Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ C’est avec une certaine difficulté qu’elle réalisait qu’elle parlait de ce genre de chose avec lui. Outre leur conversation qui finissait en bataille de celui qui jettera le plus de chose au sol, pour une fois, peut-être dû à son immobilisation temporaire, elle parlait en n’utilisant que sa bouche et non ses mains ou ses jambes. « Non. C’est cool à toucher aussi. Mais… Tu m’expliques pourquoi je devrais sortir avec toi ? Tu m’aimes ? »  Elle eut l’air le plus blasé au monde, ou encore le plus offusqué. L’adolescente n’était pas certaine d’avoir bien compris. « Tu t’es drogué dans le salon ? » la question fusa de ses lèvres sans même qu’elle le réalise, coupant la parole à son tuteur qui lui expliquait la raison cachée de son célibat apparent. Il détestait lorsqu’elle faisait cela, mais pour une fois que ce n’était pas volontaire. La pensée et les mots n’avaient fait qu’un à l’espace d’un instant, prouvant l’image peu reluisant qu’elle avait de ce dernier. « Je ne sais pas pour les autres » commença-t-elle en appuyant bien le ton sur le dernier mot, « mais lui, il est cool. » Elle réutilisait ses mots, se moquant un peu de lui comme elle avait l’habitude de faire. « Ta raison sonne comme une excuse, ou alors, on dirait presque un morveux qui jette un jouet qu’il ne l’intéresse plus. » Elle haussa ses fines épaules et secoua la tête. Lui qui passait son temps à dire qu’elle devait grandir, n’avait pas pour autant un comportement des plus honorable et responsable. Il ne semblait même pas savoir ce qu’il voulait, ou peut-être qu’une seule chose, preuve que plutôt qu’être un homme de raison, c’était un animal de nature. « Grandis » dit-elle d’un ton sec, en lui faisant une pichenette sur le front, profitant de la petite hauteur qu’elle avait sur lui, toujours allongé.

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ « Pourquoi ? Car il t’obéit au doigt et à l’œil ? Le pauvre, je le plains. » Bingo, du moins, c’était à moitié vrai. Il ne lui obéissait pas, elle avait simplement mis les choses au point avec lui de sorte qu’il avait sa part de liberté. Même si elle se montrait avare de mot avec lui, elle l’aimait bien, non pas parce qu’il cédait à ses caprices mais parce qu’il avait bon fond au final et elle ne faisait que l’utiliser, égoïstement. « Non, je l’aime tout simplement », elle se garda de dire que le mot aimer n’était pas celui qu’un couple réel partageait. Mais qu’importe, Xia He ne semblait pas la prendre au sérieux et d’une certaine façon, il n’avait pas tort. Pour autant, elle ne comptait pas lui confirmer ses soupçons. « Il n’y a que toi qui veuille tout contrôler de la vie d’autrui. À ce rythme, tu finiras seul » rétorqua-elle, presque comme une malédiction. Même si ce n’était pas demain, elle finirait par partir elle-aussi, l’âge ne pouvait être une excuse pour la tenir enfermé dans cette cage.

Décidemment, même en y mettant toute sa bonne volonté (ou du moins, ce qu’il y avait pour lui), elle n’arrivait pas à comprendre son point de vue. D’un autre côté, cela la perturbait et l’agaçait de ne pas pouvoir se mettre dans les chaussures du chinois, mais d’un autre elle se fichait éperdument de ce qu’il pouvait penser, car il avait la fâcheuse manie de vouloir que son mode s’applique à sa façon de penser. Elle refusait d’entrer dans les rangs, maintenant qu’elle avait goûté à la liberté de les avoir quittés, elle ne désirait plus connaître la sensation des entraves qu’il voulait lui mettre. « Je suis grand. Je n’ai pas envie de me soucier de ça, c’est tout. Et puis, si je ramène une femme à l’appart, tu vas lui faire la misère. J’ai pas envie de m’encombrer avec ce genre de sentiment. » Elle ne put s’empêcher de rire, « pourquoi je lui ferais la misère ? Au contraire, pendant que tu t’amuseras avec elle, je pourrais enfin sortir. » Ennuyer la pauvre donzelle serait facultativement son passe-temps, et encore, pas certaine qu’elle le réalise car pour accepter Xia He, il fallait être drôlement cruche et aveugle. « En quoi est-ce encombrant ? Je ne comprends pas. »

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ Parfois, elle se demandait bien ce qu’il y avait dans la petite tête de son pseudo-tuteur. Qu’importe les façons dont elle le lui disait, directement ou indirectement, il ne se rendait pas compte de l’évidence, c’est que dans l’équation « seul », il n’y avait que lui et sans elle. Parmi ses petits camarades, certains vivaient déjà seul, indépendamment de leur parent, mais lui continuait à lui imposer les mêmes règles qu’un petit écolier ou collégien. Il ne semblait pas réaliser à quel point il était envahissant et qu’il dépassait les normes. La seule personne qui pouvait prétendre au rôle de frère et de parent n’était pas ici, au-delà de la mère, quelque part dans la terre du milieu. Elle abandonna, s’évertuer à la raison était une peine perdue d’avance, elle tenterait une autre approche, la prochaine qui arrivait. « Une femme s’est envahissante. Ça veut te prendre ton temps bla, bla, bla… Je n’ai pas envie de m’encombrer inutilement. » Bizarrement, si elle remplaçait le mot « femme » par « Xia He », elle comprenait ce qu’il venait de dire. Il était pire qu’envahissant, il lui demandait tout le temps où elle traînait dès lors qu’elle dépassait l’horaire du couvre-feu établie unilatéralement, et il était encombrant alors qu’il ne devait que remplir le rôle factice de tuteur. « C’est parfaitement ce que je ressens… par rapport à toi ! C’est fou comme tu es incapable de l’comprendre, t’te de pioche » dit-elle en ricanant, réprimant son petite rire bien vite car cela ravivait la douleur de sa blessure. « Mais si toi t’aime ça… Fais. Je suis sûr que tu t’en sers d’esclave ou que tu le forces à sortir avec toi. » Décidemment, il était pire que pessimiste à son sujet, elle était capable d’amour bon sang, mais pas envers lui, jamais. « Autant que tu violes tes conquêtes alors. » Elle répondait du tac au tac. «  P’tain, faut que je te fasse un dessin p’te ? Tu me saoules à ne pas me croire. »

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ «Tu me vois comment toi ? » La lycéenne se figea, le dévisageant pour voir s’il plaisantait ou non car la réponse était une évidence, à tel point qu’elle ne voyait même pas l’intérêt d’y répondre en vérité. État-il stupide ? Ne retenait-il que ce que bon lui semblait ? La deuxième option lui plaisait bien vu comment elle s’acharnait à lui faire comprendre qu’elle ne voulait pas de lui dans son champ de vision, ou tout simplement dans sa vie. « Tu penses réellement que je te vois en bien ? Jamais ! T’peux crever pour que ça arrive un jour. Tu seras toujours le même, un looser, zéro, pathétique pas fichu d’être réaliste ou honnête ! » La proximité de Xia He ne la gênait pas, au contrairement, elle pouvait bien appuyer ses propos en le regardant droit dans les yeux. «Vous vous voyez quand du coup ? » Elle hausse, les épaules, un sourire amusé aux lèvres. Le fait qu’il s’y intéresse autant ne la surprenait même plus, lui qui aimait tout contrôler de sa vie, même les gens qu’elle fréquentait. Mais son obsession pour tout ce qui la concernait était quelque peu effrayant au fond. Elle n’osait pas imaginer ce qu’il serait capable de faire, si quelque chose dérapait. « Pourquoi ? Tu comptes nous pourrir la vie ? » À ces mots, elle lui mit un coup de boule à la façon d’un joueur de football français dont elle avait oublié le nom, pour le repousser. Partager le même oxygène était une chose qu’elle devait tolérer, mais pas à la molécule près non plus, en plus il empestait la cigarette. « T’en as d’autre de question aussi stupide ? » Sa main glissa en dehors de la couverture pour chercher le verre d’eau, répondre à ce plouc l’épuisait la voix et ses facultés mentales.