Tenue ღ Crevette. Ses partenaires de danse et camarades de la Juilliard la surnommaient ainsi. Qu'est-ce que ça l'agaçait. Sous prétexte qu'elle ne dépassait pas le mètre soixante et qu'elle ressemblait à une gamine, on ne la prenait pas toujours au sérieux. À la Royal, on la confondait même avec les étudiants. Ces derniers avaient d'ailleurs cru à une blague en la voyant arriver la toute première fois. Elle ? Enseignante ? Mais non ! Ils enregistrèrent vite leur erreur. Hazel n'était pas une femme enfant. Elle tenait plus de la tigresse. Ses collègues ne se moquaient plus d'elle. On ne chuchotait plus à son passage dans les couloirs. Tout le monde se taisait dès qu'elle pénétrait dans une salle de classe. Les gens craignaient la colère de ce petit bout et faisaient bien. Elle remettait immédiatement à sa place toute personne qui ne la considérait pas à sa juste valeur. Car Hazel connaissait son talent. Sa timidité des débuts n'existait plus. Son surnom ne lui convenait donc plus. Elle dégageait un charisme effrayant, détenait un charme intimidant et ensorcelait les plus réticents. On ne lui résistait pas. Les plus forts l'amusaient et la défiaient. Elle les reconnaissait ainsi. Un futur excellent danseur était pour elle un jeune capable de lui tenir tête. Il ne lui resterait qu'à apprendre pour le reste. Mais des têtes brûlées, elle en voyait peu dans ses cours de danse classique. C'est pourquoi elle se portait toujours volontaire quand il s'agissait de remplacer son collègue pour des leçons de hip hop ou breakdance. Aujourd'hui, il l'avait appelé en catastrophe dix minutes même pas avant l'horaire en la suppliant de courir jusqu'à l'université pour tenir sa classe. Naturellement, cette occasion lui servit à soutirer des avantages de ce pauvre mec et elle accepta après une petite minute de négociation. En un éclair elle s'habilla et fila pour la Royal. Elle allait arriver en retard mais tant pis, cela lui donnera une bonne raison de les garder plus longtemps.

Un demi heure de retard. Elle vérifia encore une fois sa montre avant de passer les portes de l'université et grimaça. Elle détestait ne pas être à l'heure. Heureusement, elle avait averti le secrétariat qui s'était chargé de prévenir la classe sans prendre pour autant la peine de préciser qu'un autre enseignant allait assurer le cours. Lorsqu'elle passa la porte de la salle de danse, elle put donc savourer les expressions de ces visages innocents qui variaient selon leurs sentiments face à la ballerine. Elle tapa dans ses mains pour faire taire les murmures et s'exprima d'une voix claire. « Bonsoir mes lapiiiiins ~ est-ce que je vous ai manqué ? » Des protestations s'élevèrent dans la salle huant la jeune enseignante qui ne fut nullement secouée par ce comportement. Au contraire, elle entra dans le jeu et fit une magnifique révérence de danseuse étoile. « Oui, vous aussi m'avez terriblement manqué. » Un sourire sadique décora sa bouille de poupée. Voilà longtemps qu'elle n'avait pas eu cette promotion. Ils avaient dû s'imaginer que jamais ils ne la reverraient.

Son regard scruta alors l'assistance à la recherche de son rebelle préféré. Bingo ! Elle secoua vivement ses doigts pour le saluer avant de froncer les sourcils quand il tenta de s'éclipser. Sans peur, Hazel se dressa entre lui et la sortie. Elle était si minuscule face à lui. Un duel de regards débuta. Sans lâcher le morceau, elle ferma délicatement la porte, tourna deux fois la clé avant de la retirer. « Vous partirez quand je l'aurai décidé. » Elle glissa la petite tige dans son soutien-gorge, bien à l'abri, puis tapota l'épaule de Yukine. « Et ne pleurez pas que c'est interdit. Je ne vais pas faire de vous des enfants battus.  Enfin pas vraiment. » Elle le dépassa pour aller balancer son sac dans un coin de la salle. Elle y rangea sa casquette et s'attacha de façon négligée les cheveux. Fronçant les sourcils, elle s'écria plus virulente que jamais : « Vous attendez quoi ? Échauffez-vous bande d'idiots. » Elle poussa un long soupir, fatiguée d'avance par la longue soirée qui l'attendait. Elle retira ses talons, enfin les trucs qu'elle portait aux pieds et qui ressemblaient plus à des échasses, pour enfiler ses baskets. La brunette remonta ensuite un peu ses longs bas pour qu'ils restent bien au-dessus de ses genoux et orienta enfin son attention sur les étudiants.

« Bien, je remplace votre enseignant ce soir pour votre plus grand plaisir me semble-t-il. » Elle passa entre les élèves qui s'échauffaient sur une musique quelconque. La plupart des visages n'affichaient aucun sourire. Elle n'était que très peu appréciée par eux mais à l'exception de Yukine, aucun n'osait lui tenir tête. Elle frappa à nouveau dans ses mains pour les intimer d'arrêter leur activité et désigna les deux côtés de la salle. « Qui va avoir l'immense privilège de me montrer la chorégraphie sur laquelle vous travaillez actuellement ? » Elle fit semblant de chercher une victime mais en vérité, c'était tout vu. Elle pointa du doigt Yukine et lui laissa sa place au centre de la salle. En claquant des doigts, elle désigna un autre élève pour faire démarrer la musique. Hazel avait une bonne mémoire et n'aurait besoin que de voir deux ou trois fois les enchaînements pour les retenir. C'est pourquoi elle se plaça derrière Yukine, prête à le suivre et sourit à son reflet dans le miroir.

Tenue ღ quelle plaie, l'école. Si ça ne tenait qu'à moi, j'échangerai les cours généraux pour ceux de danse. Effort physique du matin au soir, sans livre, ni cahier, ni stylo. Je déteste les mathématiques comme je me fiche pas mal du japonais. Je sais lire et écrire, compter jusqu'à dix, pourquoi on m'embête encore à apprendre des trucs inutiles ? Sérieux, je m'en fous de savoir si je parle au passé de l'indicatif ou si  je sais faire une fraction à la seconde. Moi, je veux juste danser. Le hip hop a beaucoup plus d'importance dans ma vie qu'un quelconque documentaire scientifique ou bouquin débile. De ce fait, je ne me donne pas tellement la peine d'être un bon élève en dehors de ma passion, et cela pourrait bientôt me pénaliser. Mes parents ont beau dire en voyant mes résultats, je ne change rien à mon comportement. Je veux être danseur, pas mécanicien ou scientifique dans un quelconque modèle. Eux, ils sont intelligents et riches, moi je suis juste talentueux et persévèrent. Il en faut du courage et de la confiance en soi pour supporter les professeurs de la royal. Surtout les remplaçant du genre ras du sol, qui couine sans arrêt et qui doit avoir un penchant pour fifty shades. Je penserais à poser la question, un jour. à voir son sadisme à celle-là, ça ne m'étonnerait pas! M'enfin bref, j'espère juste ne jamais la revoir de ma vie. Pouah, j'en ai la chaire de poule rien que d'y penser. Je ne comprends pas la folie de notre professeur à faire appel à elle quand il ne peut pas gérer. Au pire, il nous laisse sans personne, ou complètement libre. Non mais, regardez son niveau et le miens, quoi! Bon d'accord, elle sait danser, mais plus avec un tutu qu'autre chose. Un peu comme l'autre gamine de service, là. Elles font la paire, sérieux.

Notre professeur avait donc une bonne demi heure de retard, ce qui ne m'enchantait guère. il fait sérieusement chier celui-là aussi. Où a-t-il eu son diplôme de professeur pour manquer un cours sur trois ? Une demi heure, c'est de quoi enchaîner une bonne dizaine de musique et quelques chorégraphie. Une perte de temps, voila. J'étais à deux doigts de partir quand la porte s'ouvrit. Enfin. Ou pas. Mon début de sourire disparut aussitôt en voyant la minimoys rentrer dans la pièce. Pff, c'est une blague ? Dites-moi qu'elle est juste venu nous annoncer l'absence de notre professeur ? Pitié, je ne demande jamais rien, mais juste ça. Au moins, je ne semble pas être seul à ne pas l'apprécier.  Je vois des regards mauvais, comme des sourires ou marques de respect. Suis-je le seul à tirer la tronche, dégoûté de sa présence ? Quasiment, sauf que je n'ouvre pas la bouche une seconde. Manquer, c'est un grand mot. Je dirais plutôt l'inverse. Cette femme ne me manque jamais, pas une seule seconde de ma vie. Un « Tss. » bien méprisant s'échappe de moi, pendant qu'elle fait sa révérence sous l'attention des autres. Je vais vomir, tsk. Faites-moi sortir d'ici avant que ça ne devienne Bagdad dans la pièce. Cette meuf va me prendre la tête avant même de commencer son cours! Ouais, j'ai pigé qu'elle n'était pas là pour décorer... Dommage.

Au croisement de mon regard, je déglutis discrètement en fronçant les sourcils, une mine désespérée sur le visage. Non, je ne reste vraiment pas ici. D'un commun accord avec moi-même, je prenais rapidement mes jambes à mon cou, croyant pouvoir filer en vitesse sans être choppé. Loupé. Hazel bloqua ma seule issue en se dressant entre la porte et moi. Fichtre. Le déclic de la clé dans la serrure me parvient sans mal jusqu'aux oreilles, et je sais d'avance qu'elle vient de me condamner à son cours. « Et moi, je me casse quand j'le veux. » M'énervais-je en tentant de lui reprendre la clé... Sauf qu'elle vient de la glisser dans son soutif. Non. Je me recule rapidement pour ne pas toucher ses seins, rougissant légèrement. Son geste me fait rager, et je me retiens de secouer les épaules comme un chien mouillé se secourait pour se sécher. Blablabla. Je roule des yeux en me tournant finalement dos à la porte. Tant pis, je ne vais pas la défoncer non plus. En deux secondes, j'ai le temps d'évaluer sa tenue. Provocante et pas tellement chaude pour un mois de février. Devrais-je lui filer un catalogue de vêtement pour qu'elle soit une professeur et non une élève rebelle ? Qu'elle ne s'étonne pas d'être confondu. Son « ordre » me passe au dessus de la tête, tandis que je ne fais rien dans mon coin. Si elle croit que je vais m'échauffer ou quoi, elle peut toujours courir.

Plaisir, cela aussi est un grand mot. Je dirais plutôt pour mon plus grand malheur. On fait avec, hein ? Je voudrais faire sans, là. Je n'ai toujours pas bougé pour m'échauffer, contre l'idée de participer à son cours. ça ne m'intéresse pas de bosser avec une danseuse étoile. C'est même ridicule pour un gars comme moi. Son claquement de main me ramène de force à moi, puis à elle. Quelle enquiquineuse à perturber le moindre de nos mouvements... Enfin, leurs mouvements. Privilège. Pourquoi ça sonne faux dans mes oreilles ? Sa question en elle-même sonne comme une mauvaise blague. Saleté. Je le savais d'avance qu'elle n'était pas sérieuse avec sa question rhétorique. à peine a-t-elle fini de parler qu'elle me pointe du doigt, genre, c'est évident. Je roule à nouveau des yeux, me retenant de critiquer pour m'avancer au centre de la pièce. D'accord, elle veut jouer, jouons. J'attends que la musique débute, l'observant aussi dans le miroir avec ce regard de défi. Ne perdez pas pied, madame Lee. Un fin sourire s'étire sur mes lèvres, alors que la musique débute et que je met à danser comme prévu. Ce n'est pas une danse de salon, ni un truc minable du lac des cygnes. Non, ça bouge. Pas de là à faire des efforts pour se retourner une épaule ou un genou, mais ce n'est pas calme non plus. Un mélange entre brusquerie et contrôle de soi. Encore une fois, j'en oublie presque Hazel, avant de voir son reflet suivre le miens dans le miroir. Je la déteste sérieusement.  

Tenue ღ Autre chose ne collait pas avec son statut de professeur. Elle s'habillait comme une adolescente rebelle. Oh, pas tout le temps bien sur. Son code vestimentaire s'avérait seulement un chouïa plus éclectique que la norme. Il lui arrivait d’aborder un look de petite fille sage ou de se présenter avec plus de classe. Mais cette apparence un peu grunge à laquelle elle ajoutait une pointe de glamour lui collait à la peau. Elle s'était démarqué ainsi à la Juilliard, au milieu des demoiselles candides et des petits frimeurs BCBG. Bien sur, son talent suffirait amplement à attirer tous les regards. Cependant, toutes les années passées dans l'ombre la poussait à ne surtout pas se fondre dans la masse. Sans compter son culot qui gagnait à être sa deuxième arme la plus infaillible. Hazel se tenait face à son élève telle qu'elle se sentait, une femme de pouvoir sans faille. La petite clé contre sa poitrine, elle soutint le regard de Yukine encore quelques secondes, ravie de l'avoir fait rougir. « Vous n'avez pas fini de me détester, monsieur Miyaki. » Elle articula chacune des syllabes avec exagération. Elle le contourna d'une démarche féline semblable à celle d'un chat prêt à sauter sur le pauvre oisillon perdu. Sauf qu'elle ne voyait pas le jeune Yukine de cette façon. Les autres élèves pensaient qu'elle l'avait pris en grippe. Habitués à leurs nombreuses prises de tête, ils n'y prêtaient même plus attention ou applaudissaient lorsque le spectacle se trouvait un peu plus à leur goût. Hazel jouait. Cela l'amusait. Mais elle le testait surtout.

A l'autre bout de la pièce, tout en s'échauffant, elle le fixait. Un tout petit sourire en coin collé à ses lèvres. Ce petit l'amusait vraiment. Si jeune mais avec déjà tant de caractère. Cela plaisait à la danseuse étoile. Elle termina de réveiller ses muscles par un grand écart et colla tout son buste au sol. Son menton contre le froid, concentration au maximum. Ils savaient que lorsqu'elle donnait un cours, ils n'étaient pas prêts de rentrer chez eux. Hazel réclamait la perfection. Voilà pourquoi son collège lui faisait tellement confiance. Ces gosses détenaient la fougue, l'envie, la soif d'apprendre. Seulement comme beaucoup de danseurs de rue, peu d'entre eux connaissaient la rigueur. Ou au mieux la frôler, bien loin d'atteindre celle d'une ballerine comme Hazel. Elle se redressa lentement et invita son élève favoris à lui montrer la chorégraphie. Cette flamme dans ses yeux. La brunette adore ça. « Ouh monsieur Miyaki, arrêtez, vous me donnez la chair de poule. » Elle se frotta les bras pour donner plus de force à sa scène. Elle hocha la tête pour donner le feu vert, la mélodie envahit la salle et elle ne bougea pas d'un cil.

Dans sa tête, chaque mouvement fut décortiqué. Déjà elle apercevait les défauts, les nuances parfois trop faibles ou le contrôle limite. Pourtant, Yukine approchait de la perfection. Il appartenait à la tête de la classe. Cela n'empêchait pas qu'il lui manquait encore beaucoup de choses. Jeune et vif, il ne disposait ni du recul ni de la maturité nécessaire pour tout contrôler. Nouveau signe de tête pour qu'on remette la musique. Cette fois, Hazel suit son étudiant. Certains enchaînements ont déjà été maîtrisés et mémorisés. D'autres un peu moins. Le troisième écoute fut le bon. Chaque pas s'accorda avec ceux du japonais. Cela l'agaçait qu'une ballerine puisse maîtriser autant. Qu'une petite nunuche en tutu rose sache mener la danse sur son terrain de jeu. La chorégraphie n'était pas complète mais méritait quelques révisions. Hazel n'exécuta pas le tout et s'arrêta un peu avant la fin ayant repéré une erreur vers ce moment de la part du rebelle. Elle s'approcha passa dans son dos et colla sa main à plat contre celui-ci. « Droit. » Elle remonta la main dans le haut du dos pour le geste suivant. « Courbe plus. » Et passa sa jambe entre les siennes pour qu'il les écarte un peu plus. Son pied colla le sien pour le remettre droit, bien perpendiculaire au miroir. « En face. Sans perdre l'axe. » Impossible de la contredire. Hazel avait à peine quelques années de plus que lui mais son regard était beaucoup plus aiguisé. Il s'agissait de celui d'une chorégraphe, d'une prodige, et par conséquent elle ne se trompait pas.

Elle gagna la place de prof qui lui revenait et fit ainsi de nouveau face au jeune japonais, s'adossant au miroir. Mais pas question de le complimenter, malgré son bon boulot. À la place, Hazel leva la voix. « Bon ! Vous attendez quoi pour vous placer bande d'incapables. » Elle les laissa se regrouper et commença à slalomer entre eux. « On est ici pour au moins deux heures si vous êtes tous réglés comme Miyaki. Mais je vous connais, je sais que c'est pas le cas. » Bon, peut être que ça en fait, c'était un peu un compliment. Mais juste un peu. Une main se leva et tout de suite Hazel secoua la tête désapprouvant le geste. Elle devinait toujours ce qu'ils allaient demander. Pourquoi ? Parce qu'elle était à leur place il n'y a pas si longtemps. « Si vous voulez une pause, faudra la mériter. » Elle chercha la petite télécommande de la chaîne hifi et se plaça devant eux face au miroir. Hazel leva bien haut la main et compta : « Cinq, six, sept et huit. ». Bienvenue en enfer, gare aux plus faibles, ne vous blessez pas.

Tenue ღ Il y avait bien des choses insupportable auquel je n'ai aucune envie de participer ou d'affronter, et cette fille en fait entièrement partie. Le genre de truc qui m'agace avant même d'y avoir mit un pied. Sans échappe, je ne pouvais rien faire contre son « autorité » et le fait qu'elle venait de fermer la seule porte en cachant la seule clé contre sa poitrine. Même si je suis brusque et râleur, jamais je n'irai mettre mes mains là. Là, dans son soutient-gorge. Faut pas abuser non plus sur le non-respect des adultes. Résigné, je ne pouvais que retourner dans la pièce, non sans participer à ses exercices. Bof, je m'en moque. Elle me force à assister à son cours, mais je ne lui ferais pas ce plaisir d'y être à cent pour cent. Détester est beaucoup trop léger pour traduire ce sentiment que je ressentais à son égare. Je dirais plutôt « hair », bien que cela soit quasiment la même chose. échauffement à part, rien ne m'intéressait dans son cours. Ou disons plutôt que je ne me donnais pas la peine de le trouver intéressant et que je jouais beaucoup trop les têtes de mule pour m'y pencher davantage. Hazel devrait le savoir, jamais je ne ferais le moindre effort pour ses cours. à la rigueur, si elle avait été une danseuse underground sans passer par la case "lac des cygnes", sûrement aurais-je un minimum de respect et d'admiration pour elle. Quoi que, son grand écart et sa souplesse reste l'une des rares choses qui m'impression, je l'avoue malgré moi.

En dehors de ma fainéantise, la professeur choisit le seul élève qu'elle savait sauvage; moi. J'aurai pu dire non, lui faire un doigt et partir à l'autre bout de la pièce, mais non. On parlait de danse, de mettre les pendules à l'heure, de preuve sur mon immense talent dans ce domaine. Adieu modestie inexistante, vous m'avez perdu. Pourtant, je ne perdais pas de temps à lui montrer notre fabuleux programme, prenant ainsi les devants sans qu'elle ne le répète. Fallait pas me le dire deux fois, chair de poule ou pas. Cette remarque me fit légèrement sourire, mais plus par fierté que joie. Un sourire narquois et confiant, chose qu'on ne pourrait m'enlever malgré tout. La musique s'activa, comme mon corps. Je ne faisais que suivre le rythme à ma façon, en respectant la chorégraphie apprise par notre enseignant. Certes, j'approchais sûrement de la perfection, mais il ne faut pas oublier que celle-ci n'existe pas vraiment. J'aurai beau me pavaner, fier comme un paon, jamais je ne serais totalement parfait. Personne ne l'ait, pourquoi se mentir en y croyant ? D'accord, moi je me mens parfaitement à chaque pas, à chaque enchaînement. ça n'empêche pas la demoiselle de me rejoindre sur notre cours et le maîtriser en très peu de temps. Là, elle m'impression, mais je m'étoufferai de me l'avouer. Au contraire, ça me défrise et m'agace à un point inimaginable. Elle, la ballerine, capable de me suivre sans même connaître la base de notre chorégraphie. Pire encore, ça me fout en rogne d'être ainsi dépassé par une fille âgée de quelques années supplémentaires que moi. La musique n'était même pas terminée qu'elle s'arrêta avant celle-ci. Pourquoi ? Je l'ignorais jusqu'à sa correction.

Une main dans mon dos, je l'entendis parler en alliant ses mots à l'acte. Droit ? Je ne savais pas trop comment réagir à son ordre, bien que je m’exécute quand même en me courbant à la seconde directive. C'était très étrange de sentir sa jambe entre les miennes, bien que cela n'est aucune connotation. à vue d'oeil, je ne semblais pas être plus qu'une marionnette pour ce coup-là. Un pantin qu'elle peut manipuler à sa guise, le redressant sans mal. Intérieurement, j'étais à deux doigts de laisser tomber et de sauter par la fenêtre pour échapper à son cours. Extérieurement, je ne cédais pas à cette envie intérieurement et suivais ses « conseils ». Dans un sens, je capitule à moitié. En face. Je fis surtout face à mon reflet et ce qu'il pouvait me renvoyer de moi. Un abruti manipulable et prit dans le piège. Hazel devait s'être détaché de moi pour se retrouver en face à face, adossé contre le miroir. Pas un mot, pas un quelconque échange. Je prenais ça plutôt bien, n'ayant aucune envie de recevoir un compliment de sa part. Pour toute réaction, je me défais de cette position pour laisser ma place à un autre. Aucune envie d'être devant, aussi proche de cette folle. Folle, sans raison.

Deux heures. Punaise, deux heures à supporter cette nana ? Attendez, elle venait de dire quoi ? D'accord, aucun compliment ne me ferait changer d'avis... Elle a bien dit que j'étais réglé ? C'est une bonne chose, ça ? Venant une danseuse étoile, j'ai un doute. Quel idiot voudrait le poser une question. à part suivre, qu'est-ce que l'on pouvait faire d'autre, hein ? Et c'est moi qui demande cela, pff. Ce cours n'en finirai jamais, c'est prévu d'avance. Il  ne me reste qu'une option pour partir au plus vite, être assidu et l'écouter jusqu'au bout. En espérant que celui-ci arrive plus vite que prévu, sinon je me casse d'une manière ou d'une autre. Dans l'immédiat, je roulais des yeux à ses chiffres, me plaçant plus ou moins dans un angle où elle ne pourrait m'observer. Je suis chiant, mais j'assure ma sécurité. Cette fille a tendance à faire une fixette sur moi, à me jeter en avant. Quoi que, ça ne devrait pas tellement me déranger avec un tel tempérament. D'ailleurs, en y pensant, qu'est-ce qu'elle comptait nous faire faire ? « On suit le cours ou vous comptez changer à votre sauce ? » demandais-je sans permission, histoire de savoir à l'avance dans quel enfer je m'embarque. Quant à la suite, je sais déjà d'avance qu'elle va me saouler. J'ai droit à combien de joker avant de péter une durite ? Trois ? à moins que l'appel à un ami soit exclu ? J'ignore à qui souhaiter bon courage, tiens.  

Tenue ღ Hazel le corrigea avec délicatesse et sans profiter de l'occasion pour le démolir devant ses camarades. Quoi que le jeune étudiant en pense, la danseuse ne tenait pas spécialement à le rabaisser. En tout cas, il ne s'agissait pas de son but lorsqu'elle venait donner un cours à cette classe. Bien au contraire, elle essayait toujours de leur apporter ce petit plus dont elle disposait et que les danseurs comme eux oubliaient trop souvent. Yukine disposait d'un potentiel énorme mais pas exploité suffisamment -ou pas intelligemment- selon elle. Par conséquent, elle le trouvait intéressant. S’acharnant sur lui pour cette seule raison, Yukine passait souvent un bien mauvais moment en sa présence. Mais Hazel n'entretenait aucune animosité envers lui. Sauf lorsqu'il se mettait à dénigrer la danse classique ou son talent. Car l'américaine savait sa valeur. Elle commenta les directions qu'elle venait de lui donner, non pas pour le complimenter ou se moquer, juste elle faisait son boulot. « Tu relâches parfois et ça donne moins de précision à tes mouvements. » Mais elle n'indiqua pas plus de précisions. Elle ne disposait pas de suffisamment de temps pour se lancer dans une reprise de ce que Yukine venait de faire. Ceci était un cours collectif et elle devait faire en sorte que son remplacement soit utile à son collègue.

Elle retrouva donc sa place de meneuse, mais surtout d'enseignante, devant tous ces étudiants. Son regard vogua de l'un à l'autre dans le reflet du miroir histoire de les compter. Une petite moue s’immisça sur son visage lorsqu'elle constata le nombre peu élevé de demoiselles. Hazel connaissait quelques danseuses en roses à qui cela ne ferait pas de mal de se lâcher un peu. La voix de Yukine la tira alors de ses pensées et elle se crispa légèrement pour montrer une sorte de dégoût. « Je vous ai sonné vous ? » Puis, s'il voulait se faire oublier, il venait surtout de merder. Grâce à ça, Hazel le repéra immédiatement. « Devant, à ma droite, et que ça saute. » Elle avait besoin des meilleurs éléments devant. Cela aiderait les autres à suivre. Puis elle pouvait surtout garder un œil sur lui de cette manière. « Je ne peux pas toucher à cette chorégraphie puisque je n'en ai pas l'autorisation et que, de toute façon, j'effectue juste un remplacement. » Elle ne se tourna pas et tendit son bras vers la chaîne hifi prête à lancer la musique. « Donc vous allez me la faire et refaire jusqu'à ce que je trouve ça disons, potable. » Elle appuya sur le bouton, déposa la télécommande et la leçon débuta enfin.

Pendant la première heure, Hazel reprit de façon générale les petites erreurs qu'elle apercevait chez presque tous. Elle dansait systématiquement avec eux reproduisant cette chorégraphie qu'elle venait d'apprendre à la perfection et sans aucune erreur à chaque fois. Ce qui, malheureusement, n'était pas le cas de certains qui échangeaient encore quelques mouvements ou se trompaient dans les enchaînements. Au bout d'un moment, se rendant à l'évidence que ce n'était pas la bonne méthode, elle cessa de danser pour passer entre eux et les corriger au bon moment. Elle commença par les élèves du fond puis remonta jusqu'à Yukine. Non, pas comme ça. Elle souffla et leva les yeux au ciel. Elle éteignit la musique. « Faites un peu de place et ouvrez grand les yeux. » Elle se glissa aux côtés du japonais. « On le fait doucement, pour les imbéciles qui y arrivent toujours pas et pour corriger la bêtise de votre camarade. » Hazel appuya bien sur le mot 'bêtise' car c'est ainsi qu'elle lep percevait, une erreur de débutant et Yukine ne paraissait pas en être un pourtant. Elle le laissa donc commencer, sans la musique cette fois, puis au bon moment l'arrêta. Elle rectifia sa position, bras, jambes et torse puis releva son menton en le prenant entre ses doigts. Elle en profita pour le provoquer un peu. « Tête haute, fier comme un paon. » Un petit rire lui échappa. « Tu marques le mauvais temps. Regarde. » Devant lui, elle reproduisit l’enchaînement. Son corps avait l'air de coller à la musique et elle exécutait ça avec une facilité déconcertante pour une danseuse étoile.

« On reprend tous ensemble. » Hurla-t-elle dans la salle. Elle lança une nouvelle fois la musique, prit sa place devant et dansa avec eux. Elle se défoulait, se lâchait et se déhanchait avec passion. Hazel en oublia presque qu'elle donnait un cours. Cette chorégraphie lui plaisait. Enfin, elle l'apprécia jusqu'au moment où elle sentit sa cheville traîner sur le sol à cause d'un mouvement moins précis qu'un autre. Elle grimaça mais ne s'arrêta pas pour autant. Elle était fragile à cet endroit là depuis une blessure assez grave. Hazel arriva à la fin comme eux. Sa poitrine se levait à un rythme effréné à cause de la douleur et de l'effort physique. Professionnel jusqu'au bout, elle ne laissa rien paraître. « Encore, sans moi cette fois. » Elle s'approcha de l'appareil pour relancer la musique et se laissa glisser le long du mur juste à côté pour pouvoir masser sa cheville tout en les regardant travailler.

Tenue ღ à mes yeux, cette femme est juste là pour m'enquiquiner et avoir une occasion de me rendre ridicule devant mes camarades. C'est l'air qu'elle donne, en tout cas. Après tout, depuis tout à l'heure, elle ne s'en qu'à moi. Loin d'être un calimero, je vous rassure, mais je sais voir quand quelqu'un s'acharne ou pas. Elle attends quoi de moi, en fait ? C'est du défi à longueur de temps pour un gamin comme moi qui passe plus de temps dans les quartiers malfamés de Tokyo, plutôt que chez lui ou à l'école. Avec le temps, j'ai appris à être coriace et battant, parfois maladroit et trop confiant aussi, bien que je ne le remarque pas ou ne me l'avoue pas directement. En attendant, cette Hazel ne se gêne jamais pour me corriger, me remettre à ma place, et souvent en n'ayant pas tord. Ouais, j'ose me l'avouer à moi-même seulement. Parce qu'à voix haute devant une vingtaine de personne, jamais. Elle peut courir, elle et sa fierté de femelle, pour que je dise une tellement connerie. Ces « conseils » me semblaient bien futile, mais uniquement parce que je suis une tête de mule et que je n'écoute jamais rien des bonnes paroles. C'est bien connu, les chiens ne font pas les chats. Or, là, je suis surtout un foutu cabot sans rien dans la tête. Juste ses crocs à dévoiler, la bave coulant de sa gueule et le regard presque fou. à imaginer comme ça, c'est moche, mais dans mon esprit, c'est plus classe. ça mériterait presque un nom pour mon futur crew: crazy dog.

Le cours reprenait après cette bref correction de chorégraphie avec moi pour cobaye. En manque de motivation pour ce dernier, je m'étais foutu dans le fond, dans un coin caché par d'autres élèves. Genre, pour être oublié de la demoiselle... Mais bon, je suis trop stupide pour disparaître plus de deux secondes. à peine en place que je l'ouvre, indiquant ma position. Merde, je suis vraiment con quand même. Me voilà avec une réflexion dans la tronche et un changement radical de place, le gros lot pour ma pomme. Devant à sa droite, hein ? Ronchon, je me glissais entre les autres élèves pour me mettre à l'emplacement indiqué. Ma motivation ne semblait toujours pas là, tandis que je traînai des pieds sur le parquet ciré de la salle. Bon, au moins, elle ne peut rien faire de plus que suivre la base apprise par notre professeur. ça tombe bien, jamais je ne voudrais suivre sa façon de faire. à cela, je n'y répondis rien, plutôt satisfait. Pour aujourd'hui, ce ne serait qu'un cours repeat pour nous améliorer, sans incartades ni changement de programme. ça me convient. Elle ne touche pas à nos affaires et l'histoire pourrait être bien, calme. M'enfin, elle est professeur, donc plus gradé et en ordre que moi. J'ai beau dire, beau l'ouvrir, elle reste ma supérieure à qui je ne peux quasiment rien refuser. Surtout parce que Hazel dispose de meilleures cartes que moi dans ses mains, une sorte de quinte flush royale, contre une carte haute par le valet.  

La musique débuta ainsi que ce cours repeat, comme je le nommerai pour l'instant. L'heure passait plutôt rapidement, pendant laquelle je corrigeais discrètement la personne à côté de moi. Celle-ci disposait d'une certaine gêne à concordé pieds et mains, un truc plutôt embarrassant quand on veut devenir danseur. Je ne me moque pas, bien au contraire. Elle pourrait être meilleur si son problème se réglait rapidement. à la longue, ce ne serait qu'une gêne, puis une obstacle. Pendant cette même heure, la classe ne fit que refaire la même chorégraphie, corrigé par la jeune femme en petite tenue d'été. Passant d'élève en élève, elle se permettait de reprendre un peu tout le monde pour améliorer leurs défauts et en faire des meilleures qualités. ça m'agace de me le dire, mais ce n'est pas une si mauvaise idée, en fin de compte. Pourtant, quand ça revient vers moi, je me renfrogne et refuse encore. Pas comme ça, pas comme ci. Elle me prend pour quoi, au juste ? La musique s'arrête, alors que mon souffle revient plus clairement. Quoi encore ? Les sourcils froncés, je la regardais du coin de l'oeil en écoutant ses mots. Une leçon particulière avec moi comme modèle à suivre ? D'après elle, j'ai un défaut dans ma cuirasse. Elle m'énerve, autant le dire maintenant ou une nouvelle fois... Je ne sais même plus si je l'ai déjà spécifié ? Sans la musique, mes gestes me paraissaient presque ennuyant, sans rapport, mais je le fis quand même jusqu'à qu'elle m'arrête. Fier comme un paon, hein ? Je pouffais vaguement de mépris, le regard provoquant. Celui-ci disparut assez vite, sous le poids de sa remarque et de ses enchaînements. ça m'énerve de me le dire, mais elle est meilleure que moi. Rien que pour cela, je fis la gueule et soupirais d'agacement.

Une nouvelle fois, sans erreur. Son « conseil » repassait en boucle dans mon crâne, tandis que je tentais d'être parfait. Fier comme un paon, qu'elle disait. J'espérai au moins être assez fier pour y arriver cette fois-ci. Or, je n'en sais trop rien. Seule Hazel semble remarquer ce faux pas, et là, elle ne me dit rien. Devrais-je être content pour une quelconque réussite ? Tiens... Elle arrête. Cette danseuse étoile qui dresse le tigre en moi, arrête ? Pourquoi ça me paraît étrange, hein ? Borné comme je suis, et surtout stupide, je fis mine de me gourer dans le prochain temps et de tomber au sol. Les autres pensent que je me suis trompé, et moi, je fais genre d'être blessé pour aller sur le côté, vers Hazel. Soyons clair, je fais juste ça pour ne plus suivre son cours,  hein. « ça n'a pas l'air d'aller. » appuyais-je en zieutant sa main sur sa cheville. Une blessure ? Un faux mouvement ? Je relevais mes yeux vers son visage, examinant ses traits. « C'est trop hard pour une ballerine, c'est ça ? » Quel idiot, toujours à parler de trop. Je me moque limite d'elle, sans me douter de son histoire, de son parcours, de ses plaies qu'elle doit garder dans ce petit corps.

Tenue ღ Qui aime bien châtie bien ? Bon, d'accord, pas vraiment dans leur cas. Pour pas mentir, Hazel s'acharnait sur Yukine d'abord parce qu'elle connaissait son potentiel mais aussi parce que d'une certaine façon, elle l'avait pris en grippe. Depuis le début, l'étudiant ne se gênait pas pour faire savoir à la ballerine qu'il trouvait ridicule les danseuses en tutu rose. Or, si la brune excellait en hip hop et autres danses urbaines, elle restait avant tout une danseuse étoile plus que talentueuse. Cela se remarquait notamment dans la façon dont elle se tenait. Elle marchait avec grâce, le menton levé et corrigeait avec délicatesse mais fermeté ses élèves. Son maintien ne ressemblait à aucun autre et ne pouvait venir que de la danse classique. Elle trouvait que souvent, c'était ce qui manquait aux autres danses. Partir avec de bonnes et solides bases servaient à construire autour. En breakdance et hip hop, on avait tendance à privilégier la liberté, le freestyle. Cela aboutissait souvent à un rendu brouillon. Attention, elle ne tenait pas à faire d'eux des robots mais avec la maîtrise des mouvements venait aussi un plus vaste champ d'exploitation et donc la possibilité de faire passer plus d'émotions. Alors, si elle se montrait si sévère c'est qu'elle croyait réellement qu'il s'agissait de la meilleure façon d'obtenir des résultats. Elle-même s'était imposée une discipline sans faille durant ses années à la Juilliard. Ses professeurs, pas vraiment tendres, l'avaient poussé à bout, dans ses derniers retranchements. C'est ce qu'elle cherchait à faire avec Yukine. Et à en juger par les réactions de celui-ci, elle y arrivait plutôt bien. Il boudait toujours, s'énervait parfois mais ne l'effrayait pas. Il n'était qu'un gamin après tout.

Pour corriger une erreur commune à tous, elle se servit naturellement de son étudiant favori de tous les temps. D'ailleurs, l'attitude du japonais l'amusait réellement. Si fougueux, si rebelle. Hazel était passée par là également avant de comprendre que ses professeurs n'agissaient que pour son bien en la malmenant. Mais elle savait aussi que s'il se comportait ainsi c'était pour une raison un peu différente. Il ne supportait pas qu'une danseuse comme elle le dépasse. Comment une ballerine pouvait-elle réussir à danser comme lui et même mieux que lui ? Ah ça mon petit, des années à vivre, manger, boire danse. Maintenant qu'elle enseignait, elle ne s’entraînait plus autant. Mais à l'époque où elle était étudiante, ou même danseuse professionnelle, elle passait plus de temps à répéter qu'à vivre. Elle ne comptait plus les nuits blanches ou les journées entières d’entraînement ni même le nombre de fois où, exténuée, elle s'était évanoui. Elle avait repoussé toutes les limites. Voilà pourquoi elle voyait ce que les autres ne remarquaient pas, corrigeaient même les plus petites erreurs. Elle montra donc l'exemple au jeune homme, enchaîna les enchaînements avec précision et autant de passion que lui. Elle prit ensuite de la distance pour mieux l'observer mais plissa les yeux au premier relâchement. Alors elle repassa une dernière fois derrière lui. Ses mains sur ses épaules, elle le força à se mettre bien droit et à ouvrir un maximum son buste. « On dirait un clochard, tiens-toi mieux, ça change tout je te dis. » Elle le menaça avec son index et secoua en même temps la tête faisant virevolter sa queue de cheval. « Le maintien, c'est ce qui te manque. » Elle ne lui demandait pas d'être raide comme un piquet, attention. Ni de danser avec un balais à brosse dans le cul. Juste de se tenir correctement. Cela apporterait tellement de netteté et de propreté à ses gestes.

Elle démarra la reprise avec eux. En admirant le reflet dans le miroir, elle ne put s'empêcher de penser qu'elle se fondait vraiment dans la masse des étudiants. Faut dire qu'elle n'avait que quelques années de plus qu'eux. Puis avec sa bouille de gamine, on ne lui donnait jamais son âge. Et bien sur, le fait qu'elle ne s'habille pas totalement comme une femme finissait de flouter les bords. Mais elle renfermait tout de même beaucoup plus d'expériences qu'eux. Après tout, elle avait fait les scènes du monde entier, dansé avec et pour les plus grands, crée des chorégraphiques. Bref. Elle savait ce qu'elle faisait. Mais il n'y avait rien de plus humain que l'erreur. Cela pouvait lui arriver aussi. Comme là, sa cheville glissa sur le sol dans un angle étrange et qui réveilla sa blessure supposément guérie. Elle parvint néanmoins à danser jusqu'à la fin puis relança la musique avant d'aller se mettre sur le côté pour analyser la situation. Allait-elle pouvoir continuer son cours ? Elle analysa la situation, exécuta plusieurs rotations avec sa cheville et grimaça à chaque fois. La douleur semblait gérable. Elle sursauta en entendant la voix de Yukine et plaqua sa main sur son cœur. Il voulait qu'elle fasse une crise cardiaque ou quoi ? Aussitôt, elle le foudroya du regard. Trop hard ? « J'vais t'faire bouffer mon tutu, on va voir c'qui est trop hard. » Elle l'attrapa à l'oreille et lui tira dessus pour le punir. Elle le relâcha en le poussant au passage puis recommença à masser sa pauvre cheville. Elle se sentait presque comme une vieille peau.

La blessure remontait maintenant. C'était il y a trois ou quatre ans alors qu'elle se donnait à fond pour une chorégraphie extrêmement compliquée. Le surentraînement, la fatigue et un mauvais mouvement eurent raison d'elle. Une douleur si intense, mais elle se souvenait surtout avoir pensé en premier lieu à son spectacle plutôt qu'à son état. « Déchirure totale des ligaments. Trois mois sans danser. Opération et tout ça. Fin de la carrière. » Elle fit un geste comme si elle tirait sur la ficelle pour faire tomber les rideaux. Elle passa sous silence les conséquences de ce passage à vide. Yukine n'avait pas besoin de savoir qu'elle sortait d'une dépression. Ainsi, elle précisa simplement la cause de cette blessure. « Surentraînement. » Puis haussa les épaules et se redressa en claudicant. Pas prête à rendre les armes, elle retrouva sa place face aux élèves. Elle ne comptait pas leur faire plaisir en les laissant partir sous prétexte qu'elle s'était fait mal. Elle allait continuer autant que possible. « On recommence du début, remerciez vos camarades qui se trompent encore dans l'ordre des enchaînements. » Hazel applaudit les élèves pointés pour se moquer un peu d'eux puis relança la musique. Elle les accompagna de son mieux. Elle dansait un peu moins bien, c'était un peu moins vif mais cela restait très pro malgré sa blessure qui la faisait souffrir. Cela se lisait malheureusement sur son visage.

Tenue ღ Un seul gars m'a vraiment fait la leçon sur ce qu'était la vie, la danse, le hip-hop. à cette occasion, je l'ai surnommé « sensei », trouvant en cela la force qu'il mérite. Ou plutôt, méritait. Il n'a pas eu de chance, me dis-je souvent pour excuser la réalité. En fait, j'ignore comment les choses se sont vraiment déroulés, ni même qui est le coupable ou la victime. Je me permet juste de penser que mon ami n'y était pour rien, qu'il était au mauvais moment, au mauvais endroit. Après tout, c'était un battant, un vrai mec des quartiers malfamés, celui qui s'en sortait toujours et qui aidait les plus faibles. C'est lui qui m'a aidé, pendant une certaine période. Quand mes parents n'avaient des yeux que pour leurs carrières, lui, il m'apprenait des trucs à leur place. La danse, je l'ai débuté et apprise dans la rue, avec des gars qui adoraient ça. Des crews sans nom, sans leader. Des petites bandes mal organisée mais solide pour autant. Je m'y suis plu, puis habitué, pour au final prendre en voracité. Sans eux, jamais je n'aurai pu faire face à mes parents et imposer mon désire le plus précieux: être danseur. Alors si je suis là, dans cette pièce, dans cette école, à suivre le cours de cette danseuse étoile, c'est seulement « grâce » à eux, à ces gars catégorisés de mauvais, de perte de temps ou de racaille. Ils ne sont rien de tout cela, ils sont juste fabuleux. Maintenant, je ne sais pas par quoi est passé cette fille, mais j'ai du mal à me la représenter dans ce type de quartier, avec ces personnes-là. Dans le fond, comment a-t-elle appris le hip hop et pourquoi ? C'est loin d'être semblable à sa danse ridicule de fille en tutu à paillette.

à chaque démonstration, je lui servais de cobaye. Une sorte de modèle défectueux à suivre, avant que lui-même ne soit remise à neuf. Cette fille a un niveau supérieur au miens, malgré que je me voile la face en ne me l'avouant pas, et c'est cela qui m'agace le plus, outre le fait qu'elle soit une danseuse de ballet. Pourquoi notre professeur a-t-il fait appel à une femme pareille ? à ce prix là, je me met en maladie et reste à la maison. Mais bon, disons que je suis prit de court à chaque fois, et qu'en même temps, je ne voudrais pas louper mes cours. Qu'ils soient intéressant ou pas du tout. celui-ci risquait d'être très long, surtout quand la professeur ne cesse de me corriger sur la même erreur. Apparemment, je ne suis pas assez droit pour elle, au point d'appuyer mes épaules pour me forcer à changer ma position. Un clochard ? Sérieux ? N'importe quoi! « Yah! N'en profitez pas non plus! » Râlais-je en redressant mon dos pour me tenir au mieux selon ses exigences. Pas sûr que je le refasse à chaque fois... Je vais oublier, à tout les coups. Décidément, elle sait où mettre son doigt. Je veux dire par là qu'elle déniche directement mon point faible, sans trop s'attarder sur mon cas. Le maintien, donc je manque de maintien ? Je ferais un effort à l'avenir, pour un meilleur maintien. Ce mot me resterait presque en travers de la gorge, si ce n'était pas la vérité. Sa remarque ne quittera pas ma tête avant que je sois sûr d'être parfait, ou d'avoir au moins corrigé cette petite erreur. Désastre, ça va prolonger mon apprentissage.

Pas une seconde de répit, ni une seule pause en vue. Le cours reprenait à chaque nouvelle fin de musique, toujours sur la même chorégraphie. J'adore danser, mais la même chose en boucle, ça saoul. Néanmoins, je prenais sur moi pour continuer, jusqu'à remarquer ce malaise chez la ballerine. Elle arrête ? La fatigue, sûrement. à son âge, ce doit être dur. Plus sérieusement, qu'est-ce qu'elle pouvait bien avoir pour s'accorder une pause avant la fin ? D'habitude, elle enchaîne sans soucis, jusqu'à la dernière seconde, le dernier effort. Ce n'était pas le cas, là. Curieux, je feintais la blessure pour me mettre de côté et prendre des nouvelles de la professeur. Je peux dire ce que je veux sur mes intentions, ce n'est pas pour souffler un coup que je suis à côté d'elle. Ma présence la surprend, faut croire, et vu son regard, je doute qu'elle soit heureuse de ma venue. Un rire incontrôlé venait de franchir la barrière de mes lèvres. Ah ouais ? Elle serait capable de me faire manger son tutu ? Intéressant, je demande à voir. En attendant, c'est la première fois que je ris devant elle, et à cause d'elle. Fallait que je me reprenne rapidement, retrouvant mon air hautain et sournois.  Bon, qu'elle me tire l'oreille est moins amusant, par contre. Je me retrouvais à moitié sur le parquet, appuyé de mes mains pour ne pas m'étaler de tout mon long. « Quelle ingratitude. » Marmonnais-je en me redressant, ma main massant déjà mon oreille. La prochaine fois, je l'ignore complètement. Pourtant, la vérité n'est pas toujours bonne à entendre. C'est bien ça le soucis dans notre domaine, il n'est pas rare ni impossible de subir une blessure plus ou moins grave. Celle de Hazel semblait importante, au point d'arriver en fin de carrière. Un simple « Oh.. » se fit entendre de ma part, marquant mon manque de réponse. Je n'ai rien à dire contre cela, surtout si ce n'est un sujet à aborder.

Surentraînement. à bien y réfléchir, c'est la pire chose dans la danse, ou le sport en général. S'entraîner à paquet pour être le meilleur, et au final, ne récolter que de la douleur. « Vous avez vécu ça et pourtant, vous poussez vos élèves à s'entraîner sans une seule pause. » Je le fais juste remarquer, rien de plus. N'est-ce pas la raison de sa chute ? Alors pourquoi nous pousser à danser sans relâche, sans s'arrêter deux minutes ? Cette fille est folle, je vous jure. Elle  ne démonte jamais, même avec un pied en moins. Si c'est pour se donner une forme d'audace et d'autorité, elle fait fausse route. à part l'inquiétude, rien d'autre ne ressortira de ce cours. Ma bouche s'ouvrit, dans l'intention de protester, puis se referma dans un signe de résignation. Je n'ai pas mon mot à dire pour la demoiselle, je suppose. Quoi que je lui sorte, elle s'en foutra complètement et continuerait son cours. Soit. Je reprenais place dans les rangs pour suivre cette nouvelle partie, non sans observer la professeur. à qui voulait-elle faire croire que ça allait pour le mieux, hein ? Pas à moi. Certes, je n'apprécie pas les danseuses classiques dans son genre, mais de là à la laisser se faire mal inutilement, non. « Vous ne pensez pas qu'il est temps d'arrêter ? Regardez vous. » Ma voix ne pouvait pas être plus froide et tranchante, tandis que la plus part des élèves s'arrêtèrent pour me regarder. Eux aussi, ils ont du le remarquer, sans pour autant le dire. « On n'apprendra rien d'une blessée, madame. » C'est mal dire, puisque même avec sa cheville endoloris, Hazel dansait très bien. Ce n'est plus un soucis d'apprendre ou de s'améliorer, c'est une question de santé. ça me tuerait de le dire, mais je ne tiens pas à avoir sa cheville brisée sur la conscience. à ce moment-là, je préfère même boycotter son cours et mettre les autres de mon côté.

Tenue ღ Pourquoi il se marre lui ? Pensa-t-elle en levant un sourcil interrogateur. Faut dire qu'elle le connaissait comme l'élève tête de mule, boudeur et toujours mal luné. Pourtant, cette histoire de tutu à ingurgiter venait de provoquer un rire chez l'étudiant. Pour la peine, elle lui tira l'oreille avec force. Hazel ne se gênait pas pour malmener ses élèves, sans trop user de la violence non plus. Ingratitude ? La brunette lui décocha une frappe derrière la tête. « C'est toi l'ingrat dans l'histoire, on en reparle quand tu pourras me prendre. » Rien de sexuel ou de douteux là-dedans, Yukine le comprit sûrement. Elle parlait de battle et uniquement de ça. Elle ne comptait pas coucher avec un élève de si tôt -et encore moins avec l'emmerdeur assis à ses côtés-. Elle souffla pour se calmer mais aussi pour renvoyer la mèche qui lui tombait devant les yeux en arrière. La coiffeuse les lui avait encore coupé trop courts. Ils ne tenaient pas tous dans l'élastique. C'est alors que, tout en massant sa cheville, se produisit l'inexplicable. Hazel se confia à son étudiant. Elle lui raconta sa petite mésaventure qui n'était que peu originale finalement. De nombreux artistes de haut niveau voyaient leur carrière prendre fin de manière brutale à cause d'une blessure. Hazel regrettait juste d'en faire partie. Peut être que si son imbécile d'ex mari ne l'avait pas trompé, elle ne se serait pas plongé autant dans la danse jusqu'à s'en exploser les ligaments. Pour taire sa peine, elle s'était jeté à corps perdu dans sa passion en oubliant tout le reste. La déchirure de ses ligaments la ramena sur la terre ferme.

Le temps de s'habituer un peu à l'élancement qu'elle ressentait dans sa cheville, et elle se leva en sautillant sur un pied. Pas le choix, elle ne pouvait pas les abandonner tout de suite. Certains n'étaient toujours pas fichus de danser correctement. La remarque du jeune Yukine l'amusa et elle laissa échapper un petit rire. « Si tu crois que tu risques quelque chose en dansant deux pauvres heures sans pause. » Elle lui fit signe de rejoindre les autres. « Puis tu viens d'en prendre une en plus, alors dépêche toi de remuer tes petits fesses avant que ma colère ne s'abatte sur toi. » Elle le bouscula dans le dos pour qu'il retrouve plus rapidement sa place au milieu des autres étudiants et gagna la sienne devant le miroir. La menace était réelle. Elle ne comptait pas les lâcher tout de suite. Pour retrouver sa souplesse, après trois mois sans danser et des semaines de rééducation, Hazel avait dû bosser comme une malade. Elle devait son haut niveau à ses heures -ou plutôt à ses journées- d’entraînements intensifs. Le talent ne suffisait pas pour se démarquer. Hazel renfermait en plus la rage de se dépasser, de repousser toujours les limites et c'est seulement comme ça qu'elle parvint à se récupérer un maximum de ses capacités. Bien sur, si elle forçait trop, son corps la rappelait à l'ordre. C'est pourquoi elle mit d'elle-même fin à sa carrière ne voulant pas affronter le regard des autres. Si elle n'épatait plus autant, si elle ne surprenait plus, alors pas question de continuer. L'enseignement se présenta comme un refuge pour la danseuse étoile perdue. Elle se donnait tout autant pour ça. Elle exécuta la chorégraphie sans broncher. Chacun de ses mouvements trouva la bonne place. Son corps collait à la musique, vibrait en chœur avec elle. L'unique signe alertant était les petites grimaces qui ponctuaient les moments où elle s'appuyait de trop sur sa cheville.

Elle s'arrêta dès que la voix du japonais raisonna dans la salle. Encore un peu, et Hazel le trouverait mignon. S'inquiétait-il pour elle ? Oh non, sans doute pas, elle ne pouvait pas se faire des idées comme ça. Elle ramassa la télécommande pour couper la musique et se retourna pour se tenir face à eux, les mains sur les hanches. « Vous apprendrez toujours de moi. » Rétorqua-t-elle avec assurance. Et le jeune Miyaki le savait probablement même s'il refusait de l'admettre. « Vous voulez être danseur ? » Demanda-t-elle à l'adresse de tous ses élèves. Mais aucun ne broncha. Alors elle leva la voix. « J'ai pas entendu, vous voulez être danseur ? » Quelques petits hochements de tête, des murmures. Hazel hocha la tête comme si elle approuvait ça. « Bien, vous pouvez tous l'être. Chacun de vous. Vous savez tous danser après tout. » Elle slaloma entre eux, sans ménager sa cheville, mais cette fois malgré la douleur, elle ne laissa rien paraître et garda cet air sévère, presque hautain. Habituellement, Hazel ne se permettait pas de donner de grandes leçons de vie comme elle s'apprêtait à le faire. Pourquoi ? Parce qu'elle n'avait que quelques années de plus qu'eux et qu'elle se souvenait combien cela l'ennuyait à l'époque où elle étudiait encore. « Mais aucun ne pourra se faire un nom. » Aucun n'était en mesure de la détrôner actuellement, pas même Yukine qui, pourtant, était sur la bonne voie. « Vous ne foulerez pas les planches de Broadway, vous ne monterez pas sur scène avec votre crew, vous n’apparaîtrez pas aux côtés des plus grands, pas plus en tant que simple figurant d'un clip. On ne vous demandera pas d'être chorégraphe pour untel ou untel. » Elle haussa les épaules. « En somme, vous ne serez personne. Et vous ne vivrez pas de votre passion. » Elle tourna autour de Yukine. « A moins de penser danse, respirer danse, manger danser, dormir danse, vivre danse. » Elle s'arrêta devant lui, et du haut de son un mètre cinquante cinq, le défia du regard. Il la surplombait peut être mais elle le dominait clairement dans le domaine. « J'imagine que vous vous êtes tous, au moins une fois, foulé quelque chose -sinon c'est que vous ne travaillez pas assez-, bref, si ça vous arrive plus tard, au milieu d'un show c'est quoi le plus important ? » Elle posait la question à tout le monde mais plus particulièrement à Yukine, attendant avec impatience sa réponse tandis que la sienne était déjà prête.

Tenue ღ C'est bien la première fois qu'elle me fait autant rire, ou plutôt rire tout simplement. ça pourrait presque être anormal, en fait. à moins que ce le soit réellement ? Dans tout les cas, Hazel ne se laisse pas avoir par ma nouvelle humeur, tirant mon oreille avec force. Mais aie! Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter cela ? Sans parler de sa claque derrière la tête. Je ne pense pas avoir dérapé, si ? Quoi que, la traiter d'ingrate n'était pas la meilleure des idées, non plus. Quant à sa remarque, je l'ignorai d'un roulement des yeux. Ouais, un jour je serais capable de la prendre franchement, en parlant de battle. C'est bizarre de le dire ainsi, et je suis sûr que beaucoup penserait à mal, mais je suis très loin de coucher avec une prof, en plus une danseuse étoile. Mise à part cela, la demoiselle se confia à moi. Surprenant, quand on connait la femme qu'elle est. Jamais je n'aurai cru qu'elle soit capable de me parler de sa vie, de son passé et des mésaventures qui ont brisés sa carrière. Je me suis déjà blessé une ou deux fois en dansant, mais pas de là à devoir faire une croix sur mes rêves. D'un autre côté, je pouvais la comprendre, sans la comprendre vraiment. Difficile à expliquer.. Autant dire que je ne suis pas à sa place, et que même si je venais à grièvement me blesser à une jambe, je perdrais pas une carrière entière. Une passion, mes études à la rigueur, mais rien de bien constructif pour autant. Ce serait comme perdre les fondations d'une maison, pour changer complètement de plan, d'architecture. Hazel a dû carrément perdre les murs dans sa chute, emportant le mobilier avec.

Hazel ne se laissait pas démonter par sa blessure, reprenant sa place d'enseignante parmi ses élèves. Je suivis, non sans l'ouvrir encore une fois. Elle parlait d'acharnement et de douleur, mais aucune pause nous était accordé à l'espace de deux heures. Pour elle, ce n'était rien, mais pour nous, ça semblait beaucoup. « Un faux mouvement peut arriver à la seconde. » répondis-je aussitôt, limite en lui coupant la parole. Certes, je parle beaucoup, mais j'obéissais à moitié en rejoignant les rangs. Pas faux, je venais de m'asseoir quelques minutes, juste le temps de « discuter » avec elle. Je ne considère pas vraiment cela comme une pause, même pas un verre d'eau. Bousculé par mon aînée, je reprenais plus rapidement ma place, bien que je n'en sois pas motivé pour autant. Cette fille me surprend autant qu'elle m'énerve. à quoi bon se forcer ou puiser jusqu'à ses dernières forces alors qu'elle connait parfaitement le résultat d'une telle intensité ? à part finir à l'hôpital, qu'est-ce qu'elle attends d'un entraînement aussi complexe, long et épuisant ? Notre chorégraphie n'est pas des plus dure. Elle est adaptée pour des étudiants de notre niveau, ou du moins, un niveau abordable pour notre âge. Hazel peut la réussir sans mal, sans aucun problème, mais à force de l'enchaîner sans pause, elle risque de souffrir davantage. Franchement, des deux, qui est le plus têtu hein ? Néanmoins, je ne fis rien pour l'arrêter, ni la contredire davantage.

Du moins, pour les quelques premières minutes de notre boulot. Parce qu'il ne fallait pas se mentir, professeur ou pas, sa cheville ne suivrait pas longtemps sa cadence. La musique s'arrêta et mon regard se porta aussitôt sur elle, mains sur ses hanches. Certainement, mais ceci pourrait être une excuse pour la raisonner un peu. Du moins, jusqu'à qu'elle sorte un contre argument. Si nous voulions être danseur ? évidement, sinon nous ne serions pas là. Pourtant, personne ne répondait à sa question, moi-même restant aussi muet qu'une tombe. Je voudrais être danseur, c'est bien plus qu'un rêve... C'est un projet d'avenir, un métier. Qu'est-ce que son discours cachait en réalité ? Hazel nous complimentait de trop, à mon goût. ça sonnerait presque faux à mes oreilles, et je sais que je n'ai pas tord. L'instant d'après, toute illusion perdait de son sens. Danseur oui, mais sans nom. Nous ne serions pas plus que des figurants dans ce monde de danse, rien qui ne se retient dans l'attention des gens. Voilà ce qu'elle voulait dire par là, et qui pourrait en décevoir, démotiver même, plusieurs d'entre nous. Ses mots semblaient dures, impensable, blessant et pourtant réaliste. Sans persévérance, sans acharnement, nous ne serons pas plus qu'un rien. Mes yeux la suivaient sans relâche, cherchant à décrypter son air hautain et sévère. Encore une fois, nous nous affrontons du regard, prêt à s'enflammer sur place. Je l'admet, elle n'a pas tord. Pour être danseur, faut vivre avec la danse, de A à Z. Sa question était étrange, pourquoi me demander une telle chose ? C'était tout vu d'avance. « Je ne m'arrêterai pas. » Quoi qu'il puisse arriver, je garderai cette douleur pour moi jusqu'à terminer ma prestation. « Le show est plus important, danser est plus important. » Mince. N'est-ce pas sa réaction précédente quand elle revenait toujours sur le devant ? Dans ce cas, je n'aurai pas fait mieux qu'elle... Mais qu'elle était sa réponse, à Hazel ? « N'est-ce pas ce que vous feriez aussi ? » Demandais-je en haussant les sourcils, partagé entre curiosité et provocation. Qu'elle me dise le contraire, et sûrement ne la croirais-je jamais.

Tenue ღ Quelque chose dans le caractère de la brunette créait une force et un entêtement démesuré par rapport à la danse. Comme beaucoup de grands danseurs, elle ne comptait plus les shows ou répétitions auxquels elle avait assisté en étant blessée. Tous les sportifs de haut niveau connaissaient malheureusement cela. La plupart retournait à l’entraînement sans être totalement remis. Sûrement que la cheville de l'américaine restait encore très sensible du fait qu'elle n'avait pas assez attendu à l'époque avant de retourner sur les planches. Pourtant, de l'avis des professionnels, les mois sans elle furent longs et suffisamment pour que l'intérêt essouffle. À son retour, elle n'était non seulement plus aussi attendu et demandé mais en plus son niveau avait baissé. Choisissant de ne pas forcer le destin, n'ayant plus suffisamment de courage pour relever la tête à l'époque, elle baissa les bras et tira sa révérence à vingt trois ans à peine. Rien de plus triste pour un jeune talent à l'avenir si prometteur que le sien. Même si elle continuait en parallèle de ses cours à être chorégraphe pour certains grands, elle ne vibrait plus de la même manière. Les seuls moments où elle pouvait donc s'investir à fond, corps et âme, se trouvant désormais dans son métier de professeur. Ainsi, elle foudroya du regard le reflet de Yukine dans le miroir pour le faire taire. Un faux mouvement ? Voilà quelque chose qui ne l'effrayait plus. Puis, elle ne voulait pas les laisser rentrer chez eux alors que plus de la moitié galérait encore sur certains passages ou se trompaient toujours.

Malgré son jeune âge, Hazel portait un bagage considérable. Quatre années d'études à temps plein à la Juilliard School, durant lesquels son nom était déjà sur toutes les lèvres. Prodige, voilà ce qu'on disait d'elle. Puis pendant deux ans -sans un seul jour de repos-, elle a sillonné le monde entier. Entre Broadway, comédies musicales, ballets et autres spectacles. Jusqu'à sa fameuse blessure. Elle n'étalait pas son pedigree comme ça, mais avait néanmoins pleinement conscience de son niveau et de sa valeur. C'est pourquoi, pour la première fois peut être depuis qu'elle enseignait au Japon, elle s’octroya le droit de redresser ses troupes au travers d'une petite leçon de morale. Yukine aurait tant à apprendre de son parcours s'il cessait d'être aussi virulent. Elle répondrait à toutes ses questions avec plaisir. Mais ce rapport de force entre eux ne désenflait pas. Cette fougue plaisait à la Hazel qui prenait un malin plaisir à attiser le feu dans les yeux du jeune japonais. Elle attendait sa réponse. Elle qui, par expérience, pouvait y répondre mieux que quiconque. Elle corrigea la question qu'il lui adressa. « C'est ce que j'ai fait. » Plus d'une fois. Elle posa son index sur le front. « Et quand tu as mal, c'est ici que ça se passe avant tout. » Puis elle rangea ses mains derrière son dos. « Ma question, en sous-entendait en fait une autre, et je vous la pose à tous. » Elle se remit à marcher entre ses étudiants. « Si la danse et le show sont les choses les plus importantes, pouvez-vous m'expliquer pourquoi ? » Elle remarqua au fond de la salle une étudiante avec la main levée. Elle fronça les sourcils, ne se souvenant même pas avoir un jour entendu le son de sa voix et la désigna pour lui laisser la parole. « Parce que c'est ce qu'on aime ? » Bien tenté, cela arracha même un petit sourire à la danseuse étoile qui retourna à sa place tout devant.

Elle les laissa quelques minutes pour réfléchir à la question, chercha du regard un autre danseur qui aurait une réponse à lui fournir mais comme personne ne se décidait, elle soupira. N'avaient-ils pas retenu toute cette histoire comme quoi ils pouvaient tous être danseurs mais qu'aucun ne se ferait un nom comme ça ? À nouveau, elle planta son regard dans celui de Yukine. « C'est les autres le plus important. Ou vous, tout dépend comment vous le voyez. » Elle se détacha alors les cheveux et commença à se les démêler avec les doigts tout en continuant de parler. « A chaque fois que vous monterez sur scène, on vous attendra au tournant. Vous remettrez votre nom en jeu. Les gens vont payer pour vous voir. Et ils payent pour quoi ? Pour voir ce qu'ils ne savent pas faire, pour être épatés. C'est pourquoi vous ne pouvez pas arrêter. Il vaut mieux arrêter sa carrière sur une note grandiose que d'encaisser des critiques négatives et juste couler. Quand vous avez votre place, faut tout faire pour la garder. » Elle haussa les épaules comme si elle venait de dire une évidence et décida de conclure avec le meilleur exemple, le sien. « Ma carrière a pris fin, je ne l'ai pas perdue. C'est là toute la différence mes lapins. » Comme s'ils étaient complices, elle leur fit un petit clin d'oeil. Voyant que beaucoup semblaient méditer là-dessus, que quelques-uns étaient en train de bailler ou de se frotter les yeux, elle finit par se rendre à l'évidence qu'elle n'allait plus rien tirer d'eux ce soir. « Allez, c'est fini pour aujourd'hui. Vous pouvez rentrer chez vous. Enfin si certains veulent encore un peu danser -ou même discuter-, je reste là mais j'en doute. » Elle les applaudit pour clore correctement le cours mais ne les félicita pas pour leur travail du jour qu'elle trouvait médiocre. Elle se mit sur le côté et chercha une bouteille d'eau dans son sac qu'elle vida presque de moitié sans quitter du regard son fameux rebelle préféré.

Tenue ღ Il y a bien un moment où il faut savoir dire stop et s'arrêter. Sauf que Hazel ne semblait en posséder aucun, forçant juste le cours à continuer sans pouvoir respirer deux minutes. Des blessures, tout le monde en a eu dans sa vie, des légères ou des plus grosses. Je me suis déjà foulé la cheville une fois en me réceptionnant mal, mais ça ne pas empêché le lendemain de revenir en force pour reprendre mes mouvements et m'améliorer. Je suis têtu, borné quand il s'agit de lâcher le morceau, mais je reconnais que par moment, souffler ne fait pas trop de mal. Avec Hazel, c'est plus de deux heures sans grande bouffée d'air, ni pause toilette d'ailleurs. Combien voudrait se soulager la vessie, hein ? Bon, ce n'est pas trop la question que je poserai à l'ensemble de la classe, mais bon. Dans tout les cas, faut toujours que je l'ouvre pour contredire la demoiselle, récoltant un regard froid comme la mort. D'accord, je l'ai cherché, je l'ai trouvé. à force, elle va me virer de son cours pour le troubler d'une quelconque façon. Je ne fais pas le pitre, pourtant, je discute simplement comme un humain normal. Même si  je casse un peu les bonbons à radoter pour cinq micro minute de pause, faut bien un emmerdant dans l'équipe. Le genre de gars sourd mais qui tente toujours de parler, ça doit être compliqué pour elle d'avoir une telle personne dans ses rangs. Après tout, je n'ai pas connu un dixième de sa vie, ni parcouru le monde, et encore moins eu un nom dans l'histoire de la danse. Je suis juste ce pauvre gamin de riche qui s'enfuit dans les mauvais quartiers pour assouvir sa passion. Un rien comparé à elle. Alors pourquoi j'ouvre ma bouche ? Pourquoi je cherche encore à m'imposer à cette professeure plus calée que moi ? C'est stupide de ma part, même très désagréable.

Les leçons de morales, ce n'est pas trop mon truc, ni pour les écouter, ni pour les faire. Voilà que Hazel s'en donnait un peu la peine, sûrement pour me passer l'envie de revenir « discuter », bien que cela soit un grand mot. Je l'embête plus que je ne voudrais vraiment parler avec elle, ce n'est même pas tellement mature de ma part. Sa question semblait évidente, non ? Si on se blesse pendant un show, on reste sur scène sans le montrer. C'est ce qu'elle a fait, apparemment. De ce fait, je comprends mieux pourquoi elle ne nous accorde aucune pause, blessé ou pas. J'aurai dû tourner la situation à sa façon avant de parler, ou de tourner sept fois ma langue dans ma bouche aussi. Une question qui en cache une autre, génial. Au moins, elle ne pointait pas du doigt pour y répondre, bien que j'y réfléchisse aussi dans mon coin. Pourquoi ? J'en sais rien. Pour moi, la danse est une raison de vivre, le show une façon de le prouver, de le montrer. Quant à la réelle réponse, je m'en moque. Une fille de la classe y répondit, d'une façon plutôt vague à mon goût. Ouais mais, pourquoi on aime ça, hein ?  Hazel  ne semblait pas totalement satisfaite de cette réponse, ai-je tord ? Je la regardai bouger du coin de l'oeil, attendant de voir ses prochaines réactions. Les minutes s'égrainaient, s'écoulaient et personne ne voulait répondre à sa question. Moi, je ne préférais pas l'ouvrir et débattre à nouveau avec elle. Et puis, autant qu'elle nous mette tous au parfum, qu'on soit une bonne fois pour toute fixé sur le sujet.

Les yeux dans les yeux, je soutenais son regard sans broncher. Eux ou nous ? Là, je ne comprends pas tellement. La danse, c'est d'abord pour nous. Après, ça peut être pour les autres, mais quand on s'en fou des autres, c'est une histoire plus compliquée. Sans discrétion, je l'observait faire, se démêler les cheveux tout en continuant à parler. ça, tout le monde le sait. On ne monte pas sur scène pour rien, non ? En quelque sorte, c'est seulement pour être remarqué et y gagner quelque chose d'important, de valeur. Un nom, une place, de l'argent. ça revient presque au même, puisque ça en vaut le détour quoi qu'on en pense. En gros, il faut bosser dure, s'acharner comme des fous pour obtenir le meilleur et le garder assez longtemps, sans faillir, sans tomber, sans être une merde. Elle a eu un nom, elle l'a gardé, utilisé, valorisé, avant de pouvoir se retirer. Ai-je bien saisis ou suis-je bête ? Elle n'a pas été viré, elle s'est juste arrêté de son plein gré. Notre carrière se préparait dans cette salle, voilà tout. Si nous loupions cette étape, autant ne jamais monter sur la grande scène. Alors pourquoi elle nous libère maintenant ? ça n'avait plus aucun sens. Finalement, le cours prenait fin, certains s'en allaient sans demander leur reste, d'autres hésitaient encore, se regardant en chien de faïence Moi, je restai planté là comme une mauvaise racine, incapable d'être logique. « Vous nous avez fait la morale... Juste pour nous lâcher après ? J'aurai pensé que ce serait une excuse pour doubler le temps de travail et d'acharnement à celui-ci, mais apparemment non. » Un soupir m'échappe, et je glissa une main dans mes cheveux pour les mettre en arrière et me dégager le visage. « Je reste. Que vous m'appreniez ou pas, je reste quand même. » à ne rien comprendre, hein ? Les quelques derniers dans la salle hochèrent de la tête, de mon avis. Donc voilà, nous y sommes. « J'ai horreur des danseuses dans votre genre, ou même des danses que vous pratiquez, mais je ne vais pas perdre davantage mon temps à faire mon difficile. » Et c'est moi qui râlait h24 qu'elle ne pourrait jamais rien m'apprendre, eh ben. Là, je l'invite carrément à revenir nous montrer son talent. « Je vous fais confiance, mais si cela ne m'apporte rien et que j'échoue, je vous en tiendrait entièrement responsable. » Lâchais-je avec amertume, provoquant la fabuleuse danseuse en elle. Ballerine ou pas, je veux bien faire un effort et oublier son pedigree. Juste pour cette fois, je me repose sur elle. Tant que ça porte ses fruits, je peux faire l'effort.

Tenue ღMalgré son jeune âge, et même si on la confondait avec les étudiants, Hazel restait une danseuse de talent avec un beau parcours derrière elle. Bien sur, elle aurait aimé en faire encore plus. Sa carrière fut courte mais intense. Elle en gardait de nombreux souvenirs, bons comme mauvais. Elle détenait une expérience importante dans le milieu. Elle en connaissait les rouages presque par cœur. En donnant simplement son nom, elle pouvait obtenir un rendez-vous avec n'importe quel grand nom. La jeune femme restait cette petite prodige de la Juilliard, capable de briller dans beaucoup de danses différentes. Ce côté éclectique portait toute sa reconnaissance. Ce qu'elle venait d'expliquer à ces petits rebelles en herbe avait beaucoup de valeur. Elle disait la vérité. Elle avait vécu tout ça. Sa carrière était terminée, non pas brisée. Voilà pourquoi la Royal avait aligné une belle somme pour l'engager, en plus de lui proposer un beau contrat. Ce n'était pas la seule école à avoir tenté de l'amadouer. Hazel avait décidé de venir ici pour s'éloigner le plus possible de son ancienne vie et prendre un véritable nouveau départ. Si elle avait voulu, elle aurait aussi pu aller enseigner dans son ancienne école. Mais non, aujourd'hui elle se trouvait devant des boursiers chanceux ou des fils/filles de. Ce mélange hétérogène lui plaisait. Même si elle était déçue du niveau de certains. Très peu d'entre eux connaissaient la chorégraphie. Cela l'avait agacé d'en voir autant se tromper. Impossible de travailler dans ses conditions. Sans compter qu'ils ne paraissaient pas motiver à s'investir. Juste parce que c'était elle qui enseignait ? Peut être. Ou d'autres carrément par manque de motivation. Certains devaient être déjà trop fatigués. Alors à contre cœur, elle les libéra. Elle n'allait rien tirer de plus d'eux ce soir. Puis cela lui permettrait de rester un peu dans la salle et de danser pour elle.

Alors que la salle de répétition se vidait, la voix de son élève japonais préféré s'éleva. Elle cessa de boire, essuya sa bouche d'un revers de la main et laissa ainsi apparaître son sourire narquois. Il marquait un point. Elle ne pouvait pas lui enlever ça. Mais n'avait-il pas remarqué que ces camarades étaient tout sauf prêts à travailler avec elle ? Yukine ne l'appréciait certes pas mais une fois qu'on le bousculait un peu, il se montrait plus coopératif qu'il ne le pensait. « Je ne sais pas si tu as remarqué mais y en avait pas un capable d’exécuter la chorégraphie sans se planter. A partir de là, je ne peux pas les aider. Ils ont pas bossé, je peux pas apprendre les pas pour eux. Je ne perds pas mon temps avec des étudiants qui sont pas prêts à se donner. » Et elle ne comptait pas perdre son temps avec lui s'il ne désirait pas apprendre d'elle. Donc, Hazel referma sa bouteille qu'elle balança dans sa sac et se rattacha les cheveux. Elle cessa tout mouvement lorsque Yukine lança qu'il allait rester et fronça les sourcils, perplexe. Il voulait rester travailler avec elle ? Voilà qui était intéressant même si elle ne s'y attendait vraiment pas. Elle jeta un coup d’œil aux trois derniers élèves qui semblaient hésiter à rester et leur hurla littéralement dessus. « Dégagez ! Vous vous êtes tous chiés dessus au moins dix fois dans la séance, allez plutôt apprendre la choré. » Et ça, c'était la véritable Hazel. La petite nénette de Los Angeles. Têtes baissés et en la traitant probablement de tous les noms, ils quittèrent la salle. La brunette soupira en levant les yeux au ciel et s'étira. « Tu ne devrais pas dévaloriser une danse juste parce qu'elle ne te plaît pas. Une danseuse étoile s’entraîne quinze fois plus qu'un petit danseur de rue comme toi et inflige une pression bien plus énorme à son corps. » Tout en le reprenant, elle tapota son torse avec son index. « Moi tu vois, je sais faire les deux. Je peux être la fille sage en tutu rose et venir te botter le cul en battle. Ça, ça te fait chier. » Après une pichenette en supplément pour le jeune homme, elle s'éloigna et récupéra la petite télécommande de la chaîne hi-fi.

Il voulait travailler ? Dans ce cas, elle allait le faire bosser. Ils danseraient toute la nuit s'il le faut mais en sortant de cette salle, il maîtrisera la chorégraphie mieux que leur enseignant habituel. Et comme, pour la première fois, il acceptait de lui faire confiance, elle ne comptait pas le ménager ou lui offrir le plaisir de pouvoir se moquer d'elle après. De toute manière, il ne pouvait qu'apprendre d'elle. « Tu veux me mettre au défi ? Dans ce cas, entraîne toi avec moi jusqu'aux prochains examens. Avec du renforcement musculaire et répétitions de la choré. Si tu es pas dans la tête de classe, alors je t'en devrai une. » Sure de ce qu'elle était capable de faire avec un étudiant d'un tel potentiel, Hazel tendit sa main au japonais. Etait-il prêt à passer plus de temps avec cette danseuse étoile qui l'agaçait tant juste pour la tester et espérer la remettre en place ? En tout cas, Hazel tenait vraiment à s'investir s'il acceptait et se promettait de le faire progresser. Ce qui s'avérait normalement plutôt compliqué quand on avait affaire à un étudiant d'un aussi bon niveau. Mais justement, il avait un bon niveau. Il n'était pas parfait. Hazel comptait l'aider à frôler la perfection pour commencer.

Tenue ღ D'habitude, Hazel s'acharne sur nous, jusqu'à épuisement. Nous n'avions jamais le temps de respirer ou juste de boire une gorgée d'eau. Avec elle, c'est pire que l'armée, pire que la rue, pire que tout. Elle a beau être une ballerine, c'est une femme qui ne lâche jamais l'affaire et qui en redemande toujours. Alors pourquoi arrêter maintenant ? à force, elle devait se lasser de nos faux efforts. Moi, je le fais exprès, seulement parce que l'idée d'être poussé par une danseuse étoile ne me plait guère, mais les autres, soit ils ne sont pas suffisamment compétents, soit ils ne se motivent pas assez. Certains font de leur mieux et je ne peux pas les brimer là-dessus, alors pourquoi ne pas continuer comme à l'accoutume ? Hazel est têtue dans son genre, notre comportement ne lui fait rien normalement. Pour une fois, je ne comprends pas sa réaction, ni le fait qu'elle nous lâche avant la fin. Normal que je sois curieux et un peu irrité par cela, en plus de réagir différemment en me poussant vers elle. Qu'elle en soit sûre, c'est bien la première et dernière fois que je m'avance autant vers elle, dans le cadre de la danse et des entraînements/cours.

La salle se vidait peu à peu de ses élèves, forçant mon regard à examiner les derniers hésitants. Que comptaient-ils faire, eux ? Allaient-ils vraiment partir et obéir aux ordres de la professeure ? Ce serait abusé de dire qu'elle était juste, ou qu'elle ne mentait pas. Après tout, Hazel insiste toujours pour travailler double, pour en faire toujours plus. Je ne la crois pas. Elle doit forcément faire son cinéma ou je ne sais pas quoi, mais impossible qu'elle nous laisse filer si tôt sans rien ajouter. Je voulais au moins savoir la raison, pourquoi elle nous virait d'un coup. à l'écouter, nous étions un peu des ratés, ou ceux qui sont partit directement sans un regard. Ses mots m'heurtaient avec une certaine violence, comme si j'avais été aveugle jusqu'à présent. Nous n'étions pas tous du même monde, apparemment. Il y avait ceux qui voulaient apprendre et s'en donnaient la peine, ceux qui voulaient apprendre mais sans se donner les moyens, ou encore les têtues avec des préjugés comme moi. Dans le fond, elle n'avait pas tord, et je ne pouvais rien dire contre cela. à son tour de marquer un point, m'empêchant de prendre une certaine défense envers mes camarades. Ils ne veulent pas, ils ne font rien, ce n'est pas mon problème non plus. En attendant, je reste dans cette pièce tant que le cours n'est pas terminé. Je ne suis pas comme eux, je ne me casse pas parce que madame fait sa crise. D'habitude, c'est moi qui part alors qu'elle m'en n'empêche. Depuis quand on inverse les rôles, hein ? Quant aux derniers restants, ils ont vite fait de partir la queue entre les jambes. De là, je me retrouvais seul avec elle. Seul avec ses arguments de choc et ses pichenettes. « C'est tellement pas crédible de tourner sur soi-même avec un tutu ringard. » Râlais-je pour seule défense. Pourquoi haïssais-je la danse classique ? J'en sais trop rien, ça m'agace à l'oeil. « Vous voulez pariez ? » Je la provoque, mais elle n'a pas tord. ça me fait littéralement chier.

La roue se remet en route, amorçant ses aiguilles dans le vide. Il était temps de se remettre au boulot, d'être sérieux et de parier sur l'avenir. Elle parlait beaucoup, mais jusqu'à présent, je n'ai pas eu la chance -ou l'amabilité- d'en voir les résultats. Si la confiance suffit à avancer, alors je veux bien faire cet effort et croire en elle. Croire en une princesse tutu, surtout. « Je relève le défi. Vous n'avez pas intérêt à être malade entre temps, sinon je viendrais vous cherchez directement chez vous. » Comme si je savais où elle vivait. Mes yeux se posèrent sur sa main tendue et d'un commun accord avec moi-même, je la serrais fermement entre mes doigts. à présent, je n'avais plus aucune excuse pour reculer ou abandonner. C'était elle et moi contre le progrès et la perfection, du moins, si elle arrive à m'amener jusque là. Au pire des cas, je ne pense pas pouvoir tomber bien bas si elle échoue, au mieux, j'y gagne toujours. « On commence par quoi, Madame Lee ? » Fis-je avec un respect exagéré. C'est elle qui détenait la télécommande, donc bon. J'attendais simplement qu'elle donne le départ, lance la musique, et donne les ordres. Pour une fois dans ma vie, j'écouterais. Je ferais abstractions des mes préjugés pour faire équipe avec eux, jusqu'au prochain examen.

Tenue ღRien ne l'énervait plus que des étudiants incapables d'exécuter une chorégraphie sans faire d'erreur. Que les pas manquent de précision ou qu'ils ne soient pas totalement parfaits, ça passait encore. Mais les voir danser avec culot et se planter des dizaines de fois dans les enchaînements, voilà ce qui la rendait dingue. Elle trouvait que se pointer avec la chorégraphie bien en tête était la moindre des choses. Une base nécessaire même pour qu'un enseignant puisse travailler dans de bonnes conditions. Hazel pensait même que venir et attendre que ça se passe restait la pire marque de manque de respect qu'un danseur pouvait avoir. Alors ouais, ces petits jeunots l'agaçaient et elle ne voulait pas continuer avec eux. Impossible de les aider s'ils ne remplissaient pas leur part du contrat. Elle les vira sans mâcher ses mots. Franche et virulente comme toujours. Le mot pitié n’apparaissait pas dans son vocabulaire et elle tapa même du pied pour que les derniers quittent plus rapidement les lieux. Elle passa ensuite au cas de Yukine histoire de refaire un peu son éducation. Quand allait-il se séparer de ces foutus préjugés ? Elle le trouvait tellement immature sur ce plan-ci. Elle soupira tout en secouant la tête. « Toi, ça se voit que t'es pas venu à mes shows. » Elles parlaient bien évidemment des spectacles qu'elle avait eu la chance de monter de toute pièce et qui déclinaient un éventail de danses différentes impressionnant mais surtout qui réinventaient la danse classique. Bon, en même temps, comment aurait-il pu ? Il vivait au Japon, elle s'était produite aux États-Unis. « Je te passerai le DVD. » Elle lui tapota sur l'épaule en prenant un faux air totalement désespéré face à l'ignorance du jeune homme. Puis, elle se redressa un peu. « Même si j'avais les quatre membres plâtrés j't'écraserai mon p'tit. » Et elle lui pinça les joues, les tira même, avant de les tapoter comme pour les lisser ou les remettre en place après la maltraitance qu'elle venait de leur faire subir.

Elle lui proposa une sorte de marché, un contrat, un deal, appelez cela comme vous le souhaitez. En tout cas, elle lui promettait de l'aider à atteindre la tête de classe pour les prochains examens. Hazel se savait capable de transformer ce petit mec rebelle en bête de scène. Il n'en était pas si loin. Encore un peu fou et trop indiscipliné, mais elle sentait tout son potentiel depuis le début. Elle croyait aussi suffisamment en ses capacités pour lui proposer ça. « Oh mon petit, je vais te chercher au saut du lit les prochains mois. Ne confond pas tout. Tu vas souffrir. » Un sourire se dessina sur sa petite bouche rose lorsqu'il lui serra sa main. Voilà qui devenait intéressant. Elle avait hâte de travailler avec un Yukine plus docile. Après tout, il acceptait cette fois de travailler avec elle. « Si j'y arrive, tu devras reconnaître que les danseuses étoiles sont pas si mal. » Et elle était certaine d'y parvenir. Elle tapa ensuite dans ses mains, en sautillant presque sur place, cette histoire l'excitait. Un peu de piment, un peu de défi dans ce monde barbant et trop scolaire à son goût. Puis, y avait du pain sur la planche comme on dit. Beaucoup de choses à faire, peu de temps. Elle lança la musique mais en baissa le volume. Pour le moment, ils n'allaient pas vraiment danser mais la belle brune appréciait d'avoir un bruit de fond. Elle pivota sur elle-même pour se retourner ensuite vers Yukine et le pointa du doigt. « Enlève ton t-shirt. » Ouais, demande pas mal étrange. Hazel n'avait pourtant aucune idée mal placée derrière la tête, véritablement aucune. Yukine était trop jeune pour elle en plus. « Me regarde pas comme ça, j'vais pas t'violer. Enlève-le. » Le japonais semblait toujours pas mal sceptique devant cette requête peu ordinaire. « Tu me fais confiance ? Alors enlève, on va bosser ton maintien. » Malheureusement c'est ce dont les étudiants manquaient le plus souvent, particulièrement ceux qui pratiquaient des danses de rue, de peur de paraître trop rigide ou quoi. Pourtant, être trop mou ne les flattait pas du tout non plus.

Pour l'encourager, ou pas vraiment dans ce but là en fait mais juste parce qu'il le fallait, elle retira elle aussi son t-shirt de hippie quinze fois trop grand pour elle. Comme une bonne danseuse, elle portait en-dessous une brassière de sport. Elle se posta juste à côté de Yukine. « Ecarte les jambes, largeur des hanches. » Elle lui tapota sur la cuisse pour illustrer ses gestes et se mit dans une position identique. Hazel lui indiqua le miroir pour qu'il regarde lui aussi leur reflet. Elle remarqua alors combien elle paraissait minuscule face à ce grand gaillard de vingt-et-un ans. Cela la fit froncer les sourcils. Enfin, ils n'étaient pas là pour s'admirer. «  Regarde-toi, et regarde-moi. On jurerait que tu passes tes soirées avachis sur le canapé. Tu te tiens droit mais c'est pas solide. » Elle posa sa main sur le ventre de l'étudiant. « Inspire et rentre le nombril, contracte, engage tes abdos. » Elle passa ensuite derrière lui. Elle allait exécuter plus ou moins les mêmes gestes que précédemment. Ses mains sur ses épaules, elle exerça une légère pression. « Relâche un peu. Faut pas que ce soit tendu mais pas qu'elles tombent non plus. » Elle tapota son genoux droit. « Fléchis un tout petit peu pour que ton dos ne soit pas cambré ou rond. » Puis délicatement, elle pressa ses doigts sur ses flans. « Garde-moi ça comme ça. Je te demande pas de te mettre un balai dans le cul hein, j'veux qu'on sente que c'est solide. Tu vois ce que je veux dire ou pas du tout ? » Car ça l'était, solide, Hazel le sentait. Seulement, il fallait aussi que cela se voit.

Tenue ღ Je n'ai jamais dit être mature, loin de là. Mes parents m'ont souvent accusé du contraire, seulement pour le fait de ne pas reprendre l'une de leurs voies, ou parce que je m'orientais dans un domaine instable et "faux" à leurs yeux. Ils sont tous les deux plongés dans des mondes qui ne risque pas de s'effondrer ou qui permettrait toujours d'avoir du travail. La danse, ce n'est pas tout le temps le cas. Si tu échoues, tu échoues. Tu auras beau tout faire pour remonter dans l'estime des gens, quand ils ont un jugement sur toi, difficile de le faire changer. Alors oui, sûrement suis-je très immature pour n'écouter personne, ni même ma famille et avoir autant de préjugés désagréables sur les autres danses. J'aime un style particulier; la danse masculine. Pas de coulant, ni de paillette. Un genre dure à cuire et costaud, tout l'inverse des pratiques enseignés par la jeune femme toujours présente dans la pièce. Elle était sérieux ? Mon expression facial devait en dire long sur mon étonnement et mon envie de fuir cette discussion. Moi, regarder ses shows ? Beurk! Autant me faire manger des huîtres, ce serait plus simple. Je pourrais presque faire de l’eczéma à mater le lac des cygnes, alors des shows de Hazel... « Vous plaisantez ? » Je crois que non, c'est ça le pire. Son tapotement sur l'épaule prouvant son désarroi face à ma situation. Je ne suis pas un cas désespéré non plus! J'ai juste tendance à n'écouter que mes pensées et à ignorer les avis des autres. égoïste, en plus d'être immature. Et voilà que son air de défi reprenait le dessus, même en me pinçant les joues comme une vieille grand-mère. Je vous jure, elle pourrait presque me répugner à faire ça... Je n'ai plus cinq ans. Une grimace déforme mon visage et je me retenais bien de lui taper les mains pour les virer de celui-ci. Quant à sa réplique, je n'en dis pas plus. D'accord, j'admire son entrain et sa forme, je dois bien l'avouer.

Les choses se mettaient doucement en place, au final. Nous parions gros sur ce coup-là, jouant un peu mon avenir et ma renommé pour le moment inexistante. J'ai du potentiel, mais peut-être pas une place parmi les grands. Voilà à quel moment intervenait cette formidable femme, pour me pousser vers le sommet. Certes, je la considère comme une cruche à danser sur des chansons soporifique et nulle, mais ce serait mentir si je disais n'avoir aucune confiance. Elle a eu un nom, avant de quitter le devant de la scène, et ce serait débile de cracher dessus. Hazel ne rechigne pas à m'apprendre, à m'entraîner et même à me former, autant en profiter qu'importe les préjugés dans ma tête. Qui sait, ce serait une occasion de les effacer ou de les rendre moins virulents. Souffrir, c'est un mot étrange sortant de sa bouche. Je l'imagine pas me courser après avec un fouet pour que je fasse des pointes ou des étirements. Non, plus sérieusement, je vais connaître un aspect plus détestable de la danse et de ses efforts. Marché conclu, dans ce cas là. Une bonne poignée de main et le contrat se signait. « Seulement si vous arrivez. » Soulignais-je quand même, pour ne pas qu'elle croit n'importe quoi. Si j'arrive à son niveau ou bien plus, peut-être que je ferais des remerciements envers les danseuses étoiles. Cas contraire, ça risque d'envenimer ma vision de la chose, si cela peut être pire. à la voir sautiller sur place, cette histoire l'émoustillait comme une gamine dans un parc d'attraction. était-ce si amusant ou excitant ? Je ne comprendrais jamais cette fille. Une musique en fond, j'attendis patiemment de débuter la séance, avant d'afficher une mine surprise. « Quoi ? » Un quoi bien viril et outré, dans le genre « tu m'as bien regardé ? ». Qu'elle enchaîne sur une telle remarque ne me donnait pas envie de rire, en fait. « Pourquoi le faire remarquer, alors... » Faut le penser pour le dire, non ? Ce n'est pas la danse au lit que je voudrais apprendre, hein. Qu'est-ce que  j'allais faire à moitié à poil ? Une sorte d'osmose avec l'air qui m'entours ou un truc scientifique dans le genre ? On se croirait dans kung-fu panda, manquerait plus qu'elle m'apprenne à manger des sushis façon ninja. « J'commence à avoir un doute.. » Plaçais-je délicatement pour prouver ma véritable confiance. Quant à mon maintien, je ne vois pas tellement où elle veut en venir. Je me tiens très bien.

Pas le temps de faire quoi que ce soit que madame retire son haut comme dans un cabaret. Je vois loin, surtout en scrutant sa brassière de sport. Je m'attendais à quoi ? Un soutif sexy ou un truc dans l'genre ? Je suis un mec, venez pas me faire la moral ou me juger sur mes pensées perverses. Bref, je ne pouvais pas reculer à un tel niveau. Je retirai donc mon tee-shirt pour me mettre torse-nu, pas tellement gêné de m'afficher ainsi devant elle. Eh oui, je suis bien un mec. écarter les jambes, largeur des hanches. Je m'exécutais après son geste, regardant nos reflets dans le miroir. ça semblait identique à vue d'oeil, mais impossible de juger comme elle. Blablabla. Un roulement des yeux et je lâchais d'une manière plutôt évidente. « Sûrement ce que j'fous de mes soirées. » ironie, ironie. Je retenais ma respiration en sentant sa main. Quoi ? Elle parlait trop vite, je vous jure. J'inspirai en rentrant le nombril, même si je trouvais ça trop bizarre de rentrer le ventre comme un mec honteux et en surpoids, pour au final avoir l'air d'un mec macho fier de ses abdos. Je crois qu'on n'est pas sur la même longueur d'onde, tous les deux. Je ressemble à rien, en fin de compte. Relâcher, sans trop relâcher. Rentrer le nombril, inspirer, contracter le bide. Sérieux, j'assiste à un cours de yoga. Mon genoux se fléchit comme demandé, du moins, comme je pensais qu'il devrait être. C'est compliqué d'être en accord entre ses mots et ma façon de faire. Apparemment, c'était potable à ses yeux. Je me sens plutôt fier, malgré ma posture et mon impression d'être idiot. à l'écoute, je dois être ainsi tout-le-temps. « Je vous verrai bien jouer dans un film de jacky chan. » plaisantais-je malgré moi en souriant, avant d'hocher ma tête pour approuver. « Je pense être capable de comprendre, solide comme un rock. » Comme si je n'étais pas suffisamment solide pour un homme. « Maintenant que j'ai un bon maintien, on peut danser ? » Je suis beaucoup trop pressé pour attendre plus longtemps.

Tenue ღ Sa méthode déstabilisait le jeune étudiant à en juger par sa réaction. Évidemment, à l'opposé, cela amusa Hazel qui d'un geste vif de la main confirma qu'il ne rêvait pas et l'invita à s'exécuter. Qu'attendait-il ? Sa demande relevait certes d'un ordre peu commun mais en aucun cela signifiait qu'elle désirait se rincer l’œil. Ce serait comme reluquer son petit frère, enfin, elle n'en avait que des grands, mais elle imaginait quoi. Elle posa ses poings sur les hanches avec un air faussement outré par ce que Miyaki venait de sous-entendre. D'où tiendrait-elle un soupçon de perversité suffisant pour ressentir l'envie de s'attaquer à un jeunot comme lui ? « T'es encore qu'un bébé, qu'est-ce que tu veux que je fasse de toi ? » D'accord, seulement quelques petites années les séparaient mais cela ne changeait rien au fait que la danseuse étoile ne pouvait le voir que comme un gamin. Elle secoua la tête face à l'air dubitatif de son étudiant. Du coup, elle retira la première son t-shirt bien trop grand et l'envoya valser. Avec des gros yeux, elle démontra à Miyaki qu'il n'y avait aucun mauvaise intention derrière tout ça et lui désigna le miroir pour qu'il percute enfin qu'ils allaient simplement bosser. C'est clair que quelqu'un de l'extérieur se poserait des questions en les voyant tous les deux comme ça et peut être même que l'américaine risquerait d'être convoqué chez le directeur. Mais à cette heure-ci plus personne ne déambulait dans les couloirs de l'université et puis la porte de la salle de répétition était bien fermée.

Peut être que son bourrage de crâne sur le maintien agaçait Miyaki mais Hazel savait que ce détail constituait un de ses points faibles majeurs et ça même s'il ne voyait pas encore la différence que ça pouvait faire. Elle restait persuadée qu'il finirait par la remercier. Elle débita du coup ses explications sans prendre une seule pause et sans s'assurer qu'il suivait bien tout ce qu'elle lui racontait. Il s'exécuta pourtant sans broncher ce qui étonna Hazel, peu habituée à tant de docilité de sa part. Mais cette bonne volonté dont il avait l'air de faire preuve lui plaisait et lui prouvait qu'elle ne se trompait pas sur son compte. Tête de pioche peut être, mais pas idiot. Avec une petite mou d'approbation, elle constata le résultat. Chaque consigne était appliquée à la lettre et la différence paraissait flagrante à travers son regard d'experte. Un petit rire lui échappa lorsqu'il la compara à jacky chan. « T'es gentil là. Parce que, crois-moi, tu vas souffrir. » Clin d’œil malicieux, elle rattacha ses cheveux et secoua la télécommande. « Prêt ? » Elle prit place à ses côtés. Jamais elle n'aurait pensé se retrouver un jour à donner des cours particuliers à l'étudiant qui maudissait la danse classique. Pour elle, cela représentait une victoire importante. Elle comptait bien le faire admettre qu'il se trompait totalement sur son compte et sur la réputation qu'il donnait aux ballerines. Elle appuya sur le bouton et lança donc la musique.

Ils enchaînèrent ensemble, maintes et maintes fois, la même chorégraphie. Hazel hurlait par-dessus la musique pour signaler les erreurs du jeune homme et les rectifier. Parfois, ils reprenaient en silence et plus lentement certains passages pour décortiquer les mouvements, les préciser. Puis ils reprenaient sur la musique. La belle brunette grimaçait encore ou se crispait quand une douleur à sa cheville se faisait trop vive mais refusait de s'arrêter. Elle paraissait inépuisable. Son corps reproduisait les mouvements sans aucune faille malgré sa blessure. Il épousait avec perfection les variations de la musique et répondait en écho avec le corps de Miyaki. L'espace de quelques instants, l'entente est parfaite -si on oublie les cris de l'américaine à la recherche de la perfection dans les gestes de son étudiant-. Son corps luisait tant elle transpirait. Voilà quelques temps qu'elle n'avait pas fourni un effort aussi intense. Elle entendait sa cheville qui la suppliait d'arrêter le massacre mais elle n'en faisait qu'à sa tête. À chaque fois qu'ils arrivaient à la fin, elle recommençait.

Finalement, après presque deux bonnes heures, elle forma la lettre T avec ses mains pour indiquer à Miyaki qu'il fallait tout de même qu'ils s'arrêtent un peu. Elle lui mima qu'ils devaient boire et de son côté chercher sa deuxième bouteille qu'elle vida presque de moitié. Quelque chose lui traversa alors l'esprit. Hazel s'installa en tailleur et dégaina son carnet avec un stylo. Elle dessina un grand tableau avec les jours de la semaine puis lui fit signe de s'approcher. Encore un peu essoufflée, elle lui demanda : « Dis-moi quand t'es libre. » Dresser un emploi du temps de leur entraînement n'allait rendre leur contrat que plus officiel. Hazel aimait avoir le contrôle sur tout et avait besoin d'un plan d'attaque dans sa tête. « Bon déjà après ce cours là t'as rien non ? On se verra donc à chaque fois après pendant au moins deux heures. » Elle ne lui laissait pas vraiment le choix. Aussi, quand il lui indiqua enfin ses disponibilités, elle combla presque toutes ses soirées avec quelques heures de danse en sa compagnie. Puis, avec un air menaçant et en pointant son stylo vers lui, l'avertit de certaines règles. « Pas de retard, pas d'absence. Même malade, ou blessé, t'es là un point c'est tout. Ah, et tu dois toujours connaître ta chorégraphie. Si un jour c'est pas le cas, j'te flingue. Des questions ? » Sait-on jamais. Puis peut être qu'il avait quelque chose à dire ou une objection ou quoi.

Tenue ღ Un bébé ? Est-elle sérieux en me comparant à un bébé ? Je ne porte pas des couches, que je sache! Et j'ai déjà eu des relations avec des filles. « Ne me compare pas à un gamin. » Bougonnais-je en tapant un peu du pied. Bon d'accord, elle est plus âgée que moi, mais pas au point d'être ma mère quand même. C'est une femme et je suis un jeune adulte, voilà la petite différence. On dit bien que l'amour n'a pas d'âge, pourquoi le sexe devrait-il en avoir ? Bah, qu'importe. Nous ne sommes pas là pour ça, de toute évidence. Dans nos têtes, c'est uniquement de la danse, rien d'autre. Mon comportement immature devait donner cette impression à Hazel que je n'étais qu'un gosse. Finalement, c'est elle qui me devança sur le vêtement, se retrouvant en brassière. Qu'est-ce que je m'imaginais ? Rien, absolument rien. Au moins, je pouvais faire de même et me foutre torse nu. à voir comme ça, c'est louche, mais d'après elle, c'est pour nous mettre à l'aise. Bien, je ne vais pas m'étaler sur le sujet, puisqu'elle le changeait en parlant de maintiens. Le miens restait à désirer, si je pige bien son récit et ses explications. Pour une fois, j'écoutais sans protester, ni faire mon difficile. Encore plus étonnant, j'exécutais ceux-ci avec docilité et motivation -même si ça ne se voyait pas-. De toute façon, je n'allais pas encore râler alors qu'elle tente de m'aider, ce serait vraiment désabusé de ma part. Je me rattraperais plus tard, pour ce qui est de me plaindre et ouvrir ma grande bouche. Ma posture semblait satisfaire à Hazel, ce qui me réjouit de mon côté. Fierté à part, je me trouve plutôt bon quand je veux, m'autorisant même à plaisanter avec elle. Voilà autre chose. « Vous me faites peur, madame Lee. » Je ris à nouveau, me moquant un peu d'elle au passage. Prêt ? Plus que jamais. Une nouvelle fois, j'hoche ma tête pour seule approbation.

La musique débuta comme prévu, animant lentement mon coeur. La danse me donne des ailes, comme propulsé dans le ciel. La fatigue ne pourrait pas me clouer au sol, qu'importe le nombre de fois que j'enchaîne cette chorégraphie, je ferais toujours en sorte d'être au mieux. Hazel criait par dessus la musique, voyant très bien mes fautes de pas, celles que je ne devais pas apercevoir par moi-même. En temps normal, je me serais déjà arrêté pour gueuler à mon tour et sûrement me barrer, mais je prenais sur moi en continuant de plus belle. Si je m'arrête, c'est la fin. Si je m'arrête maintenant, notre contrat ne tiendrait jamais la route. C'est à moi seul de prendre sur moi-même. La séance de danse n'en finissait plus, repeat sur repeat. Je voyais mon reflet trempé de sueur et mes joues rougies par l'effort conséquent que je fournissais. C'est bien l'une des rares fois que je me donne autant pour ma passion. Généralement, je fais une pause avant d'en arriver là, mais avec Hazel, c'était différent. Elle supprimait ces moments de calme pour reprendre encore et encore. Je n'en pouvais plus, soufflant fort comme un buffle, et pourtant, je ne cessais jamais de bouger en accord avec la demoiselle. Nos corps étaient comme relié par un lien invisible, nos gestes semblables aux autres. Pour une fois, je ne jugeais pas la professeur sur sa spécialité, parce qu'à ce moment-là, elle n'était pas totalement une danseuse étoile. Ses mouvements étaient du hip-hop, comme les miens. Mon esprit se fermait à mes préjugés, acceptant malgré lui le moins évident à admettre.

Les minutes n'avaient plus de sens dans ma tête, emporté par notre entraînement. J'en avais un peu perdu la notion du temps, arrêté malgré moi par le temps mort de Hazel. Qu'est-ce qu'il se passait ? Exténué, je la questionnais du regard sans comprendre où elle voulait en venir. Une pause ? Ah, ouais. N'empêche, ça fait du bien de boire. Je regardais l'eau se vider dans ma bouteille, louchant dessus avec un intérêt plutôt étrange. Pfiou, ça fatigue de danser sans repos. Mon corps criait sa souffrance, me suppliant d'arrêter la torture. Qui sait, peut-être que je l'écouterais si Hazel faisait de même. Mes yeux se posèrent ensuite sur elle, tandis qu'elle s'installait au sol en s'armant d'un carnet et d'un stylo. Je m'en approchais d'avance, m'accroupissant en face quand elle me demanda de me rapprocher. « C'est un rencard ? » Je plaisantais, lui désignant ensuite mes heures ou jours de relâche. « D'accord, je trouve ça normal. » Je confirme d'un énième hochement de tête, mes doigts jouant avec ma bouteille quasiment vide. Ses règles me fusillèrent direct le cerveau, m'arrachant une grimace. « Vous êtes dure. » Je n'allais pas tenir avec elle. « ça veut dire plus de sortie pendant ces heures-là ? » Et je les vois quand mes potes ? Mes cours occupaient une grande partie de mon temps, Hazel celui qui était libre jusqu'à maintenant. « Rien à ajouter, sinon. ça me va comme ça. » Je lui pris son stylo des mains, notant mon numéro sur son carnet. « Au cas où, on sait jamais. » fis-je avec un rictus.

« Et maintenant, que faisons-nous ? Depuis combien de temps on danse ? J'suis en pleine forme! » Mentais-je en m'étirant, mon corps me rappelant à lui. Il  n'était pas tellement en forme, lui. Un soupir franchit la barrière de mes lèvres, et je fis quelques étirement avec mes bras pour entendre mes articulations craquées. En vérité, je suis complètement éreinté, mais trop têtu pour l'admettre. Du coup, j'attendais simplement les ordres de ma professeur. à tout les coups, elle va vouloir prolonger d'une heure et me tuer. Il ne me reste plus qu'à attendre le jugement dernier avec impatience.  

Tenue ღ Elle croyait en ce contrat. Elle comptait bien se donner à fond pour ce petit rebelle. D'abord parce qu'il s'agissait de son métier, et ensuite par intérêt purement personnel. Elle désirait lui prouver qu'une danseuse étoile portait à juste titre le nom de danseuse. Que le facteur qui les gardait dans cette même salle malgré des racines différentes, la danse, ne devait pas être victime de préjugés ridicules. Cette passion dévorante qui les consumait tous les deux, à un degré conséquent, n'avait pas à subir des limites, à les séparer. Hazel aimait toutes les danses. Le hip hop autant que la danse classique. Ces dernières autant que les danses traditionnels. Autant que la danse contemporaine, la salsa, le flamenco, le rock, la polka. Elle touchait à tout. Elle excellait partout. Il allait voir que, même en temps que ballerine de formation, elle était capable de le faire progresser et plus encore, de le forger. Hazel s'acharnait sans scrupule sur un Miyaki qui pour une fois ne protestait pas. Elle le reprenait toutes les deux minutes, le poussant dans ses derniers retranchements. Parfois, lorsqu'il reproduisait une même erreur, elle s'emportait particulièrement et employait des mots d'une violence sans non sur un ton sec. Elle ne voyait pas pourquoi elle devrait le ménager. Il voulait être le meilleur ? Elle allait exaucer son souhait. Elle se donnait et ne se ménageait pas. Elle en oubliait de prendre garde à sa cheville douloureuse. Celle-ci lui arrachait de temps à temps un couinement face à la souffrance mais elle ne risquait pas de s'arrêter pour si peu. Elle bougeait son corps en rythme avec lui. Ils transpiraient des litres et des litres. Elle sentait d'ailleurs les petits cheveux de sa nuque se coller à sa peau. Et ils passèrent ainsi deux longues heures à danser, à crier et à faire crisser leurs chaussures sur le planché.

Puis vint le moment où elle ne remit pas la musique. Hazel appartenait à cette catégorie de gens qui adore repousser les limites mais elle savait aussi qu'elle ne voulait pas prendre le risque de tomber dans les pommes ou de le voir tomber dans les pommes. Alors elle décréta un temps mort histoire qu'ils puissent tous les deux s'hydrater. C'était aussi le bon moment pour parler de leur fameux partenariat. Ils devaient trouver des moments pour s’entraîner mais aussi fixer des règles, ses règles plus exactement. À la plaisanterie du japonais, Hazel leva un sourcil l'air de dire : nan mais tu m'as bien regardée ? Et pouffa malgré elle de rire. L'ambiance se détendait-elle entre les deux danseurs ? Elle combla chaque temps libre de son emploi du temps et sans éprouver le moindre remord à l'idée de lui pourrir sa vie d'étudiant. Dure ? Elle ricana. « Tu les verras quand notre contrat prendra fin. Et je t'assure qu'à ce moment là tu voudras juste le renouveler. » Elle croyait en ce qu'elle disait. Quand Miyaki verra les résultats de leurs entraînements, il en redemandera. « A la Juilliard, j'ai passé tout mon temps libre à danser. Sortir ? Faire la fête ? Ça ne faisait pas partie de mon vocabulaire. C'est pour ça que j'ai réussi pendant que mes camarades sont restés sur la touche. » Elle haussa les épaules avec dédain. Lui mettre du plomb dans la tête, voilà ce qu'elle essayait de faire. Elle tapota d'ailleurs sa caboche avec son stylo avant qu'il ne lui vole pour noter son numéro sur un coin de la feuille. « Génial~ je vais pouvoir harceler mon nouvel étudiant préféré. » Elle lui tira la langue comme une gamine avant de lui laisser la cahier pour qu'il mémorise les horaires ou qu'il le prenne en photo. Elle se leva et plaça sa jambe sur la barrière fixée aux murs de la salle histoire de s'étirer dans un geste cette fois plus classique rappelant cette danse que Miyaki méprisait tant. Elle en profita aussi pour masser un peu sa cheville endolorie non sans grimacer sous la douleur.

Elle jeta un coup d’œil à l'horloge fixée au mur de la salle et répondit dans un souffle à la question de l'étudiant japonais. « Presque deux heures et demi. » En temps normal, elle n'aurait pas hésité une seule seconde à reprendre l’entraînement. Mais Hazel s'attarda sur l'état de Miyaki et se rendit compte qu'il était épuisé. Ils avaient vraiment bien travaillé en même temps. Elle ne voulait pas abuser et empiéter sur ses études mais en même temps ne se sentait pas arrêté la session là. « De l'impro, ça te dit ? » Il ne pouvait pas refuser. Ainsi, ils finiraient leur soirée en beauté. Et puis, c'était une façon de taire les tensions entre eux. Elle changea de musique et invita d'un geste de la main Miyaki tout en sautillant. « J'te suis, fais-moi rêver. » Elle resserra sa queue de cheval, prête à danser à nouveau.

Tenue ღ Je ne pense pas avoir autant souffert depuis la première année à Royal, depuis mes débuts dans cette école de prestige. Avec Hazel, cela se complique et devient une question d'endurance. Jamais je n'aurai cru qu'une danseuse dans son genre puisse suivre un rythme si dure et compliqué. à moins que la danse classique soit aussi fatigante que le hip-hop ou ces danses de rue que je pratique un peu tous les jours. En tout cas, cette femme ne lâche pas le morceau et donne le meilleur d'elle-même. Je mentirai si je disais n'être surpris, bien que je m'attendes à un tel régime de sa part. Plus on avançait dans la chorégraphie, plus ça devenait éreintant. Hazel criait doublement plus à la moindre erreur que je répétais sans faire attention, employant un langage inapproprié pour une demoiselle. On dirait moi quand je m'énerve tout seul ou contre un mec que je ne peux pas me voir. à savoir si elle peut vraiment me voir, ça c'est autre chose. à mon avis, elle ne se donnerait pas autant de mal si elle ne pouvait pas me piffer. Elle ne passerait pas deux heures à me crier dessus ou à me reprendre toute les deux minutes, même pour pas grand chose comme un pied mal placé ou une jambe de travers. Madame n'en finissait pas d'être autoritaire, pendant que je gardais ma langue, me retenant de faire le moindre commentaire. Je suis peut-être fou, mais pas suicidaire. Hazel risquait de me faire manquer sa chaussure si j'osai me plaindre, ou juste parler. Du coup, deux heures s'écoulèrent ainsi, surtout dans les corrections et la voix de la jeune femme. La sueur perlait sur mon visage rouge, mon coeur palpitant sous ma peau humide et frissonnante. Elle m'a poussé beaucoup plus loin que d'habitude, là où je ne vais jamais.

La fin ne venait plus, tellement je me sentais emporté par le rythme sportif et draconien de Hazel. Combien de temps nous dansions ? Je l'ignore, mais je me doutais que nous avions dépassé les deux heures. Quand elle annonça la pause, ou qu'elle ne remit pas la musique pour un énième round, je sentis l'air dans mes poumons revenir en force. Wow, mon corps en entier pleurs sa détresse, tellement il souffre. Une bonne nuit de sommeil, un massage improvisé aux jambes et demain sera un jour meilleur.  Pendant que je vidais doucement ma bouteille d'eau, la demoiselle planifiait des horaires et je trouvais bon de plaisanter, ce que je ne fais normalement jamais avec elle. Au moins, elle rit. Revenons en à nos moutons, les cases vides se remplirent rapidement d'entraînement, tandis que je voyais mes sorties entre potes se réduire à pas grand chose dans la semaine. « Vous semblez bien sûre de vous. » Ce n'est qu'une remarque parmi tant d'autre, mais elle paraissait bien confiante. Mes potes attendront la fin de ce contrat, comme elle venait de le dire. « Aviez-vous seulement un ami, à la juilliard ? C'est cool de sortir boire un verre et plaisanter avec des amis, vous savez ? Mais je sacrifie cela si ça m'aide à réussir. » J'arrive à être mauvaise langue et sympathique à la fois, des fois je me comprends pas trop. « Puis à votre âge, on n'a pas trop la tête à faire la fête, hein ? » Petite taquinerie comme je les aimes, même si elle risque de mal le prendre. Au pire, je cours vite. Un coup de stylo sur la tête plus tard et je lui avais noté mon numéro de téléphone sur son carnet. « N'abusez pas trop, non plus. » Non pas que je déteste me faire harceler par des jolies filles, mais quand même. Le carnet en ma possession, j'allais chercher mon portable pour prendre l'emploi du temps en photo et bien mémoriser les horaires fixés par la danseuse. Ce serait plus simple que compter sur mon cerveau, surtout qu'il sélectionne un peu ce qu'il veut. Ceci fait, je me relevais pour observer Hazel s'étirer, prenant une pose classique comme je ne les aimes pas. Enfin, je n'ai rien contre les étirements.

C'est bien sympa tout ça, mais qu'est-ce qu'on fait maintenant ? En même temps, je m'étire les bras et le dos pour les faire craquer, endoloris par mes efforts surhumains. Deux heures et demi, et je suis toujours vivant... Miracle. Même si mes forces diminuaient à vue d'oeil, j'avais encore une petite réserve pour terminé la soirée en beauté, mais Hazel n'insista pas pour poursuivre l'entraînement. En fait, je lui en suis reconnaissant. Après tout, je me lève demain pour retourner en cours, et je sens déjà mes muscles faire leur cinéma à l'idée de devoir bouger. « Impro ? Ouais, ça me tente! » J'en suis même ravi, à voir mon sourire d'idiot. Hazel décidait de la musique, m'invitant à danser en premier pour, je cite, la faire rêver. Ouais, je ris plus qu'autre chose, mais une fois en position, mon sérieux revient à la charge. Oublié nos pas précédents, j'enchaîne sur quelque chose de moins écolier, comme j'aime pendant une battle de rue. De l'improvisation sauvage et compétitive, de quoi retourner la tête de n'importe qui. Je ne demandais pas non plus qu'elle suive mes gestes, m'arrêtant rapidement dans ceux-ci. « Une petite battle ? Une danse chacune. » Proposais-je à tout hasard, même si nous ne disposions d'aucun juge pour délimiter la concurrence. Tant pis, ce sera pour le fun et l'éclate, rien de plus.

Tenue ღ Hazel hocha la tête, distraite. Elle croyait en ses capacités mais plaçait également une grande partie de sa confiance dans le potentiel du jeune rebelle japonais. Cela ne pouvait fonctionner que s'ils s'investissaient tous les deux de la même manière. D'où ses règles un peu strictes. Les examens se tenaient dans quelques semaines, sacrifier quelques soirées étudiantes ne représentait donc pas grand chose. Mais la remarque de Miyaki toucha en plein cœur la danseuse. Son poignet cessa un instant de s'agiter et de griffonner sur la feuille. Figée, ses phalanges blanchirent à force de serrer le stylo. Il venait de cibler une de ses faiblesses. Elle prétendait apprécier sa solitude mais la vérité se trouvait ailleurs. En restant seule, elle se protégeait juste des autres. Et puis elle avait laissé de côté sa vie sociale au profit de sa carrière, gâché son mariage pour garder son nom. Miyaki employait la bonne expression : sacrifier pour réussir. « J'avais quelqu'un. » Elle leva les yeux vers lui et les plissa. Elle évoquait son court mariage avec son ancien partenaire de danse. « Mais faut choisir. La danse ou le reste. Si tu veux vraiment gagner ta vie, il faudra faire des sacrifices, du moins au début. » Elle haussa ensuite les épaules et reprit le contrôle de ses émotions. Il n'était pas non plus question de lui raconter sa vie mais simplement de lui faire prendre conscience de certaines choses. Qu'elle était humaine elle aussi, entre autre. Elle le pinça ensuite pour le punir de sa plaisanterie de mauvais goût tout en ouvrant grand la bouche pour se donner un air outré. « Fais gaffe à c'que tu dis toi ou je t'arrache les oreilles. » Et elle illustra sa menace en venant ensuite lui tirer l'oreille comme précédemment. Elle ne le prenait pas vraiment mal. Au contraire, cette ambiance légère lui plaisait bien plus que lorsqu'ils se prenaient la tête.

Elle profita de la petite pause pour remettre son t-shirt extra large et s'étirer un peu. Puis, pour bien terminer leur première séance d’entraînement ensemble d'une très longue liste, elle lui proposa d'improviser et de juste danser pour le plaisir. Histoire de se vider la tête puis de se détendre aussi. Son étudiant n'hésita pas une seconde. Aussitôt, elle lança la musique. Elle tapa dans ses mains lorsqu'il commença à bouger. Il se laissait aller et cette liberté lui correspondait bien. Elle en profita encore une fois pour décrypter mais surtout analyser ses capacités. Elle enregistra certaines informations dans un coin de sa tête alors que son corps commençait à bouger tout seul sans qu'elle s'en rende trop compte. « Certain ? Tu risques le complexe d'infériorité là. » Hazel le rejoignit au centre de la salle et le bouscula d'un coup de hanche qu'elle accompagna d'un clin d’œil malicieux. « Bouge de là et apprends. » Elle laissa le temps à la musique qui passait de se terminer pour pouvoir profiter au mieux de cette sensation qui envahit au moment où on improvise.

Les premières notes de Like a boy résonnèrent entre les murs. Hazel se plaça face au miroir et baissa la tête pour les laisser prendre possession de son cœur. Les vibrations animèrent peu à peu ses membres. Elle commença à bouger en rythme et orienta peu à peu ses mouvements de manière à se dresser devant son pseudo adversaire. Son corps partait à la rencontre de la mélodie et l'écoutait, la suivait comme guide. Elle en oubliait presque sa douleur. Elle profitait juste. Elle dansait et appréciait le moment. Cela se lisait même sur son visage. Et plus encore, ça amplifiait son talent. Elle s'arrêta essoufflé à la fin de la musique et désigna sa place à Miyaki pour lui laisser tout le loisir de l'affronter. Elle espérait sincèrement que ce qu'elle venait de donner inspirerait le plus jeune à fournir un dernier effort pour la bluffer. Hazel comprenait bien que cet aspect sauvage de la danse correspondait plus à ce que le japonais aimait. Pouvoir se défouler, repousser les limites, se sentir libre. Ce n'était pas vraiment ce que la danse classique pouvait faire ressentir. C'est pourquoi Hazel appréciait tant le hip hop et ces moments où elle pouvait venir l'enseigner à des étudiants. Son niveau restait excellent dans cette danse également et on lui prêtait même un talent dingue voir équivalent à son niveau en danse classique.

Tenue ღ La vie est dure, comme disaient mes parents à l'époque où je les voyais beaucoup plus souvent qu'aujourd'hui. Ils ont tendances à ne pas voir leurs sacrifices, eux, alors que je suis là. Les amis pourront attendre, mon avenir lui ne le peut pas. C'est pour cela que je parle de sacrifice ou de reporter à plus tard. Je ne m'attendais pas à toucher un point sensible chez Hazel, ni même qu'elle se confie à moi. Quelqu'un ? Du genre, petit ami, fiancé ou mari ? J'en reste bien étonné, un peu ahuri par son aveux. N'importe qui le serait, j'en suis sûr. Nos regards se croisèrent et je me sentis un peu gêné pour elle. C'est ça, être passionné par sa carrière ? Abandonner sa vie privée, ses sentiments, sa moitié, ses potes, sa famille ? Je trouve ça ennuyeux, dans un sens. « Mais le jour où vous tombez de la scène, qui sera là pour vous réceptionner ? » Je parais enfantin sur ce coup-là, mais la solitude n'amène jamais rien de bon. Quand on tombe, faut des bras pour nous rattraper. Si je tourne le dos à ma famille ou à mes amis, ils ne seront pas là quand j'aurai besoin d'eux. En gros, c'est compliqué d'être en équilibre de partout, surtout s'il faut favoriser certains choses pour avancer. « Vous êtes une sauvage! » Me plaignis-je, alors qu'elle me tirait l'oreille sans vraiment me l'arracher. Manquerait plus que ça, une oreille en moins. Comment pourrais-je l'écouter me gueuler dessus, hein ? « Si vous faites ça, je ne pourrais plus vous écouter. » Alors, elle dit quoi la professeur pour se défendre ? J'haussais des sourcils avec une mine provocatrice, l'air de dire « alors alors ? ».

La tranquillité ne me déplaisait pas, même si à présent nous dansions pour l'amusement et le relâche. Tant qu'on danse, ça me fait toujours plaisir. J'en oubliais mon tee-shirt jeté en boule dans un coin de la salle, et puis franchement, je rêve d'une douche chaude pour le coup. Néanmoins, cette douche attendra plus tard, le temps d'improviser une petite danse comme je les aimes. Les professeurs ont plutôt tendances à éviter les mouvements trop brusques et dangereux, mais ça ne m'empêche pas d'en connaître pas mal grâce à la rue. Puis, ça me fait penser à ces battles entre groupe ou entre potes, parfois pour s'amuser, d'autre fois pour l'argent et la réputation. « Haha, très drôle madame. » Comme si je pouvais complexé par sa faute. Hazel se montre plus amusante quand le sérieux n'y est pas, allant jusqu'à me bousculer avec un clin d'oeil. J'avoue, je commence à l'apprécier malgré ma vision des choses sur son domaine de danse classique. à part faire la grimace, je laissais la place et le choix de musique, me plaçant de côté pour la regarder et l'examiner à mon tour. Apprendre, comme elle venait de me dire.

Il en faut beaucoup pour m'impressionner, mais à l'instant précis où ses pas débutèrent sur le rythme de la mélodie, mes yeux ne décrochèrent plus d'elle. Un spectacle éblouissant que je n'aurais  jamais cru, venant d'une danseuse étoile comme elle. Mon jugement était erroné, à mon grand malheur. C'est toujours chiant de s'en rendre compte, alors qu'on critique la chose comme si nous étions dans le vrai ou au dessus de tout. Une sorte de claque monumentale dans la figure. Elle m'impression vraiment, en réalité. Je ne décroche plus mon regarde d'elle, tapant du pied sur les notes de la chanson. Encore un peu, et je pourrais danser avec elle, emporté par la cadence. Sauf que je restais sur place, l'observant sans broncher, sans bouger. à la fin de son improvisation, j'applaudissais franchement en souriant, étonné par son talent. Que ce soit pour faire des pointes ou du hip-hop, Hazel gère en tout domaine. Comparé à moi, qui serait nul sur du classique. Cette fille est au-dessus de moi juste pour cette raison.. Qu'importe le style de danse, elle maîtrise, pas moi. Mon tour venu, je branchais mon portable à la chaîne-hifi pour lancer une chanson de mon répertoire, prenant ainsi place au centre de la pièce, face aux miroirs. Ce n'était pas une chanson très connu et pourtant, j'adorai m'escrimer dessus. Mes pas n'étaient pas franchement compliqué, sauf peut-être pour la petite pirouette du début, mais le reste semblait plutôt calme comparé aux excès de violence habituelles. ça repose les jambes, par la même occasion. Au final, l'improvisation ne me posait pas tellement de problème, puisque les erreurs peuvent passer pour une technique quelconque. Quoi que, connaissant Hazel, elle pourrait me reprendre pour ça aussi. Une minute à danser sur un pseudo-rap, jouant de mon maintien pour réussir des pas jusque là plus ou moins acquis. Les cours de Hazel me sont bénéfiques, quoi que je dise. « Une critique à faire, madame Lee ? » Je fis genre d'avoir un micro en main, lui tendant mon poing fermé en attendant une réponse, plaisantin.

Tenue ღPersonne. Elle n'avait personne. L'unique amour de sa vie c'était la danse. Mariée à sa passion, rien d'autre ne comptait. La preuve : son corps épousait la musique. Chaque note vibrait dans ses veines. Les mouvements venaient naturellement. Miyaki ne se doutait pas des sacrifices, des regrets, des peines, de tout ce qu'elle avait supporté pour en arriver là, pour se faire un nom. Il ne lui restait que ça aujourd'hui. Le seul homme qu'elle avait bien voulu accepté dans sa vie s'était barré avec une autre. Depuis elle prenait du bon temps, refusait de s'attacher et restait bien à l'abri dans sa tour d'ivoire. Bizarrement, la chanson tombait bien. Les paroles résonnaient jusqu'à son cœur et cela animait ses pas d'une émotion particulière, d'une flamme différente. Elle ne ménagea d'ailleurs pas sa blessure, l'oublia presque et garda un grand sourire scotché aux lèvres durant toute sa prestation. Heureuse de bouger, heureuse de partager. Les voilà pour la toute première fois sur la même longueur d'onde. Sur la fin, elle adressa un clin d’œil à son seul spectateur. L'avait-elle convaincu cette fois ? Danseuse étoile peut être, mais plus que ça surtout. Elle pouvait tout danser. Elle s'inclina dans une petite révérence pour ensuite lui laisser toute la place. Hazel en profita pour boire un peu d'eau puis croisa les bras sur sa poitrine, prête à admirer la chorégraphie du japonais.

Son œil de lynx ne perdit pas une miette de la prestation improvisée de Miyaki. Sa tête bougeait en rythme avec la musique entraînante. Elle se mordit même la lèvre au moment de sa pirouette, impressionnée. Il savait ce qu'il faisait et il le faisait bien en plus. Même si elle repérait parfois quelques erreurs techniques ou des pas toujours un peu trop brouillon à son goût, elle découvrait surtout son immense potentiel. Comme quand vous achetez un terrain et que vous imaginez la magnifique villa que vous allez construire dessus. Ou encore la toile vierge juste avant d'être transformée en chef d’œuvre. Maylie et Miyaki seront ses chefs d’œuvre cette année. Dans des univers différents certes, mais elle se sentait capable de les faire progresser et surtout de les mener loin. Silencieusement, elle s'engagea à les pousser dans leurs derniers retranchements pour faire d'eux de véritables danseurs et leur assurer ainsi une belle carrière à chacun. Si elle ne pouvait plus briller, elle allait se donner à fond pour les faire briller. Son regard s'éclaira lorsqu'elle remarqua qu'en plus il appliquait -ou du moins essayait d'appliquer- ses conseils. À son tour, parce qu'il le méritait quand même, elle l'applaudit -mais doucement parce qu'il faut pas non plus trop abuser des bonnes choses-. Pour ne pas quitter cette atmosphère, elle prit le micro imaginaire que lui tendait Miyaki et en employant un ton snob lâcha : « Des tonnes. » mais déjà les traits de son visage se détendaient et laissèrent place à un sourire plus humble. « Mais si je laisse tomber ma casquette de prof, alors je m'incline. » Et effectivement, elle effectua le geste avant de sauter en prenant appui sur sa jambe valide pour pouvoir passer son bras autour de ses épaules et lui ébouriffer les cheveux. « Il danse bien le petit Miyaki. » Elle semblait se moquer de lui mais son compliment était vraiment sincère dans le fond.

Leur soirée danse touchait à présent à sa fin. Elle coupa la musique et poussa un long soupir. « C'est bon, j'te libère maintenant. N'oublie pas devenir demain soir et ne sois pas en retard par pitié je déteste ça et j'te fais ta fête si t'es pas là à l'heure, ok ? » Le retour de la Hazel menaçante et trop chiante. Elle s'assit à côté de ses affaires, chercha sa serviette pour éponger un peu son corps tout transpirant. L'heure était venue de faire face aux dégâts. Elle dénoua ses lacets et se pinça les lèvres pour s'empêcher de produire le moindre son au moment où elle retira sa chaussure. Sa cheville la faisait énormément souffrir. Elle grimaça en se rendant compte que celle-ci était enflée. Elle la bougea plusieurs fois pour se faire une idée et évaluer sa douleur. Elle ne s'était sans doute pas foulé la cheville, cela ressemblait plutôt à un faux mouvement qui avait juste un peu réveillé son ancienne blessure. Elle jeta un coup d’œil à sa grosse paire de talons. Elle ne pouvait pas porter ça. Elle les rangea dans son sac avec ses baskets qu'elle refusait de salir par principe. Le parking n'était pas si loin, elle pouvait y aller en chaussettes sans problème. Elle l'avait déjà fait. Elle ramassa son sac de sport et ouvrit la porte de la salle. « Je n'attends plus que toi mon gros. » Bah oui, fallait bien qu'elle ferme la porte derrière lui.

Tenue ღ C'était plaisant de se reposer et de terminer en freestyle, sans se prendre la tête. à ce moment-là, Hazel n'était pas une danseuse étoile ou une professeur de classique, ni de hip-hop. Elle était une danseuse hors paire, une danseuse qui me scotche sur place avec ses pas de danse, rythmé par la cadence de cette musique. Encore un peu et je laissais tomber mes préjugés sur le lac des cygnes et tout les vilains petits canards qui font trempette. Je suis comme ça, irrécupérable. Mais en attendant, j'étais loin de penser à cela, me concentrant sur les mouvements de la jeune femme en repensant à ses mots. Si je l'écoute, moi aussi je vais devoir faire des choix, comme abandonner l'amour et réduire l'amitié au maximum. Pas au point de perdre mes amis, j'y tiens  beaucoup quand même, mais ils devront être secondaire sur le chemin de mes ambitions et mes rêves d'avenir. Ils comprendront, j'en suis sûr. Peut-être même qu'ils m'attendront à la sortie, quand j'aurai un nom et une image. Sinon, c'est qu'ils n'en valaient pas tellement la peine.

Son tour terminé, c'était au miens. Le choix n'était pas évident, vu mon répertoire de hip-hop electro rap & cie que je me paye dans ce portable, mais je mis vite le doigt sur un titre court et rentable. De quoi l'éblouir avec mes gestes et ma petite pirouette digne d'un acrobate. Je pourrais toujours bosser dans un cirque, si je ne parviens pas à être danseur plus tard. Ironie à part, je me sens pousser des ailes à n'écouter que mon coeur et mes jambes. Elles font leur vie, suivant un rythme non précis mais en accord l'une avec l'autre et avec le reste de mon corps. Je me sens bien, voilà tout. C'est l'essentiel, non ? Qu'importe mes erreurs ou mes maladresses, je profite de ce moment pour montrer l'étendu de mon talent. On ne peut pas dire que ce soit un chef d'oeuvre pour l'instant, juste une toile plus ou moins débuté mais loin d'être terminé. La musique prenait fin, comme ma danse, laissant ainsi le loisir à Hazel de juger par elle-même. Ses applaudissements, aussi rapide et faible soient-ils, en disait long sur son avis. Pas si mal, penserais-je à sa place. Un « A bien » connu des gosses, quand le devoir rendu est correcte sans être parfait pour autant. Un jour, je serais un « très bien » pour tout le monde, que cela soit écrit dans les manuels scolaires sur la danse! Bon, je vois loin, mais c'est toujours beau de rêver. Mon micro imaginaire passait de mes mains aux siennes, me rendant plus souriant qu'auparavant. Elle est forte cette nana, non mais regardez là quoi. Malgré mes nombreuses fautes, Hazel ne fit pas sa prof sadique en les énumérant, passant même l'éponge dessus. C'est de l'improvisation, surtout que nous ne nous sommes pas encore bien entraîné. à la fin, je serais impeccable, sans aucune erreur. « Je vous remercie, c'est un honneur. » Fis-je d'une manière exagérée en imitant un bourge au dessus des règles, faussement vaniteux. L'instant d'après, je me fis attaquer par cette tigresse, les cheveux en bataille. « Je le dois à mon idole. » Même s'il nous a quitté bien trop. Hazel est aussi forte que Charlie, et je pense même qu'elle pourrait l'égaler dans mon classement des « idoles ».

Après presque trois heures d'effort, mon lit ne serait pas de refus, ainsi qu'une bonne douche pour décrasser ce corps dégueulasse et collant de sueur. Quelle belle image, de quoi être séduisant en toute circonstance. « Je serais même en avance! Comptez sur moi. » Je lui fis un clin d'oeil avec le sourire, oubliant complètement nos différents des heures précédentes. Et dire que je la voyais comme une sorcière, un monstre, quelque chose de pas très glorieux pour elle. Le temps que Hazel s'examine sa cheville, je récupérai mon sac de sport dans les vestiaires, fouillant à l'intérieur pour en sortir un truc. Apparemment, ce n'était pas rien pour sa blessure et je m'en voulais de l'avoir poussé jusqu'à une battle. L'air faussement indifférent, je lui tandis un flacon de spray pour les blessures, prenant une voix nasillarde. « ça soulage les petits bobos, prenez le. » Ce serait pour la remercie des choses qu'elle fait pour moi, en plus de ma prochaine réussite et de son nom dans la liste de mes remerciements officiels. Bref, je hausse des épaules avant de la suivre vers la porte, m'arrêtant juste devant celle-ci. « Si la brindille m'attends, alors je me dépêche. » Plaisantais-je en passant la porte, la laissant ainsi refermer derrière nous. « Je vous dit à demain et puis, bonne soirée.. » C'est bien la première fois que je lui souhaite, avant de prendre mes jambes à mon cou pour filer en vitesse jusqu'aux dortoirs de l'université. De toute façon, on va se revoir très rapidement.