Debout dans la cuisine de ton frère, tu t’inventes danseuse. Parce que tu passes d’une armoire à l’autre, presque gracieusement, le regard curieux. Et dans ton sillon, un chaos d’armoire ouverte salut l’arrivée de ton frère. Parce que tu cherches le saint-graal – ou pas. Tu trouves bien de la farine, mais des ingrédients manquent et tu soupires, ignorant le regard de Fu Hai. Ce n’est pas la première fois que tu empruntes sa cuisine – ou que tu t’imposes chez lui. Parce que chez lui, c’est aussi un peu chez toi. Mais ta quête n’aboutit pas et tu pousses un grand soupire, vissant tes mains sur tes hanches – on a le sens du drame ou pas, quand on est la dernière des She. Une moue aux lèvres, tu listes mentalement ce qu’il te manque, puis tu pivotes. Pour croiser le regard de ton frère. Pour lui offrir – bien malgré toi – ton sourire habituel, celui que tu lui réserves. Mélange d’admiration et d’affection, parce que personne ne lui arrive à la cheville. « Tu sais que je déteste dire ça mais... » c’est faux, tu aimes bien, en réalité, « … il faut faire des courses. » Et même si tu tentes de ne pas y porter attention, tu sais que ton intonation actuelle est celle de ta mère – douce réclamation à satisfaire. Tu peux refuser de lui parler, il te semble impossible de la chasser de ton être. Une situation qui t’agace tout autant qu’elle te peine – parce que ta mère d’avance, celle que tu croyais naïvement ne pas être une menteuse, te manque. Aussi, tu soupires – encore – puis incline la tête sur le côté. « Je ne peux pas faire de neko gato sans ça » ce qui serait un drame. Parce que tu as promis à tes colocataires de leur ramener tes fameuses galettes en forme de chat. Une fantaisie d’une autre vie. Un souvenir de cet avant – quand Fu Hai dormait encore dans la chambre voisine de la tienne. Un réconfort comme un autre.

Tu n’as pourtant pas à le supplier, tu le sais bien. Il suffit de demander et jamais Fu Hai ne refuse – probablement parce que tu ne réclames que très peu. Mais peut-être es-tu trop gourmande aujourd’hui, à t’imposer chez lui un vendredi, en sortant des cours. Avant le travail. Avant de plonger dans le Japon – endroit encore incongru dans ton jeune esprit. Il est ta bouffée d’air frais. Un grand respire dans ce monde chaotique où tu as plongé. Pour lui. Et déjà tu tends une main, attrapant la manche de son haut – redevenant une petite fille. Jusqu’à ta tenue, ta salopette comme une armure, un costume pour le convaincre. « Dit… tu te sens bien? Je peux y aller seule, si tu préfères... » Tu ne veux pas le fâcher. C’est là, dans la façon dont tu tritures le bout de sa manche. Que tu l’observes, inquiète. Pour lui. Pour le mal qui le ronge. Pour tout ce temps qui file trop vite, celui que tu perds loin de lui. « Ou bien, tu préfères que je te cuisine autre chose? Je comptais aussi te faire des pâtes, mais… tu veux peut-être de la viande? Et je peux te faire un gâteau au chocolat! Ou des brioches! » Tu fronces alors doucement les sourcils – cherchant dans ton esprit, si Fu Hai ne t’aurait pas parlé d’un régime alimentaire spécial. Pas à cause de sa carrière, pour toi ce n’est jamais plus que secondaire, mais bien pour son corps. Son métabolisme. Il n’a pas l’air malade – il ne devrait pas être malade. Et si tu refermes une armoire – ton sourire maintenant envolé – c’est pour t’occuper les mains. Parce que dès que vous serez en route, à moins que ce ne soit quand tu enfileras ton tablier – celui que tu laisses chez lui, seul endroit où tu peux réellement cuisiner à ton aise – tu dois aborder un sujet délicat. Celui qu’il évite avec brio : son frère – ton autre demi-frère.

Outfit ¤ Je la regardais faire, tournoyer dans ma cuisine et je reste silencieux. Jiao Li est mon soleil, ma bouffée d'air frais quand la vie devenait trop dur à porter. Alors, je ne disais rien, me contentait de la regarder faire ce qu'elle voulait faire, souriant silencieusement devant le désert que représentaient mes placards. Je suivais toujours un régime très précis, je ne faisais pas ce que demandaient les médecins. Parce que j'avais toujours besoin de travailler et surtout, mon appétit n'était pas très développé de toutes les manières. Je savais que ma sœur n'approuverait pas, je savais qu'elle allait pincer des lèvres à un moment et se retourner vers moi pour me dire qu'il fallait faire les courses, je savais exactement ce qui se passait dans sa petite tête brune mais, je me contentais d'attendre, adossé au comptoir de ma cuisine, un sourire fantôme sur les lèvres. J'étais content d'avoir pris le temps de rentrer à mon appartement, de ne pas m'être enfuis vers une boite de nuit ou autre chose pour pouvoir la trouver ici. Ces derniers temps, j'avais l'impression que tout allait de travers. La seule chose qui me permettait de ne pas perdre pieds c'était elle. Et ce que je prévoyais arriva, elle se retourna pour m'annoncer qu'il fallait faire les courses, pour... faire des neko gato. J'eus un éclat de rire. Bien entendu qu'il fallait aller faire les courses. Je ne mangeais pas de gateaux ou de choses du genre en temps normal, donc je n'avais rien pour en faire. Mais son visage d'habitude souriant s'assombrit subitement. Je sais ce qui lui passe par la tête avant même qu'elle ne finisse. J'allais bien. En ce moment en tout cas. Mais, je savais qu'elle avait toujours peur que je fasse une rechute, que je disparaisse. Je le savais bien. Sauf que je ne voulais pas qu'elle s'en soucis en permanence. Sa main qui attrape ma manche reflète toute l'anxiété qu'elle ressentait. Avec un sourire que je voulais rassurant, je l'attrapais pour l'attirer contre moi, posant mon menton sur le haut de sa tête avant de lui répondre.

-"Je vais bien de t'en fait pas. Et tes neko gatos m'iront très bien, je ne peux pas manger trop gras, trop sucré ou trop salé, ni trop pleins de choses, tu le sais bien. Allez viens, enfile tes chaussures!"

Je déposais un léger baiser sur son front avant d'aller enfiler mes chaussures. Il y avait une épicerie en bas dans ma rue, autant aller chercher tout ce qu'il fallait là-bas. Je n'avais aucune envie d'aller trop loin ou de perdre mon temps pour faire quoi que ce soit d'autre. Je lui fis signe de me suivre en ouvrant la porte en grand. Les mains dans les poches, dans une nonchalance qui me définissait bien, j'appelais l'ascenseur pour descendre. Il ne nous fallut pas plus de cinq minutes pour atteindre le kombini.

-"Qu'est-ce que tu cherches précisément? Je ne connais pas la recette!"

Je tendais la main vers un paquet de farine quand subitement, une interrogation arriva jusqu'à mon cerveau.

-"Au fait, ce n'est pas vraiment pour moi que tu veux faire ça pas vrai? Qui est l'heureux élu?"

demandais-je d'un aire soupçonneux.