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Tenue ♦ Cela me paraît presque invraisemblable, non en vérité, c’est carrément improbable ce qui est en train de se passer. Il y a plusieurs mois de cela – disons quasiment neuf mois sans se voiler la face – je ne pensais pas en arriver là. Aller jusqu’à Osaka en soi n’est pas le plus surprenant dans l’affaire cela dit, cela me permet me prendre l’air, de m’éloigner de l’air étouffant, voire pesant, de Tokyo pour un temps, encore davantage quand les rues sont étonnamment encore plus bondées que d’ordinaire, tout cela à cause des fêtes de fin d’année. Pour quelqu’un qui n’apprécie pas forcément d’être cloîtrée pendant un certain temps, soit environ deux-trois jours d’affilée, autant dire qu’il était temps pour moi de m’aérer en dehors de l’appartement de Ryû avant que je ne fasse un malheur malgré moi et que ça retombe sur lui par-dessus le marché. Nul doute que dans mon logement futur il faudra que je songe à un jardin, parce que sinon cela risque de vite m’agacer, enfin bon, je suppose que je n’aurais pas le malheur de retomber enceinte d’ici-là, parce qu’en vrai, c’est bien ce qui a fait qu’il n’était pas question pour moi de braver la foule massive à l’extérieur. Alors même la voiture de Ryû me paraît être un espace d’air frais, c’est dire.

Je suis d’ailleurs agréablement surprise de voir qu’en cette période de fêtes, il n’y a pas eu le moindre dérapage, je veux dire, nous étions tous deux cloués à son appartement – vacances scolaires obligent – et rien, pas d’éclat. Je ne sais pas si c’est parce que l’hiver fatigue ou qu’Arisu joue merveilleusement bien les arbitres, ou si c’est l’appréhension du jour J qui approche à grands pas, mais voilà, tout s’est bien passé. Un miracle vous dis-je. Le fait d’arriver relativement tôt n’est pas sans m’enchanter, c’est toujours l’occasion de se détendre un peu avant que les festivités ne débutent et qui sait, peut-être même aurais-je l’occasion de faire un petit tour avant d’avoir à enfiler ma robe de soirée. Parce que oui, ce n’est pas parce que je suis une femme enceinte bientôt à termes que j’ai le droit de ressembler à un sac pour le nouvel an, c’est mal me connaître, pour rien au monde je ne sacrifierais cela. Même si beaucoup de monde comprendrait cela dit et à peine suis-je arrivée que la mère de Ryû me donne l’impression d’être un malade en phase terminale. Elle est gentille et je suis au courant que je dois faire attention avec mes diverses complications, mais pourrait-elle éviter de me rappeler constamment que je suis fragile ?

C’est presque si je ne me retrouve pas poussée de force vers le premier fauteuil qui se trouve sur mon chemin, alors que j’ai passé toute la route à être assise, je n’ai même pas eu l’occasion d’ôter mon trench. Heureusement, alors que j’essaie d’expliquer calmement que je n’ai pas besoin d’être assise constamment à la mère de Ryû – dont j’ai oublié le prénom ainsi que celui de son père alors que j’ai passé les derniers jours à les lui faire répéter – ce dernier vient à mon secours de manière fantastique. Quand je vous disais qu’il y a un bon karma autour de nous dernièrement.

« Excellente idée !, je réponds avec enthousiasme en m’éloignant subitement du fauteuil pour me poster à côté du brun, comme s’il me servait de bouclier, j’ai besoin de me dégourdir les jambes et je n’ai pas visité Osaka avant. Ce serait dommage de rater une telle occasion, je suis sûre qu’il y a plein de beaux coins à voir. »

A vrai dire, je n’en sais rien, je sais que j’aurais pu optimiser mon temps libre pour me renseigner sur la ville en question, mais non, passer des heures devant Kingdom Hearts, ou des films, ou des séries était bien plus attrayant. Bon, sa mère a l’air un peu inquiète, mais je suppose que si son fils reste auprès de moi durant la promenade, il n’y a pas de quoi se faire de souci non ? C’est donc en saisissant Ryû par le poignet et en faisant signe de la main à ses parents pour leur dire à tout à l’heure que je décide de sortir sans plus de discussion de la maison. Et de lâcher un soupir de soulagement une fois dehors. Ô liberté chérie j’ai cru te perdre pour de bon.

« Ah, bientôt j’ai cru que j’allais me retrouver en fauteuil roulant, merci, je lui lance en commençant à marcher avec un sourire, mais tant qu’on se balade, briefe-moi un peu, j’ai l’impression que c’est compliqué tout ça. C’est qui le « croulant » ? »

Histoire que je sois au fait tout de même, je sais que de toute manière, s’il se passe quelque chose, je ne pourrais qu’observer avec consternation, mais sait-on jamais. Et ce n’est pas comme si on avait vraiment quelque chose d’autre pour entretenir la conversation.

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Je sais parfaitement à quel point mes parents peuvent être envahissant lorsqu’ils le veulent, en particulier ma mère, qui passe son temps à s’inquiéter pour tout le monde et à essayer d’aider – sans doute une déformation professionnelle, ça ne serait pas très étonnant de la part d’une assistante sociale un peu trop passionnée, n’est-ce pas ? – et qui voit une jeune femme enceinte arriver chez elle, presque à terme. Je crois qu’elle n’a pas vraiment envie de comprendre la complexité de la situation, et encore moins d’accepter que son fils ne soit pas l’ange tombé du ciel dont elle a tant rêvé. Je pensais que mon père l’avait briefée, mais visiblement non. Soit. Nous sommes partis pour visiter un peu la ville, histoire de patienter jusqu’à la soirée de fête. Que de joie en perspective. Allez savoir pourquoi, je ne suis pas forcément heureux de retrouver mon grand-père, chose que Yun Hua semble ne pas avoir manquée.

« Ma mère a tendance à dramatiser les choses,  réponds-je en riant un peu, avant de soupirer un peu. Mon grand-père maternel. »

Oui, bon, je conçois que ça n’explique pas vraiment pour quelles raisons je parle de lui d’une façon aussi peu agréable à entendre, mais j’imagine que Yun Hua peut comprendre que l’on déteste quelqu’un, non ? Elle n’a pas un charmant père à qui elle adresse des mots doux également, parfois ? Cependant, je décide qu’une explication ne serait pas de trop et, alors que j’enfonce les mains au fond de mes poches, je réfléchis un peu et prend place dans la voiture avant de reprendre mon explication.

« En fait, ma grand-mère... Ma grand-mère était très malade. » Même maintenant, « cancer » semble être tabou dans ma bouche. « Je lui en veux de ne pas avoir été là pour elle au moment où elle en avait le plus besoin. » Et c’est là un euphémisme, évidemment. « Il a toujours été porté sur l’argent, alors arrêter de travailler pour veiller sur sa femme malade, c’était trop demander, bien sûr. »

Un soupir m’échappe alors que j’essaie de chasser les pensées négatives qui peuvent me traverser l’esprit, ainsi que le souvenir de ma grand-mère.

« Enfin, ce n’est pas grave. Reprends-je rapidement, en un sourire.  C’est juste moi qui ait un problème avec lui. »

De toute façon, je ne lui demande pas d’adopter ma famille, nous n’aurions sûrement plus rien à nous dire d’ici quelques semaines. J’allume le contact de la voiture, puis réfléchis un peu.

« Alors… On peut aller au Dotonbori ou du côté du Kaiyukan, si tu veux. C’est un aquarium. »

Oui, bon. Faut bien qu’on s’occupe, non ? On mange ou on regarde la bouffe. Ok, on peut pas manger tout ce qu’on voit dans les aquariums. Et c’est peut-être un peu trop cliché d’ailleurs, mais c’est pas comme si on était ensemble, en vrai, alors ça m’amuse plus qu’autre chose. Puis bon, ça fait longtemps que j’ai plus visité la ville pour de vrai, avec tout ça. La dernière fois, c’était pour une convention sur les jeux vidéos. Souvenirs, souvenirs.

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Je ne tiens pas particulièrement rancœur à la mère de Ryû de se montrer si protectrice et alarmée à mon égard, je pense simplement que je suis suffisamment au fait de la situation désormais pour pouvoir décider de ce que je peux faire ou non vis-à-vis de mon état actuel. Nul besoin d’avoir la sensation d’être une poupée de porcelaine en plus de celle d’être devenue un ballon géant, si on pouvait s’adresser à moi comme une personne « normale », cela me ferait très plaisir. Malheureusement, je crois qu’au vu de la situation, je ne peux pas réellement m’attendre à ce que les parents du brun me traitent comme si j’étais n’importe qui, je veux dire, c’est quand même dingue d’en venir à inviter l’étudiante enceinte de son fils, surtout quand il est enseignant à la même université. Je n’ose même pas imaginer ce qu’ils pensent de cette histoire, mieux vaut ne pas aborder le sujet à mon avis, et j’ose espérer qu’on n’en parlera absolument pas ce soir, parce que si j’ai bien suivi, cela risque de ne pas se limiter à un simple petit repas à quatre. D’où l’idée judicieuse de nous éclipser avec Ryû pour un moment et ma question concernant l’invité surprise qu’il ne semble pas porter dans son cœur.

Son grand-père hein, il me suffit de prêter un minimum attention au ton qu’il emploie pour déceler une certaine amertume à l’égard de celui-ci, le genre d’intonation que je connais bien, pour l’employer couramment en parlant de mon propre paternel. Ce n’est qu’une fois dans la voiture que mon interlocuteur daigne m’expliquer clairement ce qu’il en est et je me contente de hocher la tête de temps à autre pour lui signifier que je suis attentive, me passant de commentaire. En ce qui me concerne, je n’ai pas eu l’occasion de connaître mes grands-parents maternels et pour ce qui est des autres, je ne sais même pas s’ils existent, s’ils sont quelque part dans la nature ignorant tout de mon existence. A vrai dire, ça ne m’importe pas vraiment. Cela dit, je peux imaginer que la perte d’un proche doit être assez douloureux et je ne peux m’empêcher de me sentir désolée pour lui, pour la maladie à laquelle sa grand-mère a dû faire face sans le soutien de son époux. Visiblement, préférer gérer son entreprise adorée au détriment de ses proches n’est pas aussi rare que je le pensais et je ne peux que trop comprendre la rancœur de Ryû à l’égard de son grand-père. J’espère simplement que le dîner ne va pas dégénérer sans prévenir, en particulier parce que je ne suis pas certaine d’être à même de faire preuve de suffisamment de self-control pour me retenir de faire le moindre commentaire.

« Je vois. Désolée. Tu sais, je comprends. Souhaitons que le repas ne se transforme pas en champ de bataille, j’ajoute avec un petit rire. »

Piètre tentative pour détendre l’atmosphère, je sais, mais je me vois mal essayer de lui expliquer que ce n’est pas si dramatique et qu’il devrait fermer les yeux sur cette erreur. Ce serait un peu comme l’hôpital qui se fout de la charité, non ? Je me mets ensuite à réfléchir aux différentes suggestions qu’il me fait, ce qui est en réalité ne prend pas tellement de temps, pour une raison évidente.

« L’aquarium c’est peut-être plus judicieux je pense. J’ai rapidement aperçu ce que ta mère nous a préparé et je pense que ce n’est pas une bonne idée si on mange avant, quand bien même on a du temps. On a vraiment intérêt à avoir faim. »

C’est dire pour quelqu’un dont l’appétit a évolué de façon conséquente. Honnêtement, je pense que même si on se contente de grignoter, on risque de tomber malade en essayant de manger le repas ensuite, parce que oui, je suis suffisamment sensible à la politesse pour vouloir faire honneur à la personne qui a pris la peine de préparer le repas. D’autant plus que j’anticipe d’avance que sa mère va sciemment veiller à ce que je mange en quantité suffisante.

« C’est joli ici, j’observe, une fois que la voiture a parcouru quelques mètres, pourquoi as-tu décidé d’aller à Tokyo ? »

Simple curiosité, ce n’est pas un reproche compte tenu des derniers évènements, loin de là. Mais il doit y avoir de bonnes universités dans cette ville alors je m’interroge simplement sur les motivations du brun à bouger dans la capitale. Sachant pertinemment qu’on pourrait facilement me retourner la question, à plus juste titre qui plus est.

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Osaka regorge de mille-et-une choses à faire. J’ai toujours adoré y vivre, quand j’étais plus jeune, et elle me manque parfois beaucoup, aujourd’hui encore. Heureusement, j’ai du temps pour venir y faire un tour, de temps à autre, et comme mes parents ont eu l’incroyablement bonne idée de déménager, cela me donnera encore plus d’occasions d’y passer. Oui, j’entretiens une relation positive avec eux, alors je les vois souvent ; mon père, en particulier, aime beaucoup passer à l’improviste pour discuter avec moi, mais il est vrai que ces derniers temps les visites sont font plus tard. Tant mieux, j’ai envie de dire.

« On va éviter ça. »

De toute façon, c’est pas comme si j’avais vraiment le choix ; on m’en voudrait tellement d’oser manquer de respect à mon grand-père. Oui, j’ai trente-et-un ans, je devrais pouvoir me comporter comme je le veux, mais bon. Il paraît que faire la guerre à ceux que l’on n’apprécie pas n’est pas très malin, surtout lorsqu’ils sont de notre famille. On dira plutôt que je ne suis pas des plus souriants lorsque le vieux se trouve à proximité.

« Ok, alors on va faire ça. »

Dans le fond, ça m’importe peu de savoir où on va aller, tant qu’on passe le temps et qu’on n’attend pas bêtement dans la maison de mes parents. Ça serait tellement bête, venir à Osaka et rester enfermés. Je choisis donc l’adresse de Kaiyukan, comme ça fait un moment que je ne m’y suis plus rendu, et c’est parti pour l’aventure. Ou pas. Enfin, pour Yun Hua, ça doit vraiment l’être. À mes yeux, c’est avant tout une séquence nostalgie, et sa question renforce un peu plus le sentiment que je ressens.

« J’ai suivi mes parents lorsqu’ils ont déménagé, réponds-je en riant un peu. J’aurais pu rentrer à Osaka quand j’ai quitté la maison, mais je ne connaissais plus personne ici alors j’ai préféré rester. C’est tout. »

Cette décision aura certainement été la plus importante de ma vie, car je n’aurais jamais rencontré Hikari sans cela, encore moins Roy, ni Mi. Certes, on pourrait dire que je n’aurais pas non plus mis enceinte une étudiante, que je ne serais peut-être jamais devenu alcoolique, mais ce ne sont étrangement pas les premières choses qui me viennent à l’esprit lorsque je pense à mon déménagement.

« Je reviendrai peut-être un jour, moi aussi. » Qui sait ? Tout peut arriver. « Et toi ? Si ta mère était en Corée et que ton père c’est pas le grand amour, pourquoi t’es venue te perdre ici ? Pour l’enseignement incroyable du professeur d’informatique de la RPS ? »

Ok, ok, un peu d’humour. Elle aura profité d’autre chose que de mon enseignement incroyable, pour le coup. Enfin, j’essaie de détendre un peu l’atmosphère alors que je redoute la soirée qui arrive doucement. En plus, je mentirais si je disais que je ne suis pas curieux. Puis je lui ai expliqué, chose plutôt rare, elle va bien accepter de parler un peu aussi, non ?

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Il m’arrive de songer que la conversation est un peu trop calme, presque idéale pour que cela puisse être réel. Et aussi que je passe un peu trop de temps dernièrement à avoir des entrevues improvisées avec Ryû dans sa voiture. Mention spéciale à la première fois où cela est arrivé, assez chaotique, cela va sans dire. Je m’affolerais presque en observant le chemin effectué depuis, je veux dire, c’est quand même assez remarquable qu’on ait finalement réussi à pouvoir tenir sans s’insulter ou se lancer de sales piques. Même si on ne peut nier que la cohabitation forcée nous ait poussés à agir dans ce sens, les choses auraient pu déraper, cela aurait se passer bien pire de bien des façons, parce qu’au fond, il ne me devait rien, je lui avais clairement signifié dès le départ que je n’attendrais rien de sa part. Mais il faut croire que c’est une première, je serais presque effrayée de faire le constat que c’est sans doute la première personne qui ne me déçoit pas, mais qui au contraire, me surprend agréablement. Au point que je revienne sur mes principes fondamentaux. Et qu’on se retrouve à aller chez ses parents pour le réveillon aussi.

J’ai beau songer que ma curiosité est un peu déplacée – ce n’est tout de même pas comme si nous étions les meilleurs amis du monde – mais il semblerait que ça le gêne pas plus que cela d’en parler. Inutile de préciser que je m’aperçois bêtement que je n’avais pas saisi que c’étaient ses parents qui avaient déménagé à Tokyo dans un premier temps, j’avais compris qu’ils revenaient à Osaka, je ne savais simplement pas où ils se trouvaient entre-temps. Je devrais vraiment songer à faire un interrogatoire poussé et tout noter bien proprement sur une fiche pour être certaine d’avoir tous les éléments en mains. Ma foi, c’est donc plus ou moins logique qu’il ait choisi de rester dans la capitale une fois que la famille s’y trouvait, de plus, je présume qu’être à proximité des dernières technologies devait lui convenir. Enfin bon, comme je l’anticipais, la question m’est rapidement retournée, en revanche, je ne m’attendais pas au petit trait d’humour qui allait de paire. Ça ne peut pas faire de mal après tout.

« Mais oui bien sûr, ta renommée traverse les frontières tu sais, fais gaffe, la célébrité va te rattaper, je lance avec un petit rire, si seulement j’avais pu réussir à faire plus de trois manipulations réussies à la suite, il faut croire que tu ne peux pas compenser l’entêtement de certaines lacunes. »

Passons, ce n’est pas un commentaire sarcastique sur mes piteuses compétences en informatique qu’il a demandé aux dernières nouvelles, allons à l’essentiel.

« Honnêtement ? Je sais pas trop. Je pensais que c’était une bonne idée quand ma mère m’a parlé de cette école renommée qui m’assurerait un avenir brillant. C’est mon père qui avait lancé l’idée. Peut-être que j’essayais encore de me convaincre que ça pouvait dire qu’il ne se contrefichait pas totalement de moi… »

Belle désillusion à vrai dire, une parmi tant d’autres. Je ne sais pas exactement si mes motivations pour intégrer cette école étaient vraiment judicieuses, si je n’avais pas simplement pu me contenter d’aller dans une école en Corée sans me tracasser davantage. Une école où je n’aurais pas eu peur de mon ombre à force de redouter les ragots colportés par Royal Shit. Heureusement que j’ai également mon lot de bons souvenirs pour compenser, même si c’est un peu difficile en ce moment. Au moins, le sapin et les décorations de Noël ont été là pour me redonner le sourire. Et j’aime autant vous dire qu’avec des contractions capricieuses, ça n’est pas de trop.

« Allez, c’est parti, je déclare une fois que nous sommes arrivés devant le fameux aquarium, en détachant ma ceinture, allons rendre une visite à ces charmants poissons ! »

Ni une ni deux, dans un regain de vigueur inouï pour ces derniers temps, je sors de la voiture et me dirige joyeusement vers l’entrée du bâtiment. Qui sait, j’aurais peut-être l’occasion d’aller saluer Nemo ?

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Je ne peux m’empêcher de rire un peu lorsque j’entends Yun Hua renchérir. Si j’avais une réputation positive à l’école et aux alentours, ça m’arrangerait déjà tellement.

« Hm, faut surtout dire que la seule fois où j’ai essayé de te les réexpliquer clairement, j’étais pas vraiment en état, je suis sûr que t’es capable de t’en sortir avec ça. »

Que je sois capable d’en parler me paraît totalement fou, je me demande même comment je parviens à évoquer le sujet, car il ne faudrait pas oublier que c’est précisément ce jour-là qu’elle est tombée enceinte. Si vous saviez combien je continue de m’en vouloir pour ça, pour avoir été incapable de me comporter décemment envers elle alors que j’étais ivre. Elle aurait dû partir quand elle en avait envie, je crois.

« Je vois… C’est bizarre. »

Bizarre, oui. Je crois que je n’ai pas vraiment réussi à trouver de mot qui puisse traduire ce que je ressens en imaginant la situation. J’ai été élevé avec deux parents aimants, des parents présents qui m’ont donné tout ce dont j’avais besoin, même si nous n’étions pas forcément la famille la plus riche du quartier, alors j’ai quelques difficultés à imaginer une famille comme celle de Yun Hua. Je crois que je passe même un bon moment à y réfléchir avant d’arriver à destination. Non, je crois que je ne conçois pas. Et pourtant je m’apprête doucement à abandonner un enfant aux bras d’une famille dont je ne sais rien, sans le moindre ressentiment ? Ça me semble fou. Peut-être même injuste.

J’emboîte le pas à Yun Hua lorsqu’elle quitte la voiture, une fois que je l’ai garée, relativement près de l’entrée pour lui épargner une trop longue marche – déjà que ça ne va pas être évident à l’intérieur – et je paie les deux entrées avant de lui tendre la sienne.

« Allez, on a le temps. Tu me préviens si tu fatigues. »

Et en quelques longues heures, nous avons effectué une bonne partie de la visite de ce bon vieil aquarium et nous pouvons en sortir. L’air de rien, ça fait du bien, parce que passer autant de temps à marcher dans un endroit fermé et obscur, c’est pas forcément le plus agréable. Un soupir de contentement m’échappe alors que je sors une cigarette et l’allume. Un peu de réconfort après l’effort, ça ne fait pas de mal, pas vrai ? Je regarde Yun Hua en souriant un peu.

« On va rentrer maintenant, non ? »

Et je ne dis pas ça parce que j’ai environ cinq appels en absence de ma mère qui se demande sûrement comment va Yun Hua, si elle n’est pas trop fatiguée, si elle n’a pas faim, toutes les choses imaginables. Je range rapidement mon téléphone et termine la cigarette avant de reprendre le chemin de la voiture, puis celui de la maison de mes parents. Une fois sur place, un soupir m’échappe alors que je sors du véhicule et prends le temps d’allumer une nouvelle cigarette, visiblement trop nerveux pour me contenter de celle que j’ai fumée en quittant l’aquarium, et je fais signe à Yun Hua d’aller à l’intérieur.

« Allez, tu peux aller te préparer, j’irai en dernier. Ma mère doit être trop occupée à tout préparer pour penser à t’ennuyer. »

Je la connais, une vraie fourmi. Et pendant ce temps, ça me permet de guetter l’arrivée de la voiture de mon très cher grand-père.

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Bizarre ? Je crois que c’est le meilleur euphémisme de l’année, ce n’est pas seulement bizarre, je peux maintenant affirmer avec le recul que c’est même carrément insensé, voire malsain. Evidemment que je pensais avec certitude qu’étudier à la Royal était une opportunité en or et que cela me garantirait sans aucun doute un avenir prospère – encore que – il n’en demeure pas moins que mes motivations sur le sujet demeurent très vagues et difficiles à expliquer. Cela me rappelle ce sentiment désagréable d’être la petite fille désespérée qui court après le modèle paternel dont elle rêve secrètement sans se l’avouer, un peu comme lorsque mon regard a le malheur de se poser sur la gourmette qui trône toujours fièrement sur mon poignet. Je devrais réellement m’offrir quelques heures de dilemme prochainement pour décider de son sort, j’ai beau avoir un nombre infini d’arguments qui me suggèreraient de la brûler, ou de m’en débarrasser tout simplement c’est plus sûr, quelque chose m’empêche toujours de m’y résoudre et de le faire pour de bon. Je crois que je préfère encore me torturer l’esprit avec l’accouchement qui se compte désormais en une poignée de jours et la décision ultime à prendre au sujet de cet enfant. Que je n’ai toujours pas prise et dont on n’a pas rediscuté non plus au passage.

Ainsi rendre visite aux poissons me paraît excellent pour me changer les idées avant de retourner dans le cercle de folie de la soirée qui nous attend. Puisque l’ambiance promet d’être tendue à souhait, autant décompresser un maximum avant. Je lance un sourire rassurant à Ryû quand il me demande de signaler tout facteur de fatigue au moindre instant, ce qui ne risque pas d’être le cas, car je fais preuve d’une vigueur étonnante. On peinerait presque à croire que je suis une femme enceinte bientôt à terme, même si les apparences parlent d’elles-mêmes. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si les parents ont le réflexe immédiat de ramener leurs enfants turbulents près d’eux dès qu’ils croisent mon chemin, par contre, s’ils pouvaient éviter de me lancer un sourire débordant de joie par la même occasion, je leur en serais gré. Pourquoi le monde se réjouit-il en permanence que je vais techniquement devenir mère sous peu ? J’ai l’air d’être la maman idéale ou bien ? Autant dire que je préfère largement concentrer mon attention sur les faces des poissons à travers les vitres. Et oui il y a un poisson-clown.

Mon entrevue avec le cousin éloigné de Nemo ne pouvant s’éterniser, nous faisons à vrai dire selon moi bien vite le tour du bâtiment, les heures semblant défiler plus vite qu’à la normale de mon point de vue. Et je me dis que j’aurais dû traîner le pas dans l’aquarium en voyant Ryû sortir une cigarette une fois sorti du bâtiment. Pourquoi le tabac est nocif au fœtus déjà ? Je prends donc soin de rester à bonne distance, si près du but, ce serait dommage, et de me mettre à contre-sens du courant d’air qui guide la fumée au loin. Je pourrais presque devenir stratège.

« Oui, avant qu’on envoie la police nous chercher pour disparition suspecte, je réponds avec humour. »

Et par « on », je me réfère directement à sa chère et tendre maman qui a trop tendance à s’inquiéter pour moi, plus que la mienne en fait. Ou du moins, elle le montre davantage, je ne saurais dire. Peu importe, il faut regagner la maison familiale et j’appréhende aisément de me faire accueillir à coups d’interrogations alarmés et de conseils exagérés. A se demander si je ne vais pas être confinée dans un gros fauteuil toute la soirée. Heureusement, Ryû me suggère d’aller me préparer et selon lui, mon entrée passera inaperçue tant sa mère serait occupée à tout mettre en place. Je m’en voudrais presque de ne pas lui fournir un peu d’aide, mais je crois qu’elle me taperait les doigts si jamais j’essayais. Et ce n’est pas une métaphore. C’est donc à pas de loups, mes chaussures à la main, que je rentre dans la maison, m’interrogeant sur le comment et le où vais-je pouvoir me changer. Heureusement, monsieur Katsura père croise mon chemin et m’indique d’un geste de la main l’étage, en mentionnant la chambre d’amis au fond du couloir. Je ne le remercierais jamais assez pour sa discrétion je crois.

C’est donc dans un silence presque parfait que je parviens à la pièce indiquée, ayant pris mes affaires au passage, et que j’entreprends de me changer sans plus tarder. Trouver une tenue adéquate n’a pas été sans mal, mais j’ai finalement réussi à trouver mon bonheur malgré, la robe étant suffisamment évasée au niveau du ventre pour ne pas me rappeler constamment que je ressemblerais presque à un gros ballon. Mouais, on y croit. Disons que bientôt, je n’aurais plus à me préoccuper de ce « détail », parce que mine de rien, à force d’être gratifiée de charmants surnoms tels que « dirigeable » et j’en passe, ça me met franchement mal à l’aise. Et le fait que les gens aient la fâcheuse manie de fixer mon ventre avec insistance, même gentiment, n’arrange rien. Quelle vie.

J’ai beau m’y prendre avec précaution pour descendre les escaliers, rien n’y fait, je suis grillée. La mère de Ryû ayant le malheur de passer par-là, sans doute pour guetter notre retour ou celui de son fils, je ne sais pas si son mari lui a dit qu’il m’avait croisée, elle s’empresse d’accourir vers moi pour m’aider dans mon entreprise. Je fais pitié à ce point ? Ok, mettre des talons n’est pas l’idée la plus judicieuse du monde dans mon état, mais quand même, je peux encore marcher dignement. Du moins j’espère. Et me voilà donc conduite sur le canapé avec une escorte hors du commun, sans protestation possible, comme il se doit. Au moins j’ai droit à un jus de pomme pour patienter et ne pas trop avoir l’impression d’être toute seule à ne rien faire. Il ne me reste plus à espérer que Ryû soit rapide.

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Dans le fond, j'ignore ce qui me perturbe le plus, entre l'idée de passer la soirée de nouvel an en compagnie de la fille que j'ai mise enceinte et celle de ne pas savoir ce qu'il adviendra du bébé après. Est-ce que je peux vraiment abandonner mon enfant biologique comme ça, sans avoir le moindre remord? J'ai l'impression que je vais commettre une très lourde erreur si je suis cette voie, et c'est pourtant la première qui me vient à l'esprit lorsque je commence à réfléchir à tout ça. Ou alors, peut-être pas? Je dois admettre que la question du bébé est devenue beaucoup plus floue au cours des dernières semaines, que j'ai eu l'impression de me perdre dans mes propres réflexions, et je mentirais si j'affirmais que je ne suis pas, actuellement, profondément instable. Je m'emporterais pour un oui, pour un non, mais rarement sur Yun Hua. Alors imaginez un peu ce que parler du bébé donnerait dans une telle situation. Soit. Ce n'est pas l'important actuellement, évidemment? Un peu, certes, mais bon.

Du coup, je mets de côté ces pensées assez peu encourageantes pour profiter au mieux de la visite de l'aquarium, me rappelant à quel point j'aimais cet enfant lorsque j'étais gosse. J'aurais pu passer des heures et des heures dans ces couloirs à la lueur tamisée. Les choses ont bien changé, hélas. Je crois qu'à l'heure actuelle ma patience s'est limitée aux premiers cris d'enfant surexcité que j'ai pu entendre dans ces foutus couloirs. C'est à dire qu'elle est très rapidement arrivée à bout. Heureusement, j'ai pris sur moi. Après on ose se demander pour quelles raisons je fume comme une usine.

Dans un espoir incroyable, lorsque nous arrivons à la maison, je laisse Yun Hua se préparer en premier, mais lorsque j'entre dans la maison, ayant constaté l'arrivée du véhicule de mon très cher grand père, je constate que ma mère n'a pas manqué de jouer les infirmières d'urgence, ce qui me fait pousser un léger soupir alors que je lui indique d'aller faire autre chose qu'ennuyer Yun Hua, qui je le rappelle n'est pas ma petite amie et n'a pas besoin qu'on soit constamment collé autour d'elle. C'est pas comme ça que sa tension va s'améliorer, bordel de merde. J'adore ma mère, comprenez-moi bien, mais je crois qu'elle abuse légèrement. Était-elle à l'agonie lorsqu'elle m'a eu? Franchement, c'est fou ça. Lorsque la plus âgée est repartie, j'enfonce les mains dans les poches de mon jeans alors qu'un soupir m'échappe.

« Désolé, vraiment... Je crois qu'elle peut pas s'en empêcher. »

C'est pas que ça me dérange, mais un peu quand même. Enfin, qu'on se le dise, ça ne me dérange pas autant qu'entendre la voix nasillarde de mon grand-père qui s'élève derrière-moi alors qu'il entre dans la pièce. Qu'il aille se faire voir, lui aussi. Sauf que je ne peux pas lui tenir un tel discours, encore moins devant Yun Hua, quand bien même elle est au courant de ce que je ressens à l'égard de ce croulant. Du coup, c'est avec un sourire forcé et une voix mielleuse que je l'accueille, peu avant de partir me changer, comme si de rien n'était. Je me dirige vers la chambre d'ami afin d'enfiler mon costume, tendant malgré moi l'oreille vers le salon, où j'entends mon grand-père saluer mes parents et, évidemment, Yun Hua.

« Enchanté! Vous devez être Yun Hua ? Vous pouvez m'appeler Shoji. »

Il commence déjà à faire son lourd, génial. Ok. Donc, on va rester calme et espérer qu’il ne posera pas trop de questions désobligeantes, n’est-ce pas ? Je me débrouille pour enfiler assez rapidement mes vêtements festifs, peinant quelque peu à nouer cette satanée cravate – dois-je précise que je n’en ai pas l’habitude ?  - avant de retourner dans le salon. Sauf que ma mère m’appelle, soudainement en détresse dans sa cuisine. Je commence à me demander si elle ne fait pas tout exprès pour me compliquer la tâche.

« Vous savez, je me suis toujours demandé qui serait assez courageux pour donner un gosse à cet idiot. »

Bon, au moins, il n’a fait aucune réflexion sur son âge. C’est déjà ça de gagné ?

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under the mistletoe

Honnêtement, je me vois mal rester tout le long de la soirée assise, confinée dans un canapé, sans rien du tout, à part boire et manger, activités qui me sont encore tolérées, voire encouragées, par madame Katsura. L’inactivité la plus totale m’a toujours fait horreur, c’est comme cela, je n’y peux rien, sauf en cas de grande fatigue intense comme cela m’a pris plusieurs fois ces derniers temps, cela me révulse profondément. Imaginez un peu le calvaire de ma nounou quand j’étais enfant ou de mon institutrice quand c’était soi-disant l’heure de la sieste. Je fais de mon mieux pour ne pas avoir une mine trop crispée et ne pas me montrer excédée par le comportement de la maîtresse de maison, mais je crois que je vais finir par craquer si elle poursuit dans cette voie, d’autant que je me sens particulièrement bien. Si je suis venue ici, ce n’est pas pour faire exactement la même chose que chez Ryû, et encore, j’ai droit à une liberté de mouvements bien plus étendue chez lui. Heureusement pour moi, le salut finit par arriver, en la personne de Ryû même, qui vole à mon secours et éloigne sa mère de moi, afin qu’elle ne passe pas sa soirée à me dorloter avec excès. Ouf. Un léger rire m’échappe à sa réflexion tandis que je porte le jus de pomme généreusement offert à mes lèvres.

« C’est rien. J’aimerais juste pouvoir faire trois pas sans qu’on ait besoin de sonner l’alarme, c’est possible tu penses ?, je réponds avec un sourire amusé. »

Sans rire, je ne suis pas un enfant qui vient d’apprendre à marcher et qu’on doit surveiller constamment, de peur qu’il ne tombe sans prévenir. Et je suis suffisamment alerté maintenant pour savoir quand je dois demander un peu d’aide si je sens tout d’un coup que ça ne va pas, que ma tête tourne ou que je perds l’équilibre, c’est bon, j’ai mis ma fierté inconsciente entre parenthèses pour cela. Mon discours intérieur prend fin alors que j’entends une voix lointaine s’élever dans la demeure. Je me disais aussi que le brun avait été rapide pour fumer sa seconde cigarette, et le sourire forcé de ce dernier ne fait que confirmer mon pressentiment sur l’identité du nouvel arrivant. Le fameux grand-père antipathique, quelle joie. Je prends une profonde inspiration avant me lever et d’esquisser à mon tour une mine aimable – sait-on jamais, on peut avoir de bonnes surprises inattendues parfois – et de saluer le patriarche. Non sans remarquer que Ryû a lâchement fui le champ de bataille un peu plus tôt.

« C’est ça, je confirme ainsi, un peu mal à l’aise, cela va de soi, ah… heu… d’accord. »

Non je ne comprends pas bien pourquoi je dois en venir à appeler le grand-père de Ryû par son prénom mais passons, je ne suis plus à une bizarrerie près. J’ai un vague espoir en apercevant vaguement le brun au loin, sauf qu’il change subitement de direction suite à un appel soudain de sa mère en cuisine. Et merde. Où est passé son père d’ailleurs, je me le demande. J’ai vraiment une chance pourrie. Et il ne faut pas plus de quelques secondes pour que mon sourire crispé se fane à l’écoute des mots suivants du grand-père. Plaît-il ? Inspire, expire, tout va bien, surtout ne pas faire de réflexion sur la grand-mère. Ce serait bête que ce soit moi qui plombe l’ambiance dès maintenant, bien que l’envie de lui faire remarquer qu’au moins je suis à peu près certaine que Ryû ne me laisserait pas crever seule si jamais j’avais une complication grave avec la grossesse, enfin je pense, me démange terriblement. D’où le fait que mes mains se referment d’elles-mêmes, ma conscience me criant de ne rien exploser autour de moi. Je devrais penser à prendre des cours de diplomaties.

« Ne vous en faites pas, il prend son rôle très à cœur. La responsabilité est quelque chose qui compte beaucoup pour lui, malgré les apparences. Il sait vraiment être là quand il faut. »

Et voilà, on se contente d’un sous-entendu implicite pour trouver le juste milieu, ce n’est pas mal comme idée, non ? Mouais, quelque chose me souffle intimement que je ne tiendrai pas longtemps à ce petit jeu et mon visage s’illumine quand j’aperçois monsieur Katsura arriver avec une pile d’assiettes et de couverts à la main. Je me dirige spontanément vers lui avec un grand sourire pour lui proposer de m’occuper de dresser la table, lui assurant que je suis pleinement en forme, et que cela lui permettra d’avoir un moment « entre hommes » avec son beau-père. Tout en lui assurant une pleine discrétion sur cela auprès de son épouse pour qu’elle ne l’incendie pas. Avec un peu de chance, Ryû sera revenu quand j’aurais terminé ma tâche, mais avoir une tierce personne est déjà un bon point. Je ne donne pas cher de ma politesse dans le cas contraire.

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under the mistletoe

Aider ma mère à la cuisine. Oui, en soi c’est une plutôt bonne idée, mais elle serait encore meilleure si je n’avais pas du abandonner Yun Hua aux griffes de mon grand-père il n’y a même pas quelques instants. Non, parce qu’il ne faut pas oublier à quel point je porte ce vieillard dans mon cœur, à quel point je l’aime d’un amour fou, profond, sincère. Ah, magnifique.  J’ai simplement envie de lui écraser une main en pleine gueule et de lui face bouffer sa prothèse dentaire. Vraiment. Sauf que je ne peux pas, parce que la famille c’est sacré. Il y a fait attention, lui, à sa famille ? Si j’avais une femme – je veux dire, une vraie – je n’oserais même pas faire la même erreur que lui. L’abandonner sur son lit de mort parce que je n’ai pas suffisamment de couilles pour affronter la vérité et la soutenir jusqu’au bout au lieu d’aller bosser. Bordel de merde. J’espère que Yun Hua n’agonise pas trop près de lui, là.

Alors que j’assiste ma très chère génitrice, je ne peux m’empêcher de tendre l’oreille à la conversation qui se déroule au salon et, lorsque me viennent les propos de mon grand-père, je ne peux m’empêcher de sourire, un peu plus amer encore. Bien sûr. Un idiot. C’est tout ce qu’il voit en moi de toute façon, comme je lui donnerais volontiers le nom de bâtard de première catégorie incapable d’aider les siens lorsqu’ils en ont besoin. Vous n’imaginez même pas à quel point mon envie de lui asséner un poing en plein visage est grande. Là, juste sur son bon nez bien laid. Ça me ferait un plaisir fou. Mais je vais arrêter là, ou je risque de devenir sacrément vulgaire, et ce n’est évidemment pas ce que l’on cherche.

J’aide ma mère à s’occuper d’un plat qu’elle est sur le point de terminer en regardant la multitude de récipients qui sont déjà éparpillés un peu partout dans la cuisine. Le plan de travail regorge de plats en tous genre, le frigo est plein a craqué. Elle a invité la moitié d’Osaka? Quand je lui pose la question, elle ose rire. La gueuse. C’était sérieux, hein. Je souris bêtement avant d’ébouriffer ses cheveux, puis je débarque au salon à nouveau, constatant que Yun Hua est occupée à dresser la table et que mon père discute avec l’autre imbécile. Pas besoin de lui accorder de l’attention, restons plutôt de bonne humeur et allons aider la femme enceinte – même si elle estime sûrement ne pas avoir besoin de cette aide, ahah.

« Désolé, maman avait besoin de moi.  »

Maman, oui. Bon, ok, à trente-et-un ans ça ferait presque ridicule de l’appeler comme ça, mais c’est ainsi. Je prends ce qu’il reste à disposer et essaie de faire au mieux, bien que mes talents de décorateur de table soient dramatiquement faibles. Je souris un peu quand nous avons terminé et j’adresse un sourire à ma collaboratrice avant d’essayer de me représenter mentalement l’endroit où chacun sera installé.

« Tu manges à côté de moi ?  »

Oui, à côté. Pas en face, ça ferait trop… Enfin. Pas en face. Je regarde les différentes places et, comme l’heure arrive à grand pas, je commence à espérer que tout se passera bien. Tout se passera bien.

« Il reste plus qu’à mettre les plats à table, je pense. »

Et je vois d’ailleurs ma mère arriver avec quelques plats, suivie de mon père qui a décidé d’abandonner sa conversation avec mon grand-père qui, en bon égoïste qu’il est, a déjà posé son derrière sur la chaise située en bout de table. Merveilleux, il ne manquait plus que ça ! Des claques, vous dis-je, des claques. C’est donc sans m’en préoccuper plus longtemps que je me rends à la cuisine pour aider mes parents à charger la table des mets divers et variés que ma mère a concoctés. Et achetés, d’ailleurs, car je n’ai pas manqué de remarquer la présence de quelques sucreries… Dont des sablés qu’elle n’a visiblement pas oubliés. Cela fait, on peut enfin prendre place pour ce putain de repas. Dans une ambiance plus que joyeuse, évidemment, puisque ma mère a mille-et-une chose à raconter.

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Je ne comprendrais jamais comment il est possible d’être aussi antipathique au naturel, je veux dire, cet homme se rend-il compte au moins à quel point il apparaît exécrable ? Il n’est pourtant pas difficile de concevoir que traiter quelqu’un d’idiot ne contribue pas à apporter une atmosphère sereine dans la maison, et c’est encore plus évident quand on s’adresse à la fille enceinte de ladite personne. Mais il faut croire qu’apparemment ce n’est pas le cas pour le dénommé Shoji. Soit, je peux bien admettre que moi-même je considérais Ryû comme un idiot fini à une époque, mais en plus des hormones qui me donnaient des sautes d’humeur intempestives, c’était parce que je le connaissais pour ainsi dire très mal. On pourrait supposer qu’en sa qualité de grand-père, le vieillard connaîtrait un peu mieux le brun et serait moins doté de préjugés faciles que moi à son égard. Comme quoi, la famille ne se révèle pas toujours être une alliée de taille et il m’est alors très aisé de me ranger à l’opinion de Ryû concernant le vieil homme. C’est typiquement le genre d’individu qui m’insupporte, autant par sa conduite, que par le récit dont j’ai eu vent à son sujet. J’ignore même comment le brun fait pour supporter sa présence, personnellement, je crois que je serais allée m’enfermer dans ma chambre sans plus de cérémonie. Mais c’est sans doute plus commode à trente ans de prendre sur soi pour ne pas contrarier ses parents. Enfin je crois.

Mon seul recours a donc été de m’emparer de la vaisselle pour tenter de la disposer correctement sur la table, afin de passer le relais à monsieur Katsura, qui doit être bien plus habitué à gérer son beau-père. Je me demande d’ailleurs si les parents ont aussi du mal à supporter le patriarche mais je me garde bien d’avoir l’idée de leur poser la question. Peut-être à Ryû plus tard. Ce dernier revient enfin de la cuisine et décide apparemment qu’il est plus sage de venir m’aider dans mon entreprise plutôt que de souffrir la présence de son aïeul. Sage décision, sans compter que j’apprécie son coup de main, car malgré tout, je ne suis pas d’une grande rapidité. Et c’est un bon prétexte pour que je n’ai pas l’air de rester seule dans mon coin aux yeux des autres personnes présentes dans la pièce.

« Ce n’est pas grave, je comprends, je réponds sincèrement, en essayant d’aligner correctement les couverts, je suis juste incapable de discuter calmement plus de cinq minutes avec lui, j’ajoute à voix basse avec un bref signe de tête pour désigner son grand-père. »

On l’aura compris depuis le temps, le sang-froid ne fait pas partie de mes qualités premières et si je n’avais pas un minimum de respect et de compassion pour sa mère qui s’est efforcée à préparer un repas digne de ce nom, je crois que je serais facilement sortie de mes gonds. Lui-même a déjà fait les frais de mon tempérament impulsif, parfois de façon injuste qui plus est. Des conneries en plus à mon palmarès ces derniers mois. Notre collaboration s’avère fructueuse puisqu’en un rien de temps la table est dressée, et je ne peux contenir un franc rire à l’écoute de sa question.

« Si tu veux oui. Tu pourras retenir mon bras si jamais j’ai des envies de meurtre à la fourchette. »

C’est une blague, bien entendu, enfin, en principe. Disons qu’il ne faut pas me tenter. Nous avons suffisamment de souci à nous faire sans avoir à subir des réflexions désobligeantes pendant tout un repas par un vieux qui se croit plus intelligent que tout le monde. Enfin bref, trêve de plaisanterie, il est l’heure de passer à table et j’aurais bien aimé apporter un peu d’aide comme le fait Ryû, si seulement sa mère m’en laissait le loisir. Au lieu de quoi, je suis condamnée à prendre place à table et à patienter en compagnie de l’insupportable vieillard, focalisant mon regard sur le défilé de plat pour ne pas risquer qu’il m’adresse à nouveau la parole. Autant dire que je suis soulagée quand tout le monde s’assoit enfin, cela m’aurait vraiment dérangée d’avoir à supporter d’autres remarques de mauvais goût.

En soi, cela n’a rien de bien exceptionnel, à part manger et écouter les divers récits de la mère de Ryû, je ne fais rien de bien passionnant, je m’attendais à pire, genre des questions à mon sujet ou autre. Je n’ai pas vraiment envie d’étaler ma vie devant sa famille, parce que ce serait franchement bizarre, en fait, passer Nouvel An avec eux est déjà bizarre en soi. Ok, techniquement, je porte leur petit-fils, leur fils m’héberge depuis plusieurs mois, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’on est en train de former un joli schéma familial parfait. Loin de là. C’est peut-être d’ailleurs parce que je me sens plutôt mal à l’aise que je décide spontanément d’aller aux toilettes, alors que je n’ai pas forcément bu beaucoup d’eau. Ou parce que les contractions occasionnelles me font un peu mal aussi. Et c’est donc grâce aux précieuses indications de madame Katsura que je trouve la salle bénite. Et d’y hurler comme si j’étais possédée.

« Oh putain ! Putain de merde !, je scande sans la moindre élégance, en sortant précipitamment de la pièce. »

Ok, ils me dévisagent sans doute comme si j’avais perdu l’esprit mais là c’est urgent. Genre vraiment urgent.

« Il… il arrive, je tente d’expliquer, en suffoquant à moitié en réalisant ce qui est en train de passer, je crois que je suis en train de perdre les eaux. »

Ou comment rendre un repas glamour juste avant le dessert. Je m’appuie sur le dossier de ma chaise, en regardant Ryû avec un air de détresse. Pourquoi est-ce ça doit arriver à un moment pareil ?

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under the mistletoe

Doucement, je commence à me calmer par rapport à la soirée à venir. Mon grand-père est exécrable au possible, mais ce n’est pas bien différent des habitudes, ce qui me forcera simplement à prendre sur moi afin de ne pas lui arracher des yeux pour en faire des apéritifs. C’est tout simple. J’adresse un sourire à Yun Hua quand elle m’annonce une chose qui me satisfait ridiculement : oui, je suis heureux de constater que je ne suis pas la seule personne qui ne supporte pas la conversation désagréable de cet homme qui ne mériterait même pas qu’on lui adresse un mot. Non, parce que j’entends ses commentaires désobligeants, je sais parfaitement ce qu’il pense de moi, mais qu’il se rassure, je n’en pense pas moins de lui. Mon envie de lui enfoncer la tête dans le premier mur qui passe n’est pas des moindres, mais je résiste vaillamment, parce que c’est ce que n’importe qui adulte mature ferait, et que je n’ai aucune envie de lui laisser croire que je ne suis qu’un enfant dans un corps d’adulte. Ce n’est pas le cas, même si je fais des conneries. Je ne peux pas m’empêcher de rire un peu alors que je termine de mettre la table en compagnie de l’étudiante, puis vient le moment de s’installer.

« Ouais, voilà. »

Un meurtre à la fourchette ? C’est peut-être une bonne idée, après on va éviter de s’imaginer une situation aussi glauque car je risque d’avoir un peu peur d’elle. Imaginez si elle décide de s’attaquer à moi au lieu de mon grand-père, hein ? Plus de Ryû, plus de cours d’informatique. Mes étudiants seraient tellement tristes ; les femmes aussi, je vous jure. Et ne parlons même pas de Roy. Il ne se remettrait jamais.

Et c’est donc avec joie et enthousiasme que commence ce putain de repas. Que j’écoute les commentaires déplacés de mon grand-père qui se permet tantôt de dire que Yun Hua est fort jeune, tantôt qu’elle aurait du trouver un autre homme, ce à quoi je m’empêche de rétorquer qu’elle n’est pas tombée enceinte volontairement, mais parce que j’ai été trop con. Mauvais calcul, pour une fois que je m’en rends compte avant de laisser échapper ma connerie.

Yun Hua quitte la table alors que je continue mon débat acharné avec ce bon vieux Shoji qui devrait sérieusement aller se faire voir au lieu d’être aussi chiant, mais notre conversation est rapidement interrompue par un cri. C’est fou, ça me rappellerait presque le jour où j’ai appris qu’elle était enceinte. Par réflexe, je me redresse, je la regarde revenir, sourcils froncés avant de demander ce qu’il se passe, mais je ne tarde pas à avoir la réponse.

« Quoi ?! »

Oui. Oui, c’est bien le moment. Putain de bordel de merde. Je ne sais absolument pas comment réagir, là, tout de suite, et je pose un regard alarmé sur mon père qui nous fait signe de le suivre. On le suit ? Ok. Ok. Ma mère a déjà saisi le téléphone pour appeler l’hôpital le plus proche, comme on n’est jamais sûr d’avoir une place et que Yun Hua n’était pas censée accoucher à Osaka, et je me maudis d’avoir accepté de venir fêter la nouvelle année en leur compagnie. Tout va bien se passer. Ma veste. Non, pas besoin. On a pas le temps, enfin je crois.

« Putain de merde. »

Poli, vraiment. Mais c’est pas important, vous réalisez ce qui est en train de se passer ? Et le vieux qui semble trouver ça drôle, à rire comme un imbécile heureux en me demandant si j’ai vraiment envie d’assister à ça. J’ai déjà pris le poignet de Yun Hua pour la tirer à ma suite jusqu’à la voiture de mon père. Je pourrais pas conduire dans mon état, je sais même pas si j’arrive à penser normalement, bordel. J’suis pas prêt pour ces conneries. Oui, bon, si elle perd les eaux, ça veut pas dire qu’elle accouche directement dans la seconde, ça va, mais… Je guette mon téléphone pour obtenir des infos de ma mère. Un hôpital peut l’accoucher. Nickel. Je donne l’adresse à mon père avant de reposer le regard sur Yun Hua. Je ne sais juste pas quoi lui dire. J’ai juste peur, en fait.

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Cette scène m’a traversé l’esprit de nombreuses fois, j’en ai même rêvé, ou cauchemardé selon le scénario en question, mais jamais je n’aurais pensé être prise de court de la sorte. Quelles chances y avait-il pour que cela survienne en avance, et précisément pendant le réveillon du Nouvel An ? C’est démentiel et de prime abord, je pense me tromper mais non, j’ai passé trop de temps à étudier le sujet afin d’être prête – ou de tenter de l’être tout du moins – le moment venu. Sauf que le moment venu dans mon esprit ne serait pas arrivé avant la première quinzaine de janvier et je me serais aussi rendue à l’hôpital de Tokyo, là où je me rends habituellement. Autant dire que les réflexions déplacées du grand-père me passent complètement au-dessus de la tête à présent, même si j’apprécierais grandement qu’il la ferme dans un instant si crucial. Retenez-moi, je vais lui en coller une. Heureusement, je suis trop préoccupée par ce qui m’arrive pour cela et je suis rassurée de voir que la mère de Ryû est suffisamment réactive pour s’occuper d’appeler l’hôpital du coin, parce que là, je me sens un peu paralysée, et pour le moins dépassée par les évènements.

Aussi est-ce mieux que le brun m’entraîne par le poignet à l’extérieur, car je peine vraiment à reprendre mes esprits, c’est comme si mon cerveau avait un bug et qu’il n’était pas capable de le dépasser. Des mois que j’ai passé à redouter cet instant crucial et maintenant que j’y suis, je ne sais plus quoi penser, je ne sais même pas quoi faire en vérité, alors je me laisse gentiment traîner dans la voiture du père de Ryû, tout désigné pour prendre le volant, ce qui est sans doute mieux. Si je me souviens bien, il ne faut pas adopter une conduite trop brusque en l’occurrence et il sera assurément bien plus serein pour cela. Ce n’est qu’une fois à bord du véhicule que je me fais la réflexion que j’aurais dû prévoir un gilet pour la soirée et ne pas avoir la lubie de porter une robe sans manche, parce que sans rire, j’ai froid. Même si a priori, c’est loin d’être la chose la plus importante me concernant pour le coup. Terrifiée ? A peine. Je crois que je n’ai jamais ressenti autant d’appréhension dans ma vie, même quand j’ai appris que j’étais enceinte, je n’avais pas peur à ce point. Je veux dire, et si quelque chose se passe ? S’il y a des complications supplémentaires ? Avec ma chance, cela ne m’étonnerait même qu’à moitié.

Dans ma panique, j’ai néanmoins le réflexe d’appeler ma mère, sait-on jamais, elle est peut-être dans les parages, enfin, je n’en sais rien, j’ai simplement besoin de lui dire que ça y est, le moment fatidique est arrivé, que dans quelques heures le bébé sera né. Bordel. Rien que d’y penser cela me fait suer et je fais de mon mieux pour ne pas trembler au téléphone. Même si cela s’avère plutôt être un échec. Ma mère fait ce qu’elle peut pour me rassurer mais bon, être parfaitement zen dans des circonstances pareilles serait étonnant je suppose. En tout cas, elle en vient à m’assurer qu’elle fait au plus vite pour nous rejoindre. Génial.

« Tu peux lui envoyer l’adresse de l’hôpital ?, je demande à demi voix, faisant de mon mieux pour ne pas me laisser gagner par le tournis. »

Satanée tension à la noix. Non en fait, je ne sais même pas si c’est dû à cela, ou si c’est un simple effet du stress, mais le fait est que je ne me sens pas très bien. Et je ressens à peine un soulagement quand nous arrivons enfin devant la façade du grand bâtiment censé m’accueillir. Sans rire, rien qu’en l’apercevant, j’ai envie de vomir mais on va éviter parce que ça le fait moyen quand même, voire pas du tout en fait. Je sors de la voiture en chancelant un peu et je suis reconnaissante de voir accourir le personnel médical vers moi une fois les grandes portes coulissantes passées, un fauteuil roulant me tendant grand les bras. Ouf. Je dis ça, alors que le plus dur reste à venir, d’autant que la sage-femme après s’être rapidement présentée comme telle, me prévient d’emblée que je peux dire adieu à la péridurale, parce que ce n’était pas prévu, blablabla. Encore une raison pour laquelle j’aurais dû rester à Séoul pour accoucher tiens.

Tentant d’ignorer le calvaire incommensurable qui m’attend, je jette divers regards inquiets à l’intention de Ryû, oui encore, mais je ne sais pas à qui d’autre témoigner mon inquiétude. Parce que même si la sage-femme m’explique que beaucoup de Japonaises accouchent sans péridurale et que tout se passe bien quand même, j’ai vraiment la frousse, mais pour le coup, je ne peux pas faire autrement. Chose qui apparaît encore plus évidente quand je suis enfin installée sur le brancard de la chambre d’hôpital et qu’on me dit que ça y est je peux pousser. Il ne faut pas plus de deux minutes pour que je me mette à émettre des hurlements stridents, à se demander si je ne vais pas réveiller tous les nourrissons déjà présents dans l’hôpital. Amen.

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under the mistletoe

Si je suis prêt à devenir papa ? Non. Enfin, oui. Enfin, je ne sais pas. Qu’est-ce que vous voulez que j’en sache ? Dans ma tête, j’avais encore un mois pour me décider ; un mois, trente-et-un jours. Enfin, un peu moins en vérité, mais j’espérais. Maintenant, je me prends une claque en pleine gueule et je suis incapable de gérer la situation alors que mon père me répète pour la cinquième fois au moins de me calmer… Et ce, sur le chemin qui mène à sa caisse. À la limite, on dirait que c’est moi la femme enceinte. Quelques minutes plus tard, néanmoins, je parviens à surmonter cette angoisse horrible pour soutenir Yun Hua comme je le peux. Oui, comme je le peux, parce que c’est l’inconnu pour moi aussi, que je ne sais absolument pas comment ça va se terminer, et surtout parce que j’espère que c’est « normal ». Il paraît que oui, mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter un peu malgré tout. Ça doit être normal, oui, on va y croire.

Pendant des mois je me suis dit que ce n’était pas grave, que cette grossesse allait se passer normalement, que le bébé allait naître et qu’on allait le faire adopter, tout simplement, mais j’ai l’impression que cette décision n’est plus aussi claire dans mon esprit, que j’hésite. Je ne suis pas prêt à devenir papa, je n’ai rien du père parfait, je suis même tout le contraire, mais je ne peux m’empêcher de réfléchir à tout ça. Est-ce que Roy était pareil avant la naissance de son fils ? Est-ce qu’il était prêt au moment où il était arrivé ? J’ai envie de l’appeler, j’aurais besoin de lui parler, de lui dire que le bébé sera bientôt là et que j’ai envie qu’il me donne son avis, mais je ne peux pas. Ce n’est pas le moment. Alors, dans mon impuissance flagrante, je me contente de regarder Yun Hua qui tente d’appeler sa mère, puis je hoche la tête à sa question, prenant son téléphone pour lui envoyer l’adresse. Ok, on est bons là. Enfin, je crois.

Mon cœur n’a jamais battu aussi vite qu’au moment où je vois se profiter devant nous la silhouette étrangement rassurante de l’hôpital. Nous y serons bientôt, tout ira bien. J’ai l’impression de le répéter tout le temps, d’ailleurs, et mon père me dit encore une fois de me calmer lorsque l’on sort de la voiture et qu’ils emmènent Yun Hua. Ok. Ok. Je me calme. Inspiration. Expiration. Tout va bien se passer. Imbécile, pourquoi tu la suis pas ? Je fronce les sourcils suite aux propos de mon géniteur, puis me décide à accompagner Yun Hua et les infirmières qui me demandent si je suis le père. Oui, je suis le père. C’est quoi leur problème ? Hm. Je comprends mieux quand ils me disent que je suis le seul à pouvoir être là. Il me semblait que le père ne pouvait pas toujours assister à l’accouchement ? On appelle ça faire une diversion pour ne pas penser à ce qu’il se passe. Je pose des questions débiles. Il paraît que c’est récent et que ça arrive de plus en plus souvent. Ah bah bien. Nickel. Un autre sujet ?

Le teint livide, je pince nerveusement les lèvres lorsque le travail commence. Ok. Ok. Non pas ok. Vraiment pas. Mais je ne pense pas être celui pour qui ça doit être le plus difficile, à en croire les cris qui emplissent désormais la salle.


Lorsqu’ils emmènent le bébé, quelques heures plus tard, je les entends féliciter Yun Hua. Bon travail, tout ça, tout ça. Et on ne dit rien pour le père qui attend depuis tout à l’heure, l’air à moitié exsangue ? Je veux voir le bébé. Mais visiblement, ils doivent d’abord s’en occuper, tout ça. Je pince les lèvres à nouveau, posa le regard sur l’étudiante… Je ne peux pas lui demander comme elle va : elle vient d’hurler à la mort pendant des heures, je crois qu’il vaut mieux éviter, la connaissant. Elle doit avoir besoin de se reposer, non ?

« Tu t’en es bien sortie. »

Oui, bon. Vous diriez quoi à une femme qui vient d’accoucher, vous ? J’ai toujours l’estomac serré et le cœur qui bat à trois cents à l’heure… Mais tout va bien, non ? Un soupir m’échappe alors que mes yeux se tournent vers l’endroit où disparaissent les infirmières avec le bébé. Bien…

« Il va falloir se décider, maintenant… soufflé-je plus pour moi-même qu’autre chose. »

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under the mistletoe

C’est sans aucun doute l’épreuve la plus dure que j’ai eue à subir jusqu’ici. J’en ai connu des moments difficiles, des situations où je me sentais au bord du désespoir mais sincèrement, donner la vie est si douloureux que j’en viens à me demander comment je vais parvenir à tenir bon jusqu’au bout. Jamais je n’aurais songé que ce puisse être si éprouvant, sans doute parce qu’au fond on ne parle jamais vraiment du calvaire que c’est sur l’instant, ma propre mère ayant toujours mentionné ma naissance comme étant le plus jour de sa vie. Pour l’heure, j’ai plutôt l’impression que c’est le pire moment de la mienne et mes hurlements stridents suffisent à témoigner du supplice que je suis en train d’endurer, à croire que je serais devenue aphone d’ici quelques heures à force de redoubler de cris sans arrêt. Qui a eu l’ingénieuse idée de décréter que ce n’était pas si grave au fond de ne pas bénéficier d’une péridurale ? On a beau m’encourager, me dire de redoubler d’efforts, j’ai l’impression que mon corps va me lâcher d’un instant à l’autre, que je vais m’effondrer et que je ne tiendrai pas jusqu’au bout. J’en viens même à douter que la pauvre fille menue que je suis puisse réellement capable de s’en sortir sans encombre.

Ma volonté – et sans doute la brillante compétence des médecins surtout – surpassant mes appréhensions, les cris du nouveau-né résonnent enfin au bout de plusieurs heures, et je m’effondre sans plus tarder sur le matelas du brancard en lâchant un profond soupir. Une bonne chose de faite si je puis dire. Cependant, mon cœur s’emballe de nouveau alors que j’ai à peine le droit d’apercevoir le bébé, qu’ils emmènent sans plus tarder, mais où au juste ? On me rassure, c’est juste une formalité mais malgré moi, je panique et j’ai beau essayer de me redresser pour voir ce qu’il en est, on me somme immédiatement de rester allongée, de me reposer, tout ça. Heureusement, dans mon anxiété, la voix de Ryû parvient jusqu’à moi, à vrai dire, j’avais presque oublié sa présence à force de trimer comme une folle. C’est peut-être idiot mais une fois n’est pas coutume, savoir qu’il est là a un effet apaisant et je me calme de sitôt, parce qu’il est évident qu’il ne resterait pas sans rien faire si jamais on enlevait le bébé. Notre bébé. Bordel. Sans oublier qu’il va – enfin – falloir savoir comment on va s’y prendre comme il ne manque pas de le rappeler.

« Je… Je peux le voir ?, je souffle péniblement, la voix tremblante. »

Comme un signe du destin, l’une des sages-femmes revient avec le petit être, vêtu d’un kimono, chose assez étrange je dois admettre, dans les bras. C’est bizarre mais je dois avouer que c’est chou et il ne faut pas me demander de tendre les bras pour le porter à mon tour, cela se fait tout naturellement, comme si ça allait de soi. Alors que je n’ai jamais su si j’étais réellement prête à assumer ce rôle de mère, ne serait-ce que pour une minute durant les derniers mois. Il me suffit de croiser ces petits yeux adorables, ces petites prunelles rieuses pour que le déclic se fasse aussitôt. Je ne peux pas me résoudre à songer que ce sera l’unique fois que j’aurais le loisir de les regarder et de les contempler avec tendresse, peu importe que cela m’oblige à ramer pour les jours, les semaines, les mois et les années à venir, peu importe que je me fasse jeter de l’agence ou même de l’université pour cela, je ne peux pas l’abandonner. Et l’émotion fait monter les larmes aux yeux, mais ce ne sont pas des larmes de tristesse, ce sont des larmes de soulagement et de bonheur, parce que je sens enfin ce que je vais faire. Reste à savoir si c’est partagé.

« Tu veux le tenir ?, je propose au brun avec un petit sourire, en reniflant un peu. »

Un coup d’œil vers la porte de la salle entrouverte, avant de passer le bébé, me permet de constater que ma mère est arrivée et son sourire à la fois doux et satisfait suffit à me faire comprendre qu’elle a compris quelle était ma décision, et qu’elle en est fière. Allez savoir pourquoi.

« Je ne sais pas ce que tu en penses, je reprends après que le bébé a trouvé sa place dans les bras de Ryû, mais personnellement, je ne peux pas le laisser. Il est magnifique… »

Et je ne dis pas ça uniquement parce que j’en suis la mère. Enfin peut-être. On s’en fiche. Ce qui est important, c’est que lui va décider maintenant.

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under the mistletoe

On ne panique pas, on reste calme, tout va bien. Concrètement, maintenant que le bébé est là, que Yun Hua a accouché, je ne devrais plus me sentir aussi mal. Je ne parviens toutefois pas à me calmer, et j'ai la profonde impression d'être au bout du pic d'une falaise, sur le point de tomber, et qu'on me demande de sauter en me disant que tout ira bien. Malgré moi, je n'y crois pas, et la décision qu'il va falloir prendre maintenant me paraît plus effrayante que le reste des choisir que j'ai du faire au cours de ma vie. La vie de Yun Hua. Ma vie. Tout va changer si on décide de garder ce bébé, si on tente de s'en occuper... On n'est même pas ensemble! Peut-être que je devrais arrêter de me prendre la tête avec des questions existentielles et essayer d'être... un peu plus objectif? Clair qu'un père alcoolique, c'est l'idéal pour ce gamin. Calme Ryû. T'as le temps. Ou peut-être pas?

Je m'apprête à répondre qu'il faudra attendre un peu pouvoir le bébé quand je vois une infirmière revenir, le bébé dans les bras, pour le tendre à Yun Hua. Ah, oui, j'avais oublié, dans ce pays, c'est une affaire de femmes. Je pince les lèvres, comprenant malgré tout cette décision, et je laisse mon regard voyager un peu partout dans la pièce, sauf sur l'étudiante et le bébé. Mais la curiosité est telle que mes yeux rejoignent rapidement les deux. Si je veux le tenir? Pendant un moment, je semble incapable de répondre à cette question. Non, je ne veux pas. Enfin, j'aimerais bien, mais j'ai peur de ne pas vouloir le laisser partir après. Et pourquoi elle ne le garde pas? Mauvaise idée, je ne devrais pas lui poser ces questions. Alors je me contente de hocher la tête, souriant légèrement à la jeune femme alors que j'accueille le bébé dans mes bras.

Je baisse alors les yeux vers le petit, incapable d'en détacher le regard. Et je reste silencieux quelques secondes après les paroles de Yun Hua. Magnifique? Je ne pourrais même pas dire que ce n'est pas vrai. C'est peut-être une fibre paternelle? Qu'on arrête les conneries, s'il vous plaît, je ne sais même pas si ce genre de chose existe. Sur le moment, je suis juste privé de tout répondant, et je me surprends à bercer un peu le petit, bien malgré moi.

« Je ne sais pas...  »

Non, je ne sais pas ce qu'il faut faire... Mais ne sais-je pas ce que je souhaiterais? Je réfléchis encore un peu, sans rendre le bébé à Yun Hua.

« Tu penses qu'on pourrait s'en occuper? »

Cela voudrait dire qu'il faudrait s'arranger différemment. Déjà, il faudra que je me charge d'aménager l'appartement pour qu'il accueille un enfant, il faudra qu'on se débrouille pour ne pas faire n'importe quoi avec lui, même si l'on n'est pas forcément doués. Il y aura tellement de choses à faire si l'on décide de le garder.

« C'est notre enfant.  » conclus-je un peu plus fermement.

Il n'y a pas de doute, il n'y a pas de question, cet enfant est le mien et il est tout simplement hors de question que je le laisse partir dans les bras d'une autre famille. Alors je souris un peu.

« Je pense qu'on devrait le garder. »

Je devrai aller l'enregistrer à la mairie, quelque chose comme ça. Enfin, j'en ai discuté un peu avec mon père, je ne sais pas trop comment ça va se passer maintenant. Soit. Je m'approche de Yun Hua pour lui rendre le bébé, réfléchissant un peu.

« Tu as envie de quelque chose?  »

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under the mistletoe

Evidemment, ni les circonstances, ni nos situations respectives ne semblent jouer en notre faveur et évènements ont souvent été peu propices à notre égard. Il me suffit de quelques secondes de réflexion pour imaginer l’amas de difficultés qui se présentera à nous au moment où nous sortirons de cette clinique avec le bébé. Aussi diverses et nombreuses puissent-elles être, aucune d’elle ne réussit cependant à me faire flancher concernant ma résolution, pas même celle qui me rappelle que non, nous ne sommes pas un couple et nous ne vivons pas ensemble même si j’ai squatté le logement de Ryû ces derniers temps, et que par conséquent l’organisation s’annonce folklorique. Surtout si je continue de demeurer à l’internat de l’université. Je suis consciente qu’il n’y a rien pour nous faciliter la tâche et que moi-même je suis experte en la matière pour transformer d’ordinaire une configuration a priori simple en un schéma complexe qu’il faut alors dénouer, mais honnêtement rien ne vaudra jamais la douleur oppressante sur mon cœur à l’idée que je devrais éventuellement me séparer de ce bout de chou, sans la moindre possibilité de le revoir. Et de devoir lui expliquer plus tard si jamais il me retrouve que je n’ai pas été assez courageuse pour tenter ma chance et me battre pour être à la hauteur.

En revanche, j’ignore tout du sentiment du brun sur le sujet, malgré les visites chez le médecin et les nombreuses occasions que nous avions d’en discuter, aucun de nous n’a jamais eu le courage ou l’envie d’aborder ouvertement le sujet. Sans doute parce que ça ne se présentait pas comme quelque chose d’imminent j’imagine et personnellement, c’était encore bien flou jusqu’à ce que je voie le visage du nourrisson pour la première fois. Cela suffira-t-il à dissiper des doutes également ? Il me suffit d’observer la façon dont il se prend à bercer le nouveau-né pour esquisser un nouveau sourire et comprendre qu’il se prêterait déjà au jeu, même s’il n’est peut-être pas tout à fait conscient. Je me contente de hausser les épaules suite à sa question : si je pense qu’on pourrait s’en occuper ? Je ne sais pas, en tout cas, j’ai envie d’essayer, de me dire qu’on peut y arriver malgré tout, parce que comme il le dit ensuite, c’est notre enfant. Aussi l’idée de le confier à quelqu’un d’autre s’est immédiatement évaporée, peu importe que d’autres soient peut-être plus qualifiés et aient un train de vie plus paisible, je ne peux pas me résigner à me séparer de lui. J’aurais tout simplement l’impression de l’abandonner.

Et je suis soulagée de voir que Ryû finit par en arriver à la même conclusion. Mine de rien, m’imaginer me débrouiller toute seule pour m’occuper comme je peux du bébé me terrifiait, je dois le reconnaître, alors savoir qu’il est prêt à me suivre dans ce périple déraisonné, c’est rassurant. Même si encore une fois, je ne sais pas du tout comment nous allons pouvoir nous y prendre niveau organisation mais dans l’immédiat, ce n’est pas si grave. Enfin je pense. Je n’en sais rien, tout ce que je sais c’est que cela me procure une joie inouïe quand je retrouve le petit être dans mes bras au moment où il me le repasse. Je pourrais rester là à l’observer toute la journée, enfin, toute la nuit plutôt en l’occurrence, car il se fait tard désormais, d’ailleurs, je ne sais même pas quelle heure il est. Sommes-nous toujours le trente-et-un ou le premier du mois ? Je suppose que la réponse peut attendre, en revanche, je m’en voudrais de faire patienter Ryû trop longtemps à force de m’égarer sur les traits de visage du bambin.

« Désolée, j’ai du mal à décrocher, je m’excuse avec un petit rire, je veux bien un verre d’eau s’il te plaît si c’est possible. »

Parce que maintenant je me rends compte que les maternités japonaises sont plutôt spéciales, alors je ne sais pas vraiment s’il y a des normes bizarres pour cela aussi. Enfin, a priori je ne pense pas, mais je n’aurais pas non plus pensé qu’on songerait à mettre un kimono à un bébé avant de le donner à sa mère. Sa mère. Rien à faire, je n’arrive pas à intégrer l’idée et pourtant, mes cordes vocales elles, je pense qu’elles s’en souviendront, aucun problème.

« Il a ton nez je crois, non ?, lui fais-je remarquer avec curiosité, une fois qu’il est de retour. »

Ben oui, quoi de plus normal que de commencer à chercher des similitudes visuelles chez ce pauvre bébé ? Franchement, je ne sais pas ce qui me prend, je me sens bête après coup mais c’est plus fort que moi. Je garde les yeux fixés sur l’enfant comme si j’espérais y déceler un autre élément significatif. Affligeant oui oui.

« Sinon, tu as une idée pour le prénom ? »

Non parce qu’avant de réfléchir à qui il ressemble le plus, il faudrait peut-être qu’on se mette d’accord là-dessus. On ne va pas l’appeler « bébé » éternellement.

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under the mistletoe

Il me faudra sûrement encore un peu de temps pour admettre que ce gamin est vraiment mon fils, même si la biologie et ma mémoire le prouvent, même si je sais qu'il l'est. En fait, c'est plus une question de me sentir prêt, ce qui n'est clairement pas le cas... Et pourtant, je suis papa. C'est plus facile de me dire que ce n'est pas le cas. D'un autre côté, je suis particulièrement heureux alors que mon regard se pose sur cette petite chose d'apparence fragile. Qu'on le veuille ou pas, qu'on l'admette ou non, ce petit est notre enfant, et je dois faire de mon mieux pour qu'il ait tout ce dont il a besoin. Si je suis prêt à faire des sacrifices pour ça, ça reste à voir, mais pour l'instant, je sais que ma volonté est de ramener ce gamin à la maison et de m'occuper de lui. C'est mon enfant. Notre enfant. Même s'il n'était pas désiré à la base, il est là désormais, et le laisser partir avec d'autres personnes ne me semble tout simplement pas possible.

Doucement, les émotions de ce soir retombent, remplacées par un mélange particulier de soulagement et d'appréhension. Le soulagement que tout se soit bien passé. L'appréhension de ne pas être à la hauteur pour m'occuper du petit être, que je rends à Yun Hua quelques instants plus tard alors qu'elle répond à ma question.

« Je vais aller chercher ça, réponds-je en un sourire. »

Une fois encore, mon regard se pose sur mon garçon, et je ne peux m'empêcher de sourire un peu plus. C'est tellement niais. J'ai vraiment l'impression d'être une autre personne lorsque je le regarde comme ça. Tout compte fait, être papa sera peut-être plus facile à admettre que je le pense, et si l'on s'en occupe ensemble... Ça se passera bien. Je quitte alors la chambre pour me diriger à l'endroit où se trouvent les infirmières pour demander à l'une d'entre elle s'il est possible d'obtenir un verre d'eau pour la jeune mère, ce que l'on m'accorde, pour mon plus grand bonheur. En possession de ce bien incroyablement précieux, je reprends la route de la chambre et le dépose sur la table juste à côté d'elle, haussant un peu les sourcils à sa question. Mon nez?

« Euh... Je sais pas? Il est peut-être tôt pour le savoir, non? »

L'air de rien, ça me fait rire. Ce bébé est minuscule, il vient à peine de naître, comment on peu le savoir? Inconsciemment, toutefois, je viens gratter légèrement l'arête de mon nez. Je me demande si tout se passera bien. Je ne devrais pas me prendre la tête comme ça. Sans ajouter un mot, je tends un peu les bras vers Yun Hua pour qu'elle me donne le petit, souriant légèrement, pour qu'elle puisse boire, et je réfléchis à sa seconde question.

« Le prénom? » Oui, c'est vrai qu'y penser ne serait pas du luxe. « Hm... J'y ai jamais pensé, en fait. »

Clair que "bébé" c'est pas top. On pourrait l'appeler truc, mais je doute qu'il soit vraiment content en grandissant. Alors je réfléchis un peu. Un gamin... Hm.

« Les seuls trucs qui me viennent, ce sont des noms de personnage de jeu vidéo, genre Sora, Riku... »

Paie le geek, j'en peux plus. En fait, c'est le gaming que je devrais arrêter, pas la clope et l'alcool.

« T’as plus original, peut-être ? »

Je souris de nouveau, gardant le bébé dans mes bras en me posant des questions existentielles. J’ai presque du mal à croire que je pensais le faire adopter au début.

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Affligeant ? Attendrissant ? Je ne saurais me prononcer sur mon comportement actuel. C’est comme si j’étais complètement dépassée par les évènements – et je le suis très assurément – et que je ne pouvais que sourire d’un air béat face à ce minuscule visage qui m’inspire autant de tendresse. Je peinerais presque à me reconnaître moi-même, moi qui d’habitude redoute tellement les gens que je ne connais, je laisse tomber les barrières d’office avec le nouveau-né. Soit, ce n’est pas non plus comme si j’avais quelque chose à craindre de sa part, quoique, sait-on jamais, on peut toujours avoir une mauvaise surprise. Mais je ne sais pas, il me suffit d’un regard pour être apaisée, entrer dans une bulle où j’ai le sentiment que rien de l’extérieur ne peut m’atteindre et que tout ira bien désormais. On en reparlera dans quelques semaines, mais d’ici là, je préfère me perdre dans ma contemplation mielleuse plutôt que d’appréhender en permanence ce qui m’attend. Et oui, cela inclut de faire des réflexions stupides sur les potentielles ressemblances du bébé avec l’un des parents. Nul doute qu’en temps normal, je me donnerais moi-même des baffes, peu importe, en temps normal, je ne m’imaginais pas non plus décider spontanément de m’occuper d’un bébé, encore moins d’en avoir un.

La remarque de Ryû n’est pas sans m’amuser : il est vrai que je me prononce peut-être un peu tôt pour le moment et c’est de bon cœur que je lui passe le petit être, afin d’avoir les mains libres pour boire mon verre d’eau. Je ne suis pas attendrie au point d’être excessivement possessive non plus, l’observer d’un peu plus loin alors qu’il se trouve dans les bras du brun ne me dérange pas. Au contraire, cela me réjouit de voir qu’il partage mon émotion, mine de rien, ça change beaucoup de choses. Comme se consulter mutuellement pour le prénom, eh oui. Moi non plus je n’ai jamais vraiment réfléchi à un nom pour l’enfant, je ne voulais même pas savoir s’il s’agissait d’une fille ou d’un garçon à la base, alors ne parlons même pas du prénom. Et j’avais beau songer de temps à autre à la possibilité de le garder au final, cela n’avait jamais été qu’un projet bien vague, et encore lointain jusqu’à ce soir. Nous voilà bien, maintenant il va falloir réfléchir deux fois plus vite.

C’est plus fort que moi, je ne peux réprimer un sourire malicieux à l’entente des diverses propositions de Ryû. Quoi de mieux qu’un prénom issu directement de Kingdom Hearts ? Je pense qu’il y a pire, ce n’est pas comme il allait s’appeler Satoshi et subir les réflexions intempestives de ses camarades à chaque que sortira un nouveau jeu ou une nouvelle série Pokémon. Qui sait, on pourra même jouer à Kingdom Hearts III avec lui d’ici le temps qu’il sorte. Cela dit, pour être honnête, Sora n’a jamais fait partie de mes prénoms préférés et je ne peux que faire une petite grimace en songeant à Riku. En même temps, je ne m’y connais pas en prénom japonais – pour ne pas dire pas du tout, quelle vie – alors mes choix sont bien minces. Autant choisir un prénom que je saurais écrire de suite tant qu’à faire, puisque les kanjis sont compliqués au possible, même s’il est possible que je n’aurais peut-être pas pensé cela, si je n’avais pas appris le japonais en cours de route.

« Roxas ?, je suggère en essayant de me représenter en train de l’appeler ou de parler de lui, ça sonne mieux je trouve. Et je préfère, j'ajoute en reposant mon verre vide. »

Cela va peut-être de soi, mais il me paraît bon de le spécifier quand même. Bien que le personnage n’ait pas franchement une fin heureuse dans l’absolu, il fait quand même partie du héros principal. Et puis zut, Roxas c’est classe, voilà, point. Riku je ne dis pas, mais Sora, non pitié. En plus, je ne suis pas partisane des prénoms mixtes, que voulez-vous c’est comme ça.

« De toute façon, ce sera absolument un prénom de Kingdom Hearts, je sais pas écrire d’autres prénoms en japonais. »

A quelques exceptions près évidemment, sinon j’aurais du mal à m’en sortir. Mais je pense ne pas me tromper en disant que je peux les compter sur les doigts de la main, j'étudie le dessin et la peinture, ne l'oublions pas. En fait, je ne suis même pas certaine de pouvoir écrire « Ryû » sans me planter.

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under the mistletoe

Si c'était une fille, je proposerais Daenerys. Ok, c'est parfaitement cliché de ma part, on s'y attendait tous, mais j'y peux rien si c'est l'un des premiers prénoms qui me viennent lorsque je pense "prénom féminin"... Avec Hikari, d'ailleurs, mais je doute que nommer une fille comme mon ex-fiancée soit une bonne idée. Et puisqu'on en parle, ce n'est pas une fille, mais un garçon, alors j'ai bien du m'aider de ceux que je connais. Sora et Riku, ça me semblait bien, d'ailleurs... Non parce que Vexen, Xemnas, Axel... On va éviter, c'est pas comme si notre prononciation était déjà chelou, hein? Je souris un peu à cette pensée, essayant d'en dire quelques-uns dans ma tête, et je réalise bien vite que j'ai eu raison d'éviter ceux qui ne sonnaient pas vraiment japonais.

« Roxas? »

Rien que prononcer le mot me semble bizarre. On parle bien du petit roux qui passe son temps à se plaindre de tout, qui se paie toutes les merdes du monde et finit par disparaître? Hm. Je ne sais pas si j'ai envie d'appeler mon fils comme une tête à claques, à vrai dire.

« T'es vraiment sûre? C'est quand même dur à dire. Roxas, Roxas. »

On le répète pour la forme et pour appuyer la théorie, mais on n'a surtout pas envie de dire que c'est pas notre prénom préféré. Sora et Riku sont tellement plus cools! Surtout Riku, à vrai dire, mais on va éviter de dire que Sora, non content d'être un niais de base, est vachement lourd quand il le veut. Je souris un peu en regardant le bébé que je n'ai toujours pas lâché. Je crois que ça n'arrivera pas de sitôt, d'ailleurs (enfin, il faudra bien que je le dépose à un moment ou à un autre, mais actuellement, j'éprouve un peu trop d'amour paternel pour mon bien).

« J'aimais bien Riku. »

Je fais la moue? Ok, Ryû, trente-et-un ans, l'attitude la plus mature que je pourrai avoir au cours de ma vie, je pense. Je réfléchis encore alors que mon regard se repose sur Yun Hua. J'espère qu'elle ne va pas décider de l'appeler, genre, Marluxia. Ça donnerait quoi, ça, en japonais? Marulukushia? Un truc comme ça? Bordel, ils auraient pas pu trouver quelque chose de plus simple?

« Au pire on peut attendre un peu pour lui trouver un prénom... Non ? »

Donner mon accord pour Roxas? J'ai un peu de mal, oui, je l'avoue... D'un autre côté, il faut admettre que ce prénom reste assez difficile à prononcer pour moi, petit japonais de base avec une connaissance en anglais qui ne lui permet pas forcément un accent irréprochable. Je pourrais lui proposer de donner un prénom coréen au gamin... Mais allez, je connais pas leur alphabet chelou et, de tout façon, ça donnerait un truc bizarre en japonais.

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under the mistletoe

Stop. Faisons le point quelques secondes, cela fait à peine quelques minutes que j’ai – enfin – réussi à mettre au monde le petit être qui monopolise toute notre attention et voilà que nous en sommes déjà à discuter d’un prénom. Outre l’accélération terriblement inquiétante des évènements pour quelqu’un qui observerait la scène de l’extérieur, il y a même plus troublant encore. Je veux dire, n’est-ce pas complètement déroutant de discuter de tout cela dans l’harmonie la plus calme possible, presque parfaite même ? Ce n’est pas comme si on peut imaginer une seconde qu’élever cet enfant ensemble sera une mince affaire. Comment s’y prendra-t-on au juste ? La façon dont on tombe systématiquement d’accord sur plusieurs points n’est pas sans m’effrayer, depuis combien de temps au juste peut-on supposer qu’il y ait un « nous » dans l’histoire ? Soit, il a été clair que nous devions prendre en charge ce « problème » - qui n’en est plus un, miracle – à deux mais jusqu’à présent, cela n’impliquait pas forcément une espèce de notion d’unité ou je ne sais quoi. Or, si nous projetons de nous occuper de l’enfant ensemble, cela implique davantage de choses, non ? Du moins, c’est ainsi que je le perçois et je ne sais pas s’il est vraiment sage de m’impliquer autant avec quelqu’un, même si je suis consciente que ça ne peut pas dire non plus qu’on sera toujours dans les pattes de l’autre vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Du moins je l’espère.

Alors dans un sens, cela me rassure un peu que nous soyons en désaccord pour le moment sur le choix du prénom, cela signifie que nous n’avons pas totalement sombré dans le torrent mielleux de la toute nouvelle naissance. Ce qui ne m’empêche pas de froncer les sourcils avec sévérité au moment même où Ryû remet ma suggestion en doute. Quoi Roxas ? En quoi ce serait dur à prononcer exactement ? Ce n’est pas non plus un de ces prénoms purement anglophones, qui sont parfois terriblement difficiles à dire sans se planter. Si des développeurs de jeu japonais ont su introduire un tel prénom, ce ne doit pas être la mort. Je parie même qu’il  y a moins de chance d’être gratifié d’une prononciation désarticulée en s’appelant Roxas, que j’ai pu en connaître jusque-là à l’université ou même au Japon tout court. Je leur en foutrai moi des « Yuna ». D’où le fait que je ne songe même pas un instant à énoncer l’idée d’un potentiel prénom coréen. Telles que les choses sont parties, le gamin va assurément passer une bonne partie de sa vie, sinon l’entièreté au Japon, et je ne suis pas suffisamment attachée à mes origines pour vouloir absolument lui imposer un prénom que ses camarades écorcheront en permanence. Et que ses enseignants ne sauront pas écrire avant quatre ou cinq fois. Bon sang, il faut que j’arrête de l’imaginer déjà entrant à l’école primaire, ça devient glauque.

« Riku ?, je répète sans franche conviction en observant le petit bébé, confortablement installé dans les bras de son père, non, je préfère définitivement Roxas, je réaffirme, pas émue le moins du monde par la moue qu’il me sort. »

Non parce que Riku ça fait vraiment trop… Ryû quoi. Sans compter que je ne suis pas fan de la sonorité du prénom en elle-même, bien que je reconnaisse qu’il y a pire comme nom à porter tout de même. Pour l’heure, je ne suis pas d’humeur à céder et je me contente de hocher la tête suite à la nouvelle intervention du brun. Il vaut peut-être mieux y réfléchir à tête reposée, en effet.

« Oui, on en reparlera. Mais je te préviens, je ne cède pas facilement. »

Très rarement en vérité, quand j’ai une idée en tête, il est quasiment impossible de m’en séparer. Alors si j’ai décidé que ce serait Roxas et que demain je me lève en étant toujours convaincue que c’est le meilleur prénom de l’univers, je n’en démordrai pas. Au pire, on le jouera à pierre-feuille-ciseaux. Belle façon de choisir j’en conviens, mais je pense qu’en comparaison avec tout le reste, ce n’est pas grand-chose. Et ce n’est pas non plus comme si nous avions des prénoms farfelus à l’esprit, j’estime que dans un cas comme dans l’autre, il ne s’en sortira pas trop mal. Au pire les grands-parents trancheront. Wouah. J’ai peine à croire que ma mère est en fait grand-mère maintenant, limite ça me choquerait plus que de me dire que je suis mère moi-même à présent. Un constat qui ne me quitte pas alors que la sage-femme donne enfin le feu vert au père de Ryû et à ma mère pour entrer dans la pièce et, je vous le donne dans le mille, je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit qu’elle joue déjà aux mamies gâteaux, complètement gaga devant le nouveau-né. Autant je trouve le bébé magnifique, autant j’ai l’impression que pour elle c’est le nouveau messie. Au secours.

Enfin, la meilleure partie c’est quand même la sage-femme qui juge bon de nous proposer de prendre rapidement quelques photos pour immortaliser l’instant et, évidemment, maman qui saute sur l’occasion en affirmant que c’est formidable. Non mais je rêve. Et non, en trois secondes, la voilà qui s’amuse à pousser  doucement, de façon peu discrète, Ryû à côté de moi, et à placer le père de ce dernier, comme si c’était elle qui était en charge de la photo. Un vrai chef.

« Désolée, elle est un peu trop enthousiaste je crois, je chuchote à Ryû, en tendant les bras pour reprendre le petit bout de chou, nullement perturbé par toute cette agitation contre toute attente, fais un semblant de sourire et peut-être que dans une minute le dictateur s’en ira, j’ajoute avec un sourire espiègle. »

Allez prions pour que la sage-femme soit douée, que ma mère ne soit pas trop exigeante et que Roxas/Riku ne nous fasse pas une crise de larmes à un moment. On y croit.

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under the mistletoe

Il m'est un peu difficile de réaliser que je suis dorénavant devenu père. Il y a quelques heures, j'étais encore incapable de comprendre à quel point cela me semblerait étrange, lorsque ça arriverait, mais... Non, au bout du compte, ça me fait vraiment bizarre de me dire que la petite chose fragile et rose que je tiens dans les bras est mon enfant. Certes, il n'aura pas été désiré, au début, il est le résultat d'un moment d'égarement, d'un manque de précaution flagrant et d'une dépendance un peu trop marquée pour que j'en sois fier, mais maintenant que je l'ai dans mes bras, je ne peux m'empêcher de penser que je suis heureux qu'il soit là, que tout se soit bien passé. On n'a pas tous la chance de devenir parents, encore moins à l'heure actuelle, dans ce pays. Je ne regrette pas autant que je le pensais que Yun Hua ait pris la décision de ne pas avorter. Ça va être compliqué, certes, on va peut-être pas être les parents les plus doués du monde, et vu notre relation, ça risque même d'être particulièrement explosif, mais bon. On est décidés à faire des efforts, pas vrai?

En vérité, je pense n'avoir jamais été aussi décidé à l'idée de prendre soin de quelqu'un d'autre que moi. J'ai voulu protéger Mi, j'ai protégé Hikari du mieux que je le pouvais, quand on était ensemble, même si cela n'aura pas été suffisant pour l'empêcher de partir à cause de cet enfoiré, mais ce n'est pas comparable à ce que je ressens actuellement. Ce petit être qu'est mon enfant, je veux son bien, je veux qu'il ait tout ce dont il pourrait avoir besoin, quoi qu'il en coûte, même si je dois pour cela faire des sacrifices considérables par rapport à mes habitudes. Certes, cela ne m'empêchera pas de voir du monde, de vivre, d'aller travailler ou de profiter du temps dont je dispose, mais je ne veux pas être absent. Yun Hua m'a fait comprendre, bien malgré elle, à quel point ce genre de chose est négatif pour un enfant, et je ne souhaite pas ça pour le mien.

Et en parlant de lui, il est peut-être temps de se décider pour un prénom, bien que la lutte s'annonce un peu plus difficile que prévu. Peu d'inspiration, un simple jeu vidéo comme source d'idée, sans compter que des deux prénoms que nous aurions pu choisir, elle a décidé d'opter pour celui qui ne me plait pas vraiment. Roxas, ça me semble tellement long à prononcer. Malheureusement, Yun Hua ne semble pas prête à en démordre, ce qui m'arrache un léger sourire alors qu'elle réaffirme sa préférence. Riku c'était bien, non? Franchement, je vois pas pourquoi être allé chercher une lettre qui ne figure même pas dans les sons qui existent dans la langue locale. Ça doit être parce qu'elle aime me contrarier, quelque chose comme ça. Soit. Pour moi-même, je répète un peu le prénom qu'elle préconise, les yeux toujours posés sur le petit qui se trouve encore dans mes bras. Non, on va l'appeler comme ça? Je refuse quoi. On en rediscutera.

« T'en fais pas, j'aurai de bons arguments,  réponds-je en riant un peu. »

De toute façon, il ne va pas retenir son prénom directement, pas vrai? Je sais même pas comment ça fonctionne un enfant quoi. Mode d'emploi, quelque part? Help me, please. Je crois qu'on aurait du m'expliquer ce que c'est que la paternité. Certes, j'ai eu un bon exemple, mon père est certainement l'un des plus aimants du monde, mais je me demande quand même ce que ça va donner avec... Bah avec moi dans le rôle de père, quoi. À croire que je manque cruellement de confiance en moi pour le coup, ça me ferait presque rire.

Mes yeux se posent sur mon père qui a enfin reçu l'autorisation d'entrer dans la pièce, ce qui m'arrache un très large sourire en réponse au sien. Oui, Ryû, trente-deux ans, fier de voir son père arriver. Je crois qu'il m'a été d'un grand soutien, cette nuit, et que j'aurais certainement paniqué sans lui. Aucun self-control, c'est vraiment triste. La mère de Yun Hua, de son côté, semble également sur un nuage, ce qui étire un peu plus mon sourire alors que mes yeux se posent tour à tour sur les différentes personnes qui se trouvent dans la pièce. Rien à faire, je suis heureux. Je pourrais le nier, mais ça serait un horrible mensonge, vu le sourire d'idiot que j'arbore, sans vouloir lâcher le petit.

Par contre, quand la sage-femme propose une photo, je fronce légèrement les sourcils. Je savais pas que ce bébé était devenu l'attraction nationale? Non, parce qu'il ne faut pas oublier que, même si ce bébé est le notre, nous ne sommes pas vraiment une famille. Au sens biologique du terme, oui, certes, mais ça s'arrête là, pas vrai? Ce n'est pas comme si Yun Hua et moi filions l'amour parfait, ce n'est même pas comme si l'on s'aimait, à vrai dire, et je me demande parfois comment l'idée folle d'élever cet enfant nous est venue. À croire que la biologie joue un grand rôle dans nos réactions. M'enfin.

Perdu dans mes pensées, je ne bronche pas alors que la mère de Yun Hua me pousse un peu plus près de sa fille, souriant ensuite au commentaire de Yun Hua, à qui je daigne enfin rendre le bébé que je monopolise depuis quelques longues minutes sans avoir vraiment l'envie de m'en défaire.

«  Je la comprends un peu, tu sais.  »

Oui, bon. On ne fera pas de commentaire sur ces mots, hein. C'est pas comme si c'était mon premier enfant, comme si j'avais pensé pendant des années que ma descendance se résumerait au néant. Une fois de plus, même si ce bébé n'était pas vraiment prévu au programme, je ne peux m'empêcher de sourire à la sage-femme qui semble prête à prendre la photo, attendant qu'elle ait terminé son oeuvre pour reposer le regard sur Yun Hua et le bébé. Et une fois de plus, je souris.

Alors que je laisse la jeune mère discuter avec sa propre génitrice, je retourne vers mon père pour mettre un peu les choses au point avec lui. Parler avec lui a toujours été un grand réconfort à mes yeux, et je suis largement satisfait quand je vois qu'il approuve ma vision de la suite des événements. Une demi-approbation, certes, car je comprends bien qu'il est anxieux à l'idée de me voir repartir à Tokyo maintenant, mais il comprend aussi que c'est nécessaire. D'ailleurs, après avoir un peu discuté avec lui, je reviens vers Yun Hua.

« Je vais retourner à Tokyo ce soir, annoncé-je après avoir réfléchi un moment. Je vais sûrement rentrer avec ma mère pour qu'elle m'aide à arranger un peu l'appartement pour le bébé, comme on n'a rien là-bas.  » Oui, bon, un peu arbitraire comme décision, non? «  Ça te va? »

Mieux, bien mieux. Après tout, elle n'a peut-être pas envie de retourner à Tokyo, pas vrai? Je souris un peu avant de reposer le regard sur le bébé, posant un peu la main sur son crâne pratiquement chauve. Je devrais pas m'attendrir comme ça, ça va me faire perdre toute ma crédibilité. Déjà que je dois pas en avoir énormément aux yeux de Yun Hua. Oh, tant pis, c'est mon fils, bordel de merde, comprenez que ça m'émeut.

&

under the mistletoe

Franchement, je ne comprends pas pourquoi on doit en arriver là. C’est ridicule de vouloir prendre une soi-disant « photo de famille » - rien que l’expression pourrait me refiler des nausées ahem – quand on est au fait de la situation. Mais évidemment, comme rien ne se passe jamais comme prévu, il a fallu que j’accouche dans une clinique éloignée de Tokyo, ils n’ont certainement pas encore compris le contexte. Très bien, faisons comme si de rien n’était, ne crions surtout pas après ma mère, avec le peu de voix qui me reste, qui a l’idée fabuleuse d’appuyer la proposition de la sage-femme et qui s’est auto-proclamée metteur en scène du cliché. Sans rire, ce n’est pas parce qu’elle est un mannequin reconnu que ça lui donne le droit de positionner tout ce petit monde comme bon lui semble pour avoir un meilleur angle selon ses dires. Elle ne veut pas non plus nous relooker, nous recoiffer aussi tant qu’on y est ? Sa démarche m’agace un peu, mais au fond, je dois reconnaître que je m’amuse un peu de la situation, après tout, on est tous dans le même bateau à devoir subir ses petits ajustements pour la photo du siècle. Et ça me fournit un très bon argument pour reprendre le bébé dans les bras. Je devrais faire attention à ne pas devenir trop possessive, ou à ce rythme je vais grincer des dents dès que quelqu’un l’approche.

Cela dit, la remarque de Ryû ne manque pas de me faire arquer un sourcil d’étonnement. Il la comprend ? Eh bien, il y en a au moins un, parce que non, même si je suis terriblement prise d’attendrissement pour le petit bout qui se tient tranquille dans mes bras, je ne vois pas tant en quoi cela justifie qu’on doive poser devant l’appareil. Même si je n’exclus en rien le fait que je risque d’accrocher ladite photo ultérieurement et de sourire bêtement en la regardant de temps à autre. Pour l’heure, tâchons de la réussir cette fichue photo, et je fais vraiment de mon mieux pour ne pas trop avoir une tête accablée par la fatigue due aux heures que j’ai passées à lutter pour que le bébé voie enfin le jour. Je sens bizarrement que je vais bien dormir tiens.

Et comme la sage-femme s’avère être une professionnelle, en une minute à peine nous sommes enfin délivrés de cette corvée. J’espère au moins que ça en aura valu la peine, je ne sais pas pourquoi, je me sens soudainement irritée à cause de l’agitation permanente autour de moi. L’épuisement sans doute. Ou le fait que ma mère se montre si tonique après des mois à m’avoir laissée seule chez Ryû aussi. Bon, pas complètement seule puisqu’il était chez lui de temps à autre quand même, c’est son appartement après tout, mais voilà, je crois que je ne me remettrais jamais de ce petit tour qu’elle m’a éhontément joué. Parce qu’elle ne vienne pas me dire qu’il n’y avait définitivement pas moyen pour elle de se libérer, ne serait-ce que pour le dernier mois. Soit, je ne vais pas faire la mauvaise tête, pour l’heure, je suis simplement soulagée qu’elle ait pu venir jusqu’ici, parce que oui, elle a beau m’avoir fait le pire tour du monde en tant que mère, je n’ai pas moins besoin d’elle pour autant. Et je prends ses conseils avec une sérieuse considération quand elle m’explique comment il faut tenir le bébé pour qu’il soit bien installé et en toute sécurité. Sans compter qu’elle est déjà en train d’imaginer les différentes tenues qu’elle va lui acheter pour l’habiller. Ce bébé a à peine quelques minutes et voilà déjà Mamie gâteau à l’œuvre.

Heureusement, Ryû vient interrompre notre discussion philosophique sur le fait qu’un pyjama jaune ne rend pas forcément bien – pour ma part je reste convaincue que ça fait poussin – pour annoncer son départ imminent. Plaît-il ?

« Ah ?, je réponds un peu surprise par une décision si soudaine, avant de me raviser suite au signe de tête rassurant de ma mère, oh, heu d’accord… Fais attention pour le choix du berceau. Et de la poussette ! C’est important, faut que ce soit mignon mais pas trop heu…, je m’interromps en me rendant compte que je m’emporte peut-être beaucoup, bref, fais au mieux. »

Gare à lui s’il ose choisir des trucs fluos. Ou kitch. Ce n’est pas parce que je suis actuellement coincée sur un brancard et relativement éreintée que ma colère sera moins terrible à mon retour. Bon a priori, je n’ai pas de raison de m’en faire quant à ce que j’ai pu observer dans son appartement, la décoration est correcte. Mais le plaisir d’un petit sermon était trop tentant.

« On va dire au revoir à papa alors ?, j’énonce sans réfléchir, en regardant tendrement le bébé avant de le tendre, vers ledit père pour qu’il puisse le prendre une dernière fois dans ses bras avant de vaquer aux préparatifs. »

Et je crois qu’ensuite, je vais sérieusement songer à me reposer après toutes ces émotions. Apparemment je suis partie pour rester plusieurs jours à l’hôpital, ma mère m’a dit qu’elle me rendrait visite – la base – au moins une fois par jour. La nourriture a intérêt d'être bonne.