La surprise est l'épreuve du vrai courage

Tenue

Ok c’était officiel je venais de toucher le fond, de sombrer au plus profond des abysses du tourment. Je ne savais pas qu’on pouvait autant être torturé psychologiquement parlant. Comme si mes propres déboires n’étaient pas assez efficaces pour mettre en place un véritable capharnaüm dans ma tête, il fallait que le monde extérieur s’en mêlât également. Outre le fait de voir la rumeur lancée par Royal Shit était toujours bien inscrite sur son compte Twitter comme pour me narguer jour après jour, je ne supportais plus vraiment la perspective de croiser des regards pleins de jugement et de condamnation, ni les parties des chuchotements malveillants que j’entendais sur mon passage. J’avais beau être naturellement hermétique à ce genre de réflexions en temps normal, j’avais l’impression qu’on m’enfonçait un poignard un peu plus profondément dans mon cœur à chaque fois. En fait, j’avais pour ainsi dire la désagréable sensation d’avoir un panneau collé dans le dos qui m’affichait clairement coupable aux yeux de l’univers et que les passants se sentaient l’obligation de me jeter des tomates sur mon passage, psychologiquement parlant. Il y avait des fois où j’avais tout simplement envie de m’enterrer à des milliers de kilomètres sous terre, encore. Ou me promener avec un masque sur la tête, je devrais peut-être y réfléchir.

A vrai dire, je vivais si mal la situation que j’avais simplement décidé de faire l’autruche et ne plus me rendre aux cours d’informatique de monsieur Katsura jusqu’à nouvel ordre. Il fallait dire que notre dernière entrevue avait été un vrai fiasco, la pire honte de mon existence sans aucun doute. Je savais qu’il pouvait arriver de faire des erreurs dans la vie mais là, je n’avais absolument aucune idée concernant la façon de me remettre de celle-ci. Même en essayant de poursuivre mon petit quotidien et de faire comme si ce n’était jamais arrivé, je n’arrêtais pas d’y penser de temps à autre et de me confronter à une impasse de manière systématique. Qu’est-ce que je pouvais faire au juste ? Plusieurs fois, j’avais pensé à lui envoyer un SMS pour lui dire que je ne viendrais plus, que c’était mieux comme ça et de faire comme si rien de tout cela ne s’était passé. Mais je ne savais pas pourquoi, même après avoir tapé l’intégralité du message, je n’avais pas la force d’appuyer sur la touche « Envoyer », quand bien même cette dernière était tactile et qu’il m’aurait suffi de l’effleurer. Je craignais peut-être que Royal Shit ait accès à tous nos téléphones…

Le fait était que j’étais dans un état lamentable, sur mon lit dans les dortoirs en train de regarder les aiguilles de ma montre, comme pour me ramener à l’ennui mortel que je vivais. Un professeur absent et mon après-midi s’en trouvait déchargé, ce qui expliquait mon absence d’activité totale. Et donc, je ne trouvais rien de mieux à faire de vadrouiller sur mon ordinateur, en mangeant des M&M’s et en jetant des coups d’œil à ma montre de temps à autre. Sans doute à cause du stress et de la contrariété, je m’étais mise à manger plus que d’ordinaire – après tout, ça ne pouvait pas tellement me faire de mal – ce qui avait pour conséquence de dérégler mon système digestif et mon estomac exprimait sa mauvaise humeur en me faisant courir aux toilettes pour le décharger de ce surplus alimentaire. Ce n’était pas le genre de détail qui me soulagerait des rumeurs, on pourrait dire que le sort me punissait pour mon mauvais comportement. Bref, mon existence n’avait donc rien de très palpitant pour l’instant puisque j’allais très certainement passer le reste de la journée dans ma chambre à me repasser en boucle des séries que je connaissais par cœur. Ou pas.

Il me vint alors à l’esprit que c’était précisément le cours d’informatique qui approchait à grand pas dans quelques minutes. J’avais réussi à repérer la nouvelle plage horaire de monsieur Katsura pour cette nouvelle année scolaire en tombant par hasard sur l’emploi du temps de l’une des pom-pom girls. J’avais même pensé que le destin se jouait de moi à cet instant et je songeai que ce devait être le cas puisque je n’avais pas oublié les horaires entre-temps. Un signe ? Plongeant dans une méditation profonde qui me fit rater des moments importants de mon épisode si bien que j’en perdis le fil et renonçai à l’achever, je me mis à peser le pour et le contre. Après tout, je n’avais rien de mieux à faire, sinon attendre que mes cheveux finissent par tomber à un moment ou un autre sous l’effet du stress. Et il était probablement temps pour moi d’arrêter de me cacher comme un enfant qui avait fait une bêtise et qui ne voulait pas en payer les conséquences, comportement puéril auquel je m’identifiais entièrement. Je n’avais sûrement rien à gagner à aller à ce cours mais au moins, je me prouverais que, dans une moindre mesure, je n’étais pas une poule mouillée.

Inspirant franchement, je fis un bond hors de mon lit pour me préparer, histoire de ne pas avoir l’air d’un zombie qu’on venait de déloger de son antre. On aurait pu croire que mon absence s’expliquait par un enlèvement par des extraterrestres. Malheureusement, je ne trouvai pas le moyen de passer à côté du miroir de la pièce et donc de faire face à ma mine et mon allure peu brillantes. Je n’avais même pas une jupe ou une robe sur le dos. Je haussai les épaules : après tout, on s’en fichait non ? Il n’allait pas me renvoyer de classer pour si peu ? Et était-ce ma faute à moi si les jeans étaient bien plus confortables ? Je rangeai mon ordinateur dans mon sac, que j’attrapai après avoir enfilé mes tennis et me précipitai littéralement dans les couloirs dans l’école. Il ne fallait pas trop traîner si je voulais être à l’heure, je ne voulais pas me faire remarquer par mon retard par-dessus le marché. Heureusement, soit j’étais rapide malgré mon état, soit monsieur Katsura était dans un état encore pire que moi et arriverait après. A vrai dire, il était pile l’heure quand je m’assis sur mon siège de classe, ayant trouvé une place neutre, ni trop près, ni trop loin. Je n’avais plus qu’à prier pour que tout se passe bien.

FICHE ET CODES PAR ILMARË

La surprise est l'épreuve du vrai courage

Franchement, je ne savais pas dire ce qui m’avait pris de me rendre en classe. Je n’étais pas très bien physiquement, disons que j’avais eu meilleure forme, c’était facile à voir. Il suffisait de voir à quelle vitesse ma BB crème et mon correcteur se vidaient pour comprendre que c’était de plus en plus compliqué de cacher les cernes sur mon visage et ma mine dépitée. Je ne savais dire si c’était simplement une phase de transition entre l’hiver et le printemps que je n’arrivais pas à gérer ou si c’était du stress accumulé par la rentrée et les ragots à mon sujet. Ou tout simplement un truc que je n’avais pas digéré, c’était aussi possible. Alors pourquoi je m’infligeais ça à un moment pareil ? Surtout pour entendre des chuchotements et des bruits de conversation de temps à autre sur moi ou sur ma tenue. Oui je ne venais pas en classe comme à un défilé et alors ? Cela dit, je ne trouvais même pas le courage d’intervenir, je préférais m’affaler sur ma table, tranquillement, priant pour que l’enseignant ne tarde plus trop. Même si à bien y réfléchir, je n’avais pas trop envie de le voir non plus dans cette histoire. Mais je n’allais pas passer mon année à faire l’autruche en me persuadant que ce n’était jamais arrivé, ce n’était pas dans mes habitudes de fuir la réalité, bien qu’en l’occurrence ça m’arrangerait.

Mon attente ne fut pas trop longue. A vrai dire, l’intervention de monsieur Katsura me tira de ma sieste improvisée et je sursautai littéralement en me redressant, et réarrangeai rapidement mes cheveux, comme si de rien n’était. J’avais déjà manqué plusieurs cours, pas question de me faire remarquer parce que je dors en classe par-dessus le marché. Il s’avérait être un professeur compréhensif – même si du coup c’était peut-être à remettre en question au vu des circonstances – mais je doutais qu’il tolère que certains profitent de son cours pour dormir. Il y avait toujours des limites à la tolérance et heureusement, je n’osais pas imaginer à quoi ressemblerait un cours dans cette école s’il n’y avait pas un minimum de règles à respecter. J’arquai un sourcil quand il expliqua rapidement que son chat était malade. Un chat ? Il avait un chat ? Je n’étais même pas au courant et pourtant… Bref. Peut-être en avait-il acheté ou trouvé un dernièrement ? Visiblement, ce ne devait pas non plus être la meilleure journée de son existence et j’espérais ne pas être le coup de massue de trop dans cette affaire. Même si ça supposerait me donner beaucoup trop d’importance en fait, il allait sans doute s’en ficher royalement au fond.

Nouvelle surprise, il n’avait pas envie de faire l’appel ce jour-là. Autant dire que certains ne manquèrent pas d’en profiter pour s’éclipser sagement, comme ma voisine par exemple. Ce n’était pas la peine pour moi d’y songer, si je n’avais pas envie d’assister à ce cours, j’aurais très bien pu ne pas y aller tout cours, rien ne m’y obligeait. Alors, vu que je me trouvais déjà en classe, autant y rester, une heure ne pourrait pas me tuer. Le professeur se lança ensuite dans les explications longues comme jamais – eh oui je perdis le fil en cours de route – si bien qu’en essayant de suivre un minimum, je ne remarquai pas tout de suite la fille qui vint se mettre à côté de moi. Ah mais c’était l’admiratrice numéro une de monsieur Katsura, celle-là même qui avait tenté de lui faire de l’œil la dernière fois que j’étais venue en cours. Pourquoi son sourire espiègle ne me disait rien qui vaille ?

« Ça fait longtemps qu’on t’a pas vue en cours Yun Hua-chan, dit-elle sur un ton mielleux qui n’améliora pas ma nausée passagère, et sans rire, je détestais ce satané « chan » japonais, tu étais malade ? Ceci pourrait t’aider tu sais… »

Je pensais m’être préparée à tout. Mais vraiment, à une allusion plus ou moins explicite quant à la rumeur de Royal Shit, à des accusations erronées, à me faire insulter même. Mais non, son gloussement plus qu’énervant fut accompagné d’un truc auquel je ne m’étais pas attendue. Elle me lança, avec une aisance qui me laissa penser qu’elle devait faire du basket ou du handball, un objet bizarre que je ne reconnus pas tout de suite, au moment où Monsieur Katsura s’était brièvement tourné pour noter une des consignes au tableau. J’eus alors un bug monumental, comme si j’étais un robot et qu’on m’avait mise en mode pause. Les rumeurs déplacées, ok, les accusations plus ou moins justifiées, ok, mais franchement, ça, non quoi. Vous en connaissez beaucoup vous des filles qui vous lancent un test de grossesse comme ça, sans explication ? Parce que c’était exactement ce qui venait de se passer.

Furieuse, je fusillai la garce du regard, prête à lui jeter son truc tordu en pleine figure alors qu’elle ricanait, contente de sa blague pourrie. Le problème c’était que monsieur Katsura regardait par là et je me voyais mal éborgner une de ses élèves avec un test de grossesse sous ses yeux, même si c’était pour la bonne cause. Soufflant de désespoir, je me résignai à cacher l’objet du terrible affront dans ma poche de veste, non sans une certaine frustration. J’espérais simplement qu’il n’aurait pas la brillante idée de venir me demander ce que c’était ou même qu’il n’ait rien vu, ce serait encore mieux. Ou même venir voir ce que je faisais, parce que je n’avais rien suivi et mon ordinateur était toujours sur l’écran d’accueil. Oups.

FICHE ET CODES PAR ILMARË

La surprise est l'épreuve du vrai courage

Je devrais songer à changer d’université, ce serait sans doute mieux au vu des circonstances. Mais bon, question de fierté je supposai, je ne pouvais pas laisser quelques rumeurs et certaines personnes assez énervantes avoir raison de ma volonté. Même si en l’occurrence, je n’avais qu’une envie, attraper cette fille, lui enfoncer ce fichu test dans l’œil et du coup me faire renvoyer – bon certainement avoir quelques années de prison pour ça mais passons. Je ne comprenais pas pourquoi dans cet établissement il n’était pas possible d’être tranquille et serein pendant plusieurs minutes ou heures sans se faire agresser par la première garce, fan des potins de Royal Shit. Elle n’avait rien de plus intéressant à faire pour occuper son existence monotone et dénuée de sens ? Je n’allais quand même pas me laisser faire parce qu’elle s’ennuyait. Surtout un jour où je n’étais pas de bonne humeur et ce, même si ça devait me coûter ma place dans ce cours. Oui finalement, j’en étais venue à me dire que ce n’était pas bien grave si monsieur Katsura m’excluait de la salle pour avoir jeté ce satané objet, qui commençait en plus à me prendre la tête en plus de cela. Je comprenais clairement le sous-entendu de l’histoire et je la soupçonnais de me faire ce coup bas par jalousie. Alors, non seulement, elle ne savait pas pour le petit dérapage de l’autre soir mais en plus, qu’est-ce qui lui faisait dire que j’en avais besoin ? Quoi, parce que j’avais la nausée de temps à autre et que donc il m’arrivait de vomir j’étais forcément enceinte ? Argh, je vais lui arracher ses faux cils si je ne me calmais pas d’ici quelques secondes.

Heureusement, malgré la source de stress qu’il était, le regard du professeur avait au moins le don prodigieux de me dissuader de commettre tout acte qui serait passible de réprimandes. Je ravalai ainsi ma rage que je contins comme je pus, alors que ma voisine ne semblait pas décidée à stopper ses bonnes blagues avec ses copines de derrière, toute fière de sa farce ingénieuse. Chose qui ne fut pas du goût de notre cher professeur, qui fit alors une intervention remarquable. Dans des circonstances différentes, j’aurais eu un sourire complice avec ce dernier, puisqu’il me servit un moment de joie intense sur un plateau. Je ne pensais pas qu’il serait allé jusqu’à la virer de la classe, comme ça, sur un coup de tête mais apparemment, je n’étais pas la seule à connaître une sale période en ce moment. Peut-être que je prendrais le temps de mettre les points sur les i avec lui plus tard, juste pour le remercier de cet acte merveilleux. Non parce qu’en se mettant à sa place, la situation devait paraître bien plus compliquée et angoissante, mine de rien, si je racontais ça à des oreilles malveillantes, il pourrait perdre son poste. Le moins que je pouvais faire pour ce service généreux, c’était de lui assurer qu’il pouvait être tranquille à ce sujet. Ce n’était pas dans mon genre de reporter la faute sur les autres quand je faisais une bêtise.

Il poursuivit ensuite ses explications mais, comme j’étais déjà perdue avant et que j’avais officiellement décroché à cause de l’autre cruche, il fallait reconnaître que je ne comprenais plus grand-chose. Peut-être devais-je même envisager de quitter le cours, vu que je ne servais à rien en vérité. En effet, il suggéra ensuite de commencer à préparer le projet avec lequel on aurait une note, sauf que, comme je n’avais les consignes, je ne pouvais pas vraiment faire quelque chose de productif. Et je savais d’avance que je me ferais envoyer sur les roses si je demandais à quelqu’un, en plus de prendre le risque de me faire griller par monsieur Katsura. Dommage. En même temps, je me voyais mal partir maintenant, vu que le cours était déjà bien entamé. Par conséquent, je n’avais plus qu’une option : faire semblant de travailler en m’occupant sur mon ordinateur. Enfin, pas question d’aller sur le net, je pensais plus à reprendre des projets de l’année précédente, histoire de reprendre un peu le coup de main. Chose moins répréhensible si jamais je me faisais prendre.

Mais, forcément, le cours ne pouvait pas se passer sans la moindre perturbation dans cette histoire. Pour une raison inconnue, ma nausée revint à la charge, avec une violence inouïe, si bien que je compris très vite que je ne pourrais pas rester en classe bien longtemps. Prise de panique, je sortis précipitamment de la pièce, une fois n’est pas coutume, pour me ruer en direction des toilettes, qui heureusement n’étaient pas bien loin. Comme c’était l’heure des cours, il n’y avait personne et je pus trouver facilement une cabine pour y vomir. Passons les détails. Prise momentanément de vertiges, il me fallut plusieurs secondes pour retrouver mes esprits. Ce n’était quand même pas normal de vomir si souvent, si ? D’autant qu’en y réfléchissant bien, je n’avais rien mangé d’anormal. En mettant les mains dans mes poches, par réflexe, je tombai sur le fameux test de grossesse. Non, il fallait que j’arrête d’être paranoïaque, ça ne pouvait pas être ça. Même si concrètement, ça coïncidait. Oui mais quand même, c’était trop énorme, ce n’était pas possible, non, non, non. Finalement, avoir après sorti l’objet que je contemplai pendant une bonne minute, je décidai de me lancer : après tout, je n’avais rien à perdre, je serais même rassurée.

Ou pas. Bordel. C’était quoi ce truc ? Je sortis de la cabine – et fis quand même un passage au lavabo pour me laver les mains et le truc – pour mieux regarder, histoire d’être sûre. Non… Non non non. C’était une blague, elle l’avait fait exprès, c’était sûr. Non mais…

« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! »

Voilà, malgré moi j’avais poussé un sacré cri de désespoir, qui s’était sûrement fait attendre à plusieurs mètres à la ronde. On allait me prendre pour une folle à coup sûr, tout comme la fille qui sortis des toilettes à cet instant précis.

FICHE ET CODES PAR ILMARË

La surprise est l'épreuve du vrai courage

Ce n’était pas possible. Cela n’était tout simplement pas arrivé. Je ne me trouvais pas en cet instant précis dans les toilettes des filles de l’université avec un test de grossesse positif dans la main. Ça ne pouvait tout simplement pas être réel, je n’étais pas du genre à être imprudente sur ce point-là. J’étais une fille responsable, je prenais la pilule, ma mère, pour une raison assez floue d’ailleurs, m’y ayant incité depuis mon adolescence. Alors comme diable en étais-je arrivée là ? Pour comprendre cela, il me fallut faire ce que je m’évertuais d’éviter depuis des semaines, soit me repasser cette fameuse fin d’après-midi en tête. En faisant un passage très accéléré à la seconde où ça a dérapé, chose qui vint assez vite. Et ce fut alors que j’eus l’illumination qui m’acheva pour de bon. Je ne l’avais pas prise ce soir-là. Et je n’avais pas eu la présence d’esprit de filer à la pharmacie le lendemain, j’étais directement allée à la Royal Private School. Merde. Non mais, c’était trop gros comme situation, je ne pouvais pas, sur un seul dérapage suite à l’ivresse et une simple étourderie, me retrouver dans une situation aussi compliquée et totalement foireuse. A vrai dire, j’eus même l’impression que tout se floutait autour de moi si bien que je ne pris même pas conscience de la fille qui me dévisageait avec curiosité depuis plusieurs minutes, alors qu’elle pouvait très bien répandre la nouvelle d’une minute à l’autre.

Seule une voix, qui demanda à la jeune fille de sortir, vint me sortir de ma torpeur. Heureusement à vrai dire, parce qu’en quelques minutes supplémentaires, je me serais certainement éclatée la tête sur le lavabo à force de m’appuyer dessus. Reprenant ainsi plus ou moins mes esprits, je me tournai vers la personne qui avait fait irruption dans la pièce, à savoir Ryû – oui parce que dans l’état où j’étais, adieu les conventions et la politesse. Je ne savais pas trop la raison pour laquelle il se trouvait là, s’il s’était inquiété que je sois sortie précipitamment de la salle – encore – ou si c’était mon cri qui l’avait alerté. Je ne pus m’empêcher de lâcher un léger ricanement quand il me demanda ce que je fichais avec un test de grossesse. Ben je l’examinais bien sûr pour savoir comment ça fonctionnait ou bien je l’avais trouvé par terre et j’avais développé une fascination terrible et inexplicable pour ces objets. Objet que je faillis pulvériser quand je vis l’expression moqueuse du professeur : non mais comment il pouvait réagir comme ça dans une situation pareille ?

« Écoute, je viens de rendre mon repas du midi y’a genre deux minutes, alors... »

Alors du coup j’en ai profité pour utiliser cette connerie que m’a balancée l’autre pétasse. Voilà. Mais bon, pour le reste de la phrase, je ne me sentais pas encore la force ou la rage de le crier à voix haute, on ne savait jamais. Même si en vérité ça n’allait pas tarder puisqu’il fit une nouvelle réflexion qui me mit littéralement hors de moi. Non mais, il était stupide ou juste aveugle ? Peut-être avait-il besoin de consulter l’opticien ou le psychologue. Quoiqu’il en soit, ma réaction fut immédiate et sans appel. Prise d’une poussée de rage inexpliquée – les hormones ? – je jetai furieusement le test au visage du professeur, en me loupant un peu cela dit. Je n’avais pas envie de rire, la situation était grave mais lui, il parlait de ça comme si c’était naturel, comme si je venais d’avoir mes premières règles par exemple. Et je pris conscience aussi du fait que ces dernières avaient pris des vacances. Quelle galère.

« Oui c’est le mien putain, je m’amuse pas à ramasser tous les tests qui traînent par terre dans les chiottes ! Donc je suis dans la merde maintenant ! Tout est occupé de foirer juste parce que j’ai merdé un soir ! »

Au final, je me retrouvai à prendre de nouveau appui sur le lavabo, parce que mine de rien, crier c’était fatigant. Non je n’avais pas la présence d’esprit de chuchoter ou du moins parler à voix basse en redoutant que quelqu’un m’entende, parce qu’à cet instant précis, je m’en fichais royalement. Je venais d’attendre que j’étais très certainement enceinte – oui on n’était sûre à cent pour cent qu’avec la prise de sang – alors les ragots étaient le dernier de mes soucis. Et l’admettre, ne serait-ce que par la pensée, suffisait déjà à me faire prendre conscience de la situation épineuse dans laquelle je me trouvais. Même si heureusement, on pouvait facilement avorter au Japon, ça restait quelque chose que je ne me sentais pas prête à vivre mais alors pas du tout.

« Je sais pas quoi faire, je viens de me rendre compte que je suis dans un sacré pétrin…, énonçai-je même si ça paraissait évident, et le pire… non mais le pire c’est que ça te fait marrer ? Non parce que pour info ça te concerne tout autant que moi… Et ne fais surtout, mais alors surtout pas celui qui comprend pas… Parce que dans cet « état », je vais t’en coller une à coup sûr si c’est ça. »

Sur les nerfs ? Non, juste un peu. En même temps, c’était un peu l’ascenseur émotionnel à ce moment-là et le simple fait qu’il ait pu songer ne serait-ce qu’un instant prendre ça à la légère, avec distance, parce qu’il pensait peut-être que ça n’avait pas de rapport avec lui, et bien ça m’énervait. Comme si avoir eu des rapports « déplacés » avec un enseignant ne suffisait pas, il avait fallu que cette simple soirée d’erreur me poursuive si loin dans le temps. Je devais vraiment avoir offensé le destin dans une vie antérieure, c’était pas possible.

FICHE ET CODES PAR ILMARË

La surprise est l'épreuve du vrai courage

Comment avais-je fait pour me mettre dans un tel pétrin, telle était la grande question. En soi, cela était facile et simple à expliquer, j’avais déjà mis en relation les différents facteurs qui m’avaient conduite sur la voie terrible qu’était cet instant précis. Je n’arrivais simplement pas à prendre conscience du fait que c’était réel, que j’étais officiellement dans une situation pourrie jusqu’à la moelle et que je n’avais pas trente-six façons de m’en sortir. On pouvait dire que ce coup de théâtre-là, je ne l’avais pas vu venir mais alors pas du tout. Enfin, je supposai que toutes les filles comme moi qui apprenaient ce genre de nouvelle ne s’y étaient pas non plus forcément préparées, à vingt ans on avait tout de même mieux à faire dans la vie que de tomber enceinte. Le mot lui-même suffisait à me frémir d’horreur. Non, je n’arrivais pas à concevoir que c’était vraiment arrivé, que j’avais réellement fait cette erreur monumentale. A ce stade, ce n’était plus une erreur de parcours, c’était une erreur fatale, qui allait avoir un impact indélébile sur le reste de mon existence, alors qu’il y avait encore quelques minutes, ma seule angoisse était de me confronter à Ryû. Quelle ironie. Au moins, maintenant, il était certain que je n’allais plus pouvoir me cacher dans mon coin en faisant comme si rien de tout cela n’était arrivé, ce serait quelque peu compliqué. Bordel.

Ce fut plus fort que moi, il fallait que je passe mes nerfs sur quelqu’un et comme le professeur était la seule personne présente sur les lieux, ou dans les environs ce que j’espérais, cela tomba sur lui. Je n’osais pas prétendre que mon petit drame personnel allait l’émouvoir mais bon, s’il y avait bien une personne à qui je pouvais le crier à coup sûr sans redouter un a priori négatif, c’était bien lui. Oui parce que nous étions deux dans cette histoire, je ne m’étais pas mise à créer un bébé toute seule du jour au lendemain. Un bébé. Merde quoi, comment ça pouvait se développer dans mon ventre minuscule ? Presque malgré moi, ma colère s’était dirigée contre lui personnellement, pour le simple fait d’avoir pu en rire dans un premier temps. J’avais trop peur pour en rire, j’étais terrifiée, je n’avais même pas la force ricaner sous l’effet de l’ironie du sort, c’était déjà trop me demander. J’avais simplement envie de démolir tout ce qu’il se trouvait autour de moi, Ryû y compris et peut-être en premier si on se référait à ma pathétique menace, puis m’enterrer bien profondément au centre de la terre. Et disparaître si c’était possible.

Je ne pouvais pas dire que je n’avais pas vu la colère de Ryû venir. Je savais très bien qu’il n’était pas non plus d’humeur ce jour-là mais ce n’était pas ma faute si c’était précisément dans son cours qu’une connasse m’avait lancé ce test. Celle-là, j’espérais pour elle que je ne la croiserais pas, sinon, je ne répondais plus de mes actes. Je me mis à croiser les bras, visiblement agacée, non seulement parce qu’il m’avait comparée à un porc qu’on égorgeait – mais ça à la limite je comprenais, il n’avait pas tort – mais aussi parce qu’il venait de me demander d’expliquer pourquoi c’était positif. Non mais il se fichait de moi ou quoi ? Je devais lui faire un dessin pour lui montrer comment ça marchait la conception d’un bébé ou bien ? Heureusement qu’il se rattrapa vite, sinon je me serais remise à hurler, en me suggérant tout simplement d’aller à la clinique. C’était sans doute l’idée la plus sensée pour l’instant, c’était vrai que ce n’était pas idiot comme démarche. Même si cela risquait de me donner le coup de massue final avec lequel je n’arriverais plus à me lever. Tout comme cela pouvait faire disparaître mes angoisses comme il venait de le mentionner.

« Oui c’est sûrement ça… »

Je n’avais rien trouvé de mieux à dire, encore en état de choc. Même si je ne préférais pas trop me reposer sur ce mince espoir, j’espérais en effet que c’était juste une erreur du test, qu’il était trafiqué tout simplement et que j’aurais oublié cette histoire d’ici le soir. Dire que toute ma vie allait se jouer sur une fichue prise de sang, quelle réjouissance. Heureusement que je n’avais pas peur des hôpitaux ou des aiguilles par-dessus le marché ! Cependant, je ne restai pas calme bien longtemps, la nouvelle intervention de Ryû me faisant démarrer au quart de tour.

« Je t’ai jamais demandé de t’en mêler, énonçai-je froidement, le regard noir, t’en fais pas, va, je voudrais surtout pas manger sur ton temps de travail… ou ton temps de buverie solitaire même. Je sais très bien que je peux que compter sur moi-même pour ce genre de trucs. »

Sur ce point, je ne m’étais pas fait d’illusion. L’exemple même de ma mère était assez parlant, elle avait dû se prendre en charge et s’occuper de moi toute seule. Je ne m’attendais pas à ce qu’il montre plus attentionné avec moi, d’autant qu’on n’était pas proches. Poussant un soupir de lassitude, je m’avançai ainsi vers lui, ramassai ce satané test qui se trouvait encore à ses pieds, le cachai dans ma poche et, alors que je m’apprêtais à sortir, je m’arrêtai net.

« Tu sais, pour un prof qui supporte pas cette école, je trouve que tu ressembles pas mal au reste des gens ici au final. »

Et ce fut sur ces mots que je sortis de la pièce, d’un pas précipité. Je n’avais pas voulu être méchante avec lui mais j’étais tellement agacée par la situation que je n’avais pu m’empêcher de lui faire cette réflexion mesquine. Sans un regard pour les élèves, encore dans la salle, qui me dévisageaient avec curiosité, je rassemblai mes affaires, prête à partir. De toute façon, je n’avais plus la tête à étudier l’informatique ou quoi que ce soit d’autre, alors autant filer tout de suite à la clinique pour avoir les idées claires, vu que je ne pensais qu’à ça.

FICHE ET CODES PAR ILMARË

La surprise est l'épreuve du vrai courage

C’était peut-être mal juger une partie de la gente masculine, mais il n’était pas question pour moi de me reposer sur de faux espoirs concernant le rôle de Ryû dans cette histoire. Mes antécédents familiaux parlaient d’eux-mêmes. Je n’avais jamais vécu qu’avec ma mère et jamais elle n’avait mentionné une quelconque visite de mon géniteur à l’aube de ma vie dont je n’aurais pu avoir le souvenir, et j’étais certaine que si ç’avait été le cas, elle n’aurait pas manqué de le dire dans ses grandes tirades philosophiques qui consistaient à m’expliquer que mon père m’aimait mais à sa manière et, surtout, de très loin. Je voulais bien comprendre qu’il avait des raisons qui pouvaient susciter un brin de compassion, et encore, mais zut, c’était sa faute aussi s’il avait eu la bonne idée d’avoir une aventure qui avait engendré ma naissance. Qu’est-ce que j’y pouvais s’il avait une femme et un fils dont il devait s’occuper ? Je n’allais pas le plaindre non plus, je n’allais pas sauter de joie quand, parce que ça coïncidait avec un voyage d’affaires, il avait la rare occasion de passer nous voir. Il fallait dire que ça ne risquait pas d’arriver puisque j’avais décrété il y avait déjà longtemps de cela que je ne voulais jamais le voir, même si ça avait été ignoré avec sa récente visite à la maison, que j’avais d’ailleurs encore en travers de la gorge. Tout ça pour dire que je voyais très bien les raisons pour lesquelles Ryû pourrait faire de même et me laisser gérer cette affaire toute seule. Chacun avait ses justifications pour rester à l’écart de ces choses mais quand ça se passait à l’intérieur de votre corps, il était difficile d’en faire de même. Quelle plaie.

Voilà comment j’avais réussi à faire un bref parallèle entre l’enseignant et mon propre père, chose qui m’avait amenée à lui lancer sèchement qu’au fond, il n’avait rien de très différent des gens de la Royal Private School. Je n’entendais pas par là que tout lui était tombé tout cuit dans la main, à vrai dire je n’en savais rien, ce n’était pas le problème, mais plutôt que dès qu’il y avait une complication qui pouvait porter préjudice, c’était chacun pour soi, et surtout lui d’abord. Ok, je comprenais que cette perspective était effrayante et je n’attendais pas à ce qu’il soit présent à mes côtés à tout moment, mais de là à dire que je devais lui ficher la paix avec ça, c’était un peu gros. D’autant que ce n’était pas ma faute s’il avait eu la brillante idée de me suivre. Et donc voilà comment en rageant intérieurement, visiblement contrariée au point que personne ne songeât à venir me chercher des noises, je me retrouvais à ranger mes affaires aussi vite que possible.

Pas assez vite de toute évidence. Ryû eut le temps de revenir en classe avant et ce, pour s’adresse à moi. Comment ça il voulait venir ? C’était quoi ce revirement de situation pourri ? Il n’en était pas question, je n’avais pas envie qu’il fasse le déplacement simplement pour se donner bonne conscience, je pouvais très bien me débrouiller toute seule. Les transports en commun iraient très bien, j’étais encore en état de me déplacer activement. Soufflant quand il annonça aux autres de partir, je me pressai le pas, espérant pouvoir le devancer et filer en douce. Sauf que pour une raison incompréhensible, mon ordinateur semblait ne pas vouloir rentrer dans mon sac. Il me fallut cinq bons essais pour que l’appareil comprenne finalement qui était le maître dans l’histoire. Affichant un sourire victorieux, sac sur le dos, je m’apprêtais à fuir comme prévu sauf que mon poignet fut saisi en otage. Que… ? En fait, je venais de littéralement me faire attraper par le professeur qui me traîna ainsi le long du chemin entre la classe et le parking de l’école. Pour la discrétion, on repasserait, j’aurais pu être un sac de pommes de terre que c’était la même chose pour lui. Et encore, il y avait des sacs de pommes de terre mieux traités que ça. Comme c’était charmant.

Heureusement pour moi, il n’était pas psychopathe au moins de me mettre lui-même dans sa voiture et de m’attacher de force. Non parce qu’à force, je ne savais plus très bien situer à quel point il était tordu dans tout cela. Il me fait signe de m’installer côté passage mais franchement, j’hésitai. Est-ce que j’avais vraiment envie de passer quelques kilomètres dans sa voiture alors qu’il était très, très énervé ? Pas trop. Ainsi, pendant une seconde, je tentai d’élaborer un semblant de plan d’évasion puis me ravisai. Il n’y en avait pas qui ne m’obligerait à recourir à une course poursuite et, pour être honnête, il était tout à fait capable de m’attraper avant même que je sois sortie du parking. Autant éviter de l’énerver encore plus. Lâchant un soupir de résignation, je me décidai à ouvrir la portière et à m’installer comme indiqué par le chauffeur. Qu’est-ce qu’on allait rire tiens.

« Ah, juste je préviens : roule pas trop vite, j’ai l’estomac fragile pour rappel. »

C’était un fait, je passais mon temps à rendre mes repas en temps normal, mieux valait pour lui qu’il n’appuie pas trop sur la pédale d’accélération ou qu’il prenne des virages trop serrés. Sinon je ne donnais pas cher de la peau de sa voiture et mon petit doigt me disait qu’il y tenait beaucoup. Chose qui me rappela un brin de notre discussion de l’autre soir et je ne pus m’empêcher d’esquisser un petit rire avant de me donner mentalement une claque. Cela allait peut-être me coûter cher cette histoire alors mieux valait ne pas trop en rire. Une fois sur la route, il fallait bien faire passer un peu le temps, on n’allait pas y mettre en une minute après tout, même je supposais que la clinique la plus proche ne devait pas être bien loin. Autant en profiter pour discuter un peu.

« T’étais pas obligé de venir, j’ai pas besoin d’un chaperon., dis-je en soupirant, je suis majeure et vaccinée pour info. D’ailleurs tant mieux pour toi parce que bon… »

Ah mais je n’avais jamais dit que la conversation serait agréable. Désormais, nous avions quitté l’enceinte de l’établissement, loin des yeux indiscrets, je pouvais bien dire le fond de ma pensée en étant un peu mesquine, non ?

FICHE ET CODES PAR ILMARË

La surprise est l'épreuve du vrai courage

Il était officiel et très clair que Ryû était bel et bien devenu mon souffre-douleur pour le moment, un genre de punchingball sur lequel je passais mes nerfs, faute de pouvoir le crier sur les toits pour me soulager. Déjà que je n’étais pas certaine d’être entièrement saine d’esprit à l’instant, je n’osais pas imaginer quelle considération j’aurais sur moi-même si les gens me regardaient tous comme si j’étais un extraterrestre ou quelqu’un qu’on avait oublié d’interner quelque part. A bien y réfléchir, il était toujours préférable de devoir simplement se rendre à une clinique pour vérifier si on était enceinte que de se faire enfermer dans un hôpital psychiatrique non ? Quoique, dans ce genre d’endroit, au moins, j’étais certaine que les messages pourris de Royal Shit ne m’atteindraient pas. Cela dit, la méthode en elle-même était un peu extrême tout de même, renoncer à tout juste parce que l’environnement scolaire que je subissais tous les jours était néfaste, c’était exagéré comme réaction, quand bien même je pouvais penser être au fond du trou. Non, pour une fois – et peut-être la première – j’allais agir en personne responsable, ne pas fuir la réalité mais l’affronter et agir en conséquence. Dit comme cela, c’était simple au premier abord, mais en vérité, cela s’annonçait bien plus complexe.

Alors, vu le bazar qui régnait dans mon cerveau, il ne m’en voudrait certainement pas de rediriger de manière très injuste et arbitraire, ma colère et mon inquiétude contre lui. C’était triste quand il mettait de la bonne volonté à s’appliquer dans sa conduite comme je le lui avais « gentiment » demandé. Il était vrai qu’avoir un accident sur la cerise suprême sur le gâteau et je n’avais pas trop envie d’essayer de voir si ça faisait mal quand on percutait un autre véhicule sur la route. De façon tout à fait objective, on pouvait dire que j’avais déjà eu une dose d’émotion suffisante pour couler des jours paisibles sans évènement contrariant pour les cinq prochaines années. Entre ma famille, ô combien compliquée et particulièrement tordue, mon quotidien à l’école, à la fois la plus prestigieuse et la plus anxiogène du pays, et ma vie sentimentale qu’on pouvait à présent brûler avec la bibliothèque d’Alexandrie – alors que ce n’était même pas une merveille du monde – il me paraissait juste qu’au vu des circonstances, le destin m’accorde un peu de repos dès à présent. Enfin, ce n’était pas en me montrant aussi mesquine avec mon partenaire de galère que je risquais d’arranger les choses.

Il s’avéra qu’il ne fut pas plus commode à mon égard, en même temps, je le voyais mal tendre la joue gauche quand on lui donnait une claque. Non, il était plus du genre à en remettre deux à la personne concernée, et c’était un peu l’impression que me fit me phrase. Infertile ? Ah oui carrément. Non pas que sur l’instant ça me déplaise particulièrement, mais ce n’était pas un peu trop quand même ? Est-ce que moi je m’étais mise à souhaiter qu’il soit impuissant et qu’on ait rien pu faire du coup cette nuit-là hein ? Eh bien non. Rahlàlà. Je ravalai ma fierté, ne souhaitant pas créer un accident en agressant le chauffeur, après tout il y avait deux vies en jeu dans l’affaire. Peut-être trois. Je chassai cette idée de mon esprit, au point de m’énerver toute seule, si bien que Ryû dut me prendre pour une vraie folle sur le moment. Ou peut-être qu’il s’en fichait. En même temps, sa question me retourna le cerveau, et l’estomac aussi. Ce que je comptais faire ? J’en savais fichtrement rien. Il y avait quelques heures à peine, j’étais encore une étudiante comme les autres, dont le seul souci était d’avoir ce fichu diplôme dans le calme. Alors je n’avais pas vraiment eu le temps de songer à la décision que je prendrais si le pire s’avérait être réel. Mais à vrai dire, j’étais presque sûre de recourir à une méthode simple et radicale, l’avortement. Je ne voyais pas très bien ce que je pouvais faire d’autre en fait. Il n’allait pas se transformer en papa parfait du jour au lendemain et moi-même, je n’avais rien de la maman idéale.

Heureusement, je n’eus pas trop le temps de me torturer l’esprit avec ça puisque nous arrivâmes quelques minutes plus à la fameuse clinique. Je vérifiai un instant que j’avais bien mes papiers sur moi – ç’aurait été le comble, on ne sait jamais – et mes yeux s’attardèrent sur mon paquet de cigarettes. C’était l’occasion rêvée pour se détendre en fumant. Mais était-ce bien raisonnable ? Je fermai mon sac, décrétant que j’aurais l’opportunité de fumer toutes les cigarettes du monde quand je saurais que cette histoire de grossesse était bidon. Je pourrais même en écraser sur les mains d’une certaine personne. Alors que je m’apprêtais à sortir, la question de Ryû me coupa net dans mon élan. Alors monsieur se dégonflait finalement ?

« T’as peur des infirmières et des docteurs ?, demandai-je avec sarcasme, t’en fais pas, je suis une grande fille. J’ai l’habitude qu’on s’occupe pas de moi. »

C’était dingue comment cette situation me poussait à me victimiser sans cesse. En même temps, j’avais une poussée de haine et de colère terrible contre mes parents à cet instant. Parce que c’était typiquement le genre de situation où j’avais besoin d’eux et où au final j’étais obligée de compter sur un professeur pour m’amener à une clinique. Sur ces somptueuses pensées, je sortis du véhicule, le cœur battant à toute allure, rassemblant tout mon courage et plus si c’était possible. Allez Yun Hua, ils étaient là pour ça après tout. Une fois à l’intérieur, je me dirigeai immédiatement vers l’accueil, non sans remarquer le nombre de personnes qui allaient et venaient un peu partout. Ouah. Décidant de ne pas y aller par quatre chemins, je sortis d’emblée le test de grossesse et le posai sous les yeux de la dame, un sourire forcé aux lèvres.

« Bonjour !, lançai-je avec la plus grande amabilité pour moi à cet instant, je souhaiterais faire un test sanguin pour vérifier ce test-là. Ah !, dis-je en sortant ma carte d’identité, et je suis majeure. »

Il me semblait qu’elle n’avait pas besoin d’en savoir plus, juste qu’elle n’avait pas à appeler mes parents. Heureusement que j'étais née en mars ! Enfin, je n’y connaissais trop rien au fonctionnement japonais sur ce plan, je ne m’étais pas vraiment posée la question puisque je n’avais jamais eu l’intention de tomber enceinte pendant mes études. Bref. La dame fait signe à une infirmière et m’indique de suivre cette dernière. J’inspirai profondément, décidée à en finir avec toutes ces inquiétudes, puis m’engouffrai dans le couloir à la suite de la petite femme. Mine de rien, ce n’était pas très rassurant quand on se retrouvait toute seule dans un bâtiment aussi immense.

FICHE ET CODES PAR ILMARË

La surprise est l'épreuve du vrai courage

Pour une raison inconnue, car je n’avais jamais vécu de traumatisme lié à ces endroits, j’étais relativement angoissée à l’intérieur d’un hôpital ou d’une clinique, disons dans un bâtiment purement et simplement consacré aux activités médicales. En y réfléchissant bien, c’était certainement dû à un reste de mon séjour d’une semaine dans un hôpital coréen après le merveilleux épisode qui m’avait valu une jolie brûlure à l’épaule et une méfiance qui allait de pair avec une crainte assez maladive à l’égard des étrangers. L’explication la plus logique à cette poussée de stress, outre le fait que j’allais hypothétiquement apprendre une nouvelle bouleversante, qui m’envahissait peu à peu au fur et à mesure que j’avançais dans le long couloir blanc, était en effet que j’assimilais ce genre d’endroit à mon rapt, ou alors j’avais un sérieux problème avec la couleur blanche. Hum. Ce serait un comble que je ne l’ai pas encore remarqué alors qu’il était logique que j’associe ça avec cet épisode passé. Il fallait dire que, en principe, je ne passais pas mon temps dans les espaces médicaux, vu que je n’avais pas de difficultés sanitaires majeures, je crois d’ailleurs que ç’aurait posé un sacré problème si ç’avait été le cas. Déjà que j’avais dû consulter un psychologue durant plusieurs mois, je n’osais pas imaginer le tableau si en plus j’avais une anémie ou quelque chose du genre.

Le moment n’en était pourtant pas à ressasser mes démons intérieurs, la situation présente était en soi plus grave. Enfin, dans un certain sens, parce qu’en soi, être enceinte à vingt ans pouvait paraître assez dérisoire quand on avait été enlevée deux ans plus tôt. Cela dit, si on ajoutait le facteur « professeur taré comme papa biologique » cela pouvait être très serré tout de même, bien que je sois parfaitement consciente de ne pas avoir aussi peur que dans la voiture où je m’étais retrouvée piégée. Bon, il me fallait absolument chasser ces pensées négatives, au risque de m’évanouir dans le couloir avant même d’avoir pu arriver dans la salle où tout allait se jouer. Ou pire encore, être si effrayée que je ne pourrais pas réfréner un nouveau vomissement. J’avais vraisemblablement besoin de penser à des perspectives plus positives, même si en vérité ce n’était pas chose facile pour le moment. A moins que, par un miracle inouï, ils finissent par m’annoncer que le test était erroné et qu’en effet, ce n’était qu’une simple indigestion comme l’avait mentionné Ryû. Quand je songeais que ce dernier attendait bien tranquillement dans la voiture que les nouvelles viennent à lui, ça me foutait en rogne. Ce n’était pas que j’avais besoin de sa présence spécifiquement, mais au moins ne pas être toute seule – parce que l’infirmière n’avait franchement rien de rassurant – m’aiderait déjà à relativiser la situation. Mais on n’était décidément pas au pays des bisounours.

Je crus que mon heure était arrivée au moment de m’installer sur la chaise présentée par l’infirmière et que cette dernière partit chercher le matériel adéquat pour la prise de sang. Ah parce qu’en plus ils n’avaient pas assez de personnel pour qu’un médecin la fasse ? Honnêtement, je ne doutais pas de ses compétences hein, mais j’aurais sincèrement aimé qu’une autre personne, plus chaleureuse, s’en occupe, parce que là, j’avais l’impression qu’elle allait diagnostiquer une maladie incurable. Heureusement, Ryû arriva à la rescousse. Oui je ne trouvais pas d’autre façon de présenter les choses. Alors que je me trouvais toujours seule dans la salle jaune pâle assez flippante, une personne arriva, accompagné de mon sauveur – la trêve ne serait que temporaire – en demandant si c’était bien mon tuteur. Sérieusement ? Bon, je chercherais la logique de cette idiotie plus tard.

« Oui oui c’est exact, laissez-le entrer. J’ai cru que tu n’arriverais jamais !, ajoutai-je pour renforcer la crédibilité de la chose, et aussi parce que je le pensais vraiment, mais chut. »

J’invitai alors l’enseignant à s’asseoir sur le fauteuil à côté de moi, tandis que l’individu l’accompagnant s’en alla. Ce n’était pas que j’affectionnai particulièrement sa présence, mais là, tout de suite, il me fallait quelqu’un pour me soutenir psychologiquement, ne serait-ce qu’en étant là. Un visage connu, même si on ne le portait pas spécialement dans son cœur, ça rassurait mine de rien. D’autant que l’infirmière dark ne tarda pas à revenir, non sans demander froidement qui était le monsieur à côté de moi et je dus alors à nouveau affirmer que c’était mon tuteur. Bizarrement, elle ne sembla pas croire un mot de ce que je lui racontais vu son air sceptique, mais elle se contenta de hausser les épaules sans poser de question. A mon avis, elle avait deviné. Je déglutis nerveusement à la vue de l’aiguille qu’elle préparait, tout en relevant nerveusement une manche de ma veste. Je n’avais pas peur des aiguilles, pas quand elles étaient manipulées par des personnes saines d’esprit. C’était limite si je n’étais pas prête à demander à Ryû de me piquer à sa place – oui on avait touché le fond là.

Ainsi, je ne pus m’empêcher d’échanger un regard anxieux avec mon prétendu tuteur avant qu’elle ne me pique. Elle n’y alla pas de main morte si bien que j’eus un soubresaut de surprise. Où est-ce qu’on lui avait appris à piquer les gens comme ça ? De plus, une de mes craintes se révéla exacte. Il arrivait que les médecins ou infirmiers peinaient à trouver une veine qui veuille bien se décider à laisser s’échapper du sang dans la poche, alors parfois il fallait s’y prendre à plusieurs reprises. Pauvre de moi. L’infirmière pesta donc dans son coin et opta pour une autre veine à massacrer. Super. Heureusement pour moi, ce second essai se révéla concluant, sans quoi, en plus d’être potentiellement enceinte, j’aurais aussi perdu l’usage de mon bras gauche. Une fois la poche suffisamment remplie selon elle, elle ôta l’aiguille et appliqua de suite un pansement dans la foulée. Même pour mettre le pansement c’était une véritable brute ! Annonçant qu’elle allait donner mon échantillon à examiner, elle nous laissa de nouveau seuls, Ryû et moi. Quel calvaire.

« Putain…, lâchai-je les dents serrées, c’est grave si je m’évanouis genre maintenant tu crois ? »

Rien de tel qu’un peu d’ironie pour détendre l’atmosphère en attendant les résultats non ?

FICHE ET CODES PAR ILMARË

La surprise est l'épreuve du vrai courage

L’avantage d’avoir Ryû à côté de moi, c’est que tout d’un coup je me sentais pleine de courage et de résistance face à l’adversité. En fait, j’avais l’impression d’être une vrai warrior en comparaison avec le professeur. Si lui il n’avait pas horreur des aiguilles, je n’osais pas imaginer comment se comporterait quelqu’un qui en avait vraiment peur. Sans rire, ce n’était pas son bras qu’on était en train de charcuter avec une totale absence de douceur, de délicatesse et d’excuse aussi. Non, l’infirmière ne me prenait aucunement en pitié alors qu’elle devait bien se douter que si jamais son analyse se révèle positive, ma vie risquait de basculer dans une totale catastrophe. Non parce que, on aurait beau dire que y’avait l’avortement tout ça tout ça, la rumeur était probablement d’ores et déjà lancée, si pas déjà publiée et étalée aux yeux du pays entier sur le compter twitter de Royal Shit. Nul doute qu’il était désormais impossible de faire comme si on pouvait oublier cette histoire, il était tout à fait certain qu’une taupe irait jusqu’à me filer jusqu’à clinique pour révéler au monde entier que j’étais bien enceinte et que j’avais décidé d’éliminer le petit être à l’intérieur de mon ventre. Autant dire que ça m’arrangerait genre beaucoup si l’infirmière pouvait revenir, un léger sourire sur le visage, en me montrant la feuille qui indiquerait que tout ce cinéma n’avait aucune justification, qu’il me fallait juste du repos et que bientôt je serais à nouveau une vraie boule d’énergie.

En attendant, je n’avais qu’à patienter en compagnie de mon supposé tuteur. Si ce n’était pas se moquer du monde quand même que de se faire passer pour mon tuteur tout de même. Ok, je voulais bien croire qu’en ayant un travail bien payé on pouvait éventuellement supposer qu’il était à même de s’occuper de quelqu’un – même si bon je n’en étais pas franchement convaincue – mais sérieusement, je ne savais pas quel âge il avait, il était beaucoup trop jeune pour avoir une fille de mon âge à sa charge. A la rigueur, il aurait pu tenter le coup du frère aîné, ce qui aurait donné justification à sa préoccupation concernant mon état. Parce que là, on était grillés auprès de l’infirmière, pour sûr. Infirmière que Ryû trouva visiblement trop longue pour la tâche qu’elle avait à accomplir. Qu’est-ce que j’en savais moi du temps que ça prenait ? Il croyait que j’avais l’habitude de ces trucs-là ?

« Ben écoute, j’en n’ai aucune idée. Mes copines sont pas assez idiotes pour être obligées de devoir faire un test pareil… »

Et oui, à vrai dire, la seule personne de mon entourage qui avait pu se trouver dans cette situation, c’était ma mère. Autant dire que ça ne m’était pas d’une grande aide, vu que c’était moi le bout de chou à l’intérieur de son ventre à cet instant-là. Je ne me voyais pas l’appeler en catastrophe là tout de suite pour lui demander combien de temps il fallait patienter avant d’avoir le résultat d’un test sanguin pour la grossesse. Je n’arriverais sûrement pas à raccrocher à temps pour éviter l’épineuse discussion sur le pourquoi du comment de ma question. Mieux valait garder restreint le cercle des personnes au courant de mon potentiel problème, à savoir moi, Ryû et l’infirmière qui ne nous connaissait pas. Je ne peux retenir un léger rire, discret, quand l’enseignant affirma que la femme ne croyait pas à l’histoire du tuteur. Sans rire ? C’était clair comme de l’eau roche pour moi, il était sûr et certain qu’elle n’en avait pas cru un mot et qu’elle savait pertinemment que la présence de Ryû dans cette pièce était intimement liée à mon inquiétude.

« Ah non mais cherche pas, on est grillés, affirmai-je en me laissant tomber dans le fond du siège, j’espère juste qu’elle va pas nous toiser avec des yeux blasés. Ou nous faire la morale. »

Non parce qu’en vrai, j’avais passé l’âge de me faire réprimander au sujet de bêtises que j’avais pu commettre. Je savais que ma conduite était loin d’être irréprochable dans l’histoire, que j’avais certainement mérité ce qui était en train de m’arriver mais je n’avais pas besoin d’une tierce personne pour me juger sur la question. Et Ryû encore moins j’imaginais, même si ce n’était pas ma principale préoccupation. En général, surtout de femme à femme, c’était la fille qu’on s’amusait à critiquer dans ces moments-là. A croire qu’on devrait rester vertueuses et bêtes jusqu’au mariage. L’infirmière mit fin à cette réflexion philosophique en revenant au bout de plusieurs minutes, le fameux papier dans les mains. Son visage étant désespérément neutre, si bien que je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Elle pouvait tout aussi bien être affligée par la situation que me faire mariner de manière délibérée juste pour le plaisir de me faire stresser, et si c’était ça, ce n’était pas très marrant. Sans dire un mot, elle se contenta de me donner la feuille dans les mains puis de s’adosser contre le mur le plus proche. C’était quoi cette attitude, elle avait un problème avec moi ?

J’eus beau y mettre toute la volonté du monde, je ne compris strictement rien à la fameuse feuille, visiblement Ryû non plus, puisque je ne l’entendais pas dire un mot même s’il s’était penché pour examiner le bout de papier. Ils ne pouvaient pas simplement faire une feuille où c’était marqué « vous êtes enceinte » ou « vous n’êtes pas enceinte » ?! Agacée, je relevai les yeux vers la dame, ne voyant pas d’autre moyen d’obtenir une explication.

« Vous pouvez traduire ? J’y comprends rien. »

Elle lâcha un profond soupir en murmurant « Les jeunes… » avant de s’avancer vers moi. Je fus très attentive quant à ses explications, bien plus qu’en classe même je dirais. Ainsi, la femme m’expliqua que les femmes non enceintes avait un résultat inférieur à 5 UI/l – je sus dès cet instant que j’aurais dû être attentive en cours de physique – et qu’au-dessus de 15 UI/l, il était sûr qu’elles étaient enceintes. Ainsi, il ne me fallut pas longtemps pour comprendre qu’avec mon résultat, il n’y avait plus de doute sur la question. J’étais enceinte. D’un mois qui plus est comme me le précisa si bien l’infirmière, qui sortit, annonçant qu’elle reviendrait quand on aurait accusé le choc. Outch. Je serrai le papier dans mes mains, fébrile et incrédule.

« Bon c’est officiel. On est dans la merde… »

C’était à peine si on pouvait m’entendre. Je n’arrivais pas à me rendre compte de la chose et je ne savais pas tellement si j’avais envie d’en avoir pleinement conscience.

FICHE ET CODES PAR ILMARË

La surprise est l'épreuve du vrai courage

Plus dépitée que moi, ce n’était sans doute pas possible à cet instant même. J’aurais tant souhaité, tant voulu que ce second test me rassure, me dise qu’il n’y avait rien au fond, pas qu’il creuse ma tombe un peu plus que je ne l’avais déjà fait jusqu’alors. Je ne pouvais pas croire que c’était réel, je n’avais pas conscience de la chose en elle-même, ou de l’être vivant en l’occurrence. Si seulement j’étais passée à travers, si seulement ce n’était pas arrivé, si j’étais rentrée tout de suite aux dortoirs dès que j’avais vu l’état de Ryû. Je m’en voulais terriblement, en vérité, j’en voulais au monde entier de m’avoir mise dans cette situation, parce que désormais, je ne voyais pas bien comment m’en sortir sans dommages collatéraux. Ce n’était pas sans raison qu’on avait inventé et normalisé diverses formes de contraception, c’était bien pour éviter à des centaines, des milliers de jeunes filles de se retrouver précisément dans cette situation digne d’une tragédie de Corneille. Pour ne pas avoir à avoir ce poids sur la conscience, et dans son organisme également. Etrangement, je me pris à soulever mon t-shirt et à observer mon ventre avec consternation. Comment un être, aussi minuscule était-il, pouvait possiblement « vivre » à l’intérieur ? Ils devaient s’être trompés, je ne voyais pas d’autre explication mais j’avais lire et relire la feuille des résultats, les chiffres parlaient d’eux-mêmes. J’étais enceinte d’un mois, point, je n’avais plus qu’à me débrouiller pour gérer cette réalité.

D’autant que Ryû ne faisait décidément rien pour me remonter le moral, enfonçant le clou de mon affirmation précédente. Il fallait dire que je ne voyais pas bien non plus ce qu’il pouvait dire pour essayer de dédramatiser la situation, il avait beau avoir un sens de l’humour terrible quand il était ivre, la situation n’avait rien de franchement comique. Même avec la meilleure volonté du monde, je n’étais pas certaine de pouvoir trouver un détail amusant ou positif pour relativiser tout cela. Ah si, au moins, si jamais dans un excès de folie intense je décidais de garder le bébé, il n’aurait pas un connard de père CEO d’une grande entreprise pour lui pourrir l’existence. C’était toujours ça de gagné, mais c’était assez maigre comme consolation quand on pensait au reste, parce qu’il ne fallait pas se voiler la face sur les conséquences inévitables. Je ne pourrais vraisemblablement plus étudier à la Royal Private School et mine de rien, j’aimerais avoir mon diplôme tout de même et Ryû de son côté aurait bien du mal à garder son travail et à être crédible en tant que professeur, même si, dans un geste purement altruiste, je pouvais toujours affirmer qu’il n’avait rien à voir avec ça.

Si je comprenais qu’il ne soit pas d’humeur à essayer d’apaiser les choses, je comprenais bien moins sa manie de reporter la faute sur moi. Cela eut au moins le mérite de me sortir de ma torpeur pour le foudroyer du regard. Non mais j’hallucinais, j’étais restée parce qu’il avait été à la limite de me supplier pour cela ! Je me demandais même avec le recul s’il ne m’aurait pas suivie si jamais j’avais décidé de partir, vu les circonstances, on ne pouvait pas vraiment savoir ce dont il aurait été capable.

« Ouais et t’aurais pas dû boire ce jour-là aussi… Ou t’aurais dû annuler le cours. L’adulte responsable, c’était censé être toi je te rappelle. »

Oui, enfin en théorie bien sûr parce que je ne le considérais absolument pas comme un adulte responsable pour le coup. Déjà, un adulte responsable ne laissait pas ses élèves en plan sans rien dire alors qu’il était supposé faire cours et il ne se faisait pas non plus passer pour le tuteur de la fille qu’il avait mise enceinte parce qu’il refusait de déclarer qu’il était le père potentiel. Autant dire que je n’arrivais pas du tout à l’imaginer en train de donner le biberon ou de changer les couches, moi non plus d’ailleurs pour sa défense. Cela dit, cela ne l’empêchait pas de me piquer la feuille et de la scruter intensément, comme s’il se sentait vraiment concerné. Je veux dire, bien sûr qu’il était concerné, je ne l’avais pas créé toute seule cet enfant et vu que je n’avais approché un homme à moins de cinquante centimètres environ depuis, il n’y avait pas de doute sur la question. Mais en fin de compte, il n’avait tant son mot à dire dans l’affaire, cela restait ma décision au final. Décision à laquelle je devrais réfléchir comme me l’indiqua la question expressément posée par Ryû. Si je comptais le « faire partir » ? C’était la première idée qui m’était venue en tête et je songeais toujours que c’était la meilleure, cela étant dit, ce n’était pas quelque chose à prendre à la légère. Je devais y penser calmement, à tête reposée, si c’était possible.

« Je suppose…, dis-je avec un haussement d’épaules, et le terme exact c’est « avorter » hein, on n’est plus à ça près. Faut que j’y réfléchisse… »

Je ne pouvais pas condamner un futur bébé à mort comme ça, sur un coup de tête, parce que j’avais ma petite vie à moi et que je ne voulais pas faire de vague. Ce serait égoïste, et même si j’étais consciente qu’il y avait des priorités dans la vie, je n’étais pas apte à rendre un jugement comme ça en cinq minutes à peine de réflexion. Il me faudrait certainement des jours, des semaines peut-être mais pas trop, parce qu’après ce serait trop tard si jamais je voulais stopper la grossesse. Mais là comme ça, à chaud dans la clinique, non, je ne pouvais pas. Je replaçai donc correctement la manche de ma veste et fus surprise par le retour de l’infirmière. Ah on n’avait pas fini ? En fait, la dame me demanda simplement si je souhaitais prendre rendez-vous par la suite avec le gynécologue, mais je lui répondis rapidement que ce n’était pas la peine pour le moment, que je verrais ça plus tard. Nous n’avions ainsi plus qu’à sortir de la petite pièce pour regagner le couloir. Ouf, un peu d’air.

« Faut que j’y réfléchisse mais surtout ne t’en fais pas, interpellai-je Ryû une fois dans le couloir, si jamais, pour une raison inexpliquée, je décide de le garder, je t’imposerai pas mon choix. Je comprends très bien que c’est compliqué mais dans tous les cas je me débrouillerai. »

Loin de moi l’idée de l’enchaîner au moyen de sa paternité comme le faisaient parfois certaines femmes pour obliger les hommes à rester près d’elles. Je n’avais aucune idée de l’issue de cette histoire mais j’étais décidée à m’en sortir par mes propres moyens, tout simplement. Il était libre de faire son choix après tout, sans avoir à passer pour le méchant de l’histoire.

FICHE ET CODES PAR ILMARË

La surprise est l'épreuve du vrai courage

Je n’avais qu’une envie : courir vite, loin d’ici, hors de cette clinique oppressante et prendre l’air pour, je ne savais pas trop, mais par exemple fumer une cigarette histoire de me changer les idées. Mais non, même ça, je ne pouvais pas le faire désormais et ce n’était sans doute que le début d’une longue liste prometteuse si jamais je décidais dans un élan de folie absolue ou par pulsion suicidaire, de ne pas avorter, puisqu’il s’avérait que j’étais bel et bien enceinte. J’ignorais quelle était la bonne démarche à faire, comment il fallait correctement procéder, pour une fois, car maintenant que je souffrais de la terrible conséquence de ma stupidité profonde, je n’avais pas envie de tout foirer une fois de plus. On ne parlait plus simplement d’un dérapage d’une nuit avec lequel il fallait vivre pour le reste de son existence, mais d’un être qui vivait dans mon ventre, même on pouvait difficilement apparenter son état actuel à une forme de vie. Ce n’était pas pour rien qu’il y avait possibilité d’interrompre la grossesse au début de celle-ci. Et quand bien même je me trouvais dans un pétrin monstrueux, avec une incapacité évidente à élever un enfant comme il se devait pour le moment, je ne pouvais pas arbitrairement décidé de tout arrêter comme ça, dans la continuité du choc qui s’était abattu sur moi. J’avais beau être impulsive, je savais dire quand il fallait se poser quelques minutes pour prendre une décision importante.

Et Ryû là-dedans ? Je n’en savais rien, il était libre de faire ce qu’il voulait comme je venais de le lui dire. Je le pensais vraiment, ce n’était pas parce qu’il avait un lien avec mon état actuel que j’allais l’obliger à se sentir concerné par tous les moyens. Déjà, je n’aurais pas pensé qu’il soit allé jusque-là, sans doute parce que le semblant de modèle paternel que j’avais eu n’en avait pas été capable. Aucun de nous n’avait jamais souhaité cette situation mais désormais, j’avais une décision à prendre et je ne comptais pas l’impliquer directement dans cette affaire. Il devait avoir des choses plus importantes à penser comme des factures, payer son loyer, des préoccupations d’adulte indépendant et autonome en résumé. Et d’autres choses plus personnelles aussi sans doute, à commencer par cette fameuse ex pour laquelle il s’était retrouvé dans un état d’ébriété inconvenant pour un cours particulier. Il devait sûrement la maudire celle-là à l’heure qu’il était d’ailleurs.

Je ne savais pas pourquoi, je m’étais imaginée que suite à mon intervention, il se serait contenter d’acquiescer, vaguement sous le coup de l’émotion encore peut-être. Je n’avais espéré une réaction très prononcé, rien à voir avec ce qu’il se passa à vrai dire. J’écarquillai les yeux à l’écoute de son discours, terriblement choquée. Je ne comprenais pas pourquoi il m’agressait comme cela, pourquoi il pensait que j’allais forcément le « pourrir jusqu’à la moelle » comme il disait. Je savais pertinemment que je n’avais aucune idée de la façon dont on pouvait élever un enfant mais je n’avais jamais dit que je le ferais, si ? Pourquoi s’emballait-il autant pour une putain d’hypothèse ? Et quand bien même je n’avortais pas, cela ne signifiait pas forcément que j’allais le garder, il y avait certainement des familles qui seraient très heureuses d’accueillir un enfant, nouveau-né qui plus est, parce qu’elles ne pouvaient pas en avoir. Je m’apprêtais à lui expliquer cette possibilité quand il franchit la limite extrême. Qu’il remette en cause ma capacité à élever un enfant soit, mais qu’il m’attaque sur mon milieu familial, non. Surtout avec des préjugés pareils, si débiles. Alors quoi, parce que j’étais à la Royal Private School j’étais forcément friquée ? J’étais forcément quelqu’un d’irresponsable qui pensait que l’argent suffisait pour régler tous les problèmes.

Il eut à peine le temps d’achever sa phrase de dépressif qui se plaignait de ses problèmes que je lui mis une gifle, sèchement, sans prévenir. Moi-même je ne l’avais pas vue venir, je ne comptais pas en arriver là mais c’était plus fort que moi. S’il y avait bien une chose que je ne supportais pas, c’était d’être jugée sans la moindre justification. Il ne savait rien de moi à la fin, ce n’était pas parce qu’il m’avait donné des semblants de cours et qu’on avait couché ensemble une fois qu’il pouvait se permettre pareil jugement.

« Ta gueule, commençai-je, presque en chuchotant, la voix tremblante, avant de hausser le ton, crescendo, tu n’as absolument aucune idée de qui sont mes parents. C’est pas comme si ça changeait quelque chose en soit, mais non, je n’ai pas le luxe d’avoir des parents « friqués » comme tu le dis si bien. Enfin sauf mon père hein, mais ça compte vu que je lui ai parlé une fois genre… Cinq minutes ? Et encore, je suis pas sûre que lui gueuler dessus puisse être considéré comme « parler ». »

La bonne blague, le seul jour où j’avais vu mon père, c’était parce que ma mère m’avait piégée, m’avait caché qu’il venait et en plus, c’était pour me présenter à son fils, celui qu’il avait eu avec son épouse. Tout ça parce qu’il prétendait vouloir donner son entreprise au plus méritant de nous deux. Si ce n’était pas écœurant comme tableau de famille. Je serrai les poings, encore révoltée par ses réflexions à deux balles.

« J’ai jamais rien eu tout prêt, tout fait, je me suis toujours démerdée moi-même. Alors excuse-moi si la Royal est la seule marque d’affection que j’ai jamais reçue de lui. Mais figure-toi que si je voulais me la couler douce je me crèverais certainement pas le cul à aller travailler presque tous les jours dans un bar pour mettre des sous de côté, juste pour avoir la possibilité de pouvoir au moins me payer une de mes années dans cette école ! Mais bon, ça doit te paraître débile comme tout le reste. Alors, même si tu t’en fous pas comme t’aimes si bien le dire, fiche-moi la paix, j’ai autre chose à faire. Je vais prendre le bus tiens, je connais presque les lignes par cœur. »

C’était fait. Je réajustai mon sac sur l’épaule, grimaçai à cause de la douleur à mon bras à cause de la prise de sang, et pris le chemin de la sortie, non sans bousculer plusieurs personnes au passage. Je sentais les larmes me monter aux yeux et je n'avais même plus la force de les retenir, juste de les essuyer quand je les sentais perler au coin de mes yeux. C’était vraiment une journée dont je n’aimerais pas me rappeler et que j’avais vite envie de voir se terminer, même si au fond ça ne réglerait pas mes problèmes.

FICHE ET CODES PAR ILMARË

La surprise est l'épreuve du vrai courage

Il y avait bien longtemps de cela que je n’avais pas versé une larme et en l’occurrence cela ne faisait que renforcer mon sentiment d’impuissance et le fait que je me sentais on ne pouvait plus pathétique. J’ignorais pourquoi je me mettais à pleurer tout d’un coup, comme une petite fille qu’on venait de gronder parce qu’elle avait fait une bêtise, alors qu’elle était innocente. A vrai dire, j’étais à peu près certaine que ce que je ressentais à cet instant était à peu près similaire à cette situation. Les accusations infondées de Ryû m’avaient touchée en plein cœur, sans qu’il s’en doute, et je n’avais pas réussi à encaisser le choc comme je savais si bien le faire habituellement. Enfin du moins je le faisais mieux qu’à ce moment précis, parce que j’étais consciente de n’être pas la plus douée sur terre pour dissimuler mes émotions. Je ne pensais pas cependant qu’être comparée à ces enfants de riche me blesserait à ce point, après tout, n’essayais-je pas continuellement de me fondre dans la masse ? Il n’en demeurait pas moins que je refusais d’entendre que je croyais naïvement que la vie était simple parce que soi-disant j’avais des parents fortunés. Je me doutais bien qu’il y avait une différence monstrueuse entre avoir les moyens matériels pour élever un enfant et être suffisamment mature pour s’en occuper. Il ne pouvait savoir combien il était facile pour moi de comprendre ce genre de situation et je ne comptais pas tant lui exposer la situation, parce qu’on en aurait pour trois heures, facile.

Ce qui ne m’avait pas empêchée de lui faire un bref résumé sur la vérité. Cela avait été plus fort, j’avais dû contrer son affirmation injustifiée en lui faisant un rapide état des lieux, comme si j’avais soudainement besoin de me plaindre à quelqu’un. Je ne pensais pas avoir une vie particulièrement misérable mais il fallait avouer qu’on était loin du schéma idéal de la fille bien née qui n’avait aucun problème dans la vie, sinon celui qui venait de lui tomber dessus, être enceinte en l’occurrence. Non je n’avais pas un bel avenir tout tracé devant moi, je n’étais pas promise à un riche et bel héritier et je n’allais pas couler des jours paisibles en profitant aisément de la fortune familiale. Tant mieux dans un sens, parce que ça l’aurait vraiment mis dans une situation délicate pour le coup, alors que là, je n’étais pas certaine que beaucoup de personnes dans mon entourage se sentent concernés par mon état. Pour le coup, c’était sans doute une bonne chose au final, j’allais rentrer, sans rien dire à personne et au fond, ce serait comme si rien n’avait changé, à un détail près, non négligeable.

Enfin, ça, c’était le schéma prévu jusqu’à ce que je me fasse attraper violemment le poignet dans l’entrée de la clinique. Il ne me fallut pas longtemps pour faire volte-face et comprendre rapidement que c’était Ryû qui m’avait rattrapée, chose qui ne me surprenait qu’à moitié. Je ne voyais pas qui d’autre pouvait me retenir soudainement dans l’hôpital mais en même temps, je ne comprenais pas ce qui le poussait à faire cela. On s’était tout dit non ? Je ne voyais pas ce qu’il y avait à ajouter, mais il ne paraissait pas être du même avis, affirmant que je ne m’en tirerais pas de la sorte. Je fronçai les sourcils, appréhendant la suite de son discours, vu que des mots pareils ne présageaient rien de bon en général. Il n’allait quand même pas me pousser à avorter là maintenant hein ? Après tout, il ne pouvait pas m’y forcer que je sache. Je lâchai un petit rire nerveux quand il déclara en avoir assez de se donner en spectacle. En même temps, qui lui demandait de rattraper la fille qu’il avait mise enceinte comme un bon cliché de drama ? Ce qui ne m’empêcha pas d’être surprise quand il me confia qu’il fallait, je cite, « qu’on en parle ». Parler de quoi ? Pourquoi s’évertuait-il à vouloir être concerné à ce point ? Je ne lui demandais rien, il devrait être heureux non ? Alors pourquoi tant d’obstination ?

Décidément on allait de surprise en surprise. Non seulement il voulait discuter de la situation – comme des adultes matures et responsables je supposai – mais en plus, il me disait que je n’avais pas à me débrouiller toute seule sur ce coup. Cette fois, je haussai les sourcils, incrédule devant ce soudain revirement de situation. D’abord il m’engueulait sur des faits illégitimes et désormais, il voulait m’épauler. On lui avait déjà dit que quelque chose ne tournait pas rond chez lui ? Bon, certes, il était peut-être temps pour moi d’arrêter de faire la fière et porter tout le poids du monde sur mes épaules. Avec un soupir de résignation, je lui fis signe de sortir, vu que je n’avais pas non plus envie que toutes les personnes présentes dans l’hôpital fussent aux premières loges pour entendre ce qui allait suivre. Le parking de la clinique me semblait être un endroit plus commode au vu des circonstances. Et au moins, je pourrais fumer tranquillement, parce que mes nerfs allaient lâcher autrement. Puisque je n’avais pas encore pris de décision, ce n’était pas bien grave et une malheureuse cigarette n’allait pas avoir un impact irréversible sur l’état de santé du bébé. Du moins, je m’en persuadais, histoire de ne pas avoir mauvaise conscience par-dessus le marché. Ladite cigarette allumée, une première bouffée de cette dernière inhalée, je me résolus à passer aux choses sérieuses.

« Bon, eh ben puisque tu veux en parler, on va en parler, déclarai-je en roulant des yeux, pas du tout convaincue par cette soudaine poussée de responsabilité paternelle, j’ai pas envie de décider sur un coup de tête ce qui pourrait potentiellement devenir un bébé puis un enfant et ainsi de suite… Ça mérite réflexion, tu ne crois pas ? »

Parce que si on prenait les choses dans une toute autre situation, ma mère aurait pu avoir ce raisonnement précipité étant donné les circonstances et je n’aurais jamais vu le jour. Cela méritait quand même qu’on prenne un minimum le temps de réfléchir sur la question, non ? Même si en y pensant, je n’aurais jamais interféré dans la vie de Ryû et on n’en serait pas là mais bon, avec des « si » on pourrait refaire l’univers en fin de compte. Quelle galère.

« Je suis bien consciente que je vais pas pouvoir l’élever toute seule ce bébé, reconnus-je après avoir de nouveau tiré sur ma cigarette, j’ai vingt ans et j’ai franchement rien de la maman parfaite, lâchai-je avec un petit ricanement, mais bon, qui parle de l’élever au fond ? Je sais pas moi, y’a l’avortement ok, mais y’a l’adoption aussi qui est possible. Si ça peut lui permettre de vivre et de rendre une famille heureuse… »

Étrange que dans un moment pareil je puisse me soucier de la joie que cet enfant potentiel pourrait procurer à un couple. Il n’y avait pas à dire, depuis que j’avais découvert que j’étais enceinte, j’avais dû prendre dix ans, facile.

FICHE ET CODES PAR ILMARË

La surprise est l'épreuve du vrai courage

J’avais du mal à concevoir que nous en étions arrivés là, à discuter, sur un parking, de l’embryon qui poussait doucement dans mon ventre. Je savais que j’aurais dû postuler à une émission de téléréalité, pas forcément à cause de cela, mais je pensais que pour le coup, j’avais tout de même un profil atypique en y réfléchissant bien. C’était presque ironique pour une fille née de l’adultère d’un homme, chef d’une grande entreprise, de se retrouver enceinte, « malgré elle », de son professeur, avec lequel elle n’avait même pas d’attache spécifique. Encore, si on avait saupoudré un soupçon de romance dans l’histoire, cela aurait pu faire un bon pitch pour le nouveau drama du moment mais là, il fallait reconnaître que je tenais plus de la bête de foire que de l’héroïne qui faisait rêver les jeunes gens devant leur télévision. Il ne me restait en vérité qu’à me raser la tête et à enchaîner les cures de désintoxication pour arriver au niveau des stars sur lesquelles les paparazzi aimaient tant faire leur beurre. Sauf qu’en l’occurrence, je n’avais aucune envie de me faire remarquer, de me faire dévisager comme si, tel Spiderman, je venais d’être piquée par une araignée et mutais en ayant de superpouvoirs, encore moins par une certaine personne qui s’amusait à étaler la vie des gens sur un compte Twitter anonyme. J’avais déjà un passé chargé à traîner, voilà que l’avenir ne s’annonçait guère plus reposant, quelle vie.

Alors oui, pardon si tout à coup, j’ai un besoin crisant de fumer une cigarette, bien que ce ne soit pas la meilleure chose à faire dans ma condition physique actuelle. Le bébé n’allait pas avoir une vingtaine de neurones en moins à cause de ça, zut. Je n’avais manqué de remarquer le froncement de sourcils de Ryû qui me laissait deviner ce qu’il pensait à ce sujet mais ce n’était pas lui en l’occurrence qui se retrouvait avec ce soudain fardeau qu’il fallait littéralement porter. Moralement, c’était peut-être le cas, mais physiquement, j’étais tout de même la seule qui allait en subir les conséquences, non ? Oui parce que vu comment c’était parti, j’avais de plus en plus de réticences vis-à-vis de l’avortement, alors qu’en vérité, cela avait été ma première option au départ et la meilleure sans aucun doute pour beaucoup de personnes, puisqu’on s’épargnait aisément les problèmes des enfants adoptés qui souhaitaient peut-être un jour rencontrer leurs parents biologiques et qu’il faudrait leur expliquer pourquoi on n’avait pas voulu d’eux à ce moment-là. Dans le cas présent, je songeais qu’il n’y aurait aucun mal à lui expliquer combien la situation était délicate.

Peu surprise, je me contentai de hausser les épaules en soufflant la fumée de ma cigarette sur le côté à l’écoute de la réflexion de Ryû. J’étais effectivement consciente qu’il y avait une grande différente entre faire disparaître un petit embryon en quelques temps et devoir attendre neuf mois avant de pouvoir le confier à des personnes suffisamment compétentes pour l’élever. Avoir la perspective de voir mon corps se déformer petit à petit en tête ne m’enchantait pas du tout, mais franchement, à côté d’une vie, ce n’était pas beaucoup à mes yeux. Ma mère avait bien réussi à gérer cela en étant mannequin, je ne voyais pas pourquoi j’aurais plus de difficulté en étant une simple étudiante. Enfin, je savais que c’était court et facile comme raccourci et que ma mère n’avait certainement pas eu de psychopathe tel que Royal Shit pour épier ses moindres faits et gestes pour les exposer à l’entièreté de la toile du web. Vive la technologie, hou hou !

J’arquai un sourcil en entendant de nouveau Ryû parler, surprise par la préoccupation sincère qu’il paraissait éprouver à mon égard. Ok, c’était aussi un peu ses gènes qui se trouvaient dans mon ventre – dit comme cela, ça me parut vraiment glauque d’ailleurs – mais bon, ce n’était pas comme si on l’avait voulu ni qu’on était un couple amoureux. Ce serait moins compliqué. Cela dit, je ne voyais pas franchement ce qu’il pouvait faire pour moi, il n’allait pas faire partir les douleurs musculaires et les nausées en claquant des doigts, malheureusement.

« Ca marche, pas de problème, répondis-je d’un ton nonchalant, je penserai à t’appeler pour les échographies et pour acheter des fringues de femme enceinte, lançai-je avec un rire nerveux. »

Parce qu’à vrai dire, je ne voyais pas en quoi j’aurais potentiellement besoin de son aide pour autre chose, et encore, c’était une blague. Non mais sérieusement, il pensait quoi, m’accompagner aux toilettes à chaque fois que j’aurais envie de vomir ? Ou me porter pour monter les escaliers quand mes jambes me paraîtraient trop lourdes ? Ce fut avec ces pensées pour le moins drôles et burlesques que je finis ma cigarette, la jetai par terre et l’écrasai sans ménagement avec ma chaussure. Eh oui, non seulement j’étais une future maman irresponsable mais en plus, je n’avais pas la fibre écologique. En fait, j’étais une cause perdue. Je me pinçai nerveusement les lèvres en me rendant compte qu’il fallait encore mettre les points sur les « i » sur certaines choses.

« Ah et pour que ce soit clair. Si jamais, pour notre grand malheur, une rumeur se lance et fait le tour des couloirs, nie tout. Il s’est rien passé, tu n’es pas le père, tu ne sais rien, nada. Autant limiter la casse. »

Hors contexte, ça pourrait presque sembler mignon comme attention, n’est-ce pas ? Question de bonne conscience, en soi, je n’avais pas tellement envie d’envoyer le géniteur de l’enfant au chômage avec cette histoire tordue par-dessus le marché.

FICHE ET CODES PAR ILMARË