Je travaillais énormément, concrètement mon appartement me servait simplement à dormir et à passer mes jours de congés. Même quand je voulais être seul, je finissais toujours par me rendre dans une bibliothèque ou un autre de ces endroits silencieux qui existaient dans le monde. Entre mes cours à l'université et mes patients, je n'avais de toutes les manières pas beaucoup de temps libre. Et j'aimais cela. C'était bien ainsi que je m'imaginais vivre ma vie. De temps en temps, je me sentais pris de l'envie d'écrire, de continuer la suite de mon roman, mais rien de plus. Aujourd'hui, avoir donc une demi-journée de libre était exceptionnel. Et comme j'étais assez fatigué, j'avais décidé de rentrer me reposer. Ce n'était pas dans mes habitudes mais tant pis. Au pire, je pourrais encore une fois ranger l'appartement. Zeno avait tendance à le mettre dans un bordel que j'étais incapable de supporter. Mais, j'étais conciliant. Je ne l'engueulais pas, je me contentais de ranger. Je savais pertinemment que quoi que je dise, cela n'aurait pas vraiment d'importance. Il n'en ferait de toutes les manières qu'à sa tête. Pour moi qui vivait seul ou presque depuis mes quinze ans, c'était assez compliquer de m'y habituer. J'avais beau avoir vécu dans les dortoirs de RPS, il était facile de faire comme si on vivait seul. Tandis que dans mon propre appartement... cela devenait complexe. Entre Zeno et ma sœur, j'avais plus souvent envie de le fuir que d'y être. M'enfin, une fois n'était pas coutume. J'allais chercher ma voiture dans le parking de l'hôpital et roulait en direction de mon chez moi. Et peut-être que si j'avais su ce qui m'y attendait, j'aurais roulé vers l'aéroport pour prendre le premier avion venu et partir sur une île déserte. Jeju Island aurait été un bon choix et je n'y étais pas allé depuis longtemps. Le trajet ne fut pas long, à ma grande surprise, et tandis que je rangeais ma voiture de luxe sur la place de parking, j'inspirais un grand coup. Avec un peu de chance, il n'y aurait pas Zeno et je pourrais dormir sans problème. Je grimpais dans l'ascenseur, ma mallette à la main, arrivait devant ma porte, rentrait dans mon appartement et me figeait, la bouche grande ouverte, ma tête se penchant sur le côté en regardant l'un des murs de mon chez moi. Qu'est ce que c'était que ça. Mes yeux firent le tour du salon, regardant les meubles déplacés et l'étrange peinture qui avait été faite. Ma haine du désordre et de l'imprévu revenait à la charge tandis qu'un éclat de rire me faisait tourner le regard pour apercevoir... Min Ha. Bien entendu. Il ne pouvait y avoir qu'elle pour faire ce genre de choses. Je redressais ma tête, haussais les sourcils et répondait tout simplement à sa question.

-"Non."

Rien de plus, rien de moi, l'espèce de créature qu'elle avait peinte faisait ressembler mon salon à un film d'horreur. Je tirais sur ma manche pour m'empêcher de remettre en place les meubles. La peinture avait l'air fraîche et je ne voulais pas les tâcher. Au moins, voyons le bon côté des choses: heureusement que j'étais propriétaire. J'allais poser ma mallette sur le comptoir de ma cuisine en soupirant. Je ne savais pas m'énerver et me mettre en colère, mais je devais bien dire que la situation m'exaspérait. Je n'étais pas famille. Encore moins du côté de mon père. De plus, je ne connaissais quasiment pas Min Ha. Nous avions huit ans d'écart et comme j'avais presque cessé de venir chez mon paternel à l'âge de quinze ans... nous étions de parfaits étrangers. Mais, depuis qu'elle était à Tokyo, elle semblait déterminer à être lier avec moi. Concrètement, je m'en contrefichais. Je n'étais pas le genre de personne à m'attacher facilement aux gens. Sauf que je connaissais parfaitement le concept du mot famille. Ce qui faisait que naturellement je m’inquiétais pour elle. D'autant plus que j'étais certains qu'en cas de problème avec elle, mon père allait me téléphoner. Nous ne parlions que rarement. Environ une fois par mois, ou pour des dates spécifiques ou des soucis. En dehors de ça, notre relation restait très... épisodique. Soupirant une nouvelle fois, je tournais mon regard vers elle.

-"Qu'est-ce que c'est? Et qu'est-ce que tu fais là? Des soucis?"

Surtout, comment était-elle rentrée puisqu'elle n'avait pas les clés. A vrai dire, je connaissais déjà la réponse. Zeno. Pas besoin de chercher plus loin. J'enlevais la veste de mon costard et la posais délicatement sur le dos d'une chaise pour ne pas trop la froissée avant de finalement dire autre chose.

-"J'espère que tu comptes repeindre le mur dans sa couleur originelle."

Je voulais bien être gentil et bonne pâte mais... je ne comptais pas garder ça ici. C'était... trop original pour moi.

Est-ce que je regrettais de ne pas être plus proche de mes frères et sœurs? Du reste de ma famille? Je n'en étais pas sur. A vrai dire, la question ne m'avait jamais effleuré l'esprit jusqu'à ce que Min Ha rentre dans ma vie de manière un peu plus définitive. D'ailleurs, le fait que je parle d'elle dans mes sessions avec ma psychologue le prouvait. Mon déménagement au Japon avait déjà changé beaucoup de choses dans ma vie. Finit ma routine, la mise en place de nouveaux repères. Nous avions du augmenter les doses de médicaments pour prévenir de possibles crises. J'aurais du prendre mes pilules mais, je n'avais pas envie qu'elle voit et qu'elle pose des questions. Ma bipolarité n'était pas un sujet que j'abordais avec quiconque en dehors de mon propre médecin et de ma mère. Mon père et moi n'en parlions pas, jamais. Nous ne parlions pas beaucoup. Mes yeux se posèrent doucement sur ma sœur. Mes derniers souvenirs d'elle étaient lorsqu'elle était encore bébé. Je ne comprenais pas vraiment ce que représentait l'attachement, les relations, je ne comprenais pas non plus pourquoi elle continuait à vouloir me voir. La curiosité peut-être. La bête curieuse que je représentais. Le frère inconnu, le fils aîné à moitié européen, celui qui venait un mois sur deux et qui disparaissait dans une école au Japon. Je soupirais en regardant la tête de monstre dans mon salon. Si elle ne repeignait pas, j’appellerais mon père pour me faire rembourser le peintre. Tant pis pour elle. Je n'étais pas fan des cadeaux et des surprises. Celle-ci en faisait partie. Je n'en avais pas eut beaucoup de positives dans ma vie. Alors, depuis je me méfiais. C'était la même chose avec les gens. Je ne les comprenais pas, j'essayais mais, ce n'était pas toujours une réussite. Je sortis une bouteille de vin et un verre pour m'en servir. Il allait me falloir des forces si je voulais continuer cette discussion. Je m'approchais de la peinture et penchais la tête sur le côté. C'était moche... Sans doute parce que le personnage en lui-même était moche. Elle était doué pour le dessin mais, jamais mon père ne la laisserait en faire sa vie. Si j'avais évité de finir militaire, c'était bien parce que ma mère était particulièrement... possessive.

-"Tu aurais pu faire autre chose comme cadeau. Et tu rangeras les meubles quand ce sera sec. Je dois déjà ranger derrière Zeno, j'ai seulement l'impression de faire le ménage quand je suis chez moi. Si tu dois repeindre, peint quelque chose de... joli."

Peut-être qu'il fallait que j'engage une femme de ménage. Entre ces deux-là, j'allais devoir me faire payer de l'heure. J'étouffais un bâillement, essayais de ne pas tenir compte des meubles dans tous les sens en me concentrant sur ma respiration.Mes doigts pianotaient sur ma hanche, se concentrer pour ne pas exploser. Je décidais de porter mon attention sur elle, pour éviter de me transformer. Je ne voulais pas la blesser dans une crise. On ne savait jamais. Cela ne m'était pas arriver depuis longtemps. Mais, je craignais encore et toujours. D'ailleurs, ne devrait-elle pas être en cours?

-"Et l'école?"

J'étais un rabat-joie. Pas drôle, pas sympa, pas marrant. Je retournais dans la cuisine et commençais à chercher de quoi me nourrir. Cuisiner n'était pas mon fort. Je savais faire quelques trucs simples, mais encore faudrait-il que j'ai des ingrédients. J'avais aussi oublier de faire les courses. Un reste de patates, quelques poivrons et des œufs. Une omelette? Je sortais une poêle pour réchauffer les ingrédients.

-"Tu n'as pas mangé j'imagine. J'espère que tu aimes les omelettes."

Je faisais rarement de la cuisine asiatique, je n'avais jamais appris. Alors mes plats se résumaient à des spécialités anglaises ou de la cuisine italienne. Je décidais de lui dire le fond de ma pensée.

-"Min Ha, si tu pouvais téléphoner avant de passer, je t'en serais reconnaissant. Ou envoyer un sms."

Histoire de ne pas rentrer quand elle était là. Si elle voulait s'amuser avec Zeno grand bien lui fasse. Moi... j'avais plus de mal avec la situation.

Je n'avais rien d'un original. Je n'aimais pas ce qui sortait de l'ordinaire. Surtout chez moi. J'avais besoin de calme et de sérénité. Ce qui s'était légèrement envolé le jour où j'avais accepté d'héberger Zeno et depuis que ma cher sœur continuait à s'inviter dans mon appartement. Je priais pour que le jours où ma patience atteigne ses limites ne vienne pas. Ou alors, que personne ne se trouve dans les parages à ce moment là. L'extravagant, l'inhabituel, c'était autant de sources de stress que je préférais éviter. Mais ma sœur semblait bien trop partie dans l'idée de se rapprocher de moi pour le comprendre. Je ne parlais pas de ma vie en général, encore moins avec des gens que je connaissais à peine et encore moins avec ma famille. Surtout du coté de mon père. J'étais naturellement secret et solitaire. Et ça, elle ne semblait pas vraiment l'avoir saisit. Encore heureux pour elle que je fasses partie de ces gens polis et bien élevé qui ne se mettent pas en colère à la moindre contrariété. Il faut dire que depuis quelques semaines je pensais me mettre au yoga et à la méditation. Dommage que je ne trouve pas le moyen de caser ce genre d'activité dans mon emplois du temps déjà surchargé. Quelque part, quand je croisais Min Ha, je me disais que j'étais bien content de ne pas avoir été élevé chez mon père. J'aurais sans doute été très mal dans ma peau. Quoi qu'à mon avis Min Ha devait être la seule ainsi. J'aimerais lui dire que je ne voulais rien du tout, pas de cadeau. Je n'aimais pas les surprises et les cadeaux. Surtout que je n'avais besoin de rien. L'écouter parler de son inimitié pour l'école me fit doucement sourire. Bien entendue, je faisais attention à ce qu'elle ne le voit pas. Je ne me moquais pas d'elle mais, j'avais très vite compris qu'elle avait une véritable relation conflictuelle avec l'autorité et le travail. Mais, je ne pouvais pas m'empêcher d'y faire attention. Elle était à Tokyo pour étudier, pas pour faire la folle. Et puis, être à Royal était un véritable privilège, il fallait savoir en profiter. Tellement de personnes aimeraient être à sa place. Je coupais les ingrédients que j'allais ajouter à mon omelette, me doutant bien qu'elle n'allait pas rester immobile sur le canapé. Mieux valait continuer à faire la discussion si je ne voulais pas que mon appartement se transforme en champs de bataille.

-"Zeno n'est pas quelqu'un qui fait quelque chose parce qu'on lui demande. Je le savais parfaitement en l’accueillant ici. Je vais réfléchir à engager une femme de ménage. Ce serait sans doute le meilleur moyen."

Peut-être même que j'allais engager quelqu'un pour nous faire les courses. Mais... l'idée que quelqu'un touche à mes affaires me dérangeait un peu. Et puis, j'étais atteins de toc assez sévères... Si tout n'était pas rangée comme je le voulais, c'était une catastrophe. Bien entendu, je ne le disais pas. On savait que j'étais maniaque, on ne savait pas que cela en était maladif. J'écoutais ses remontrances les unes derrière les autres, sans rien vraiment ajouter. Il n'y avait rien à dire, elle avait raison. Totalement. Je ne pouvais ma dénier que si jamais j'avais su qu'elle venait, j'aurais tout fait pour l'éviter. Je faisais revenir quelques ingrédients dans la poêle avant de casser les œufs.

-"Je sais tout de même cuisiner une omelette, ne t'inquiète pas. Je vis seul depuis suffisamment longtemps pour savoir cuisiner le minimum."

Et être addict aux commandes et aux plats tout prêts.

-"Au fait, qu'est-ce que tu veux faire plus tard? Pourquoi es-tu certaines de ne pas y arriver?"

Nous n'en avions jamais discuté très sérieusement. Je n'avais que peu d'intérêt sur sa vie mais, je savais que mon père était plutôt stricte. L'omelette était finie, je la posais dans une assiette, en découpait deux parts, une pour chacun avant de lui tendre l'assiette et de m'asseoir.

-"Enfin, je n'ai jamais trop eut à me poser ce genre de questions il faut l'admettre."

Une bouchée. C'était bon. Pas trop cuit, juste ce qu'il fallait. J'étais doué pour les omelettes.