Tenue ♕ De mon point de vue, je ne comprendrais jamais la vie d'une femme, ni ce que c'est d'être mère. Sacrifier une partie de sa vie pour un enfant, l'élever, le nourrir, lui apprendre la vie. Ce sont des choses qui ne m'arriveront jamais, puisque je ne peux enfanter. Si jamais je deviens père, je n'aurai pas l'obligation de rester à la maison pour mon fils ou ma fille, ni pour la grossesse de ma vie. Puis surtout, je ne vois pas le reste de ma vie avec une femme, ni marié, ni père, ni rien de tout ce que tout le monde fait. D'après Hye Ni, je parle beaucoup, mais ça ne m'offusque pas de le savoir puisque je suis déjà au courant. C'est dans mes habitudes, dans mon comportement en général et dans mon boulot aussi. « Une chance que je n'ai pas peur de te froisser, mais je crois que ça ne m'empêcherait pas de te parler pour autant. » Que les gens soient fermés ou ouverts, je parlerais toujours beaucoup, un vrai moulin à parole. Entre nous, c'est ma stagiaire -ou ancienne stagiaire-, pas la fille du président. Et même si c'était le cas, je prendrais pas des pincettes. C'est toujours un plaisir de discuter avec la demoiselle, qu'importe où mène la conversation. « Moi, te menacer ? Je n'oserai jamais, voyons. » Ou alors elle interprété mal certaines de mes paroles. Je ne suis pas toujours conscient de mes mots, parfois ça peut paraître étrange, mais je n'ai jamais l'impression de forcer qui que ce soit. « Mais tu peux toujours dire du bien de moi à mes collègues. » évidement. Je plaisante avec ses notes, même si ce n'est pas marrant. Ses résultats pourraient couler par ma faute si jamais je ne fais pas attention à mes écrits. En même temps, je n'ai rien de négatif à dire sur ma stagiaire, elle a été parfaite du début à la fin. « Fallait pas me confier ton avenir. » Un petit rire m'échappe, à peine taquin. « Je ne voudrais pas déranger ton fiancé. » Même si celui-ci ne semble pas s'en gêner pour flirter avec une autre fille. « Je sais. » Que ça compte beaucoup pour elle. Ce sont les compliments qui aident une personne à avancer, bien que les critiques qui te poussent à vouloir faire toujours mieux que la fois précédente. Si je la félicite, c'est parce qu'elle le mérite, mais aussi pour ne pas qu'elle s'arrête en cours de route. Le jour où elle voudra baisser les bras, elle n'aura qu'à repenser à mes encouragements. « Je ne vois pas en quoi. Tu m'as fait découvrir le plaisir d'avoir un stagiaire, ce n'est pas rien. » La sincérité ne m'a jamais étouffé, heureusement. C'est au tour de Hye Ni de me complimenter, ça me fait plaisir à entendre. « Merci à toi d'avoir frappé à ma porte. » La petite courbette de l'étudiante m'arracha un grand sourire, tandis que j'incline ma tête pour la remercier en retour. « J'espère avoir autant de nouvelle de toi que de moi. » Si je dois parler de mes amours avec la jeune fille, celle-ci devra me parler de ses études en échange.

Tenue ♔ Plus les minutes passaient, plus Hye Ni se demandait si elle arriverait encore à faire face à Emon par la suite. Sa conversation avec Setsuna avait beau la distraire pour un temps, il faudrait bien qu’elle parte à un moment, qu’elle retrouve ses préoccupations habituelles et qu’elle songe à parler avec son fiancé. Sans laisser paraître qu’elle le soupçonnait, qu’elle savait et qu’elle comptait agir en conséquence. Si seulement elle n’avait pas à se ronger ainsi les sangs, si seulement ils pouvaient avoir une relation ordinaire, pas liée par un stupide contrat, un échange de bons procédés entre deux riches familles. Probablement ne saurait-elle jamais ce que c’était d’avoir une relation sincère avec quelqu’un, de s’approcher d’une personne, d’apprendre à la connaître, sans que son bagage familial ne la poursuive en permanence. C’était presque une obsession : cette personne face à elle lui parlait-elle par curiosité ou par intérêt ? Un vrai dilemme, qui lui donnait parfois envie de rester sous sa couette pour la journée. Mais non, ses parents ne lui permettraient pas, sous aucun prétexte, à moins d’être malade à en crever. Et encore, il faudrait qu’ils en aient la preuve par un médecin certifié. « C’est bon à savoir. Je suis lasse de savoir si les gens sont vraiment honnêtes avec moi. C’est pesant et fatigant. ». Elle aussi avait besoin de savoir quand elle dépassait les bornes, et pas seulement concernant les bonnes manières. A force de tout se laisser permettre, elle craignait parfois de finir comme ces filles imbues d’elles-mêmes, qui ne respectaient rien et méprisaient tout le monde. Et conduisaient certaines personnes au suicide, comme son amie. Jamais elle ne voulait arriver à ce stade.

Par contre, il semblerait que son ancien maître de stage ne voie pas d’inconvénient à ce qu’elle vienne lui rendre visite au bureau, de temps à autre. Elle n’y manquerait pas, surtout pour en savoir plus sur les suites de ses aventures. Elle pourrait presque écrire un roman avec ça, mais encore faudrait-il qu’elle en trouve le courage. Et ce n’était pas gagné. En revanche, elle était prête à sortir le grand jeu pour arriver à ses fins, quitte à le calomnier publiquement. Ou du moins, c’est ce qu’elle affirmait, car jamais elle ne voudrait le blesser. Ou compromettre sa réputation. « C’est ce qu’on dit, mais t’en fais pas, je trouverais bien une histoire compromettante à sortir. J’ai une grande imagination, soutint-elle, convaincue de ses dires, par contre, pour te lancer des fleurs, ça va être plus compliqué. ». En vérité, c’était tout le contraire, il lui faudrait un effort monstre pour dénigrer Setsuna, mais pour faire son éloge, c’était bien plus aisé. Il avait été si patient avec elle, si consciencieux quand à ce qu’elle faisait, c’était tout simplement normal. « J’ai toujours su que tu me considérais comme une concurrence, mais c’est pas la peine d’être si déloyal. », dit-elle, faisant mine de bouder. Elle ne répondit rien à la mention de son fiancé, elle n’avait plus envie d’en parler, elle avait eu son quota pour la journée. Surtout parce qu’elle ne pouvait se résoudre à dire du mal de lui et que ça la blessait. Elle préférait penser qu’elle se serait bientôt débarrassée de cette fille et que tout rentrerait dans l’ordre. Tout simplement.

Le moment était venu de le remercier, en bonnes et dues formes, parce que c’était la moindre des choses. Il lui avait permis de croire en son avenir, de la laisser découvrir qu’elle avait les compétences nécessaires pour en faire son métier et qu’elle pouvait y arriver. Il ne s’était pas contenté de la laisser faire, en approuvant tout par considération pour sa famille, non, il lui avait fourni les critiques nécessaires et elle était désormais capable d’écrire un bon article. Sans doute ne comprendrait-il jamais vraiment à quel point c’était important à ses yeux, pour plus tard. Peut-être essaierait-elle de lui expliquer un jour, peut-être oui. Et il semblait que le plaisir était partagé, peut-être avait-il découvert à quel point les étudiants avaient besoin de son savoir. « C’est normal, dit-elle en se relevant, tu es le seul qui m’a répondu pour autre chose que pour plaisir à ma famille. Je ne pouvais qu’arriver vers toi en courant. », conclut-elle avec un sourire rayonnant. Non, elle n’avait pas voulu d’une grande entreprise renommée avec des portes ouvertes grâce à ses connexions. Elle avait choisi cet endroit parce qu’elle avait voulu savoir ce que signifiait vraiment le mérite, le vrai. Et même si avoir la Royal sur son CV avait dû jouer, elle doutait quant au fait que Setsuna sache qui étaient ses parents. Du moins, il ne lui en avait pas donné l’impression. « Pas de problème, je passerai de temps en temps avec des cafés et des pâtisseries dignes de ce nom. Tu verras, j’ai de bonnes adresses. ». Sans tarder, elle récupéra les documents remplis, songeant à les regarder une fois à l’université, et replaça le tout dans son sac. Voyant l’heure avancée, elle remit en place son gros gilet, ajusta son bonnet et ferma ledit sac. Je vais devoir y aller. Ça m’a fait plaisir de te revoir et de discuter. On se revoit bientôt », dit-elle avec un clin d’œil, se courbant à nouveau pour le saluer, avant de partir précipitamment vers la sortie. Elle n’excellait pas vraiment dans les au revoir, surtout avec un tas de choses en tête.