ranchement, j'aurais dû filer me réfugier sous ma couette après les cours ce jour-là. Certes, je me serais encore morfondue sur ma situation franchement merdique, je me serais encore posée des tas de questions existentielles qui seraient restées sans réponse et j'aurais fini par m'enfiler un pot de glace en regardant un drama bien mielleux, au point que je me trouverais pathétique. Mais au moins, ça m'aurait évité de me trouver dans ce genre de scénario complètement givré. Non contente d'avoir soudainement rendre mon repas dans les toilettes de Ryû, même si je m'en suis sortie brillamment quand même, voilà qu'il faut que je tombe face à ses parents une fois sortie de la salle de bains. Ma première pensée ? J'ai envie de disparaître sur le champ, je peste intérieurement de ne pas avoir hérité d'une cape d'invisibilité comme Harry Potter ou de ne pas avoir le don de me téléporter. N'importe quoi qui pourrait me permettre de ne pas faire face à monsieur et madame Katsura avec un air complètement abruti et incompréhensif, tel un poisson qu'on aurait sorti de son petit bocal bien paisible. Je sais bien que j'ai l'air d'une idiote finie à rester plantée là sans bouger, sous le choc de la vision des deux parents qui viennent rendre visite à leur fils, ce qui est tout à fait naturel, ils auraient juste pu le faire quand je ne me trouvais pas sur place. Comment on va pouvoir gérer ça maintenant ?

Non seulement il faut que je me trouve piégée dans ce traquenard, mais comme si cela ne suffisait pas, voilà qu'un fantastique quiproquo s'installe dans ce joli tableau. Mi ? Ai-je vraiment l'air d'être une blonde qui sourit à tout bout de champ avec des airs mignons à souhait, qui frôlent parfois l'énervement ? En même temps, si la question se pose, c'est qu'ils ne l'ont jamais vue, et ce pas même en photo, puisqu'il faudrait avoir une myopie assez sévère pour se méprendre sur la question. Je suis sur le point d'ouvrir la bouche pour clarifier la situation, sans même savoir quoi dire en fait, mais je me ravise en apercevant le grand sourire que m'adresse Ryû, chose vraiment flippante étant donné les circonstances. Évidemment, je comprends que c'est un sourire qui m'invite à ne rien dire et à jouer le jeu, sauf que moi je n'ai pas du tout, mais alors pas du tout envie de jouer les petites-amies modèles devant ses parents. Pardon, mais je viens de rendre mes tripes, ce n'est pas le moment  de me demander d'improviser un rôle pour lui sauver la mise. Oui, enfin je ne peux pas envoyer balader sa mère quand cette dernière me saisit la main et me sourit comme si j'étais la personne la plus merveilleuse qu'elle ait jamais rencontrée. Ouah, ils doivent vraiment être désespérés que leur fils finisse par trouver une copine.

J'affiche un sourire en réponse, mais honnêtement, on peut voir si on n'est pas dupe que c'est un sourire qui signifie que je suis clairement mal à l'aise et que j'ai plus envie de me tirer une balle qu'autre chose. Qu'est-ce que je suis censée lui répondre au juste ? Moi aussi je suis contente de vous voir sauf que je suis pas Mi ? Sans compter que sa réflexion sur sa tenue me laisse un peu perplexe, est-ce qu'elle a vraiment remarqué comment j'étais vêtue au juste ? Aux dernières nouvelles, les fringues trop grandes de Ryû ne sont pas non plus ce qu'il y a de plus élégant pour recevoir ses supposés futurs beaux-parents. Argh, rien que l'expression elle-même me fait froid dans le monde, je vais défaillir. Vite, je dois répondre quelque chose avant de tomber sur le canapé, abattue par le poids de la débilité de la scène.

« On ne vit pas ensemble, je m'empresse de préciser, ce qui n'est pas un mensonge, d'autant que Mi vit à côté et par conséquent, pas chez Ryû, je suis juste de passage, j'explique en jetant un vif regard meurtrier vers Ryû, mais c'est un plaisir de vous rencontrer également !, voilà premier mensonge, je n'ai rien contre eux, mais on ne peut pas dire qu'en l'occurrence, ce soit vraiment un plaisir, vous voulez quelque chose à boire peut-être ? »

Classique comme échappatoire, je sais. C'est que j'ai mon idée en tête et à vrai dire, je fais à peine attention à ce qu'ils me répondent, me dirigeant vers la table basse pour rassembler assiettes et couverts. Objectif : atteindre la cuisine pour sortir quelques minutes de ce guet-apens de fou. Je modifie donc mon expression agacée que j'avais lorsque je leur tournais le dos en un sourire radieux à leur intention, quoiqu'un peu crispé encore. C'est plus fort que moi, j'ai des envies de meurtre à cet instant, mon jeu ne peut pas être parfait.

« Tu viens m'aider à préparer ça Ryû ?, je demande d'un ton horriblement doucereux, avec un regard qui signifie néanmoins qu'il n'a pas intérêt à dire non. »

De toute façon, comme je n'ai pas suivi ce qu'ils veulent à boire, il s'en chargera. Voilà, ça lui apprendra à me faire des plans pareils. Une fois dans la cuisine, je pose mon fardeau sur un plan de travail puis pars à la rechercher d'un Tupperware, afin d'y mettre les restes de notre repas, puisque personnellement, cette visite surprise m'a coupé l'appétit. Ce qui ne m'empêche pas de vouloir mettre les choses au clair avec le brun, pendant que papa et maman Katsura ne sont pas dans les parages.

« Je peux savoir à quoi tu joues ?, je l'attaque en chuchotant, sur un ton trahissant néanmoins mon agacement, j'ai l'air d'avoir une tignasse blonde et d'avoir un sourire mignon frôlant les lois de la nature humaine ? Enfin, qu'est-ce qui t'a pris, t'es complètement malade! »

Vraiment, je fais de mon mieux pour ne pas claquer les portes des placards que j'ouvre à la recherche de ce fichu Tupperware, mais j'ai du mal. Juste quand je viens le cœur rempli de bonnes volontés pour dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, voilà que monsieur veut me faire mentir effrontément devant ses parents. Je lâche un soupir, ayant enfin trouvé l'objet de mes convoitises, tandis que monsieur s'occupe des boissons.

« Je comprends que tu veuilles pas leur dire la vérité franco, vraiment, je reprends en effectuant le transfert de la nourriture des assiettes dans le Tupperware, mais franchement, là c'est un peu fort, non ? Tu as pensé à ce qui passera le jour où Mi voudra rencontrer tes parents ? Alors trouve quelque chose, n'importe quoi mais je vais pas jouer les copines modèles devant eux indéfiniment. »

En résumé, s'il ne leur dit pas, moi je vais finir par leur avouer que non je ne suis pas Mi, je ne suis pas non plus la petite-amie de leur fils, mais je ne me vois pas non plus leur expliquer que je suis la pauvre fille qu'il a mise accidentellement enceinte. C'est trop compliqué en fait. Sur ce, je place le Tupperware dans le frigo et, pestant intérieurement, je me saisis du plateau de boissons que Ryû a préparé et me dirige de nouveau dans le salon, armée de tout le courage dont je dispose, laissant le brun réfléchir à la situation. Rien que de me trouver face à ses parents me rend mal à l'aise, je me vois mal réussir à les convaincre pendant tout ce temps que je suis bien la petite-amie modèle qu'ils sont si heureux de voir. Allez Yun Hua, tu as survécu à un enlèvement, un père psychopathe, tu peux bien gérer les parents de Ryû, non ?

es parents ont toujours été absolument adorables. Attentionnés, affectueux, sans doute le contraire du père de Yun Hua, si j’en crois ses dires de l’autre soir, mais ce n’est évidemment pas la question pour l’instant. Le véritable problème est de savoir si, oui ou non, ils ont compris que quelque chose était bizarre avec la jeune femme qui se trouve comme par hasard dans mon appartement au moment où ils arrivent. Oui, parce que ça doit leur sembler étrange qu’une parfaite inconnue se trouve chez moi à cet instant, non ? Peut-être pas, si l’on réalise qu’ils n’ont jusqu’à maintenant jamais rencontré Mi et qu’ils sont simplement au courant, en partie, de l’évolution de notre relation. D’ailleurs, je réalise que Yun Hua n’est pas au courant, elle non plus. Un autre problème épineux à résoudre.

Malheureusement pour moi, la situation se complexifie lorsque mon père demande s’il s’agit justement de Mi. Oh non, Mi m’évite depuis notre retour de Vegas et ce mariage dont je n’ai pas encore osé lui reparler. Faut dire que je suis totalement débile aussi. Si j’avais su que Yun Hua était encore enceinte, ce voyage n’aurait jamais eu lieu et… et quoi, au juste ? J’aurais fait une croix sur tout ce que j’avais pour l’aider ? J’ai un peu de mal à répondre à cette question moi-même, mais j’imagine que ma décision serait allée dans ce sens, oui… Enfin, ce n’est pas comme si je pouvais revenir dans le temps comme on rembobine une cassette audio, ce serait trop facile.

Je suis soulagé quand Yun Hua répond à mes parents, moins à la vue du regard qu’elle me lance un instant plus tard. J’ignore si elle a l’intention de me tuer, là, tout de suite, mais ça n’a rien de rassurant. Je souris un peu quand elle propose à boire à mes parents, presque satisfait de cette diversion, mais le ton qu’elle utilise ensuite ne me plaît pas, mais alors pas du tout.

« Un café pour moi et un thé pour ma femme, s’il vous plaît. » répond mon père en souriant chaleureusement à Yun Hua avant d’échanger un regard avec moi. « Ryû a l’habitude. »

Oh oui, et si vous voulez mon avis j’ai un peu trop l’habitude de ces yeux là également : Katsura Dan connaît bien trop son fils et a compris qu’il y avait anguille sous roche. J’ai presque envie de m’enterrer, là, tout de suite, mais je crois que l’idée est mauvaise. En plus, j’ai la désagréable impression que Yun Hua va se faire ce plaisir une fois que nous aurons rejoint la cuisine et qu’elle m’aura abattu à coup de cuillère.

Et y retourner me prend bien moins de temps que je ne l’aurais espéré, malheureusement. Un soupir agacé m’échappe alors que je rejoins le meuble où je range habituellement le café et que j’allume la bouilloire pour le thé. C’est elle qui est malade, c’est pas possible, quoi. D’où elle m’agresse ?

« De quoi, qu’est-ce qui m’a pris ? » Je fronce les sourcils et m’énerve un peu plus en réalisant qu’elle m’accuse. « Mais… C’est quoi ton problème ? »

Oh bah oui, j’ai clairement envie de la comparer à Mi, tiens, j’ai vraiment besoin de ça maintenant ! Franchement, j’aurais envie de lui en coller une bonne, là, tout de suite, mais il paraît qu’il ne faut pas avoir ce genre de comportement envers les femmes. Mais elle la mériterait vraiment, là ! Je m’appuie un peu plus longtemps sur le plan de travail de ma cuisine, me rapprochant difficilement de mes béquilles pour les récupérer et faire le chemin inverse afin de rejoindre le salon où mes parents semblent avoir discuté tranquillement en mon absence.

« Tu aurais pu nous tenir au courant pour cet accident, Ryû, au lieu de nous laisser mariner comme ça ! » déclare-t-elle quand je m’installe sur le canapé, posant mes béquilles à côté de moi. « Nous étions morts d’inquiétude ! »

Suffisamment pour décider de venir me voir aussi tard, visiblement. Je pousse un profond soupir comme réponse, sous le regard inquisiteur de mon père qui, une fois de plus, reste silencieux, comme s’il souhaitait obtenir des réponses à ses questions sans avoir à les poser.

« Ryû, tu es sûr que tout va bien ? »

Parfaitement bien, nickel. Ma vie est un vrai foutoir, mais tout va bien. Je ferme les yeux pendant quelques secondes suite à cette question que je sentais venir depuis le début et, après un moment, je reprends la parole.

« Ce n’est pas Mi ; elle habite à côté. » De toute façon, Yun Hua leur a déjà dit qu’elle était de passage, alors bon. « C’est… C’est compliqué. »

Et je ne sais pas trop si je peux en parler, pas même à mes propres parents. Je sais, après tout, que ma mère a toujours été profondément fière de moi, qu’elle m’a toujours vu comme un homme accompli, ou sur le point de l’être, même lorsque j’étais au plus bas. Sans doute avait-elle simplement peur d’admettre la vérité, que j’étais totalement au fond du trou et que je n’arrivais pas à remonter. Tout ça pour une histoire de cœur qui a tourné au vinaigre. À croire que j’ai la poisse pour de vrai.

« Mais encore ? » Je ferme les yeux à cette question, incapable de répondre exactement. « Si cette fille n’est pas Mi, alors ? »
« Elle s’appelle Yun Hua, elle était avec moi pendant le camp de vacances. C’était mon binôme. »

Et elle est certainement furibonde, mais je préfère éviter d’en reparler avec elle dans l’immédiat, mais au moins je n’ai pas menti, cette fois-ci. Sérieusement, j’ai pas envie de parler de toute cette histoire maintenant, vraiment. Pourtant, je sais que mon père s’attend également à ce que j’explique la situation, alors je ne perds pas trop de temps.

« Mi me fuit un peu ces temps-ci, enfin c’est compliqué. Je t’expliquerai plus tard si tu veux. »

Et la raison pour laquelle je pose mon regard sur mon père à cet instant est bien claire à mes yeux : je n’ai pas envie d’en parler à ma mère et encore moins à Yun Hua. Elle n’a pas besoin de savoir que j’ai été suffisamment con pour épouser Mi sur un coup de tête. Certes, il faut faire valider l’acte pour lui donner une valeur, si j’ai bien tout compris, mais… Non, vraiment, je suis suffisamment con pour y réfléchir encore ? Le dilemme est réel, mais j’ai l’impression qu’en discuter avec Mi relève du miracle, encore plus pour l’instant.

« Je sais qu’on ne demande pas ça, normalement, mais puis-je demander votre âge ? »

J’aurais du prévoir le coup fourbe de ma mère qui, profitant du peu d’intérêt que je lui porte à l’instant, a reporté son attention sur Yun Hua. Comme quoi j’ai vraiment la poisse.

ien évidemment que je suis consciente que Ryû n'a pas explicitement affirmé que j'étais Mi ou que c'était son idée de créer un tel malentendu. Mais le simple fait qu'il ne l'ait pas nié suffit pour me mettre hors de moi, je veux dire, pourquoi ne s'est-il pas empressé de démentir ? Ce sont ses parents, pas les miens, ce n'est pas à moi de mettre les points sur les i dans cette affaire. Le simple fait qu'il se soit contenté de me sourire comme pour m'inciter à aller dans leur sens m'a énervée, je sais bien que ma présence n'est pas vraiment opportune pour le coup mais ça ne veut pas dire que je suis prête à faire n'importe quoi pour le sauver de ce schéma de dingue, y compris jouer sa petite-amie qui habite juste à côté. En vrai, je sais au plus profond de moi, là où j'admets également que mon comportement à son égard était loin d'être irréprochable depuis le début mais chut, que ce n'est pas sa faute et que je me suis énervée à tort contre lui. A vrai dire, la seule raison qui me pousse à passer mes nerfs sur lui une fois que nous sommes seuls dans la cuisine, c'est que je suis terrorisée. Oui, il aura suffi de ramener les parents Katsura pour que avoir un sacré coup de stress et mon estomac peut volontiers se porter témoin. Alors voilà pourquoi je compte sur Ryû pour prendre les choses en moi, parce que moi à part rester immobile et faire de mon mieux pour éviter de croiser leur regard, je ne sais pas bien quoi faire.

Heureusement, monsieur se décide enfin à revenir sur scène après que j'ai apporté comme il se doit le thé et le café que ses parents avaient demandé, m'efforçant d'afficher un air aussi sympathique que possible. Cela dit, son père ne tarde pas à remarquer que quelque chose le tracasse, à croire qu'il lit dans ses pensées, je vous jure c'en est presque flippant, et voilà que Ryû se décide enfin à reconnaître que non, je ne suis pas sa blonde adorée si charmante contrairement à ce qu'ils pensaient. Et compliqué, c'est le moins qu'on puisse dire pour résumer les choses, même si je suis consciente que ce n'est sûrement pas le moment de faire preuve de sarcasme, c'est assez délicat pour lui de leur exposer qui je suis sans les faire sauter au plafond sous le choc.Même si je sais pertinemment qu'il ne va peut-être pas leur dire la stricte vérité et je ne lui en voudrais pas pour cela, je comprends tout à fait que ce ne soit pas le genre de choses qu'on avoue spontanément à ses parents. Surtout après l'avoir appris soi-même quelques minutes auparavant, ahem.

Franchement, je dois me faire violence pour que mon sourire amusé ne se transforme pas en rire. Binôme du camp de vacance ? Pas mal, je n'y aurais pas pensé à vrai dire mais je suppose que c'est ce qu'il peut dire de mieux pour que ça ne puisse pas prêter à confusion. Et ce n'est pas un mensonge à proprement parler, disons simplement qu'il a omis quelques détails et ça ne me dérange en rien. Si ça peut éviter à son père et à sa mère de me lapider sur place, ça me convient, parce que ne les connaissant pas, j'ignore la façon dont ils réagiraient s'ils apprenaient la vérité. En revanche, quelle n'est pas ma surprise d'apprendre que tout ne se passe pas au mieux dans le meilleur des mondes entre lui et Mi. Enfin je veux dire, évidemment que ça ne peut pas être tout rose depuis que je viens de débarquer pour lui annoncer que le bébé ne s'était pas évaporé, mais il semblerait qu'il se soit passé quelque chose même avant cela. Et j'ai beau arqué un sourcil pour témoigner de ma surprise et jeter à Ryû un regard insistant, il n'est pas décidé à en dire davantage. Mouais, mon petit doigt me dit qu'on encore bien rire tiens.

Par contre, je ne m'attendais vraiment pas à un tel retour de bâton. Comment ça quel âge j'ai ? Depuis quand est-on passé à la phase d'interrogatoire au juste ? Je sais bien qu'il y a une différence d'âge assez conséquente entre Ryû et moi, ce qui n'arrange pas nos affaires d'ailleurs, mais je ne pensais pas qu'il était écrit sur ma tête que j'étais une gamine à peine sortie de l'adolescence. Je fais vraiment si jeune ? Et vlan, nouveau coup à ma fierté qui n'est pas sans me rappeler qu'en effet je suis beaucoup trop jeune pour tomber enceinte et m'occuper d'un enfant. J'essaie rapidement de sonder l'avis de Ryû quant à ce que je dois répondre mais n'obtenant aucun signe clair de sa part, je me résous à répondre, en toute franchise, ou presque.

« Vingt-ans, je réponds spontanément en essayant de ne pas me démonter, j'étudie à la fac de la Royal mais je suis en arts, aucun rapport avec Ryû, je m'empresse de préciser en faisant de grands gestes négatifs des mains, on a juste sympathisé pendant le camp de vacances c'est pour ça, y'a pas de vrai lien formel entre nous. »

Et oui j'élude complètement le fait que j'ai assisté secrètement à plusieurs de ses cours juste par sa bonne volonté et non le fait qu'on ait sympathisé au camp de vacances n'est pas complètement un mensonge. Je rappelle tout de même que c'est à ce moment-là qu'on a commencé à parler de nos problèmes respectifs, donc c'est en partie la vérité. On se débrouille comme on peut, je n'ai pas vraiment envie de m'engager sur le terrain relation élève/professeur de toute façon. Après tout, officiellement il n'est pas mon professeur, on aurait du mal à faire le rapport entre un cours d'informatique et un cours de dessin, non ? Dessin. Mais oui. Comme une illumination divine, voilà que je viens de trouver un argument imparable pour expliquer l'objet de ma présence ici, parce que oui ce n'est toujours pas réglé et en soi, même si ce n'est pas mon professeur attitré, ça peut paraître bizarre.

« Ah et ne vous méprenez pas, je reprends, alors que c'est justement mon souhait, qu'ils se méprennent complètement sur la raison de ma venue ici, je suis passée lui demander conseil pour quelque chose et il m'a gentiment proposé de rester un peu pour ne pas repartir sur la pluie. En fait, on a eu un projet un peu bizarre en cours de dessin, je ne sais pas tu as dû avoir un problème avec ma prof, j'expose en m'adressant à Ryû, en fait, elle voulait qu'on prenne Ryû comme sujet pour un projet. Je venais simplement lui demander son avis sur ce que je comptais faire. »

Je crois que je ne bénirai jamais assez madame Maeda de nous avoir donné ce projet, parce que pour le coup, cela me fournissait un argument en béton. Sans compter que j'ai encore mon carnet de croquis dans mon sac et que je peux donc leur fournir une preuve concrète de ce que j'avance s'ils le désirent, on peut souffler un peu. Enfin, si le père de Ryû veut bien arrêter de me regarder comme s'il me passait aux rayons X.

a perspective d’annoncer à mes parents que leur fils a réussi à mettre enceinte une étudiante parce qu’il a de graves problèmes d’alcoolisme n’est pas une chose vraiment agréable, si vous voulez mon avis. Après tout, qui aurait envie de décevoir ses géniteurs, hein ? Je crois que je fais assez de dégâts pour l’instant, niveau déception des gens ; entre Roy, Mi et maintenant mes parents, j’ai assez donné. Je n’étais pourtant pas comme ça, avant, j’étais quelque de plutôt normal, capable de gérer ses soucis et sa vie avec à peu près assez de réflexion pour ne pas laisser tout partir en couilles, pardonnez-moi l’expression, mais cette faculté semble m’avoir quitté au moment où Hikari est partie. Comme quoi elle a emmené beaucoup plus que mon argent avec elle lorsqu’elle m’a abandonné. Il suffit d’oublier, qu’ils disent, mais je doute que ça soit aussi facile, pas après quatre ans et demi de relation, pas alors que l’on a été heureux et sur le point de s’engager sérieusement avec une personne. À l’époque, je n’aurais jamais cru que ma vie prendrait un tour pareil, mais j’imagine que c’est justement pour ça qu’on dit que l’existence n’a rien d’un long fleuve tranquille. C’est plutôt un sentier semé d’embûches et sur lequel on s’arrête plus souvent qu’on n’avance, ou du moins dans mon cas.

Et d’avancer, il est clairement question aujourd’hui, ce soir même. Je ne m’attendais pas à voir mes parents arriver, mais je n’ai pas le choix de discuter avec eux maintenant qu’ils sont devant nous et semblent avoir toujours plus de questions à poser. Cela pourrait être jouable si mon père ne m’observait pas avec tant d’instance, comme s’il cherchait à savoir tout, absolument tout ce que je pense. Il me connaît tellement bien que je serais incapable de lui mentir, même si je le voulais, et c’est précisément ce qui me met mal à l’aise alors que la conversation avance et que je me retrouve à leur expliquer qui Yun Hua est pour moi et que je cherche une justification crédible à sa présence ici. Je ne peux pas leur expliquer qu’on a couché ensemble, ou plus exactement je n’en ai pas envie, et pour ce qui est de ce sentiment horrible de culpabilité qui me prend au moment où mon père repose les yeux sur moi, j’ai simplement envie de m’enterrer, encore. Mais je ne peux pas, ce n’est pas en fuyant que je parviendrai à devenir quelqu’un de respectable, pas vrai ? Dans le pire des cas, ce sont mes parents, pas des juges, et encore moins mes patrons. Il faut que je me ressaisisse. Et que mon père cesse de m’observer.

Je pose les coudes sur mes genoux, entourant mon nez de mes mains jointes alors que j’essaie de reprendre mes esprits pour ne pas dire n’importe quoi, toujours troublé par le regard que mon géniteur lance en ma direction, sans cesser d’écouter Yun Hua qui répond à la question étrangement dérangeante que ma mère vient de lui poser. Dieu ce que j’aimerais m’enfuir, partir loin d’ici, retourner à Vegas, retourner sur cette foutue île où tout allait bien, où je n’avais pas à me demander si Mi me fuyait ou si elle n’avait tout simplement pas le temps de venir me voir ; revenir cinq ans plus tôt, quand Hikari et moi filions encore le parfait amour et que je venais de la demander en fiançailles.

« Oh, je vois…  » Ma mère ne semble pas vraiment convaincue, bizarrement, mais j’imagine qu’elle doit trouver ça bizarre. «[color:4e04= hotpink] J’aimerais avoir encore vingt ans. »
« Quand tu avais vingt ans, tu ne me connaissais pas encore ! »

Le commentaire de mon père m’arrache un léger sourire. Je le reconnais bien là, à rappeler sa présence et leur union. Dans un sens, c’est assez drôle, mais je ne suis pas moins embêté par la situation, car je remarque vite, alors que je m’en amuse un peu, que le regard de mon père est toujours planté sur moi. Qu’il arrête. Vraiment, qu’il se concentre sur autre chose, comme sur le mensonge que Yun Hua vient de leur dire, par exemple.

« Je n’imaginais pas que tu aimais le camping, Ryû. »

Oh, je déteste ça. La nature, les endroits sans wi-fi, sans électricité, sans console, ce n’est clairement pas mon truc et ce fourbe le sait parfaitement. Je retiens un profond soupir à cette pensée et me redresse un peu pour essayer de reprendre contenance. Il faut que je me calme, que je me focalise sur quelque chose qui ne soit pas ce foutu mensonge, sur cette situation plus que complexe que j’ai créée en laissant Yun Hua rester ce soir alors que mes parents allaient arriver et que je n’en avais aucune idée. Putain de merde, pourquoi je me fourre toujours dans un pétrin comme ça ?  

« Nous méprendre ? » Reprend-t-il alors, visiblement amusé, distrait dans son interrogatoire visuel par les paroles que Yun Hua vient de prononcer. « Il n’y a pas de méprise, même si le fait que vous portiez les vêtements de mon fils pourrait laisser croire des choses. »
«   Papa, c’est juste qu’il pleut et que je… »

Je grimace un peu à cette réflexion, constatant que ma mère ne l’a pas manquée, et je me sens encore plus mal qu’auparavant. En plus, pour ne pas rendre les choses plus difficiles – ironie quand tu nous tiens – mon père a recommencé à m’observer. Il sait. Je suis persuadé qu’il sait que quelque chose est bizarre entre Yun Hua et moi, et le fait que je n’aie même pas eu le courage de relever les yeux vers elle quand elle s’est adressée à moi a du lui mettre la puce à l’oreille.

«  Papa, maman… » Je sais que Yun Hua va me détester. Je le sens. C’est d’ailleurs après un regard furtif dans sa direction que je décide de reprendre la parole. « Yun Hua est enceinte. »
«  Oh ! » L’expression de ma mère me laisse clairement comprendre qu’elle n’a pas saisi l’ampleur de la situation, le silence de mon père, en revanche, m’inquiète terriblement. « Vous êtes venue lui demander conseil à ce propos ? Vous savez, Kasahara Roy (il travaille dans la même école, vous devez forcément le connaître) est déjà papa, il aurait pu vous aider. »

Ma mère fait partie de ces personnes qui ont un bon souvenir de leur grossesse. Elle n’a pas vraiment eu de complications, sans doute parce qu’elle avait vingt-six ans quand elle était enceinte de moi, mais elle n’a visiblement pas compris que Yun Hua n’était pas simplement venue demander conseil à un professeur au sujet de sa grossesse… Je pousse un profond soupir, cherchant comment expliquer la chose alors que mon père, de son côté, se contente de nous observer en silence.

eureusement que les parents de Ryû prennent plaisir à intervenir entre mes différentes explications, honnêtement, je dois avouer que cela détend un peu l'atmosphère et me conforte dans ma démarche de broder au maximum pour que mon histoire ait l'air crédible. Je dis bien « ait l'air » parce que honnêtement, il suffit de nous observer tous deux pour voir qu'il y a un profond malaise dans l'air, sans compter que j'aimerais coûte que coûte prendre mes jambes à mon cou. Si la pluie ne battait pas encore son plein à l'heure qu'il est, je crois que je serais immédiatement partie en laissant Ryû en tête à tête avec eux, ç'aurait été beaucoup plus commode pour moi, et aussi pour lui peut-être. Il n'en demeure pas moins que les réflexes, ô combien sensées, de son père manquent de me faire tressaillir par deux fois. D'abord, parce qu'il ne lui a pas échappé que son informaticien de fils ne raffole généralement pas de camping et ensuite, parce que malgré tout, le fait que je sois présentement vêtue des habits de Ryû peut porter à confusion, même bien davantage que la réalité elle-même. Ce qui ne présage donc rien de bon, je ne sais pas, son père a dû être agent secret dans une vie antérieure, il a une façon de dévisager les gens qui donne l'impression qu'il est capable de lire dans les pensées. Ce qui explique sans doute pourquoi Ryû finit par craquer.

C'est plus fort que moi, je claque la langue contre mon palais, agacée de voir qu'il suffit d'un regard de papa Katsura pour que Ryû confesse que je suis enceinte. Heureusement qu'on ne l'a jamais interrogé pour avoir des informations top secrètes, il avouerait tout en moins d'une heure,s'il rassemble toute sa volonté, sinon en dix minutes l'affaire est pliée. Tout ça pour ça donc ? Soit, il a tout de même oublié l'élément essentiel et déterminant dans l'affaire à savoir plus exactement que je suis enceinte de lui. Et bien entendu, il faut que sa mère ne le déduise pas immédiatement, pour ce qui est de son paternel, je ne sais dire s'il a tilté, mais quand elle me demande si je suis venue le voir pour lui demander conseil à lui, je manque de tomber des nues et de m'écrouler par terre. Sérieusement ? Il faut vraiment que je fasse la liste des raisons pour lesquelles jamais, jamais, jamais je ne me serais dirigée vers Ryû si j'étais tombée enceinte de quelqu'un d'autre ? Non, franchement, je n'ai pas le temps pour ça, ça serait trop long, mais sa naïveté m'afflige à un point que je me sens presque désolée pour elle. Entre ce qu'elle croit connaître de son fils et ce qu'il est réellement, il doit y avoir un gouffre aussi immense que l'océan Pacifique sépare l'Asie de l'Amérique.

« Tu aurais pu dire ça plus tôt avant de me laisser dans ma piètre tentative d'arrondir les angles, je sors avec une ironie prononcée – je ne peux pas me retenir, là c'est trop – à l'intention de Ryû, avant de reporter mon attention sur sa mère, en croisant les bras, et non pas vraiment, désolée si ça vous choque, mais Ryû est bien la dernière personne à qui je demanderais conseil pour ça, j'explique avec une légère grimace, j'exagère à peine, Dakota occupe la dernière place avec brio et il est à mon sens indétrônable, le truc c'est que je suis enceinte… De lui. »

Voilà, monsieur a voulu jouer la carte de la franchise, allons-y jusqu'au bout. Maintenant s'ils ne saisissent toujours pas, c'est qu'ils ont un sérieux problème de compréhension, je n'y peux rien. De toute manière, maintenant qu'on y est, je ne vois pas bien comment on aurait pu faire pour leur expliquer la chose sans qu'ils sachent que leur fils chéri est directement impliqué dans l'histoire. J'imagine que ça doit les choquer oui, ce ne doit assurément pas être la même chose que d'apprendre qu'il a une petite-amie fantastique. Tout ce que j'espère c'est qu'ils ne vont pas faire une scène comme tous les parents dans les dramas qui s'indignent d'un tel comportement, en invoquant de grands principes moraux à la noix qui n'ont jamais voulu dire grand-chose à mes yeux. Je me demande s'ils savent que Ryû a un léger souci avec l'alcool du fait du contrecoup de sa rupture avec sa fameuse ex. Bon, on ne va pas non plus semer la pagaille plus que nécessaire, même si je ne vois pas pourquoi je devrais me montrer indulgente avec lui.

« Avant que vous vous posiez la question, c'était avant qu'il soit avec Mi et c'était une erreur, on avait trop bu, me permets-je d'ajouter en haussant les épaules, et j'en suis à six mois, voilà. Maintenant si ça ne vous embête pas trop, je vais aller voir dans le frigo s'il n'y a pas quelque chose de sucré que je peux avaler sans devoir le rejeter dans la minute. »

Sur ce, un immense sourire aux lèvres, je repars en direction de la cuisine pour laisser le loisir à Ryû de se débrouiller en toute honnêteté avec ses chers parents adorés. Je n'ai plus qu'à fouiller le frigo à la recherche de n'importe quelle pâtisserie qui a l'air un minimum comestible, tout en ignorant les miaulements intempestifs du chat, qui souhaite peut-être avoir une part du reste de pâtes.

certains moments, il faut simplement prendre sur soi et accepter de dire la vérité, tout simplement. Tout de suite, ce n’est pas facile, et j’imagine que ça ne doit pas être simple pour Yun Hua non plus, mais ce n’est pas comme si nous avions véritablement le choix, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que je pourrais inventer à mes parents ? Que croiraient-ils ? Ma mère serait certainement plus facile à convaincre que mon père, mais je n’ai franchement pas le courage de leur mentir. De toute façon, ils sont au courant de beaucoup de choses à mon sujet : ma rupture avec Hikari, mon addiction à l’alcool, bien que ma mère se soit arrêtée au moment où j’ai commencé à remonter la pente et où je ne buvais plus vraiment, mais la grossesse d’une étudiante de ma faute n’est pas vraiment dans le cadre des choses que j’aurais envie de leur avouer. Pourtant, comme pour confirmer mes pensées précédentes, j’entends la voix de Yun Hua qui affirme et confirme ce que je souhaiterais que mes parents ignorent. Oui, ce bébé est de moi. De nous, à vrai dire, mais je pense que mes parents seront largement plus préoccupé par la vie de leur fils que par celle d’une parfaite inconnue.

Le soupir que mon père pousse à cette annonce brise le silence qui s’est installé dans la pièce lorsque Yun Hua l’a quitté. À part ça, rien, juste le bruit qu’elle fait dans la cuisine et les miaulements du chat, tandis que les regards de mes parents restent posés sur moi. Qu’est-ce que je peux leur dire, hein ? Oui, papa, maman, votre fils est un queutard qui a mis en cloque une demoiselle sensiblement plus jeune. La meilleure idée du monde. Je crois que je ferais mieux de me taire, là, tout de suite.

«  Ryû ?  » Je fuis leur regard encore un peu, puis décide de lever les yeux vers mon père, coupable. «  Je peux savoir pourquoi tu ne nous en as pas parlé ? »
« Parce que je pensais que c’était passé.  »
«   Passé ? Mais Ryû !  »
« Elle m’a dit qu’elle avait avorté. Je… Je ne savais pas. »

Et là, tout de suite, j’aimerais beaucoup qu’elle revienne de cette foutue cuisine au lieu de jouer aux fantômes sans rien à se reprocher, parce que j’ai clairement l’impression d’être tout seul dans cette histoire. Je ne suis pas celui qui a pris la décision de garder l’enfant, je ne suis pas celui qui a menti. Certes, j’ai bu. Certes, je l’ai mise enceinte, mais putain de merde, elle a autant à se reprocher que moi, non ? J’ai l’impression que je vais péter un câble d’un moment à l’autre, mais la présence de mes parents me force à prendre sur moi ; je sais que mon père déteste ce genre de choses.

« Yuna-san ? Vous pouvez revenir, s’il vous plaît ?  »

Évidemment… Voilà l’assistante sociale qui parle. Je la sens venir avec ses explications, mais je n’ai clairement pas besoin de ça maintenant.

« C’est Yun Hua, maman, mais ne t’en fais pas, je vais m’en occuper. »
«   J’imagine donc que ta petite amie n’est pas au courant ?  »
« On est mariés… »

Ma voix s’est faite étrangement calme et basse, mais je ne suis pas vraiment heureux d’avoir à expliquer tout ça maintenant. Ce mariage était le choix le plus rapide et le moins réfléchi de ma vie, et peut-être le plus pensé, pourtant. Il paraît qu’il faut faire valider cet acte pour qu’il soit valide, ou du moins c’est ce que j’ai compris, mais… le mariage a quand même eu lieu, pas vrai ? Mi a quand même accepté de me prendre pour époux, moi, Katsura Ryû. Et la simple idée de voir tout ça partir en fumée me rend presque malade. Ça ne peut pas arriver, pas à moi, pas encore. En fait, je crois que je n’ai jamais eu envie de garder quelqu’un à mes côtés à un tel point depuis le départ de Hikari. Je pousse un soupir et ferme les yeux avant de reprendre, voyant que mon père demande confirmation de ce qu’il vient d’entendre.

« Mi est ma femme, en quelques sortes. »

Oui, en quelques sortes, inutile de leur expliquer toute cette histoire avec Vegas. À vrai dire, je pense sincèrement que si Mi ne m’avait pas fui et que Yun Hua n’était pas arrivée pour me signaler que le bébé était toujours d’actualité, j’aurais peut-être fait valider ce mariage et… et voilà, tout simplement.

« Mais ça va aller, je vais gérer cette histoire, je vais… Je vais… Faire quelque chose. »

on je ne crois pas que Ryû doive gérer cette situation tout et non pour la centième fois, il n'est pas le seul responsable de ce qui s'est passé, même s'il en est plus ou moins à l'origine, ça se discute. Là n'est pas la question, monsieur a simplement voulu jouer les grands esprits en révélant la vérité à ses parents après avoir voulu dans un premier temps essayer de leur cacher la chose, qu'il se débrouille désormais pour agir en conséquence, moi je n'arrive plus à suivre. Je ne sais pas si c'est justement parce que j'en suis à six mois de grossesse et que mes nerfs commencent à se fragiliser mais c'est trop tordu pour mon esprit, je ne peux pas m'adapter indéfiniment à ses sautes d'humeur, le mieux c'est qu'il les gère tout seul comme un grand. Et le coup du met sucré que je dois trouver n'est pas simplement une excuse pour m'extirper un instant de cette conversation folle, il ne faut pas oublier que techniquement mon ventre est toujours vide, alors imaginez un peu ce que ça tombe quand on sait que je ne suis seule à avoir besoin de manger. Il apparaît donc évident qu'une bonne part de marbré au chocolat, que je trouve dans un des placards, me fera le plus grand bien, aussi bien pour ma santé physique que mentale.

Évidemment, je peste entre mes dents quand j'entends la mère de Ryû m'appeler, ou plutôt appeler une certaine « Yuna ». Non mais sérieusement, je sais bien que l'information est nouvelle mais ce n'est pas si compliqué à retenir, si ? Ah, c'est peut-être la différence de langue, à force de passer mon temps au Japon, j'en oublierais presque qu'à la base, je suis coréenne. Il n'empêche que ça ne manque pas de me mettre encore plus de mauvaise humeur tandis que je sors l'assiette avec la part de marbré ainsi qu'une petite cuillère, me consolant avec le fait que je pourrais au moins savourer ça. Et non, le chat a beau me regarder avec des yeux d'ange larmoyants et miauler avec une douceur infinie, il n'est pas question que je lui donne le moindre bout. En plus, je crois avoir lu quelque part que le chocolat était mortel pour les chats, de quoi me donner bonne conscience dans ma décision. Allez, je m'arme de tout le courage dont je dispose et d'un peu de bonne volonté, histoire de ne pas paraître définitivement exécrable. En plus, Ryû s'est empressé de corriger sa mère, s'il y met du sien, je peux bien faire un petit fort, non ?

Et bien en fait non. Franchement non. Il y a des mots comme ça qui ont le don de faire voler en éclats toutes les bonnes résolutions que vous venez de prendre ou le semblant d'espoir qu'il restait dans votre petit cœur. Dans mon cas, c'est le « mariés » qui vient de me pétrifier sur place, alors que je viens d'entrer dans le séjour. Comment ça « mariés » ? Non, je n'ai pas mal entendu puisqu'il confirme la chose en précisant que oui, Mi est sa « femme ». Sa femme. Oh mon dieu. C'est plus fort que moi, l'assiette m'échappe des mains et explose en mille morceaux au sol, avec le marbré décomposé entre ces derniers. Il me faut quelques minutes pour prendre conscience du désastre que je viens de commettre et pour reprendre mes esprits tout court en fait.

« Oh putain c'est pas vrai..., je lâche, au bord du désespoir. »

C'est bien, comme ça en plus de folle furieuse, je vais être la fille vulgaire aux yeux de ses parents, bravo. Mais on ne peut pas dire, l'ironie du sort est trop forte, j'en rirais presque si les bras ne m'en tombaient pas. C'est génétique de tomber enceinte d'un homme marié ? Non parce que là, j'ai de sérieux doutes d'un coup, étrangement. Je parviens quand même à me baisser pour ramasser les débris de l'assiette et du marbré, dans un silence religieux. Je crois que je n'ai jamais su tenir si bien ma langue dans de telles circonstances, je ne vois pas quoi dire en fait. Il vaut mieux ne rien dire je pense, cela vaut mieux, parce que là, si je commence, je vais finir par hurler et ce ne sera pas en faisant des reproches à Ryû. Ce n'est pas sa faute, il n'y peut rien au fond, il ne pouvait pas savoir et quand bien même, ce n'est pas sa faute si j'ai des antécédents familiaux complètement merdiques. Sur ces sages pensées, les premières depuis plusieurs minutes, je rapporte le cadavre de mon semblant de repas, n'ayant une nouvelle fois plus faim du tout. A croire qu'on essaie de m'envoyer un signe au sujet de la nourriture. Je fais de mon mieux pour ne pas avoir les mains tremblantes mais ce n'est pas évident, et je manque plusieurs fois de refaire tomber tout cela avant d'être arrivée à la poubelle où je jette le tout. Conserver son sang-froid, surtout ne pas craquer.

C'est donc après une profonde inspiration pour garder un minimum de contenance que je reviens finalement dans le salon, faisant de mon mieux pour ne pas avoir l'air d'un fantôme qui se serait perdu. Trop d'émotions pour une seule soirée je crois, il peut-être temps que je retrouve un peu de tranquillité.

« Heu..., je commence, franchement mal à l'aise tout à coup, je crois que je vais y aller. C'est peut-être mieux. »

Non parce que là, je ne peux plus, c'est trop me demander de rester ici à les écouter parler de cette histoire de mariage avec Mi. Je n'ai vraiment pas besoin de ça, oh non. Esquissant un faible sourire, presque éteint, je me dirige alors vers la chambre de Ryû, avec l'objectif de repasser ma robe pour sortir, parce que bon, le t-shirt Kingdom Hearts et le short sous la pluie, ce n'est pas trop ça. Néanmoins, je m'offre le loisir de m'asseoir quelques secondes sur le lit, me prenant le visage dans les mains. Ouah, je ne pensais pas me prendre un tel coup de massue, pas au point de préférer repartir sous la pluie.

i j’avais été au courant que Yun Hua était encore enceinte, j’aurais pris des décisions radicalement différentes. J’aurais agi différemment, réfléchi différemment, et je n’aurais certainement pas fui comme je l’ai fait. Si elle ne m’avait pas menti, je l’aurais aidée autant que possible, tout simplement parce que l’idée d’avoir ruiné la vie d’une autre personne m’est insupportable. Je peux me faire du mal, mais il est hors de question que je blesse quelqu’un dans le processus et que je réduise ses projets à néant. Pourtant, de suite, j’ai l’impression d’être le dernier des connards, et devoir expliquer à mes parents à quel point la relation que j’ai avec Mi a pu évoluer pendant ces foutues vacances à Vegas est sans doute la preuve que je serai incapable d’agir correctement envers l’une ou envers l’autre. Certes, Yun Hua compte faire adopter l’enfant lorsque celui-ci sera venu au monde, mais est-ce que je peux agir comme si de rien n’était envers Mi ? Suis-je obligé d’attendre que le bébé naisse, comme ça, pour savoir quoi faire ? Ce n’est pas comme si je risquais de compliquer les choses, encore. En tout cas, c’est déjà assez difficile à expliquer, et je le réalise alors que je continue à expliquer la situation à mes parents qui semblent assez dubitatifs pour le coup.

Je sursaute et me retourne quand j’entends le fracas derrière moi, réalisant que Yun Hua vient de faire tomber une assiette. Dieu ce que je suis con. Évidemment qu’elle allait l’entendre, et j’imagine qu’avec ses antécédents familiaux, ça ne doit pas l’aider. J’espère au moins qu’elle ne pense pas que c’était le cas lorsque nous avons couché ensemble la première fois. Je me sens encore plus mal, d’un coup, et je cherche du regard l’endroit où j’ai posé mes béquilles en voyant l’étudiante se diriger vers ma chambre après quelques mots, me redressant difficilement quand je les ai retrouvés et que mes parents m’adresse un regard plus que déconcerté, ou du moins est-ce le cas de ma mère, car mon père est clairement en train de douter de mes capacités à rejoindre ma chambre.

« Vous en faites pas pour moi, je vais gérer ça. »

Il le faut, de toute façon. Et il faut que je parvienne à discuter avec Yun Hua sans qu’elle ne fuie, quitte à m’en prendre plein la gueule. Roy me l’a dit : il faut vouloir aller mieux pour y parvenir, et il le faut également pour réussir à résoudre ses problèmes, j’en suis persuadé. Cette grossesse est un problème, ce mariage semble l’être devenu depuis que je suis au courant que la première est toujours d’actualité, et ma seule envie est de parvenir à trouver un moyen de mettre tout ça au clair. Il me faut des solutions, mais je doute que ce soit un problème que l’on peut résoudre seul.

C’est donc sans prêter plus attention à mes parents que je rejoins la chambre et referme la porte derrière moi, à clé, pour éviter que Yun Hua ne s’enfuie d’un moment à l’autre, et que je m’approche du lit pour m’installer non loin d’elle, un soupir traversant mes lèvres alors que je réfléchis à quoi lui dire pour expliquer la situation. Je passe une main dans mes cheveux avant de jeter un regard en direction de l’étudiante, juste après avoir passé quelques longues secondes à regarder le mur qui se trouve à ma droite. Bordel, j’aimerais être Roy. J’aimerais être capable de me débrouiller seul, sans avoir à appeler qui que ce soit, sans avoir à me compliquer la vie pour ça.

« Yun Hua… »

Je ferme les yeux pendant quelques secondes et prends une profonde inspiration, persuadé que j’ai fait la plus grosse connerie de mon existence en en parlant, mais que ça n’aurait pas été mieux si j’avais fermé ma gueule à ce sujet, et je reprends la parole un peu plus tard.

« Je suis désolé. »

Roy ne m’a-t ’il pas dit d’arrêter de m’excuser ? C’est vraiment stupide. Je réfléchis un peu plus avant de me recentrer, et j’entends la porte de l’appartement à l’extérieur de la chambre ; avec ma chance, mes parents sont repartis, comprenant qu’ils avaient suffisamment compliqué la situation qui n’était déjà pas simple. Étrangement, je le souhaite. Je reprends une profonde inspiration, puis me décide à parler ;

« Je ne savais pas que le bébé était encore là, en partant. »

Mais pourquoi je me justifie ? Est-ce que je suis le coupable dans l’histoire ? Coupable d’avoir voulu épouser, même si c’est sur un coup de tête, la femme que j’aime ? Franchement, il y a un problème dans le scénario, alors. Non, je sais que je ne suis pas responsable, mais je m’en veux de ne pas lui avoir dit d’entrée de jeu. J’ignorais juste comment lui expliquer tout ça, et maintenant je me sens plus mal que jamais.

à, je dois reconnaître que je ne sais plus quoi faire ni quoi penser. A part rester immobile, j'ai la désagréable sensation de ne plus pouvoir faire grand-chose en réalité, c'est comme si tout mon corps s'était mis en mode pause à partir du moment où j'ai su que Ryû s'est marié avec Mi. Enfin, l'oppression dévastatrice dans ma poitrine, elle ne s'est pas arrêtée elle, malheureusement. J'ai vraiment du mal à croire que le destin peut être mesquin à ce point, je veux dire, je ne crois pas le moins du monde en ces théories absurdes comme le déterminisme, à savoir que notre futur et ce que nous sommes est directement lié au contexte familial dans lequel on est né. Moi qui pensais dur comme fer que jamais, au grand jamais, je ne me retrouverais dans une situation similaire à celle de ma mère parce que j'avais vu à quel point c'était malsain et douloureux, on peut dire que je suis en plein désenchantement. Pourquoi est-ce que j'ai toujours l'impression que quoi que je fasse pour essayer de m'extirper de ce passé qui me hante, il rejaillit systématiquement pour me donner une claque et me prouver qu'il me collera toujours à la peau ? C'est comme être prisonnière d'un cercle vicieux qui n'a jamais de fin, où à chaque fois qu'une petite lueur d'espoir se présente, elle est aussitôt réduite à néant. L'horreur quoi.

Je suis dans un tel état d'égarement que c'est à peine si je prête attention au bruit de la porte qui s'ouvre et se referme. Le fait est que je suis comme coupée de tout ce qui m'entoure, je ne sais même pas dire si mes neurones vont pouvoir se reconnecter à un moment ou un autre. Ce n'est que lorsque j'entends mon nom sortir de la bouche de Ryû que je comprend que non, mon esprit ne s'est pas du tout envolé et qu'il encore en mesure de réagir à ce qui m'entoure. Ce n'est pas pour autant que je fais le moindre geste ou que j'arrête de faire l'autruche avec la tête dans les mains, je suis bien comme ça et je ne sais vraiment pas si j'ai envie de croiser son regard, là maintenant. Je ne suis peut-être pas totalement apathique certes, mais la douleur est telle que j'ignore si je vais pouvoir manifester la moindre réaction. Pourtant, un faible rictus sort immédiatement de ma bouche quand je l'entends m'adresser des excuses. Il est désolé ? Mais pourquoi me fait-il des excuses à moi ? Il n'a pas signé de contrat d'engagement envers moi que je sache, je ne comprends pas pourquoi il se sent coupable à mon égard. Ok, c'est peut-être parce que j'ai plutôt mal réagi en apprenant la nouvelle, mais je ne suis pas en colère contre lui. Non en fait, je ne suis même pas capable d'être en colère.

Vraiment, je ne saisis pas pourquoi il tient absolument à bien agir envers moi, pourquoi en plus d'être désolé, il tient tant à se justifier en affirmant qu'après tout, il ne savait pas que ma grossesse était toujours d'actualité. Merci, je le sais, c'est quand même moi qui vient de lui apprendre la nouvelle ce soir, évidemment que je me doute qu'il n'était pas au courant à ce moment-là, mais je ne vois pas bien le rapport. Aurait-il agi différemment s'il avait su ? Cela paraît complètement absurde dans ma tête, s'il a voulu l'épouser, c'est qu'il tient à elle, non ? Il se serait privé de cette chance à cause de moi ? Franchement, je suis dubitative, en tout cas s'il le pense, il se trompe, ça n'en vaut vraiment pas la peine. Je parviens enfin à extirper mon visage de mes paumes, l'air songeur. Me voilà bien, qu'est-ce que je peux faire maintenant ? Montrer que je suis toujours vivante peut-être dans un premier temps, ça peut être bien oui.

« Ce n'est pas ta faute, j'énonce finalement, avec faiblesse, je ne peux pas dépasser le chuchotement, il ne faut pas trop m'en demander non plus, que je sache, se marier n'est pas encore devenu un crime, non ? Tu n'as pas à t'excuser, si tu l'aimes, c'est normal que tu veuilles passer ta vie avec elle. C'est bien plus attrayant qu'être ligoté de force à la fille qu'on a mise enceinte par accident je pense, je commente avec un nouveau rictus. »

A choisir, il n'y a pas photo je pense et puis honnêtement, qui suis-je pour m'interposer ? Personne, ou du moins pas grand-chose dira-t-on. Si j'avais été mise au courant de la situation, je ne serais certainement pas venue ici pour lui annoncer que j'étais toujours enceinte et que j'avais besoin de lui. Je m'en serais tenue à ma première résolution, à savoir me débrouiller toute seule coûte que coûte. Là, je ne sais pas dire ce qui est mieux au final.

« Ah et félicitations, je crois qu'on dit ça en temps normal, je reprends sur le même ton, au fait, je m'en vais la semaine prochaine en Corée, chez ma mère. Je doute que me balader à la fac avec un ventre rond soit une bonne idée, tu vois. Et un peu de calme me fera du bien, et ça te laissera le temps de réfléchir. »

Non parce que là, j'ai ma dose, j'ai vraiment besoin de m'enfermer dans ma maison adorée et de me couper de tout le reste. Je crois que je n'aurais jamais autant apprécié la tranquillité de rester avachie sur le canapé devant une série dont l'intrigue est encore plus tordue que ma propre vie. J'ai vraiment hâte d'y être, particulièrement à ce moment.

e me suis parfois demandé si j’allais un jour réussir à fonder une famille. À cause du départ de Hikari, le nombre de fois où j’ai osé me l’affirmer doit à peine dépasser les doigts d’une main. Dans un sens, ce n’est pas forcément étonnant. J’ai un peu arrêté de m’imaginer installé de façon stable avec quelqu’un depuis ces fiançailles brisées stupidement. Il faut dire que cette histoire m’a profondément marqué, même si je fais de mon mieux, maintenant, pour ne plus y penser. Cet accident a eu l’effet d’un électrochoc à ce niveau et, même si je sais qu’arrêter l’alcool totalement n’est pas une chose facile, j’espère y parvenir un jour ou l’autre. Oui, un jour, peut-être… Il me reste encore pas mal de chemin à accomplir dans ma reconstruction, mais je ne peux plus me laisser tomber dans un état comme celui où j’étais le soir où j’ai couché avec Yun Hua. C’est destructeur, et au final j’entraîne d’autres personnes dans ma chute alors qu’elles n’ont rien demandé. Dans de telles conditions, puis-je vraiment considérer l’idée d’abandonner Yun Hua avec ce bébé ? Si elle ne sait même plus comment agir par rapport à cet enfant, c’est également mon cas, et je ne peux que m’excuser de toutes les erreurs que je fais, même si ce n’est pas forcément de ma faute que tout cela arrive, ou du moins que les choses s’enchaînent aussi dramatiquement.

Je laisse le silence s’installer après mes excuses, incapable de trouver quelque chose à ajouter pour justifier cette décision qui, à mes yeux, était parfaitement claire le jour où je l’ai prise. Certes, j’avais bu, mais n’était-ce pas justement pour cela que j’ai osé dire à Mi ce que je ressentais ? Je n’aurais certainement jamais osé dire quoi que ce soit si je n’avais pas bu. L’alcool, encore. Et le pire dans cette histoire est que si Yun Hua en est là aujourd’hui, c’est également à cause de cette addiction néfaste. Il faut dire que c’est tellement plus facile avec de l’alcool, lorsque l’on est plus conscient de ses actes. Malheureusement, j’en suis encore responsable et je ne peux pas nier l’évidence : elle porte encore mon enfant. Notre enfant, même si cette simple pensée me donne une sensation assez étrange. Qu’on le veuille ou pas, même si on le fait adopter, nous n’oublierons pas que, quelque part, un enfant partage nos gênes. Il faut que j’arrête de penser à cet enfant, que je me recentre sur autre chose. Y penser ne fera que me compliquer la tâche, j’en ai parfaitement conscience, et d’un autre côté je me sens incapable de faire comme si de rien n’était, comme si je pouvais ne penser qu’à moi et pas à Yun Hua et à l’enfant qu’elle porte. Pourtant, nous n’avons rien en commun à part lui.

Un soupir m’échappe tandis que je réfléchis encore à tout ça, le regard toujours posé sur elle. Je ne suis pas doué pour rassurer les gens, j’ai déjà du mal à me réconforter moi-même. Ça serait tellement plus simple si je n’étais pas en train de me demander comment agir, quelle décision prendre par rapport à tout ça. Il y a Mi, mais il y a également ça. Yun Hua, ce bébé, ces foutus problèmes que je m’attire alors que je cherche simplement à aller mieux, ou du moins que je le pensais. Quand elle reprend la parole, je garde le silence, baissant un peu les yeux. Elle a raison, mais quand même.

« C’est peut-être plus attrayant, mais ça ne fonctionne pas comme ça. » Soufflé-je en réponse, conscient de tout ce que cette grossesse implique. « On ne peut pas faire tout ce qu’on trouve bien et ignorer ce qui se passe mal, n’est-ce pas ? »

J’imagine qu’elle est très bien placée pour le savoir. N’a-t-elle pas un lourd fardeau à porter, après tout ? Ses parents, son père surtout, l’anorexie. Ce ne sont pas des choses que l’on surmonte facilement d’habitude, pas vrai ? Elle a sûrement du prendre des décisions « pour le mieux », faire des choix qui ne coïncidaient pas vraiment avec ce qu’elle voulait. Non ? Au final, ça aurait peut-être été plus simple si elle avait vraiment avorté. On ne se trouverait pas dans une situation aussi gênante, à discuter de ce mariage, de ces bêtises que j’ai pu faire parce que je pensais qu’elle avait fait partir ce bébé alors qu’il était encore là, sans que j’en ai la moindre idée. Quand j’entends ses félicitations, un léger rire m’échappe alors que je secoue la tête.

« Il n’y a pas de félicitations. C’était un coup de tête, je suis même pas sûr qu’elle veuille vraiment de moi, en vrai. »

Cependant, il n’est pas question de parler de moi, là, tout de suite, car ses propos suivant m’alertent un peu et me font froncer les sourcils. Aller en Corée ?

« En Corée ? » Attendez, je suis supposé l’aider comment dans ce cas-là ? « Mais combien de temps ? Tu peux pas faire ça ! »

Et de quel droit je lui donne de telles consignes ? Parce que je l’ai mise enceinte ? J’ai bien compris qu’elle veut me laisser le temps de réfléchir mais… Non, ça me semble juste totalement dingue, elle peut pas partir comme ça après être venue me dire que le bébé est encore là, même si elle a besoin de calme et qu’elle a appris que j’ai fait le con durant mes vacances. Je réfléchis un peu trop, encore. Et honnêtement je sais pas pourquoi l’idée qu’elle s’en aille me dérange autant.

« Tu vas vraiment y retourner ? »

ontrairement à ce que cela peut laisser penser, je suis loin de prendre la chose avec autant de recul. Je ne nie en rien le fait que Ryû n'est pas responsable de ce qui passe, ou du moins pas entièrement dirons-nous, mais ça ne fait pas moins mal pour autant. J'ai l'impression que la nouvelle n'est pas passée, qu'elle est encore bloquée dans ma gorge et que bientôt elle va empoisonner l'ensemble de mon organisme. C'est plus fort que moi, pour une raison inconnue, je lui en veux alors que rien que d'y penser, ça me paraît idiot et insensé. Je ne suis pas bien placée pour vouloir lui faire des reproches, c'est tout de même moi qui lui ai menti pendant un certain temps au sujet de l'évolution de la situation, pas l'inverse. Et pourtant, à chaque fois que je l'imagine heureux et souriant auprès de Mi, j'ai la nette sensation de suffoquer et de manquer d'air. Sans doute à cause de cette impression perpétuelle d'être un fardeau que les gens doivent traîner derrière eux et qui au bout d'un moment n'en peuvent plus et finissent par lâcher prise. Qu'on ne vienne pas me dire que ma venue chez Ryû ne lui a pas du tout pourri un peu plus l'existence, je ne le croirais pas. A croire que j'ai des gênes toxiques qui détruisent tout ce qui m'entoure.

Soit, on ne peut pas fermer les yeux sur ce qui ne va pas dans sa vie – la mienne serait tellement plus paisible et sereine si je faisais comme ça au quotidien – mais je ne peux pas m'empêcher de penser que si je n'étais pas là, tout irait tellement mieux pour lui. Genre il pourrait filer le parfait amour avec sa femme – il faut que je m’habitue même si ça me brûle la gorge – en ce moment même. Rien que d'y penser, ça me donne envie de me décomposer sur place, de disparaître dans l'atmosphère tranquillement. J'exagère mais s'il y avait un moyen de m'effacer de sa vie, je crois que je le ferais. Par contre, je crois que je ne reviendrais pas sur ma décision de ne pas avorter et ce, même en sachant que les choses allaient prendre une tournure bien plus complexe qui m'échappe aujourd'hui totalement. Au final, j'aurais amèrement regretté de ne pas avoir essayé, au moins cela, bien plus que je n'aurais le remords d'avoir mené cette grossesse jusqu'au bout. Même si c'est pour me prendre des coups de massue au fil des mois toujours plus importants, et savoir que ce mariage est un coup de tête selon Ryû ne m'aidera en rien à relativiser. C'est fait point.

Je ne sais pas à quoi m'attendre de sa part à vrai dire lorsque je finis par lui annoncer que je repars dans mon pays natal. C'est la solution la plus logique à vrai dire, je ne peux pas continuer d'aller à l'université comme si de rien n'était et je n'ai pas du tout envie que ça finisse par devenir officiel. Je ne sais même pas si c'est toléré par le règlement en fait, j'aurais peut-être dû me pencher davantage sur la question. Mais de toute manière, je ne peux pas rester ici à attendre que cela éclate un beau matin au grand jour, je préfère autant me terrer chez ma mère, vu que le seul endroit où je peux loger à Tokyo, ce sont les dortoirs. Et je doute qu'il y  ait une logique à rester dans ma chambre si je ne vais pas en cours. En plus, ça me fera du bien d'être avec ma mère, elle m'a assuré qu'elle avait pris des congés tout expressément, afin de pouvoir s'occuper de moi. Ce qui veut dire que je vais avoir des sucreries et des potins à volonté, ce qui n'est sans doute pas plus mal et bien moins prise de tête. Mais je ne vois pas pourquoi Ryû en fait tout un plat.

« Oui je ne te dis pas ça juste pour voir comment tu vas réagir, je réplique en arquant un sourcil, retrouvant enfin un ton à peu normal, même si j'ai la voix un peu enrouée, je vais y rester jusqu'à l'accouchement, c'est mieux comme ça. Et si je peux faire ça, je ne me souviens pas avoir signé quelque chose qui stipulait que j'avais besoin de ton accord pour mes déplacements. »

Sans rire, ce n'est pas parce que c'est le père biologique de l'enfant que je porte que je dois avoir son autorisation pour aller d'un pays à un autre. C'est ridicule. N'a-t-il pas ses propres problèmes à gérer ? Qu'est-ce que ça peut bien lui faire que je sois ailleurs ? Il ne comptait quand même pas m'inviter à prendre le thé un de ces jours ? Non là, j'ai beau y mettre du mien, je n'arrive pas à le suivre, mais en tout cas, ce n'est pas une nouvelle tentative de fuite à son égard si c'est ce qu'il croit.

« J'y ai beaucoup réfléchi tu sais, et c'est ce qu'il y a de mieux au final. Ma mère pourra s'occuper de moi et franchement, ça me fera du bien parce que là, je m'en sors plus, mais plus du tout, je confesse en sentant que mes nerfs sont à nouveau sur le point de craquer, c'est pas contre toi, c'est juste que j'ai besoin d'air pour pouvoir gérer ça, et sans avoir à me demander si les gens autour de moi sont des étudiants de la Royal qui vont aller raconter à tout le monde que c'est vrai parce que j'aurais un ventre énorme. »

Et voilà je craque, je fais de mon mieux vraiment, mais c'est plus fort que moi, les sanglots reprennent. Il n'y a rien à faire, je ne peux plus supporter cette pression qui m'entoure en permanence, toujours tout faire pour que personne n'ait de soupçon et ce, jusqu'à programmer les tranches d'heures où je peux aller vomir sans me faire griller. Il ne faut pas s'étonner après si je suis presque impatiente de m'envoler pour la Corée et mettre tout ça entre parenthèses pendant quelques mois.

’est vrai, dans le fond, qu’est-ce qui me dit que Mi avait vraiment envie de m’épouser et ne l’a pas simplement fait pour ne pas me faire de peine ? Je dois trop y penser, mais il faut avouer que la situation ne m’aide en rien à me calmer. Mi, moi, c’est compliqué depuis le début, tout simplement parce que j’ai été incapable de lui dire directement ce que je ressentais et que j’ai préféré attendre ce foutu voyage à Vegas pour en parler, et encore. Si je n’avais pas bu là-bas, sans doute serais-je encore en train de tourner en rond en essayant de me convaincre que non, je ne suis pas amoureux d’elle, qu’elle n’est pas la première personne, depuis Hikari, pour qui j’ai véritablement ressenti quelque chose, ou du moins pour qui je l’ai accepté. J’aurais du réfléchir au lieu d’agir comme un idiot, discuter de tout ça avec elle avant même de partir pour ce voyage, et peut-être ne me fuirait-elle pas à l’heure actuelle. Avec toutes ces hypothèses, je pourrais certainement refaire le monde, mais je crois qu’il n’est plus temps de penser, maintenant.

Seulement voilà, comment agir ? Comment faire quelque chose lorsque l’on ignore totalement comment se comporter ? J’ai l’impression d’être en train de me perdre, d’être de nouveau incapable de prendre une décision correcte et, pourtant, je sais que je n’ai aucunement le choix. Il faut que je me décide, il faut que je choisisse ce que je veux faire, ce dont j’ai envie. Non. Il faut que j’agisse de façon raisonnable et que je réalise à quel point je suis en train de compliquer les choses en essayant de mettre tout le monde d’accord. Ne suis-je pas capable d’être sérieux, de temps en temps ? Puis-je me comporter comme un idiot maintenant qu’il est question d’un enfant ? J’ai l’impression que cette question se répond à elle-même, et cela n’a rien de très agréable, si vous voulez mon avis. C’est comme si j’aspirais à une vie que je n’aurai jamais. Non, ça ne sert à rien d’y penser, je sais parfaitement que je n’y parviendrai jamais. Tout est trop mal parti pour ça.

Quand elle m’annonce, en plus, sa volonté de retourner en Corée, j’ignore totalement comment me comporter. Ça veut dire que je n’aurai une fois de plus aucun moyen de me tenir au courant ? Que je devrai une fois de plus rester sans rien faire alors qu’une demoiselle se promènera avec mon enfant dans son ventre ? Elle réalise qu’elle n’est pas la seule impliquée, là ? Ça me donnerait presque envie de péter un câble, mais je crois que je suis trop occupé à me poser mille et une question sur le sujet pour vraiment réagir à l’annonce qu’elle vient de faire, ce qui finit pourtant par arriver quand elle reprend la parole.

« Jusqu’à l’accouchement ? » Je fronce légèrement les sourcils alors que la pensée me traverse l’esprit. « En clair, tu me gardes encore en dehors de tout ça, si je comprends bien ? »

Yun Hua a beau penser que c’est ce qu’il y a de mieux à faire, je reste convaincu qu’elle a tort. Je ne peux pas admettre l’idée qu’elle gère ça toute seule dans son coin alors que je mène une vie « tranquille ». J’ai commis une erreur, sans doute la plus énorme qui soit, et j’aimerais au moins qu’elle le laisse jouer un rôle, même minime, dans la résolution du problème. Ce n’est pas elle qui, après coup, passera pour l’imbécile de service, la personne irresponsable qui aura refusé d’aider l’autre. Depuis le début je cherche à l’aider, même si j’ai mis un moment à réagir le jour où nous avons appris pour ce bébé, et depuis j’ai l’impression qu’elle passe son temps à me mettre des bâtons dans les roues. C’est quand même pas possible. Et le fait qu’elle évoque Royal me donne l’impression d’avoir gâché ses études, pour couronner le tout. Je crois que j’aurais mieux fait de ne jamais commencer ce métier, de rester webdesigner, quitte à travailler pour une boîte merdique en attendant de me reconstruire. Peut-être, qui sait, aurais-je réussir à m’en sortir mieux que maintenant ? Je n’aurais jamais croisé le chemin de Yun Hua, et à vrai dire je ne suis même pas certain que j’aurais croisé la route de Mi. Cette pensée m’arrache un soupire, mais alors qu’elle termine de s’expliquer, je la vois fondre en larmes à nouveaux, ce qui me pousse à agir et à la prendre dans mes bras en fermant un peu les yeux, incapable de me décider sur la manière dont je pourrais me comporter envers elle. Argumenter ne sert à rien pas vrai ?

« Si tu me l’avais dit plus tôt, je t’aurais aidé. » Je suis totalement perdu, pour l’heure… « Tu sais que je l’aurais fait. »

Je pousse un soupir avant de me redresser difficilement et de me saisir d’une béquille, celle qui me permet de ne pas m’appuyer sur ma jambe invalide, et de quitter la pièce après quelques mots.

« Ne bouge pas. »

C’est totalement stupide. Je suis totalement stupide, et pourtant je ne peux pas m’en empêcher. Je prends la direction de la cuisine après avoir quitté la chambre, laissant la porte entre-ouverte pour n’avoir qu’à pousser lorsque je reviendrai, ce que je fais après quelques secondes d’absence. Non sans quelque difficulté, avant de m’asseoir sur le lit à nouveau, déposant, intérieurement satisfait d’avoir accompli mon périple, une assiette sur laquelle reposent une cuillère et une part de marbré. Je réfléchis un instant avant de reprendre la parole, trouvant le silence qui règne entre nous extrêmement déplaisant.

« Tu devrais manger ça et te coucher. Ça te fera du bien. Enfin, je crois. »

Avec un peu de chance, peut-être qu’elle arrêtera de pleurer et parviendra à se reposer ? Je crois que c’est important dans son état, non ? J’ai un peu de mal à croire qu’elle m’ait caché ça pendant tout ce temps, mais il est vrai que je n’ai plus eu de nouvelles d’elle depuis notre rencontre en boîte, l’autre soir… Non, je suis quand même un imbécile.

omme j'aimerais ne pas m'effondrer comme une vieille loque à chaque fois que les choses deviennent trop difficiles à supporter. Je voudrais bien dispenser les gens autour de moi d'un tel spectacle si pathétique mais je n'arrive pas, maintenant plus que jamais parce que je prends sur moi depuis déjà trop longtemps. Ne rien laisser paraître aux yeux des autres est finalement beaucoup plus dur que je ne l'aurais imaginé et je crois pouvoir affirmer que j'ai largement sous-estimé ce qui m'attendait le jour où j'ai décidé que je n'avorterai pas. Moi qui croyais qu'il suffirait d'attendre patiemment que les neuf mois s'écoulent sans faire de vagues, au final, cela amène tout un tas de responsabilités auxquelles je n'avais pas songé, à commencer par tenir le père au courant et ne pas le mettre à l'écart par exemple. Même si, peu importe la manière dont on regarde les choses, cela lui amène plus de problèmes et de complications qu'autre chose. Certes, le fait qu'il se soit marié entre-temps était peu probable, mais honnêtement, il ne fallait pas non plus que je m'attende à ce que Ryû ait mis le mode « pause » dans sa vie jusqu’à ce que je me décide à lui avouer que j'avais menti et que non, cette histoire n'était pas finie. Sur ce point, je ne peux que m'en prendre à moi-même, mais je ne peux pas non plus décider de continuer à rester au Japon, à la Royal Private School juste parce qu'il me le demande. C'est beaucoup trop pour moi.

Et le fait qu'il me répète qu'il m'aurait aidé si je n'avais pas décidé de jouer les filles capricieuses et irresponsables n'arrange en rien mon état d'esprit. Je sais bien que j'ai été idiote, à force de débattre intérieurement là-dessus moi-même depuis plusieurs semaines, j'ai bien fini par comprendre que lui cacher la chose n'avait pas été la meilleure décision de ma vie, loin de là. Pourtant, c'est ce qui s'est passé et maintenant, à part aller me terrer chez ma mère en essayant de passer mes derniers mois de grossesse à peu près en paix, je ne vois pas trop quelle autre option s'offre à moi. Ce n'est pas comme si je pouvais me permettre de squatter indéfiniment chez lui, j'en ai assez fait comme ça. Pourtant, c'est peut-être, non en fait c'est carrément égoïste de ma part, mais son étreinte me fait du bien et même si c'est flou dans ma tête – on rarement l'esprit clair quand on se met à pleurer – elle m'apaise. Je me prendrais presque à songer que ce serait bien de rester ainsi pour toujours, sans avoir à penser au reste. Malheureusement, elle n'est pas éternelle et je ne comprends pas bien ce que compte faire Ryû en quittant la pièce, m'invitant à ne pas bouger.

Je ne sais pas ce qui l'a poussé à agir de la sorte, mais la vue du brun apportant la part de marbré, dont je rêvais tant tout à l'heure, suffit pour que j'esquisse un petit sourire en séchant mes pleurs. Suis-je si prévisible ? En tout cas, ça me touche et pas seulement parce qu'il a dû faire ça en béquilles, même si ça ne fait qu'ajouter du mérite à ce geste attentionné. Je n'en attendais pas tant de sa part, mais en même temps, cela fait longtemps que je ne m'attends plus à grand-chose venant des autres, il faudrait vraiment que je songe un jour à retrouver foi en l'être humain, j'y travaillerai une fois que le sujet « enfant non désiré » sera clos.

« Merci, c'est gentil, lui dis-je avec un sourire gratifiant, en m'essuyant à nouveau les yeux, tu n'as pas à faire tout ça, t'as aucune obligation envers moi. Mais j'apprécie. »

Ne cherchez pas la logique, il n'y en a pas. C'est simplement une façon maladroite de lui dire que je lui suis reconnaissante mais que je n'exige pas qu'il se comporte ainsi en continu. Je ne veux pas qu'il se sente obligé de bien agir envers moi simplement parce que je suis enceinte de lui, depuis le début, je n'ai jamais voulu qu'il se sente condamné à prendre soin de moi. Je ne raffole déjà pas de la pitié d'autrui mais si en plus elle est motivée par une contrainte, c'est encore pire. En attendant, je ne vais pas risquer que l'assiette vole de nouveau en éclats par terre et entame enfin ce fameux marbré qui m'appelle. Est-ce que je dois vraiment préciser que c'est fantastique de pouvoir enfin manger en paix ? J'ai l'impression d'être une gamine de cinq ans qui a patienté toute la journée avant d'avoir enfin pu goûter au met délicieux qu'elle espérait.

« Et je m'en vais pas pour t'exclure, je reprends, une fois que j'ai suffisamment mangé pour retrouver un peu de calme, c'est pas toi le problème Ryû. Je te l'ai dit, si tu as des questions, je suis prête à y répondre. Et tu as mon numéro si tu veux avoir des nouvelles, tu te rappelles ? Je peux même te scanner mes prochains examens si ça peut te rassurer, j'ai ceux que j'ai déjà fait dans mon sac si ça t'intéresse, j'explique en désignant mon sac qui se trouve toujours dans le salon d'un signe de tête, et si vraiment tu as peur qu'il y ait un problème, je peux te donner mon adresse, du moment que tu ne viens pas me stalker en permanence pour voir si je vais bien. »

On ne peut pas dire, là je fais quand même preuve de bonne volonté, non ? Je ne veux pas qu'il pense que je suis simplement venue lui dire la vérité pour soulager ma conscience avant de partir, ce n'est pas ça. S'il y a des choses qu'il veut savoir, je suis prête à les lui dire, même si la situation est devenue beaucoup trop compliquée à mon sens et que j'ai encore le goût amer de la nouvelle de son mariage. Heureusement qu'il y a le marbré pour faire passer ça, du moins en partie.

e n’est peut-être qu’un cauchemar, au final. Peut-être que je vais me réveiller et découvrir que je me suis assoupi comme une masse après avoir descendu la moitié de l’alcool qui se trouvait chez moi, ce fameux jour où j’ai revu Hikari après des années d’absence ? J’aimerais me dire que c’est la véritable explication à tout ce qu’il m’arrive aujourd’hui, mais je sais parfaitement que j’aurais tort. Je ne suis pas dans un cauchemar, la vie ne fonctionne pas comme dans un jeu vidéo et il est impossible de revenir au dernier checkpoint en cas d’erreur. La vie n’est pas un DVD que l’on rembobine à souhait pour se repasser les meilleurs moments et dont on passe les mauvais. Parfois, j’aimerais pourtant que ça soit le cas, et vous n’imaginez pas à quel point.

Tout ce que je peux faire pour l’instant, c’est essayer de limiter la casse, faire de mon mieux pour que les choses s’arrangent, quand bien même je ne suis qu’un dérangement aux yeux des personnes que je tente d’aider. Vous savez, quand je suis parti pour ce camping, que j’ai fait de mon mieux pour me retrouver en binôme avec Yun Hua, mon but était avant tout de lui venir en aide. Certes, j’aurais du lui parler avant et mon comportement laissait penser à celui d’un stalker en manque d’affection plus qu’à celui d’un homme concerné par la grossesse qu’il a provoquée, mais je n’ai jamais été hyper doué pour les relations humaines, alors j’imagine que ça a du jouer dans l’histoire.  Et je le prouve encore en étant incapable de trouver comment me comporter avec Yun Hua, la prenant contre moi en espérant la rassurer un peu, bien que je sache être l’une des dernières personnes qu’elle doit avoir envie de fréquenter à l’instant, et en allant lui chercher à manger.

« Je ne le fais pas parce que j’ai une obligation envers toi. »

Sur le moment, j’ignore si j’essaie de m’en convaincre ou si j’en suis déjà certain. Notre situation est tellement compliquée que j’ai l’impression que chaque détail possède son importance et que nous avançons dans des directions totalement hasardeuses. J’ignore ce qu’elle pense de moi, si elle croit que je n’agis ainsi que pour avoir la conscience tranquille, mais imaginer ce qu’elle a dans la tête n’est pas forcément la meilleure idée qui soit lorsque l’on essaie de se donner confiance et d’aller de l’avant, pas vrai ? Si elle me déteste et qu’elle me prend pour le dernier des connards, ça ne va certainement pas m’aider à me motiver. Enfin, dans le fond, ce n’est pas comme si j’avais toujours été un exemple au cours des dernières années. En fait, c’est plutôt le contraire, si vous voulez mon avis, mais il n’est pas nécessaire de s’attarder sur une question existentielle comme celle-là. C’est pas comme s’il y en avait déjà plein qui attendent une réponse et que je suis incapable d’en fournir la plus petite. Vraiment, je me désespère.

« Oui, j’ai ton numéro mais…  » Je passe une main dans mes cheveux, frottant légèrement l’arrière de mon crâne alors que je réfléchis à ce que je vais raconter, trouvant cela vraiment stupide, même si je le pense vraiment. « C’est pas tout d’être au courant. J’veux dire… » On souligne le fait que je suis en train de me perdre ? « Si je dis ça, c’est parce que je veux t’aider aussi. »

L’aider, faire quelque chose qui ne soit pas juste attendre de voir quelle décision elle prendra à la fin, sans même être capable de dire quoi que ce soit à ce sujet. C’est quand même pas si difficile à comprendre, si ? Je sais que cette histoire de mariage n’est pas aussi facile à gérer que j’aimerais qu’elle le soit, que ma relation avec Mi est compliquée et que la situation avec Yun Hua a l’air d’empirer à chaque seconde, mais j’ai fait une promesse à mon meilleur ami, je me suis fait une promesse, alors je ne peux pas recommencer à agir comme un idiot et à fuir. Pourtant, j’ai l’impression que je n’ai pas le choix, pour l’instant, et que je vais devoir me contenter de la chance qu’on me laisse, à savoir celle d’obtenir des informations au sujet du bébé sans avoir l’occasion de l’aider.

« Enfin, oublie, j’imagine que c’est déjà prévu si tu pars dans une semaine.  »

C’est absurde parce que nous n’avons strictement rien à voir à part ce bébé, mais cela me fait de la peine. L’idée qu’elle s’en aille comme ça, parce qu’elle préfère obtenir l’aide de sa mère plutôt que la mienne. Je veux dire, je suis majeur, je suis plus âgé aussi, alors je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas lui venir en aide. Certes, il y a le fait que sa mère est une femme, sa génitrice qui plus est, et que ça joue également dans l’aide qu’elle peut lui apporter, mais j’aimerais comprendre pourquoi je me retrouve encore dans une telle situation. Je suis supposé faire quoi ? Continuer à vivre sans savoir quoi faire ? Sans savoir si je vais devoir l’aider à un moment ou à un autre ? C’est comme vivre en étant continuellement stressé : ça ne sert à rien et ça ne fait qu’empirer les choses un peu plus à chaque jour qui passe. Enfin, je ne devrais pas me prendre la tête pour ça. Poussant un soupir, je me saisis de nouveau de mes béquilles pour me redresser, reprenant la parole.

«  Je vais te laisser tranquille et aller manger aussi. On en reparlera demain, d’accord ? »

Oui, parce que le bâillement que je retiens un peu plus tard me laisse comprendre clairement qu’il est temps que j’aille me reposer. En espérant que, cette fois, Yun Hua ne s’enfuira pas comme une voleuse et acceptera de discuter de tout ça à tête reposée. Je crois que, de toute façon, je n’ai rien de mieux à faire que ça. Attendre et voir comment ça se passera.

e ne sais pas si c'est juste une impression mais on dirait qu'à chaque fois qu'il y a une possible ouverture qui mènerait enfin à une entente entre moi et Ryû, tout se déroule toujours de sorte qu'au final, nous ne sommes jamais sur la même longueur d'ondes. Ce n'est pas ma faute si la société est faite de telle sorte qu'une étudiante ne peut pas se permettre de subir une grossesse tout en poursuivant ses études, sans que cela ne dérange personne. Tout serait alors bien moins délicates, même si encore le fait d'être enceinte d'un enseignant de la même université ne facilite en rien les choses. Mais je ne vais pas me réfugier en Corée juste pour mon bon plaisir, non, même si cela contribuera certainement à améliorer mon état psychologique actuel, c'est avant tout une mesure de vigilance. J'ignore déjà à vrai dire si je serai en mesure de pouvoir reprendre décemment les cours après l'accouchement – rien que d'y penser ça m'effraie – alors je ne vais pas non plus jouer les super warriors en voulant aller en classe jusqu'au bout, ce serait un peu suicidaire. Le médecin lui-même m'a fortement conseillé un strict repos à partir du mois prochain et je dois reconnaître que le mot d'excuse qu'il m'a fait pour l'université – sans précision, il est marqué pour « raison médicale », fort heureusement – tombe à pic. Bon, les gens vont peut-être se mettre à penser que je suis atteinte d'une grave maladie, mais je m'en fiche pas mal pour le coup. En tout cas, on ne peut pas vraiment me reprocher de vouloir changer d'air.

Alors non, je ne vois vraiment pas pourquoi il s'évertue à en faire tout un plat et ça tombe plutôt mal, parce que là tout de suite je ne suis pas d'humeur à débattre et à argumenter. Trop de choses sont arrivées ce soir, entre la pluie, les annonces inattendues, la visite surprise des parents, mes crises de larmes, mon passage éclair aux toilettes, sans compter qu'il commence à faire tard, je commence à être épuisée par tout cela. Non je ne veux pas seulement le tenir au courant, on pourra aussi discuter de la situation et des choses à faire s'il le souhaite mais j'aurais beau le lui dire noir sur blanc, c'est comme s'il refusait de comprendre ce que je tente de lui dire. Suis-je si mauvaise pour les interactions sociales ? J'en viens à me le demander, mais à moins que Ryû soit décidé à laisser son travail entre parenthèses pour louer une chambre d'hôtel pour les prochains mois, on ne peut pas vraiment faire autrement. Alors non, il ne sera pas présent physiquement, mais cela ne signifie pas moins qu'il a son mot à dire et que je suis prête à l'écouter. Mais là, je ne crois pas qu'il soit disposé à l'entendre peu importe comment je m'y prends pour le lui dire.

« Oui, j'ai déjà mon billet d'avion et ma mère a pris des congés pour pouvoir s'occuper de moi, je réponds entre deux bouchées de marbré, je n'ai plus qu'à faire mes bagages. »

En même temps, vu le prix des billets d'avion, j'avais tout intérêt à m'y prendre à l'avance. Non pas que ma mère n'était pas prête à me l'offrir pour laisser le temps de réfléchir et ce, jusqu'à la dernière minute, mais dans ma tête, cela fait des mois que c'est clair comme de l'eau roche, c'est bien la seule chose en vérité dont je puis dire que je suis absolument sûre. En tout cas, sur ce point il a raison : mieux vaut attendre demain que tous ces détails puissent être digérés afin d'en reparler après une bonne nuit de sommeil. Et ça m'évitera également de tomber comme une masse en plein milieu de la conversation, c'est tout juste si mes yeux ne se ferment pas quand je finis mon marbré. Quelque chose me dit que je vais bien dormir cette nuit, mais peu importe comment je regarde les choses, je me sens toujours mal de devoir priver Ryû de son lit alors qu'il a une jambe dans le plâtre.

« Tu es sûr que tu ne veux vraiment pas dormir dans ton lit ?, je m'entête, voulant tenter le tout pour le tout, je ne pense pas que ce soit vraiment judicieux de t'amuser à dormir dans le canapé avec ta jambe. Je… Ça me dérange pas de partager le lit. »

Puisque le problème vient du fait que monsieur refuse de laisser dormir une femme enceinte dans le canapé, j'en suis venue à cette proposition. Après tout le lit est bien assez grand pour deux, non ? Et honnêtement, avec les antécédents qu'on a eus et nos conditions physiques actuelles, je ne vois vraiment comment il pourrait y avoir la moindre dérive. D'autant que personnellement, dans quelques minutes à peine, je risque de dormir à poings fermés.

« Je vais vraiment pas pouvoir dormir tranquillement si je sais que tu es en train de te briser les os juste pour que je puisse dormir dans le lit, j'énonce avec une petite moue. »

Et vlan, l'argument infaillible, toujours susciter la culpabilité de l'autre quand on veut parvenir à ses fins. Enfin du moins quand c'est de circonstance. Puisqu'il tient tellement à ce que je nage en plein confort pour cette nuit, il ne va pas pouvoir se décider à réduire cela à néant juste pour jouer les fiers en couchant dans le canapé, n'est-ce pas ? Je m'en voudrais presque de devoir être aussi mesquine pour parvenir à mes fins. Mais on ne peut pas m'en vouloir, c'est pour la bonne cause.

ertaines personnes se complaisent dans la solitude, n’éprouvent pas le moindre regret à rester seule alors que les autres évoluent communauté. De mon côté, c’est plutôt l’inverse : bien que je passe beaucoup de temps dans mon appartement, derrière mon écran, je suis constamment en train de chercher le contact avec d’autres ; qu’il s’agisse de jeux en ligne, de forums de discussion ou tout simplement de conversations instantanées, je ne supporte pas de rester seul trop longtemps. C’est également pour cette raison que je sors beaucoup. Rester seul m’oppresse bien plus que je ne voudrais le croire, et depuis le départ de Hikari, j’ai constamment peur d’être laissé pour compte une fois de plus, comme si ma présence n’avait strictement aucune importance aux yeux des autres. Une peur stupide, si on y réfléchit bien, car tout le monde ne peut pas être présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et il y a toujours un moment où il faut accepter le départ d’une personne. Toujours. Je ne sais même pas pourquoi je continue à me prendre la tête à ce niveau. Si seulement la personne qui part n’était pas celle que j’ai mise enceinte, ça serait certainement plus facile à comprendre.

« Hm. » Donc il est trop tard pour la faire changer d’avis. Wait & See, comme on dit. « J’espère que tout se passera bien alors. »

Je resterai là avec Arisu, comme le gentil professeur d’informatique que je suis, à préparer mes cours pour aller les donner en essayant d’éviter les problèmes que je pourrais avoir avec la direction en raison de mon altercation avec l’infirmier de l’université et de cette grossesse. Allez, ce n’est pas comme si la rumeur avait déjà été vérifiée, n’est-ce pas ? De toute façon, je suis assez bon dans mon domaine pour être nécessaire à cette école, enfin, je l’espère. Un soupir m’échappe à cette pensée, alors que je réalise que ces derniers mois ont été particulièrement compliqués et que j’ai fait plus de mal que de bien. Envoyer ces messages à Mi Ran, m’attirer les foudres de son petit ami, mettre Yun Hua enceinte, retomber dans l’alcool et manquer de perdre mon job. Magnifiques réalisations pour l’année 2015, décidément. À croire que j’ai fait un concours avec une personne sans même en avoir conscience, et que je suis en passe de gagner le premier prix tellement je suis doué pour me créer des problèmes.

À sa question, je réfléchis un peu. Je sais qu’elle a raison, mais quelque part l’idée de dormir là alors qu’elle se trouve dans le canapé me pose un problème. Ce n’est pas comme ça que j’ai été habitué, enfin, je suis quand même assez éduqué pour comprendre qu’on ne se comporte pas comme ça avec un invité, et encore moins lorsqu’il s’agit d’une femme. Quand j’entends ses mots, pourtant, je réalise que l’idée est mauvaise. Peut-être justement parce que l’idée ne me dérange pas plus que ça en vérité ? C’est vraiment un impression bizarre, mais j’imagine que c’est parce que, même si l’on était en froid, nous avons du partager la même tente pendant quelques jours lorsque nous avons participé à ce foutu camping. Je ne vois pas d’autre explication, à vrai dire.

« Mais t’en fais pas, j’ai déjà dormi dans le canapé, ça m’a pas tué. » Assuré-je en riant un peu, rapidement, avant qu’elle ne reprenne.

Ryû Katsura, faible de son état. Je crois que je ferais un père atroce, en fait. Regardez-moi cette faiblesse face à quelqu’un qui fait la moue, vraiment ! Je pousse un soupir en réfléchissant un peu à la question, pesant les pour et les contre, allant jusqu’à me rassurer en me disant que ma jambe est dans le plâtre et que nous n’avons aucun souci à nous faire. Oui, parce qu’il ne faut pas oublier que notre comportement est vraiment fluctuant et que… voilà. Il vaut mieux éviter de compliquer les choses plus qu’elles ne le sont déjà, n’est-ce pas ?

« D’accord. » De toute façon, ça change pas grand-chose. « J’vais quand même aller manger et me changer. »

Ça vaut certainement mieux, mais j’avoue que l’appétit me manque, au bout du compte. Je ne fais que réfléchir, et ce même lorsque je quitte la chambre après avoir pris de quoi me changer – car il est évident que je vais porter un pyjama si je dois dormir avec elle – et que je me rend au salon avant de prendre la route de la cuisine pour manger un morceau. Pas faim. J’abandonne rapidement l’idée et décide de simplement me changer, coupant définitivement le sifflet à la télévision avant de fermer la porte de l’appartement, comme mes parents n’ont pas pu le faire en partant. Une fois certain de ne rien avoir oublié, même pas de nourrir Arisu qui me remercie d’un ronronnement affectueux tandis que je la caresse entre les oreilles, je reprends la direction de la chambre, incapable de dire, à mon arrivée, si Yun Hua est déjà endormie ou non, et je me dirige du côté libre pour y prendre place difficilement, ma jambe plâtrée n’aidant en rien la manœuvre alors que je me débrouille pour me couvrir, tournant la tête de sortie à voir ma table de nuit, le regard posé sur mon réveil, avant d’observer mon plafond en un soupir. Il est plus tard que je le pensais, en vérité. Soit. Il faut fermer les yeux et se reposer maintenant.

« Bonne nuit. »

Je risque d’avoir beaucoup de mal à m’endormir avec tout ce qu’il s’est passé ce soir, mais bon.

l ne m'a pas échappé que la méthode que j'emploie pour persuader Ryû de ne pas se rabattre sur son canapé pour passer la nuit est pour le moins vicieuse. Je n'y peux rien s'il ne veut rien entendre et qu'il est convaincu au plus profond de lui que je suis celle qui a le plus besoin de dormir dans un lit. Sans rire, entre avoir une jambe cassée et être enceinte, il y a une nette différence je pense. Honnêtement, je me sentirais vraiment mal s'il était contraint de dormir dans son canapé par ma faute, je surjoue juste un peu histoire de le décider à accepter mon idée, a priori peu envisageable. Mais voyons plutôt les faits : au fond, nous avons cohabité à deux sous une tente pendant plusieurs jours sans qu'il ne se soit rien passé du tout. Sachant qu'il n'avait pas encore de jambe cassée – certes, c'était le bras à l'époque mais ce n'est pas moins gênant – et qu'il ne me savait pas enceinte, j'en conclus qu'il y a toutes les chances du monde pour que nous passions une nuit sans encombre. Ce n'est donc pas une idée irréfléchie et impensable que je lui suggère donc et franchement, je ne peux me retenir de sourire comme une petite fille qui a eu ce qu'elle voulait quand j'entends le mot « d'accord » sortir de sa bouche. Ma conscience pourra se reposer en paix cette nuit.

Qu'il décide de manger un bout et d'enfiler quelque chose de plus confortable avant, cela me paraît logique et dans un sens, cela me rassure qu'il soit décidé à ne pas dormir à moitié nu. Non parce que même au vue du contexte, on aura beau voir cela sous tous les angles, cela resterait incroyablement gênant. Il ne me reste plus qu'à déposer mon assiette de marbré maintenant vide avec la cuillère sur la table de chevet et de me réfugier sous la couette, histoire de pouvoir enfin se détendre. On ne le dira jamais assez mais un vrai lit, ça change la vie, je suis presque au paradis. A vrai dire, je ne me sens même pas idiote à sourire d'un air béat en regardant le plafond, c'est comme si le matelas avait aspiré toute pensée négative qui se promenait dans ma tête, et dieu sait qu'il y en a beaucoup. J'aurais tout le loisir de réfléchir à la portée tragique de mes problèmes existentiels demain, pour l'instant je n'ai qu'une envie : passer une bonne nuit, bien calme et bien reposante, voilà tout.

Cela dit, j'ai beau être allongée sur le côté, avoir les yeux clos, je ne m'endors pas instantanément, non pas avant d'avoir la certitude que Ryû ne profitera pas que je me sois endormie entre-temps pour aller dormir quand même dans le canapé. Ce serait un peu trop tordu certes, mais je me prépare toujours au pire de la part des gens, à croire que je suis entourée en permanence de potentiels psychopathes. Pourtant, je finis par l'entendre revenir, bien plus tôt que je ne l'imaginais en fait, à croire qu'il a mangé en trente secondes. Ce n'est pas vraiment important, tant mieux, je n'aurais pas eu à lutter longtemps comme ça, parce que ce n'est pas facile de se tenir éveillée quand on a simplement envie de sombrer dans les bras de Morphée, surtout vu le temps qu'il met avant de pouvoir s'installer correctement sur le dit, ce que je déduis être dû à sa jambe plâtrée. Ok, ce n'est pas bien dur à deviner mais quand on somnole à moitié, ce n'est pas si évident. Son « bonne nuit » me confirmant qu'il va bien dormir là, c'est avec une certaine satisfaction que je finis par m'endormir en quelques secondes à peine.

En vrai, je ne sais pas dire exactement la raison pour laquelle je me décide à ouvrir les yeux. Ni même en fait pourquoi je me réveille tout court, à croire que même si je ne dors pas dans les dortoirs de la Royal, mon cerveau reste réglé sur l'heure habituelle à laquelle je me lève. Alors qu'en plus, je commence plus tard. Quelle vie. Ce que je sais en revanche, c'est que ce n'est pas sur un oreiller que ma tête est posée lorsque j'émerge enfin. Qu'est-ce que… Oh. Génial. Je plisse les yeux dubitative quant au fait que j'ai soudainement pu me retrouver de l'autre côté du lit, et encore plus quant à la probabilité inouïe qu'il a fallu que je découvre que ce je pensais être un coussin est en fait le torse de Ryû. Tout va bien, surtout pas de panique, ce n'est pas bon pour les femmes enceintes de criser. Pour être franche, c'est plus parce que je suis dans le vague que je ne réagis pas vraiment plutôt qu'à cause d'un véritable self-contrôle. L'avantage c'est que je ne vais pas réveiller le quartier en hurlant. Du moins, pas pour ça.

Pourquoi les chats existent en fait ? Non mais vraiment, pourquoi ? Je suis à peine lucide quand la bouille du chat de Ryû entre dans mon champ de vision et ma réaction ne se fait pas attendre. Sous la panique, j'ai un mouvement de recul brusque, bien trop brusque, si bien que je me retrouve à l'autre bout du lit. Enfin, pas exactement, j'y ai mis tant de violence que je finis par tomber du lit comme une pauvre larve. Sans manquer de crier de peur au passage. Des réveils comme ça ne devraient pas être permis bon sang. Voilà, maintenant j'ai mal au dos, non pas parce que le matelas est trop dur, mais parce que je me suis étalée comme une crêpe au sol.

« Non mais sans rire, j'ai un karma si pourri?!, je me plains, assise par terre, en me frottant les reins. »

Avec tout ça, je ne sais même pas si Ryû est réveillé et si c'est le cas, depuis combien de temps. Mais à mon avis, il ne va pas tarder à sortir de son sommeil si c'est le cas.

ontre toute attente, il ne m'aura pas fallu longtemps pour m'abandonner aux bras de Morphée. Cette blessure m'épuise, et j'ai l'impression de ne jamais vraiment récupérer de cette fracture, en dépit des nombreux efforts que je fais pour me reposer. Et vous connaissez le mieux? Mes insomnies. Même lorsque je fais un effort. Depuis toujours, j'ai eu d'incroyables difficultés à trouver le sommeil ou à le conserver, et il est pratiquement miraculeux que je parvienne à dormir plus de trois heures d'affilées. C'est la vie. Pour le coup, j'aurai au moins réussi à dépasser mon quota de sommeil habituel de trois heures. Et comme ce n'est évidemment pas assez pour moi réussir à vivre une journée entière, je ne manque pas de me rendormir, sans même prêter attention à ce qu'il se passe et au fait que Yun Hua dorme avec moi (car, étrangement, j'ai réussi à l'oublier totalement tellement je suis épuisé). Ce n'est qu'au moment où je me réveille pour la seconde fois et que je réalise qu'elle a la tête posée sur mon torse que je reprends conscience de sa présence, mes sourcils se fronçant légèrement à cette constatation. C'est fou ce qu'on peut se sentir apaisé après une bonne nuit de sommeil, quand même.

Peiné à l'idée de la réveiller si je bouge alors qu'elle a l'air de dormir si paisiblement, je décide de simplement attendre, somnolant moi-même un peu, comme il ne faut pas penser que je suis totalement éveillé après avoir dormi aussi peu. J'entends Arisu qui fait du bruit dans son panier. Je pensais l'avoir laissée au salon en rentrant, mais elle a du profiter de ma lenteur du moment pour se glisser dans la chambre au moment où j'y entrais. Enfin. De toute façon je ne peux pas bouger alors j'en suis rendu au même point. Au lieu de ça, j'attends que le temps passe, observant un peu mon réveil qui m'indique qu'il est encore relativement tôt alors que je me sens repartir au bout de quelques minutes. Tant pis pour le monde, il m'attendra. Ryû Katsura n'est pas prêt à se lever pour l'instant, et c'est plutôt rare, à vrai dire. Évidemment, je ne bouge pas Yun Hua de l'endroit où elle est, comme ce n'est pas vraiment un dérangement.

Alors que je suis sur le point de m'endormir totalement, je sursaute à l'entente d'un cri et d'un bruit assez soudain, comme quoi le changement d'environnement joue beaucoup dans le sommeil, et encore plus quand c'est pratiquement un poids qui se trouvait sur vous qui disparait, remplacé par un autre, mouvant cette fois. Le ronronnement affectueux d'Arisu parvient à mes oreilles alors que celle-ci vient frotter sa tête contre ma tempe alors que j'entends la voix de Yun Hua un peu plus bas, ce qui me fait tourner la tête dans sa direction.

« Faut croire. » Je ris un peu, même si ce n'est pas vraiment drôle, avant de me montrer plus sérieux. « Pas trop mal, ça va? »

Oui, parce que je ne suis quand même pas sans coeur, et je m'en voudrai un peu d'avoir ri si elle s'est blessée. D'un autre côté, je doute que ce soit le cas, mon lit n'est pas assez haut pour se faire mal et j'imagine que la douleur a du être amortie d'une façon ou d'une autre, non? Je souris un peu à cette pensée, espérant avoir raison alors que je me redresse en saisissant Arisu sur les pattes, lui arrachant un léger miaulement, signe qu'elle cherche à m'apitoyer.

« Allez la grande, faut prendre ton médicament. »

Je sais qu'elle n'aime pas ça, mais c'est pour son bien. En plus je m'en veux un peu comme le vétérinaire m'a si sévèrement annoncé que c'était de ma faute que ce pauvre animal était malade. Dire que pendant tout ce temps, je voulais la nourrir avec la même chose que moi, maintenant elle se retrouve à devoir manger la même chose que tous les autres chats, tout ça parce qu'elle est devenue une grande habituée des indigestions. Triste vie que la sienne. Je me penche vers la table de nuit, poussant un profond soupir alors que je prends mes lunettes que j'ai abandonnées là depuis quelques jours, les posant sur mon nez, le chat toujours sur les jambes, avant de chercher la boîte où se trouvent ses médicaments. Après quelques minutes de combat et de caresses, je parviens à donner le petit comprimé au chat qui se résigne à l'avaler, soupirant un peu alors que relève les yeux vers Yun Hua, à qui ne j'ai plus vraiment accordé d'attention durant quelques secondes.

« Elle est malade depuis quelques mois. » Petite explication inutile, mais j'imagine que ça se comprend, non? Je finis par me débarrasser de la couverture qui couvre mes jambes, cherchant mes béquilles avant de me redresser. « Tu veux déjeuner? Enfin, tu manges quoi surtout? »

Évidemment qu'elle va déjeuner, c'est même certain. Elle n'a pas le choix, de toute façon. No choice.

n croirait presque qu'il ne m'est même pas autorisé de pouvoir paresser tranquillement dans un lit douillet, juste pour une pauvre et malheureuse petite fois. Il doit y avoir un champ magnétique qui doit vouloir me pousser à tout prix hors du Japon, ce n'est pas possible autrement. Je veux dire, il faut nécessairement que le chat de Ryû ait eu la brillante et singulière de planter sa tête juste devant mes yeux, il ne pouvait pas simplement annoncer sa venue avec un miaulement affecutueux, non il fallait absolument qu'il surgisse de nulle part. Résultat des courses, j'ai aussi mal au dos, voire plus, que si j'avais passé la nuit aux dortoirs, cela valait bien la peine de rester dormir ici pour profiter d'un matelas digne de ce nom. Je vous jure. Sans compter que l'intervention de Ryû ne m'aide en rien à positiver et je lui lance un regard réprobateur alors qu'il s'amuse ouvertement de la situation. Ce n'est pas drôle, non, son chat m'a fait peur et je me suis retrouvée projetée, de moi-même certes, hors du lit. Autant dire que je viens de donner un sens propre à l'expression « tomber du lit », ce qui ne me met pas forcément de bonne humeur dès le matin.

A croire que mon regard a suffi à lui démontrer que cela ne me fait pas vraiment mourir de rire, il ne tarde pas à reprendre un semblant de sérieux – forcé ? - pour me donner si je vais bien, ce à quoi je me contente de hausser les épaules. On ne peut pas dire que je n'ai rien senti, loin de là, sinon je ne me serais pas plainte, mais en comparaison avec une jambe cassé, je présume que ce n'est pas grand-chose au fond. Disons simplement que j'aurais apprécié avoir un réveil plus doux. Le principal étant que je n'ai pas atterri sur le ventre – là mon état d'esprit aurait été tout autre, on aurait vu ce à quoi une crise d'hystérie ressemble vraiment – et que je ne me sois pas tordu ou cassé un seul membre je m'en sors donc plutôt bien. Ce qui ne m'empêche pas de me frotter toujours les reins en grimaçant une fois relevée, alors que j'observe avec curiosité Ryû s'occuper de son chat, qui est en fait une femelle. Première nouvelle de la journée. Je me demanderais presque si elle ne m'a pas fait une frayeur sciemment par conséquent, par jalousie. Il va sans dire que j'arque un sourcil, les bras croisés, en voyant le brun se saisir d'une paire de lunettes qu'il pose sur son nez – ce qui paraît assez logique en même temps. Deuxième nouvelle de la journée, Ryû porte des lunettes. Mine de rien, cela fait pas mal de nouvelles informations en si peu de temps.

Je sursauterais presque au moment où il s'adresse de nouveau à moi, un peu perdue dans mes réflexions existentielles sur le fait qu'il ait des lunettes, la conclusion évidente étant qu'il doit porter des lentilles de contact la journée. Je mériterais un prix d'excellence pour cette déduction évidemment. Aussi me contente-je de hocher la tête suite à sa déclaration, ne voyant pas bien en quoi cela me concerne mais passons. S'il doit lui donner un médicament, ce n'est pas juste par plaisir après tout, je sais bien que les hormones ont tendance à affecter mes capacités de réflexion mais à ce point, il ne faut pas exagérer non plus. En revanche les questions qui suivent me concernent directement, donc là, il est peut-être temps de mettre mon cerveau en route sérieusement. Déjà, pour trouver un semblant de logique dans ce qu'il me dit. A quoi cela sert au juste de me demander si je déjeune si au final c'est pour savoir ce que je mange ? Voilà mon esprit s'embrouille, bravo. En fait, je comprends rapidement qu'il exclue en fait toute possibilité pour moi de sauter le petit-déjeuner. Et alors, il va me ligoter sur une chaise et me force à avaler du pain si je refuse ? Autant dire que cette perspective m'arrache un petit ricanement.

« Et je peux savoir ce que tu comptes faire au juste si jamais je n'ai pas faim?, je lâche d'un ton moqueur, mais bon, je suis bonne joueuse alors si tu as des céréales ou du pain complet, ce serait l'idéal, j'énonce avec un sourire fripon. »

Non pas que ce soit particulièrement les choses dont je raffole en vérité, mais d'après le médecin, c'est nécessaire pour limiter l'anémie, en plus des compléments qu'il m'a prescrits, alors je suis bien obligée de m'y plier. Ce qui me fait songer que je dois éviter en théorie tout ce qui est thé et café de préférence, même si j'ai ouvertement du mal à me passer de ma dose de caféine dans la journée. Si je respecte les consignes alimentaires en plus de prendre mon traitement, je suppose que ce n'est pas si grave, non ? Je suis cependant conscience que mieux vaut ne pas mettre Ryû dans la confidence à ce propos : s'il est déjà capable de criser quand je ne mange pas le matin, imaginez un peu s'il apprenait que je bois du café de temps à autre alors que c'est déconseillé. Je ne sais dire si le retour de cette attitude surprotectrice à mon égard m'amuse plus qu'elle ne m'agace mais j'espère simplement qu'il ne va pas passer ses journées à me harceler au téléphone pour savoir ce que je mange en détails.

« Bien dormi sinon?, je demande dans un élan d'altruisme en me dirigeant vers le salon. »

Quitte à passer le début de la matinée ici, autant faire un minimum de conversation, et de préférence de conversation banale. Même si je sais que j'aurais beau faire de mon mieux pour tourner autour du pot, si monsieur veut relancer le sujet fâcheux, je ne pourrais pas y faire grand-chose. Mais ne commençons la journée de mauvais pied, n'est-ce pas ?

risu, Arisu, monstre de jalousie prêt à tout pour prouver à l'humaine présente sur son territoire que son maître est sa propriété exclusive. Que la redoutable féline se rassure, elle n'a rien à craindre de notre invitée. J'ai suffisamment fait l'idiot en sa compagnie pour savoir que ce n'est pas une bonne idée que ça risque de dégénérer entre nous, sans compter que j'ai actuellement un plâtre, pour ceux qui auraient la mémoire courte. Omettant volontairement les miaulements plaintifs de l'animal qui semble avoir besoin de toujours plus d'affection que je ne peux lui en donner, je finis par lui donner son médicament, tant bien que mal, lui faisant ensuite l'honneur de quelques caresses qu'elle accueille avec plaisir. À croire que ce chat tient de moi: toujours prête à obtenir un peu d'attention. D'un autre côté, ce n'est pas comme si je commençais à craindre de la perdre, cette bestiole, auquel cas je m'en voudrais très certainement à vie. C'est un peu la seule créature avec qui j'ai vécu au cours des dernières années, depuis que Hikari m'a quitté, et il ne faut pas oublier que j'ai obtenu cet animal quand j'étais encore avec elle. J'avais envie qu'elle soit capable d'étudier son comportement, comme elle voulait en faire son métier, mais non. Tout s'était terminé.


Après un moment passé à caresser le chat entre les deux oreilles tandis qu'il essayait de me convaincre de rester près de lui (oui, à force, je comprends le chat, vous ne pouvez pas imaginer à quel point ma vie est passionnante), j'ai fini par me décider à parler à Yun Hua. Oui, parce que contrairement à la boule de poils, elle me répondra certainement, alors quitte à faire la conversation. En plus, je sais que la soirée d'hier a du être particulièrement éprouvante et je me sens un peu obligé envers elle. Pas que ça me dérange, dans le fond, d'avoir une occasion de "m'occuper" de quelqu'un. Je me sentirais presque triste si je n'avais pas connaissance de ce besoin que j'ai de toujours devoir me soucier de quelqu'un, de devoir apporter mon aide lorsque je le peux, d'être utile, tout simplement? J'ai sans doute l'air égoïste, comme ça, mais j'aime bien venir en aide aux gens quand c'est nécessaire. Un peu comme un héros, en moins musclé et moins classe. Aussi sexy, peut-être? Admettons.

« Te faire manger par les oreilles? Comme les gosses? » Je n'ai pas pu la retenir, celle-là, mais ça aidera peut-être à détendre l'atmosphère. « J'ai pas de pain, mais je dois avoir des céréales. »

Mes habitudes alimentaires ne sont franchement pas les meilleures qui soient, et sans doute que mon contact avec Mi a exacerbé ma tendance à manger du sucré à chaque fois que l'occasion se présente, mais il faut bien mourir de quelque chose, non? C'est comme la cigarette. Je réalise d'ailleurs que je n'ai pas fumé depuis que Yun Hua est arrivée la veille, mais que je ne peux pas me permettre de le faire maintenant qu'elle est présente et toujours bel et bien enceinte. Y penser une fois de plus m'arrache un léger soupir; c'est comme si je ne parvenais pas à me sortir cette information de la tête, comme si elle revenait sans cesse pour me rappeler que, bientôt, je serais père. Papa. Vous réalisez un peu? C'est difficile à admettre quand on sait que nous comptons faire adopter le bébé, mais ça restera mon enfant. Enfin, en théorie. Mais pourquoi je m'attarde encore là dessus, moi? C'est ridicule.

« Comme quelqu'un qui a une jambe dans le plâtre. » Je ris un peu alors que je hausse les épaules. « Mais oui, ça peut aller, et toi? »

C'est absurde. Comment peut-on discuter comme ça? En fait, je ne sais pas ce qui me perturbe le plus entre le fond de la conversation et l'attitude qu'on a adoptée depuis le réveil. Je veux dire, depuis quand est-ce qu'on est passés du professeur et de l'étudiante à problème aux deux personnes presque normales (pour ne pas dire à un couple) qui se réveillent un beau matin et demandent à l'autre s'il a bien dormi? Les grands mystères de l'existence, et je dois avouer que c'est assez particulier à mes yeux. De quoi devenir totalement fou.

Après quelques secondes, je traîne ma carcasse jusqu'à la cuisine, aidé de mes fidèles béquilles, avant d'ouvrir l'armoire où je range habituellement mes boîtes de céréales. Bon, j'en ai plusieurs alors j'espère qu'elle trouvera son bonheur, sinon je ne sais pas trop ce que je peux faire pour elle. Je n'ai jamais été un amateur de pain, alors il est rare que j'en ai vraiment. De mon côté, je décide de prendre une part de marbré, comme le paquet a été ouvert la veille et que je n'ai pas l'habitude de déjeuner énormément, la posant sur l'assiette après l'avoir coupée.

« Tu bois quoi? » Demandé-je simplement alors que je prépare un peu de café pour moi, secondé par le chat qui vient encore une fois miauler non loin de moi. « Tu veux bien mettre Arisu dans la chambre, s'il te plaît? »

Elle va me suivre partout autrement, et je crois que je n'ai pas la patience pour ça aujourd'hui. Ce chat m'aime énormément, comme je l'aime moi-même, mais je crois qu'il faudrait qu'elle se calme un peu par moment, parce que trop d'amour tue l'amour, là, et j'aimerais pouvoir vivre un peu sans être suivi par une saucisse poilue.

ien sûr que se trouver dans une situation en apparence banale relève du bizarre, voire de l'incroyable. Quelque part, cela me donne l'impression d'avoir sciemment enterré mes problèmes quelque part dans mon esprit, sans avoir envie de les ressortir tout de les ressortir tout de suite. Mais peut-on vraiment me reprocher de ne pas vouloir songer tout de suite que l'individu en face de moi est plus ou moins lié à moi à cause de cet enfant ? Ou encore qu'il est présentement marié à une autre à qui il va devoir un jour ou l'autre devoir rendre des comptes par ma faute ? Je crois qu'on peut aisément comprendre que je préfère faire un break avec tout ça, au moins pour les premières minutes qui suivent mon lever. Pour une fois que je ne me sens pas comme un zombie qu'on a accidentellement déterré, j'aimerais un peu en profiter si ce n'est pas trop demander, même si c'est pour entendre Ryû énoncer des bêtises absurdes, comme le fait de me faire manger par les oreilles. Sérieusement, il y a vraiment des parents pour faire ce genre de menaces ? Leurs gamins ne doivent pas être bien futés si ça marche parce que ça me paraît être le truc le plus impensable tout de même. Je suppose qu'à force, on doit être à court d'idées pour professer des élucubrations pareilles.

Enfin bon, du moment que monsieur a ce qu'il faut pour me nourrir en bonnes et dues formes, je ne vais pas trop me plaindre non plus, à croire que c'est moi l'animal domestique dont il faut soulager la faim. Heureusement que je ne suis pas particulièrement difficile, ce serait une bien mauvaise surprise pour quelqu'un qui n'a pas si bien dormi, si j'en crois ses dires. Dois-je en conclure qu'il ne s'est pas endormi de suite ? Ou qu'il s'est réveillé dans la nuit ? A bien y réfléchir, ce ne sont pas tellement mes oignons, il a une jambe dans le plâtre, on ne peut pas y faire grand-chose, à part attendre que ça passe dans ces moments-là. Dans un sens, c'est même de sa faute s'il doit en passer par-là, cette fois, il ne peut pas se réfugier derrière Dakota pour jouer les coupables, à moins qu'il soit devenu un ninja s'amusant à verser de l'alcool dans le verre des gens, Ryû est l'unique responsable de sa condition actuelle. Pour ma part, je me contente de hocher doucement la tête pour signifier que non, je n'ai pas passé une mauvaise nuit. Je regretterais presque de ne pas avoir pu profiter du lit plus longtemps, si la pensée de savoir que j'ai dormi sur son torse n'était pas incroyablement gênante.

Il a beau sortir plusieurs boîtes de céréales, j'avoue que je n'accorde pas tellement d'importance au goût de ces dernières. Si ça ne tenait qu'à moi, je préférerais manger de bonnes pâtisseries bien sucrées, mais bon, attendre un enfant implique de savoir faire des concessions et de revoir ses priorités, aussi saisis-je le paquet le plus proche de moi en guise de choix. J'ai à peine le temps d'en verser dans un bol que j'ai trouvé au passage, que le brun s'adresse de nouveau à moi. Ce que je bois ? Je me demande si lui faire la blague du lait est une initiative judicieuse mais je me ravise, on garde les mauvaises plaisanteries pour plus tard. Fou comme une bonne nuit de sommeil amène à prendre de bonnes résolutions. Ce qui ne m'empêche pas de lâcher un soupir quand j'apprends qu'il faut que je m'occupe de mademoiselle Arisu – dont je viens en fait d'apprendre le nom – puisque son maître est invalide. Autant dire que je ne saute pas de joie.

« N'importe quel jus de fruit se trouvant dans ton frigo, s'il te plaît, je réponds en me dirigeant à contre-coeur vers la boule de poils, non sans cacher ma démotivation totale. »

Je ne suis pas une experte en guise d'animaux et même si parfois je songe qu'en avoir un pourrait être amusant, je constate que je m'y prends toujours plus ou moins comme un manche avec eux. Exemple concert : je n'ai aucune idée de la façon dont on porte un chat sans que celui-ci n'ait peur sur le coup au point de s'agripper à vous de toutes ses forces. Alors on m'excuse si j'ai un peu d'appréhension à m'occuper d'Arisu, qui semble d'ailleurs me dévisager avec un air curieux, se demandant sans doute ce que je compte faire. Brrr. Cela dit, je ne veux pas non plus passer pour une froussarde auprès de Ryû et une fois de plus, je me prends à penser que si je suis capable de tenir à tête à quelqu'un comme mon père, je ne devrais pas être effrayée par un petit animal à quatre pattes. Prenant donc sur moi, je saisis l'animal au ventre, non sans prendre le soin de le tenir bien à distance de moi et l'amène dans la chambre, dont je claque la porte sans autre forme de procès. A bien y regarder, je l'ai plus « jetée » que je ne l'ai « posée » en vérité et elle doit me haïr comme personne maintenant. Reste juste à ne pas perdre totalement la face une fois de retour dans la cuisine.

« Les animaux c'est pas vraiment mon fort, j'explique pour combler le silence gênant, tandis que je me saisis d'une cuillère, afin d'entamer mon bol de céréales. »

Oui je compte manger debout sur le meuble de la cuisine et alors ? Ce n'est pas un crime de ne pas vouloir déjeuner sur un canapé aux dernières nouvelles que je sache. Et ça n'a aucun rapport avec le fait qu'on puisse entendre moins clairement les miaulements plaintifs d'Arisu, pas du tout.

e fais partie de ces gens qui vous proposent à boire en sachant pertinemment qu'ils ne disposent pas de grand chose dans leurs placards. Pour ma défense, j'ai la jambe dans le plâtre et je manque de courage pour aller chercher de quoi remplir mon réfrigérateur, alors on va dire que pour l'aspect boisson présente dans l'appareil, on risque de ne pas trouver grand chose à part, peut-être, des bouteilles de bière. Oui, parce que je n'ai pas bu au cours des derniers jours. J'ai eu trop peur de recommencer des conneries alors je me tiens à carreau, vous voyez. Un soupir m'échappe à cette pensée alors que je m'approche du frigo pour l'ouvrir, constatant avec une certaine tristesse que j'avais raison de penser que je n'aurais rien de bien intéressant à offrir à Yun Hua.

« Hm, j'ai pas grand chose. Tu veux du café? »

Oh, hey, j'ai jamais été enceinte et je ne me suis jamais intéressé à ce type de choses, alors on peut me pardonner une proposition pareille non? C'est pas comme si Yun Hua m'avait caché qu'elle était encore en cloque et que je m'étais renseigné sur le sujet, du coup. Je ne fais que proposer autre chose, puisque ce qu'elle m'a demandé n'est visiblement pas disponible dans mon frigo pour l'instant. La tristesse quoi. Je referme la porte eu réfrigérateur en soupirant un peu, ennuyé d'avoir du annoncer une si triste nouvelle à Yun Hua qui, au final, va penser par croire que je suis vraiment un imbécile fini qui n'a rien de plus chez lui que de l'alcool pour passer ses soirées solitaires. Je crois que je devrais songer à me faire livrer les courses, un jour. Ça doit bien exister, non? Comme ça je deviendrai encore plus ermite. Mauvais plan.

Levant les yeux comme j'espère qu'elle m'a entendu depuis la chambre, je réalise que ce n'est peut-être pas le cas, et j'attends qu'elle revienne afin de savoir ce qu'elle veut dans ce cas. J'espère aussi qu'elle n'a pas eu trop de problèmes avec Arisu. Ce chat est particulièrement affectueux et gentil, mais j'ignore ce qu'il en est avec les autres personnes. Je sais qu'elle aime beaucoup Mi et qu'elle cherche souvent à s'approcher d'elle lorsqu'elle vient, mais Yun Hua... Aucune idée. En tout cas, quand j'entends les miaulements plaintifs de la demoseille féline qui semble ne pas apprécier d'avoir été isolée du reste du monde dans ma royale chambre. Franchement, ce chat m'arracherait le coeur à geindre comme ça, et je sais que j'aurais tendance à aller lui ouvrir si je n'avais pas l'intime conviction que c'est le mieux pour l'instant. Surtout si je déjeune au salon et qu'elle vient manger dans mes affaires comme elle le fait si bien d'habitude. Elle sait que c'est mauvais pour elle, surtout malade comme elle est... Enfin je crois? Aucune idée de ce que pense ces vils animaux.

« Tu vas manger là? » Demandé-je, intrigué.

Bon, chacun ses habitudes, je ne peux pas lui imposer de s'asseoir pour manger, mais ça me semble un peu bizarre, non? Je hausse les épaules après quelques secondes, prenant la direction du salon pour m'installer et manger tranquillement après m'être servi un mug de café. Je regarde la porte de la chambre, un peu apitoyé par les miaulements d'Arisu qui a entreprit d'y gratter dans l'espoir de me faire céder, mais bien décidé à ne pas aller lui ouvrir, tandis que je porte le morceau de marbré à mes lèvres pour y mordre. Je sais que je devrais discuter avec Yun Hua, mais je pense qu'il vaut mieux éviter de faire ça n'importe comment, n'est-ce pas? J'aimerais éviter une nouvelle guerre stupide entre nous, parce que je sais parfaitement que c'est ainsi que les choses vont tourner si l'on commence à discuter sans réfléchir sérieusement à ce qu'on raconte. Après tout, j'imagine qu'elle n'était pas prête à apprendre tout ça hier, ou du moins qu'elle ne l'imaginait pas en arrivant. Maintenant que mes parents sont au courant, les choses sont encore plus délicates.

En parlant d'eux, je me demande s'ils sont bien rentrés. Je pousse un soupir et me redresse pour aller chercher mon téléphone que j'ai du abandonner à la salle de bain, la veille, et je retourne m'asseoir dans le canapé avant de regarder ce qu'affiche l'écran. Un appel en absence et deux messages. Je fronce un peu les sourcils, ne sachant pas trop ce que je vais y trouver, puis je comprends mieux les raisons de leur venue. Ils vont déménager. Like, really? Si seulement ils avaient mieux calculer leur arrivée, on aurait pu en discuter calmement. Enfin. Le second message change déjà de sujet.

« Ah, mes parents demandent de tes nouvelles. »

Oui, parce qu'ils n'ont pas l'air d'avoir capté que Yun Hua et moi n'étions pas ensemble, et il faut croire que ma mère n'a pas compris qu'elle s'appelait Yun Hua et pas Yuna, non plus, soit. Un jour, j'espère pouvoir leur présenter Mi, si les choses vont mieux entre nous. D'ailleurs, il faudrait que je prenne de ses nouvelles aussi, que j'essaie de la croiser, puisque pour l'instant c'est relativement mort et qu'il faudrait qu'on parvienne à discuter de ce qu'il s'est passé à Vegas. Si seulement j'avais été plus malin. Si seulement. Je pousse un nouveau soupir alors que je verrouille mon téléphone et que je le pose sur la table basse, à côté de mon assiette, pour prendre mon morceau de marbré et continuer à le manger, profitant également de mon café pour me réveiller. Étrangement, la motivation d'aller donner cours me manque. En plus, j'ai cours avec les lycéens cet après-midi. Ça me donne tellement envie d'aller bosser.

« T'as cours aujourd'hui? »

on les animaux ne m'effraient pas particulièrement, je ne suis pas morte de peur à chaque fois que j'en croise un dans la rue au point de changer de trottoir, il ne faut pas exagérer non plus. Mais, pour une raison qui m'échappe, le courant ne semble pas passer entre Arisu et moi, je ne sais pas si c'est parce que je n'ai pas daigné lui filer une part de marbré ou parce qu'elle ne m'aime pas tout simplement, mais on ne peut pas dire qu'elle saute de joie alors que je suis forcée de la porter pour l'amener dans la chambre. Ce qui peut aussi s'expliquer par le fait que je m'y prends comme un manche, soit, le fait est que je ne tiens pas me trouver dans un rayon proche d'elle. Je peine suffisamment à gérer les contacts humains, on ne va pas non plus me demander d'être conciliante avec les animaux de compagnie, un peu d'indulgence par pitié. Surtout le matin, alors qu'elle m'a causé une frayeur dépassant toute concurrence. Alors, honnêtement, manger des céréales debout est le cadet de mes soucis, je trouve ça presque sympathique après tout ce flot d'émotions intempestif. Même si je sais pertinemment que je dois sembler être un extraterrestre aux yeux de Ryû à cause de cela, mais j'ai envie de dire que je ne suis plus à ça près. Cela me paraît presque dérisoire en comparaison à la violente crise de nerfs que j'ai piquée contre lui au camp de vacances, et tant que je ne cause pas de problème, ce n'est pas grave, n'est-ce pas ?

C'est donc sans lui offrir la moindre réaction que je l'observe se diriger pour sa part dans le salon pour prendre son petit-déjeuner, songeant qu'un peu d'espace ne peut pas nous nuire. Loin de là, surtout si on considère que j'ai dû passer une bonne partie de la nuit allongée sur son torse, maudit sommeil qui ne peut même pas faire en sorte que je garde mes distances. Mais bon, je n'ai pas du tout envie de débattre intérieurement sur les intentions cachées de mon inconscient, qui de toute manière m'échappent. Je me dis plutôt que c'est beaucoup trop calme pour le moment et je crains que ça n'explose d'un moment à l'autre, n'excluant en rien que je puisse en être à l'origine. Je veux dire, à quand remonte la dernière fois où on a tenu ensemble aussi longtemps sans se chamailler comme des enfants ? Jamais, si ma mémoire est bonne, c'en est presque affligeant. Cela semble donc être beaucoup trop beau pour être vrai.

Surtout si on continue de faire la conversation comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Heureusement que je ne suis pas maladroite au point de m'étouffer avec une bouchée de céréales, sinon on aurait été bons pour les urgences par-dessus le marché. Ses parents demandent de mes nouvelles ? Genre ?! Ahem. Il me semble pourtant bien me souvenir que je n'étais pas vraiment sous mon meilleur jour la veille et je doute sincèrement leur avoir fait une impression positive. Je fais pitié à ce point ? Ou alors ils n'ont toujours pas compris que je ne suis ni Mi, ni la petite-amie de leur fils ? Sur le coup, je me réjouirais presque de ne pas avoir de « vrais » parents, cela a l'air d'être la source de tellement de prises de tête. Ce n'est pas tout, mais je ne peux pas simplement me permettre de faire comme si je n'avais rien entendu, je ne suis pas sourde encore.

« Ah ? Vraiment?, je demande d'un air incrédule, ne comprenant toujours pas pourquoi ils s'intéressent tant à moi, c'est gentil… mais très bizarre. »

Dire le contraire aurait été un sacré mensonge. Surtout que je ne pense pas les revoir de sitôt, c'est vraiment très étrange. Je suppose que parfois, mieux ne vaut pas connaître la réponse de nos interrogations et juste faire abstraction. C'est limite si la routine de l'université ne me manque pas là, tout de suite, et pourtant, je ne saute pas de joie quand Ryû aborde le sujet. Ce qui ne manque pas de me faire froncer les sourcils. Qu'est-ce que ça peut lui faire si j'ai cours aujourd'hui ou non ? Il a prévu une promenade au parc comme tous les gens dans les films quand ils veulent discuter de leurs problèmes ? Vraiment, là, cette tentative de mener à bien une conversation normale devient franchement ridicule, on croirait assister à une mauvaise comédie.

« Oui, même si je ne vois pas en quoi c'est intéressant, lui fais-je remarquer, peinant à contenir mon sarcasme, avant de me diriger dans le salon une fois mes céréales terminées, lui faisant face, d'ailleurs je ne peux pas m'attarder éternellement donc voilà ce qu'on va faire. Je vais aller me laver et pendant ce temps tu réfléchis à tout ce que je t'ai dit hier. Et après ça, on va pouvoir avoir enfin une discussion qui ne soit pas franchement bizarre vu la situation. »

Sur ces bonnes résolutions, je fais volte-face pour retourner dans la chambre, afin de m'emparer de ma robe, sèche mais loin d'être dans un parfait état. On ne va pas faire la difficile, je doute que Ryû ait des vêtements pour moi de toute façon. Sans traîner – ni songer à demander la permission d'ailleurs – je file dans la salle de bains, sans même vérifier au passage si Arisu n'en a pas profité pour s'échapper de sa prison. Au pire, ce n'est pas si grave je pense. Je ne suis pas longue, puisque que de toute manière, à part prendre ma douche, il n'y a rien à faire, ce n'est pas comme si Ryû avait prévu un jour une trousse de toilettes avec des soins pour la peau et du maquillage au cas où. J'espère au moins avoir le temps de repasser par ma chambre aux dortoirs avant d'aller en cours, histoire de ne pas avoir une tête de zombie. Inutile en plus de tendre le bâton pour se faire battre. Bref. Environ dix minutes plus tard, me voilà hors de la salle de bains, de nouveau vêtue de ma robe, les cheveux relevés en queue de cheval et plus ou moins prête à enfin avoir un échange sérieux.

« Alors ?, j'interroge, bras croisés sans plus de précision. »

Il l'aura bien compris, c'est l'occasion ou jamais, puisque dans quelques jours j'aurai quitté le pays.

i on me demandait ce que je ressens à l'instant, j'aurais clairement envie de dire que je me sens vide. Je suis fatigué, même si j'ai particulièrement bien dormi cette nuit malgré mon plâtre et les événements de la veille, et j'ai clairement l'impression que je réfléchis à trop de choses pour réussir à me concentrer sur quelque chose en particulier. Du coup, je suis dans le vague, incapable de me focaliser sur une idée précise, ce qui me dérange fortement puisque j'aimerais être à même de discuter normalement avec Yun Hua, sans être constamment en train de remettre en question la moitié de ma vie et de mes convictions. Parce que oui, je suis perturbé par tout ce qu'il nous arrive et ce que l'on peut penser. À croire que tout est mis en oeuvre pour me perdre. Chassant ces pensées de mon esprit, je pousse un léger soupir alors que je prends mon petit-déjeuner, l'oreille tendue aux miaulements d'Arisu qui continue à geindre dans son coin.

« Oui, je pense qu'ils ont du s'inquiéter de ton départ soudain. »

Même si elle a fuit vers ma chambre. C'est plutôt normal de la part de mes parents, vous savez. Je reprends donc mon petit déjeuner, tranquillement, sans vraiment prêter attention au reste du monde parce que j'ai franchement d'autres choses à penser qu'à ce qu'on pourrait me vouloir à une heure pareille, et je fais même abstraction du chat qui miaule derrière la porte. Et la réaction que j'obtiens lorsque je me hasarde à demander à Yun Hua si elle a cours dans la journée, me fait légèrement froncer les sourcils. En quoi c'est intéressant? Bah peut-être pour savoir si elle va à l'université aujourd'hui, si on risque de devoir faire le trajet, comment elle y va, qu'en sais-je? Sur le coup, j'ai vraiment l'impression qu'on essaie de me remettre à ma place, et encore plus quand j'entends la suite, levant les yeux vers elle quand elle se tient devant moi, les sourcils soudainement haussés. Genre, vraiment?

« Euh... Oui madame? »

Un léger rire m'échappe suite à cette réflexion tandis qu'elle se dirige vers ma chambre pour chercher ses vêtements. Non, vraiment. Elle vient de me dire quoi faire, comme ça? Je dois lui rappeler que c'est elle qui est venue me trouver, la veille, pour me dire qu'elle était encore enceinte? Puis on m'explique pourquoi elle agit comme si elle était chez elle? Non parce que je veux bien être gentil, adorable et tout ce qu'on veut, là j'ai vraiment un problème avec ce qu'il se passe. Du coup, pour passer ma frustration d'être pris pour un enfant en bas âge à qui l'on donne des consignes, je continue à manger et termine mon café alors que madame la duchesse de je-ne-sais-où prend la liberté d'utiliser ma salle de bain. Bah oui, et comme je ne lui ai pas expliqué où étaient les affaires, j'imagine qu'elle va fouiller. Génial quoi. Je vous jure, parfois, je me demande où est le respect.

Quand Yun Hua ressort enfin de la salle de bain, j'ai terminé de manger et lève les yeux vers elle à nouveau, perplexe quand elle m'adresse un "alors" qui, je vous l'avoue, m'énerve légèrement sur le coup.

« Alors quoi? » Oui, parce que je vois pas trop ce que j'aurais à dire exactement, pour le coup. « Tu veux que je me roule à tes pieds en te suppliant de rester? »

Je suis peut-être énervé, mais la question est particulièrement calme. Elle m'a expliqué en long et en large qu'elle ne voulait pas rester, qu'elle serait mieux là-bas et qu'elle préférait éviter d'être remarquée par sa grossesse à la RPS, alors autant qu'elle parte, non? De toute façon, j'ai d'autres problèmes à régler ces temps-ci et il faut impérativement que je discute avec Mi. Genre c'est urgent. Après quelques secondes à peine je, reprends la parole sur le même ton.

« Tu as l'air de savoir parfaitement ce que tu fais, et ce en toutes circonstances, alors j'imagine que je n'ai rien à dire. J'espère juste que tu me tiendras au courant et que tu ne me mentiras plus. » De toute façon, c’est pas comme si je commençais à être habitué, à force.

e reconnais que ma démarche n'a rien à envier aux militaires et que c'est légèrement – pour ne pas dire « ouvertement » - irréfléchi d'agir ainsi, sans demander l'avis de personne et surtout pas du propriétaire des lieux. Mais, comment dire ? Le fait est que je suis un peu lasse de nous observer tourner autour du pot depuis plusieurs minutes et qu'il me semble qu'il faudrait peut-être qu'on aborde le fameux sujet, celui pour lequel je suis venue ici à la base, car non, mon but n'était pas de m'incruster chez Ryû pour la nuit, ni de profiter de sa nourriture ou de sa salle de bains. Même si je ne peux pas dire que changer de décor par rapport aux dortoirs n'est pas désagréable. Le fait est que je dois avouer que j'ai un peu paniqué en songeant qu'il serait possible que je doive partir à la hâte parce qu'au final, à force de prendre des détours, l'heure aurait tourné et j'aurais dû aller en cours, et on en serait toujours au même point, c'est à dire une incertitude on ne peut plus floue. Ce n'est pas que je veux m'enfuir de son domicile le plus vite possible, même si je trouve que la situation commence à devenir un peu gênante surtout si ses parents s'amusent à demander de mes nouvelles, mais je veux être sûre qu'on puisse parler sans que je doive décamper sans prévenir. Je n'avais pas pensé que cela me vaudrait une scène.

Déconcertée, oui je le suis, c'est le moins que l'on puisse dire, j'arque un sourcil sous le coup de l'étonnement en entendant Ryû se montrer si agacé, malgré le ton modéré de ses paroles. En vérité, je ne devrais pas être si surprise, la réponse qu'il m'avait fournie quelques minutes plus tôt aurait tout de suite dû me mettre la puce à l'oreille. Ce qui ne m'aide pas vraiment à saisir pourquoi il se met à réagir comme ça et pourquoi il préfère m'attaquer et prendre ça avec ironie plutôt que d'en discuter sérieusement. Enfin, jusqu'à ce qu'il m'en dise plus, ce qui me fait pousser un soupir. Et voilà, monsieur s'indigne que je l'aie tenu à l'écart jusqu'ici et joue les mauvaises têtes. Sincèrement, je ne vois pas en quoi c'est supposé être bénéfique pour avancer ce qu'il me dit là et je dois avouer qu'il me faut prendre sur moi pour ne pas piquer une crise, là maintenant. Parce que je dois reconnaître que je suis à deux doigts d'exploser, encore, parce que ça m'exaspère, je ne vais pas non plus rester pour ses beaux yeux, juste parce que monsieur préférerait que je reste dans les parages.

Alors oui, j'aurais pu m'énerver et lui hurler dessus, encore une fois, mais je n'en fais rien. Voilà, contre toute attente, je ne vais pas piquer une crise de nerfs, non, je vais faire beaucoup mieux que cela, genre quelque chose qu'on n'attendrait pas de moi, mais alors pas du tout. Je vais prendre le temps de réfléchir, d'analyser la situation et de comprendre pourquoi il me débite ce flot de paroles qui me paraissent à priori absurdes. Étonnant, n'est-ce pas ? Moi qui ai le don de démarrer au quart de tour, souvent pour peu de choses de surcroît, c'est une première, alors oui, je ravale ma colère et je décide, pour une fois dans ma vie, de faire preuve de réflexion. Le fait est que quand les enjeux vont au-delà de votre amour propre et qu'il y a une vie au milieu de ceux-ci, cela pousse à dépasser ses pulsions agressives. Surtout quand cette dernière se trouve dans votre ventre et se plaît à vous le rappeler en y donnant de petits coups de temps à autre. Et donc il ne me faut pas bien longtemps avant de pouvoir comprendre ce qui pousse Ryû à agir de la sorte. A sa place, moi aussi j'aurais dû mal à faire confiance – si ce n'est en être totalement incapable – à la fille qui m'a menti pendant des mois en me cachant qu'elle était toujours enceinte, sans que ce soit réellement justifié en plus. Et sans compter que cette dernière a la fâcheuse tendance à être émotionnellement instable, si on se souvient du fait qu'il est possible qu'elle hurle sur quelqu'un et qu'elle l'embrasse ensuite en l'espace de quelques minutes. Fâcheux épisode que j'aurais préféré oublier. Mais le faits sont là, Ryû ne me fait pas confiance, et je ne peux pas lui en vouloir pour cela.

« Je comprends, mais vraiment, j'énonce avec sérieux, des fois qu'il penserait que ce serait une mauvaise plaisanterie de ma part, je sais que les faits ne jouent pas en ma faveur et que tu n'as aucune raison de me faire confiance, Ryû. Et je n'ai aucun moyen de te le prouver, sinon ma parole, pour ce que ça vaut. Je suis sincère quand je te dis que tu as ton mot à dire, même si je suis plus sur place. Mais on pourra jamais avancer si tu me jettes la pierre dès que j'essaie de faire un pas vers toi, j'argumente avec un faible sourire, un peu contrariée qu'on en soit là à cause de moi, on dirait presque que tu essaies de te servir de ça pour ne pas à avoir en t'en soucier parce que y'a des problèmes plus importants à tes yeux. »

Outch. C'est plus fort que moi, je ne peux pas retenir un petit reproche au milieu de toute cette vague de bons sentiments. On ne peut pas vraiment lutter contre sa propre nature je suppose, mais je refuse de terminer ce discours, pour lequel je mets clairement ma fierté de côté, je crois même que je l'ai enterrée provisoirement sous terre, sur une note négative. Je ne veux pas qu'il pense qu'il s'agit d'un moyen vicieux pour reporter la faute sur lui, ce n'est en rien mon objectif.

« Mais je ne veux pas croire que c'est ça. On m'a dit que je pouvais te faire confiance et j'ai envie de penser que c'est vrai, c'est loin d'être le cas, je ne me sens pas du tout prête à lui faire pleinement confiance, mais ça, ce n'est pas lié à lui personnellement, alors si jamais tu te poses la question, oui le bébé est en parfaite santé, y'a rien à signaler de ce point de vue. »

Je me dis qu'en lui tendant la main, il finira peut-être par comprendre que je suis honnête avec lui cette fois. Après tout, ça en vaut bien la peine, non ?