves d'enfant alors que tu reprenais l'entraînement sans enthousiasme et pourtant tu te mis au sport intensément, presque trop. Tu voulais tout oublier, oublier qu'un jour tu avais eu un frère, oublier que tes articulations brûlaient que ta peau marquait de plus en plus. Et pourtant rien n'était jamais assez. Lentement cette pente glissante fut ton seul futur.
Ton meilleur ami est celui qui remarqua le changement en premier prenant de tes nouvelles avec plus d'assiduité. Mais rien ne transparaissait lorsque tu voulais le cacher. Alors tu continuais à t'entraîner en délaissant la nourriture. Lentement, mais sûrement. Le moindre kilo en trop te donnait envie de vomir. Tu regardais ces athlètes, tu regardais ces filles de douze ans, que tu avais été , et à côté tu te sentais énorme. Petite, énorme et perdue. Tu ne sais plus quand la tristesse, cette envie de ne rien faire se changea en travail acharné, en haine de toi même et dégoût de ton propre corps. Tu ne te souviens plus non plus à quel moment ton corps a fini par lâcher, quand est-ce que tout ça a commencé ?
Une pause, tu avais besoin d'une pause, d'un temps mort. Et c'est ton ami qui te permit d'éviter de ne prendre à la lettre cette expression. C'était ce médecin qui t'avait diagnostiquée
anorexique. C'était la panique dans les yeux de tes parents qui t'avait frappée. Tu ne voulais pas leur faire de mal. Tu n'avais jamais voulu leur faire du mal. Et le consensus fut de faire une pause, de prendre un nouveau départ. Cette vie n'était plus faite pour vous, cette ville n'était plus pour vous.
<2013>Vous aviez tout changer. Même de pays. Cette idée folle venait de ton père. Il avait pété un câble comme on disait communément. Il voulait partir, il voulait se retrouver dépaysé, et bien merci papa, c'était chose faite. Tu avais dû tout réapprendre, même ton alphabet. Tu avais perdu de vue ton meilleur ami, mais certainement pas son contact. Vos discussions étaient encore plus fréquentes qu'avant et il prenait toujours soin de toi de là où il était, en continuant de se chamailler avec toi.
Le restaurant que tes parents avaient ouvert était un succès et bien souvent la Corée semblait s'être invitée au Japon. Tu retrouvais des clients fidèles et le lieu devint une référence lorsqu'on venait du pays du matin calme.
Entre temps tout ne s'est pas arrangé, tu continues de te battre avec cette maladie qui t'empêche de manger tout ce que tu veux qui te trouve hideuse. Bien que tu aies repris tes cours de gymnastique passant même au dessus en allant à l'université avec cette spécialité tu ne peux pas oublier ton image et ce qu'elle te fait vivre au quotidien, et pourtant cette pente glissante semble s'inverser. Tu finiras par voir le bout, tu finiras par être tout en haut comme tu l'as toujours été. Cachet après cachet jour après jour, bouchée après bouchée, tu avance sans regarder en arrière. Petit à petit tu te vois plus en haut encore et commence donc à faire de la voltige avec cerceau. Et même si ces efforts te demandent toujours plus d'entraînements, te font prendre toujours plus de risques et marquent toujours plus ta vie tu n'en as pas fini. Tu n'es qu'au début.
<2015> Cela t'avait demandé de nombreuses années, à toi et ta famille pour mettre un nom à ce qui avait frappé votre famille. Pour remettre de nouveau des photos de ce frère disparu. Mais vous y étiez et tu y étais. Tu n'avais plus peur de ton reflet tu te regardais et te trouvais des défauts, comme toutes les filles, mais tu étais devenue bien plus confiante, travaillant toujours d'arrache pied. Tu n'avais pas perdu ton côté perfectionniste mais c'est ce qui te permettait d'atteindre des sommets. Médaillée une nouvelle fois tu veux toujours plus et attends la plus haute récompense.
Tu n'es pas la fille la plus saine, avec le corps le plus parfait au monde mais tu es toi. Tu es toi et tu l'assume, tu t'amuses et sors. Tu deviens une femme alors que tu étais restée dans ce pays pour enfant. Le prince charmant n'est pas arrivé, il n'a jamais été là, mais tu ne cesses d'y penser chantant ses louanges à ta mère. Il paraît que ton père en fut un, mais un sacré numéro. Son prince charmant était maladroit mais chantait bien. Son prince charmant avait les poches vident mais la tête remplie. Et c'était tout ce que tu mettais sur papier, en chanson lorsque tu lisais chacune des pages de son journal. Car tu avais trouvé ce moyen pour consoler ta mère. Lui chanter sa vie lorsqu'elle était heureuse.
On peut dire que vous avez survécu. Survécu à la plus grosse vague de votre vie. Pour l'instant. Alors vous continuez à vivre en gardant en mémoire le passé au lieu de le cacher. Tu t'es même faite tatouer un serpent sur les côtes. [
tattoo] Pour te rappeler ton frère à chaque instant prenant son signe chinois. Tu es fière de porter cette marque d'amour sur un corps que tu as tant détesté.
Fière de ton évolution tu cherches à te perfectionner dans tout. Peut être qu'un jour on te verra à l'affiche de spectacle de grand envergure t'envoyer en l'air comme aucun ne l'a fait à ce jour, jouant avec ta vie et quelques secondes entre deux barres, dans le cercle d'un cerceau ou bien enroulée entre des rubans.
- Chronologie:
1989 : naissance de ton frère
1994 : naissance Eun Mi
1997 : commencement de la gymnastique
2010 : mort de ton frère
2011 : Dépression et anorexie
fin 2011 : déménagement au Japon avec l'ouverture d'un autre restaurant.
2013 : commencement de l'université spécialité gym, commence à toucher à la voltige
2015 : amélioration de ton état de santé.
2018 : employée de combini , restau parents et concours avec tes cours