Ce que je pouvais détester quand il prenait son air suffisant, là! Je lui propose gentiment de l'aider -même si, bon, juste avant je me suis foutu de sa gueule...-, et lui il me rembarre comme si j'étais une merde.. Il est vraiment lunatique. -ah moins que ça ne soit moi? On va dire nous deux, hum.- je le toisais, avant que sa dernière phrase ne m'achève. « Hey, tu va te calmer, ouais! C'est bon, je te parle gentiment, alors t'arrête de faire le gosse teigneux, et tu fais pareil! J'ai compris, la piscine c'est pas trop truc, sujet clos, point. Pas la peine de prendre ton air, là, tss. Fais pas genre et respecte un peu tes aînés. ». Je tchipais ensuite avant de m’asseoir. Quand il faisait sa mauvaise tête, ce qu'il pouvait être désagréable!

Evidemment, toute la vie de Ji Hyuk, c'était un grand mystère pour moi. Je ne savais pas ce qu'il avait vécu, ni ce qu'il vivait au quotidien. Ce que la Corée évoquait pour lui, pourquoi il en était parti, pourquoi ça le rendait triste d'en parler. Et moi, comme un idiot, je mettais les pieds dans le plat. La Corée, c'était pour moi mon pays natal, celui de mon père. Mon père que j'avais haï, mais qui restait mon père. Et même si sa famille nous avait traités comme des moins que rien, ma mère et moi, nous obligeant à nous installer à Guryong, j'avais envie d'y retourner. Pas pour les voir, mais pour revoir la ville de ma naissance. Pour me raccrocher à mes racines, je pense. Je dois être dans cet état d'esprit pour lui poser de telles questions avec un enthousiasme très fort. Sa phrase m'atteint en plein cœur. Échanger nos places? Avait-il vu Guryong? Savait-il ce que j'avais enduré, là-bas, à la mort de mon père? Combien ma mère avait trimé pour nous faire joindre les deux bouts? La haine que j'avais ressenti envers tout ces gosses de riches qui nous regardaient de leur suites de luxe? Je baissais mon regard, retenant ce relan de colère qui affluait fois mille dans mes veines. « Dis pas ça, Ji Hyuk. T'a pas le droit de dire ça. Tu sais pas ce qu'est, vivre dans un bidonville. Fait pas comme si c'était enviable. ». J'avais été un peu sec, c'est vrai. Mais rien ne m'énervait plus que les riches qui se faisaient plaindre de leur sort. Il n'avait jamais eu de problèmes pour manger, se soigner, se loger, lui. Le reste est superficiel. Tandis qu'il vivait, je survivais, moi. Je suis a cet instant bien loin de me douter de ce qu'il a vécu. Il semble si atteint... J'ai tout de même préféré couper court à la conversation. Je pense que c'est mieux comme ça. Pour nous deux.

Et je le pensais vraiment. Si Ji Hyuk m'avait dit tout de suite: « ouais, grave, on le fait! Aide moi à devenir une star! », j'aurais su lui présenter les bonnes personnes. A force de faire des photos, on se fait de bons contacts. Et je suis le genre à tout garder sous le coude, au cas où. Je suis, là encore, très loin de me douter que je piétine tous les « secrets » de mon interlocuteur. Je sais qu'il a le talent, il ne lui manque que quelqu'un pour polir un peu tout ça, et le faire briller encore plus. Je suis on ne peut plus sérieux, réellement investi. Sa réponse ne me convient évidemment pas, et je fronce les sourcils, perplexe. « Et qui a décidé de ça? Dis-le moi, que je lui pète la gueule. Comme ça, tu pourras devenir une star, comme il se doit quand on a du talent comme toi. ». Erm, oups? Je ne le savais pas encore, mais je venais de menacer de taper son père. Rien que ça. Son avenir de sénateur semblait tout sauf lui convenir. Et je suis certainement pas bien placé pour lui dire : « ouais, laisse tomber ce que disent les parents, fais ce que tu veux de ta vie, comme tu le sens! », vu comme je suis dépendant de l'avis de ma mère. Je me sens redevable vis-à-vis d'elle, et même si le sport est quelque chose qui me plaît, je m’acharne à la tâche pour convenir à son idéal. Et c'est aussi pour ça que je ne peux pas aimer qui je veux. Au fond, je sais pas ce qui est le pire.

Je suis sincèrement heureux que les yakitoris lui plaisent. Je suis content de voir que ce à quoi je l'ai initié lui plaît. Je souris comme un gosse, fier de moi. Il mange avec appétit, et écoute à peine ce que je lui raconte ; je trouves ça super. Le voir manger avec insouciance, avec la tristesse qui transparaissait sur son visage tout à l'heure, ça me fait plaisir. Je lui frotte une nouvelle fois les cheveux, attendrit. Il me fait rire, alors qu'il tente de ramener les choses au chantage originel, l'histoire de maître et esclave, tout ça. Je trouve que j'ai un maître plutôt cool, quand même. Je passe un bon moment depuis tout à l'heure, et j'avais même oublié le motif de base, la raison pour laquelle on est ici. « Okay, maître, ça me va! Je ne vous décevrais pas! », lâchais-je en faisant un salut militaire, tout sourire. Il répond ensuite à ma question ; six mois, c'est tout? Je le laisse terminer de parler avant de lui répondre. Les études? Être sénateur pour reprendre...? Ouah, ça pue les souhaits de papa-maman, ça. « Je suis ici depuis presque 12 ans, maintenant. Je ne suis pas encore retourné en Corée depuis, donc c'est pour ça que tout à l'heure, je... enfin bref. ». Je me force à sourire, et décide de parler un peu, pour pas qu'il soit le seul à raconter des bouts de sa vie. « C'est ma mère qui est japonaise, et mon père coréen. On est venus avec ma mère au Japon, parce qu'on pouvait plus se permettre de vivre en Corée, on a habité chez ma grand-mère un bon moment. Mon père est mort d'une overdose ou il a été battu à mort avant que je ne naisse, si tu veux tout savoir. ». Bon, j'avais un peu dérivé, mais ça me semblait plus juste, vis-à-vis de lui. A mon tour, je mange ma brochette, sans rien dire. Je fais un petit signe de tête vers la nourriture : « J'ai encore faim, on en recommande? »

« Et tu fais quoi, là, tu chuchotes peut-être? YAH toi-même! Ingrat c'est respecteux? », bon, là on se chamaillait pour rien, j'en avait conscience. Ji Hyk aurait très bien pu être mon petit frère, si on oubliait nos deux classes sociales opposées. Je terminais ma phrase par une tape à l'arrière de sa nuque, histoire d'accentuer encore plus ce côté « fraternel » qui s'instituait entre nous. Ouais, je sais, c'est une drôle de façon de dire « je t'aime bien », mais bon. Je me dis que c'est pas bien grave, il sait que je n'entretiens aucune animosité à son égard. Au contraire, je le trouves attachant. Alors quand je le vois s'ouvrir un peu plus à moi, je suis content ; même quand le sujet ne semble pas le ravir. Je me giflais mentalement ; encore une fois, ma grande gueule m'aura desservit. Je suis un abruti, c'est sûr, mais notez que dans ce cas, j'étais pas censé le savoir ; avant de voir sa tête, du moins. Oui, lui et moi, on est certainement très différents. Mais je crois qu'au fond, pas tant que ça. On cache des choses derrière notre sourire, dont personne ne soupçonnerait l'existence. Même en étant riche de son côté, même étant choyé du mien. Il est peut-être trop riche, et moi trop choyé ; l'un et l'autre, ça nous apporterait beaucoup, mais les choses sont comme elles sont. On fait aller. Je le toise quand il sort cette phrase qui me fait mal ; il aurait aimé vivre à Guryong? Il sait pas de quoi il parle. Je lui répond sèchement, avec pourtant toute la délicatesse que je peux. Il me répond et je le regarde, surprit. C'est vrai, c'est pas le genre de choses auquel on pense ; mais c'est pas toujours rose pour les riches non plus. A la télé, on voit la concurrence, les parents chiants ou absents, le problème de l'héritage etc. Y avait un drama comme ça, qu'on suivait avec ma mère, mais j'ai oublié le nom. « Ouais, j'avais pas pensé à ça... », je me frotte l'arrière de la tête, gêné. Mon regard cherche un endroit où se poser, avant je ne murmure, perdu dans mes pensées : « C'est pas facile de vivre heureux, hein. ».

Là encore, je torture un morceau de sa vie, de ses rêves, sans en prendre conscience. Devenir une star? Il débute demain si il veut! Et je sais ce que je dis, parce que je connais un peu de gens dans ce milieu. J'ai compris plutôt vite que ça plaisait à Ji Hyuk, et je pense vraiment qu'il s'éclaterait à faire ça. Pourtant, quand on en parle, il se braque, détourne le regard, semble triste. Je crois qu'il cache pas mal de choses ce gosse. Alors je me reprend, m'exclamant que je péterais la gueule du gars qui l'empêche de faire ça ; en l'occurrence, son père. Je suis vraiment nul, hein? Mais pour autant, mon point de vue n'a pas changé : « Tu coup, tu me passes ton adresse, on se fait ça comment? Parce que là, je peux pas laisser passer ça. Il mérite une correction, hum. ». Je le regarde sérieusement, et n'en penses pas moins. Même dans un rêve, je crois que ça serait pas aussi simple. Et il y a encore une multitude de choses que j'ignore sur Ji Hyuk. « T'es vraiment un cliché, Ji Hyuk. Tous les gosses de riches sont comme ça, obligé de suivre le modèle de papa-maman? », oausi, j'y vais un peu fort, mais c'est cette situation qui m'énerve. J'ai l'impression de me voir, à la merci de ma mère, dans une spirale infernale dont je ne peux pas sortir. Je soupire et passe ma main de mes cheveux à mon visage, avant de dire : « 'fin je te dit ça, mais je suis pas mieux, hein. Je suis désolé pour toi. Mais ma proposition tient toujours. J'ai des muscles, tu sais! », un grand sourire orna mon visage, et je contractais mes biceps comme un bien heureux. Ouais, j'avais l'air d'un idiot, mais je voulais lui changer les idées.

La nourriture, c'est une bénédiction. Toujours. Des découvertes encore et encore. On mange pas le bœuf de la même façon en Argentine, en France ou au Cambodge. Pourtant, c'est le même produit de base. Bah je pense que les yakitoris, c'est une bonne alternative pour les amateurs de bonne cuisine, parce que ça se mange vite, et que c'est très savoureux. C'est sûrement l'une de mes meilleures découvertes au Japon. Je prend plaisir à le voir manger autant qu'a manger moi-même. J'ai l'impression d'avoir partagé quelque chose avec lui, et ça me rend heureux. Les plats, les saveurs, les parfums, c'est un bon moyen de connaître quelqu'un et de pouvoir lui faire plaisir simplement. Quand on vivait encore Corée, avec ma mère, la moindre chose qui permettait d'agrémenter la soupe était la bienvenue ; un champignon volé au marché, de la marjolaine coupé à la va-vite dans un champ, un oignon trouvé frais dans une poubelle. On se servait de tout, parce qu'on avait rien. Et l'air de rien, j'y ai découvert des saveurs qu'aujourd'hui je peine à retrouver. Ça me fait rire de voir Ji Hyuk remettre sur le tapis notre histoire d'esclave et de maître, et naturellement je joue le jeu, comme un gosse. Je rigole, sans me vexer ou quoi avec le surnom qu'il utilise. Ouais, bah j'ai pas trop le droit de me vexer, avec tout ce qu'on s'envoie dans la tête depuis qu'on se connait. Mais Tokyo et la Corée reviennent sur le tapis ; s'il est là depuis 6 mois seulement, moi je carbure depuis 12 ans au Japon. J'en viens à parler un peu de moi, de mon histoire, à me confier quoi. Il me regarde puis détourne le regarde, visiblement plus embrassé qu'autre chose face à mes mots. Je tente de le rassurer comme je peux ; « T'en fait pas, c'est pas comme si je le connaissais. Je lui en veux plus qu'autre chose, je suis pas triste à ce sujet. », je lui offre un petit sourire, un peu faux, c'est vrai. Ouais, dire que je suis pas triste de jamais l'avoir connu, c'est vrai et faux ; j'ai toujours ressenti le manque de mon père chez moi, et de la haine envers lui pour avoir laissé ma mère seule. Je crois qu'un jour, j'aimerais quand même aller me recueillir sur sa tombe.

Bref, je relance le sujet nourriture pour pas tomber dans le mélo. Il a envie de sucré? « Déjà? Mais on vient de manger un gâteau au maid café! », je rigole ensuite à gorge déployée, trouvant sa façon d'agir comme un enfant très mignonne. « Bon, d'accord, alors, euuuuh... Des wagashi? Ce sont des pâtisseries traditionnelles japonaises, comme ça tu découvres en même temps. Tu verras, c'est petit comme tout, mais c'est très bon! ». Je commande donc à l’accueil des anpan, des dorayaki, des dango de plusieurs sortes, et des yatsuhashi, parce que c'est juste trop bon, ça. Je m'exclame ensuite : « C'est au tour de qui? On continue la battle, nan? ».

Je sais que je peux bien dire ce que je veux, Ji Hyuk, il en a rien a carrer. Parce que c'est une petite teigne, et qu'il se croit mieux que tout le monde. Je sais bien qu'au fond il est pas comme ça, mais ça m'exaspère quand même de le voir dans cet état. Je trouve ça bête. Mais en même temps, il reste attendrissant, alors bon. Que voulez-vous que je fasse... J'ai pas conscience d'avoir farfouillé des sujets sensibles pour lui, mais je comprend à sa tête que quelque chose ne va pas. Alors je me rattrape. Je crois qu'on se vexe l'un l'autre, on arrive à se dire des choses qui font mal ; mais comme c'est innocent, la douleur part vite. Au fond, on se ressemble, et ça doit être pour ça qu'on arrive pas à vraiment se détester. J'essaie de laisser un peu d'espoir dans ma dernière réponse, mais malgré son sourire Ji Hyuk casse cet effort. Il n'a pas l'air vraiment dépressif, mais un peu désemparé. Il me fait penser, à cet instant, à un petit enfant qui joue tout seul à la récré. Un peu peiné, je le regarde, avant de dire : « T'es jamais tombé amoureux, non? Parce si c'était le cas, tu saurais que c'est possible. ». Je lui souris doucement, et le regarde, un peu perplexe face à sa remarque. Il a vu quoi de si terrible dans sa vie pour être autant pessimiste? Ce gosse est un mystère.

Mais je me lance quand même, et lui prédis une carrière florissante dans la chanson, plein d'espoir. Je suis comme ça. J'ai envie qu'il soit bien, et j'ai la ferme impression que seul un avenir de ce type pourrais le rendre plus jouasse. C'est dommage de savoir qu'il a déjà un avenir empacté et préparé pour lui. Surtout si c'est ses parents qui le forcent ; je suis tout à fait contre ce genre de choses. Je trouve ça dégueulasse, et je ne me gênes pas pour lui faire comprendre. Je continue pourtant de faire le pitre, m'improvisant Superman pour l'aider. En prison? Je me rapproche de lui, et lui chuchote, amusé à mon tour : « J'ai des contacts aussi, et j'ai moyen de faire tomber M. Kwon. Mais c'est un secret, et je ne peux pas te révéler mes sources! Donc chut! ». Je me décale et ris ensuite comme un enfant. J'essaie de façon mal tournée de dédramatiser la situation, et de le faire rire à mon tour. Je hais ce regard rempli de tristesse qu'il peut avoir parfois. Je le regarde et réponds, tout de suite plus calme. Ses paroles m'avaient fait l'effet d'une douche froide. « Ji Hyuk, écoute-moi. Je vais te parler en aîné, donc soit attentif pour une fois. Je te connais mal, et je ne connais même pas ton père. Pourtant, je commences un peu à comprendre quels sont les démons qui tournent autour de ta tête. Je prétends pas tout savoir sur toi, loin de là. Mais si tu dois savoir une chose que la vie m'a apprise, c'est qu'il n'y a aucune fatalité. Tu n'es peut-être que ça dans ta tête, mais ce que tu me dis, c'est très loin de l'image que j'ai de toi. Tu es jeune. Tu as toute la vie devant toi. Et si par malheur, tu ne pouvais pas faire autrement que de suivre la voie que ton père a choisit pour toi, alors soit. C'est pas pour autant que tu seras malheureux jusqu'à la fin de tes jours. C'est pas pour autant que tes enfants seront des robots à ton service. C'est pas pour autant que dans ta tête, tu es toi-même un robot. », je continue de le fixer, et répète, les yeux un peu dans le vague cette fois-ci ; « Il n'y a pas de fatalité. Ça n'existe tout simplement pas. ». Sa question me surprend, et me sors immédiatement de mes pensées brumeuses. Pourquoi je ne suis pas mieux? « Ah ça, hum... C'est un peu compliqué, mais disons que je tente de correspondre au mieux à l'idéal que ma mère a créé pour moi. », je souris faussement, et baisse le regard, « Même si je suis pas dans toute les cases, ces derniers temps... ». Faut que j'arrête de me prendre la tête. C'est déjà trop en une journée. Heureusement que y a plus d'alcool, parce que je m'en servirais bien un verre, là.

La nourriture. Quel bon moyen de changer de sujet sans trop de dégâts. J'ai faim, et je lui fais suffisamment comprendre pour qu'il nous commande des yakitoris. Ça me fait plaisir de voir qu'il aime ça. Et à ma grande surprise, c'est lui qui relance le sujet sur la Corée. Ah oui, 6 mois c'est pas très long, et quand on fait des études, on a en général pas trop le temps pour visiter le pays ou découvrir la culture. Moi pourtant, je suis là depuis un moment. 12 ans, ça me fait bizarre de dire ça comme ça. Parce que le temps passe vite. Et parce que le Japon, pour moi, c'est qu'un halte. Pas un endroit où je vais rester pour toujours. J'ai bon espoir d'un jour repartir là-bas, d'où je viens. Je pourrais peut-être enfin faire mon deuil, et arrêter de penser à mon père comme à un connard, si jamais je vois sa tombe. Je crois qu'en fait, c'est ça ; j'ai besoin de me recueillir. De lâcher tout ce qui oppresse mon cœur à son sujet. Et ça, ça ne sera possible qu'en Corée du Sud, je le sens. Mes racines sont là-bas, mes origines. Avant de véritablement me perdre dans mes pensées, je propose à Ji Hyuk de lui faire découvrir le Japon. Il a l'air confus vis-à-vis de ma situation « paternelle ». Encore une fois, on se ressemble ; dans le sens inverse, sûrement. Ji Hyuk, c'est moi en plus jeune, en même temps que mon opposé. C'est assez étrange de se dire ça.

Quel goinfre! On vient de manger que déjà il en redemande! Je lui évoque des pâtisseries traditionnelles, les wagashi, faisant face à sa surprise la plus totale. Baaah, il veut un truc sucré, et découvrir le Japon ; donc autant commencer maintenant! Je commande pour nous deux, espérant vivement qu'une fois encore « l'expérience » le ravira. Même si je considère la Corée comme mon pays, le Japon ne reste pas moins une partie de mon histoire, celle du côté de ma mère. Alors je me plaît à l'entraîner avec moi par là. Pour autant, je n'en oublie pas notre pari de base, et demande à qui est le tour. Arf, qui a gagné. Sale gosse. Comme s'il ne le savait pas! Je fronce mes sourcils et le regarde, avant de dire : « Bah toi, bien sûr. Là on termine le deuxième round avec ma chanson, en gros? C'est à toi de me la choisir, je te rappelle ~ ». Je souris avant de dire, prenant une voix niaise au possible, et m’accrochant à son bras comme dans tout mauvais manga à l'eau de rose : « Soit indulgent avec moi ~ ». Je rigole ensuite, avant de caler sa dernière question. Que boire? Avec les wagashi? Il devrait s'en douter nan? « Tu thé vert, bien sûr! Ou voudrais-tu blasphémer, mon enfant? ». Une nouvelle fois, me voilà hilare. Qui est le plus gamin, je me demande. « 'fin tu peux toujours commander du coca en plus, pour faire passer le goût qi t'aime pas ça, haha. ». On est jamais trop prudent. Et là, j'ai peur de voir ce qu'il va me réserver...

Il me regarde avec un air plus étonné que tous les petits extra-terrestres dans Toy Story... L'amour, c'est si nouveau pour lui comme concept? Je m'entiche souvent, donc les palpitations, les mains moites, l'indécision, je connais. Tomber vraiment amoureux, tellement que je n'arrive plus à respirer, manger, penser à autre chose, ça m'arrive pas souvent. Mais l'exaltation, la sensation de puissance quand l'on sait que l'on est aimé en retour, c'est la plus belle chose sur Terre. En amitié ou en amour, la réciprocité, c'est génial. C'est pour ça que voir Ji Hyuk me répondre un « Jamais » froid et désintéressé, ça me brise le cœur pour lui. Quand il trouvera la bonne personne, lui, ça va être grandiose. Je l'espère tellement pour lui. « Alors commence à te préparer. Parce que quand ça arrivera, tu va être tellement submergé par toute les nouvelles sensations qui vont t'éclater à la figure, que jamais plus tu pourras t'en passer. Je te le souhaite, sincèrement. » je termine ma phrase par un petit sourire triste, pensant que moi, je n'étais pas dans la bonne période ces derniers temps. J'enchaîne les amourettes qui finissent mal à cause de mon problème d'alcool ; ouais, bon, c'est pas le seul problème. Avec mon orientation sexuelle qui n'arrête pas de se remettre en question, avec Il Nam qui arrive et repart sans arrêt, je sais pas trop ou j'en suis. Je sais même pas pourquoi je pense à Il Nam, là... c'est glauque, y a rien entre nous. Et on enchaîne les sujets de conversations, passant désormais à son père, qui l'empêche visiblement de faire ce que bon lui semble. En bon preux chevalier qui respecte, je joue, j'improvise un rôle idiot pour le faire rire et penser à autre chose. Je suis con quand je m'y met ; à force de faire le pitre, les enfants se mettent à y croire. Et Ji Hyuk a gardé ce côté enfantin qui lui ressemble tant. Je me mord la lèvre, le coeur serré en l'entendant dire ça. Il y avait cru...? vraiment? Je le toise, attristé, ne sachant que dire pour démentir, me contentant de baisser la tête, honteux.

Je pars dans un discours, une morale, une longue harangue que moi aussi, à son âge, j'aurais bien aimé recevoir. J'aimerais me revoir plus jeune pour me dire que tout ça, c'est rien, et qu'un jour ça ira mieux. Pour me redonner confiance. C'est ce que je fais avec Ji Hyuk, maintenant. Il a l'air d'en avoir besoin. Alors les bouts de choses importantes que j'ai retenu de la vie, je les lui offre, espérant de tout mon cœur qu'il en fera bon usage. Mais s'en rendre compte, j'extrapole un peu trop, dérivant brièvement sur moi, ma vie passée et actuelle. On se ressemble, et je crois qu'il le ressent autant que moi. Au moins, il a sa mère de son côté pour être là et le soutenir. « Tu vois? Il y a du positif partout. Faut juste apprendre à le voir. ». Parce que l'air de rien, c'est ce qu'il venait de faire. Voir le bon côté des choses en pensant à sa mère. Oups, j'avais vraiment dis ça? Que je ne rentrais pas dans toutes les cases? « Aish... », lâchais-je, une main sur mon front. « Les cases de... Tu comprends, je dois me trouver une fille bien, douce, gentille, drôle... La belle fille idéale pour accompagner le fils idéal. » Je baisse les yeux et m'assoit, passant mes mains sur mon visage. Je murmure, beaucoup moins gêné qu'avant en sa présence, maintenant que j'ai l'impression de mieux le connaître. « Et je ne fais que boire et coucher avec des hommes, j'en suis loin... ». Je me mord la lèvre, me rendant compte que Ji Hyuk en savait déjà beaucoup sur moi. Beaucoup, beaucoup trop. A mi-mot, je venais d'exprimer cette douleur qui me ronge depuis des mois.

Manger et parler, je sais faire. On discute de la Corée, même si elle a été cataloguée sujet sensible dernièrement. Je lui évoque mon père comme il l'a fait sur le sien. Je suis décontenancé par rapport à son histoire, et il l'est vis-à-vis de la mienne également. C'est pas comme si on était bien lottis tous les deux, remarquez. Se ressembler ne veut pas dire se comprendre, et j'apprend la définition de tout ça aujourd'hui. J'en apprend beaucoup, finalement. Pas que sur lui, sur moi aussi. Il est un peu comme un miroir qui me reflète. A travers lui, je comprends quels mots je n'ai pas encore dit, quels actes je n'ai pas encore fait. Un jour, peut-être, je m'y reprendrais. Le temps nous le dira.

On se relance sur la bouffe. Sérieux, on est des cas, tss. C'est étrange de manger, boire et parler comme ça, alors qu'on était pas là pour ça à la base. J'adore quand les choses dérivent doucement comme ça, naturellement. Et en plus, je deviens en quelque sorte son professeur sur le Japon ; et c'est pas pour me déplaire, je trouve même ça super! Lui faire partager un bout de ma culture, ça me fait plaisir, j'ai l'impression de me rendre utile. Surtout qu'il avait l'air d'apprécier tout à l'heure ~ On en revient au match, et je le détermine grand gagnant, haut la main. Sérieux, je peux pas lutter, y a un moment, voilà quoi. On s'amuse à jouer les faux couples, perdant toute crédibilité dès qu'un mot sort de nos bouches. Je m'amuse, c'est dingue! Je me rappelle plus la dernière fois que ça m'étais arrivé en dehors d'une boîte de nuit. Ça reste quand même à moi de commander, parce que bon, j'ai une tête de linotte en face de moi, qui à part se dandiner et aligner deux trois notes, sait pas faire grand chose de ses dix doigts ; ouais, j'exagères, je sais. Surtout que c'est lui qui avait commandé juste avant... il a mérité de se « reposer » un peu. Je me dirige vers le téléphone et m'exprime poliment en japonais pour pouvoir avoir nos pâtisseries le plus vite possible. C'est étrange de passer du coréen au japonais comme ça, j'ai plus l'habitude. Je cherche mes mots au début, avant de réussir à retrouver mon accent fluide. J'eu à peine le temps de raccrocher que déjà j'observe l'écran en face de moi. Linkin Park. Avec Given Up, en plus. Quel salaud...

Je lui lance un regard noir. Les claquements de mains commencent, et je me rappelle avec nostalgie un groupe d'amis que j'avais eu, et qui écoutait ce genre de choses. Je connais, du coup, mais vaguement quoi. On passe pas ça en boîte, en général ; pas là où je vais, tout du moins. Je crois tout de même savoir que ça monte haut, et qu'une bonne maîtrise de son souffle et de ses abdos est requise. Je réussis le début sans trop d'accrochage, mais avec moi voix chantée que je savais désormais un peu cassée et rauque, ça risquait d'être un massacre. Je donne tout ce que j'ai sur le « Uuuuuup », tentant d'être le plus juste possible. Il avait sublimé Eminem, alors je devais au moins tenter de pas défoncer Linkin Park, quoi. Histoire d'être un peu crédible. Je continue comme ça, perdant un peu plus mon souffle. La chanson se termine, et moi je suis essoufflé comme un bœuf. J'ai l'air d'avoir couru un marathon ; mais la nage, ça aide à maîtriser ses poumons. Je sais pas pour la justesse, parce que c'est la première fois que je fais ça, mais je suis certain d'une chose : j'ai pas entaché la chanson de grosses inspirations dégueulasses. C'est déjà ça.

Sortir avec quelqu'un dans mon cas, ça n'a jamais été une réussite. Soit je sortais avec quelqu'un que j'aimais vraiment, et dans ce cas je devenais à un certain moment trop jaloux pour pouvoir penser à autre chose ; soit je choisissais quelqu'un qui correspondait plus aux attentes de ma mère qu'aux miennes, et dans ce que j'arrivais pas à vraiment m'attacher, et ça tournait au drame. Je suis pas vraiment la personne la mieux placée sur Terre pour dire à Ji Hyuk de garder espoir. Et pourtant, je pouvais pas m'en empêcher. Le voir si désemparer face au reste du monde, à des choses qu'il ne semblait pas connaître, c'était assez difficile. Et moi, j'y croyais, vraiment. Comme une adolescente de 14 ans, je suis persuadé que je trouverais quelqu'un qui me conviendra. On est 7 milliards d'êtres humains, ou presque, faut pas déconner. Des fois, je me dis par contre que la personne que j'attends a peut-être déjà disparu. La fille idéale est peut-être française, et morte en 1789 pendant la révolution. Qui sait. Mais à donner de l'espoir comme ça, je me rends compte de ses limites également. Ji Hyuk, je ne peux rien faire contre ton père. Si quelqu'un le peut, je ne le connais pas, et peut-être que toi non plus. Ces mots, je n'ai pas pu les dire, mais il a certainement du tout comprendre. C'est l'avantage ; quand on est proche des gens, d'une façon ou d'une autre, on se met à les comprendre sans paroles. Attendez, je viens bien de penser que je comprenais Ji Hyuk? Bah, d'une certaine façon, ouais. Pas tout, je m'en doute. Mais des morceaux, des bouts éparpillés un peu partout, et qui se recollent au fil des conversations. Si c'est son père le problème chez lui, moi c'est plus du côté de ma mère que je suis en cage. Je suis content pour lui, de voir qu'il a su comprendre qu'il n'était pas aussi qu'il le croyait. Il a, et je l'espère pour lui du moins, sa mère à ses côtés. Est-ce pour ça que la partie « amis » ou « petite-amie » est si importante pour moi? Parce que je n'ai pas un parent de mon côté dans l'affaire.

Parler de ça avec Ji Hyuk, ça n'aurait pas été si naturel deux heures plus tôt. Là, on se lâche un peu, j'ai l'impression. C'est dingue comme les choses évoluent ; on dit que nos ennemis ne sont jamais ceux qu'on croit. Mais je crois que c'est le cas aussi pour les amis. J'ai vraiment l'impression de pouvoir me confier sans tabous, alors qu'à la base, il ne me met pas dans une situation très confortable. Dire ce que je viens de lui dire, y a pas grand monde qui le sait. Ji-Hyun sûrement ; elle, elle a simplement dû le comprendre. Mettre des mots dessus est étrange ; et bizarrement, ça allège le poids qui pesait sur mes épaules. Oui, parler ça fait du bien. De l'idéalisme? « Ça doit être ça. C'est pas comme si je pouvais choisir pour de vrai, hein. ». Faux. Ça, c'était totalement faux. Jamais ma mère ne m'a dit texto « Trouves toi une fille parfaite, devient mannequin et sportif reconnu, soit le meilleur partout, et je serait fier de toi, mon fils ». Jamais. Chez nous, on ne dit pas les choses. Pas comme je viens de la faire avec Ji Hyuk. Mais je dois tellement à ma mère, que je ne peux pas m'empêcher de vouloir correspondre à un type qui lui correspondrait totalement. C'est ma mère. Je connais ses goûts. Je sais ce qu'elle aime, et ce qu'elle n'aime pas. Ce qu'elle tolère, et ce qu'elle ne tolère pas. Pour détourner la conversation, je dis : « Enfin, pas la peine d'épiloguer, tu connais cette situation, toi aussi. ». De là, la Corée, mon père ; des broutilles, quoi.

Je me propose tel le gentleman que je suis de m'occuper de son éducation à la gastronomie japonaise. En effet, monsieur semble pas vraiment calé sur le sujet, et ça m'attriste pour lui. Parce que bon, on va pas se mentir ; les japonais sont doués dans ce domaine, dans le sucré comme dans le salé. En Corée, les plats sont très épicés, plus familiaux, on va dire. Au Japon, c'est la délicatesse qui prime, la fraîcheur et les saveurs subtiles. C'est vraiment tout un art, et je trouve que c'est sublimé ici. Bref, je connais des tas de bons restau qui n'attendent que d'être goûtés par nos soins. On repart sur le chant, et pendant que je commande, ce bâtard lance du Linkin Park. Quelle enflure, je vous jure.

Après m'être débattu avec son choix de merde, j'obtiens des applaudissements, le droit de gagner visiblement, et... son sourire mesquin, là, toujours plaqué sur son visage. Je sais bien qu'il exagères, le petit con. Je passe ma main sur le dessus de sa tête pour l'obliger gentiment à la baisser. J'esquisse à mon tour un sourire, silencieux, avant de détourner le regard vers la dame de l’accueil qui, une nouvelle fois, nous amène à manger. Il n'en faut pas plus pour que mon comparse (NDA : oui, j'ai bien écrit comparse mouhaha) se jette sur la bouffe, comme un damné. Je rigole un peu et dit : « Sérieux mec, on dirait que t'a pas bouffé depuis trois semaines.. ». Il a l'air d'aimer, renforçant mon sourire ; j’acquiesce à sa remarque. Surprenant, c'est sûr, mais sympa c'était bien le mot. « Ouais, de foot, très tôt en plus. Mon prof est taré, je t'assures. ». A mon tour, je mange un dango ; en entier, parce que l'air de rien, ça donne faim toute cette histoire. Je bois une gorgée de thé vert, et manque de m'étouffer face à sa remarque. « Kwon Ji Hyuk, sur la vie de ma mère, c'est la dernière fois que vous accompagne faire un karaoké! ». Faut pas pousser, hein.