Sa réponse ne fit qu’accentuer mon sourire. Elle venait là de dicter un point que nous avions en commun sans nous en rendre compte. J’étais une personne méfiante de nature, alors, je n’allais pas la juger sur son commentaire.

« C’est légitime. Tu as sans doute raison d’agir ainsi. »

Après tout, il n’était pas impossible que je puisse la laisser là, sur le bord de la route et repartir tranquillement jusqu’à chez moi. Il n’était pas impossible que je ferme la porte de mon appartement à jamais. Il n’était pas impossible que je file aussi loin que possible d’elle sans lui apporter le moindre centime. Ce n’était pas mon genre, mais, j’en étais parfaitement capable.
Finalement, la faim avait fini par avoir raison de moi. J’avais ingéré bien plus d’alcool que de petits fours, et je sentis bien qu’il me faudrait faire quelque chose pour remédier à cette mauvaise sensation rapidement. J’appréciais le luxe. Je ne m’en cachais pas. J’appréciais les jolies choses, et j’étais sans doute bien plus matérialiste que je ne voulais me l’avouer. Cependant, rien ne valait un bon retour aux sources de temps à autres. Nous n’étions clairement pas habillés pour l’endroit, mais, ce petit boui-boui où nous venions d’entrer était sans aucun doute bien plus accueillant et appétissant que tout restaurant haut de gamme nippon. J’avais poliment demandé à Katreeya si elle souhaitait prendre quelque chose ; je remarquai une expression nouvelle dans son regard, mais ne dit rien à ce sujet. Ce n’était ni le lieu, ni le moment pour le faire. Notre commande en préparation, je laissai le silence s’installer entre nous. Je terminai de retirer mon nœud papillon, le pliant délicatement avant de le ranger dans la poche intérieur de ma veste. Je défis un bouton de ma chemise, et la commande était prête. Je remerciai le chef, payai notre diner et nous repartîmes en voiture.

Le retour au domicile se fit sans encombre. Les rues étaient encore bondées pour l’heure, mais, les pics de circulation étaient terminés depuis bien longtemps. Je garais ma berline dans à sa place, à côté de quelques-unes de ses camarades, puis nous remontâmes jusqu’au bon étage. La demoiselle connaissait le chemin par cœur, tant et si bien qu’elle prenait les devants sur le chemin. J’en vins à me demander combien de fois avait-elle mis les pieds chez moi… Je n’avais jamais tenu de compte, mais, ma curiosité me souffla que peut-être j’aurais dû ; pour l’amusement, simplement. Elle fila rapidement en direction du comptoir de la cuisine, et je retirai la veste de mon costume. « C’est pour moi tout ça ? » Je saisis un verre d’eau, et le portai à mes lèvres pour boire quelques gorgées avant de répondre.

« Tu as l’œil ! Tu peux l’ouvrir. »

Non pas qu’elle ait réellement besoin de mon consentement pour regarder ce qu’il y avait à l’intérieur. Elle aurait très bien été capable de l’ouvrir même si je lui avais dit que son contenu ne la concernait pas. Alors qu’elle s’attelait à examiner la liasse de billets, j’ouvrai nos repas respectifs. Faisant le tour du comptoir, je vins à ses côtés.

« Alors, satisfaite ? »

Même si elle disait non, le montant ne changerait pas de toute façon. Je ne savais pas si elle était habituée à mieux. Tout ce dont j’étais certain était que cette soirée était sans aucun doute bien meilleure que celles que certains hommes avaient l’habitude de l’emmener à. J’étais loin de vouloir la considérer comme un objet à décorer. Je séparai d’un geste sec une paire de baguettes jetables et commençai à manger mes larges nouilles, pleinement satisfait de cette soirée.

Le moins que nous puissions dire était que le contenu de l’enveloppe lui convenait amplement. Même sans réponse parlée, j’aurais facilement pu deviner tant son expression était radieuse. C’était relativement amusant d’ailleurs. Il fallait dire que je n’avais jamais manqué de rien de ce côté-là, ainsi, même après un joli coup, j’étais loin de jubiler autant que la demoiselle. Quoi que… J’étais presque certain que si j’en venais à penser cela trop fort mon acolyte allait apparaître depuis la porte d’entrée et hurler que c’était faux, car à telle date pour tel évènement, j’avais eu un comportement tout aussi enfantin que Katreeya en ce moment-même.

« Tu m’en vois ravi. »

Dis-je simplement, en portant à présent toute mon attention sur ma nourriture. J’avais évité un scandale, je m’en félicitais. La brunette était plutôt capricieuse et tenace, je n’étais pas d’attaque à engager un débat sur l’argent à une heure si tardive. Ainsi, sa bonne réaction me convenait amplement. Je la laissais ranger son petit butin et prendre place à mes côtés sans ajouter un mot. Je profitai de ce silence après le brouhaha constant dans lequel nous avions été plongés pendant deux bonnes heures. Je me délectai de mon simple diner lorsqu’elle amena un nouveau sujet sur la table.

« Je ne sais pas encore. »

Répondis-je avant de reprendre une bouchée. Ce n’était pas tout à fait faux. Ce n’était pas tout à fait juste. Tous ces plans prenaient bien plus de temps à préparer qu’à effectuer. J’étais en pleine étude de cas, et, je devais d’ailleurs revoir Eden sous peu avant le grand jour. Quant à Katreeya, je ne savais pas encore ce pour quoi je pourrais la demander. Cela arriverait sûrement ; elle avait, après tout, réussi à faire ses preuves. Mais je craignais encore ses sautes d’humeur… Elle m’avait présenté une image bien obéissante, mais, je ne savais pas si elle saurait tenir longtemps ainsi… C’était étrange, cette envie de lui faire confiance tout en n’en étant pas capable… Elle avait réellement ce quelque chose en plus pour que je n’ai pas pris l’envie de la virer de ma vie plus tôt.

« Je suis en train de terminer un projet. Si celui-ci réussi, et si le prochain guignol à descendre présente des singularités justifiant ta présence, alors je saurais venir te chercher. »

En attendant, il faudrait qu’elle s’arme de patience. Je n’étais pas certain que l’idée lui plaise, mais, qu’importe, car ce serait ainsi. De toute façon, elle ne changerait pas ses habitudes, et viendrait sans aucun doute frapper à ma porte et prendre place dans mon appartement à toute heure du jour et de la nuit, que je le veuille ou non. Mon repas enfin terminé, je me levai du comptoir en m’étirant. Je glissai un doigt dans ses cheveux.

« Merci pour ce soir. »

Soufflai-je simplement. Je n’étais pas un adepte des remerciements, des excuses, et de toute forme de politesse trop sincères. Cependant, j’avais envie de lui faire comprendre qu’au-delà de l’amusement, au-delà d’un paiement, elle avait été de très bonne compagnie et je lui en étais redevable.

Son mécontentement ne m’étonna guère, et au final, ne me fit ni chaud ni froid. Elle était à mille lieues de s’imaginer toutes les préparations qui devaient être effectuées en amont, et ce, même avant une sortie aussi simple que celle de ce soir. J’avais un peu espéré qu’elle réalise cela d’elle-même, avec un minimum de réflexion et sans que j’ai à trop lui en dire. Toutefois, il fallait que je me rende à l’évidence ; Katreeya était là pour s’amuser et pour l’argent, rien de plus.

« Tu as tout compris. »

C’était sans doute décevant pour elle. Mais, je saurais augmenter ses tâches pour qu’elle comprenne pourquoi tout trainait en longueur. Nous avions là un joli jeu de confiance à mettre en place. Je n’allais pas pouvoir lui donner accès à tout un tas d’informations du jour au lendemain, que cela lui plaise ou non. Et puis, Ha Neul avait déjà tendance à m’hurler dessus à cause de la présence trop courante d’Eden dans nos affaires… alors, d’ici à pouvoir amener la jolie brune officiellement, il faudrait que je doute bien moins d’elle ; et elle moins de moi.
Un remerciement, rapide et sincère. Je n’allais pas m’étendre sur le sujet trop longtemps, ce n’était pas dans mes habitudes. Sa réponse me fit sourire, et celle qui suivit d’autant plus. Elle craignait que je la jette comme une vieille chaussette. C’en était presque touchant.

« Non, sinon je te l’aurais dit franchement. »

C’était là la pure vérité. Je n’aimais pas tourner autour du pot pour ce genre de chose. Si sa présence était réellement un problème, et non un léger agacement, j’aurais su lui faire savoir depuis bien longtemps déjà. Et puis, elle s’était tenue à carreaux ce soir. Elle avait fait ce qui lui avait été demandé, elle n’avait pas être punie. Elle devait simplement apprendre à être patiente.

« Je pensais que c’était pourtant clair, autant pour moi. Je veux ton silence sur cette situation, et ta présence dans ces affaires dès que nécessaire. »

Je n’avais pas l’intention de lui faire signer un contrat ou quoi que ce soit. J’avais pris le temps d’étudier la situation, mais, mon but n’était pas non plus de la punir et de la manipuler sans arrêt. Je m’amusais avec elle, c’était indéniable. Mais, j’aurais été menteur de dire que sa présence à mes côtés n’avait pas ses avantages.

« Les gens finiront par parler, des rumeurs vont arriver. Le campus est un lieu terrible pour cela. Alors, je veux que tu sois subtile dans cette histoire. »

Qu’elle débarque chez moi sans prévenir était une chose, mais, qu’elle en fasse de même dans mes salles de classe en était une autre. J’avais déjà bien du mal à trouver une justification à la présence d’un lycéen dans mon entourage… alors, ajouter à cela l’omniprésence d’une étudiante n’aidait en rien.

« Et, même si notre confiance mutuelle est encore loin d’être digne de ce nom, tu fais à présent partie d’une affaire où les gens ne sont pas lâchés après un travail bien terminé. Je ne suis pas de ces hommes que tu as rencontrés ; mon but n’est pas de passer un bon moment, de te payer et de te laisser seule. »

Au fond, peut-être que j’avais envie qu’elle change de vie… un peu. Je n’en savais trop rien. La fatigue faisait son bout de chemin, et j’allais m’assoir dans mon canapé en déboutonnant les manches de ma chemise pour me sentir plus à l’aise. Je ne savais pas vraiment ce que tout ce que je venais de dire voulait dire ; peut-être qu’elle oublie ces vieux hommes, qu’elle n’ait pas peur de quitter sa routine car je saurais faire mon possible pour l’aider… Un soupire s’échappa de mes lèvres.

Il y avait une certaine amertume dans ses réponses. Je ne le niais pas. Mais, ce n’était pas mon rôle d’entrer dans le débat. J’avais dit ce que je pensais ; qu’elle m’écoute ou non avait peu d’importance au final. J’étais légèrement vexé d’être mis dans le même sac que ces hommes avec qui elle avait eu affaire. Je pensais mieux de moi, évidemment. Puis, je me souvins que j’avais déjà laissé derrière moi une femme aimante. Une femme belle et talentueuse que j’avais fuie comme la peste par égoïsme et crainte. Alors, mon visage s’assombrit légèrement, mais, je ne dis rien de plus. Je me contentai d’hausser les épaules.

« Tu as le droit de penser ce que tu veux. »

A présent assit dans mon large canapé, je laissai un nouveau soupire s’échapper de mes lèvres. J’avais encore un rapport à écrire, je ne pourrais me coucher avant qu’il soit terminé. Il me fallait noter certains détails frais avant qu’ils ne s’évaporent dans la course de la nuit. Je savais également qu’aux premières heures j’aurais un appel téléphonique de mon acolyte, qui ne se retiendrait pas de me poser les questions les plus fines…
« Bon je pense que je vais te laisser tranquille pour ce soir. » J’esquissai un léger sourire, en me relevant de mon assise d’un mouvement lent, légèrement fatigué. Je la suivis jusqu’à l’entrée, duquel elle fit une remarque sur ses affaires. Les sacs étaient très certainement restés au pied des sièges arrière de la berline.

« Oui, j’irai les chercher plus tard. »

Je retins avec difficulté un petit rire alors qu’elle fit une remarque sur un double de clé à faire, éventuellement, un jour… Alors, j’ouvris la porte d’entrée, et je la guidai doucement dehors, ma main posé sur le bas de son dos.

« File donc, avant d’exposer d’autres idées farfelues comme celle-ci ! »

Un sourire sur les lèvres, je la laissai partir dans le couloir et rejoindre l’ascenseur. Lentement, je refermai la porte de mon appartement. Trainant légèrement des pieds, et m’étirant de tout mon long, je gravis les marches de l’unique escalier de mon duplex, allant m’enfermer de longues heures durant dans mon bureau à rédiger notes et projets.