J’ai beau essayer, je n’y arrive pas. Arrêter l’alcool n’est pas aussi facile qu’il y paraît, et si la volonté est là, je crois que le manque se fait un peu trop sentir lorsque j’essaie de véritablement mettre un terme à tout ça. Alors il est bien gentil, le médecin, de me dire que je devrais peut-être envisager d’aller en centre pour arrêter, mais j’ai un peu autre chose à foutre que m’enfermer dans un hôpital pour arrêter de boire et me retrouver sous médocs. Bordel de merde, c’est vraiment ça, ma vie, à l’heure actuelle ?

Un soupir m’échappe alors que je rejoins la voiture qui se trouve non loin, mais comme j’aperçois un espace fumeur non loin, je me dirige vers celui-ci afin de griller une clope. Tranquille. Ce rendez-vous chez le médecin m’aura encore coûté un bras, normal. J’en ai marre. C’est pas comme si le bébé coûtait déjà cher et qu’on était trois à la maison, maintenant ? Il faudrait peut-être que j’arrête de voir l’argent comme s’il allait manquer dans l’heure, mais je crois qu’avec les problèmes qui me tombent sur la gueule depuis quelques temps… Ouais, je préfère me préparer au pire, histoire de pas être surpris.

Je suis là depuis quelques minutes quand mon regard se pose sur une passante dont l’allure me semble familière, à l’exception près que, la dernière fois que je l’ai vue, cette même silhouette ne semblait pas avoir caché un ballon dirigeable sous ses vêtements. Pas que je juge les passions des gens mais… Dites, ils font une augmentation sur les coupons pour les grossesses ces temps-ci ou bien ? Je dis ça, mais en vrai, la voir là, vivante, ça me soulage vachement.

Abandonnant ma cigarette éteinte dans une poubelle – ça serait con d’avoir des problèmes pour avoir jeté des déchets sur la voie publique, quand même – je me décide donc à changer d’objectif et, sans vraiment attendre, je me dirige vers Sakura, désormais convaincu qu’il s’agit d’elle. Pour lui dire quoi ? Oh, c’est bon, on verra les détails après, c’est pas le plus important. Là, on va aller la voir, déjà. Je la rattrape finalement et, sans trop attendre, lui pose une main sur l’épaule pour l’interpeller.

«  Sakura ?  »

Un doute ? Ouais, peut-être un peu. Imaginez, j’interpelle une femme enceinte random dans la rue. Normal, quoi.

«  Je m’attendais pas à te recroiser un jour. »

Bravo. Fantastique. Qu’on reprenne l’Oscar de Léonardo pour le donner à cet homme. Non, franchement, je me collerais des claques, si ça ne tenait qu’à moi. D’un autre côté, je crois qu’on ne peut pas vraiment m’en vouloir, si ?

« Tu… Tu vas bien ?  »

Elle est enceinte – ou elle fait de l’aérophagie à un point alarmant ? – et elle faisait des recherches assez… bizarres quand elle était à mes cours. J’ai pas le droit de poser cette question ?

Je pensais qu’elle n’était plus de ce monde. Oui, bon, on dirait que j’exagère un peu, dit comme ça, mais je pensais vraiment, sincèrement, du plus profond de mon âme, que Sakura avait peut-être fait une connerie. Et j’en étais désolé, voilà. Je veux dire, depuis le moment où j’ai compris que quelque chose n’allait pas avec elle, j’ai essayé de lui faire cracher le morceau. Certes, j’ai peut-être été un peu trop insistant sur la question, à trouver la moindre occasion possible pour la faire parler et la pousser (pas très subtilement, vous me connaissez) à m’expliquer la situation … Dans tous les cas, le résultat a toujours été le même : rien, le vide intersidéral. Et maintenant, la voilà enceinte de sept mois ? C’est bien ce qu’elle vient de dire, non ? Si ses recherches ne traitaient pas de sujets un peu particuliers, je ne m’inquiéterais pas.

« Désolé, je ne voulais pas t’embêter. » Réponds-je en un mouvement de tête, puisque je n’ai moi-même pas réalisé que je la dévisageais. Elle est si jeune. « Ça va ! Enfin, comme d’habitude, quoi. »

Mon expression se détend un peu et je ris malgré moi. Un rire nerveux, oui. Celui de la personne qui ne sait pas forcément quoi dire parce qu’elle a peur de foutre les pieds dans le plat. Et dieu sait à quel point je suis doué pour ce genre de choses, ça oui !

« Je… Tout va bien pour toi ? » Le bébé ? On évite d’évoquer directement le bébé, hein. « Ça fait bizarre de plus t’avoir en cours. »

C’est ça, raconter sa vie pour ne pas continuer à empirer son cas. Quelque part, ce que je dis n’est pas uniquement de la flatterie. Un prof a toujours ses chouchous, avoués ou non, et j’ai tendance à m’attacher plus facilement aux étudiants à problèmes. Peut-être parce que je suis moi-même un aimant à poisse ? Qui sait ?

Bon, au moins, je l’embête pas ; ça suffit à me rendre le sourire. En un hochement de tête, mine dépitée en prime, je réponds à sa question. Les cours ennuyeux, on les connait bien, maintenant. Je crois qu’en fait, j’ai envie de tout arrêter, depuis quelques temps. Quand j’obtiens l’explication de Sakura, je hoche un peu la tête, profondément compréhensif. C’est un peu ce que Yun Hua a fait, après tout, alors ça serait un peu stupide de ma part de lui reprocher de vouloir s’éloigner un peu de la Royal. Surtout quand on sait que certains idiots sont de véritables biques.

« Je comprends, ne t’en fais pas. » Et à sa question, un nouveau rire me vient. « Sans problème ! Tu seras toujours la bienvenue dans ma classe. »

Bon, en soi, j’ai pas trop le choix, mais ça fait toujours mieux de donner l’impression qu’on contrôle tout. À part certains étudiants, j’exclus rarement les étudiants. De toute façon, qu’ils soient là ou pas, ça change pas grand-chose… excepté pour certains cas extrêmes et presque dangereux pour ma vie, vous voyez le genre ?

« J’espère que ça s’arrangera… » Je souris un peu, mais j’ai envie de lui demander si son « ami » est le père de l’enfant. J’ai un trop conscience de mon rôle de professeur, peut-être, mais encore plus de mon rôle d’être humain. Je ne peux pas agir comme si je n’étais au courant de rien. « Euh, si tu veux, c’est gentil ! »

Sakura a toujours fait partie de mes étudiants préférés, et je ne fais clairement pas partie des professeurs que l’on pourrait qualifier de juste. Enfin, je le suis, dans une certaine mesure, mais j’ai toujours favorisé certains étudiants. C’est peut-être tout simplement parce que je me vois en eux ? Erawan a toujours eu l’air un peu perdue, un peu secrète… Et ses recherches m’ont interpelé.

En essayant de ne plus trop y penser, je la suis jusqu’au café qu’elle a désigné et je cherche une place en riant un peu, gêné par l’idée qui vient encore une fois de me traverser l’esprit.

« Tu sais, j’ai eu peur pour toi, quand tu es partie, tout d’un coup. Je suis content de voir que tu vas bien. »

« C’est parce que c’est pas courant notre époque. »

Je ris, mais je ne peux pas m’empêcher de penser que j’ai raison. Après tout, ça va faire des années que la technologie se développe, encore et toujours, et qu’on n’a pas vraiment le temps de s’adapter à toutes les nouveautés. Parfois, je suis sidéré par l’incompétence de certaines personnes, qui n’ont pas l’air de venir de notre époque, en plus. J’veux dire, les gens devraient quand même savoir un minimum s’en servir quoi.

Un sourire me vient quand elle me dit de ne pas m’inquiéter. J’aimerais éviter, sincèrement, mais ça me semble compliqué. Je n’arrive plus aussi bien qu’avant à me cacher derrière un masque de professeur super sévère et intolérant. C’est un peu trop difficile depuis quelques temps, et en particulier depuis que les choses sont reparties en vrille. M’enfin, je peux essayer.

Une fois dans l’établissement, je commande un café et attend que le serveur soit reparti, mais avant que j’aie pu ouvrir la bouche à nouveau, j’entends mon étudiante poser une question à laquelle je ne m’attendais pas et qui me fait légèrement froncer les sourcils, avant que je ne reprenne la parole plus sérieusement.

« Un garçon, Roxas. Il a deux mois. »

Ça me fait sourire, mais je sais parfaitement que tout n’est pas aussi simple que ça peut le sembler. C’est précisément pour cela qu’un soupir m’échappe en réfléchissant, juste avant de sortir mon téléphone pour lui montrer une photo du bambin.

« C’est un peu bizarre, en fait. J’ai peur de pas m’en sortir non plus, honnêtement, mais j’fais des efforts. »

Et pas qu’un peu, mais je crois que Yun Hua sera à jamais plus douée que moi pour ce genre de choses. Après quelques secondes, je verrouille l’appareil et le replace dans ma poche après avoir vérifié que je n’avais pas reçu de message.

« Ça change beaucoup de choses, mais j’suis contente de pas avoir à subir la grossesse. » Confié-je finalement à mon étudiante, avant de rire un peu et de relever les yeux vers elle en un sourire. « Tu fais quoi en attendant ? »

J’ai toujours fait de gros efforts pour que mes étudiants puissent se débrouiller par eux-mêmes. C’est pour ça que je fais des examens de catin. Vous pensiez que je faisais ça par pur sadisme ? Certes, je mentirais si j’affirmais qu’il n’y a pas une pointe de cela dans ma décision, mais c’est avant tout pour les pousser à donner le meilleur d’eux-mêmes, à bosser comme des fous pour obtenir des résultats, parce que ce n’est pas en étant moyen qu’ils parviendront quelque part. Et certains ont du mal à capter le message, si vous voyez ce que je veux dire. Heureusement, dans le cas d’autres étudiants, ça se passe mieux. Déjà, parce qu’ils ont l’envie d’apprendre, puis aussi parce qu’ils se dépassent tout le temps. Enfin, ce n’est pas important actuellement.

Actuellement, plus qu’être nostalgique du moment où j’apprenais à Sakura à se servir d’un ordinateur, je présente mon enfant comme un gros débile, avec toute la spontanéité du monde, même si je sais que l’histoire de ce bébé est bien plus compliquée qu’il y paraît. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un léger sourire me vient quand j’entends sa question.

« Non, c’était pas prévu. »

Mes lèvres se pincent un instant, alors que je m’écrase contre le dossier de ma chaise en glissant une main dans mes cheveux.

« C’était un accident, alors on fait comme on peut. »

J’évite d’évoquer Yun Hua, j’évite d’évoquer les circonstances de cette soirée bizarre, sait-on jamais, que des oreilles indiscrètes trainent dans les parages. Et un soupir m’échappe tandis que je réfléchis, juste avant de me reprendre pour poser quelques questions à mon étudiante, dont la dernière réponse me fait froncer les sourcils.

« Tu veux en parler ? » Ryû a de l’espoir, épuise 1739. « Enfin, je sais que ça ne me regarde pas, mais déjà au lycée tu… »

Elle faisait des recherches bizarres dont j’étais parfaitement au courant. Je suis une sale fouine, je le sais, mais je peux pas m’en empêcher, et encore moins lorsqu’il s’agit de mes étudiants. Lorsque je m’attache à certains d’eux, c’est pour de vrai.

Si je l’aime ? Sur le moment, je suis tenté de répondre non, parce que je pense qu’elle parle de Yun Hua. Pourquoi ? Je n’en sais rien, et à vrai dire ce n’est pas bien grave, hein, tout le monde s’en branle. Je souris finalement, comprenant qu’il s’agit de l’enfant, alors que je hoche un peu la tête.

« Oui, vraiment. Je pensais pas, au début, mais bon… C’est plus fort que moi au final. »

Il aura suffi que je me demande ce qu’allait devenir ce petit une fois adopté, que je réalise que ce bébé portait mes gênes, qu’il pouvait également porter mon nom, me ressembler lorsqu’il serait plus grand, pour que je comprenne que cet enfant ne devait pas être adopté. Maintenant, je n’ai aucun regret, si ce n’est d’avoir mis aussi longtemps à prendre cette décision.

« Oh ? »

Un accident ? À son âge, ça ne m’étonne pas vraiment. Les jeunes. Je fronce un peu les sourcils quand elle reprend la parole et continue sur le sujet qu’elle vient de lancer, comprenant ce qu’elle peut ressentir, enfin, du mieux que je le peux. J’aimerais lui dire de discuter avec Yun Hua, mais je ne sais pas si conseiller à la mère de Roxas de rencontrer une demoiselle dans son ancienne condition soit vraiment une bonne idée. Je ne peux pas faire grand-chose, en fait.

C’est alors que Sakura évoque ses recherches. Les recherches dont j’ai été indirectement témoin, comme elle a oublié d’effacer son historique. Je ferme les yeux pendant quelques secondes suite à sa question, réfléchissant un peu.

« Je sais pas vraiment. » Réponds-je avec sincérité, après quelques secondes de réflexion. « J’ai trouvé ça un peu bizarre de la part d’une fille de ton âge, enfin… »

Un soupir m’échappe et je tente de ne pas avoir l’air d’un imbécile, mais surtout de ne pas raconter n’importe quoi alors que ça pourrait être assez sensible.

« Je connais pas vraiment mes étudiants, alors j’ai juste pu faire des hypothèses, genre une relation qui te voudrait du mal, ou je ne sais pas… »

Je réfléchis un peu plus longtemps avant de reprendre la parole.

« Si je posais toutes ces questions, c’était pas pour te mettre mal à l’aise, je suis désolé. »

En général, mes étudiants me saoulent sérieusement ; ils sont insupportables, pédants, ils pensent posséder tout le pouvoir du monde dans le creux de leurs petites mains. Cependant, certains d’entre eux parviennent à attirer mon attention et, sans que je puisse y faire quelque chose, je m’attache un peu à eux. Je plaisante souvent en disant que je prendrais des risques ridicules pour eux, mais c’est pas totalement faux. J’ai toujours voulu aider les autres, même si je m’y prends comme un manche et que je crée souvent plus de problèmes que je ne trouve de solutions… Soit. Maintenant que Sakura m’explique vaguement ce qu’il s’est passé, je me retrouve sans un mot à dire. Vraiment, je m’en veux.

Je lui souris un peu quand elle me dit de ne pas m’inquiéter, mais ce sourire se perd un peu quand je prends une gorgée de ma boisson, et encore plus à l’entente de ce qu’elle ajoute. Je peux parfaitement comprendre qu’elle n’ait pas eu envie d’en parler et qu’elle veuille garder ça secret.

« Tu es entourée, au moins ? »

Que je discute avec eux ou pas, je ne suis pas forcément au fait de tout ce qu’il se passe dans la vie de mes étudiants, et je dois avouer que j’ai un peu peur que celui qu’elle cherche à fuir la retrouve. En plus, j’ai compris grâce à Yun Hua que la grossesse n’était pas forcément évidente à supporter seule. Un soupir m’échappe alors que je reprends une gorgée de ma boisson, laissant mon regard parcourir les alentours alors que je réfléchis à plein régime. Il y a bien des personnes qui aident pour ce genre de choses, mais elle n’a peut-être pas envie d’en parler non plus.

« Tu... Tu as déjà pensé à parler avec des personnes qui vivent la même chose que toi ? »

En général, ce n’est pas évident, mais grâce à l’évolution des techniques, elle pourrait même en parler anonymement. J’essaie de me mettre à sa place, mais j’ai un peu de mal. Parce que je suis un homme, sans doute, mais surtout parce que je ne peux pas m’empêcher de comparer ce qu’il se passe avec ma « relation » avec Yun Hua. C’est totalement différent, pourtant.

Au moins elle est entourée. Malgré moi, ça me rassure un peu. Je sais que le monde est assez pourri, qu’il y a pas mal de types tordus, en particulier sur mon terrain de jeu préféré, internet. Paradoxalement, c'est également là que j'ai rencontré les personnes qui m'ont pas mal aidé à m'en sortir. Le web est si vaste que l'on peut facilement trouver des personnes qui peuvent comprendre ce que l'on ressent, un interlocuteur anonyme, incapable de nous juger puisqu'il ne nous connaît pas. Si Sakura a vécu des choses difficiles, je pense vraiment qu'elle devrait recourir à ce genre de chose, surtout si elle n'a pas envie d'en parler à des professionnels. Je hoche un peu la tête, malgré tout, quand elle me dit que ce n'est pas le cas.

« Je vois, c'était juste une question. » Un sourire lui vint, comme pour la rassurer. « Ne t'en fais pas. C'est important pour moi. »

L'aider elle, aider les autres, tout court. En fait, j'ai pendant longtemps porté une carapace par rapport à ma façon de voir les autres. J'ai toujours agi comme si tout allait bien, en me préoccupant surtout de ma petite personne, mais au final je passe plus de temps à m'inquiéter du sort des autres. C'est le cas avec Roy, c'était le cas avec Mi et Hikari, et je m'inquiète également énormément pour Yun Hua et Roxas. Lorsque mes étudiants méritent cet intérêt, n'est-il pas normal qu'il en soit de même pour eux?

« J'espère vraiment que tout s'arrangera. »

Il fallait que les choses se passent mieux pour elle, qu'elle se sorte de cette situation et qu'elle reprenne un rythme normal... Mais qui suis-je pour penser des choses pareilles? Je suis sûrement le type le moins sérieux du monde, la moins douée pour gérer ce genre de problèmes... Enfin, c'est l'intention qui compte, pas vrai?

« Si tu as besoin d’aide quand le bébé sera là, tu pourras toujours… » Demander à Yun Hua ? Je réfléchis un instant avant de me reprendre. Je devrais pas l’évoquer aussi facilement, mauvais plan. « Me demander de l’aide. Ça sera tout frais, alors bon. »

Ouais, je ris comme un idiot, mais c’est pas totalement faux.

Malgré moi, l’état de certains de mes élèves est important à mes yeux. C’est en partie à cause de ça que j’en suis là aujourd’hui. Lorsque Yun Hua avait des problèmes pour comprendre mes cours, il y a quelques mois, j’ai été jusqu’à lui proposer mon aide et, si je n’avais pas été totalement ivre au moment de son arrivée, les choses seraient certainement bien différentes à l’heure qu’il est. Malheureusement, ce n’est pas en me répétant ces petites hypothèses que je parviendrai à changer ce qui est arrivé et, plus honnêtement, quand je vois mon fils, je n’ai pas forcément envie de revenir en arrière.

« Ne t’en fais pas, je ne dirai rien. »

Je n’ai jamais été du genre à parler de ma propre vie, alors parle de celle d’une autre personne, ce n’est pas mon truc non plus. En revanche, j’aime bien écouter les histoires de tout un chacun. Souvent, ça donne à réfléchir.

« Tu peux me faire confiance. »

Je ponctue ma phrase d’un sourire, espérant qu’elle ne m’en veut pas trop d’avoir été si curieux ; c’est une mauvaise habitude que je ne perdrai pas de sitôt, malheureusement, et je soupire un peu plus tard, quand elle infirme mon petit espoir. Elle ne pense pas ça possible ? Je ne pensais pas ça possible non plus, à une époque, même si nos situations doivent être bien différentes, et pourtant je suis encore là. Cependant, je n’en dis rien, pinçant juste les lèvres alors que mon regard se pose sur elle. Je ris ensuite, lorsqu’elle répond à ma proposition.

« C’est pas moi qui m’y colle en général. » Bon, peut-être un peu, mais éviter de dire que je suis une vraie catastrophe, c’est sûrement mieux. « Mais ça a pas l’air si compliqué. Par contre ça va, j’ai plus besoin de réveil. »

Bah oui, les nuits, ah, on n’en parle jamais assez. J’ai envie de dire à toutes les personnes qui ont du mal à se réveiller qu’elles devraient penser à faire des gosses. Déjà, ça remonterait le taux de natalité en chute libre de ce pays ; ensuite, ça permettrait à toute une flopée de pères de se lever de bonne heure. Très bonne heure. Un peu trop d’ailleurs ?

« Ton travail suffit à payer tous les frais ? »

Bon, ce n’est pas comme si j’allais lui proposer de les payer à sa place, mais avouons que la question se posait, vu le nombre réduit de coupons qu’ils octroyaient. Ça filait vite.

Je souris doucement quand elle dit me faire confiance. Je n’en dirai rien, mais ça me fait plaisir de savoir que quelqu’un, même si ce n’est qu’une étudiante, me fait confiance. Vraiment. Ce n’est pas comme si elle avait raison, après, je sais parfaitement que je suis le dernier des imbéciles, que j’ai un certain talent pour me fourrer dans des situations inimaginables et, lorsqu’il s’agit de faire le tri au bout du compte, je suis encore plus une bite. Mais je le vis bien. Enfin je crois.

« Merci. »

Oui bon, je peux la remercier et me taire après, ça tue personne, si ? Revenons à nos moutons et revenons-y bien. Ou plutôt à nos rejetons, vu la conversation. Trop d’humour, je sais, je serai canonisé pour ça.

« Non, vaut mieux éviter. »

J’aurais pu essayer, tiens, une clope… Oh c’est bon quoi, c’est de l’humour ! Je ricane pour moi-même en pensant que je devrais en griller une en sortant d’ici, puis je regarde mon téléphone distraitement, histoire de voir l’heure qu’il est. Ah ouais. On m’appelle à la fac ? Je ne devrais peut-être pas trop traîner. C’est dommage, on discutait bien pourtant. Bon, c’est pas grave.

« C’est gentil Sakura. » Un rire m’échappe alors que je me redresse un peu sur ma chaise. « Pas forcément vrai, mais gentil. »

Certains de mes étudiants sont de vrais trous du cul et je ne suis pas forcément en bon termes avec les autres membres du personnel, mais ce n’est pas bien grave. Un sourire me vient alors que je me redresse calmement et sors un peu d’argent pour le poser devant elle en oubliant totalement qu’elle avait offert le café.

«  Je suis vraiment désolé Sakura, on m’appelle à la fac… J’espère que tout ira bien pour toi. Ça m’a fait plaisir de te revoir. »

Et je n’ai même pas besoin de mentir pour le dire ? Fantastique. Je souris un peu et pousse un léger soupir avant de lui adresser un bref signe de main, puis de faire demi-tour, bien que cela m’énerve un peu. Bon, ça m’apprendra à demander un rendez-vous avec la direction, aussi.