JUST MY SOUL RESPONDING + ‘Y a les fenêtres qui sont grandes ouvertes, les rideaux qu’ondulent à cause du vent, qui se coincent puis qui reviennent. ‘Y a le soleil égyptien qui filtre, qu’illumine la grande maison en bordel, qui lui fait plisser les yeux alors que sa mère lui enfonce un bob à fleurs hawaïennes sur le crâne.
]b] « Maman… C’est moche, j’en veux pas… »[/b], elle marmonne, la gamine, ses petites mains agrippant les bords du chapeau. Et sa mère rit un peu, étale de la crème solaire sur son visage puis ses bras maigres d’enfant de cinq ans.
« C’est peut-être moche mais ça te protège, alors soit tu le portes et tu vas jouer avec les autres, soit tu restes à l’intérieur. » Et elle grogne encore, la fillette, avant d’abdiquer. La jeune femme se redresse et l’enfant lui échappe des mains, courant dans le jardin rejoindre les autres. Elle rit, amusée, et s’adosse contre le cadre de la fenêtre pour les surveiller de loin, drapée dans sa robe en dentelle écrémée des années soixante.
« Votre maison est merveilleuse, Yuko. », fait une voix dans son dos. Une autre femme, pas plus vieille qu’elle, élégante et raffinée, un verre de rosé français presque aussi cher qu’un chien de race dans la main droite, un second dans la gauche qu’elle tend à la japonaise qui sourit.
« Elle n’est pas aussi bien organisée que la vôtre… » Et elles rient doucement. Parce que c’est vrai. Parce qu’ici, c’est comme un souque oriental. Ici c’est des grands draps colorés accrochés au plafond, c’est des tapis de l’autre bout du monde, des babioles qui s’entassent, de l’encens qui brûle, des croquis qui jonchent les meubles, des jouets qui décorent le canapé. C’est chaleureux, c’est personnel. C’est pas comme chez les autres. C’est grand, peut-être trop, mais chaque pièce a un nom, chaque pièce est marquée par un petit quelque chose, et on s’y sent bien rien qu’en regardant la couleur des murs.
« Maman ? » La discussion triviale entre les deux jeunes femmes s’arrête quant une petite main s’accroche aux pans de la robe de la nippone aux yeux de chat.
« Qu’est-ce qu’il y a, Ririchiyo ? », elle fait en se baissant à sa hauteur.
« Je crois que papa il a été brûlé par le soleil, il est rouge comme papi quand il est en colère mais il est pas en colère lui. » Encore des rires discrets et la gamine finit par prendre les mains des deux femmes, les traînant jusqu’au bord de la piscine.
« Tiens, regarde. Papa ça fait mal quand j’appuie, dit ? » Et son doigt vient toucher la peau rougie sans douceur, tirant un sursaut et un grognement à son père.
« Ririchiyo ! Ne touche pas. » La fillette fait la moue avant de se décaler, son sourire revenant lorsque la main de sa mère se pose sur son épaule, lui tendant le tube de crème.
« Tu vois ma puce, c’est pour ça que je t’ai dit de mettre un chapeau et de me laisser faire quand je te mettais de la crème, sinon tu finissais comme ton père… Tiens, met-lui de la crème. » Et Ririchiyo hoche la tête en s’exécutant, non sans faire quelques dessins qui laisseront probablement des marques dans le dos de l’homme. Quelques cris se font entendre derrière. Les gamins jouent dans l’eau, s’éclaboussant ou se lançant une bouée dessus. Puis ils rient. C’est toujours comme ça chez eux. ‘Y a toujours du monde, parce qu’ils sont nombreux, toujours du bruit. Et des rires. Et des sourires. Et Ririchiyo qui se fait balancer dans la piscine.
YOUTH IS NEVER COMING BACK + Elle dessine un canard sur une feuille de papier, déborde un peu sur la table en bois mais n’essaye pas d’effacer le coup de crayon.
« Pourquoi tu dessines un canard ? », lui demande sa petite sœur, penchée sur la feuille. Ririchiyo la pousse doucement.
« Je sais pas. », elle répond, haussant les épaules.
« Tu sais pas ? » Et elle secoue la tête.
« Non je sais pas. » Et la cadette rit soudainement fort, s’attirant un regard désapprobateur de la gamine qui ne comprend pas pourquoi elle rit.
« Arrête de rire ça m’fait mal aux oreilles et t’as l’air d’une baleine quand tu fais ça, je vois le fond de ta gorge et c’est dégoûtant. », elle grogne en reprenant son dessin, ajoutant d’autres couleurs, une marre, d’autres animaux comme des chameaux, ceux que son père monte quand il part pour des fouilles.
« Pff t’es pas drôle. » Et la plus jeune lui tire la langue avant de lui mettre un coup de coude qui la fait bouger, son trait de pastelle rose finissant dans un coin de la feuille.
« T’es chiante, t’as tout fait rater ! » Le dessin finit chiffonner dans la main de l’enfant qui se jette sans peine sur la plus jeune, l’attaquant à coup de chatouilles et de cris perçants tout près de ses oreilles.
« Qu’es-ce qui vous arrive, encore, les filles ? », beugle leur père à l’autre bout de la pièce, son ordinateur portable sur les genoux.
« Vous allez réveiller votre mère à faire tant de bruit. » Puis il disparaît à nouveau et les deux filles pouffent de rire avant de courir à l’étage, histoire de jouer en silence, laissant leur bazar sur la table d’en bas.
SEE YOU SOON + Elle garde les yeux obstinément fixés sur la route, la mâchoire crispée et le visage fermé. Elle regarde les paysages de son enfance, montagnes de sable et triangles de briques, s’estomper pour laisser place à d’autres dont elle ne veut pas. Le Caire c’était toute sa vie. Elle en veut pas, du Japon. Elle en veut pas de leurs buildings de trente étages, de leurs bureaux, de leurs grandes universités à chaque coin de rue. Et elle veut retrouver les pyramides, le soleil brûlant, les marchés bruyants. Son bout de colline dans un coin de la grande ville, sa maison, ses amis. Elle était bien là-bas, très bien même. C’était pas son pays, à la base, mais c’était le seul qu’elle avait jamais vu, le seul avec Los Angeles. Et elle aurait pu y rester mais sa mère a pas voulu. Son père non plus, d’ailleurs. Il veut pas d’elle. Ni d’elle, ni de sa sœur. Quel égoïste. Elle souffle, excédée, et elle croise le regard de sa mère dans le rétroviseur.
« Écoute Ririchiyo… Je sais que c’est un gros changement, qu’on part vraiment très loin mais… S’il te plaît, essaye de comprendre… Je peux pas rester avec son père et… Et j’ai besoin de retrouver mes racines… Et puis ça me permettra de mettre en place mon affaire. » Mais Ririchiyo ne lui répond pas.
« Arrête de faire la tête. » Elle bouge un peu, Ririchiyo, se redresse.
« Mais j’ai pas envie d’y aller, moi, à Tôkyô. ‘Y a tous mes amis en Égypte, je vais jamais les revoir… » Un haussement de sourcil, un soupir las.
« Tu t’en feras d’autre, j’en suis sûre. » Et Jo Ririchiyo se renfrogne, laissant retomber son dos contre le siège alors que les jumeaux, récemment arrivés dans la famille suite à la nouvelle lubie de sa mère qu’est l’adoption, se mettent à pleurer.
« J’aurai dû rester chez papa. », elle dit sans trop réfléchir. Et le regard froid de sa mère qui se heurte au sien la fait réagir.
« Tu penses pas ce que tu dis. » Et plutôt que de s’excuser, Ririchiyo se tait durant tout le trajet, amère et en colère.
COLORS + Debout en face de son ami presque nu, Ririchiyo trace des traits colorés sur son corps, faisant glisser son pinceau sur la peau qui frissonne.
« Pourquoi tu fais ça ? ‘Fin, j’veux dire, ‘y a des trucs plus rentables dans la vie que le body painting, surtout que toi tu fais ça juste par passion… Puis tes parents ils disent rien ? La peinture ça doit être un truc de gueux pour eux. » Ririchiyo précise les formes, les rend plus apparentes, et appuie un peu plus sur le pinceau pour accentuer la couleur. Elle relève ses yeux vers le visage du jeune homme, un sourire sur le coin des lèvres alors qu’un souffle d’amusement se fait entendre.
« Je fais ça parce que j’aime ça… Et ma mère ne me dira jamais rien, elle s’en fout un peu de ce que je fais de ma vie tant que ça me plaît et que je ne vais pas faire la pute sur le trottoir chaque samedi soir. Puis c’est pas grave si ça me rapporte rien, je bosse à côté. » Les mots crus de l’artiste font rire la toile humaine.
« Rigole pas, ça va me faire bouger. », elle souffle, concentrée. Elle est dans sa bulle, Ririchiyo, dans son monde. ‘Y a plus vraiment de bruit, à part un air des Babyshambles qui vient caresser leurs oreilles, léger, comme étouffé. Elle se pince les lèvres, fronce les sourcils. Puis, quelques fois, elle sourit, se recule pour regarder, s’approche de nouveau pour reprendre.
« Ritchie ? » Elle continue son œuvre, ne relève pas la tête mais écoute.
« Mh ? » ‘Y a le silence pendant quelques secondes puis un souffle hésitant.
« J’peux te poser une question ? » Et elle hoche la tête, lui intime de le faire.
« T’as une famille un peu bizarre, non ? » Et elle ne peut s’empêcher de sourire franchement. Ouais. Elle a une famille bizarre.
« Un peu, le mot est faible… » Elle fait une pause, le temps de rincer le pinceau couvert d’un bleu indigo pour utiliser une autre couleur, un mauve très pâle, avant de venir redessiner quelques contours.
« Mes parents sont un peu coincés entre deux mondes. D’un côté, ‘y a mon père, riche depuis tout petit, un peu désagréable dans sa façon de se penser au-dessus des moins riches, casanier et international à la fois, chef d’entreprise et ancien archéologue, et de l’autre, ‘y a ma mère, ancienne peintre de rue, aujourd’hui à la tête d’une entreprise de cosmétiques, qui s’est construit sa propre richesse, qu’a décidé d’aller vivre en Égypte en trainant son mari avec elle pour l’aventure, pour l’exotisme, qu’aime le désordre, qu’aime les gens, qui vit comme une hippie et qu’aimerait sauver le monde de la pauvreté. » Il l’écoute, son ami, captivé autant par les tracés du pinceau que par les mots de Ririchiyo.
« On n’a pas toujours été bien vus par les amis de mon père… On fait un peu bohème, ils se sont dit qu’on essayait de jouer les gens modestes alors qu’on a de quoi acheter une île en Amérique du sud. Mais, de toute façon, on est habitué aux critiques… » Elle s’arrête encore, essuie ses doigts couverts de peinture bleutée sur sa tunique ample.
« Puis ‘y a des gens, en général plus proches de ma mère, qui trouvent notre façon de vivre atypique et qu’adorent ça. ‘Fin c’est surtout ma mère qu’a un mode de vie bizarre… Elle fume des joints, collectionne les guitares alors qu'elle sait pas en jouer et couche avec mon beau-père limite à côté de moi ou des autres, sans pression… » Elle ne retient pas un rire à cette pensée. Ouais. Sa mère est bizarre. Vraiment barrée dans le délire je suis une hippie du vingt-et-unième siècle salut.
« Et pourquoi ils se sont séparés, tes parents ? Quand ta mère en parle ils avaient l’air vachement biens pourtant… » Ririchiyo retrousse le nez dans une moue enfantine.
« Il a pété un câble. Il avait du mal avec le côté décalé de ma mère depuis le début mais ça a fini par s’intensifier. Puis il a toujours été du genre à se soucier du regard des autres alors il a demandé le divorce et il s’est barré avant qu’on déménage. Il a même mis la maison en vente sans nous le dire. Sauf que c’est ma mère qui l’a rachetée… Et sa concubine, et Ririchiyo insiste sur le mot en roulant des yeux,
a les plus gros seins siliconés que j’ai jamais vu de ma vie. Et elle est conne putain, mais qu’elle est conne…» Ils rient tous les deux, comme deux gosses, et quand Ririchiyo a terminé, elle se recule, passant une main colorée dans ses mèches cendrées déjà trempées de peinture.
« C’est comment ? » Elle sourit.
« Je suis plutôt fière de moi. Si avec ça j’ai pas une bonne place pour l’exposition, j’arrête la peinture et je me mets à la cuisine. » Et ils rient encore une fois. Les photos prises, Ririchiyo laisse son ami lui emprunter la douche du petit local dont elle se sert.
« Je dois rentrer, ma mère passe avec les petits ce soir. Tu connais la maison, je te retrouve demain à l’université. » Et elle s’éclipse, laissant à son ami le soin de fermer les locaux à sa place.