Deux fois en quelques jours, c'est quand même fou d'avoir la poisse à ce point! Je ferme les yeux en claquant rageusement la porte de ma voiture qui, depuis environ dix minutes, m'affiche un message selon lequel je devrais la faire réviser. Oh, please, j'ai rien de plus intéressant à faire que passer du temps chez le garagiste, vraiment? Il est grand temps que je change de bagnole, même si je dois avouer que ça m'agace au plus haut point, compte tenu du fric que ça peut coûter, ce genre de choses. J'ai d'autres projets pour cet argent, moi, bordel... Je commence à penser que le sort s'acharne un peu trop sur ma pomme depuis quelques temps, il faudrait que ça s'arrête un peu.

Enfin soit, je n'ai plus qu'à me diriger vers l'école, comme d'habitude, afin d'y faire ma journée, après quoi je pourrai rentrer chez moi et me reposer comme la bonne grosse larve que je suis lorsque j'ai décidé de passer ma nuit à geeker sur n'importe quel jeu en ligne ou n'importe quel site étrange. Les vacances approchent, pour mon plus grand plaisir, et j'ai hâte d'être un peu tranquille, parce qu'il faut avouer à quel point les choses sont pénibles pour moi depuis quelques temps. Entre les annonces grandioses de Yun Hua et les maux de ventres
de mon chat, j'ai clairement du mal.

Quand mon nom retentit non loin de moi, je fronce un peu les sourcils et regarde autour de moi. Un élève? Non, la voix semble trop grave pour que ce soit l'un d'entre eux. Je vois alors une personne s'approcher et, assez rapidement, je réalise qu'il n'est autre que l'un de mes collègues, ce qui m'incite à m'arrêter. Encore plus quand je vois ce qu'il transporte avec lui. Un bébé! Oui, enfin, un ordinateur, vous l'aurez compris. Je souris un peu à cette vue, et ce sourire s'agrandit quand j'entends la raison pour laquelle il est venu vers moi.

« J'vais bien, et vous? » Demandé-je en riant un peu, bien qu'un peu embêté en repensant à ma bagnole, avant de secouer la tête positivement. « Sans problème, ça sera sans doute plus simple à réparer que ma caisse. »

Ce type est un peu rustre, mais j'aime bien l'aider, même s'il n'a pas l'air de comprendre qu'un ordinateur est à manipuler avec délicatesse et non pas comme un cro-magnon le ferait avec sa femelle. Ça, c'est mon côté non sportif qui parle, je n'arriverais jamais à avoir de brutalité, sachant que ma force se résume à mes séances de sport en salle, lorsque j'ai le courage d'y aller.

« C'est quoi le problème, à peu près? » Demandé-je après quelques instants.

Oui, parce que, l'air de rien, j'ai un cours à donner et résoudre un problème informatique peut près quelques minutes comme quelques heures, alors j'aime bien savoir à peu près combien de temps il me faut pour venir à bout d'une vermine. Peut-être qu'il en a choppé une, d'ailleurs, ou deux? Oh, je ne sais pas. De toute façon, ce n'est pas comme si je n'appréciais pas l'idée d'aider les autres dans leurs moments de détresse informatique. J'adore ça, vraiment, raison pour laquelle je suis assez content lorsque l'on vient vers moi pour un problème de ce type.

Je suis une adorable créature prête à aider les autres tout le temps. Un peu comme Mi, en fait, mais je doute d'arriver à être un jour aussi chou qu'elle, parce qu'elle bat franchement des records depuis quelques temps. D'ailleurs, je ne l'ai pas croisée aujourd'hui. C'est peut-être pour ça que ma journée commence aussi mal? Vous me direz, avec ma chance, j'aurais réussi à lui attirer des ennuis sans avoir à lever le petit doigt. Mais ce n'est pas le moment de penser à Mi; une tâche divine m'attend de pied ferme et je dois jouer le preux chevalier pour un ordinateur, visiblement. Cela m'arrange, ça m'occupera un peu pendant que je donnerai ce cours trop pénible à ces étudiants trop bruyants. Pas que la matière me semble désagréable, bien loin de là, c'est plutôt que j'ai l'impression de parler dans le vide alors que je fais de mon mieux pour leur expliquer les choses clairement et leur apprendre quelque chose. Pourtant, je pense pas être un mauvais prof. Je suis juste un peu exigeant, même si on s'amuse, à me rappeler que certains étudiants sont "martyrisés durant mes cours. Ils le seraient moins s'ils acceptaient de bosser comme je leur demande, putain. Enfin soit. On s'en fout là.

« Ouais, elle m'a lâché. Ça fait deux fois sur peu de temps. » Réponds-je en un rire, assez agacé par les faits que j'énonce. « Hm, c'est un bon deal, j'ai cours mais j'peux m'en occuper, les gosses bossent sur un projet. »

Les gosses. Oui. Parce qu'il faut pas croire que j'ai envie de les appeler autrement. De toute façon, j'ai l'impression que bien peu sortiront du lot dans la classe que j'ai juste après. Ils sont un peu trop paresseux, ils font les choses à moitié, du coup je ne leur répète pas les consignes et je les laisse faire ce qu'ils veulent, je les abandonne à leur projet et, l'examen venu, je les descends bien comme il faut. C'est comme ça; ils vont pas venir se plaindre parce que je ne leur apprends pas ce qu'ils veulent alors qu'ils sont venus se toucher la nouille en cours, hein? Enfin soit, ça m'arrange si je peux trouver quelque chose à faire pendant les cours qui ne soit pas réclamer le silence et espérer un minimum de respect de cette mômes pourris gâtés nés avec une cuillère en or dans la bouche.

Je cherche les clés de la voiture dans la poche de mon pantalon alors que j'écoute l'explication que donne mon collègue. C'est pas un virus? Hm, j'imagine qu'il a du prendre un truc bien sale, genre un Hiroshima/Nagasaki de l'informatique, quelque chose comme ça. C'est souvent ainsi, quand j'y pense, et à vrai dire ça ne m'étonne pas vraiment. J'dirais pas que c'est pareil pour ma voiture, mais je crois qu'on n'en est pas loin et, quelque part, ça me fait un peu chier car elle n'est pas très vieille. Au pire, s'il n'y arrive pas, j'en rachèterai une. J'bosse pas dans cette école pour rien, même si mettre autant d'argent d'un coup aura du mal à passer. Pas que j'aie pas de fric, mais disons que j'suis assez près de mes sous depuis quelques années... Lorsqu'il ne s'agit pas de technologie.

« Bon, j'vais voir ce que je peux faire pour votre ordi, en espérant que ça soit pas trop la fin du monde, et je vous laisse les clés. Je peux pas trop traîner parce que j'ai cours, là, tout de suite. »

Les cours n'attendent pas! Bon, à vrai dire, ce sont surtout les étudiants qui sont bien heureux de quitter les classes lorsque leur professeur n'arrive pas. Putain de feignasses.

Ah, la dure vie de prof. J'aurais bien aimé discuter un peu plus longtemps avec mon collègue, lui dire où était ma bagnole et lui expliquer plus amplement le problème, bien que j'ignore totalement où il était situé et quelle en était la source, mais je ne peux pas, parce que je dois aller donner cours à des idiots mieux lottis que moi, parce que j'ai autre chose à faire que raconter ma vie un peu trop désespérante à mon goût et que, dans le fond, je ne suis pas payé à rien foutre. Oui, parce que je sais parfaitement que l'argent, ça se gagne, ça vous tombe pas tout cuit dans la gueule, comme les gosses de cette école peuvent le penser. Ya des gens qui bossent pour avoir une vie correcte et nourrir leur chat! Enfin, pas tout le monde, mais s'ils pouvaient au moins comprendre que certains doivent s'y mettre, ça m'arrangerait.

C'est donc parfaitement blasé que je rejoins le lycée, comme c'est là que je donne cours aujourd'hui, et que je vais m'installer à mon bureau afin de donner cours à ces enfants un peu trop rebelles à mon goût. Sérieux, ils ont bouffé une pile électrique aujourd'hui? J'ai juste envie de leur mettre une main à la gueule, qu'ils comprennent que c'est pas dans mon cours qu'ils doivent foutre le brin, parce que j'en ai pas l'air mais j'essaie de leur donner cours correctement, moi! Après une dizaine de minutes passées à réclamer le silence à ces lycéens pas foutus d'écouter un traitre mot de ce que je leur raconte, je leur explique grosso modo le travail qu'ils vont devoir effectuer pour mon cours, espérant qu'ils auront au moins l'intelligence de m'écouter et de s'en tenir aux instructions, après quoi je leur laisse tout le loisir de s'y mettre, m'installant à nouveau à mon bureau pour traiter la bête que l'on m'a confiée.

Voyons voir. Ça m'a tout l'être d'être un véritable nid de guêpe cet appareil. Franchement, j'crois qu'il a pris un virus, si pas plusieurs, et un bon. Franchement, j'oserais à peine vous décrire la catastrophe, si ce n'était que le nombre de fichiers infectés et d'installations involontaires devait être énorme. J'vous jure, les gens qui savent pas utiliser un ordi, parfois, ça me sidère! Après, remarquez, certaines personnes sont douées avec les claviers, d'autres s'en sortent mieux avec les clés à molette. C'est la vie! Heureusement que les uns et les autres se compensent, car j'ai parfois l'impression que la fin du monde arriverait si il n'y avait pas de quoi équilibrer la balance.

Enfin soit, après une bonne maintenance, un tri des programmes inutiles et une récupération des fichiers endommagés, le tout après avoir évidemment fait attention à ne rien perdre en me servant d'un disque externe à moitié que j'analyserai après la guerre, j'ai réussi à venir à bout de toutes les crasses que cet ordinateur pouvait contenir. Et comme j'ai bon coeur et que ce gars se promenait avec un antivirus périmé et un pare-feu désactivé, je m'en suis occupé aussi, sans compter que je me suis assuré qu'il ne subisse plus les assauts des pubs indésirables. Voilà. Je suis dieu. On me remerciera un jour pour tout ce que je fais si gentiment. Sur cette victoire à ajouter à mon palmarès, j'éteins d'appareil, non mécontent d'avoir enfin réussi à venir au bout du problème tout en donnant cours, et je reprends les opérations "professeur modèle"... Parce que oui, j'y parviens aussi. Par contre, la journée ne durera plus longtemps, à voir le temps que j'ai mis à faire tout ça. Franchement, informaticien et prof en même temps : j'suis pas assez payé.

Emmenant l'appareil avec moi pour aller donner une heure de cours à l'unif - la joie des doubles horaires, j'vous jure - je dois faire face aux questions des étudiants qui semblent interminables et, quand je peux enfin retourner sur le parking, je découvre mon collègue qui, visiblement, s'est occupé de ma voiture, comme promis. Reste à savoir si ça tiendra, cette fois, mais j'imagine que c'est comme pour tout : si c'était notre métier, on serait payés pour ça, et je ne sais pas si la réparation de voiture tient dans son domaine comme l'informatique tient dans le mien.

« Quelles sont les nouvelles? » Demandé-je en riant un peu, espérant qu'elles ne soient pas trop mauvaises. « J'me suis occupé de l'ordi. Normalement il ne devrait plus y avoir de problèmes. L'antivirus était périmé et le pare-feu désactivé, c'était pas très safe pour surfer tout ça. »

Vous me direz, un antivirus et un pare-feu, ça met pas à l'abri de tout, mais ça aide quand même pas mal lorsqu'on ne s'y connait pas! Dans tous les cas, je suis plutôt fier d'avoir réussi cette mission qu'on m'avait confiée, à voir comment s'est déroulée celle de mon collègue. Avec un peu de chance, il aura fait mieux que cet imbécile de mécano de l'autre jour.

Si j'ai réussi à remettre cet ordinateur en état de marche, c'est non seulement parce qu'on me l'a gentiment demandé, mais aussi parce qu'il en allait de ma fierté. Professeur d'informatique, développeur et graphiste à ses heures perdues (eh, c'est quand même ces conneries que j'ai étudiées, à la base), et bidouilleur à l'occasion ; j'aurais eu l'air con si je n'avais pas été capable de résoudre un problème de virus ou de pare-feu mal activé, franchement. Remarquez, ce type de problèmes me résistent légèrement ; à force de gérer les ordinateurs des gamins du lycée et de réparer leurs bêtises – parce qu'ils en font énormément, et certaines plus ennuyeuses que d'autres d'ailleurs – j'suis rôdé. En plus, quelque part, j'aime bien m'imaginer un petit côté indispensable. Ryû à la rescousse du monde entier, parce que je suis le seul capable de réparer un bug informatique, aussi léger soit-il. Il n'y a pas à dire, ce type de souci, c'est mon dada.

Si j'avais pu hériter de bonnes compétences manuelles, en plus de ça, je serais sans doute l'homme le plus heureux du monde. Non, parce qu'ouvrir un boîtier et vérifier que toutes les connexions sont bien faites entre la carte mère et les différents ajouts, c'est possible, c'est largement dans mes compétences, même, mais n'essayez même pas de m'imaginer ouvrir le capot de ma voiture pour vérifier ce qui se trame au-dessous. J'en suis incapable. Pourtant, j'aurais pu essayer, un jour, et j'ai bien du y mettre les mains lorsque j'ai passé mon permis de conduire... Mais dites, à trente ans, presque trente-et-un, ça commence à remonter ces bêtises et j'ai autre chose à foutre de mes journées que mettre mes mains dans le cambouis pour vérifier le niveau d'huile. C'est bien de l'huile, hein ? J'sais même pas dire dans quelle partie elle se trouve, c'est dire !

Par chance, mon chemin a croisé celui de Rao et j'ai pu lui confier mon bébé. Oui, parce que même si je suis un très mauvais père pour cette automobile, c'est un peu une part de moi. Ce qui explique parfaitement pourquoi je suis tellement heureux lorsque j'arrive et constate qu'il l'a réparée. Ou du moins ça y ressemble.

«  Parfait ! J'espère que ça n'aura pas trop dérangé. »

Faut dire que j'aimerais éviter les frais, si possible, et j'ai eu la chance de ne pas devoir réparer quelque chose dans son ordinateur, si ce n'était une véritable post-apocalypse. Mais les données coûtent largement moins cher que les pièces mécaniques. Enfin, ça dépend lesquelles.

«   Oui, ça veut dire que ça va, j'ai résolu les problèmes. »

Drogué du net, drogué du net. Cela m'arrache quand même un ricanement. Je suis tout à fait capable de vivre sans, qu'on le croie ou pas. Je ferais certainement une crise de manque au bout de deux heures, m'allongeant en position fœtale au pied de la litière de mon chat pour pleurer sur les débris de mon âme si une coupure d'électricité ou d'internet survenait, mais je suis capable de survivre ! Je souris un peu quand il me remercie et secoue un peu la tête avant de m'approcher de lui pour lui rendre son bien.

«   De rien, j'aime bien me rendre utile. » En particulier quand ça met en valeur mes compétences, mais c'est une chose naturelle, il paraît ? «   Par contre, c'est délicat le matériel informatique. »

Oh oui, il n'y a qu'à voir les disques. Une raie et c'est terminé, on n'en parle plus ! Franchement, heureusement qu'on est passés à l'ère de l'USB maintenant. C'était plus vivable. Sérieux, j'avais genre douze ans quand ce truc a été inventé. Faut bien faire cours gosses, hein. Sérieux, il y en a qui ne connaissent même pas la disquette, c'est dire !

«   Ça va oui, merci. C'est plutôt difficile ces temps-ci, mais c'est la routine quoi. » Avoué-je en riant un peu. Si seulement ça pouvait être que ça. «   Et vous ? Ça doit être vachement fatigant comme poste, non ? »

Perso, j'ai qu'à m'installer sur un bureau et attendre que les étudiants s'occupent des projets que je leur donne, quand ils acceptent, évidemment. Et à gérer les débordements des jeunes pousses qui pensent pouvoir devenir de super hackers parce qu'ils ont appris quelques notions d'informatique de base. Ah, la jeunesse.

Si j'étais pas tombé sur Rao, j'crois que j'aurais été bon pour retourner chez le garagiste, une fois de plus ! Avec un peu de chance, ce qu'il a bidouillé dans ma bagnole tiendra suffisamment longtemps pour que j'en trouve une autre qui risquera pas de péter comme ça. C'est pas comme si elle était vieille en plus, mais putain ce que ça a l'air fragile ces trucs là lorsque ça veut bien. Enfin, ce n'est pas comme si j'étais pauvre et je peux parfaitement me payer une caisse avec l'argent que cette école me verse, même si je trouve ça absolument aberrant et que j'en ai marre de devoir sortir du fric pour des conneries pareilles. Ah, si seulement j'étais capable de prendre les transports en commun, comme tout le monde, ça serait tellement plus faciles vous savez. Enfin, au moins, ça a pas l'air de l'avoir dérangé et, de mon côté, il a occupé ma journée avec son ordinateur, donc c'est tout bénef non ? Je hausse les épaules pour lui montrer que c'est comme il veut, puis on dérive sur les cours.

Les cours. Ce plaisir incroyable. J'vous jure, c'est tellement jouissif d'aller donner cours à ces étudiants qui vous regardent avec leur air supérieur parce que leur père est patron d'une firme de cure-dents. Sérieusement, qui en a quelque chose à foutre de la production de cure-dents ? À part Mi, qui limite pourrait me parler de l'évolution du marché du cure-dents au cours des dernières années, j'vois vraiment pas qui ça pourrait intéresser. En tout cas, moi, j'en ai rien à foutre, alors c'est pas ces imbéciles qui parviendront à obtenir mon respect. Je suis la figure professorale, l'autorité, et s'ils ont décidé qu'ils feraient les cons à mon cours, ils peuvent déguerpir. Malheureusement, le respect a l'air de se perdre un peu depuis cette histoire avec Yun Hua. À croire qu'on a vraiment envie de me pourrir la vie jusqu'au bout. Quand il s'assied sur le capot de la voiture, je me retiens de lui faire la remarque – mais vu sa carrure, on va éviter, en plus il vient gentiment de me la réparer – et je secoue la tête pour refuser la cigarette.

«  Non, merci, j'ai arrêté.  » Quel homme respectable je fais, vraiment. Puis franchement, le tabagisme passif suffit pour l'instant... Allez. «  Il y a un monde entre les étudiants et les profs ici, c'est pas nouveau. Ça fait plaisir de voir que j'suis pas le seul à l'penser. » Je ricane un peu à cette pensée. «   Oui, énormément ! Certains essaient carrément d'infiltrer mon ordi pendant les cours, c'en est presque mignon. »

Mignon, parce qu'en général ils se font avoir à leur propre jeu, ces idiots. Heureusement, certains étudiants relèvent le niveau et s'intéressent vraiment à mes cours. Mi Ran, par exemple, mais c'était également le cas de Yun Hua, avant toute cette histoire. Comment éloigner les rares étudiants avec lesquels je m'entends, visiblement. J'suis vraiment un pro quand on regarde bien, haha.

«   C'est sympa de proposer, j'y penserai à l'avenir ! » Sur le coup, j'aurais presque quelques noms à lui donner, comme celui de cet étudiant qui vient toujours à mon cours pour s'en faire jeter. Franchement, ce type. Je crois que je lui mangerais les yeux à la cuillère si ce n'était pas absolument dégueulasse. «  Ça sera certainement plus efficace que si je les menace. »

Faut dire que, niveau carrure, j'suis pas vraiment le plus effrayant qui soit. Je suis pas une crevette, mais je m'approche plus de ça que du requin blanc, vous voyez ? Après, c'est pas comme si je n'étais absolument pas sportif, mais je ne suis pas du genre à faire des efforts incroyables. Les seuls que je fais en général... J'vais pas en parler, à chaque fois ça m'attire des emmerdes, visiblement. Cela m'arrache d'ailleurs un soupir ; faudrait que je m'y remette un peu, ça me ferait peut-être du bien d'évacuer un jour. Je remonte un peu la lanière de la housse de mon ordinateur sur mon épaule avant soupirer un peu, pensif. J'dois vraiment résoudre mon problème d'autorité. Personne ne m'écoute à part quand j'fais mon mec en colère.

Je m'attends à voir mon collègue partir quand il semble changer d'avis, puis je grimace un peu en le voyant saisir ma main et écrire sur ma paume. J'suis pas un ordinateur, mais j'suis délicat moi aussi, on prend pas ma main pour écrire dessus comme si on gravait une tablette de cire ! Je manque de retirer ma main, mais je réalise assez vite qu'il est de toute façon plus fort que moi et que je risque juste de me déboîter le poignet. Mauvais plan donc.

«   Ok, ok, j'y penserai. » Dis-je en posant les yeux sur les inscriptions. Il aurait pu me le dicter, j'aurais retenu plus vite. «   Pareil pour vous. Je vous appellerai pour que vous ayez mon numéro. »

Maintenant, pour bien terminer cette journée, j'ai envie de rentrer chez moi pour me pieuter et dormir un bon moment. J'ai l'impression que ça fait cinq ans que j'ai plus dormi et pourtant je suis levé depuis quelques heures seulement. La tristesse putain.

«   J'vous appelerai si j'ai besoin d'un conseil sportif aussi, faut que je m'y remette. » Oui, bien sûr. Oh, puis bon, j'aurai peut-être besoin d'apprendre à me défendre un jour, hein ? La blague.

INFORMATIQUE VS MECANIQUE - FB 05/15 - RYU

Rao voit bien que son cher collègue est quelque peu coincé, et ça l'amuse en fait de tester les limites et les petits nerfs de cet homme. Il fait quoi , oh allez, entre dix et quinze centimètres de plus. Oui, et bien vingt kilos de différence. Salopard que tu es Hantawe. Quoi, c'est dans les gènes, il a une excuse, les machos, c'est la vie. Brutal et rustre aussi, tu as oublié. Oh ça va, il a quand même un cerveau ça rattrape non ? S'il avait eu une bonne mère à qui rapporter ses résultats, il dirait qu'il a dix huit partout. Dix huit en brutalité, dix huit en mécanique, dix huit en alcoolisme nocturne, dix huit en « j'attire les pétasses », dix huit en drague, en rusticité aggravé, en goinfrerie, en perversité, en force, en culot et on en passe. Quoi, faut comprendre la courtoisie, la politesse, la bienséance et tous ces trucs de pédé dedans ? Nowp, c'est pas sa filière ça, il a pas pris d'option en kioutitudetruc ni en gentlemanie, et on crée des mots par le même biais parce que le dico, il est jamais assez grand pour un Rao. Faut t'y faire, tu es nul en vocabulaire parfois, c'est pas ta faute, t'as pas fait ta poésie au CP. La prochaine fois t'écouteras au lieu d'aller taper des copains. Non la vérité, c'est qu'étant gosse, Rao était un gamin vraiment adorable et sensible.
Et des fois, dans la vie des pauvres gens pas aidés, bah y'a un truc qui pète et c'est plus qu'un tas de légos qu'on remonte à l'envers. Quoi que dans son cas, on se demande s'il était pas déjà monté à l'envers et qu'il y avait juste un bouton on à activer en fait... peu importait , Rao était comme il était et il le vivait plutôt bien en dépit du fait qu'il évitait de trop rapprocher les autres de sa vie privé, pour leur éviter des déboires malencontreux. Il observait donc son collègue en coin, clopant sans stress, et oui, il avait poser son cul sur sa voiture. Fallait qu'il se détende le Katsura sensei, son capot c'était pas de la guimauve, il allait pas passer à travers et puis les amortisseurs semblaient bien tenir. En même temps, si ça n'avait pas été le cas, ça se saurait vu sous plus de quatre vingt cinq kilos de masse.

Puis vient le passage où il lui écrit dans la main comme une brute. Il ne voit pas son collègue loucher sur sa main, trop affairé à récupérer tout son bordel, l'ordi sous le bras, la clope au bec, et la caisse d'outils. Il se décale quelques mètres plus loin, ouvre un coffre d'une vieille bagnole bleue métallisé, un coupé sport à l'ancienne totalement retapé. Puis il fait demi tour et attrape les pièces détachées.

« ça marche. Je noterai ça. Allez, j'dois récupérer ma fille à l'école, je vous laisse. Un conseil, pensez à vérifier qu'elle fuit pas une fois par semaine. Sinon un jour, vous allez vraiment retrouver la gueule dans un fossé sans rien comprendre. Et pour les cours de sport, vous m'appelez de toute façon dès vous voulez vous y remettre et on verra ce que je vous ferai endurer. "

 Le sourire qu'il afficha pouvait foutre froid dans le dos, surtout vu le regard amusé qu'il lui laissait voir, du style « vas y viens me voir, tu vas perdre dix kilos de graisse en un mois et en prend quinze en muscles, mais tu vas en chier ma poule. » La verité c'est qu'il aimait taquiner, mais qu'il était professionnel à fond, donc au fond, Ryu ne perdrait aucun morceau s'il décidait de lui demander conseil.

Il jeta tout son bordel dans le coffre, le ferma sans délicatesse, s'essuyant de nouveau les mains, puis ouvrit la portière, lui faisant un signe de deux doigts du front vers le ciel en signe de Ciao. En quelques minutes le grand brun avait quitté le parking. Les roues avaient crissé sur le goudron chaud, l'ordi sur le siège coté passager. Pour Ryu, la journée était peut-être finie mais pas pour Rao.... de toute façon, quand on est parent célibataire, c'est du H24, pas de pause. Et encore, depuis l'arrivée de Loki, ça va, il avait plus de temps pour gérer sa vie, même si l'étudiant avait aussi sa vie, une vie qu'il essayait de ne pas trop entraver non plus, en dépit du fait que le courant passait vraiment bien.

La violence, c'est pas trop mon truc. Enfin, ça dépend. J'ai toujours eu du mal à me retenir de cogner quand je suis en colère, mais je n'ai jamais été bien doué pour le faire. Pas assez de force pour affronter certains mastodontes surentraînés comme mon collègue ci-présent, si on doit expliquer la chose un peu plus clairement, et aller à la salle n'a pas forcément été productif jusqu'à maintenant. Les trois quarts du temps, quand j'y vais, c'est pour me détendre et évacuer en faisant des exercices cardio ou des conneries du genre, pas pour m'allonger sur une table et soulever des poids. Arrêter de fumer m'a un peu remotivé à faire du sport, en plus, même si je ne suis pas certain de tenir cette résolution bien longtemps. À voir avec le temps.

Ouvrant et fermant légèrement la main afin de vérifier qu'elle est encore fonctionnelle après avoir été si brutalement gravée, je réprime une protestation à ce sujet. Finir encastré dans un mur n'est pas dans mes projets alors je vais fermer ma gueule, mais il faudrait qu'il utilise du papier la prochaine fois, ou qu'il soit plus doux ; j'ai besoin de mes mains pour bosser... Et pas que pour ça d'ailleurs. Enfin, il a réparé ma voiture, j'imagine que je n'ai pas trop de commentaire à lui faire sur la main qu'il a failli casser. Allez, j'exagère, mais il n'a aucune douceur ce type ! C'est pas si important.

«  J'ferai ça. » Hochant un peu la tête, je m'approche un peu plus de ma propre voiture avant d'ouvrir la portière et poser mon ordinateur sur le siège passager. «   Passez une bonne journée !  »

Inutile d'épiloguer sur tout ça, il doit avoir compris que je l'appellerai en cas de nécessité ; c'est pas comme si j'étais un héros, de toute façon, et comme je n'ai pas énormément de force physique, ses conseils pourraient vraiment m'aider, sans compter que je cherche un peu trop la bagarre pour mon propre bien lorsque je suis ivre et qu'on me titille un peu trop. Un commentaire déplacé et je pars en vrille, c'est quasiment inévitable. Si je pouvais éviter une fin de soirée sanglante, un jour ou l'autre, ça serait on ne peut plus bénéfique pour moi. En attendant, il ne me reste qu'à rentrer chez moi et réfléchir à tout ça, histoire de ne pas m'éterniser sur ce campus de merde et de risquer de me faire héler par un étudiant à qui je n'aurais pas envie de parler, ou par Yun Hua, comme j'ai vraiment la poisse depuis quelques temps.

J'adresse un dernier salut à mon collègue et j'embarque définitivement dans mon véhicule afin de rejoindre mon appartement, déterminé à profiter de ma fin de journée pour prendre un peu de temps pour moi et me reposer, même si je n'exclus pas l'idée de sortir un peu, histoire de ne plus penser à tout ce qui me préoccupe. Et boire, encore. C'est toujours plus facile dans ces cas-là.

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