Tenue ★ De toutes les déclarations de Saint-Valentin, la plus originale qu’Uriyel eut reçue fut envoyée par veille et par son futur beau-père contre toute attente. Une boîte de chocolat accompagné d’un carton où elle pouvait lire en entête sur une police italique de taille vingt-quatre et de couleur dorée, invitation. Un sourire nerveux s’étire sur ses fines lèvres, quand elle continue à lire, car elle comprenait que sa présence n’était pas facultative mais obligatoire. Plutôt que s’inquiéter pour son sort, ses pensées se dirigèrent vers son fiancé. Il devait certainement avoir reçu l’invitation à l’heure actuelle et elle n’osait pas imaginer la tête qu’il tirait en parcourant les quelques lignes inscrites sur le papier. Le lendemain, elle prit place dans le véhicule aux côtés de son fiancé avec une certaine appréhension. La conversation fut plutôt courte, comme à son habitude, lui semblait être occupé et elle, face au silence qui s’imposait, avait préféré somnoler ou du moins prétendre à dormir car c’était plus simple ainsi (sans compter le fait qu’elle s’était couchée tardivement pour préparer ses affaires). Dès que le moteur de la voiture fut coupé par le conducteur, la demoiselle se réveilla quasi instantanément. « Pas trop fatiguée par la route ? Allons déposer nos affaires, avant de voir ce qi nous attend » murmura-t-elle en s’étirant silencieusement et faisant craquer les articulations de sa nuque. Elle ouvre la portière du véhicule tout juste arrêté devant l’auberge où il allait passer leur petit séjour ; ce n’était pas du grand luxe, mais ça avait l’air confortable du moins.

Tenue ★ L'invitation pourrissait dans la poubelle de son bureau, déchirée en mille morceaux par ses soins. Où son père dénichait-il ces idées farfelues ? Si cela ne le gênait pas de se présenter à un gala de charité, jouer le bénévole pour aider de vieux paysans à la campagne l'enchantait beaucoup moins. Malheureusement, son paternel ne lui laissait pas le choix. Il devait aussi suivre quelques consignes pour satisfaire au mieux la curiosité des courageux journalistes qui oseraient éventuellement s'aventurer jusque là pour vérifier l'information -oui parce qu'on croise pas un Beckford à la ferme tous les jours- : 'ne te comporte pas comme un enfoiré, sois un gentleman avec Uriyel'. Comme s'il n'avait que ça à faire. Il jeta un coup d’œil rapide à la demoiselle qui se tenait sur le siège d'à côté puis soupira avant de reporter son attention sur son Ipad. Ils n'avaient échangé que quelques mots mais elle l'ennuyait déjà. Le véhicule s'arrêta devant la fameuse auberge. « Parle pour toi, t'as dormi tout du long. Mon canapé n'est pas assez confortable ou quoi ? » Il esquissa un sourire moqueur. Peut être que si elle dormait mal, elle finirait par lever le camp. Ethan rassembla ensuite ses affaires. « J'espère juste qu'on aura pas à partager le même lit. » Ah, l'héritier Beckford et sa légendaire bonne humeur. Il ouvrit la porte et son visage se décomposa lorsqu'il se rendit compte de la gravité de la situation. Il n'y avait rien à des kilomètres à la ronde si ce n'est quelques petites maisons. Ethan pointa du doigt l'auberge et se retourna vers Uriyel alors que le chauffeur repartait sans eux après avoir déposer leurs valises. « Je dors pas là-dedans moi ! » Princesse Ethan, bienvenue à la campagne.

Tenue ★ « Si tu veux le tester une nuit, je te le prête volontiers, t’as mauvaise mine » rétorque-t-elle sur un ton plaisantin, avant d’ignorer la remarque suivante, bien trop occupée à admirer le trou paumé dans lequel ils allaient séjourner. Elle ne connaissait que la ville et c’était bien là son inquiétude, pour autant, ses inquiétudes étaient bien vites balayée par son optimiste. La seule chose qui projetait de l’ombre, c’était le côté ronchon de son adorable fiancé. « C’est réciproque », pas question de dormir avec lui, déjà que partager une même chambre s’annonçait compliquée, alors un même lit… elle était vouée à l’entendre râler jusqu’à ce que la fatigue le submerge ou qu’elle l’assomme.  Prenant sa valise, elle commença à la tirer vers l’auberge. Le voyage commençait bien, une protestation se fit entendre et elle ne peut s’empêcher de soupirer.  

Avec son sourire le plus bienveillant, Uriyel se retourne en croisant les bras un instant ; « tu comptes peut-être dormir à la belle étoile, ici ? » demande-t-elle amusée, « allez, viens. » Elle pivote sur ses talons et rattrape sa valise pour ensuite parcourir le peu de distance qui lui reste. « Premier arrivé, premier servi ! » crie-t-elle en secouant la main dans sa direction, avant de pousser la porte et disparaître derrière. Parfois, elle avait vraiment l’impression d’avoir affaire à un môme. Il ne manquait plus qu'il morde à l'hameçon.

Tenue ★ C'était l'hôpital qui se foutait de la charité. Elle devrait s'estimer heureuse de pouvoir dormir sur son canapé. Enfin, fallait pas se mentir, il n'avait d'autre choix que de la tolérer. Son père avait été plutôt clair à ce sujet. Mais pour le moment, Ethan se tenait face à une situation plus délicate encore. L'auberge qui s'élevait au milieu de ce petit village de campagne ne payait pas de mine. Il ne voyait de bâtisses aussi rudimentaires que dans les reportages qui passaient au milieu de la nuit. Du coup, Ethan abordait une expression déconfite. Lui qui ne fréquentait que des établissements tous plus luxueux les uns que les autres commençait à appréhender sérieusement cette foutue Saint Valentin placée sous le signe de la charité et de l'entraide. Si on supposait qu'il connaissait seulement la signification de ces termes. S'il ne craignait pas tant son père, il le rappellerait sur le champ pour lui demander d'arrêter ces plaisanteries douteuses. Ethan marmonnait des paroles inintelligibles dans sa langue natale ronchonnant comme un gamin capricieux. Il tomba de la même manière dans le piège de sa fiancée et la rattrapa rapidement ne voulant pas hériter de la pire chambre. Il posa sa main sur son épaule et se pencha à son oreille alors qu'ils pénétraient dans l'auberge. « Tu préfères pas que je cherche l'hôtel le plus proche ? » Il grimaça en contemplant l'intérieur rustique ainsi que les deux ou trois vieillards ivrognes qui traînaient là. Une femme au moins aussi âgée que les lieux s'approcha d'eux pour les accueillir avec un large sourire. « Bienvenue mes enfants ! J'espère que vous avez fait bonne route. » Ethan souffla et désigna du menton sa valise plutôt que de lui répondre. Elle les guida donc à travers l'auberge. « Ah oui, vous souhaitez vous installer. Bien, hm. Il me semble que vous êtes fiancés, partager une même chambre ne vous dérange pas alors ? Il ne nous reste plus beaucoup de place. » Aussitôt, afin d'exprimer son mécontentement, il pinça Uriyel. L'aubergiste ouvrit les paravents de leur espace et c'est tout juste si la mâchoire d'Ethan ne se décrocha pas. Des futons, des couvertures, pas l'ombre d'un véritable lit et c'était une pièce minuscule en plus. La vieille femme les abandonna et Ethan s'ébouriffa les cheveux à deux doigts de la crise de nerfs. « C'est hors de question, je dors pas ici. C'est mort ! » Un véritable caprice d'héritier pourri gâté. Il se demandait vraiment ce qu'il faisait ici.

Tenue ★ Dos à lui, il ne pouvait voir le grand sourire jubilatoire étirer les lèvres de sa fiancée quand il la rattrapa, mais dès qu’elle se retourna, cette joie se modéra drastiquement. « Toi qui était éveillé pendant tout le trajet, t’as vu un hôtel poussé au milieu de nulle part ? » répondit-elle à voix basse en tournant le visage vers lui, dent serré, tout en affichant à l’aubergiste qui s’avançait vers eux, un sourire enchanté. À vrai dire, Uriyel n’était pas plus rassurée que son compagnon, même si elle était réduite à un confort très limité, il restait d’un niveau bien plus élevé que celui que semblait offrir les lieux. « Bienvenue mes enfants ! J'espère que vous avez fait bonne route. » Parce que Ethan s’était décidé à s’emmurer dans un silence qui en disait long sur ce qu’il pensait de tout cela, Uriyel répondit à la propriétaire en gardant son entrain habituel, riant même avec elle alors que cette dernière les guidait dans les couloirs de l’auberge. Elle garda son sourire, même lorsqu’elle sentit sa peau pincé par son fiancé. « Si t’es pas content, dis-lui toi-même » dit-elle sans prononcer le moindre mot, lui imposant une courte séance de lecture labiale. Après une rapide réflexion, Uriyel demanda à la vieille dame s’il était possible d’avoir une deuxième chambre, sous prétexte d’un léger petit différend entre son fiancé et elle, mais la réponse fut négative et à ces mots, elle les laissa, face à leur nouvelle chambre. Au moins, il ne pourrait lui reprocher d’avoir tenté. Lui qui s’était transformé en petite Ariel, retrouva instantanément sa douce voix pour pousser une complainte. « As-tu une alternative dans ce cas ? » demande-t-elle avec douceur et patience, le regardant droit dans les yeux avant d’ajouter « parce que je n’en vois aucune. » Se déchaussant, elle inspecta rapidement les lieux et nota l’absence de sanitaire qui devait être commune et l’objet d’une jérémiade prochaine de son fiancé. « En attendant, on va dépoussiérer ça, sauf si tu veux dormir avec les nombreuses bêbêtes dedans » elle attrapa une pile futon-couverture et le mit dans le bras d’Ethan. En l’espace d’un instant, elle se remémora la fois où sa mère lui avait confié le même travail, sortir les draps et étendre cela dans le jardin afin de tout aérer, pour l’arrivée du printemps.

Tenue ★ La tentative d'Uriyel pour leur obtenir une seconde chambre s'avéra peu fructueuse. Au grand malheur d'Ethan qui poussa un long soupir de lassitude. Il ne s'attendait néanmoins pas à ce que l'espace qu'on leur prêtait soit aussi minuscule. Ainsi, non seulement il allait devoir dormir dans la même pièce qu'Uriyel mais en plus ils allaient pratiquement être collés l'un à l'autre. Ethan leva les yeux au ciel comme pour implorer ce bon seigneur de l'épargner mais se doutait bien qu'étant plus un serviteur du diable qu'autre chose il ne risquait pas d'obtenir sa clémence. « On va rentrer, voilà ce qu'on va faire. Je ne vais pas rester une minute de plus ici. » Pour autant, il ne fit pas demi-tour. Bien au contraire, il s'avança un peu plus pour lui aussi inspecter les lieux. Il avait bien conscience que ce qu'il proposait n'était même pas une option envisageable. Son père lui ferait une tête au carré sinon. 'T'en profiteras pour apprendre à connaître ta fiancée' tu parles d'une occasion. Il la supportait déjà au quotidien, il pouvait dire qu'ils se connaissaient assez bien non ? « Des bêbêtes ? » Répéta-t-il un peu distrait tout en jetant un coup d’œil autour de lui alors qu'elle le chargeait de couvertures. Ni une, ni deux, il lâcha le tout et croisa ses bras sur sa poitrine. « J'ai que ça à faire. C'est ton job ça. » Et plutôt que de venir en aide à Uriyel, il dégaina la seule chose à laquelle il pouvait encore se rattacher : son paquet de cigarette. Il en glissa une entre ses lèvres sans l'allumer pour l'instant. Que fumer entre ses murs soit autorisé ou pas, il ne comptait pas se gêner. « On a même pas de vrais lits, j'dors pas par terre moi. » Un véritable diva, Uriyel risquait fort d'en voir de toutes les couleurs pendant cette Saint Valentin. Son valentin n'était pas prêt à faire des efforts de son côté.

Tenue ★ Entre les plans foireux que lui concoctait son propre père, s’ajoutaient ceux de son futur beau-père. Aussi charmant puisse-t-il se montrer à son égard, elle restait lucide quant à la bienveillance dont il faisait preuve ; en oubliant la demi-confession d’Ethan sur un fait passé, il y avait quelque chose dans le regard de cet homme qui la mettait mal à l’aise. Surtout lorsqu’il lui demandait de comment se passait les choses avec son fils. La réponse était toujours la même, parfaitement bien même si elle aurait voulu que la réalité s’y approche ne serait-ce qu’un peu. Intérieurement, elle poussait un très long soupire, mais extérieurement, il y avait toujours ce fin sourire dessiné, de plus en plus crispé, en le voyant laisser tomber sur le sol, les draps confiés. « Ne te plains pas si ça te démangera cette nuit » répond-elle calmement en attrapant du bout de doigt pour le mettre dans un coin de la pièce.  Elle avait beau réfléchir, ce n’était pas ainsi qu’elle allait régler le souci, elle avait face à elle un grand enfant de très mauvaise foi. Elle pouvait continuer à l’ignorer, mais cela ne résoudrait en rien le fond du problème malheureusement. S’accroupissant un instant, son visage entre ses mains, elle leva ses yeux vers son fiancé. « Dans ce cas,  que dirais-tu de cons…  » Uriyel s’arrête, elle voit alors une araignée descendre du plafond et tomber pile sur le haut du crâne d’Ethan. Pas la petite araignée toute mignonne, mais le grand-père araignée ou l’ancêtre, bien grosse et bien velue.  « Oh my… » Sans plus attendre, elle se lève en bondissant presque sur ses pieds avant de frapper du trachant de sa main, le faut du crâne de son promis. « Arrête de faire l’enfant » ajouta-t-elle ensuite en glissant ses mains derrière son dos, avant de filer d’attraper les couvertures et filer vers la cour.

Tenue ★ Rien de s'imaginer enveloppé dans ces vieilles couvertures fleuries et poussiéreuses lui donnait la nausée. Éduqué à l'occidental, il ne comprenait pas comment certaines personnes réussissaient à dormir à même le sol. Il ne connaissait que la literie de qualité, qu'il s'agisse de sa chambre ou de suites luxueuses de prestigieux hôtels. Et surtout, il pensait réellement qu'un mec comme lui ne méritait pas un tel traitement. Il n'était pas n'importe qui. « J'ignore lequel, de ton père ou du mien, a fait le plus fort dans la connerie. » Il passa ses mains sur son visage puis dans ses cheveux les ramenant en arrière. Il repéra une toile d'araignée dans le coin de la pièce et fronça le bout de son nez. « Est-ce que c'est pire de vivre avec toi ou de dormir dans un trou à rat avec toi ? » Mais Uriyel ne lui accorda aucune réponse et sans qu'il ne puisse le voir venir, elle frappa le sommet de son crâne. Aussitôt, il plaqua sa main sur ses cheveux pour se le masser. Elle n'y était pas aller de main morte non plus. Ses sourcils se froncèrent et il ouvrit la bouche, légèrement choqué. Mais qu'est-ce qui lui avait pris ? « Mais...mais ça va pas ! » Il lui emboîta le pas, elle ne pensait tout de même pas s'en tirer aussi facilement ? Il la suivit dehors et ramassa sur le chemin une couverture qui s'écroula de la pile qu'elle portait. Il la roula en boule tant bien que mal avant de la lui balancer au visage. « Hé la gueuse ! J'peux savoir pourquoi tu m'as frappé ? » Non parce qu'on frappe pas un Beckford impunément. Surtout pas Ethan qui, il faut se le dire, n'avait aucun scrupule à lever la main sur une femme. Comme unique vengeance, parce qu'il entendait la vieille aubergiste marchait vers eux, il lui fit une pichenette sur le front. « Tu refais ça et j'te tue. » Il ne plaisantait pas. Vraiment, elle n'avait pas intérêt à recommencer.

Il se tourna ensuite vers la dame plutôt âgée qui venait de déposer à leurs pieds une grosse corbeilles de linges. « J’espérai que cela ne vous dérangerait pas d'accrocher mon linge aussi. Je me suis coincée le dos, et c'est un peu compliqué. » Ethan lui offrit un sourire des plus crispés, tellement crispé que ça lui faisait une drôle d'expression. Il se baissa pour prendre le premier vêtement qui ressemblait à un caleçon d'obèse. Il pouvait rentrer dedans au moins cinq fois. Il poussa un long soupir et attrapa des pinces à linge en bois pour accrocher l'espèce d'énorme drapeau blanc qu'il tenait entre les mains. « Dites-moi les enfants, ça fait longtemps que vous êtes fiancés ? Quand allez-vous vous marier ? » Le plus tard possible, songea l'héritier Beckford intérieurement. Il désigna la demoiselle du menton pour lui montrer qu'il n'avait pas envie de causer de mariage mais qu'elle pouvait toujours tenter d'en parler avec sa très chère fiancée qui, très certainement, ne devait pas avoir envie d'en parler non plus. Ethan se demandait tout de même à quoi elle pensait quand elle s'imaginait leur cérémonie.

Tenue ★ En même temps qu’elle courrait, elle était partagée entre rire et anxiété. D’un part parce qu’en réalisant ce qu’elle venait de faire, elle trouvait cela complètement dingue et jouissif ; après tout, si on prenait ce fait avec tout ce qu’elle subissait de sa part, il méritait parfois qu’on le frappe. D’autre part, elle savait que son adorable fiancé n’allait pas rester les bras croisés dans la chambre, en attendant son non retour pour lui faire ses comptes. Une couverture glisse, en se retournant, elle la reçoit en pleine face. « Argh » grogna-t-elle en l’aplatissant sur le futon qu’elle tenait contre elle, afin de se dégager la vue et c’est là qu’elle vit Ethan planté juste devant elle. Son expression en disait tellement sur ce qu’il pensait de son attaque surprise, qu’elle se préparait déjà aux représailles. Après tout, avec lui, tout semblait être donnant-donnant. « Tu ne le sais vraiment pas ? » Comment pouvait-elle lui dire qu’il y avait sur la tête une araignée géante ? Uriyel séchait et préférait jouer la carte de la taquinerie, bien que cela déplaise à ce dernier. Sa bravoure n’était qu’une façade bien lisse, elle sentait ses muscles se crisper, elle s’attendait au pire mais sa salvation vint de la vieille aubergiste. En guise de punition, une pichenette. « Aïe ! Ça fait mal ! » chouina-t-elle en exagérant, se frottant avec vivacité le front mine de rien, pour chasser la douleur, la bouille toute attristée.

Écoutant la requête de l’aubergiste adressé à Ethan, Uriyel en profita pour s’éclipser à pas feutré, pour étendre sur l’étendoir les couvertures dans la petite cour. Néanmoins, elle écoutait d’une oreille attentive la discussion qu’avait son fiancé, du moins, il était avare en mot et elle sentit sur elle, leur deux regards. Troublée et un peu surprise, elle bafouilla un désastreux « un jour peut-être, quand le bon moment viendra… » La réponse était évasive car la réalité était compliquée, ils n’étaient pas maître de leur destiné, juste des pantins. « N’est-ce pas Ethan ? » Elle lui renvoyait la balle, à ce fiancé qui perdait sa voix dès lors que la vieille dame était dans les parages.

Tenue ★ Non mais sérieusement, qu'est-ce qu'il lui avait pris à cette nana ? D'accord, il n'arrêtait pas de râler et ça devait être fatiguant de l'écouter geindre mais il n'avait rien fait de mal pour une fois. Il ne l'avait ni insulté ni maltraité, son petit doigt l'avait même pas effleuré, c'est pour dire. Du coup, il ne comprenait vraiment pourquoi il avait mérité ça. Alors il se défendit comme un gosse. « Mais je t'ai rien fait ! » Pour une fois, pensa-t-il sans l'ajouter. Non mais c'est vrai, dans d'autres situations, il l'aurait pas volé. Ethan choisit de se venger à l'aide d'une pichenette. Il ne pouvait guère faire plus avec l'autre vieille qui venait leur taper la conversation.

Tout en accrochant le linge docilement, Ethan tendit l'oreille pour écouter la réponse d'Uriyel, prêt à sauter sur une occasion de se foutre de sa gueule. Sauf que, non seulement sa réponse ne lui permit pas mais en plus elle lui renvoya la balle. Il grogna et marmonna quelque chose d'incompréhensible dans sa langue natale. Le bon moment ? Encore un truc de nana qui rêve du prince charmant. Elle n'avait pas encore compris que leur histoire n'avait rien d'un conte de fée ? À la limite, ils pouvaient jouer la belle et la bête. « Nous avons le temps. Uriyel n'a pas encore terminé ses études en plus. » Réponse raisonnable et parfaite. Enfin, si ça prenait à leurs paternels de les marier demain bah ils se marieront demain, fallait pas rêver. D'un coup, la vieille trottina jusqu'à Uriyel et lui prit la main. « Mais c'est ce qui me semblait, vous n'avez pas de bague mademoiselle. Comment cela se fait-il ? » Elle se tourna vers Ethan visiblement outrée par cette découverte. L'héritier, lui, ne savait plus où se mettre. Qu'est-ce qu'il pouvait bien répondre à ça ? C'est vrai qu'elle ne portait pas de bague mais est-ce que ça signifiait qu'il devait lui en offrir une ? Uriyel ne voulait sans doute rien de sa part, n'est-ce pas ? « Oh, euh, elle n'aime pas trop les bijoux. Elle oublie tout le temps de la mettre. » Voilà, bien fait. Il adressa à Uriyel un grand sourire hypocrite et plus que fier de la connerie qu'il venait d'inventer.

Tenue ★ Peut-être que c’était l’air de la campagne qui la rendait ainsi, elle le trouvait si mignon, lui qui boudait et se vexait pour avoir été frappé sans savoir pourquoi. Le geste était gratuit avec ou sans la bêbête en velours mais la réaction de son fiancé était sans prix. Affichant un simple sourire taquin d’apparence, à l’intérieur elle en en pleurait de rire face au côté enfantins qui ressortait soudainement de ce dernier. L’air frais devait drôlement lui aérer le cerveau, elle se garda de le dire, se contentant de profiter du spectacle qui lui avait coûté une pichenette. Ayant terminé d’étendre la première couverture, elle répéta le geste avec le second, se hissant légèrement sur la pointe des pieds pour pouvoir faire suspendre la seconde couette. Sincèrement, si elle faisait également la couche de monsieur, c’était pour se racheter silencieusement.  

Un sourire amusé étira ses lèvres, elle comptait bien prolonger indéfiniment ses études. C’était le seul moyen qu’elle avait trouvé pour le moment, pour fuir ses futures responsabilités. Quand elle en aurait fini avec la psychologie, elle allait certainement chercher un autre cursus pour ne jamais sortir du cycle des études. Se qualifier, c’était son éternel prétexte, mais jusqu’à quand son père l’écouterait-t-il répéter le même mot ? Elle n’en savait rien, longtemps qui sait. À voir comment son promis était submergée par le travail, elle préférait encore rester noyer par les cours et les devoirs. La main de l’aubergiste la fit tressaillir, pour autant elle ne retire pas sa main de la sienne. La bague de fiançailles, Uriyel ne voulait absolument pas y penser ; se maudissant simplement de ne pas avoir pris une alliance en toc pour éviter ce genre de question. « C’est difficile de mettre une bague qui n’existe pas » rétorqua la demoiselle en croisant les bras. Elle ne pensait pas répondre de la sorte, mais puisqu’il l’avait cherché cette fois, elle n’allait pas rester silencieuse. « Si vous pouviez le gronder pour moi, je vous en serais reconnaissante, il est plutôt têtu dans son genre. » Elle prenait un petit air affligé qui déclencha la compassion de la vieille dame, qui lançait alors un regard déçu à Ethan, profitant qu’elle lui tourne le dos, Uriyel lui tira la langue avant d’attraper un futon.

Tenue ★Honnêtement, Ethan s'était fait à l'idée du mariage. Et sans doute depuis plus longtemps que sa fiancée. La vérité c'était qu'il avait toujours su que son paternel l'arrangerait pour lui et choisirait sa compagne. L'amour ? Il ne connaissait pas ça et ne s'en préoccupait pas. Puis il ne méritait probablement pas que quelqu'un pense à lui de cette manière. Mais parfois, quand il regardait Uriyel, il culpabilisait de ne rien pouvoir lui offrir. Elle faisait preuve de beaucoup de patience avec lui. Même s'il ne le montrait pas et qu'il jouait sa tête de mule, il s'estimait plutôt chanceux. Sans qu'il ne puisse mettre le doigt sur ce sentiment étrange, il la considérait différemment. Plus il passait de temps avec elle, plus cela lui permettait de tolérer sa présence et peut être même d'accepter qu'elle prenne un peu de place dans sa vie. Mais ne comptez pas sur lui pour dévoiler tout ça.

Il préférait garder son rôle, celui de l'enfoiré et qu'il lui convenait si bien, on le lui donnait volontiers. Ça ne le dérangeait pas. Sauf quand Uriyel le prenait à son propre jeu. Alors Ethan se raidit. Elle n'avait pas osé ? Ils se trouvaient entourés de paysans et elle le balançait comme ça ? C'était certain, la vieille allait lui tomber dessus. « Pas de bague ?! » Les épaules du jeune héritier se crispèrent. L'aubergiste abandonna Uriyel pour s'approcher d'Ethan et lui attrapa l'oreille. Aussitôt, il grimaça de douleur et se tordit en avant, faut dire qu'elle était si petite comparée à lui. « Jeune homme ! Cela veut donc dire que vous n'avez pas fait de demande en bonne et due forme ? » Ethan grogna quelque chose d'incompréhensible. « Cette demoiselle doit porter une bague. Les gens doivent savoir qu'elle n'est plus un cœur à prendre mais votre promise ! Et puis c'est un gage d'affection, une preuve que vous allez tenir votre parole de l'épouser, l'aimer et la choyer. » Cette fois, il leva carrément les yeux au ciel. Tout ça ? Il n'était vraiment pas sur d'être capable de faire tout ça pour elle. Quand l'aubergiste le relâcha, il se massa l'oreille. « Bien j'vous laisse vous excuser. J'ai des choses à faire. Et faut que vous vous rattrapiez ! » Elle s'éclipsa tout en secouant la tête comme ébahi par l'erreur d'Ethan. Mais l'héritier resta perplexe. Uriyel se fichait d'avoir une bague, pas vrai ? Elle n'avait pas envie qu'il lui en offre une. Elle ne la porterait peut être même pas s'il lui en achetait une. Plus qu'une preuve d'amour, ça serait sans doute plus une preuve de la perte de sa liberté. « T'as fait exprès. Ça t'amuse de me voir souffrir. » Il poussa un long soupir. « Voilà comment tu prends soin de ton fiancé, c'est à toi qu'elle aurait dû tirer les oreilles. » Non mais franchement, il n'avait pas mérité ça. Ce séjour promettait d'être vraiment long.

Tenue ★ Se mordillant la lèvre inférieure pour réprimer son rire, elle se contentait d’observer silencieusement la scène, une main portée devant sa bouche pour cacher le demi-sourire qu’elle tentait de réprimer. Après tout, la scène semblait presque surréaliste aux yeux de la demoiselle, ce n’était pas tous les jours qu’elle pouvait admirer son fiancé se faire tailler les oreilles en pointe par une vieille dame sans qu’il rechigne. Lui qui aimait délimiter clairement son espace vital et imposer ses normes, prenait une petite leçon auprès de l’aubergiste qui n’y allait pas de main morte avec lui. Bien au contraire, son physique et la taille du jeune homme ne l’impressionnait absolument pas. Uriyel ne faisait qu’acquiescer aux remontrances de l’ainée, elle n’était pas d’accord sur tous les points car ce qui semblait être normal pour un couple ne s’appliquait pas au leur, mais le côté vieille école de celle-ci trouvait écho en ses rêves oubliés de petite fille.


« On passera vous voir à l’heure du thé, merci Obasan » dit-elle en saluant la vieille dame qui s’éclipsait. Dès lors qu’elle avait disparu de leur champ de vision respectif, s’annonçait alors le retour en force d’Ethan. Du moins, il semblait encore déstabilisé par le choc tout fraichement reçu. « C’est toi qui a commencé » répliqua-t-elle en imitant son ton grognon et enfantin, sans pour autant le regarder, ajustant le second futon sur l’étendoir. Il se remémore alors l’expression tout fier de lui en débutant sa première bêtise, elle n’avait fait que lui rendre la pareille et la vieille aubergiste avait tout le reste, tranquillement. « Tu n’as pas trop eu mal j’espère ? » Sa question fut sans la moindre ironie, elle devait l’avouer que l’ainée avait la main lourde, même de loin. Elle quitte alors son poste, pour le rejoindre, frôlant l’oreille rouge et chaude d’Ethan. « Mon pauvre petit fiancé, quel tour dois-je encore te préparer ? » Sa voix est taquine, avant qu’il ne réponde, elle recule pour mieux lui échapper.

Tenue ★On ne lui avait même jamais tiré les oreilles. Ou en tout cas il n'en gardait aucun souvenir. Peut être que sa mère l'avait fait lorsqu'elle vivait encore avec eux. Son père préférait taper dans le tas. En tout cas, elle n'y était pas allé de main morte. Il sentait son oreille qui surchauffait. Elle devait prendre une belle couleur écarlate. Retourner la voir à l'heure du thé ? Et puis quoi encore. Pas question de boire le thé avec cette folle dingue. Ethan croisa ses bras sur sa poitrine et bouda dans son coin jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Uriyel avait apparemment apprécié le spectacle. Ça devait avoir un aspect thérapeutique de le voir se faire malmener. « Moi ? » Il se pointa du doigt en ouvrant grand les yeux. « Tu plaisantes j'espère ! C'est qui qui a essayé de m'assommer ? » Oui, il n'avait toujours pas digéré le coup sur sa tête. Il ronchonna encore dans sa barbe alors qu'elle lui demandait s'il n'avait pas eu trop mal, comme si cela l'intéressait. « Qu'est-ce que ça peut te faire ? » Bougonna-t-il. Quand elle approcha ses doigts de son oreille douloureuse, il esquissa un mouvement pour l'éviter. Il ne voulait pas qu'elle le touche. C'était de sa faute. S'ils se trouvaient seuls dans le coin, il lui aurait fait passer un mauvais quart d'heure. Mais l'auberge était trop proche et remplie d'autres jeunes de leur âge, trop de témoins pour qu'il se risque à lever ne serait-ce que le petit doigt sur elle. Alors il prenait sur lui, tant bien que mal, la mâchoire crispée et les dents serrées. « N'en profite pas trop ou bien je vais t'étouffer dans ton sommeil. » Et il ne plaisantait qu'à moitié. Histoire de se détendre, il dégaina son meilleur ami et unique allié dans cette affaire, son paquet de cigarettes. Il s'en alluma une et pivota. Sans même un mot, il se mit à marcher dans la direction opposée. Il allait se balader un peu et changer d'air surtout. Autant visiter les lieux.

Tenue ★ S’il abordait toujours cette expression ronchon, c’était d’autant plus déstabilisant qu’il ressemblait juste à un grand enfant. Entre un enfant de six ans boudeur, un adolescent en crise et l’adulte sarcastique, il alternait les trois rôles presque avec une aisance surprenante qu’Uriyel n’arrivait pas toujours à le suivre. Oups, c’est vrai qu’elle avait ouvert les hostilités mais c’était pour la bonne cause, du moins ne le saura-t-il jamais car cela lui donnerait un moyen de s’exaspérer davantage sur les lieux. « Disons que j’avais peur que tu te transformes en un Vincent Van Gogh » se contenta-t-elle de répondre sur un ton taquin en haussant avec mou ses épaules, même si le peintre avait délibérément coupé son oreille et que lui, risquait de la perdre parce qu’une dame âgée l’aurait trop tiré dessus ? « Oh ? Tu as décidé de rester ici finalement ? » Elle fit un pas vers lui mais s’avisa bien vite d’en faire un second en le voyant sortir une cigarette ; ces choses avaient le don de lui provoquer de petites céphalées. Pourtant deux choix s’offraient à elle : retourner dans la chambre ou visiter les lieux. Parce qu’elle ne voulait pas être seule, dans cet endroit pas très familier, elle se décidé de suivre son fiancé. « tu vas faire le tour des environs ? Attends-moi ! » Histoire de lui faire ralentir le pas, elle n’eut pas d’autre technique que de feindre le retour de la vieille aubergiste « Ooh, Obasan ! » Encore fallait-il qu’elle lui inspire de la peur pour qu’il s’immobilise.

Tenue ★Il valait mieux qu'il aille se dégourdir un peu les jambes et s'aérer l'esprit surtout, ou il ne répondait plus de rien et risquait à tout moment d'étrangler sa fiancée. Bon d'accord, peut être pas. Mais elle l'agaçait tout de même. Elle lui tapait sur le système quoi. En plus, il s'était fait tiré les oreilles par sa faute. Ethan se sentait presque humilié. Il leva les yeux au ciel quand elle décida de le suivre et accéléra le pas pour installer une distance entre eux. C'était sans compter l’espièglerie de la jeune Uriyel. L’héritier tomba en plein dans son piège. Il se figea puis se retourna, les épaules crispées de peur de se retrouver nez à nez avec l'aubergiste. Sauf que son regard rencontra Uriyel et il poussa aussitôt un long soupir. « Tu te crois drôle ? » Elle était désespérante surtout. Il se remit aussitôt à marcher mais d'un signe de la main il l'invita à le suivre.

Ethan avait beau joué au mec un peu ronchon, dans le fond, il appréciait sa présence. Il était simplement hors de question de l'admettre. Il souffla sa fumée toxique vers le ciel tout en fronçant les sourcils. « Qu'est-ce qu'on vient faire ici ? » Une question rhétorique puisqu'ils étaient là par obligation. Une raison de plus de détester son paternel d'ailleurs. « Vivement qu'il crève le vieux. » Lâcha-t-il sans remord. À force de marcher, ils arrivèrent le long d'un petit ruisseau et il fallait bien reconnaître que le paysage était plutôt agréable à regarder. « Pas trop triste de passer ta Saint Valentin avec moi ? » Il ne l'interrogeait pas vraiment sur ses sentiments mais cherchait plutôt à déterminer si elle fréquentait quelqu'un en ce moment. Naturellement, il ne lui en voudrait pas. Ou presque pas.

Tenue ★ La réaction de son fiancé confirma ses doutes, il y avait bel et bien une personne dans ce monde capable de figer monsieur d’une telle façon sans que celle-ci partage le même sang ou possédait une fortune supérieure à celui des Beckford.  De la même façon qu’Ethan se figea, elle en fit de même alors que leur regard se croisèrent, faisant seulement papillonner ses longs cils noirs. À sa question, la réponse fut quasiment spontanée, elle hocha la tête deux fois avant de réaliser son imprudence. Oups pensa-t-elle seulement, mais en remarquant le petit geste de la main qu’il lui fit, elle le suivit et se glissa à ses côtés. « C’est parce qu’elle me manque déjà », elle aimait le taquiner autant qu’il se contrariait pour un rien. Néanmoins, elle se garda d’ajouter qu’elle aurait bien voulu emmener la vieille dame avec elle, à Tokyo. Son regard fixa un instant le jeune homme avant de se promener sur les lieux qu’ils visitaient sans l’ombre d’un guide. Elle le laissait parler seule, tandis qu’elle s’émerveillait silencieusement de l’agencement des lieux, mais son regard se trouvait à chaque fois attiré par les recoins un peu sales et poussiéreux. Loin d’être une maniaque de la poussière, pour autant, il était difficile d’ignorer les pensionnaires discrets de l’auberge, les petits moutons gris. « Hmm » se contenta-t-elle de répondre sans réellement y réfléchir. « Est-ce ta manière de me réclamer tes chocolats ? »

Tenue ★Depuis qu'ils vivaient ensemble, Ethan parlait plus facilement à sa fiancée. Et si avant il ne la supportait vraiment pas, aujourd'hui il la tolérait. Il refusait d'ailleurs de le reconnaître mais quelques fois il appréciait même sa présence. Mais pas quand elle lui jouait des sales tours comme ça. Néanmoins, il l'invita à la suivre peut être plus par crainte qu'elle ne continue à monter la vieille aubergiste contre lui que par envie d'une balade en couple. « Des chocolats ? » Ethan pouffa de rire pour lui montrer à quel point cette idée respirait le ridicule. « Tu ne serais pas capable d'en faire. » Elle n'était pas aussi douée que lui derrière les fourneaux, fallait bien le reconnaître. Tirant une nouvelle fois sur sa cigarette, seul moyen pour lui de se détendre un peu, il observait Uriyel du coin de l’œil. Ou plutôt, il la surveillait tout en marchant à ses côtés. « Ton petit côté fleur bleue ne rêve donc pas d'un magnifique dîner aux chandelles avec ton splendide fiancé ? » D'accord, il abusait. Il était aussi très ironique. Il savait qu'elle l’interpréterait de la bonne manière. « Plus sérieusement, personne ne t'a invité c'est ça ? » Si ça se trouve, les autres hommes ne la supportaient pas non plus. Mais il devait bien reconnaître qu'elle n'était pas désagréable à regarder. Elle plaisait sans doute à quelques-uns.

Tenue ★ La réaction de son cher fiancé la vexa, bien sûr que niveau cuisine elle était loin de l’égaler mais pour autant, elle aurait été capable de le faire si elle avait sa propre cuisine. En vérité, elle n’avait pas osé tenter l’opération délicate qu’était la préparation de ces chocolats pour la seule raison que si toute explosion se déclenchait dans l’appartement qu’elle partageait désormais avec lui, c’était sa tête qui risquait de tomber. Et puis, s’ajoutait à cela la discrétion. À coup sûr, il allait repérer cette pauvre tentative foireuse. « Qu’est-ce que tu en sais ? Tu ne les as jamais goûté », sa voix se faisait légèrement boudeuse jusqu’à ce qu’elle ait un petit déclic qui l’arrêta un instant. « Attends... cela voudrait-il dire que tu en as déjà préparé ? » La curiosité d’Uriyel était piqué, elle qui pensait être la seule à avoir pu goûter à la cuisine du brun, avait la désagréable petite sensation d’avoir été trahi. D’un autre côté, elle ne l’imaginait pas instant préparer des chocolats pour un tel évènement, la Saint-Valentin devait être une bonne farce pour lui, un truc commercial qui permettait de booster les ventes de l’entreprise. « Assis sur une botte de foin, avec les vaches au loin et le coq pour nous servir d’horloge parlante ? Non merci, je passe mon tour, aussi splendide et fabuleux que tu sois. » Elle agitait sa main en guise d’au revoir pour appuyer son propos, mais la vérité était tout autre, il lisait en elle comme un livre ouvert. Certes, ce n’était pas avec lui qu’elle imaginait partager sa table, mais un dîner aux chandelles pour fêter faisait partie de ces petites envies. « Bien sûr que si, et pas qu’une seule personne. » Second mensonge, elle commençait à prendre une vilaine habitude mais d’un autre côté, lui donner raison serait ouvrir les portes à ses moqueries, si ce n’était pas déjà le cas. «  J’imagine que dans ton cas, il doit y en avoir des tonnes qui t’ont supplié… » Elle ne se faisait pas d’illusion quant à la popularité d’Ethan, elle ne le connaissait que trop bien à son grand damne. Au final, la grande gagnante, c’était elle.

Tenue ★ Bizarrement, il n'avait pas envie de les goûter. Il ne l'imaginait pas capable une seule seconde d'un tel exploit et n'était pas prêt à lui prêter sa cuisine de toute façon.  Ethan remarqua néanmoins son petit air boudeur. Il esquissa même un sourire en coin. La trouverait-il mignonne ? L'air de la campagne ne devait pas lui être si bénéfique que ça, il déraillait. « Et j'ai bien l'intention de jamais en goûter. Mais quand même, tu m'as rien préparé ? Tu parles d'une fiancée. » Il souffla pour montrer qu'elle le décevait. Bien entendu, il feintait cette déception mais espérait quand même qu'elle tomberait dans le panneau. « Préparer des chocolats ? Et puis quoi encore ! J'ai plutôt une tête à les recevoir, tu crois pas ? » Et c'était vrai. Chaque année les demoiselles se pressaient de lui en offrir. Même les petites secrétaires de l'entreprise avaient déposé de petits paquets sur son bureau tout au long de la semaine. Il haussa ensuite les épaules. Alors pas de dîner romantique ? Tant pis pour elle. Non pas qu'il aurait accédé à sa requête mais il comptait bien le lui faire croire. « Dommage, j'aurais pu te préparer un petit pique-nique sous les étoiles avec une bonne bouteille de vin. » Ou pas, carrément pas en fait. Il grimaça même en s'imaginant la scène. Mais peut être qu'avant d'être traînée ici, Uriyel avait des plans. Sa mâchoire se crispa à sa réponse. Pas qu'un seul prétendant alors ? Il n'arrivait pas à la croire. Sa langue claqua contre son palais, agacé. Ou jaloux ? Non, il ne pouvait pas l'être. Cette nana l'insupportait. Vite, se rattraper. « Bien sur. Ah ! Quel dommage. L'une ou l'autre aurait pu passer à la casserole. » Parce que bon, pour Ethan, tout se résumait à ça. Le sexe et encore le sexe. « Tu veux peut être prendre cette place libre ? » Du coin de l’œil, il guetta sa réaction en enfonçant ses mains dans ses poches.

Tenue ★ « L’humble fiancée que je suis à anticiper le fait que tu n’auras jamais l’intention de les goûter. Déguste bien les chocolats que les autres te donneront. Hmpf.  » rétorqua-t-elle en gonflant ses joues et tournant le visage vers la droite pour ne pas avoir à croiser le regard certainement rieur d’Ethan, plutôt qu’en lui offrant un sourire amusé. Parce qu’il se moquait d’elle, elle commença à entrer dans son petit jeu et lui donner des réponses à la hauteur de ses remarques, enfantines. Elle s’entêta à ne pas croiser son regard, mais parce qu’elle se doutait qu’il n’allait pas la sauver d’un malheureux poteau de bois sur son chemin, elle regarda en face d’elle, croissant les bras pour manifester le fait qu’elle boudait encore un peu. Aussitôt qu’il reprit la parole, il capta de nouveau toute son attention. Un pique-nique sous les étoiles ? Elle pouffa de rire et retrouva le sourire. « À défaut d’être romantique, je ne t’imaginais pas aussi ringard.  » Elle hausse les épaules, continuant de ricaner doucement. Aussi romantique et fleur bleue qu’elle pouvait l’être, ce genre d’appât ne fonctionnait pas pour la simple raison que pas un seul instant elle imaginait Ethan dans un tel cadre. Il avait certainement dû voir trop de série coréenne. « Non merci, absolument pas intéressé », elle lui servit même un regard désabusé, avant de commencer à le poignarder de son index entre ses côtes pour le chatouiller. « Tu ne penses vraiment qu’à ça ! »

Tenue ★ Ringard ? Il haussa les sourcils et ouvrit la bouche, faussement outré. Toutes les femmes ne rêvaient-elles pas de ces soirées surfaites ? Si Uriyel n'appartenait pas à cette catégorie alors tant mieux. Ethan secoua ensuite la tête en pouffant de rire. À quel moment l'ambiance était-elle devenue aussi légère entre eux ? Ça en était presque surnaturel. « Alors tu ne veux rien de ton cher fiancé pour cette Saint Valentin ? » Non pas qu'il avait l'intention ou même le désir de lui faire plaisir de quelque moyen que ce soit mais ça le surprenait. « Tant pis pour toi. » Il se concentra un instant sur le paysage qui s'offrait à eux, forcé de constater que ce village bien que très pittoresque dégageait un certain charme. Il semblait aussi posséder un pouvoir étrange sur leur couple pour le moins particulier. Puis il se remit à la provoquer. C'était plus fort que lui. Pas intéressée ? Il ne voulait pas y croire, bien trop conscient de son physique avantageux. « Menteuse. Il me semble que t'as une photo plutôt spéciale de moi dans ton téléphone. C'est bien que je te plais. » Il parlait de son acte fourbe datant du jour où elle avait posé ses valises chez lui. Elle l'avait photographié alors qu'il portait une tenue des plus décontractées. Il éclata de rire lorsqu'elle enfonça son doigt dans ses côtes et l'esquiva au mieux. Ethan qui riait c'était le truc le plus rare mais aussi la plus belle mélodie qui existe. Il s'efforça de reprendre un air plutôt sérieux. « Bien sur que je pense qu'à ça, j'peux plus rien faire depuis que t'es là. Enfin, j't'ai jamais demandé si t'avais le sommeil léger ou bien... » Et à nouveau il pouffa. Il ne comptait absolument pas ramener ses conquêtes chez lui pour la bonne et simple raison qu'il n'acceptait pas les inconnus. Faire une place à Uriyel lui avait déjà demandé beaucoup d'efforts.

Tenue ★ Une photo spéciale ? Il se trompait, elle n’avait pas qu’une photo spéciale, mais toute une collection prise à la volée, chaque fois qu’il baissait sa garde. Du coup, parmi toute cette collection secrète, elle ne savait pas vraiment à laquelle il faisait référence. Du coup, elle le chatouilla davantage, profitant d’avoir trouvé une faiblesse chez son partenaire, mais aussi surprise de l’entendre rire. Son rire ressemblait à un carillon à la résonnance particulièrement addictif. « C’est complètement absurde comme raisonnement. Ça voudrait dire que j’ai un faible pour tous ceux que je prends en photo ? » Devant l’incohérence de l’idée, elle gloussa doucement, le laissant tranquillement respirer. « T’es un peu trop sûr de toi, mon cher fiancé. » Incapable de nier qu’elle le trouvait beau, elle se garda tout de même de partager cette pensée avec lui. Après tout, c’était un compliment qu’il devait souvent entendre car elle-même l’entendait de son entourage. « Genre je t’empêche d’aller voir ailleurs » s’offusqua-t-elle, la mine faussement surprise et désolée, même cette déclaration la soulagea quelque part. Enfin, elle ne savait pas s’il mentait ou non, mais elle préféra penser qu’il était sincère dans son affirmation, bien qu’il continuait à la taquiner. « Disons que je t’entends grincer des dents depuis le salon, ça te suffit comme réponse ? Par ta faute, je ressemble presque à un panda. » Lui qui semblait presque inapprochable, depuis qu’ils vivaient ensemble, elle avait la sensation qu’ils s’étaient rapprochés. Après tout, il y a encore peu de temps de cela, elle ne s’imaginait absolument pas plaisanter ainsi avec lui.

Tenue ★ Elle se souvenait donc si peu de cette soirée là et du rouge sur ses joues quand elle l'avait découvert à moitié nu ? Ethan en gardait un souvenir plutôt précis. Puis il savait qu'il plaisait et ne voyait pas pourquoi Uriyel serait une exception. Il était persuadé qu'elle le trouvait plutôt à son goût. Néanmoins, il leva les yeux au ciel alors qu'elle niait en bloc. « Sûr de moi ? J'ai toutes les raisons de l'être non ? » Mais depuis qu'Uriyel vivait sous son toit, il passait beaucoup moins de temps à courir après les femmes. Lui qui découchait si souvent préférait désormais passer la soirée chez lui. Il se confortait en se répétant qu'il le faisait pour veiller à ce qu'elle ne casse rien. En vérité, la présence de la petite brune l'apaisait. Puis s'il ne passait pas la nuit dehors, il ne se droguait pas. Une bonne chose donc. « Oh ! Donc ça ne te dérange pas de partager ton petit déj' avec un de mes booty calls ? » Bon, s'il perdait moins de temps à coucher à gauche et à droite, cela ne signifiait pas pour autant que ça ne lui arrivait plus du tout. Ça serait plutôt compliqué pour un accro au sexe comme lui. « Tu peux toujours déménager si je perturbe ton sommeil de princesse. » Mais dans le fond, est-ce qu'il voulait toujours la voir partir ? N'était-il pas habitué à elle désormais ? Même si leur relation n'était pas des meilleurs, qu'il lui arrivait encore de passer ses nerfs sur elle, d'être ronchon sans raison voir même désagréable, on pouvait constater un certain progrès. Alors que le soleil commençait à se coucher, Ethan sentit le petit vent se lever. Le ciel était magnifique. Presque rose. Ça n'était peut être pas si mal ce petit voyage à la campagne. Silencieux jusque là, il jeta un coup d’œil à Uriyel. Il retira alors sa veste et la posa sur ses épaules en évitant soigneusement de la regarder dans les yeux. Il se détourna même d'elle, lui présentant son dos, le temps de dégainer son téléphone pour photographier le ciel.

Tenue ★ À force de discussion, Uriyel en oubliait même de profiter du paysage et ne le réalisa que lorsque son pied butta contre un petit caillou et qu’elle constata que cela faisait vraiment un bon moment qu’ils se promenaient ainsi. « Hmm. » fit-elle en réfléchissant minutieusement à quel mot employer, car elle ne pouvait pas non plus lui offrir la réponse qu’il souhaitait entendre d’elle. Si elle le faisait, elle n’aurait plus moyen de contre argumenter, ce serait sa parole contre sa propre-parole. « Pour une première impression, je te l’accorde. Mais dès que tu ouvres cette bouche à problème, le charme est rompu. Pouf ! » Illustrant ses propos par un geste de ses mains, envolée, la bonne image de lui. La première impression qu’elle avait eu de lui remontait suffisamment loin pour que cela ne lui soit pas compromettant. À l’époque, ils étaient des partenaires de jeu et de bêtise inséparable. Son sourire disparut, laissant place à une expression plus sévère lorsqu’il suggéra de faire venir une de ces filles à l’appartement. « Quand je disais que cette bouche ne raconte que des bêtises… » Grommela-t-elle en plissant les yeux. « Alors, j’ai tout aussi droit de ramener quelqu’un ? » Délibérément, elle ne précisa pas quelle pouvait être la nature du lien qu’elle entretenait avec ce quelqu’un, laissant son fiancé et son imagination continuer la suite de cette phrase. Levant son regard tandis qu’il fuyait le sien, elle le baissa pour regarder la veste qu’il venait tout juste de poser sur ces épaules, un sourire réjouie étirant doucement ses lèvres. Alors qu’il prenait une photo du paysage, elle attendit qu’il prit deux-trois clichés avant de se hisser sur la pointe des pieds et inverser le mode de photo, ils apparaissaient à présent sur l’écran. Elle ne demanda pas la permission de son fiancé pour appuyer à plusieurs reprises sur le coin de l’appareil et les prendre en photo. « Souris un peu ! »