&

who cares about where i've been?

J’aurais du rentrer plus tôt. Bien plus tôt, à vrai dire, mais les choses ont pris une tournure bien différente de celle qu’elles auraient du avoir. Hikari, mes sentiments, toutes les choses que j’aimerais mettre de côté, qu’il faudrait que je parvienne à oublier afin de ne pas tomber dans ce piège horrible de la sensibilité qui m’empêche si souvent de gérer mes affaires rationnellement. J’aimerais être capable de me détacher de ma personne, de faire un trait sur mes émotions. Sauf que c’est impossible. Je ne suis pas Sherlock Holmes et je suis simplement capable de supporter mes conneries. Je m’en rends compte lorsque je gare la voiture sur la parking à côté de l’immeuble où je vis. Une mais encore posée sur le volant après avoir coupé le contact, je pousse un profond soupir alors que mes yeux se posent sur la fenêtre de mon appartement. Bien. Il va falloir rentrer maintenant. Yun Hua risque d’être rentrée. À vrai dire, elle l’est certainement.

Après avoir rejoint la voiture, j’ai pu constater qu’elle m’avait envoyé des messages et m’avait appelé à plusieurs reprises. Bien. Génial. Je n’étais pas là, j’ai pas décroché. C’est la vie, non ? J’ai simplement nettoyé le journal des appels et ma messagerie après lui avoir répondu un très bref « je serai là d’ici une demi-heure » avant de filer comme une balle sur l’autoroute. La meilleure idée du monde, me direz-vous. Qu’aurait-elle fait si j’étais mort en chemin ? La fête, sans doute. La fête parce que cet imbécile de Ryû était sorti sans la prévenir, oui. J’espère juste qu’elle n’a pas eu un problème en mon absence.

Je pousse un nouveau soupir, retire la clé de son encoche, puis l’enfonce dans ma poche avant de m’éloigner de la voiture, le véhicule émettant un « bip » caractéristique en se fermant. C’est ainsi, avec courage et bravoure, que je prends la direction de l’appartement et me décide, après un long moment d’hésitation, à ouvrir la porte et à entrer. Il fait silencieux. Avec un peu de chance, elle dort. En fait, à mon arrivée, je ne la vois pas. Il y a bien Arisu, debout sur le bord du fauteuil, qui m’observe de ses deux grands yeux dorés, et qui m’adresse un miaulement affectueux lorsque je la caresse entre les oreilles en un murmure, fronçant un peu les sourcils.

« T’es toute seule, Lili ? »

Ma prochaine destination est donc la cuisine où je me rends afin de récupérer quelque chose à boire. Il faut bien ça dans la vie, non ? Je viens de conduire près de quarante-cinq minutes, je ne mérite pas un peu de repos ? Et je dois encore dormir dans mon canapé. Soit, il n’est pas temps de me faire de genre de réflexions ; je vais juste boire quelque chose et aller dormir, comme d’habitude, parce que je suis parfaitement crevé. C’est la vie. De toute façon, j’imagine que si elle est allée dormir, c’est parce que mon retard n’était pas si grave que ça, hein.

&

who cares about where i've been ?

Tenue

Une nouvelle fois, mes yeux se posent sur l’écran de mon téléphone, absent de tout nouveau message et dont l’heure affichée ne manque pas de me consterner. Il est tard, très tard, trop tard. Moi-même je peine à croire que j’ai réussi à rester éveillée jusqu’à cette heure-là, c’est sans doute mon plus grand exploit depuis des mois et des mois. Il faut dire que ce n’est pas à cause d’une soudaine crise d’insomnie que je me trouve dans cette situation, il suffit d’observer un instant mon visage pour discerner très clairement les poches qui commencent à apparaître sous mes yeux. Non je ne reste pas éveillée parce que je ne sens pas le manque de sommeil venir, je lutte comme je peux pour ne pas m’endormir voilà tout. Mon seul moyen à ce propos n’ayant été que de fouiller dans la fameuse pile de DVD pour choisir une série au hasard, enfin pas tout à fait au hasard. Vous connaissez cette fameuse série, Game of Thrones, dont parle un nombre incalculable de gens et que je n’avais jamais regardée, et bien figurez-vous que j’en suis au sixième épisode de la première saison. Tout ça parce que le suspens de la série a suscité tant d’éloges que je me suis convaincue que savoir la suite me motiverait suffisamment pour ne pas sombrer dans les bras de Morphée. Tout comme les scènes particulièrement sanglantes.

Pourquoi en suis-je arrivée à refuser la moindre minute de sommeil jusqu’à ce que le sort en décide autrement ? C’est très simple. Après avoir enfin pris conscience du fait que je me pouvais me montrer utile au moins pour une personne sur terre auprès d’Astéria, je me suis retrouvée dans un appartement complètement désert si on ne tient pas compte de la présence d’Arisu. Sans la moindre nouvelle ou explication et ce n’est pas faute d’avoir regardé sans arrêt mon téléphone. Et d’avoir envoyé des SMS. Et d’avoir appelé à plusieurs reprises en me traitant d’idiote paranoïaque. Rien, silence radio, circulez il n’y a rien à voir. Autant dire qu’à l’heure qu’il est je me ronge les sangs en me demandant si je ne devrais pas penser à prévenir quelqu’un. Avant de me rendre compte que je n’ai personne à contacter dans l’entourage de Ryû, cet idiot dont je n’ai pas reçu le moindre signe de vie depuis qu’il est parti travailler un peu plus tôt dans la journée. La seule possibilité qui s’offrait à moi, c’était d’aller toquer à côté, vous savez, là où se trouve sa fameuse femme comme il l’avait expliqué à ses parents quelques temps auparavant. Sauf que techniquement, si je me souviens bien, ils ne se parlent plus. Et que je ne pense pas que lui infliger la vue de la fille enceinte de son mari ait été très judicieux.

Il ne m’est donc rien venu de mieux à l’esprit que de veiller tard jusqu’au retour du brun – s’il revient – et ce, même si je dois faire une nuit blanche. Si je m’inquiète ? Evidemment. Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’une soirée entre amis dont il m’aurait fait mention, non, ce n’était pas prévu alors forcément, il a dû se passer quelque chose. Mais quoi ? Tel était le mystère. En tout cas, c’était suffisamment important et conséquent pour qu’il ait oublié de me prévenir. Je n’ai donc pour le coup pas d’autre option que rester affalée dans le canapé, blottie dans le plaid qui traînait là, à regarder cette fameuse série. J’en suis venue à mettre un bonnet alors que je suis à l’intérieur, le comble.

Heureusement, je ne suis finalement pas vouée à demeurer dans l’ignorance jusqu’au bout de la nuit. Je suis surprise de sentir enfin mon portable vibrer dans mes mains et me rue presque dessus pour voir le message qu’a enfin daigné m’envoyer monsieur Ryû, m’annonçant qu’il arrive dans une demi-heure. Ce qui tombe bien vu que l’épisode se termine dans vingt minutes. Ce dernier achevé – je reconnais ne l’avoir suivi à moitié sans doute devrais-je le revoir demain – j’éteins la télévision et le lecteur DVD, toute source de lumière en fait quand on y songe, créant un petit vacarme qui tire Arisu de la chambre où elle était sans doute partie faire un somme, profitant que je ne sois pas au lit. Je me reposte ensuite sur mon emplacement initial de campement nocturne et me plonge dans une patience olympienne. Qui ne met pas longtemps à être satisfaite.

Je me redresse spontanément en entendant la porte s’ouvrir, peinant à discerner précisément la silhouette qui vient de faire irruption, mais je ne manque pas de reconnaître le maître des lieux. Qui ne m’a pas vue de toute évidence, n’adressant la parole qu’à Arisu, qui s’était mise sur le bord du canapé pour réclamer son attention. Moi aussi j’aimerais avoir des pupilles qui brillent dans le noir pour qu’on remarque ma présence. Mais non, il ne me voit décidément pas dans mon refuge improvisé et je me décide donc à me lever, enroulée dans le plaid comme une âme en peine, et d’allumer la lumière sans prévenir, avant de me diriger vers le brun. J’aurais eu l’esprit à faire de l’humour, je lui aurais fait un petit « bouh » mais non, je suis claquée, ce n’est pas donc pas venu à l’esprit.

« Hey, dis-je pour signaler ma présence, la voix cassée et quasiment éteinte, une épave en somme, tout va bien ? »

Evidemment que j’ai deviné que ce n’est pas le cas, mais en l’occurrence ma question vise son état actuel. Autrement dit, je tiens à m’assurer qu’il est rentré en un seul morceau et honnêtement, il me faut plusieurs bonnes secondes pour constater qu’a priori, il n’est pas blessé ou quoi que ce soit d’autre. Le temps de s’habituer à la lumière et de combattre ma vue qui a tendance à se flouter à cause de la fatigue. C’est à se demander comment je suis capable de tenir debout sans vaciller, merci les médicaments de faire effet en cet instant précis, ç’aurait été dommage que je m’effondre comme une crêpe à cause d’une migraine soudaine.

&

who cares about where i've been?

Je ne sais même pas quelle heure il est. Il est tard, disons, bien trop tard pour rentrer comme si de rien n’était, mais comme je n’ai pas vu Yun Hua je préfère la laisser dormir et ne pas perturber son sommeil. En fait, ça me semble carrément évident de ne pas aller la sortir de son repos alors qu’elle en a sûrement besoin à l’heure actuelle. On dirait pas comme ça, mais ça m’inquiète un peu cette histoire de grossesse et de tension trop haute. En plus, il paraît que certaines femmes font des malaises lorsqu’elles portent un enfant, et je dois avouer que cela m’inquiète un peu.

Alors que je porte mon verre de soda à mes lèvres et que je pense à cette éventualité, je me sens un peu moins à l’aise encore et je prends la décision d’aller vérifier que tout va bien une fois que j’aurais terminé. Je n’ai pas envie de la retrouver morte parce que j’aurais eu la très bonne idée de prendre soin d’Hikari pour ce soir, parce qu’elle était en danger et qu’il était hors de question que j’agisse comme si de rien n’était, n’est-ce pas ? Silencieusement, je repose le verre sur le plan de travail, replaçant la bouteille au réfrigérateur qui ne cesse de faire du bruit depuis quelques jours. Hm. J’y regarderai plus tard.

Pris par cette observation incroyable, je n’ai pas remarqué que la lumière du salon s’était allumée et la voix de Yun Hua qui brise soudainement le silence me fait sursauter faiblement.

« Hey. » Ça c’est de la conversation. « Ça va, et toi ? Tu dors pas encore ? »

Tout bien réfléchi, elle a l’air de s’être réveillée plus que de ne pas s’être endormie, à entendre sa voix, mais cela me préoccupe un peu. Je veux dire, vous avez vu ses cernes ? Et ça me vient pas à l’idée que c’est peut-être parce que j’ai été suffisamment con pour partir sans prévenir et ne pas répondre à ses messages ? Pour ma défense, je n’ai vu ni ses messages ni ses appels avant de partir, mais bon. C’est pas de ma faute non plus, si ? Oh si, totalement.

« Tu devrais aller te coucher. »

Pas d’explication, pas de discussion. Mon cerveau me sert, parfois ? En fait, je pense que je préfère agir comme si rien ne s’était passé ce soir, comme si je n’avais pas eu cette conversation avec Hikari. Autant l’avouer directement, cela m’a très profondément marqué et je suis chamboulé comme jamais, mais bon. Je sais parfaitement qu’expliquer tout ce qu’il s’est passé et répondre à ses questions n’est pas vraiment la meilleure solution dans mon état. Soit. Je regarde Arisu qui vient se frotter aux jambes de Yun Hua, constatant une fois de plus que celle-ci semble s’être vraiment prise d’affection pour notre invitée… Peut-être un peu trop, puisque même ses miaulements ressemblent à des reproches en cet instant.

&

who cares about where i've been ?

Ce n’est pas faute d’avoir essayé de dormir que je me trouve là, debout alors que je devrais être au lit depuis plusieurs heures maintenant. J’ai beau avoir une fâcheuse tendance à jouer les fortes têtes, je ne suis pas tout à fait inconsciente en ce qui concerne ma santé. Aussi ai-je tenté brièvement de m’assoupir entre deux épisodes, dans le canapé certes mais quand on est fatigué cela importe peu, mais la pensée que Ryû avait peut-être un problème majeur, voire qu’il était en danger – je vous signale quand même qu’on parle de l’esprit d’une fille qui a été kidnappée – faisait que je n’arrivais pas à trouver le sommeil et c’était même pire que mieux. A partir de là, on peut aisément avoir une idée approximative du niveau d’inquiétude que j’avais avant de recevoir ce fameux message qui m’annonçait qu’il rentrerait d’ici peu de temps et le voir enfin en chair et en os devant moi. Même si sa silhouette tend à se flouter de temps à autre à cause de l’épuisement, c’est déjà un bon point de constater qu’à première vue, il va bien. Sur le plan physique j’entends, et ce, certainement mieux que moi avec ma dégaine de zombie fraîchement revenu à la vie. On peut qu’après ça, j’ai officiellement renoncé à ma fierté devant lui.

Je l’avoue, mon semblant de conversation n’est pas des plus glorieux, même avec méfiance, je me suis montrée plus créative en termes de discussion. On fait ce qu’on peut avec les moyens du bord et je suis un peu rassurée de voir que mon vis-à-vis n’est pas vraiment plus disposé à faire la conversation. Pour une fois qu’on fait la paire sur quelque chose, enfin sur autre chose que les jeux vidéo et la nourriture dirons-nous, il faut que ce soit sur l’absence presque totale d’éloquence. Génial.

« Plus ou moins, je réponds, j’ai décidé de jouer la carte de l’honnêteté avec lui, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?, non, j’arrivais pas à dormir. Une espèce d’insomnie à la con. »

Mouais. Comme quoi ce n’est pas encore tout à fait au point pour la franchise avec Ryû. En même temps, ce n’est pas complètement faux, disons que mon corps était tout à fait réceptif à l’idée de dormir, mon esprit beaucoup moins. Mais pour quel genre d’idiote je passerais si je lui avouais que je n’ai pas été capable de trouver le repos parce que je me faisais un sang d’encre pour lui ? Je prédis d’avance qu’il se moquerait ouvertement de moi, c’est certain et attesté. N’importe qui le ferait, on trouve facilement stupide de s’inquiéter pour quelqu’un avec qui on n’a pas d’affinité particulière. Moi-même j’ai du mal à saisir pourquoi je réagis de la sorte, mais je présume que c’est lié au fait qu’il s’agisse de mon hôte. Disons que c’est la première chose qui me vient à l’esprit quand j’y pense. J’hausse les sourcils à sa remarque : c’est tout ce qu’il a à me dire ? D’aller me coucher ? Sérieusement ? Genre il pense vraiment que je vais aller m’affaler sur le lit sans chercher à comprendre.

Heureusement, je ne suis pas la seule à être de cet avis et à protester contre cette idée, puisqu’Arisu vient se frotter à moi, comme une alliée qui prendrait place à mes côtés pour me soutenir. Et voilà, au moins j’ai le soutien du chat, nah. Je croise donc les bras, chose pas forcément évidente avec le plaid sur moi, mais passons. Il n’est pas question que je sois restée éveillée si tard pour n’obtenir qu’un simple « Tu devrais aller te coucher. ». Je suis peut-être à deux doigts de m’effondrer, mais je sais encore faire preuve de vigueur pour chercher à obtenir ce que je souhaite.

« Ça peut attendre, je rétorque en fronçant les sourcils, mon dieu, je commence à jouer les ménagères qui demandent des comptes, au secours,  je peux savoir ce qui ne va pas ? Non parce que j’imagine que tu ne serais pas sorti si tard sans me prévenir si tout allait bien, non ? »

Franchement je fais de mon mieux pour être convaincante, mais je doute que ma voix fatiguée fasse réellement pression. Ce qui ne me réjouit que plus d’avoir quelqu’un sur qui compter pour me soutenir, même s’il s’agit d’Arisu et qu’elle ne peut pas faire grand-chose à part miauler pour manifester son mécontentement. On y croit.

&

who cares about where i've been?

Elle devrait aller se coucher sans broncher, juste essayer de fermer ses petits yeux et d’oublier que je ne suis pas rentré aussi tôt que je l’aurais voulu. C’est quand même pas compliqué, hein ? Parfois les choses vont vraiment pas comme je le voudrais et ça m’agace vraiment, je vous jure. Et en plus cet imbécile de chat m’observe comme si j’avais commis le pire crime du monde. Bon, en soi je n’ai pas été particulièrement correct ce soir, mais il faut quand même comprendre que je ne sois pas forcément désireux d’en parler, non ? Arisu, traîtresse, je te ferai porter le poids de tes torts jusqu’à la fin de ta vie. Enfin, sauf si tu reviens me miauler dans les bras comme tu le fais d’habitude. Faible homme que je suis. Je fronce les sourcils quand elle m’annonce faire une insomnie. C’est moche quand même. Pile le jour où il aurait fallu qu’elle dorme simplement et qu’elle fasse comme si je n’existais pas. Je porterais presque plainte contre le hasard qui a décidé de me compliquer la vie au moment où j’ai déjà du mal à supporter ce qu’il m’arrive.

« Oh, je vois… »

Très loquace ce soir, dites-moi. J’ai l’impression de frôler le ridicule avec cette absence de paroles, là. Un soupir m’échappe même alors que je regarde devant moi dans l’espoir d’ignorer le chat qui semble continuer à se frotter aux jambes de sa dernière amie en date. Sérieusement, elle est obligée de se liguer contre moi avec Yun Hua, hein ? Moi ? Son maître qui ai toujours pris soin d’elle et qui ne veux que son bonheur ? Vous entendez mon cœur se briser dans le lointain, non ? Tristesse incommensurable.

« Tout va bien, ne t’en fais pas. » Réponds-je en un sourire, bien que l’inquiétude transparaisse clairement dans mon expression. « J’ai juste du sortir faire un truc et ça m’a pris plus de temps que prévu. J’ai pas pensé à prévenir.  »

Plus de temps que prévu, beaucoup plus de temps que prévu, même. En fait, je ne sais même pas comment je pourrais expliquer la situation à Yun Hua. Un soupir m’échappe à nouveau alors que je regarde le chat qui pousse un nouveau miaulement. Non, vraiment, il pourrait être un peu plus compatissant, non ? Je lève les yeux vers Yun Hua, soupirant un peu avant de lui adresser un nouveau sourire, espérant sans doute être crédible.

« Non, vraiment, c’était rien, tu devrais aller dormir. »

Et arrêter d’essayer de savoir ce qu’il s’est passé. Arrêter de me forcer à regarder les choses en face, de me forcer à constater que je suis tout simplement incapable de résoudre mes problèmes sentimentaux et personnels sans faire n’importe quoi. Pour être tout à fait honnête, ma seule envie à cet instant est de descendre une bouteille d’alcool pour ne plus y penser. De sortir. De faire n’importe quoi. De retourner à Vegas avec Mi, parce qu’à ce moment-là les choses allaient beaucoup mieux que maintenant. J’ai pas envie d’expliquer tout ça à Yun Hua, bien que je sois incapable de comprendre pourquoi.

&

who cares about where i've been ?

Franchement, je me reconnais à peine, d’où me vient cette lubie de me faire autant de tracas pour quelqu’un ? Un homme qui plus est ? Cela m’étonnerait moins s’il s’agissait d’une amie qui me tient à cœur, mais non, il faut que cela concerne le professeur avec lequel j’ai eu la bonne idée de coucher en état d’ébriété et dont je me trouve désormais actuellement enceinte. Non je n’arrive pas à trouver la logique, cela m’échappe, mais je m’en préoccuperais plus tard, genre quand je serais dans un état d’esprit suffisamment reposé et serein pour réfléchir à la question posément. Pour l’heure, j’aimerais savoir ce qui m’a valu d’être empêchée de profiter d’un lit douillet. Ce n’est pas pour avoir l’occasion de lui passer un savon, je ne suis pas en état pour cela et ce n’est pas la question, je veux simplement savoir ce qu’il en retourne. Par curiosité ? Par préoccupation ? Là encore je ne sais pas trop, j’estime juste que connaître la raison de son absence imprévue ne serait pas curieux vu la situation. Vu que je suis debout de toute manière, je peux encore patient un quart d’heure, voire une demi-heure le temps d’écouter son histoire, non ?

On dirait qu’il ne semble pas de cet avis et si je n’étais pas si épuisée d’avoir dû lutter pendant des heures, j’aurais certainement pris une expression indignée. Je ne rêve pas là, il vient de me mentir en me regardant droit dans les yeux ? L’avantage de baratiner les gens pendant des semaines au sujet de ma grossesse, c’est que j’ai commencé à développer un radar contre les mensonges en tout genre, en plus d’une méfiance extrêmement importante. Et le miaulement réprobateur d’Arisu ne fait que me conforter dans cette pensée. Cela ne vient pas de moi non, Ryû est clairement en train d’essayer de me mener en bateau pour que je lâche l’affaire, que je le laisse tranquille et que j’aille me coucher comme une gentille fille sans chercher plus long. Aurait-il déjà oublié que j’ai tendance à agir à l’inverse de ce qu’une gentille fille ferait ? Quand bien même il serait sorti à l’improviste en pensant rentrer plus tôt, il m’en aurait informée, juste au cas où non ? Enfin ça me paraîtrait évident tout de même. Et c’est encore pire quand il essaie de m’assurer que ce n’était rien, que je ne devrais pas m’en faire et que je ferais mieux d’aller me coucher pour de bon, sous-entendu au lieu de le tourmenter avec mes questions. Donc c’est qu’il y a quelque chose, c’est triste de se trahir de la sorte.

Il n’est pas question que je bouge, non, je vais rester plantée là, mes yeux de pandas grands ouverts jusqu’à obtenir une réponse digne de ce nom. Et si je m’écroule de fatigue avant de l’avoir eue ? Eh bien ça lui apprendra à essayer de me mentir de la sorte, voilà. Je lance un bref regard à Arisu qui semble m’approuver, comme si elle lisait dans mes pensées. Je crois que je suis en train de développer une complicité hors du commun avec elle, ou alors je suis vraiment atterrée au point de divaguer royalement en m’imaginant faire la paire avec un chat. Au choix.

« Je ne t’imaginais pas mentir de la sorte. Du moins pas si mal, tu ferais mieux de t’appliquer si tu veux me faire gober ça, je lance sèchement, ma voix ayant enfin retrouvé un peu de sonorité. »

Et je sais de quoi je parle, ahem. S’il ne veut pas se confier à moi quand je me montre conciliante, très bien, je vais me montrer un peu plus dure et un peu moins compréhensive et compatissante avec lui. Ce n’est pas possible de devoir se décarcasser à ce point pour avoir la vérité, il ne peut pas simplement être honnête avec moi ? Surtout après avoir passé son temps à me faire la morale par bien des points, en plus d’avoir eu à subir les reproches incessants de son satané meilleur ami. Au lieu de me faire la leçon sur comment agir en adulte responsable, il pourrait m’en donner un exemple concret non ? Aussi, je décide de me planter juste devant lui à moins d’un mètre, comme si j’avais la ferme intention de lui barrer le passage. Alors qu’il lui suffirait d’un geste du bras pour me mettre hors de sa route tant je suis faible.

« Je ne bougerai pas tant que tu ne m’auras pas dit la vérité, je reprends avec un regard déterminé, même si je dois arriver à moitié chancelante demain chez le médecin. »

Parce qu’on en parle pas de ça, mais le rendez-vous médical c’est demain. Ou aujourd’hui plutôt, dans quelques heures. Alors c’est bas, c’est fourbe, c’est traître, tout ce qu’on veut, mais je suis prête à ne reculer devant rien pour lui tirer les vers du nez.

&

who cares about where i've been?

Mentir ? Comment a-t-elle pu comprendre que je mentais, hein ? Mon regard fuyant et peu assuré a du me trahir, tout comme mon intonation incertaine, j’imagine. Un soupir m’échappe alors que ses paroles m’arrivent et, quand elle a terminé de parler, je me retiens fortement de lever les yeux au ciel. Évidemment, elle ne peut pas comprendre tout ça, elle ne peut même pas imaginer ce qu’il vient de m’arriver, le choc que j’ai pu ressentir lorsque mon ex elle-même s’est présentée sur le pas de ma porte dans un état plus que déplorable. Non, ça elle ne pourra pas le comprendre. Allez savoir pourquoi, j’en ai l’intime conviction. Un soupir m’échappe alors que cette pensée me traverse l’esprit et, comme un enfant pris sur le fait, j’enfonce les mains dans le fond des poches de mon jean avant de détourner le regard.
Certes, certes. Qu’elle pense ce qu’elle veut, je n’ai rien à lui dire. D’ailleurs, je n’ai même pas envie de répéter cet odieux mensonge ou de prétendre qu’elle a tort. Je sais parfaitement qu’elle a raison et que, en l’occurrence, je suis le plus mauvais mensonge du monde. Je me retiens par contre de lui envoyer au visage qu’il est clair qu’elle doit s’y connaître en mensonge. Allez savoir pourquoi. L’instinct de survie, sans doute, puisqu’il paraît que c’est une chose innée chez chacun d’entre nous.

Malheureusement, au moment où je souhaite quitter la cuisine, je remarque qu’elle s’est placée au milieu du chemin et, fermant les yeux alors que je prends une profonde inspiration, je fais de mon mieux pour ne pas céder à la colère.

« Ne sois pas idiote Yun Hua ; il n’y a rien à dire, d’accord ? »

Rien du tout. Je n’ai pas envie de discuter, pas envie de m’expliquer. Rien. Je sais parfaitement qu’elle ne doit avoir aucune envie d’écouter mes plaintes et qu’elle se fout totalement de la manière dont je peux gérer ma vie sentimentale. De toute façon, qu’est-ce que ça change pour elle, hein ? On ne se doit rien, si on met de côté l’aide que je lui apporte actuellement. Je ne sais pas. En fait, j’ai l’impression de ne pas savoir ce qu’il se passe dans ma propre vie.

« Hikari est venue te voir quand tu n’étais pas là. Elle allait mal alors je l’ai aidée, ça te va ? »

Stupide. Et le pire dans l’histoire est sans doute que je sois incapable de maîtriser cette intonation particulière que j’ai toujours eue lorsque je m’exprime au sujet d’Hikari. En même temps, peut-on m’en vouloir ? J’ai appris pas mal de choses ce soir, des choses que j’aurais certainement souhaité ignorer, mais que j’ai été obligé d’accepter. Cet imbécile de Shota lui fait du mal et elle m’a quitté à cause de ça, par exemple. Non, je n’ai pas envie d’en parler. Je n’ai pas envie de me perdre dans mes propres pensées, de m’empêtrer encore plus dans ma propre incompréhension. C’est juste trop demander

&

who cares about where i've been ?

Non à l’heure qu’il est je n’ai sans doute plus ma raison, mais franchement qui s’en soucie ? Pour l’heure, je dois reconnaître que mon état psychologique n’est pas la source de mes préoccupations, Ryû cherche à me cacher quelque chose et je dois découvrir de quoi il s’agit. Encore plus s’il se met à me mentir pour ne pas avoir à dire ce qu’il se passe réellement. Ce que je ne manque pas de lui faire remarquer. Gagné. Je peux aisément deviner à sa réaction que je suis dans le vrai, cette façon de détourner le regard ne m’en dit que trop sur ce point. C’est comme faire comprendre à un enfant qu’on sait qu’il a fait une bêtise et qu’il ferait mieux de passer aux aveux quand il a encore l’occasion, avant qu’on n’en vienne à faire preuve de plus de sévérité. Même si on a l’impression que son corps est sur le point de tomber en morceaux, c’est un détail, je suis prête à aller jusqu’à la dernière seconde avant que mes forces ne m’abandonnent s’il le faut. On dirait presque une héroïne qui tente de sauver le monde, même si vu les circonstances, cette comparaison est outrageusement ridicule et déplacée.

Comment ça c’est moi qui joue les idiotes dans l’histoire ? Il se paie ma tête en plus ? Là, je ne manque pas d’ouvrir grand la bouche sous l’effet de la consternation, sans qu’aucun son n’en sorte pour autant. S’il croie que je vais lâcher l’affaire parce qu’il a convenu qu’il n’y a pas matière à discuter et que penser le contraire fait de moi une idiote, il se leurre. Soit, j’agis peut-être comme la dernière des imbéciles, je n’exclue en rien cette possibilité, je l’approuverai presque même, mais ce n’est pas une raison pour se défiler. Parce que je suis bien décidée à jouer mon rôle d’idiote jusqu’au bout si nécessaire et ce, malgré toutes ses piètres tentatives pour essayer de m’en dissuader. Il ne peut pas gagner contre moi quand je m’entête à propos de quelque chose, qu’il reconnaisse sa défaite rapidement, cela nous fera gagner du temps.

Je ne peux retenir un sourire satisfait en le voyant enfin se résigner à m’éclaircir un peu plus sur ce qui s’est passé. Sourire qui se fane aussitôt ? Hikari ? Elle est venue ici ? Je me rappelle alors lui avoir effectivement donné l’adresse une fois, en ne manquant toutefois pas de spécifier que c’était uniquement en cas d’urgence et qu’elle devait me prévenir à l’avance. Non parce que je n’ai pas encore pris mes aises au point d’inviter qui bon me semble au détriment de mon hôte, il ne faut pas abuser non plus. Ce qui me pousse immédiatement à la conclusion suivante : elle avait eu besoin d’aide et ce devait être plutôt grave pour qu’elle en vienne à débarquer sans prévenir. Zut.

« Oh, j’énonce, prise de court et assez inquiète, elle va bien ? Je suis désolée que tu aies dû t’en mêler, je penserais qu’elle m’aurait prévenue avant. Heu… C’est grave ? »

Bizarrement, j’ai le sentiment que oui c’est grave. Pour qu’elle vienne précipitamment et que Ryû rentre tard, très tard, ça doit avoir une ampleur que je ne peux pas deviner spontanément. A moins qu’elle ait aussi un père psychopathe haha. Pour le moment, la situation n’a vraiment rien de drôle mais vous savez, la fatigue pousse assez vite à l’ironie. Maintenant que j’y pense… Je m’approche un peu du brun et renifle – assez discrètement on va essayer de rester délicate malgré tout – un peu l’odeur que je perçois vaguement qui émane de lui. Une odeur de parfum. De parfum de femme. Oh putain.

« Laisse-moi deviner, je commence en reprenant un peu mes distances, sans le lâcher des yeux pour autant, vous vous connaissez et vous êtes assez proches, je me trompe ? »

Si jamais je n’obtiens pas mon diplôme d’arts à cause de mon histoire de grossesse imprévue, je peux toujours espérer me reconvertir en tant que détective privé. Reste à avoir le cœur suffisamment accroché pour entendre les révélations qui suivent mes suppositions.

&

who cares about where i've been?

Évoquer Hikari est certainement la meilleure idée que j'aurais pu avoir au cours des dernières heures. Oui, bien sûr. Rentre chez toi et annonce à la fille que tu as mise enceinte que tu as vu ton ex, qu'elle allait mal et que tu l'as aidée à s'en sortir. Meilleure idée du monde, vraiment. VRAIMENT. Si Hikari n'était pas mon ex-fiancée, les choses seraient sans doutes plus simples également. Si elle n'était pas l'amie de Yun Hua, surtout. Le monde est-il petit au point que deux personnes qui ont compliqué ma vie se retrouvent dans le même lieu au même moment? En soi, je l'ai pas mal compliquée moi-même, mais sur le moment il ne manquerait plus que l'arrivée de Mi à cet instant pour que ma vie devienne un véritable enfer. Devoir l'expliquer à Yun Hua est déjà assez difficile.

« Elle va bien, oui. Enfin maintenant. » Dis-je, un peu embêté, cherchant toujours à éviter la conversation. « Elle avait un souci avec son... avec son petit ami, je crois. »

Je crois vraiment m'en sortir de cette façon? Je fronce les sourcils pendant quelques secondes et quand Yun Hua s'approche et vient presque me renifler, je me retiens de ne pas la repousser, car je sais que je ne le ferais pas avec douceur si je m'y autorisais, puis je prends une profonde inspiration quand j'entends sa reprise.

« Eh bien, en quelques sortes. » Commencé-je, un peu ironique. « Si on prend en compte qu'on était "fiancé" il y a cinq ans, je crois qu'on était plutôt proches. »

Oui, bien sûr. Révèle-lui de telles informations comme ça, sans prévenir, sans même chercher à savoir si ça va la heurter ou non. Je crois qu'en vérité, elle doit avoir compris que l'on était bien plus proches que ce qu'elle pouvait penser au départ et, au bout du compte, je me demande sincèrement si tout ce qu'il se passe actuellement est la réalité ou un rêve que j'ai monté de toutes pièces. Non, parce que j'ai vraiment l'impression d'être en train d'halluciner, purement et simplement. Vous en connaissez beaucoup, des hommes aussi cons?

« Je l'ai emmenée hors de la ville pour qu'elle soit en sécurité, j'ai pas pensé à te prévenir, ça te convient comme explication? »

Certes, j'ignore si elle a senti quelque chose quand elle s'est approchée, mais je crois avoir répondu à suffisamment de questions comme ça. Jusqu'à preuve du contraire, si j'avais des comptes à rendre à quelqu'un, ça ne serait certainement pas à elle et, dans la situation actuelle, je crois être capable de prendre des décisions seuls, non? De toute façon, je n'ai pas appelé, je n'ai pas répondu à ses messages, le mal est fait, non? Pourquoi elle se prend la tête?

&

who cares about where i've been ?

Il est vrai que je n’avais sans doute pas pensé qu’Hikari puisse passer à l’appartement de Ryû en catastrophe, sans me prévenir au préalable et j’ai la désagréable sensation d’avoir été prise à mon propre jeu. C’est bête hein mais j’ai l’étrange pressentiment que je vais amèrement regretter d’avoir demandé des explications plus détaillées. Est-ce ma faute si mon cerveau a refusé d’enregistrer l’information qui stipule que je n’ai pas à m’inquiéter si Ryû rentre tard un soir et encore que je dois chercher à savoir ce qu’il a fait durant ce temps ? Bon, peut-être, on ne va pas nier le fait que le harceler coûte que coûte jusqu’à menacer de ne pas me coucher tant qu’il ne m’aura rien dit ne relève pas de mon entière volonté. C’est plus fort que moi, je pense que quelque chose cloche et qu’il s’est passé un truc important, alors je ne peux pas fermer les yeux en faisant comme si de rien n’était, ce serait trop simple. Alors oui, m’approcher de lui pour sniffer ses vêtements est assurément un comportement inapproprié et excessif mais comme je tiens à peine debout, je ne m’en rends pas tellement compte. Je suis plus surprise de savoir qu’ils aient pu avoir une telle proximité que par mon attitude présente si vous voulez savoir.

Et comme prévu, la réponse qu’il me fournit me fait l’effet d’un boomerang de premier ordre, déjà que je ne savais pas qu’elle avait un petit-ami, je savais encore moins qu’elle se trouvait être l’ex fiancée de Ryû. Celle-là même qui l’avait quitté pour un autre du jour au lendemain et à cause de laquelle il avait eu la bonne idée de se mettre une sacrée mine le soir où il était censé me donner cours. Vous sentez l’ironie du sort me mettre une claque énormissime là ? Ouah. Je ne m’attendais certainement pas à ce qu’Hikari puisse être cette personne et pas seulement parce que je la connais, mais parce que je ne l’imagine tellement pas faire quelque chose de la sorte. Je veux dire, c’est quand même la fille qui a attrapé le mec qui a essayé de me piquer mon sac à main, faisant ainsi preuve d’une grande sensibilité morale, je ne peux pas croire qu’elle ait décidé de faire un coup foireux à Ryû comme ça. Tout s’embrouille dans mon esprit et je commence à penser que oui, j’aurais sans doute dû aller me coucher après avoir vu qu’il était rentré en bon état. Bordel.

Je me contente de hocher la tête en entendant la suite de son récit, me sentant bien bête pour le coup. J’entends bien que mettre la jeune femme en sécurité – je ne réfléchis pas vraiment à la raison pour laquelle elle est en danger sur l’instant, mon cerveau faiblit pardon Hikari – est sans doute plus important que songer à me prévenir. Mais un SMS lui aurait-il fait perdre quelques secondes précieuses ? D’autant qu’il savait pertinemment que je la connaissais, que c’était mon amie en quelque sorte. Pour le coup, je me sens un peu vexée d’avoir été mise à l’écart, et ce, par ma propre faute. On ne peut pas aider toutes les âmes en détresse à la fois.

« Je vois. Pardon d’être si excessive mais je m’inquiétais vraiment, je finis par déclarer au bout de quelques minutes, en m’écartant un peu pour ne plus faire office de barrage, c’est gentil de t’être occupé d’elle. Surtout vu les circonstances. »

Mon ton trahit clairement ma maladresse je pense, je n’ai plus qu’un infime contrôle sur ma voix, alors il ne serait pas étonnant qu’elle parte un peu en vrille. Comme quand on a abusé de la cigarette dans la soirée par exemple. Sur ces bonnes paroles, j’essaie de me déplacer un peu dans le salon, sans trop savoir le but de cette manœuvre en fait, mais Arisu n’a pas l’air d’avoir compris le message et je m’empêtre les pieds avec le pauvre chat qui se taille immédiatement, me laissant dans ma détresse. Non parce que s’emmêler les pieds en dormant à moitié debout, ce n’est pas vraiment le bon plan si vous voulez. Heureusement, j’arrive à me rattraper correctement au meuble le plus proche, mais le plaid quitte mes épaules en chemin. Quelle vie.

« Putain, je lâche avec lassitude, c’est pas ma soirée je crois. »

On l’aura bien compris, même sans cette chute manquée remarquable. On parle du retour de la migraine ? Je crois qu’il ne me reste plus qu’à longer le mur jusqu’à la chambre, mais j’aimerais bien récupérer ledit plaid pour ne pas mourir de froid entre-temps. Mais je ne peux pas me baisser à cause du mal de tête, super. Il ne me reste plus qu’à espérer que Ryû capte mon SOS visuel tout en priant pour qu’il ne me voie définitivement pas comme un boulet de première catégorie.

&

who cares about where i've been?

La prévenir, c'est peut-être la première chose que j'aurais du faire. Lui dire que je n'allais pas revenir avant un moment, que j'allais être occupé parce que je devais mettre Hikari en sécurité. C'est pas le plus important? Un soupir m'échappe alors que cette pensée me traverse l'esprit et, quand elle s'excuse, je ferme les yeux pendant quelques secondes de plus.

« C'est rien, j'aurais du prévenir. »

Fin de l'histoire, fin du jeu. Je crois qu'on ferait mieux d'aller se dormir, l'un comme l'autre. C'est sans doute le mieux qu'on pourrait faire compte tenu de la situation et de mon manque d'envie de discuter. Je dois avouer que ça me perturbe un peu qu'elle se soit inquiétée. Je veux dire, j'ai 31 ans, je suis parfaitement capable de me débrouiller seul, de prendre des décisions et de faire ce qu'il faut pour rester en sécurité, non? Je ne comprends pas vraiment, mais j'imagine que ça doit être normal.

Au moment où Yun Hua semble avoir un peu de mal à garder l'équilibre, je m'approche d'elle et lui prend le bras afin de l'emmener jusqu'à la chambre, sans oublier de ramasser le plaid qui git désormais sur le sol au préalable, toujours en silence. Mon envie de parler n'est pas plus présente qu'avant, mes questionnements sentimentaux n'ont certainement jamais été aussi présents que maintenant et, franchement, j'aurais envie d'y voir un peu plus clair. Si seulement je pouvais avoir un Jiminy Criquet quelque part, avec ses conseils avisés et ses bonnes idées.

Je pousse la porte de la chambre et m'approche du lit pour l'aider à s'allonger, fronçant un peu les sourcils. Je réfléchis encore un peu et, comme le silence se fait rapidement trop long à mon goût, je reprends la parole calmement.

« Je suis désolé de ne pas avoir prévenu. »

Et qu’on le croit ou non, je le suis vraiment. Me retrouver là maintenant m’aide sans doute à réaliser que quelque chose de grave aurait pu arriver si je n’avais pas été présent. Si elle était tombée, avait perdu l’équilibre et s’était blessée, comment l’aurais-je expliqué à sa mère ? Elle ne me l’aurait certainement jamais pardonné. Et si cette chute avait causé de graves ennuis au bébé ? Si on avait du la faire accoucher d’urgence, que le bébé était mort ? Je m’emballe, j’imagine trop de scénarios catastrophes. Un soupir m’échappe quelques instants plus tard, alors que je vois Arisu grimper sur le lit et s’approcher de Yun Hua pour se blottir sur l’oreiller à côté d’elle.

« Je crois qu’elle t’aime vraiment bien. » Finis-je par dire alors que le chat se met à ronronner paisiblement. « Tu veux quelque chose? Un verre d'eau? »

Une soudaine envie de me rattraper pour l'absence dont elle a été "victime"? Je ne sais pas. Dans tous les cas je me retrouve assez rapidement accroupi à côté du lit où est allongée Yun Hua, à la regarder comme pour m'assurer qu'elle va bien..

&

who cares about where i've been ?

Evidemment, cela aurait été bien trop beau que ma tension ne grimpe pas en flèche après que je me sois entêtée à ignorer délibérément les signaux d’alerte de mon organisme. Pourquoi faut-il que l’univers s’acharne à me rappeler que je suis devenue une pauvre petite chose fragile de temps à autre, et précisément au moment même où je n’ai pas envie de paraître faible ? Je suis maudite, c’est officiel. Ce n’est pas la faute d’Arisu non, elle n’y peut rien la pauvre si je me mets soudainement à avoir deux pieds gauches sans prévenir, chose ironique quand on sait qu’en théorie je suis ambidextre. Disons qu’avec la moitié de mes capacités intellectuelles encore en route, je ne suis ni l’un ni l’autre, je crois qu’il n’existe même pas de mot approprié pour cela, c’est dire. Dans mon malheur, j’ai au moins la chance de ne pas m’être m’effondrer comme une vulgaire carpette, ç’aurait été le comble. La fille qui demande – enfin exige plutôt –  des nouvelles parce qu’elle s’inquiète et qui au final crée elle-même des sources d’inquiétude. Au moins Ryû aura reconnu un peu avant que oui, il n’aurait pas dû me laisser dans l’ignorance la plus totale, bien qu’au fond, je ne sais pas vraiment si je serais allée dormir pour autant. Un vrai casse-tête.

Surprise bonjour, tu m’avais tant manqué depuis ce temps. Sans rire, je crois que je vais devoir informer Ryû de dresser un panneau de signalisation quand il décide tout à coup de se montrer gentil avec moi de manière inattendue. Je souhaitais simplement qu’il me ramasse le plaid, c’est tout, pas qu’il me porte à moitié jusqu’à la chambre. Je dois vraiment faire pitié avec ma tête de déterrée et mon incapacité criante à faire trois pas sans manquer de tomber. J’aurais bien émis un signe de protestation si j’en avais la force mais ce n’est de toute évidence pas le cas, alors je ne peux que me résigner à me laisser conduire comme une petite fille de quatre ans dans la chambre, non sans me pincer la lèvre sous l’effet de la gêne. On pourra dire qu’il aura passé sa journée à aider les âmes en détresse. Est-il pour autant obligé d’aller jusqu’à m’aider à me poser sur le lit ? Un peu d’aide n’est pas du luxe mais là on arrive carrément au niveau de la nounou professionnelle. Ce qui me fait penser que je vais assurément culpabiliser à cause de cela demain, quand j’aurais repris tous mes esprits.

« C’est pas grave, je réponds une fois installé, en faisant un geste de la main comme pour balayer une idée imaginaire, tu pouvais pas deviner que j’allais être prise d’une incapacité criante de dormir le jour où tu serais sorti plus tard que prévu. »

Personne n’aurait pu le deviner en vérité. Je ne pensais pas me faire autant de soucis à son sujet, quand on y regarde bien, il est grand, il est responsable – en théorie j’entends – il n’a pas besoin d’avoir quelqu’un pour s’inquiéter quand il s’absente pendant un moment, non ? Ce n’est pas sa faute si la fille qu’il a le malheur de devoir héberger a une tendance paranoïaque qui lui fait imaginer les pires cas de figure en cas de situation imprévue. Heureusement que cette fidèle Arisu était là pour me soutenir et m’adresser de petits miaulements quand elle croisait mon chemin, comme pour me rassurer à propos de son idiot de maître. Je ne peux qu’esquisser un faible sourire quand elle vient se blottir contre moi. Il semblerait que l’absence de Ryû ait au moins donné l’occasion à cette dernière de s’habituer à moi pour de bon et à m’adopter. C’est toujours ça de pris, youhou.

« C’est parce qu’elle sent que j’ai un potentiel hors du commun, je réponds sur le ton de la plaisanterie, avec une pointe d’ironie, ou elle est contente d’avoir un soutien féminin, à voir. Mais je crois que tu conserves le monopole de son affection. Hm… Je veux bien un verre d’eau si ça te dérange pas, j’ai un peu la gorge sèche. »

On l’aura deviné sans elle avec ma voix cassée qui serait presque idéale pour tourner un film d’horreur. Dans un élan de lucidité frappant, j’ôte alors mon bonnet, jugeant sa présence assez inutile désormais et m’amuse à le poser sur la petite tête d’Arisu. Qui ne tarde pas à manifester son mécontentement avec un petit râle et à attaquer le bonnet en question. Un chat mignon a toujours le don d’apaiser les choses c’est une loi incontestable. J’attends que Ryû revienne avec l’objet de ma demande pour reprendre la parole.

« Je t’ai déjà dit que t’étais quelqu’un de bien quand tu voulais ? Fais gaffe, avec ta tendance à jouer les super-héros je pourrais penser que tu n’es pas qu’un imbécile avec des problèmes d’alcool, j’énonce avec un petit rire. »

Merci raison de t’évaporer quand je suis à moitié dans le vague, vraiment. Mais bon, il a aidé Hikari du mieux qu’il pouvait malgré leurs antécédents et il a une fâcheuse tendance à vouloir prendre soin de moi ces derniers temps, je peux au moins lui témoigner un peu de reconnaissance je suppose.

&

who cares about where i've been?

En fait je ne devrais pas m’étonner de l’affinité qu’Arisu semble avoir développé avec Yun Hua. Je passe le plus clair de mon temps à l’extérieur et, à part quand je suis en vacances ou en congé, il est rare que je reste à l’appartement. Même lorsque je sors, elle ne me voit pas. En fait, Yun Hua doit être une présence que je n’ai pas été capable de lui apporter depuis longtemps et, aux yeux de ce chat incroyablement affectueux, ça doit être important. Dans tous les cas, je trouve ce comportement assez amusant, parce que bien qu’elle ait toujours été particulièrement douce envers les autres, j’ai remarqué qu’elle était plus facilement proche de certaines personnes. C’est un animal adorable, de toute façon.

« Ça doit être ça, j’suis insupportable. » Dis-je en riant un peu. « Ça fait plus de cinq ans qu’elle doit faire avec. »

Dire qu’Hikari et moi avons décidé d’adopter cet animal pour lui permettre d’exercer une de ses grandes passions. Mon ex-fiancée a toujours été passionnée par le comportement animal et, maintenant, je réalise que ses rêves ont du être réduits à néant par cet imbécile de Shota. Si elle a vraiment été contrainte de le suivre et de me faire du mal, si ce n’était vraiment pas sa décision propre, j’imagine que cela a du être horrible. En fait, je continue à penser de trop et à me prendre la tête pour des bêtises. Un soupir m’échappe d’ailleurs, discret et bref, alors que je me redresse pour partir à la cuisine chercher le verre d’eau qu’a accepté Yun Hua.

De retour dans la pièce, je souris un peu en voyant le chat s’acharner sur le bonnet qu’on lui a cédé et je lui tends le verre d’eau en riant légèrement.

« Elle va te le ruiner. » Je vois le chat qui continue à jouer avec le vêtement avant de se redresser et de s’éloigner un peu de l’objet qui le menace. « Elle est pas très fan, j’crois. »

Le commentaire de la jeune femme m’amuse un peu, à vrai dire, et je pose mon regard sur elle après qu’elle ait évoqué une possibilité qui, franchement, paraît presque drôle sur le moment.

« Si seulement. En vrai je crois que les trois quarts de mes connaissances doivent me voir comme ça. Le professeur alcoolique pervers et raté. »

Au fond, je sais que j’ai mérité cette réputation. Je sais que les personnes qui me sont associées, d’une façon ou d’une autre, doivent me percevoir comme un imbécile incapable de gérer sa vie et, malheureusement, ils ont raison sur certains points. Pourtant, je fais des efforts, j’essaie de ne pas trop me prendre la tête avec ce qui ne va pas pour ne pas chercher des problèmes supplémentaire et ne pas empirer les choses. Un soupir m’échappe finalement alors que je m’assieds tout au bord du lit, regardant à l’extérieur d’un air pensif.

« Je savais pas que tu connaissais Hikari. Vous êtes proches ? »

&

who cares about where i've been ?

Pour une raison qui m'échappe, il semblerait que ce soit dans les moments a priori les moins opportuns que Ryû et moi avons tendance à trouver un terrain d'entente. J'ignore si c'est parce qu'Arisu y met du sien pour nous permettre de ne pas nous crêper le chignon inutilement, mais le fait est les choses se sont plutôt bien passées là où elles aurait facilement dégénéré quelques mois plus tôt. Un miracle, pour quelle raison, je ne le sais pas, une forme de clémence pour tout ce qui nous tombe déjà sur les épaules certainement. En tout cas, c'est quelque chose que j'accepte de bon cœur, une espèce d'armistice ne fait jamais de mal à personne quand les deux partis sont d'accord pour faire quelques conciliations et pour arrêter de démarrer au quart de tour aussi. Point qui n'est pas vraiment difficile quand on est sur le point de sombrer dans le sommeil, cela dit. Et si Arisu arrive bien à cohabiter depuis cinq ans, une semaine ne devrait pas être le bout du monde, surtout si nous continuons à ce rythme. Cette perspective utopique me donnerait presque le sourire, mais bon, on ne va pas pousser le bouchon trop loin non plus.

J'accepte le verre d'eau amené à ma disposition de bonne grâce, non sans manquer de lâcher un compliment déguisé au passage. Pour s'occuper de moi sans broncher, je pense qu'il le mérite tout de même et à vrai dire, je me préoccupe peu du fait que son chat puisse réduire mon bonnet en miettes. J'en ai d'autres, si elle a trouvé un jouet opportun avec cela, tant mieux pour elle, mais il semblerait qu'elle se lasse rapidement du petit chapeau et préfère s'en éloigner. Si on m'avait dit qu'un bonnet serait une source de menace pour un chat. Je me réjouis d'autant plus d'avoir trouvé la bonne volonté de lui reconnaître cette qualité quand il me précise qu'on lui a collé cette image stéréotype au fond dans bien des cas. Je ne suis pas surprise pour un sou, c'est certain, ce n'est pas pour rien si ma « charmante » camarade était persuadée d'avoir sa chance avec lui sur une succession de malentendus. Pauvre chou.

« Pardon d'y avoir amèrement contribué, je reprends après avoir bu une gorgée d'eau salvatrice, au moins tu n'en es pas encore au stade d'asocial maladif paranoïaque, à la limite de la bête de foire. »

Je préfère penser que j'en suis toujours à la limite plutôt que d'avoir vraisemblablement franchi le seuil qui fait de moi une bête de foire, bien que je sois consciente que la majorité des étudiants me voient de la sorte depuis que la rumeur de ma grossesse s'est répandue comme une traînée de poudre à la Royal Private School. Disons que dans la catégorie des bras cassés, on fait assez bien la paire en fait et c'est sans doute pour cela que nous en sommes venus à boire en plaisantant sur nos malheurs respectifs. Triste réalité quand tu nous tiens. Heureusement que j'ai fini mon verre quand il pose sa question, sinon je crois que j'aurais avalé l'eau de travers. C'est peu délicat de lui en parler au vu de leur passé commun, mais ce n'est pas un drame non plus en fait. Voilà mon esprit s'embrouille, merci fatigue chérie.

« Assez. Disons qu'en comparaison avec la plupart des gens oui, j'explique en haussant les épaules, consciente que les personnes de mon entourage se comptent sur les doigts de la main, elle m'est venue en aide quand on a essayé de me piquer mon sac, alors forcément, passer ses nerfs sur un voleur mesquin ça rapproche. Je dirais même qu'elle a tendance à me materner par moments. »

D'où le fait que cela rendre les choses encore plus bizarres. Je ne vois pas Hikari se montrer protectrice avec moi et terriblement cruelle avec lui. Il doit y avoir une explication rationnelle à cela mais je suis trop claquée pour essayer de la trouver ce soir.

« Elle est pas méchante tu sais. Je suis sûre que ce qui s'est passé entre vous doit être un gros malentendu. »

Qui suis-je pour me mêler de leurs affaires au juste ? Non ça ne me vient pas à l'esprit que c'est une réflexion très déplacée, je préfère m'enfoncer sous la couette, poser confortablement ma tête sur l'oreiller et lâcher un petit bâillement, c'est plus facile.

&

who cares about where i've been?

Mais de quoi elle s'excuse? Déjà, j'ai du ruiner ma réputation à ses yeux au moment même où j'ai demandé à ce qu'elle vienne à mon cours en jupe ou en robe. En soi, je n'avais absolument pas dans l'idée de lui attirer des ennuis tels que ceux qu'elle connaît actuellement et, plus exactement, je n'aurais pas pensé m'en attirer autant du même coup, mais j'imagine que mon incapacité à gérer la situation s'est encore une fois prouvée de cette manière. Un soupir m'échappe quand elle énonce un profil assez dérangeant mais qui, si j'utilise un minimum le peu d'esprit logique que je possède, est facilement identifiable comme le sien. N'a-t-elle pas décidé de partir en Corée pour éviter d'avoir à fréquenter l'école et les cours? Les autres étudiants doivent être une véritable plaie dans ce genre de situations. Malheureusement, j'ai l'impression qu'aucun de mes mots ne serait capable de l'empêcher d'avoir cette impression.

« Je vois... Ça m'étonne pas vraiment en fait... »

Pendant quelques secondes, je ne peux m'empêcher de réfléchir à tout ce qu'il s'est passé ce soir, je ne peux agir comme si de rien n'était, comme si Hikari et moi n'avions pas eu cette conversation si tendue, si compliquée. Nous avons dit tant de choses qui nous tenaient à coeur, des choses que nous aurions voulu dire plus tôt, en vérité. Après avoir pensé vivre dans le mensonge pendant des années, je réalise que j'ai moi-même cru à l'histoire que l'on avait imaginée me faire gober. J'ai plongé tête baissée dans la gueule du loup, accepté une vérité erronnée. Hikari m'aimait vraiment, elle ne m'a pas quitté de son plein gré. Si tout ça est vrai, alors à quoi ont servi ces cinqs années? J'ai détruit ma vie pour rien, détesté une personne envers qui j'avais énormément d'affection, une personne que je n'aurais abandonnée pour rien au monde. Absolument rien. Cinq ans de gâchés à haïr une personne qui ne le méritait pas, une personne que je tenais pour responsable de choses qu'elle n'avait pas souhaité faire. Une pensée insupportable.

« Je sais. » Reprends-je finalement, lorsqu’elle évoque un probablement malentendu. « En fait, on a beaucoup discuté elle et moi. De ce qu’il s’est passé, tout ça. »

Oui, discuté. C’est plus facile de présenter les choses comme ça, de faire comme si notre entrevue n’avait compris que quelques mots, que quelques pensées, que quelques aveux qui étaient quand même assez compliqués à accepter. Pourquoi suis-je aussi lâche, hein ? Sur le moment, je préfère garder le silence et me redresser un peu après avoir donné ces quelques explications complexes, qui pourtant semblent plutôt floues à mes propres yeux, et je reprends la parole un peu plus tard, un soupir franchissant doucement mes lèvres.

« Je crois que tu devrais te reposer un peu maintenant. »

Ça évitera que la conversation ne s’attarde un peu plus sur le sujet Hikari, ça m’évitera de parler du point auquel la situation m’a semblé compliquée sur le moment. Quelque part, tout ça m’a soulagé d’un poids, mais j’ai l’impression que ça n’a rien simplifié.

&

who cares about where i've been ?

Je ne devrais pas essayer dans un piètre effort pathétique de tenir debout si tard alors que mes membres me crient que si je persiste, ils vont m’abandonner sans plus tarder. Déjà parce que je ressemble à une loque en décomposition, et je ne préfère même pas imaginer ce dont cela a l’air concrètement. C’est certainement moche, voilà tout. D’autre part, parce qu’il est évident que je peine à tenir une conversation un tant soit peu sérieuse et que j’approuverais en temps normal, avec l’ensemble de mes esprits. Est-ce une si mauvaise chose ? Si on se fonde sur le fait qu’Arisu ne m’a pas adressé de miaulement sévère – oui je me raccroche vraiment à n’importe quoi – qui m’indiquerait que je pars en vrille, cela ne paraît pas si grave. D’autant que bizarrement, Ryû a l’air d’approuver mes propos chaque fois que je prends la parole, cela doit bien être un signe comme quoi je ne suis pas encore totalement à côté de la plaque non ? Enfin, c’est Ryû, on peut être sceptique quant à ses capacités de jugement, mais il a l’air sobre, alors je préfère ne pas trop me poser de questions et songer que si j’étais en train de raconter des bêtises, il me l’aurait fait remarquer. A moins qu’il préfère se moquer de moi en secret.

Mon intuition, étrangement surdéveloppée pour les circonstances actuelles, a une fois de plus tapé en plein dans le mille et cette fois, malgré elle. Il semblerait qu’ils aient déjà mis les choses au clair lors de la visite de mon amie – je devrais lui envoyer un message demain pour prendre de ses nouvelles d’ailleurs – et je ne peux m’empêcher d’avoir l’impression que cela va mettre encore un peu d’ambiance dans les parages. Même épuisée, il m’apparaît clairement que, puisque tout ce qui s’est passé n’est qu’un mauvais souvenir créé par un concours d’évènements regrettables, cela risque de les rapprocher, mais à quel point, telle est la question. J’espère simplement ne pas avoir à écouter ses confidences sur un fichu triangle amoureux à la con.

« Ok ok. Tu me raconteras demain. Enfin, si ça ne t’embête pas. »

Sait-on jamais, il pourrait y avoir des détails qu’il préfère passer sous silence. Sans compter que j’aurais peut-être vaguement oublié ou que je n’aurais pas spécialement envie d’entendre le récit de cet épisode si je ressemble à un zombie avec une migraine affreuse. C’est une phrase un peu lancée dans le vide dirons-nous. Pour l’heure, mon vis-à-vis est plus que conscient que je commence à avoir du mal à garder les yeux ouverts et j’accueille son conseil de bonne grâce. Il ne faut pas oublier qu’on doit se lever demain, examen hebdomadaire du bébé oblige. Sans oublier de mentionner que cela commence à être difficile de s’adresser à quelqu’un quand la silhouette de ce dernier se floute constamment malgré soi.

« Tu as raison, ce serait dommage que tu sois obligé de me porter jusqu’au cabinet, je lâche avec un rire nerveux, bon courage pour le canapé. »

Un minimum de compassion pour son dos n’est pas de trop je suppose. Au vu de la situation, je lui aurais bien proposé de partager le lit mais comment dire, je n’ai pas tellement envie de raviver le souvenir du matin où je me suis réveillée sur lui. Ne tentons pas le diable. D’autant qu’Arisu a déjà pris place de façon royale sur l’emplacement libre à mes côtés, décrétant en quelque sorte qu’il s’agit d’une zone réservée aux filles. Je n’aurais pas trouvé mieux. Sur ces bonnes pensées, je m’enveloppe de la couverture et cède entièrement à l’appel du sommeil, sans plus me préoccuper du brun.

&

who cares about where i've been?

Au final, un peu de repos ne me ferait pas de mal. Je reprends donc la direction du salon, sans attendre, afin de dormir un peu, ne serait-ce que le reste de la nuit qui est déjà bien entamée.


Je me réveille une fois de plus, mes reins me font mal. Je crois que dormir dans le canapé commence à devenir quelque peu pénible et qu’il est temps que la demoiselle rentre chez elle afin que je puisse retrouver mon lit. J’suis trop vieux pour jouer à l’adolescent qui sort en soirée et se repose sur le canapé en rentrant. Enfin, j’suis pas croulant non plus, mais il faut avouer qu’il y a plus optimal comme situation, quand même. Je me lève difficilement pour éteindre mon téléphone qui sonne depuis quelques longues minutes visiblement. Un rappel ?

Bordel, un rappel ! Mes yeux se font ronds quand je réalise que j’ai failli oublier et que c’est forcément aujourd’hui qu’il fallait que le sommeil me prenne autant. Genre, d’habitude je dors trois heures, mais je suis un vrai loir le jour où ça ne devrait pas arriver. Heureusement que je mets les rappels plus tôt, putain. Néanmoins, je m’approche rapidement de la porte de la chambre pour y frapper quelques coups, assez forts, et m’adresser à Yun Hua sans attendre.

« Yun Hua ! Le rendez-vous, on va être en retard. »

Ouais, on va être en retard. Tout ça parce que je suis rentré tard et que je n’ai pas été capable de me réveiller à la bonne heure. Bravo. Bravo Ryû, on t’applaudit tous avec nos deux pieds et on t’encourage à activer ton cerveau avant qu’il soit vraiment périmé. Et à réveiller Yun Hua aussi. Je me rends à la cuisine afin de me préparer un café que je vide rapidement, parvenant au passage, comme un parfait imbécile, à me brûler légèrement le torse à cause de cette connerie, ce qui m’incite à aller très rapidement enfiler le haut que j’ai enlevé juste avant de dormir. Tant pis pour les vêtements, je changerai en rentrant. Là, on va être à la bourre. Et ça m’énerve. Je suis vraiment un boulet quand je veux.

Je me frotte un peu les yeux alors que je vérifie ne rien avoir oublié d’autre à faire dans la journée et je regarde l’heure en me demandant si Hikari est réveillée à l’heure qu’il est. Je devrais lui envoyer un message. Je pourrais, mais je ne sais pas si elle a besoin de moi maintenant, en fait. Il faudra que je voie si je dois aller la rechercher ou non, mais pour l’instant il faut que Yun Hua et moi allions à ce putain de rendez-vous gynécologique. Encore une nouveauté dans mon existence, les amis. Non, vraiment, qu’est-ce que je vais y foutre ? J’avais des questions, juste. Putain de nouilles.

&

who cares about where i've been ?

Rien de plus reposant ou d’apaisant qu’une bonne nuit de sommeil. C’est un état si agréable, une oasis de paix spirituelle et si délicieuse qu’on ne voudrait jamais quitter, qu’on apprécie avec une facilité presque effrayante si elle n’était pas si bienfaisante pour notre organisme. Le rêve absolu, encore davantage après qu’on a attendu ce repos si bien mérité avec impatience, comme un trophée remporté après tant d’efforts interminables. On ne pourrait souhaiter plus, si ce n’est qu’il ne se termine pas avant qu’on l’ait décidé. Que personne ne vienne nous en arracher. En faisant un bruit monstre contre la porte. Et presque hurler pour être certain d’être entendu. Bordel. J’ouvre difficilement les yeux, lâche un profond soupir d’agacement et me frotte les yeux avec une main, pendant que l’autre cherche mon téléphone à tâtons sur la table de nuit, histoire de voir quelle heure il est. C’est pas vrai. Déjà ?!

C’est donc en lâchant un charmant « Putain » très glamour, que je fais presque un bond, tétanisée par le fait que je suis clairement à la bourre, et que je me retrouve de l’autre côté du lit, prenant appui sur mes mains pour ne pas me rallonger, ce serait un piège trop cruel. Sauf que, devinez qui était toujours à côté de moi et donc sur qui ma main a eu le malheur de se poser ? Une jolie boule de poils qui ne manque pas de lâcher un râle outré, ni de me mettre un coup de griffe sur ladite main coupable qui a eu le malheur de s’appuyer sur une de ses pattes. Super. Je grimace à la vue des trois traces fines apparues sur le dos de ma main, pestant à la fois contre ma maladresse et contre la rancœur d’Arisu. Elle aurait pu faire preuve d’un minimum de compréhension pour cette fois mais je pense qu’elle non plus n’avait pas envie d’être brutalement tirée de son doux sommeil. Ce qui ne justifie pas le fait que ce soit à moi de faire les frais de son mécontentement. Je m’habille donc ainsi rapidement avec les premiers vêtements que je trouve, à savoir un vieux sweat gris à capuche et un legging noir, la classe incarnée en somme. Mais de toute façon, ce n’est pas comme si j’avais l’opportunité de séduire qui que ce soit en ce moment, alors je m’en fiche complètement. D’autant que c’est plus facile de les enfiler en évitant de les tâcher, car oui, la plaie dont m’a gratifiée Arisu commence à saigner.

Sans un mot, je sors en trombe de la chambre et file à une vitesse presque surhumaine vers la salle de bains, manquant de percuter Ryû sur mon chemin. Enfin, manquer, disons que je m’arrête pile à un demi-centimètre d’écart avant de courir à la catastrophe, car il est évident que ce n’est pas le moment. C’est à peine si je prends conscience de sa présence en fait. Pour l’heure, je préfère me coiffer histoire de ne pas ressembler à quelqu’un qui aurait eu l’idée de fêter Halloween mais pas le jour prévu pour cela et de tenter de trouver quelque chose pour désinfecter ces fichues marques de griffe. En vain bien sûr.

« T’as pas du désinfectant ? Ou de l’alcool ? Médical bien sûr »

Toujours un peu de sarcasme pour ne pas avoir l’impression d’être totalement dépassée par les évènements. Même si ma tête clame ouvertement le contraire. Bon sang. Un simple regard dans le miroir me fait bien comprendre que je ne peux pas sortir comme ça et je vais de suite chercher ma trousse de maquillage restée dans la chambre, que je fourre aussitôt dans mon sac. Il semblerait que ce soit l’occasion pour moi d’apprendre à me maquiller avec le strict minimum en voiture. Je prends d’ailleurs ledit sac sur mon épaule avant de revenir dans la salle de bains, priant pour que Ryû ait trouvé une solution à ce problème de griffures.

« T’as trouvé ?, je demande, non sans faire sentir mon empressement. »

Non parce que ça n’a peut-être pas l’air de grand-chose mais mine de rien, ça pique et ça gratte cette connerie.  

&

who cares about where i've been?

Médical, bien sûr ? Qu’est-ce qu’elle a fait encore ? Et pourquoi elle se sent obligée de préciser ça ? Un soupir m’échappe. On est déjà en retard, mais en plus elle va me faire chier.

« J’sais pas. »

Ouais non, j’sais pas, et à vrai dire j’ai pas trop compris pourquoi d’un coup elle me parle comme ça. Plus blasé qu’autre chose, je m’approche de l’armoire où je range habituellement les produits de soin et, en un soupir, je cherche la bouteille de désinfectant que je garde habituellement. Quand je l’ai trouvé, je le pose sur le bord de l’évier.

« Je t’attends dans la voiture, princesse, c’est à la salle de bain. Oublie pas de fermer. »

Oui, parce que bon, on va pas encore perdre du temps pour des conneries, si ? J’ai mieux à faire là et on doit aller à ce putain de rendez-vous. En fait, j’aurais peut-être pas du dire oui, j’aurais du simplement rester à l’appart pendant qu’elle y allait, puis tout aurait été plus simple. J’aurais gagné du temps et j’aurais pu faire autre chose de plus cool qu’attendre dans une salle qui pue le désinfectant. Oui, parce que ça sent, ces trucs, quand même.

C’est donc avec toute la détermination du monde que je prends ma veste au porte-manteau, me munis des clés de la voiture, puis prendre la direction du véhicule qui se trouve en bas. J’ai vraiment été super con d’oublier ce rendez-vous comme ça. Genre, j’aurais pas pu sortir plus tard encore. Remarquez, je réalise que je suis suffisamment con pour être allé conduire mon ex à l’extérieur de la ville sans prévenir la meuf qui vit non loin de chez moi, alors ça devrait pas vraiment m’étonner.

Quand la daigne enfin me faire l’honneur de sa présence, j’attends qu’elle ait fermé la portière pour mettre la voiture en route, sans lui adresser un mot. À croire que ce qu’elle a dit me reste en travers de la gorge, même si ce n’était pas forcément volontaire. J’ai fait le con, j’ai fait des erreurs, mais qu’on arrête de me le reprocher maintenant, c’est bon, non ?  

« Allez, avec un peu de chance, on arrivera encore à l’heure. »

Et donc j’allume le contact pour démarrer, parce qu’il faut pas penser que j’ai envie d’arriver en retard et d’avoir l’air d’un imbécile irresponsable, une fois encore. Oui parce qu’à force, j’ai l’impression que ça devient un peu ma réputation. En plus de celle de vieux prof pervers et alcoolique. Lol. Que c’est drôle.

&

who cares about where i've been ?

Non, le problème n’est pas que je suis une petite nature, ni que je suis particulièrement irritée par le fait qu’Arisu n’ait eu aucune pitié à mon égard, je peux en faire abstraction sans crier au monde entier combien cela peut éventuellement m’agacer. Mais zut, elle a de sacrées griffes la vilaine et elle m’a griffée à sang, alors non, je n’ai pas envie de prendre le risque que cela puisse s’infecter simplement parce que nous sommes pressés. Pour une fois que je fais preuve d’un semblant de responsabilité envers ma santé, on ne va pas s’en plaindre, si ? Et si. Je suis littéralement atterrée en revenant de la chambre d’entendre Ryû me qualifier de « princesse », simplement parce que je lui ai demandé ce petit service. Sans rire, ce doit être l’une des choses les plus anodines qu’il ait pu faire pour moi ces derniers jours, et c’est ça qui le rend soudainement désagréable ? Je peste entre mes dents contre ce changement brutal d’attitude une fois qu’il est sorti, un peu énervée de me rendre ça en pleine figure alors que ce n’est qu’une mince affaire. Il ne veut pas me reprocher de le faire lever si tôt tant qu’il y est ? La faute à qui si on n’a pas pu profiter d’une nuit convenable déjà ?

Dans un élan de tolérance compréhensive, enfin c’est approximatif, je me retiens pourtant de formuler toute remarque désagréable et me contente d’appliquer le désinfectant salvateur sur les trois griffures qui ornent désormais ma main. Elle ne m’a pas loupée, c’est certain. Malheureusement, cela ne suffit pas à empêcher le saignement et je me résigne donc à envelopper ma main avec deux feuilles de sopalin en guise de bandage de secours, puisque de toute évidence, je ne dispose pas du temps nécessaire pour me mettre à chercher des pansements. Espérons que cela s’arrête le temps du trajet en voiture. Je sais donc mon manteau dans l’entrée au passage et ne manque pas de refermer la porte d’entrée comme le brun me l’a – si gentiment – précisé, non sans prendre une grande inspiration. J’espère qu’il ne compte pas passer ses nerfs sur moi pendant la route, sinon ça ne va pas le faire, mais pas du tout. Je monte donc à bord du véhicule et ignore royalement les paroles de Ryû, bien qu’elles ne manquent pas de me faire sourire. Ce n’est pas comme si le médecin était habitué à ce que je sois parfaitement ponctuelle d’habitude.

J’en viens donc à mettre à exécution mon plan de maquillage en voiture, constatant une fois que plus que j’ai une mine épouvantable et je me réjouis alors une fois de plus d’être ambidextre avec ma main enroulée dans le sopalin. En soi, ce n’est pas si important pour passer des examens tels qu’un contrôle de la tension ou une échographie, mais c’est compulsif, je ne peux pas faire autrement, sans doute à cause du fait qu’on m’ait vannée sur mon physique pendant trop d’années. Cela dit, je ne suis pas non plus au détail près et mes efforts se concentrent essentiellement sur le teint. J’appliquerai une vague touche de mascara sur les yeux pour dire de. C’est justement au moment où je m’y affaire avec l’œil gauche, profitant qu’on soit arrêtés à un feu, que mon téléphone se met à vibrer. Maman. Quel timing génial. Un joli message qui me demande si nous sommes bien en route pour le rendez-vous – car oui elle m’a posé la question et s’est notamment enquise de savoir si le brun venait – ce que je lui confirme, et ce à quoi elle répond qu’il faut que je l’appelle après. Ça promet.

« Ne t’en fais, finis-je par lâcher en trouvant le silence un peu pesant, il sait que je ne suis jamais à l’heure pile. »

A vrai dire, j’ignore si cela suffira à le rassurer, mais je suppose qu’au moins, on ne m’en voudra pas d’avoir essayé. Je ne sais pas pourquoi il est si tendu, pourquoi faire preuve de ponctualité lui tient tellement à cœur. Sans doute est-ce parce qu’il s’engage dans quelque chose d’inconnu, il est vrai que pour ma part, c’est presque devenu une routine. Ce qui ne m’empêche pas d’émettre un soupir de soulagement une fois arrivés à destination, plus par crainte qu’il pique une crise de nerfs que par souci pour l’heure. Je me presse donc vers l’entrée du cabinet, supposant que Ryû m’emboîtera spontanément le pas et annonce mon nom à la secrétaire, chose pas forcément utile car elle semble me reconnaître, à force. Quelle n’est pas ma surprise quand elle me demande d’aller en salle d’attente, ce qui signifie qu’au final nous sommes loin d’être en retard. La joie des rendez-vous médicaux qui se trouvent toujours décalés de quelques minutes, voire même parfois d’une demi-heure. Et cela fait déjà dix minutes que j’étais supposée voir le médecin. Puisqu’il n’y a personne dans la salle d’attente en question, je décrète mentalement que c’est là une occasion magnifique pour poursuivre notre conversation d’hier avec Ryû.

« Bon, puisqu’on a un peu de temps devant nous, si tu me racontais ton entrevue avec Hikari en détails ? Que je sache de quoi elle parle si jamais le sujet vient dans notre prochaine conversation. »

Excuse bidon, bonjour. Vous pensiez que j’avais oublié hein ? Et non. Aussi, ne me prive-je pas de prendre un magazine traînant sur la table basse, posée en plein milieu de la pièce, et de m’asseoir sur une chaise, jambes croisées pour le feuilleter vaguement en attendant. J’ignore pour combien de temps on en a, alors autant l’optimiser en bavardant un peu.

&

who cares about where i've been?

Je regrette presque d’avoir accepté de garder Yun Hua avec moi pour la semaine. Tout comme je regrette d’avoir accepté de venir à ce rendez-vous avec elle. Pour une plaisanterie ? Oh oui, pour une « plaisanterie ». Sauf qu’elle était mal placée, celle-là, et que j’ai eu pas mal de problèmes à cause de mes soucis de bouteille. Comme le bébé qu’elle porte, par exemple, et je pense que c’est le plus gros de tous les ennuis que j’aurais pu avoir à cause de l’alcool. Non, parce qu’un mariage à Vegas avec la femme que j’aime, à côté de ça, c’est rien du tout, hein. C’est même plutôt une bonne chose. Ou du moins ça le serait si j’avais pu la recroiser depuis. Sauf qu’une fois encore j’ai l’air d’avoir la poisse.

« C’est pas une raison pour être en retard. »

Mais que j’arrête un peu de faire ma mauvaise tête ! Comment ça serait possible ? C’est stupide, je sais, enfin il paraît que ça l’est, mais ça m’empêchera pas de tirer la gueule pour ce qu’elle a dit tout à l’heure. Et si elle le comprend pas, j’aimerais bien que quelqu’un vienne lui enfoncer dans la tête qu’on ne plaisante pas sur un sujet comme ça. J’ai déjà beaucoup, beaucoup, beaucoup de mal à ne pas tomber bêtement dans ce penchant négatif de ma personnalité, et je me demande même comment je fais pour tenir aussi longtemps, d’ailleurs… Sans doute parce que je n’ai plus d’alcool chez moi ? Ça doit être ça. Soit. J’ai pas envie qu’on me rappelle ce défaut, merci.

Une fois sur place, je suis Yun Hua jusqu’à l’accueil, où on nous envoie à la salle d’attente. Non, genre, elle aurait pas pu me dire que son doc avait du retard habituellement ? Je sais pas, ça m’aurait semblé important comme information. Au cas où j’aurais voulu dormir. C’est pas comme si je dormais déjà mal d’habitude parce qu’elle squatte mon lit, hein. Putain.

« Tu lui demanderas lors de votre prochaine conversation. Pour l’instant, ça me regarde. Lis tes conneries plutôt. »

Ouais, qu’elle lise ses magazines de je ne sais quoi, qu’on aille à ce putain de rendez-vous et qu’on rentre à la maison après. Parce que j’en ai déjà marre, l’air de rien, et que j’ai autant de patience qu’un pois-chiche, alors je crois qu’il vaut mieux pas me chercher, là, tout de suite. Un soupir m’échappe d’ailleurs alors que j’appuie la tête sur le mur derrière moi. Au final je sais pas si c’est ce qu’elle m’a dit qui me rend nerveux, si c’est parce que je me suis brûlé avec du café ou si c’est parce qu’on est dans la salle d’attente de cet endroit. Je peux pas juste rentrer chez moi et la laisser aller au rendez-vous toute seule ?

« Bon alors, il arrive quand ? »

&

who cares about where i've been ?

Ma tête ne lui revient pas ? Il s’est pris quelque chose sur le crâne ? A moins qu’il ait avalé un truc de travers ? Je ne sais pas ce qui lui prend soudainement, mais il va de soi que Ryû n’est pas d’humeur et j’irais même jusqu’à dire qu’il a ouvertement une dent contre moi, pour une raison qui m’échappe. Ai-je dit quelque chose de travers sans m’en rendre compte ? Encore ? Sans rire, dans un moment pareil il n’a vraiment que ça à faire, tirer la bronche et se montrer cassant à chaque fois que j’essaie de relancer le dialogue ? Il semblerait que cette fois, se montrer honnête et un minimum sociable ne fonctionne pas, chose qui n’est pas sans m’exaspérer. Ce n’est pas comme si je comptais m’accrocher désespérément jusqu’à obtenir un mot sympathique de sa part, s’il veut tirer la tronche soit, qu’il le fasse, ce n’est pas pour autant qu’il doit se sentir obligé d’être aussi désagréable. Est-ce que j’y peux quelque chose s’il n’a pas pu bénéficier de son temps de sommeil habituel ? Je vous jure. Et son intervention dans la salle d’attente est la goutte qui fait déborder le vase. Je vais faire un meurtre.

« Bien sûr, je suis certaine qu’au moins elle aura l’amabilité de ne pas me répondre en me criant à moitié dessus, je rétorque sèchement en fermant le magazine que je replace sur la table avec énervement, c’est quoi ton problème au juste ? Parce que si ça te fait chier d’être là, vas-y je t’en prie tu peux y aller. Je n’ai pas besoin de toi si c’est pour faire grimper ma tension afin d'établir un nouveau record. »

Non parce que concrètement, je n’ai vraiment pas besoin de lui servir de punching-ball psychologique en ce moment. Moi non plus je n’ai pas passé la nuit de mes rêves et je suis également crevée, au point que je m’endormirais presque sur la chaise. Alors on peut aisément en déduire que les conditions ne sont déjà pas optimales pour les résultats d’analyse qui m’attendent, alors s’il en rajoute, je ne donne pas cher de ma peau dans vingt minutes. Un bon petit séjour aux urgences tiens, c’est vrai qu’il me manque ce détail à mon palmarès de catastrophes en tous genres, je serais bien amusée de le voir expliquer au téléphone à ma mère comment j’en suis venue à faire un arrêt cardio-vasculaire à cause de ses conneries. Je veux bien faire preuve de patience mais là, il ne faut pas non plus trop en demander.

Je n’ai pas envie de m’énerver, de toute manière, je ne dois pas m’énerver. Calme et sérénité sont censés être les mots d’ordre de mon comportement jusqu’à l’accouchement, mais en l’occurrence, on ne me facilite pas la tâche. Il ne me facilite pas la tâche, et si le génico me prescrit un repas complet sans concession possible, je lui en voudrais terriblement. Aux dernières nouvelles, ce n’est pas lui la femme enceinte avec des hormones qui jouent au yoyo quand l’envie leur en prend. Je laisse échapper un soupir de lassitude, constatant que ma vue se trouble légèrement et appuie ma tête contre le mur en espérant que ça passe.

« Je suis désolée si j’ai quelque chose qui t’a vexé ou si j’ai pris un ton désagréable. Ce n’était pas mon intention, je reprends d’un ton beaucoup plus posé, Juste, je te serais reconnaissante de mettre ta rancœur en pause pendant quelques minutes. Merci. »

Il m’énerve, je ne vois pas ce que j’ai fait de mal exactement, mais je pense qu’il est préférable d’essayer de calmer les choses plutôt que de les envenimer. Après m’être emportée contre lui d’abord, bravo Yun Hua pour ta logique légendaire. C’est étrange dans un sens que je tienne à ne pas être en conflit permanent avec Ryû, à une époque, cela ne me dérangeait absolument pas. Et je ne me serais pas non plus inquiétée parce qu’il mettait du temps à rentrer un soir. Tout part en vrille on dirait. Tout comme le fait que malgré tout, je suis soulagée qu’il soit là, de ne pas être seule ici pour une fois, même s’il est de mauvaise humeur et qu’il s’en moque probablement.

« Il devrait arriver dans quelques minutes, je poursuis en me redressant un peu, voyant de nouveau parfaitement clair, tu verras il est gentil. Mais c’est cool quand même d’être venu. »

Qui a dit que je me découragerais en me prenant un mur une fois ? De toute évidence, je suis partie pour m’entêter à vouloir apaiser l’atmosphère, j’espère simplement ne pas me prendre un retour de boomerang violent en contrepartie.

&

who cares about where i've been?

« J'ai jamais dit que ça me faisait chier d'être là, et je ne te crie pas à moitié dessus. »

À vrai dire, je suis même plutôt froid, alors je ne vois pas trop ce qu'elle vient inventer. Enfin, c'est pas comme si c'était habituel. Et le plus beau dans toute cette histoire c'est sans doute que madame sous-entend que je fais monter sa tension. Genre? Elle peut pas garder ses ennuis et comprendre que j'ai rien à voir avec ses histoires de tension? Si elle était bien foutue, ça arriverait pas. Et j'en ai rien à foutre qu'elle ait pas voulu le faire exprès, elle avait qu'à pas faire une blague comme ça alors qu'elle sait que j'ai des problèmes à ce niveau. Oui, ça m'énerve. Et oui j'essaie de me calmer. Mais pas de chance pour elle, je suis susceptible. Non, franchement.

« Oui, bah j'espère qu'il va arriver vite. »

Impatient? À peine. Je crois qu'en fait il aura suffi d'une petite blague pour pourrir ma journée entière? J'ai l'impression de perdre mon temps, là. Et ça m'exaspère, bordel, à un point pas possible. C'est donc les bras croisés que j'attends l'arrivée de ce très cher médecin qui semble mettre près de cinq milles ans à arriver. Et ça m'énerve. Encore. Et j'aurais bien envie de rentrer chez moi pour faire des choses mille fois plus intéressantes que ce que je fabrique actuellement.

Et enfin arrive la personne que nous attendons depuis près de cent cinquante ans. Au moins. Je m'efforce de sourire et de ravaler ma mauvaise humeur pour lui répondre que, oui, je suis le père. Bon, en soit, j'pourrais être un grand frère, un cousin, n'importe quoi, mais ça me semble parfaitement possible. Mais non. Coucou ! C'est moi le papa. J'suis tellement heureux que ma joie doit être palpable, là. Un sourire quelque peu figé prend place sur mon visage alors qu'elle nous invite à la suivre dans son cabinet, et moi à prendre place sur une chaise qui se trouve près d'un radiateur.

Maintenant, c'est quoi le plan? J'attends simplement qu'elle passe la visite, puis je pose mes questions? J'sais pas. Dans l'attente, je joins les doigts de mes mains d'un air contemplateur, comme si j'essayais de faire quelque chose de logique avec, mais je m'occupe juste. Génial comme occupation. Oui, parce que j'ai oublié mon téléphone à l'appartement, dans la précipitation, évidemment. Sans doute entre le moment où j'ai renversé mon café et celui où elle m'a demandé le désinfectant. Quelque chose comme ça. C’est quand même fou d’être aussi exaspéré pour des conneries. M’enfin, au moins, elle peut faire son rendez-vous tranquillement, on ne viendra pas me demander des comptes à ce niveau-là. Puis bon, ça m’intrigue quand même un peu. Juste un peu.

&

who cares about where i've been ?

Comme je regrette amèrement l’époque où j’avais entièrement le contrôle sur mes gestes et mes paroles, du moins suffisamment pour ne pas qu’ils engendrent des conséquences qui m’échappaient complètement. Cela fait un moment qu’il me semble que quoique je fasse, les choses ne tournent jamais comme je le souhaite ou pour un temps très réduit avant que le fiasco ne reparte de plus belle. A croire que j’en viens à perdre mes esprits, voilà que pour Ryû, mes reproches paraissent infondés et exagérés également. Se rend-il compte au juste avec quelle violence il s’adresse à moi ? A moins que ce soit moi qui prenne ses paroles trop au cœur ? Voilà où j’en suis, je ne peux même plus me fier aveuglément à mon propre jugement et je me remets constamment en question dès que les choses dérapent entre nous. Elle est loin l’époque où je lui lançais un test de grossesse au visage sans hésitation parce qu’il m’énervait. C’est comme si des années étaient passées depuis, je me rends à peine compte du changement brutal qui s’est produit depuis le jour où j’ai fait ce satané test. C’est presque si je ne voudrais pas passer le reste des mois qui me séparent du terme de la grossesse en hibernation et qu’on me réveille juste pour le jour J. Si seulement c’était possible.

Heureusement, le médecin finit par arriver pour mettre un terme à cette atmosphère pesante et enfin aller à l’essentiel de notre venue ici. Je réprime même un soupir narquois en voyant l’expression du brun changer du tout au tout face au gynécologue, sans doute parce que monsieur est soucieux de faire bonne figure. Le pire c’est que ça fonctionne. Après m’avoir saluée comme à l’ordinaire, le médecin en question ne manque pas d’adresser un regard ravi, presque soulagé comme s’il venait d’assister à un miracle, en direction de Ryû.

« Ah, je vois que vous êtes accompagnée cette fois, mademoiselle. C’est bien. »

Ce n’est pas exactement l’expression que j’aurais employée mais passons, je me contente d’esquisser un petit sourire avant de prendre le chemin de son cabinet, laissant Ryû lui expliquer qu’il est le père. Je crois même que cela ne fait que conforter le professionnel de santé dans son soulagement. S’il savait. Il s’installe tranquillement à son bureau tandis que nous choisissons que prendre sur des chaises libres dans la pièce, Ryû semblant décidé à rester dans son coin autant que possible. Je vous jure. Je tends mon dossier avec tous les éléments récapitulant mon état actuel à la demande du médecin, qui les examine pendant plusieurs secondes, avant de reprendre subitement la parole.

« Vous étiez censée rester en Corée pendant un moment si je me souviens bien ... ? »

« Oui. Mais il y a eu un changement en cours de route, j’explique en essayant de ne pas trahir ma lassitude à cette pensée. »

Ce qui me fait penser que je dois toujours réfléchir à la façon dont je vais « remercier » ma mère pour cette charmante surprise. Il énonce alors un bref « Je vois. », avant d’annoncer qu’il commencerait par vérifier ma tension. Quelle surprise, j’aurais presque pu le deviner sans avoir d’indice. En même temps, comme j’ai déjà eu mon rendez-vous du mois la semaine dernière, il n’y a pas grand-chose d’autre à contrôler en vérité, à part faire l’échographie prescrite bien entendu. Je m’installe donc sur le divan d’examen comme à mon habitude et relève la manche de mon sweat afin qu’il puisse disposer l’appareil convenablement. Inutile de préciser que je suis un peu anxieuse et qu’avoir Ryû dans ma ligne de vue m’aide à calmer la petite montée de stress que je sens venir. Ce qui en soi n’a aucun sens. Une fois que je sens la pression se relâcher autour de mon bras, je reporte mon attention sur le médecin et ne manque pas de m’inquiéter à la vue de son expression quelque peu étonnée.

« Il y a du progrès, commente-t-il en esquissant un sourire rassurant à mon égard, c’est loin d’être optimal bien entendu, il faut poursuivre le traitement. Mais il y a du mieux. Je crois que votre nouvel environnement vous est bénéfique. »

Est-il réellement obligé d’adresser un regard complice à Ryû en disant cela ? Je me retiens de pester face à cette observation, sentant d’avance que le brun se fera un plaisir de me resservir ce constat sur un plateau la prochaine fois que j’aurais le malheur de lui adresser le moindre reproche. C’est le pompon, je fais une montée de tension inattendue quand je suis au calme chez ma mère et les choses s’améliorent quand je suis contrainte de séjourner chez Ryû. Non, il n’y a pas la moindre logique à cela semblerait-il.

« Ah, vous avez peut-être des questions monsieur avant qu’on ne commence l’échographie ? »

Question censée, car c’est un peu pour cela que Ryû s’est décidé à venir me semble-t-il. En attendant, le médecin se met à la recherche du très célèbre liquide froid quelque peu désagréable, tandis que je relève mon sweat afin de dégager l’accès à mon ventre en prévision. Ventre qui me paraît toujours plus gros à chaque fois que je me prête à le contempler. En espérant que le bout de chou à l’intérieur se porte bien.

&

who cares about where i've been?

Aux propos du médecin, je crois comprendre que Yun Hua n'a pas prévenu de ma venue aujourd'hui. C'est pas grave, elle peut pas tout savoir. Mais bien sûr. En plus j'ose croire que je dois avoir une bonne image aux yeux de ce gars, vu que je ne me suis présenté à aucun des autres rendez-vous? Je n'entends pas par là qu'elle aurait dit des infamités sur moi, mais il faut bien imaginer ce que ce type peut penser d'un homme qui ne daigne pas accompagner la fille qu'il a mise enceinte à ses rendez-vous médicaux? Avec un peu de chance, elle lui aura expliqué la situation problématique dans laquelle on se trouve. Sauf que j'ai malheureusement pas beaucoup de chance depuis quelques mois, et que si ça tombe, elle n'a rien dit parce qu'on ne lui a pas posé la question?

Dans tous les cas, je souris comme je peux, bien que j'aie beaucoup de mal à garder cette expression, puis je m'installe en attendant calmement qu'ils s'occupent de tout ce qu'ils ont à faire, écoutant à peine ce qu'ils se racontent, bien que je n'aie pas vraiment plus intéressant à faire pour l'instant. À part compter mes doigts, je vois pas trop ce que je pourrais essayer. Peut-être chercher les moches? S'il y a des mouches dans un cabinet de gynéco, bien sûr. Ce qui m'étonnerait quand même. J'veux dire, ils font quand même des examens particuliers ici, non? J'sais pas, ça me plairait pas d'aller chez un médecin qui a un cabinet rempli de mouches. Bref. On va compter ses doigts, puisqu'il y a rien de mieux à foutre.

Et quand je vois que le médecin me regarde, je lève les yeux et lui adresse un sourire. Qu'est-ce que j'en sais de si c'est bénéfique ou pas? Plus clairement, qu'est-ce que je m'en fous? Je me calme, oui, mais je n'oublie pas. En vrai, j'ai clairement l'impression de ne pas être à ma place dans ce foutu cabinet, que je suis juste la plante verte qui décore la pièce. Dans un sens, c'est plutôt normal, c'est pas moi la créature à vagin ici. Si? Elle me bafferait si elle avait entendu cette phrase, je crois. Enfin, c'est pas comme si elle me tenait en estime habituellement, de toute façon. Elle l'a dit hier: un imbécile avec des problèmes d'alcool, c'est tout ce que je suis, et aux yeux de pas mal de gens, d'ailleurs.

«  Hm?  » J'ai de nouveau relevé la tête quand le médecin m'a posé une question. Si j'en ai? « J'aurais juste voulu connaître le sexe du bébé.  »

Pas important? Non, je sais. En fait, j'ignore pourquoi ça m'intéresse. Peut-être pour savoir à quel genre je vais céder mes caractéristiques incroyable? Mes compétences d'alcoolique? Génial. J'ai juste envie de savoir si ce bébé sera un gamin ou une gamine, en fait. La curiosité a toujours fait partie de ma personnalité, après tout. C'est juste logique. Et comme Yun Hua n'a pas daigné me donner l'information parce qu'elle ne la connaissait pas. Ahah.

« Enfin, j'imagine que vous le connaissez déjà, de toute façon? »