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Je regrette presque d’avoir accepté de garder Yun Hua avec moi pour la semaine. Tout comme je regrette d’avoir accepté de venir à ce rendez-vous avec elle. Pour une plaisanterie ? Oh oui, pour une « plaisanterie ». Sauf qu’elle était mal placée, celle-là, et que j’ai eu pas mal de problèmes à cause de mes soucis de bouteille. Comme le bébé qu’elle porte, par exemple, et je pense que c’est le plus gros de tous les ennuis que j’aurais pu avoir à cause de l’alcool. Non, parce qu’un mariage à Vegas avec la femme que j’aime, à côté de ça, c’est rien du tout, hein. C’est même plutôt une bonne chose. Ou du moins ça le serait si j’avais pu la recroiser depuis. Sauf qu’une fois encore j’ai l’air d’avoir la poisse.

« C’est pas une raison pour être en retard. »

Mais que j’arrête un peu de faire ma mauvaise tête ! Comment ça serait possible ? C’est stupide, je sais, enfin il paraît que ça l’est, mais ça m’empêchera pas de tirer la gueule pour ce qu’elle a dit tout à l’heure. Et si elle le comprend pas, j’aimerais bien que quelqu’un vienne lui enfoncer dans la tête qu’on ne plaisante pas sur un sujet comme ça. J’ai déjà beaucoup, beaucoup, beaucoup de mal à ne pas tomber bêtement dans ce penchant négatif de ma personnalité, et je me demande même comment je fais pour tenir aussi longtemps, d’ailleurs… Sans doute parce que je n’ai plus d’alcool chez moi ? Ça doit être ça. Soit. J’ai pas envie qu’on me rappelle ce défaut, merci.

Une fois sur place, je suis Yun Hua jusqu’à l’accueil, où on nous envoie à la salle d’attente. Non, genre, elle aurait pas pu me dire que son doc avait du retard habituellement ? Je sais pas, ça m’aurait semblé important comme information. Au cas où j’aurais voulu dormir. C’est pas comme si je dormais déjà mal d’habitude parce qu’elle squatte mon lit, hein. Putain.

« Tu lui demanderas lors de votre prochaine conversation. Pour l’instant, ça me regarde. Lis tes conneries plutôt. »

Ouais, qu’elle lise ses magazines de je ne sais quoi, qu’on aille à ce putain de rendez-vous et qu’on rentre à la maison après. Parce que j’en ai déjà marre, l’air de rien, et que j’ai autant de patience qu’un pois-chiche, alors je crois qu’il vaut mieux pas me chercher, là, tout de suite. Un soupir m’échappe d’ailleurs alors que j’appuie la tête sur le mur derrière moi. Au final je sais pas si c’est ce qu’elle m’a dit qui me rend nerveux, si c’est parce que je me suis brûlé avec du café ou si c’est parce qu’on est dans la salle d’attente de cet endroit. Je peux pas juste rentrer chez moi et la laisser aller au rendez-vous toute seule ?

« Bon alors, il arrive quand ? »

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Ma tête ne lui revient pas ? Il s’est pris quelque chose sur le crâne ? A moins qu’il ait avalé un truc de travers ? Je ne sais pas ce qui lui prend soudainement, mais il va de soi que Ryû n’est pas d’humeur et j’irais même jusqu’à dire qu’il a ouvertement une dent contre moi, pour une raison qui m’échappe. Ai-je dit quelque chose de travers sans m’en rendre compte ? Encore ? Sans rire, dans un moment pareil il n’a vraiment que ça à faire, tirer la bronche et se montrer cassant à chaque fois que j’essaie de relancer le dialogue ? Il semblerait que cette fois, se montrer honnête et un minimum sociable ne fonctionne pas, chose qui n’est pas sans m’exaspérer. Ce n’est pas comme si je comptais m’accrocher désespérément jusqu’à obtenir un mot sympathique de sa part, s’il veut tirer la tronche soit, qu’il le fasse, ce n’est pas pour autant qu’il doit se sentir obligé d’être aussi désagréable. Est-ce que j’y peux quelque chose s’il n’a pas pu bénéficier de son temps de sommeil habituel ? Je vous jure. Et son intervention dans la salle d’attente est la goutte qui fait déborder le vase. Je vais faire un meurtre.

« Bien sûr, je suis certaine qu’au moins elle aura l’amabilité de ne pas me répondre en me criant à moitié dessus, je rétorque sèchement en fermant le magazine que je replace sur la table avec énervement, c’est quoi ton problème au juste ? Parce que si ça te fait chier d’être là, vas-y je t’en prie tu peux y aller. Je n’ai pas besoin de toi si c’est pour faire grimper ma tension afin d'établir un nouveau record. »

Non parce que concrètement, je n’ai vraiment pas besoin de lui servir de punching-ball psychologique en ce moment. Moi non plus je n’ai pas passé la nuit de mes rêves et je suis également crevée, au point que je m’endormirais presque sur la chaise. Alors on peut aisément en déduire que les conditions ne sont déjà pas optimales pour les résultats d’analyse qui m’attendent, alors s’il en rajoute, je ne donne pas cher de ma peau dans vingt minutes. Un bon petit séjour aux urgences tiens, c’est vrai qu’il me manque ce détail à mon palmarès de catastrophes en tous genres, je serais bien amusée de le voir expliquer au téléphone à ma mère comment j’en suis venue à faire un arrêt cardio-vasculaire à cause de ses conneries. Je veux bien faire preuve de patience mais là, il ne faut pas non plus trop en demander.

Je n’ai pas envie de m’énerver, de toute manière, je ne dois pas m’énerver. Calme et sérénité sont censés être les mots d’ordre de mon comportement jusqu’à l’accouchement, mais en l’occurrence, on ne me facilite pas la tâche. Il ne me facilite pas la tâche, et si le génico me prescrit un repas complet sans concession possible, je lui en voudrais terriblement. Aux dernières nouvelles, ce n’est pas lui la femme enceinte avec des hormones qui jouent au yoyo quand l’envie leur en prend. Je laisse échapper un soupir de lassitude, constatant que ma vue se trouble légèrement et appuie ma tête contre le mur en espérant que ça passe.

« Je suis désolée si j’ai quelque chose qui t’a vexé ou si j’ai pris un ton désagréable. Ce n’était pas mon intention, je reprends d’un ton beaucoup plus posé, Juste, je te serais reconnaissante de mettre ta rancœur en pause pendant quelques minutes. Merci. »

Il m’énerve, je ne vois pas ce que j’ai fait de mal exactement, mais je pense qu’il est préférable d’essayer de calmer les choses plutôt que de les envenimer. Après m’être emportée contre lui d’abord, bravo Yun Hua pour ta logique légendaire. C’est étrange dans un sens que je tienne à ne pas être en conflit permanent avec Ryû, à une époque, cela ne me dérangeait absolument pas. Et je ne me serais pas non plus inquiétée parce qu’il mettait du temps à rentrer un soir. Tout part en vrille on dirait. Tout comme le fait que malgré tout, je suis soulagée qu’il soit là, de ne pas être seule ici pour une fois, même s’il est de mauvaise humeur et qu’il s’en moque probablement.

« Il devrait arriver dans quelques minutes, je poursuis en me redressant un peu, voyant de nouveau parfaitement clair, tu verras il est gentil. Mais c’est cool quand même d’être venu. »

Qui a dit que je me découragerais en me prenant un mur une fois ? De toute évidence, je suis partie pour m’entêter à vouloir apaiser l’atmosphère, j’espère simplement ne pas me prendre un retour de boomerang violent en contrepartie.

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« J'ai jamais dit que ça me faisait chier d'être là, et je ne te crie pas à moitié dessus. »

À vrai dire, je suis même plutôt froid, alors je ne vois pas trop ce qu'elle vient inventer. Enfin, c'est pas comme si c'était habituel. Et le plus beau dans toute cette histoire c'est sans doute que madame sous-entend que je fais monter sa tension. Genre? Elle peut pas garder ses ennuis et comprendre que j'ai rien à voir avec ses histoires de tension? Si elle était bien foutue, ça arriverait pas. Et j'en ai rien à foutre qu'elle ait pas voulu le faire exprès, elle avait qu'à pas faire une blague comme ça alors qu'elle sait que j'ai des problèmes à ce niveau. Oui, ça m'énerve. Et oui j'essaie de me calmer. Mais pas de chance pour elle, je suis susceptible. Non, franchement.

« Oui, bah j'espère qu'il va arriver vite. »

Impatient? À peine. Je crois qu'en fait il aura suffi d'une petite blague pour pourrir ma journée entière? J'ai l'impression de perdre mon temps, là. Et ça m'exaspère, bordel, à un point pas possible. C'est donc les bras croisés que j'attends l'arrivée de ce très cher médecin qui semble mettre près de cinq milles ans à arriver. Et ça m'énerve. Encore. Et j'aurais bien envie de rentrer chez moi pour faire des choses mille fois plus intéressantes que ce que je fabrique actuellement.

Et enfin arrive la personne que nous attendons depuis près de cent cinquante ans. Au moins. Je m'efforce de sourire et de ravaler ma mauvaise humeur pour lui répondre que, oui, je suis le père. Bon, en soit, j'pourrais être un grand frère, un cousin, n'importe quoi, mais ça me semble parfaitement possible. Mais non. Coucou ! C'est moi le papa. J'suis tellement heureux que ma joie doit être palpable, là. Un sourire quelque peu figé prend place sur mon visage alors qu'elle nous invite à la suivre dans son cabinet, et moi à prendre place sur une chaise qui se trouve près d'un radiateur.

Maintenant, c'est quoi le plan? J'attends simplement qu'elle passe la visite, puis je pose mes questions? J'sais pas. Dans l'attente, je joins les doigts de mes mains d'un air contemplateur, comme si j'essayais de faire quelque chose de logique avec, mais je m'occupe juste. Génial comme occupation. Oui, parce que j'ai oublié mon téléphone à l'appartement, dans la précipitation, évidemment. Sans doute entre le moment où j'ai renversé mon café et celui où elle m'a demandé le désinfectant. Quelque chose comme ça. C’est quand même fou d’être aussi exaspéré pour des conneries. M’enfin, au moins, elle peut faire son rendez-vous tranquillement, on ne viendra pas me demander des comptes à ce niveau-là. Puis bon, ça m’intrigue quand même un peu. Juste un peu.

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Comme je regrette amèrement l’époque où j’avais entièrement le contrôle sur mes gestes et mes paroles, du moins suffisamment pour ne pas qu’ils engendrent des conséquences qui m’échappaient complètement. Cela fait un moment qu’il me semble que quoique je fasse, les choses ne tournent jamais comme je le souhaite ou pour un temps très réduit avant que le fiasco ne reparte de plus belle. A croire que j’en viens à perdre mes esprits, voilà que pour Ryû, mes reproches paraissent infondés et exagérés également. Se rend-il compte au juste avec quelle violence il s’adresse à moi ? A moins que ce soit moi qui prenne ses paroles trop au cœur ? Voilà où j’en suis, je ne peux même plus me fier aveuglément à mon propre jugement et je me remets constamment en question dès que les choses dérapent entre nous. Elle est loin l’époque où je lui lançais un test de grossesse au visage sans hésitation parce qu’il m’énervait. C’est comme si des années étaient passées depuis, je me rends à peine compte du changement brutal qui s’est produit depuis le jour où j’ai fait ce satané test. C’est presque si je ne voudrais pas passer le reste des mois qui me séparent du terme de la grossesse en hibernation et qu’on me réveille juste pour le jour J. Si seulement c’était possible.

Heureusement, le médecin finit par arriver pour mettre un terme à cette atmosphère pesante et enfin aller à l’essentiel de notre venue ici. Je réprime même un soupir narquois en voyant l’expression du brun changer du tout au tout face au gynécologue, sans doute parce que monsieur est soucieux de faire bonne figure. Le pire c’est que ça fonctionne. Après m’avoir saluée comme à l’ordinaire, le médecin en question ne manque pas d’adresser un regard ravi, presque soulagé comme s’il venait d’assister à un miracle, en direction de Ryû.

« Ah, je vois que vous êtes accompagnée cette fois, mademoiselle. C’est bien. »

Ce n’est pas exactement l’expression que j’aurais employée mais passons, je me contente d’esquisser un petit sourire avant de prendre le chemin de son cabinet, laissant Ryû lui expliquer qu’il est le père. Je crois même que cela ne fait que conforter le professionnel de santé dans son soulagement. S’il savait. Il s’installe tranquillement à son bureau tandis que nous choisissons que prendre sur des chaises libres dans la pièce, Ryû semblant décidé à rester dans son coin autant que possible. Je vous jure. Je tends mon dossier avec tous les éléments récapitulant mon état actuel à la demande du médecin, qui les examine pendant plusieurs secondes, avant de reprendre subitement la parole.

« Vous étiez censée rester en Corée pendant un moment si je me souviens bien ... ? »

« Oui. Mais il y a eu un changement en cours de route, j’explique en essayant de ne pas trahir ma lassitude à cette pensée. »

Ce qui me fait penser que je dois toujours réfléchir à la façon dont je vais « remercier » ma mère pour cette charmante surprise. Il énonce alors un bref « Je vois. », avant d’annoncer qu’il commencerait par vérifier ma tension. Quelle surprise, j’aurais presque pu le deviner sans avoir d’indice. En même temps, comme j’ai déjà eu mon rendez-vous du mois la semaine dernière, il n’y a pas grand-chose d’autre à contrôler en vérité, à part faire l’échographie prescrite bien entendu. Je m’installe donc sur le divan d’examen comme à mon habitude et relève la manche de mon sweat afin qu’il puisse disposer l’appareil convenablement. Inutile de préciser que je suis un peu anxieuse et qu’avoir Ryû dans ma ligne de vue m’aide à calmer la petite montée de stress que je sens venir. Ce qui en soi n’a aucun sens. Une fois que je sens la pression se relâcher autour de mon bras, je reporte mon attention sur le médecin et ne manque pas de m’inquiéter à la vue de son expression quelque peu étonnée.

« Il y a du progrès, commente-t-il en esquissant un sourire rassurant à mon égard, c’est loin d’être optimal bien entendu, il faut poursuivre le traitement. Mais il y a du mieux. Je crois que votre nouvel environnement vous est bénéfique. »

Est-il réellement obligé d’adresser un regard complice à Ryû en disant cela ? Je me retiens de pester face à cette observation, sentant d’avance que le brun se fera un plaisir de me resservir ce constat sur un plateau la prochaine fois que j’aurais le malheur de lui adresser le moindre reproche. C’est le pompon, je fais une montée de tension inattendue quand je suis au calme chez ma mère et les choses s’améliorent quand je suis contrainte de séjourner chez Ryû. Non, il n’y a pas la moindre logique à cela semblerait-il.

« Ah, vous avez peut-être des questions monsieur avant qu’on ne commence l’échographie ? »

Question censée, car c’est un peu pour cela que Ryû s’est décidé à venir me semble-t-il. En attendant, le médecin se met à la recherche du très célèbre liquide froid quelque peu désagréable, tandis que je relève mon sweat afin de dégager l’accès à mon ventre en prévision. Ventre qui me paraît toujours plus gros à chaque fois que je me prête à le contempler. En espérant que le bout de chou à l’intérieur se porte bien.

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Aux propos du médecin, je crois comprendre que Yun Hua n'a pas prévenu de ma venue aujourd'hui. C'est pas grave, elle peut pas tout savoir. Mais bien sûr. En plus j'ose croire que je dois avoir une bonne image aux yeux de ce gars, vu que je ne me suis présenté à aucun des autres rendez-vous? Je n'entends pas par là qu'elle aurait dit des infamités sur moi, mais il faut bien imaginer ce que ce type peut penser d'un homme qui ne daigne pas accompagner la fille qu'il a mise enceinte à ses rendez-vous médicaux? Avec un peu de chance, elle lui aura expliqué la situation problématique dans laquelle on se trouve. Sauf que j'ai malheureusement pas beaucoup de chance depuis quelques mois, et que si ça tombe, elle n'a rien dit parce qu'on ne lui a pas posé la question?

Dans tous les cas, je souris comme je peux, bien que j'aie beaucoup de mal à garder cette expression, puis je m'installe en attendant calmement qu'ils s'occupent de tout ce qu'ils ont à faire, écoutant à peine ce qu'ils se racontent, bien que je n'aie pas vraiment plus intéressant à faire pour l'instant. À part compter mes doigts, je vois pas trop ce que je pourrais essayer. Peut-être chercher les moches? S'il y a des mouches dans un cabinet de gynéco, bien sûr. Ce qui m'étonnerait quand même. J'veux dire, ils font quand même des examens particuliers ici, non? J'sais pas, ça me plairait pas d'aller chez un médecin qui a un cabinet rempli de mouches. Bref. On va compter ses doigts, puisqu'il y a rien de mieux à foutre.

Et quand je vois que le médecin me regarde, je lève les yeux et lui adresse un sourire. Qu'est-ce que j'en sais de si c'est bénéfique ou pas? Plus clairement, qu'est-ce que je m'en fous? Je me calme, oui, mais je n'oublie pas. En vrai, j'ai clairement l'impression de ne pas être à ma place dans ce foutu cabinet, que je suis juste la plante verte qui décore la pièce. Dans un sens, c'est plutôt normal, c'est pas moi la créature à vagin ici. Si? Elle me bafferait si elle avait entendu cette phrase, je crois. Enfin, c'est pas comme si elle me tenait en estime habituellement, de toute façon. Elle l'a dit hier: un imbécile avec des problèmes d'alcool, c'est tout ce que je suis, et aux yeux de pas mal de gens, d'ailleurs.

«  Hm?  » J'ai de nouveau relevé la tête quand le médecin m'a posé une question. Si j'en ai? « J'aurais juste voulu connaître le sexe du bébé.  »

Pas important? Non, je sais. En fait, j'ignore pourquoi ça m'intéresse. Peut-être pour savoir à quel genre je vais céder mes caractéristiques incroyable? Mes compétences d'alcoolique? Génial. J'ai juste envie de savoir si ce bébé sera un gamin ou une gamine, en fait. La curiosité a toujours fait partie de ma personnalité, après tout. C'est juste logique. Et comme Yun Hua n'a pas daigné me donner l'information parce qu'elle ne la connaissait pas. Ahah.

« Enfin, j'imagine que vous le connaissez déjà, de toute façon? »

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Il faut croire que je dois me résigner au fait que pour une raison inconnue, le médecin a une très bonne impression concernant Ryû, chose étrange pour quelqu’un qui saisit plus ou moins le contexte délicat de ma grossesse. Ne serait-ce que par son absence lors de mes visites au cabinet et je me souviens encore du regard presque accusateur de l’infirmière qui nous avait reçus à la clinique le jour où tout a basculé – petit effet dramatique attention – à notre arrivée. C’est presque si elle ne nous aurait pas traités de dépravés et nous reprocherait de contribuer à la décadence du pays, si je n’avais pas été aussi tétanisée sur l’instant, je crois que je lui en aurais touché deux mots. Mais il semblerait que cette fois, le médecin se montre plutôt compréhensif, chose d’ailleurs peu étonnante si je repense à la patience et à la compassion dont il a fait preuve à mon égard. En évitant gentiment de poser des questions trop embarrassantes auxquelles je n’avais pas le cœur de répondre, comme parler du « père » en l’occurrence. A cette question qu’il n’a posé qu’une fois au début, je m’étais contentée d’un simple et vague « c’est compliqué », ce qui résume assez bien la situation, et encore, je ne savais pas que Ryû avait eu la brillante idée d’aller se marier à Vegas entre-temps. Ne devrait-il pas s’occuper davantage de sa bien-aimée plutôt que de m’accompagner d’ailleurs ?

J’ignore en revanche par quel sujet le brun souhaite commencer concernant cet enfant dont le destin est encore loin d’être acquis. Les résultats ont beau être un peu plus positifs, cela ne veut pas dire que c’est gagné d’avance, je dois être particulièrement vigilante, j’en suis bien consciente, je ne suis pas complètement irresponsable non plus. Je lève les yeux au ciel, ne partageant en aucun cas le sourire rassurant du gynécologue qui s’attendait de toute évidence à ce que cette question arrive sur le tapis à un moment ou un autre. Je ne comprends pas pourquoi cela lui tient tant à cœur de savoir s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon, à quoi bon de toute manière puisqu’on n’est définitivement pas partis pour réussir à l’élever nous-mêmes ? Le médecin a tout de même suffisamment de considération à mon égard pour m’interroger du regard pour savoir si ça me dérange mais je fais un mouvement de tête qui signifie que je m’en fiche. Du moins j’essaie. Il attend de poser la sonde sur mon ventre enduit du produit froid pour donner l’information tant désirée à Ryû.

« C’est un garçon. Très énergique en plus, regardez, affirme-t-il en pointant la petite forme apparue sur l’écran. »

Dans un moment d’inconscience, et d’irrespect total pour tous les résolutions que j’avais prises, j’ai le réflexe de tourner la tête pour regarder l’écran en question. Est-il bien nécessaire de préciser que mon cœur se serre à la vue de ce petit être que j’identifie maintenant comme un petit garçon ? Je ne me souviens même plus si j’avais eu la curiosité de le regarder auparavant. Sans doute avais-je alors conscience que je serais assurément chamboulée en voyant enfin se dessiner les traits du bout de chou à l’intérieur de mon ventre. J’en pleurerais presque.

« Bon, il est un peu plus petit que la moyenne, mais rien d’alarmant, reprend le médecin en observant l’image avec un air concentré, une bonne alimentation, un peu d’exercice et ce sera un bon gaillard, ne vous en faites pas »

Parfois, je m’interroge sur le fait que le personnel médical en général puisse avoir des dons de télépathie. Ou une anticipation hors du commun car oui, cela m’inquiète un peu de savoir que l’enfant puisse être une crevette en l’occurrence par rapport aux autres fœtus. Mais j’imagine que s’il y a un risque réel il nous le dirait, non ? Ce qui ne m’empêche pas d’avoir toujours une mine préoccupée en rabaissant mon sweat et en descendant du divan, le regard fixé sur les photos de l’échographie que le médecin s’apprête à ranger dans la pochette de mon dossier comme à l’ordinaire. Sauf que pour le coup, la situation ne s’est pas vraiment passée comme à l’ordinaire.

« Attends… Je… Je peux les regarder s’il vous plaît ? »

Je ne sais pas ce qui me prend, c’est idiot d’agir ainsi mais j’ai besoin de regarder de plus le petit être qui grandit en moi, alors que je m’étais promise de ne rien faire pour m’y attacher. Une fois de plus, il se montre compréhensif et me tend lesdites photos que j’examine avec émotion, alors qu’il reporte son attention sur Ryû, certainement pour savoir s’il n’a pas d’autres questions à propos du bébé. Ce petit garçon qui bouge avec tant de vigueur. Oh mon dieu. J’inspire profondément pour réprimer la crise de larmes que je sens venir. Comment suis-je supposée me séparer de lui sans broncher si une simple photo d’échographie me fait cet effet-là ?

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Pour être tout à fait franc, j'ignore pour quelle raison le médecin me parle comme si ma venue était la meilleure chose qui soit arrivée dans sa vie depuis des années. Peut-être qu'il manque de présence masculine? Qu'il a soudainement envie de se faire des potes? Je sais pas. Enfin, je n'aurais pas forcément envie d'être super sympathique avec un homme qui aurait mis enceinte une femme d'à peine vingt ans. Enfin, je continue de trouver la situation terriblement problématique et j'imagine ne pas être la seule personne à le faire, mais... Je ne sais pas, ce gynécologue à l'air particulièrement heureux que je sois là, en fin de compte. Peut-être qu'il voit ça comme un peu de responsabilité? Un exploit de la part de l'imbécile alcoolique que je suis.

Et après qu'il ait décidé de consulter Yun Hua pour obtenir son accord, le verdict tombe. Un garçon. Au fond de moi, je sais que je n'aurais jamais du poser la question, que j'aurais dû la garder, la ruminer, l'oublier d'une façon ou d'une autre, mais ne jamais chercher à avoir la réponse. D'ici quelques temps, j'aurai un fils, et ce fils finira adopté par une autre famille, par un couple qui s'occupera de lui, sans doute mieux que je ne le ferai jamais. Et ça me donne un sentiment très désagréable. L'impression d'abandonner quelqu'un, en fait. Ce qui n'est pas totalement faux si l'on tient compte du fait que faire adopter cet enfant serait renoncer à tous les droits et devoirs que je peux avoir envers lui. Je peux vraiment faire ça? Elle peut vraiment faire ça, après l'avoir porté pendant presque neuf mois?

Sur le moment, la réaction de Yun Hua m'interpelle un peu et je fronce les sourcils, me demandant pourquoi elle a soudainement besoin de voir les photos de l'échographie et, quand le médecin me demande si j'ai d'autres questions, je ne peux m'empêcher de rebondir sur ce qu'il a dit un peu plus tôt.

« Sa taille, c'est à cause de l'hypertension? »

Je ne suis pas expert en la matière, mais je dois admettre que je me suis peut-être renseigné légèrement sur le sujet quand j'ai appris que Yun Hua faisait ce genre de choses. Pas que je m'inquiète vraiment mais... Bon, peut-être qu'en vérité je m'inquiète beaucoup par rapport à ce bébé et cette grossesse que j'ai causée, mais je n'ai pas forcément la science infuse, alors j'aimerais que l'on m'éclaire un peu sur le sujet. Si ce bébé doit être adopté, je crois qu'il vaut mieux qu'il soit en bonne santé. Qui voudrait prendre en charge un vilain petit canard dont il faudrait encore plus s'occuper, après tout?

« Yun Hua, ça va ? »

Oui, la question m’est venue comme ça, et à vrai dire je pense être plus perturbé que je ne le pensais par ce que je viens d’apprendre. Je lui ai parlé comme si elle avait commis le pire crime du monde, il y a quelques minutes à peine, tout ça parce que j’avais mal pris une plaisanterie. Je pense qu’elle ne le méritait pas forcément. Dans le rôle de l’imbécile de première, je crois mériter une véritable médaille.

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Un fils. Je vais avoir un fils. Cette idée a du mal à devenir une chose concrète et bien claire dans mon esprit, c’est comme réapprendre que je suis enceinte en quelque sorte, comme si l’être qui bouge dans mon ventre devenait enfin réel à mes yeux, comme si le fait de pouvoir mettre une image sur ce bébé me faisait enfin prendre conscience de l’enjeu de la situation. Ce n’est pas simplement un élément de mon corps dont je vais me détacher dans quelques mois et auquel je suis totalement indifférente, non, bien sûr que non, je le savais depuis le départ et c’est la raison pour laquelle je m’efforçais d’obtenir le moins d’information possible sur l’enfant, hormis son état de santé. Parce qu’immédiatement, à la seconde où j’ai su qu’il s’agissait d’un petit garçon et où j’ai vu sa forme se dessiner sur l’écran, je m’y suis attachée malgré moi. Au point que je suis désormais incapable de détacher mon regard de ces fichues photos, tenues par mes mains tremblantes que je ne parviens pas à calmer. C’est comme si on m’avait subitement envoyée une décharge électrique pour me tirer d’un coma.

Les voix de Ryû et du médecin parviennent à mes oreilles, mais je ne leur prête pas vraiment attention, je crois que le brun chercher à savoir si le petit corps menu du bébé est dû à mon hypertension et il me semble que le gynécologue lui répond que cela y contribue effectivement. Mais peu m’importe si cet enfant est plus petit que les autres, du moment qu’il se porte bien, c’est bizarre, mais j’ai l’impression de développer un sentiment protecteur un peu effrayant à mon goût. Je sais bien que je ne suis pas vraiment en mesure de jouer les grands défenseurs, je suis même parfaitement incapable de prendre soin d’un nouveau-né, d’où le fait que je n’ai jamais cru avoir d’autre solution que de le faire adopter. Mais en ai-je vraiment envie ? Puis-je réellement me résigner à abandonner d’emblée sans même avoir essayé ? Au moment crucial, il n’y aura pas de retour en arrière possible, je ne pourrais pas me pointer un beau jour chez la famille adoptive pour le récupérer parce que j’aurais décrété que j’étais enfin en mesure de prendre soin de cet enfant. Ce ne serait d’ailleurs pas très juste, ni pour les parents adoptifs, ni pour lui. Mais je ne peux plus me résigner en faisant comme si cela ne me touchait pas.

Je finis par relever la tête, jusqu’alors indéfiniment baissée en fixant les clichés que je rends d’ailleurs au médecin, et par regarder Ryû, sans colère ou condescendance, je le regarde simplement en espérant avoir son attention. Et sa compréhension. Et son indulgence aussi, c’est peut-être trop demander, mais j’espère qu’il ne va pas me hurler dessus quant à ce que je m’apprête à dire.

« Oui, ça va… C’est juste que… Je ne suis plus aussi certaine de vouloir le faire adopter que je le pensais, j’explique, la voix tremblante, je sais que c’est insensé et presque irréalisable mais… Je ne veux pas juste le laisser partir comme cela. »

Cela peut se comprendre, non ? C’est peut-être plus simple pour d’autres femmes mais je commence à comprendre que je ne peux pas faire comme si les neuf mois n’auraient jamais existé dans ma vie, comme si tout ce temps passé avec ce bébé dans mon ventre ne m’atteignait en rien. C’est peut-être tard pour m’en rendre compte, mais au fond, je tiens à cet enfant et même s’il n’est pas le fruit d’une belle histoire d’amour comme on en rêverait, ce n'est pas suffisant pour le rejeter d’office. Je ne m’attends pas à ce que Ryû approuve mon choix ou à ce qu’il soit prêt à m’épauler envers et contre tout, mais je ne peux pas lui cacher ce sentiment. Il doit savoir, ne serait-ce que pour me faire part de son ressenti à lui par rapport à cela, de toute façon, j’ai bien vu où cela me menait quand je voulais prendre mes décisions seule.

« Qu’est-ce que tu en penses ? »

Rien de tel qu’une formule explicite pour essayer de remettre le dialogue sur pieds. Je ne veux pas qu’il pense que j’ai formulé une affirmation contre laquelle il ne pourra rien quoiqu’il arrive, ce n’est pas mon but. Tout ce que je souhaite c’est qu’on puisse en discuter, même un peu, et je me demande presque si le médecin ne fait pas exprès d’écrire un nombre incalculable de mots dans mon dossier pour nous en laisser l’occasion.

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Évidemment que l'hypertension y est pour quelque chose. Peut-être ai-je juste posé la question afin de me débarrasser d'une quelconque réaction au sujet de bébé ? Je ne m'attendais vraiment pas à réagir de la sorte en apprenant qu'il s'agissait d'un petit garçon. Dans un sens, c'est plutôt choquant, troublant, car je réalise un peu mieux ce qu'il se passe. Après avoir été écarté de cette grossesse pendant près de sept mois, je réalise pleinement que ce bébé est sur le point de venir au monde, même s'il reste quelques mois avant cela. C'est tout simplement effrayant. Oui, je le dis clairement: j'ai peur. J'ai peur de ce qu'il se passera ensuite, peur de ne pas être capable de prendre les bonnes décisions, de faire une erreur en l'abandonnant ou ... Je ne sais pas.


Pour être honnête, j'ai l'impression d'être en plein brouillard pour l'instant, et la réponse que Yun Hua donne à ma question n'est clairement pas de nature à calmer ces doutes et ces questionnements. Plus sûre de vouloir le faire adopter. Honnêtement, je ne le sais pas non plus, j'ai l'impression que le faire serait la pire erreur de ma vie mais, d'un autre côté, je sais que ce serait certainement mieux pour le bébé, qu'il serait plus heureux qu'avec des parents qui, de toute évidence, ne s'apprécient pas vraiment. Je pince légèrement les lèvres à l'entente de ces quelques mots et, quand elle me pose une question à son tour, je ne peux m'empêcher de la regarder durant quelques secondes, silencieux, réalisant ma réaction après coup.

« Je ne sais pas. » Ce bébé va me rendre totalement fou, je le sens... « Je sais vraiment pas, je... C'est pas à moi de prendre cette décision. »

Bien sûr que c'est à moi de le faire, à nous, plutôt, mais j'ai l'impression d'être incapable de le faire correctement. C'est juste totalement dingue. Du coup, je fuis la situation. Je crois que prendre une décision sur un coup de tête n'est pas une bonne idée du tout.

« Au pire, on a encore deux mois pour se décider, pas vrai? »

De toute façon, si elle décide de garder ce bébé, je ne pense pas être en mesure de les séparer, et je n'ai pas non plus envie de me prendre la tête avec elle pour ça. Si elle le garde, je crois que je l'aiderai, ne serait-ce que financièrement. Je n'ai pas envie que l'on me reproche de ne pas accorder d'importance à un enfant qui est également le mien, même si je risque à jamais d'être un père absent pour lui. J'ai trop de problèmes actuellement pour y penser, pour prendre une décision clair, précise, sérieuse. Il est temps que je réfléchisse véritablement aux choix que je fais.

« Je... Le rendez-vous est terminé? » Demandé-je finalement, dans une tentative de m'échapper de cet endroit, sans doute.

Je crois pouvoir affirmer haut et fort que sa question m'a fait peur. Le comble, quand on sait que je me plains tout le temps qu'elle ne demande jamais mon avis.

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Je ne sais pas à quoi je pense en annonçant subitement mon changement de position quant à l’avenir de cet enfant, mais le fait que je ne peux pas faire comme si de rien n’était plus longtemps. Je me suis attachée à lui et j’appréhende réellement le fait d’en être séparée du jour au lendemain, simplement parce qu’à première vue, il serait trop compliqué pour moi de m’en occuper. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut aisément ignorer, même en se persuadant du mieux qu’on peut que c’est la meilleure chose à faire pour nous comme pour lui. Alors oui, je suis perdue tout à coup maintenant que j’ai un peu plus d’informations et que je peux me représenter le bébé dans mon esprit, les images ont toujours été plus frappantes pour moi que les mots de toute manière, ce n’est pas une nouveauté. Je suppose que j’en n’en aurais le cœur net qu’une fois le nouveau-né se trouvant devant mes yeux, c’est dommage, la perspective des derniers mois restants à me poser la question de manière existentielle ne me réjouit pas vraiment, c’est pourquoi j’espère que Ryû pourra m’éclairer de son sage avis sur la question.

Ou pas. Heureusement que je ne nourris pas trop d’attentes pleines d’espérance en attendant sa réponse, j’aurais été cruellement déçue. Il n’est pas plus avancé que moi sur le sujet, ce qui se comprend dans un sens, puisque je l’avais laissé jusqu’alors à l’écart de tout ce qui pouvait concerner cet enfant. Mais de là à ce qu’il affirme que ce n’est pas son affaire de choisir, c’est un peu fort tout de même, non ? Il faut croire que sur ce point, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, bien qu’il soit évident qu’il se voile la face pour le coup. A quoi bon lui demander ce qu’il en pense sinon, ce n’est pas comme si je demandais un avis extérieur à un ami, loin de là. Qu’on le veuille ou non, il est le père de ce bébé alors il doit bien se sentir un minimum concerné. A moins qu’il n’ait peur de dire une énormité ou de faire une erreur en s’avançant un peu trop sur la question.

« Bien entendu. Aucune décision n’est considérée comme finale sans signer de documents officiels avant la naissance. Prenez votre temps pour bien y réfléchir, c’est important. »

Des fois qu’on ne comprendrait pas suffisamment qu’avec une vie en jeu il faut faire preuve d’une réflexion particulièrement poussée. Le médecin hoche ensuite la tête à la seconde question du brun et je m’occupe alors de remplir le chèque habituel pour régler la consultation. Reprenant mon dossier en mains, je salue brièvement le gynécologue et sors la première du cabinet sans trop attendre Ryû, de toute manière, à l’allure où je marche, il ne risque pas tellement de me perdre de vue. Alors que je m’apprête à contacter ma mère pour savoir si je dois reprendre rendez-vous quelle que raison que ce soit auprès de la secrétaire, quelle n’est pas ma surprise quand j’aperçois son nom s’afficher sur l’écran de mon téléphone. Et de remarquer qu’elle m’a déjà appelée deux fois juste avant. Ne m’avait-elle pas demandé de lui signaler quand j’aurais fini ma consultation ? C’est à peine croyable de faire preuve d’autant d’impatience, à se demander comment elle peut tenir dans sa loge en attendant son tour pour défiler sur le podium. Elle m’étonnera toujours.

Plus encore quand elle me demande si Ryû est dans les parages et requiert ainsi que je la mette sur haut-parleur pour qu’il l’entende également. Je fais donc signe au brun de venir vers moi d’un bref signe de main, ni agressif, ni militaire, juste un signe de main quoi. A vrai dire, je ne trépigne pas vraiment d’impatience pour entendre ce qu’elle a à dire. Une fois le brun à proximité, j’exauce le souhait de ma très chère mère et met le téléphone sur haut-parleur, le visage crispé à l’entente de son japonais terrible. Il m’est même difficile de desserrer les dents pour lui répondre que tout s’est bien passé à propos du rendez-vous. Je veux simplement que son annonce soit rapide pour épargner mes pauvres tympans, c’est trop demander ? La nouvelle ne se fait finalement pas attendre. Son japonais a beau être exécrable, les idées majeures ressortent claires comme de l’eau de roche. Beaucoup de travail. Pas le temps de m’occuper de toi. Deux semaines de plus chez Ryû. Elle a beau essayer de mettre de jolies formules de politesse pour essayer de faire passer la pilule, cela n’empêche pas ma main de se resserrer autour de mon portable. Je vais la démolir.

« Je peux savoir à quoi tu joues ?!, je réplique sèchement en coréen, remettant le téléphone en mode normal et en le plaquant contre mon oreille, et arrête de parler japonais, c’est désagréable et il ne t’entend plus de toute manière. Franchement tu exagères et… »

Et je n’ai pas le temps d’en placer une de plus qu’elle me bredouille vaguement qu’on l’appelle et qu’elle me raccroche presque au nez. Je devrais songer à lui rendre visite un jour sur son lieu de travail pour enfin lui passer le savon qu’elle mérité. Oui, à quarante-et-un ans on a aussi besoin de se faire faire la morale de ce que je vois. C’est pas possible. Bon, zen. Je me dirige vers la secrétaire en essayant de contenir ma rage pour programmer un autre rendez-vous, juste au cas où mais sait-on jamais puisque ma chère mère a l’air décidée de m’abandonner envers et contre tout dans cette fichue capitale nippone. On ne peut vraiment compter sur personne. Alors que la dame regarder dans son agenda pour voir les disponibilités du médecin, j’en profite pour tourner le visage vers Ryû, qui doit se sentir encore plus pris au dépourvu que je ne le suis, c’est dire.

« Je suis désolée. Je sais pas ce qu’elle a en tête. On verra comment ça se passe, on trouvera bien une solution. »

Non parce que je ne peux pas m’imposer de force chez lui pour plus de temps simplement parce que ma mère en a décidé ainsi.

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Signer des doucements officiels à la naissance. Pour dire que je n'ai pas envie de reconnaître l'enfant et que je préfère qu'il parte aux mains d'autres adultes plus responsables et plus doués pour s'occuper d'un bébé? Sa réponse à ma question ne fait que me perdre un peu plus dans le fil de mes pensées déjà bien perturbé par les choses que j'ai apprises aujourd'hui et ce qu'il s'est passé hier. J'ai revu Hikari, j'ai discuté avec elle, compris que nous avions commis de terribles erreurs dans notre passé et, maintenant, je me retrouve au cabinet d'un gynécologue à constater que mon enfant est un fils. Plus petit que la moyenne à cause des problèmes de santé de Yun Hua, mais ce n'est pas le plus important. Il faut juste qu'il aille bien et que je remette de l'ordre dans ma tête.

Quand, une fois sortis du cabinet, nous apprenons que la mère de Yun Hua compte la laisser auprès de moi quelques secondes de plus, je ne parviens même pas à m'énerver. Je laisse juste un très profond soupir échapper alors que mes yeux se posent sur le téléphone de la demoiselle et, les mains dans les poches, j'attends de voir comment continue la conversation. Sauf que je ne peux rien y comprendre puisque mon niveau de coréen est plus bas que terre et que c'est dans cette langue que madame a décidé de s'exprimer, sans doute pour être compréhensible auprès de sa mère qui semblait peiner à parler mon japonais natal. Je sais pas c'que je fous.

Du coup, au lieu de m'énerver sur elle et sur le monde entier, j'attends qu'elle ait terminé sa conversation et réglé ses affaires administratives, en profitant même pour sortir de l'établissement et m'allumer une cigarette alors que j'essaie de m'enlever les images de l'esprit. Pourtant, j'ai demandé à le savoir moi-même, personne ne m'y a forcé. Je n'aurais jamais du. Jamais. Cet enfant va venir au monde et tout ce dont je suis capable, c'est jouer aux idiots et tourner en rond alors qu'il faudrait que je prenne une décision maintenant, tant qu'il en est temps, avant que cela ne devienne une urgence. Avant qu'on fasse n'importe quoi, une fois encore, et qu'on ait de profonds regrets par rapport à cette histoire.

Et quand Yun Hua revient vers moi et m'adresse la parole, je tente de lui sourire malgré tout, parce que je sais que ce n'est pas de sa faute si je me prends la tête, mais surtout parce que j'ai été trop stupide au début de la journée. Et parce que je n'ai pas franchement le courage de hausser le ton maintenant également. Mes lèvres se pincent, je jette la cigarette à un endroit prévu pour cela et, cela fait, je me décide à réagir.

« C'est rien. » Dis-je en un rire que j'aurais souhaité plus affirmé. « C'est pas comme si je devais rester à ton chevet toute la journée, j'arriverai bien à survivre quelques semaines de plus. »

En vérité je ne sais pas comment se déroulera cette collocation plus longue si nous continuons à nous faire des commentaires sur ce que l'on pense de l'autre ou, tout simplement, sur les mauvaises habitudes des gens. En parlant de celles-ci, d'ailleurs, il serait peut-être temps que j'éclaire un point avec Yun Hua.

« Rien à voir, mais si à l'avenir tu pouvais éviter les blagues sur l'alcool je... ça m'arrangerait. D'accord? Ça m’évitera de te prendre la tête comme tout à l’heure. »

Je veux bien faire un effort pour elle, pour ne pas compliquer la cohabitation et lui permettre de durer plus longtemps, mais il faudrait qu'elle y mette un peu du sien, elle aussi. J'ai beaucoup de mal à accepter que l'on se moque des efforts que je fais ou des faiblesses que je peux avoir, alors il faut que je le précise. Un nouveau soupir et, sans attendre, je reprends le chemin de la voiture.

« Allez viens, on rentre. »

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Le fait qu’on puisse spontanément prendre des décisions au détriment des autres, sans même se poser la question qu’ils ont peut-être un avis bien défini sur la chose en question, me dépasse. Comment peut-elle décréter qu’il en sera ainsi sans même songer que Ryû n’a peut-être pas spécialement envie de voir ma présence s’éterniser chez lui ? Ce qui serait parfaitement naturel, quand bien même il ne m’aurait pas prise en grippe, je veux dire, c’est son chez-soi, il peut bien vouloir y être en paix sans avoir quelqu’un dans les pattes en permanence. Autant dire que je me sens terriblement mal à son égard, pour la simple raison qu’aucune autre alternative ne me vient à l’esprit si on tient compte du fait qu’il faut éviter que je reste toute seule. C’est dans ce genre de situation que je regrette d’être fille unique, enfin à moitié, mais je ne me vois pas tellement appeler mon demi-frère récemment découvert à l’aide. Surtout si cela peut lui causer de nouveaux ennuis avec notre paternel. Dommage que mon travail à mi-temps ne m’ait pas rapporté suffisamment d’argent pour payer un loyer en attendant les revenus de l’agence une fois que je serais prête à commencer mes activités. Autrement dit, pour l’heure, je suis coincée, chose qui ne me plaît guère, j’ai horreur de devoir m’imposer aux autres par nécessite, alors imaginez quand ça doit durer plus longtemps que prévu.

Cela explique entre autres pourquoi je ne me montre pas vraiment conciliante avec la secrétaire pour obtenir un nouveau rendez-vous, et finalement, je décrète avec elle que ce sera la semaine prochaine, même jour, même heure, point. Histoire de ne pas avoir à réclamer l’agenda de Ryû si jamais il souhaite revenir, dans un moment d’égarement extrême. Ainsi, j’espère notamment qu’il ne va pas décharger sa fureur contre moi quand je m’adresse à lui, parce qu’il peut vraiment me croire sur ce point, je n’ai pas du tout imploré ma mère pour qu’elle trouve un prétexte à l’extension de mon passage chez lui. Si je pouvais, j’aurais même fait en sorte que les choses évoluent de façon tout à fait inverse, alors s’il pouvait ne pas avoir la lubie de me faire encore plus la gueule à cause de cela, ça m’arrangerait vraiment, vraiment beaucoup. Surtout avec le choc émotionnel que je viens d’avoir à cause de ces fichues photos d’échographie, ce qui me fait penser que je n’ai même pas annoncé à ma mère qu’au final, peut-être qu’il y a une infime chance qu’elle devienne vraiment grand-mère. Je ne sais pas ce qui est le plus choquant, que je puisse être mère à vingt ans ou qu’elle soit mamie à quarante-un. A débattre.

Contre toute attente, j’ai droit à une clémence inespérée de la part du brun, j’en remercierais presque le ciel pour m’avoir donné cet élan de paix soudain. Dans un sens, ce n’est pas comme s’il éclatait de joie à cette idée – en même temps ce serait franchement bizarre – mais disons que s’il dit qu’il peut survivre à ce prolongement, je suis entièrement rassurée. Non parce qu’avec toutes les affaires qu’il a à régler, on ne peut pas dire que ce sera simple si je suis à chaque fois dans les parages, imaginez un peu si je suis à proximité si un jour sa femme a la bonne idée de venir le voir pour se réconcilier. Le comble. Nouvelle surprise, je ne m’attendais pas non plus à avoir l’explication concernant sa mauvaise humeur et là, je me sens bête. Terriblement bête.

« Oh pardon !, je m’exclame comme la pire des idiotes, ce qui est certainement le cas, j’avais pas fait gaffe, c’était pas du tout mon intention… Je voulais pas remettre le couteau dans la plaie, j’ai balancé ça comme une phrase en l’air… Je suis vraiment désolée. »

Une fois n’est pas coutume, je n’ai pas réfléchi à la portée de mes paroles sur l’instant. Ce qui peut paraître une simple vanne à mes yeux est en vérité beaucoup moins joyeux aux siens, c’est vrai que ça lui a quand même causé un accident de voiture, et donc quasiment coûté la vie. Oups. Je me sens encore plus mal à son égard maintenant, en plus d’être une âme vagabonde qui se promène dans ses couloirs, je débite des énormités blessantes. Peut-être devrais-je me poser dans un coin et ne rien dire du tout, faire comme si je n’existais pas comme ce cher Harry. C’est donc en silence que je le suis jusqu’à la voiture, où je m’installe tranquillement, me pinçant la lèvre de temps à autre, tant je suis contrariée par ma propre imbécilité. Nouvel objectif : toujours réfléchir deux fois avant de dire quelque chose. Autant dire que ce n’est pas pour demain. Allez, je dois bien pouvoir trouver quelque chose pour me rattraper et, comme c’est prévisible, je fais appel à mon meilleur allié : la nourriture.

« Au fait, j’ai fait du bibimbap hier soir, il en reste donc on peut manger ça en rentre si ça te va. C’est un plat coréen, y’a pas de poulet dedans, c’est que du bœuf. »

Je préfère précise au cas où, je ne veux pas non plus qu’il pense que j’essaie de l’empoisonner, vu que j’agis vraiment comme un manche. Tout en veillant à ne pas évoquer l’épisode dans le cabinet concernant mes propos pour le bébé. Comme il a dit, on a encore du temps pour en discuter.

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Il reste deux mois pour en discuter, oui, et pourtant je me connais, je sais que je vais tourner autour du pot plutôt qu'aborder le problème. Pas qu'il soit dans mes habitudes de contourner les problèmes et éviter les gens plutôt que leur parler lorsque quelque chose ne va pas, en vérité, c'est l'inverse d'habitude, je fonce dans le tas sans réfléchir, mais j'ai conscience de la complexité de la situation. Il y a une vie en jeu, la vie d'un enfant. Notre enfant. J'aurais du jouer à l'homme qui s'en fout au lieu de demander à connaître son sexe, au lieu de m'approcher encore un peu du statut de père qui en à quelque chose à faire. Sauf que je n'ai pas pu m'en empêcher. J'ignore si elle va vraiment le faire adopter au bout du compte, mais me dire que je vais abandonner mon propre enfant me perturbe de plus en plus, pour ne pas dire que ça me dérange carrément. Enfin, c'est de ma faute. Comme d'hab.

Je ne réagis même pas à ses excuses, si ce n'est par un hochement de tête pour lui signifier que ce n'est pas grave. Cela ne veut pas dire que je l'ai oublié, évidemment, mais je n'ai pas envie de continuer à râler pour ça si elle doit passer quelques temps de plus à la maison. De base, je voulais qu'elle s'en aille, qu'elle reparte en Corée avec le bébé, accouche, le fasse adopter et que toute cette histoire appartienne au passé. Je le veux encore. Techniquement. Je ne vois pas ce que l'on pourrait faire d'autre de toute façon. L'adopter et l'élever chacun de notre côté comme un vieux couple divorcé? La blague. J'ai l'impression que les choses se compliquent à mesure que j'essaie de trouver des solutions. Je ne peux pas non plus garder l'enfant pour moi, je serais tout simplement incapable de m'en occuper, et avec Mi qui continue à jouer aux fantômes... Non, je crois que ça serait la pire idée qui puisse exister. Vraiment.

Une fois installé dans la voiture, mes yeux se posent sur Yun Hua lorsqu'elle reprend. Du quoi? Heureusement qu'elle explique par la suite, sinon je serais un peu perdu. Pas très très coréen, Katsura, hein.

« Ah, c'est pas une mauvaise idée. » Sur le coup, ne pas devoir me prendre la tête m'arrange beaucoup. « Faudra que je fasse une sieste aussi. »

Oui, en soi, on s'en fout. Par contre il faudra que je trouve un moyen de ne pas me détruire le dos plus souvent à l'avenir, surtout si elle doit passer encore quelques semaines à la maison, parce que je suis tout simplement épuisé et que dormir dans ce fauteuil ne me repose pas des masses. Dans mon lit, je dors trois heures et je suis en forme, mais là... J'ai beaucoup trop de mal, avec le chat qui fait le con.

Il nous faut moins de temps que je le pensais pour rejoindre la maison et, une fois arrivé, je regarde le canapé d'un air presque désespéré avant de m'adresser à Yun Hua à nouveau.

« Ça te dérange si je vais dans le lit une demi-heure? »

Et les cours? J'ai pas cours tout de suite. Allez savoir pourquoi je lui pose une telle question, par contre. Je veux dire, je suis quand même chez moi. Oui, bon. Chez moi, mais elle est mon invitée et, tant qu'elle est là, ce lit lui appartient.

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Non ce n'est pas simple, rien n'est simple concernant cette fichue décision à prendre et je tremble comme une feuille en songeant que le temps m'est compté pour me fixer sur la question, alors que je pensais qu'il n'y avait pas matière à débattre. S'il faut encore que j'indispose Ryû de ma présence en plus de cela, on peut aisément comprendre que je n'ai pas l'esprit apaisé comme il faudrait pour y réfléchir de la façon la plus rationnelle possible. Je devrais réellement songer à l'idée de me mettre au yoga pour entrer dans une paix harmonieuse avec moi-même et l'univers qui m'entoure, bien que je sois sceptique quant à l'efficacité d'une telle démarche. Le bon côté pour le moment, c'est que mes excuses ont l'air d'avoir été prises en compte et ne sont pas seulement tombées dans l'oreille d'un sourd ou d'un individu particulièrement rancunier. Parce qu'on pourrait trouver tout à fait énervant que je ne puisse pas penser une seconde dans mes propos que faire une vanne sur l'alcool puisse lui rappeler des mauvais souvenirs, mais je crois qu'il ait pu admettre le fait que beaucoup de choses me submergent l'esprit en ce moment pour que je l'oublie durant un bref instant.

Je ne sais pas si je dois me réjouir ou être atterrée de constater que le sujet du repas a toujours si bon effet sur mon interlocuteur quand j'ai la présence d'esprit d'évoquer le plat préparé la veille par mes petits soins. Et oui, je ne suis quand même pas restée indéfiniment dans le canapé en attendant que la cuisine se fasse comme par magie, ou en décrétant que c'est à lui de s'en occuper même en rentrant à une heure démentielle. Comme il l'a si bien fait remarquer, il n'est en rien question que je passe mon temps au lit avec le brun à mon chevet pour me servir comme je l'entends, il ne manquerait plus que cela. Je peux encore mettre en route des plaques et couper des légumes, ce n'est pas la fin du monde, surtout si c'est pour réaliser une des spécialités de mon pays natal que j'apprécie particulièrement. Et qui est diététique et donc en parfaite correspondance avec le régime drastique qui m'est imposé. Sans compter que cela paraît être une bonne occasion d'enrichir – ou de créer - le peu de culture culinaire coréenne de Ryû, qui avait l'air complètement perdu. Oui, du bibimbap, ce n'est pourtant pas compliqué à comprendre et c'est assez connu, non ?

Le trajet passe à une telle vitesse que je me demande si je n'ai pas fait une micro sieste en route, peut-être à cause de la brillante idée évoquée par le conducteur. Oh oui, je comprends tout à fait son besoin soudain de sommeil, on n'a pas franchement eu l'occasion de passer une nuit digne de ce nom, c'est tout à fait normal, l'inverse aurait été d'ailleurs assez surprenant. Je cligne plusieurs fois des yeux alors qu'il demande – ô comble du summum de l'impensable - mon feu vert pour aller dormir. Dans son lit. Késako ?  

« Bien sûr ! Je vois même pas pourquoi tu me poses la question, ça va de soi non ? Je vais ranger un peu , je lance en me dirigeant vers la chambre, pour effectivement virer les quelques affaires m'appartenant encore sur le lit. »

Soit, il est vrai qu'il a été convenu que je disposerais du lit pour dormir, mais je veux dire, s'il veut profiter de son matelas douillet un moment, c'est son droit, non ? Qui suis-je pour décréter qu'il ne pourrait pas le faire ? Dans un sens, ça me soulage de voir que ma réaction est assez naturelle sur ce point et que je ne suis pas encore une cause perdue, devenue un monstre empli d'égoïsme irréversible. Mon rapide ménage fait, je me saisis du plaid qui m'a tenu compagnie durant la soirée et que j'avais laissé dans la chambre, pour aller pour ma part m'affaler sur le canapé sans aucune retenue.

« Voilà, votre lit vous attend Votre Majesté, j'annonce joyeusement, tout en m'installant comme si j'allais hiberner pour l'hiver, d'ailleurs, j'y pense, mais on peut alterner si tu veux pour le lit. Dormir toutes les nuits dans le canapé ne doit pas être très confortable. »

Car oui, je viens de comprendre que deux semaines de plus à m'héberger peuvent aussi signifier qu'il doit passer deux semaines de plus à dormir dans son canapé. L'horreur. En soi, ça ne me dérange absolument pas de partager, en fait, je pourrais même passer mes nuits dans le canapé tout court, à l'exception de quelques épisodes de courbatures importantes peut-être.

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Allez savoir pourquoi, je commence à avoir l’impression que tout devient de plus en plus complexe à mesure que le nombre de jours que Yun Hua passe à la maison augmente. C’est peut-être juste parce que j’ai maintenant l’information qui me manquait que je commence à me demander s’il n’est pas préférable qu’elle retourne chez elle au plus vite. Remarquez, c’est plutôt raté. Alors que je pensais pouvoir retrouver un tant soit peu de tranquillité au cours des prochains jours, je suis contraint de l’héberger plus longtemps. Si elle continue son humour douteux, je ne donne pas cher de sa peau. Au moins, l’avertissement est donné et, inconsciemment, j’espère que le comportement que j’ai adopté un peu plus tôt envers elle a tiré la sonnette d’alarme dans son esprit. Je ne suis pas particulièrement violent, mais je peux rapidement devenir exécrable si on essaie de me prendre la tête un peu trop souvent, même si c’est involontaire.

De toute façon, j’aurai le temps de réfléchir à tout ça plus tard. Pour l’instant, la seule chose qui m’intéresse est de trouver un lit où dormir, et en disant cela j’entends évidemment le mien, raison pour laquelle je suis plutôt heureux de constater que Yun Hua accepte sans broncher que j’occupe mon territoire personnel. Oui, parce qu’on est quand même chez moi et que ce lit reste le mien malgré tout. Je hausse un peu les épaules lorsqu’elle m’adresse la parole à nouveau.

« Tant que tu prends pas de risques, c’est comme tu veux. »

Mon dos me fait sans doute un peu trop comprendre que je suis trop vieux pour ces conneries, même si je n’ai que trente-et-un ans. À croire que je passe trop de temps assis sur une chaise. Et on ne mentionnera pas que j’ai l’air particulièrement déphasé à cet instant. Sans doute parce que je suis tout simplement crevé et que mon esprit est accaparé par quelque chose de totalement différent. Je m’approche de la porte de la chambre, mais avant d’y disparaître, je me décide malgré tout à m’arrêter pour adresser un regard à Yun Hua.

«  Merci.  »

C’est la moindre des choses, non ? Elle m’a permis de l’accompagner à son rendez-vous, a supporté ma mauvaise humeur et me laisse désormais disposer du lit pour un moment. Elle a même proposé qu’on alterne. Je crois que c’est mérité.