Je suis malgré tout sûre qu’il triche. Enfin, c’est pas comme si je pouvais vraiment vérifier, mais même, j’ai raison et vous avez tort. Déjà, il triche parce que moi je ne bois jamais donc j’ai un handicap et lui des niveaux d’avances vous voyez, c’est comme si je commençais une partie d’échec avec dix pions en moins et lui deux reines et qu’il joue en plus en pro et moi en amateur. Vous voyez ? De la triche pure et dure. D’un autre côté, ça signifie aussi que si je finis à terre dans moins de deux minutes, il aura toujours ses esprits, on sera pas deux japonais complétement défoncés à Las Vegas. Je crois. Donc, si jamais j’en viens à faire des conneries, il pourra toujours m’empêcher d’aller trop loin. Je crois. J’espère. Je lui tire la langue parce que je n’ai aucune répartie, puis quand même, je vais pas rester là sans me défendre alors que Ryû me traite de débutante –ce que je suis.
« Gnagnagna, » oui on parle de répartie là, de la répartie de pro « c’est exactement ce que disent les tricheurs ! »

Et c’est exactement ce que dises les débutants. Mais normalement, y’a pas la chance des débutants ou quelque chose comme ça ? C’est pas comme si j’y croyais, je veux dire, imaginez une entreprise qui commence et le mec n’a aucune expérience. Vous pensez que ça marche parce qu’il est débutant ? Non, ça merde et ça tombe à plat et il finit à la rue. Je veux pas finir à la rue. J’irais chez Ryû au pire, il m’acceptera de gré ou de force, et je pourrais toujours en contrepartie le payer en nature. Du genre, faire la vaisselle, laver le linge, repasser, offrir des services. Oui. Bandes de pervers. J’hoche la tête pour signifier mon accord, mais je serais d’accord avec tout ce qu’il dit je pense, est-ce qu’il sait qu’il n’a pas besoin de me demander si ça me va ? Franchement… Je me répète… Mais vous savez qui demande toujours si tout va bien pour leur chère et tendre et fait attention à ses faits et gestes ? Les princes charmants.

« Hmmmm et on prend quoi comme gage alors ? » quelque chose me dit que ce serait mieux de décider du gage avant de boire plutôt qu’après, et surtout plutôt qu’après 3 manches « Le perdant fait ce que le gagnant veux pour disons.. » 1 journée c’est énorme, on va dire, « 1 heure ? » et personne n’a dit qu’on devait pas parier gros. C’est en général le genre de gage qu’on donne après la revanche de la revanche de la revanche, quand on en a marre de perdre. Bah, je fais ce que je veux voilà. Puis, ça sera gentil, je demanderais jamais à Ryû d’aller faire quelque chose de trop chiant. Si jamais je gagne évidemment. Je vais perdre. Je réalise que c’est une mauvaise idée de donner ce gage. Et la chance du débutant ? « Alleeeeeer, c’est parti, et c’est pas parce que c’est toi que je vais faire exprès de perdre tu sais ? » je préfère préciser, au cas où, maintenant s’il veut perdre pour moi, y’a pas de problème « Tu comptes cette fois parce que c’est pas juste sinon » je ne suis pas de mauvaise foi, mais ça, c’est aussi ce que les gens de mauvaise foi disent, mais je crois me répéter non ? Je ne sais plus vraiment à vrai dire, mais est-ce grave ? Ryû ne va pas m’envoyer balader parce que je me répète je crois. M’enfermer dans un cachot. Vous savez qu’à une certaine époque, si jamais je disais quelque chose de trop stupide ou trop inopportun, j’avais le droit à ne plus parler pour le reste de la journée, et si je parle ? Ahahah. Pas de repas. Et venir me rebeller n’est pas dans mes principes. Ryû n’est pas comme ça ? Ryû fera attention ? Hm ?

Ok à nous première manche. Je ne suis déjà pas à fond mais ok. Brin git on.

Normalement, les alcooliques sont pas censés être ivre moins vite que les autres ? J’ai le souvenir de quelque chose comme ça, mais j’ai l’impression que ça ne s’applique pas à moi. J’vous fais le résumé : je bois, je suis totalement pété, à croire qu’une malédiction pèse sur moi pour éviter que je sois sobre dans les moments importants de ma vie. Sérieusement, si je finis plein mort, comment je veille sur Mi ? Comment je m’assure qu’il ne lui arrive rien ? Faut que je me calme sur la bouteille et que je sois sûr que tout va bien se passer entre nous cette fois-ci, que je ne vais pas manger une putain de baie empoisonnée et que je vais échapper aux plus gros soucis de mon existence. Un plan visiblement mal commencé puisque ce jeu n’est pas le plus propice à la sobriété qui soit, à croire que je suis vraiment de ce genre de personnes qui vont s’attirer des ennuis tout le temps, à chaque minute, à chaque putain de seconde. La joie quoi. Malheureusement, le savoir ne m’empêche pas d’approuver son idée ni de rire lorsque je la vois réfuter mon affirmation. Oui, c’est une débutante, et moi je suis une nouille incapable de tenir l’alcool, mais on verra ça plus tard, bien sûr. Quand ce sera trop tard, sans doute.

Ma proposition de gage faite, j’attends de voir si la belle approuve, et pour mon plus grand plaisir, c’est le cas. J’suis juste trop heureux maintenant, voilà. Sauf que visiblement faut ‘core réfléchir au gage qu’on va choisir. C’est une putain de bonne question, j’y ai pas pensé, mais j’approuve d’un vif signe de tête quand elle évoque une idée.

« Oui oui ! On fait ça, voilà ! » Un peu trop enjoué, sans doute, mais qui s’en soucie ? « T’es bonne Mi ! »

Attendez, je la refais.

«  Ton idée est bonne, j’veux dire ! »

Oh, allez, j’me suis juste trompé d’un mot… Hu. J’aurais juste envie de m’enfoncer sous terre, là, mais avec un peu de chance elle va pas réaliser ce que j’ai voulu dire, mais j’maudis déjà ce lapsus débile. Putain de merde quoi ! Mi n’est pas « bonne », d’abord, elle est belle. Elle est magnifique, et intelligente, et… et… et voilà, j’vais arrêter mes conneries avant de dire des choses que j’pourrais regretter amèrement. Pourquoi j’ai l’impression d’avoir douze ans et demi ?

« Non non, on fait pas semblant, c’est pas drôle sinon ! » Je suis contre ! On joue vraiment sinon j’me plains. « Allez, 3… 2… 1 !  »

Et les verres se vident plus rapidement que le budget d’une des candidates de cette émission de mode bizarre, là. Quand je vois que je pose le dernier et que je constate être premier, je me redresse et manque d’entamer une petite danse, un peu trop fier de cet accomplissement. Et sans tricher messieurs dames ! Trop fier pour ce que je viens de faire, vraiment.

« Tu compteras pour la prochaine, allez ! »

Et évidemment, je fais signe à monsieur le barman de remettre le même, parce que c’est bon et que ça fait du bien, et que j’vais gagner, même si j’ai aucune idée de ce que je fous. D’ailleurs, je me penche un peu vers Mi pour poser les lèvres sur sa joue en souriant comme un idiot avant de reprendre la parole.

« T’seras pas triste si tu perds, hein ? »

Au pire, elle devra juste faire ce que j’veux pendant une heure, elle devrait être honorée ! Oh oui, vraiment, mais j’doute qu’elle saisisse l’ampleur de la chose. En fait, je doute de la saisir moi-même.

Je rigole de manière ostentatoire, décadente et franchement tirée d’un épisode de gossip girl. Ah, non, ils sont tous un peu hypocrites dedans, et je suis pas vraiment hypocrite vous voyez. Enfin, même si j’essayais j’y arriverais pas. Et donc, c’est un compliment d’être bonne vous voyez, alors je ne comprends pas pourquoi il précise que c’est mon idée et pas moi qui suis bonne mais je rigole quand même.

« Mais tu vas pas en profiter hein ? » Quelqu’un d’autre se serait vanté d’avoir toujours de bonnes idées. Bah, je suis unique, je ne me vante pas de quelque chose de courant… Oui c’est une phrase très fausse, on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. Et demander de pas profiter alors que c’est le but même du défi… Très mauvaise question, j’aurais mis une appréciation sur le carnet d’un élève ‘peut mieux faire, arrive en touriste et pose des questions inutiles’, enfin, si j’avais été une prof plus sévère et si on avait encore des carnets à la fac. Tiens, si je devais mettre une note sur le carnet à Ryu, là maintenant ‘très très beau, très très gentil, mérite plus que tout que sa vie aille pour le mieux et qu’il trouve des fleurs en plein hiver dans son jardin’. Ah c’est pas non plus ce qu’on mets dans les carnets. Regardez : tant pis.

Peut-être aurais-je dû jeter le contenu de mon verre à côté de ma bouche. Personne aurait rien vu. Ça aurait taché le manteau en fourrure de la dame derrière moi et bien fait pour elle. Parce qu’au final, oui je perds. Je m’écroule sur la table en le voyant finir avant moi. J’avais ignoré sa question parce que oui je suis triste. Moi j’voulais lui faire une teinture rose d’abord et et et, lui faire porter des talons, voilà.

Je me relève avec la pire moue boudeuse du siècle. « Ryûchan. Partons fêter ta victoire loin du lieu de ma désolation » Comment ça poétique maudite en plus de tout ça ? Oui. Je me lève et il s’est levé avant moi et tant mieux parce que je m’accroche à son bras en manquant de tomber. Son bras ou son torse, c’est un peu pareil. Ah oui je suis en train de lui faire un câlin dis donc, c’est malencontreux. Regardez regardez : tant pis. Décadence. « Enfin on devrait peut-être payer avant de partir » Oui je parle à un torse. Vraie décadence.

Profiter de quoi ? D’avoir un gage à faire ? Mais j’ai même aucune idée d’un putain de gage à formuler ! J’vous jure, si j’rencontrais le génie, j’serais même pas foutu de lui dire ce que j’veux, là, tout de suite. Il a dit qu’on pouvait pas faire tomber amoureux, ce con. Parfois ça me rend quand même triste de voir que le trucs les plus intéressants sont indisponibles. Genre, tu peux demander un camion de poulet rôtis au curry, mais tu peux pas demander que la femme de ta vie tombe raide love de toi ? Quelle vie. Et non, personne ne m’a traversé l’esprit à ce moment, ça serait con quand même.

« Jamais ! Tu sais que je ferais pas ça !   »

Peut-être, peut-être. En vrai j’en sais rien moi-même. Mais si elle croit que j’vais dire des trucs sales, non. Jamais. J’suis sage ! Toujours… Sauf le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi… ? Ouais bon enlevez 7 jours dans la semaine et le compte est bon, quoi ! Et après un moment incroyablement long, j’ai fini par gagner. Victoire ! Wouhou ! J’ai envie de hurler ma joie, de me lever, de faire un tour de stade à moitié nu, voire entièrement. Sauf qu’on va éviter ça. Parce que j’ai pas vu de stade. Je souris comme un imbécile en voyant sa moue, mais j’ignore si c’est justement à cause de son expression ou parce qu’elle m’a appelé Ryûchan. Ryûchan ! C’est mignon, non ? Comme Mi. Parce que Mi est mignonne et qu’on ne le dit jamais assez.

« Oui allez, on y va !  » Et je me retrouve vite à la retenir contre moi parce qu’elle a l’air d’avoir mal visé mon bras. « Ça va ? » Clair qu’elle a l’air d’aller bien, là. « Oui oui ! J’vais le faire ! »

Et on parle du pourboire que je laisse à ce barman ? Là c’est carrément un pourmanger-toute-la-journée-même-le-soir-de-noël-et-de-ton-anniversaire, boisson non comprises, faut pas pousser. Je prends ensuite la main de Mi, fièrement, avec le sourire, comme d’habitude, et on repart dans la rue alors que mon regard se perd un peu partout et je me perds en babillage inutile. Faut que je trouve un gage. J’ai envie d’une glace. Regarde les gens là-bas, avec leur robe et leur costume, ils sont mignons. On dirait nous un peu. Ça t’irait bien une robe comme ça. Et évidemment…

« Mi, on s’marie ? J’suis vraiment sûr tu serais belle en mariée. »

Meilleure idée du monde, j’vous dis. Vraiment.

Hein est-ce que ça va ? Je viens de perdre, comment pourrais-je aller bien ? Ma vie est un désastre permanent, comment pourrais-je aller bien ? Je suis une mauvaise perdante, comment… bon vous avez compris.

J’arrive cependant à ne pas résister à sa bonne humeur. On dirait un gamin excité auquel on tend une sucette. Càd, on dirait ma réaction quand on me tend une sucette. Je me dégage pour le laisser payer tout en manquant de tomber sur la dame au manteau à fourrure oups dis donc quelques poils sont arrachés tmtc, Ryû est déjà de retour avant que je réalise qu’il a payé seul. On s’en lamentera un autre jour, je me raccroche à lui tel un mât en pleine tempête et c’est vraiment ça que les gens aiment dans l’alcool parce que franchement je passe mon tour je vous le dis direct. Ah on est dehors. Ah des gens mariés.

« Ah j’ai toujours voulu me marier jeune avec une grande robe blanche et un bouquet de fleur et un marié mignon à mes côtés. » Ah c’est proposé si gentiment et tellement romantiquement j’dois dire. Oui beaucoup de ah, c’est de la lamentation de ma défaite de tout à l’heure mais pas trop quand même.

Je le regarde en plissant les yeux, « même bourré t’es beau Ryû ? comment c’est possible ? » et je ne réalise pas que je n’ai pas répondu à sa demande, non, c’est pas pour éviter ou me défiler, c’est juste que je suis surprise par sa beauté. En même temps, pas loin, y’a une fausse copie d’Elvis qui essaye de gagner sa vie et mon mari c’est le mieux. « Viens ! » Je le tire en courant vers la chapelle avant de penser qu’il faudrait une robe ou quelque chose peut être. Ca tombe bien, je remarque un rouleau à nappe blanche posé sous la table avec la nappe où on doit signer des papiers administratifs barbant, je m’enroule dedans et découpe en tirant à la main. Tada. Styliste Mi. Oui. Un joli nœud sur le devant quand même. Et pour le nœud papillon de mon mari… Ca dérange personne qu’on emprunte un ruban de la déco non parce que c’est fait. Tada. Double styliste Mi, je peux me reconvertir. Je prends un bouquet dans un pot pas loin, personne le remarquera, et vous remarquez la vrai décadence de la soirée puis je contemple mon œuvre avant de le tirer encore vers l’intérieur. « On se marie vraiment hein, tu me laisses pas sur l’autel à pleurer hein » On dirait un jeu tout ça, sauf que je n’ai pas envie que ce ne soit qu’un jeu, et je n’ai pas envie de ne plus être bourrée plus jamais ou de rentrer au Japon, je veux juste qu’on reste là et qu’on se marie, c’est tout. C’est pas trop compliqué ?

Oui bon, j’aurais pu faire plus romantique comme demande. J’aurais pu, genre, j’sais pas, demander à quelqu’un de vraiment super cool de chanter une chanson et de demander à Mi si elle voulait bien m’épouser mais. Fuck les gens on n’a pas toute la vie, imaginez que demain il pleut, elle attrape un rhume, pneumonie, elle meurt. J’fais quoi moi ? En plus j’sais pas, j’me sens aussi romantique qu’un pirate en pleine traversée du Pacifique, là, on peut me comprendre, non ?

« J’sais pas. C’est magique ! C’est Vegas !  » Ouais, ça doit être ça.

Puis elle est belle aussi. Mais j’lui ai déjà dit qu’elle était bonne, j’vais pas en rajouter une couche, si ? Et en plus il y a une putain de chapelle juste à côté ! Et Mi se prend pour une styliste. C’est trop cool ! Enfin, j’sais pas mais moi j’ai pas autant de talent. C’est pas aussi beau, c’est pas aussi cool. Enfin, j’veux dire. Voilà. Et on précise que j’fais d’la merde ?

« Oui oui ! On s’marie vraiment ! »

Sauf que quand on le dit aux gars, bah ils nous font signer des trucs relous et que ça me fait chier un peu. Parce qu’ils ont visiblement rien de mieux à faire. Et qu’il faut donner nos papiers aussi. Et que j’trouve ça long vous savez. Mais au moins quand c’est fait ils veulent bien nous marier ! Et ça a pas l’air grave qu’on soit tous les deux pétés morts. Ça alerte personne ? En fait, je sais pas ce qui est le pire dans cette situation, entre savoir que nous sommes tous les deux ivres et savoir que j’aurais formulé à peu près la même requête si nous avions été sobre et que j’avais eu un peu plus de courage. Soit. C’est pas important.

«   Tu m’abandonnes pas non plus, hein ?  »

Elle peut pas m’abandonner. On sera les plus beaux, les plus forts, et à nous deux j’suis sûr qu’on est les plus grands aussi. C’est juste évident ! Je prends sa main et la garde serrée dans la mienne, cherchant du regard l’endroit que le gars nous indique. Genre en plus faut suivre les règles genre, on peut pas le faire Yolo ? J’aurais du nous marier moi-même, voilà.

C’est moi qui lui demande de ne pas m’abandonner et il me retourne la question. Bon. Je sais que j’ai un historique derrière moi de fuite de responsabilité mais est-ce que pour autant je quitterais l’homme de ma vie ? Hein ? De quoi on parlait déjà ? Oui, se marier, l’autel, ma magnifique robe, mon magnifique mari. Rien que l’expression me fait sourire, un peu trop, et je suis probablement rose. Rose déjà par l’alcool, déjà par le fait qu’on est en train de se marier et que c’est génial. Rose, oui, parce que je suis quand même très bourrée et très amoureuse, merde. Merde, merde, merde. On ne veut pas se marier avec quelqu’un qu’on considère comme son grand frère, il paraît.

J’oublie, je laisse derrière ce genre de préoccupations en m’avançant. On a plus le temps de se préoccuper de questions de ce genre, c’est pour les vieux, nous on est jeune et beaux et bientôt mariés. De toutes façons, nous sommes tout ce dont on a besoin, il paraît aussi. Je souris, ils doivent être habitués en face, quand la musique commence. C’est leur 57ème ou 58ème mariage de la journée ? Le discours commence, ah, il semble au moins un peu moins habitué à voir des gens habillés de la sorte. Puis il pose la question, vous savez, comme dans les films de comédie romantique, mais en vrai.

« - At this time, I’ll ask you, Ryu, and you, Mi, to face each other & take each other’s hands.
Mi, will you take Ryu to be your wife, your partner in life and your one true love? Will you cherish his friendship and love him today, tomorrow and forever? Will you trust and honor him, laugh with him and cry with him? Will you be faithful through good times and bad, in sickness and in health as long as you both shall live? »

Je prends un moment pour le regarder intensément, plus qu’avant, je sombre. Un instant de lucidité.

« Yes, I will »

Il se tourne vers Ryû pour lui demander la même chose, et je ne crois pas qu’on puisse être autant suspendue aux lèvres de quelqu’un que je le suis actuellement.

J’suis amoureux. Genre, vraiment, vous savez ? Pas le « ouais, j’l’aime bien, elle est bonne ». Pas le « Ouais, ça passe. ». Non. Vraiment. Je sais, je sais, c’est peut-être l’alcool, la température, le coca vodka qu’on a bu tout à l’heure. En fait ça pourrait être n’importe quoi, mais je sais parfaitement ce que ça fait d’être amoureux, l’air de rien. Et ça fait du bien, en vrai. En plus on a la chance d’être dans une ville qui offre des mariages rapides, on peut en profiter un peu, non ? J’veux l’épouser, maintenant. Et on va le faire.

Allez savoir pourquoi, le moi qui se trouvait sur cette île pendant les vacances plaisantait au sujet de Vegas, mais le moi ivre de maintenant n’est pas du même avis. Genre, c’est vraiment sérieux. Je vais épouser Mi, la femme de ma vie. Ça semble presque trop naturel, dit comme ça. Mais j’trouve que Katsura Mi, ça a quand même pas mal de classe, si vous voulez mon avis. Et j’écoute d’ailleurs la future madame Katsura qui répond à la fameuse question que tout le monde ici attendait. En vrai, j’aurais bien aimé des vœux à la Game of Thrones, mais j’imagine qu’ils ne les connaissaient pas. L’émotion. Et si je manque le moment où j’dois parler ? Et si j’rate mon coup et qu’elle me renie ? Et si je manque le moment ? Et si quelqu’un arrive dans l’église comme Shrek pour s’opposer à notre union ?
…
…
…
Concentration ultime.
…

« Yes, I will. »

Dans un autre contexte, j’aurais bien dit Yes, we can, mais je crois que je me serais un peu trompé. Émotion, émotion. On est presque mariés ! Et il faut se mettre les alliances maintenant. Je cherche dans ma poche et sort les balles que j’ai achetées avant de rentrer, parce qu’on m’a dit qu’il fallait des alliances et qu’on n’avait pas le temps d’aller dans un magasin, hein. Pour en sortir une bague où trône fièrement une petite fleur. Je lui offrirai mieux plus tard. Ouais. Quand je serai sobre. Bien. Quand le gars donne le signal, je prends donc la main de Mi et lui passe la bague au doigt calmement. Après, je donne la boule où se trouve la deuxième à Mi, parce que voilà quoi. Sous le regard plein de reproche de ma conscience en colère dont je n’ai plus rien à faire, évidemment.

Je vous jure, j’ai cru pendant un millième de seconde qu’il allait partir, qu’il allait tomber dans les pommes, qu’il allait m’expliquer que c’était une blague et que j’étais conne d’y avoir cru tout ce temps. Est-ce que mon cœur a loupé un ou deux ou vingt battements ? je ne saurais pas dire, je n’ai pas le temps de compter. Il a dit oui. On ne doit pas s’embrasser maintenant, on doit rester comme un couple normal qui vient de dire oui, et comment c’est un couple normal, et on est un couple marié. J’ai pourtant très très envie de sauter de joie et d’enlever cette robe quand même pas très bien faite mais il faudra faire une photo avant, et aussi accessoirement l’embrasser.

Je regarde ma main être prise et je jure que la joie doit être telle que je ne tremble pas. Vous savez ? Quand tout vient à un point où c’est dérisoire de trembler, une émotion si forte, et la bague avec la fleur est sur moi. Elle est parfaite, honnêtement, je n’aime pas les bijoux, le luxe excessif, et puis c’est nous. Ça aurait été si déplacé une bague 28 carats, et je suis sûre qu’ils ont dû voir passer des couples sans bague ni rien. La mienne est la mieux, je la contemple avant de réaliser qu’il faut que je fasse de même avec Ryû, j’ouvre la boîte et une bague avec une sorte de leggo, non pas une sorte, les même sur lesquels ont marche à 5h dans le noir en jurant très fort. Je lui mets d’une application digne d’un neurochirugien, rien que ça. Puis je relève mon regard vers lui –c’est fait. C’est plus officiel de minutes en minutes, je me retourne vers le pasteur que j’avais presque oublié, non, que j’avais totalement oublié. Mais au final je m’excuse petit pasteur, je l’entends de loin.

« Vous pouvez embrasser la mariée »

Je l’entends de loin parce qu’il n’a pas fini sa phrase que leur photographe est déjà en train de prendre une photo et que Ryû m’embrasse, et que j’essaye de ne pas fondre sur place si possible.

On s’est dit oui, on s’est mariés, on est les plus beaux. Voilà. Bon, je crois pouvoir clamer haut et fort que le mariage qu’on vient de faire est un des plus bizarre qu’ils aient du voir depuis celui de ces gens qui ont voulu se marier en Klingon, mais je sais que c’est aussi le plus beau. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’il y a l’amour. Mi et moi. C’est tout ce qu’il faut pour faire un beau mariage, non ? On a l’air de pauvres fous avec les vêtements improvisés, mais c’est pas grave ! De toute façon on va pas les garder, hein. Et j’ai la bague au doigt aussi, maintenant. Et je mentirais si je disais que ça ne me met pas d’encore meilleure humeur. Je suis marié à Mi, Mi est mariée à moi, c’est magnifique !  J’ai juste envie d’appeler Roy pour lui annoncer la nouvelle et lui demander d’être mon témoin. Bon, il n’aura plus rien à dire pour témoigner, comme la cérémonie est presque passée, mais c’est pas grave, c’est l’intention qui compte ?

Et je m’approche de Mi pour l’embrasser lorsqu’on m’en donne l’autorisation. J’ai l’impression que ça fait des heures que j’attends ça alors que ça doit faire quelques longues et interminables minutes, tout au plus. Et je l’aime et je l’aime. Et j’ai l’impression qu’un imbécile va venir me réveiller pour me dire que, hey, j’ai fait un rêve où je prononçais les vœux du mariage et tout. Démasqué aux yeux du monde. Dans le fond, c’est pas comme si ça me dérangeait, hein. Je l’aime vraiment, alors j’ai pas honte. C’est pas comme si elle était laide, qu’elle sentait ou… Non, j’sais pas.

Finalement le baiser prend fin. Et je suis même un peu triste parce que j’aurais bien envie de l’embrasser à nouveau. Mais j’vais attendre un peu. Au lieu de ça, je reprends sa main calmement, souriant un peu en regardant la bague qui y trône fièrement. C’est fou ce que c’est allé vite, quand même. Mais c’est pas comme si on était en état de le réaliser, à vrai dire. Par contre je réalise que, bon, voilà, le pasteur ça fait cinq ans qu’il cause quand même et j’aimerais bien qu’il arrête. Genre, il a fini maintenant ? On peut partir ? On dirait un enfant de 5 ans qui vient de finir la classe.

« Viens, on y va. » Lancé-je finalement, une fois que j’ai récupéré le papier qui explique qu’on est marié et enlevé le nœud papillon improvisé.

Je le plie, le mets dans ma poche aussi soigneusement qu’un alpaga fait un tricot et après avoir fait tourner Mi sur elle-même en riant, je la reprends près de moi pour l’embrasser.

« On fait quoi maintenant ? T’as faim ? On rentre? »

J’ai repéré des glaces pas loin. On a déjà mangé une glace tout à l’heure ? Ouais, mais pas une comme ça ? On s’en fout ! Sinon y a l’hôtel aussi. L’hôtel et la piscine, on les a vus tout à l’heure ! On a dit qu’on y irait ? J’sais plus ! Puis y a plein de choses à faire ici. Le monde doit contempler notre beauté.

Je le suis, ai-je vraiment le choix ? je le suivrais n’importe où probablement. Débarrassée de ma robe, je cherche du regard le nœud papillon de Ryu qui a disparu. Comment peut-il jeter mon œuvre d’art aussi facilement ? Oui, je viens de déchirer un peu brutalement la mienne, mais c’est autre chose. Mais, il n’y a pas de temps pour s’apitoyer sur le sort d’un nœud qui disparait, je rigole en tournant et ri pour un rien mais la police des mœurs n’est pas là pour me contrôler. C’est si facile. Ses  lèvres, ses mains, les lumières, tout. Peut-on tomber amoureuse d’un univers à un moment précis ?

« Non, si je mange encore je risque de vomir et tu ne veux pas voir la mariée en train de vomir » je ri encore, la mariée, c’est un si joli terme que je pourrais le répéter toute la journée. « On a pas encore touché le jackpot aux machines à sou mais j’ai pas envie qu’on perde tu vois ? » parce que jouer serait prendre le risque de gagner mais aussi le risque de perdre, et ce n’est pas un jour à prendre ce risque là. « Alors que la piscine, on va rien perdre » et puis jacuzzi et puis bulles et puis j’ai entendu qu’ils avaient des piscines privées ou quelque chose dans le genre ? « Mais on devrait  d’abord passer se changer » ou on pourrait acheter sur place les maillots mais on en a déjà et on a déjà payé assez cher tout ça je crois. Même si le bonheur ne s’achète pas. Sa main dans la mienne on repart et je suis presque en train de le tirer, l’hôtel et si proche, et heureusement. J’ai l’impression qu’on a tout ici et qu’on devrait rester pour toujours dans notre bulle, et tout serait pour le mieux.

Y a plein de choses à faire ici, c'est un peu comme le paradis. Sauf qu'il y a pas d'ange. Enfin si, sans doute, mais ils valent rien à côté de Mi, hein. C'est la plus belle, puis c'est ma femme, celle qui porte mon nom maintenant. C'est une reine un peu. Pauvre gueux que je suis. Qui veut pas voir sa femme vomir, elle a raison. On a trop mangé tout à l'heure, même si le mariage c'est fatiguant quand même. Enfin, pas vraiment.

« Je vois, je vois! » J'sais pas quoi, mais oui. La piscine c'est bien aussi, ma tête approuve. Oui, ma tête.

On es rentrés à l'hôtel, j'ai la flemme de remonter à la chambre, ça fait trop d'étages pour moi, j'ai pas envie de voir les autres gens qui s'occupent de l'ascenseur. Les cons, ils pourraient mater ma femme. La mienne, là, vous voyez, la jolie blonde qui m'accompagne et que je tiens par la main parce que je l'aime et qu'on vient tout juste de se marier. Sauf qu'il faut aller à la chambre quand même. J'veux rester là toute ma vie. Parce que c'est Vegas et que je pourrais vivre ici. Elle voulait qu'on se marie ailleurs, mais ici c'est bien, je trouve, même si c'est moins calme. Même si y a plus de gens. Même si on est bourrés. De toute façon, demain, on le sera plus, ça change rien ! Ou alors ça change tout? Je ris comme un idiot.

« Allez, allez, tu te changes. » Et moi? Moi je regarde? « On se change. »

Et j'ai déjà enlevé mon t-shirt, vous savez, parce que la piscine risque de disparaître? Parce que je veux montrer à Mi combien j'suis beau? Non, en fait faut vraiment se changer. Enfin je crois. C'est pour ça que je l'embrasse encore. La valise, mon maillot. Pensée cohérente impossible. Erreur 404. Help.

Update on my life : things are happening. Fast. Cette phrase devait être en anglais puisqu’on est en Angleterrie. Non, Vegas. Mais on parle anglais ici, ça en fait la terre d’Angleterrie, à ne pas confondre avec la vraie Angleterre. Vous savez que des fois, je me suis dit qu’aller dans un bar, boire beaucoup trop ce qui serait facilement atteignable pour moi car deux verres seraient suffisants, trouver quelqu’un de consentent et emballé c’est pesé. Mon désespoir n’étant pas assez grand, je ne l’ai pas fait, et je suis bien contente que ce soit Ryû même si je ne me souviendrais de rien, j’imagine. Il paraît qu’on se sent différente, j’imagine que je m’en rappellerais comme ça. J’imagine aussi que le reste du voyage se fera tout comme aujourd’hui, c’est-à-dire peu sobre. Je suis donc foutue, mais joyeusement foutue, tandis qu’on arrive dans la chambre et que mes joues doivent être plus rose qu’une saucisse. Comparaison foireuse.

« Oui ? » J’ai peut-être trop détaillé Ryû et suis un peu, comment dire, en retrait. Paralysée devant tant de beauté. Je veux dire, là, maintenant ? Pourquoi se changer semble être un nom de code ? Pourquoi je m’approche vers lui et tout semble si facile ? «  Laisse-moi t’aider », je chuchote entre deux baisers, glissant mes mains d’une manière plus sûre qu’espérée. Sa ceinture glisse un peu trop facilement, d’autres vêtements, puis les miens grâce à lui. J’ai l’impression que le monde n’existe plus au final, tant pis si je ne me rappelle de rien.

Le plan était parfait, franchement, qui aurait pu dire le contraire? Sur le moment, j’ai vraiment pensé qu’on allait monter, se changer, aller à la piscine, parce que c’est ce que n’importe qui aurait fait, non ? Sauf qu’on n’est pas n’importe qui, qu’on fait bien n’importe quoi. Puis on va avouer qu’on a bu aussi. Juste un peu. Juste assez pour ne plus savoir ce qu’on fait et pour se lancer dans une entreprise dangereuse. C’est allez vite, j’ai pas tout compris. Je l’embrasse, je la débarrasse de tout ce qui peut me gêner, puis je l’embrasse encore, et ça me dérange même plus, comme je l’approche un peu de moi pour caresser son visage en souriant un peu. J’crois qu’on va rester là.

« On perdra rien en restant ici non plus, pas vrai ? »

Ouais, enfin moi. Elle, si je le savais. Ahah. Mais c’est pas comme si ça m’importait, hein, dans l’immédiat. Mes doigts glissent sur sa joue et je l’embrasse. Encore, oui.

Je crois qu’en fait, Mi est un ange. Quelque chose qui s’en approche, en tout cas, car on ne peut tout simplement pas admettre qu’un être sur cette planète ait l’air aussi… Aussi ? pur, voilà, c’est ça le mot. Même ivre, elle a l’air pure. Et je l’aime vraiment. Elle m’a toujours fait sourire quand ça allait pas, et maintenant on est mariés.

« J’pense qu’on devrait pas descendre. Ils nous méritent pas les gens d’en bas. »

Parler comme un enfant égocentrique, c’est parfait aussi, tiens. Je lui souris alors que mes pieds me guident jusqu’au lit où je m’assieds pour la tirer vers moi et l’embrasser encore. Faut pas me demander d’être sérieux maintenant. J’crois qu’il faut même rien me demander tout court. Mes yeux sont tout à elle, mes mains faites pour apprécier la douceur de sa peau. Je ne sais même pas comment je lui résiste encore.