Quand je me suis réveillé ce matin, Nao dormait encore comme un ange et j'ai pas eu le cœur de le tirer du sommeil, alors je me suis levé aussi doucement que possible, suis allé prendre une douche rapide et lui ai laissé un mot pour le remercier de m'avoir hébergé, avec mon numéro de portable. Ensuite, la tête encore remplie des souvenirs de la veille, je suis rentrée au dortoir à l'académie… où je me suis fait incendier parce qu'apparemment on est pas censés dormir ailleurs. J'en savais rien mais il parait que c'est écrit dans le règlement intérieur. Du coup j'ai écopé d'une punition après les cours et je n'ai pas pu répondre quand Nao m'a appelé. Heureusement il m'avait laissé un message : apparemment mes vêtements ne conviennent pas pour mon nouveau travail (normal, je n'ai jamais été hôte), du coup notre patron veut qu'il m'emmène faire les boutiques pour acheter le nécessaire. Il me donne rendez-vous devant le 109 à 18h. Je vais faire les boutiques avec Nao ! J'étais déjà surexcité en choisissant ma tenue pour ce… bah pas rencard vu qu'on est pas ensemble mais… cette sortie on va dire, mais ça s'est accentué pendant que je prenais les transports.

Forcément, je suis parti quatre mille ans avant de peur d'arriver en retard pour une raison quelconque, du coup, mon imagination a bien le temps de vagabonder alors que j'émerge au carrefour de Shibuya, fatalement blindé de monde et je traverse, perdu dans la foule, en m'interrogeant : comment Nao a réagi en trouvant mon message à son réveil ? Est-il content de cette sortie avec moi ? Quel genre de vêtement peut-il bien porter quand il ne travaille pas ? A quoi peuvent bien ressembler les vêtements d'un hôte débutant ? Est-ce que ce sont les mêmes que ceux d'un hôte expérimenté ?

Arrivé devant le mythique bâtiment qui doit lui aussi grouiller de monde, je prends une grande inspiration et tente de me calmer. Après tout, j'ai presque une heure d'avance.

A presque 18h, j'ai déjà passé un quart d'heure à regarder de tous les côtés parce que je ne sais pas d'où il va arriver, mais je finis par l'apercevoir. Mon dieu qu'il est beau… Encore plus en plein jour que le soir même : le soleil parait illuminer sa peau dorée et éclairer ses magnifiques yeux. Un sourire fleurit sur mes lèvres.

- Nao ! l'interpellé-je assez fort pour couvrir le bruit ambiant. Par ici ! ajouté-je en sautillant sur place, de peur qu'avec le monde et ma taille, il ne me voit pas.

Argh... Un traître de rayon de soleil vient d’oser me réveiller. Avec un grognement d’ours mal léché, je me tourne dans mon petit lit pour échapper à ce spot bien trop lumineux pour mes pauvres petits yeux. Mais avant je relève la tête et entrouvre un œil pour voir d’où il vient ce traître. Ah trouvé, il s’est faufilé à travers un trou dans le rideau. Pfff... Je laisse retomber ma tête sur l’oreiller, tournant la tête de l’autre côté. Vivement que je puisse me trouver un appart pour pouvoir partir d’ici. N’importe quoi serait probablement mieux qu’ici, mieux que cette chambre miteuse et minuscule, aux rideaux trouvés, avec le plancher qui grince, la musique jusque très tard dans la nuit, et la journée aussi, même nos jours de repos. C’est vrai que lorsqu’on a pas de sous, ça dépanne bien, et puis comme on est tous dans la même galère avec les colocataires, on fait le même job, on manque tous de moyens pour se loger convenablement... Ca nous fait des compagnons de galère, et puis pas besoin de chercher bien loin pour assouvir... Certaines envies... Les gens sont pas farouches ici pour ce genre de chose. Mais bon... On rêve tous de notre chez nous, moi comme eux...

Je suis sûr qu’il est encore bien trop tôt pour se lever. Surtout que cette nuit, j’ai fais des rêves trop bizarres, enfin un surtout. Un koala tout mignon, mais super collant m’agrippait dans mon rêve et quoi que je fasse, rien ne le faisait lâcher. Et le pire c’est que ce rêve me semblait vraiment trop réel. Il me semble même encore sentir les bras de ce koala autours de moi... Brrr trop bizarre... suis pas Zoophile moi... Et pi d’abord l’est encore temps de dormir... Sais pas quelle heure il est mais trop tôt... Grrr et c’est quoi ce truc qui me chatouille le nez ? Un nouvel œil entrouvert m’indique que c’est une feuille de papier qui bouge avec ma respiration... Pfff qui a mis ça là ?? Au prix d’un incommensurable effort, mes yeux parviennent à s’ouvrir juste assez pour avoir une vision assez convenable et distinguer ce qui est écrit. Euh... C’est qui ça ? Un petit mot et un numéro de téléphone... Qui a laissé ça ? Pris d’un doute, je soulève le drap et regarde vers le bas de mon corps, j’ai encore mon caleçon, donc ça ne doit pas être un coup d’un soir. Arf je déteste les énigmes dès le matin.

La porte de la chambre s’ouvre soudain brusquement, me faisant grogner de plus belle. Ici, aucune chambre n’est fermée généralement, c’est souvent que tout le monde entre dans les chambres des autres sans même s’être annoncé, ce n’était pas comme si nous étions tous super pudiques. Enfin certaines chambres sont à éviter certaines heures si on ne veut pas se faire égorger par un ours énervé ou mal réveillé. En général, mes collègues évitent de rentrer dans ma chambre avant que je sois bien réveillé, malgré quelques téméraires qui ont déjà tenté et qui sont vite repartis. Mais cette fois, l’incruste semble ne pas vouloir bouger. Un nouveau grognement, un regard vers la porte, pfff le boss. C’est le seul que les grognements d’ours mal léché n’effraient pas, ils le font même rire.

« Qu’est-ce vous voulez ? Laissez moi dormir... » Bougonné-je, me cachant sous le drap.

« Haha il est bien assez tard pour te lever. Midi est passé depuis un moment déjà. » Rigole le boss.

« Et alors ? M’en fous... »

« Arrete de grogner, tu sais bien que ça ne marche pas avec moi. »

« Qu’est-ce vous voulez ? »

« Tu sais le petit qui était là hier, Kazuma, il faudrait que tu le trouves et que tu l’emmènes faire du shopping... Ses fringues ça va pas du tout pour être hôte. »

« He ? C’est qui lui ? »

« Ton client d’hier, le petit mignon koala qui ne te lâchait pas... Le nouvel host, il commence ce soir... »

« He... » Moment de réflexion intensive. « Haaaaa C’était lui le koala ? C’était pas un rêve alors ?? Attends... Kazuma tu dis ? » Vérifiage sur le mot laissé. « Ah c’est lui qui a laissé ce mot ? Ya son numéro, je l’appellerais c’est bon... »

« Bien... Brave garçon... »

« Et je lui trouve quoi comme style ? »

« Tu verras sur place, à toi de voir ce qui attirera le plus les clients... »

« Merci du cadeau... Pfff »

Un nouveau grognement, auquel me répond un rire, et je me retrouve seul dans ma chambre. Je me serais bien recouché, mais autant se lever. Une petite séance d’étirage pour se réveiller, une douche rapide, je m’habille d’un jean noir près du corps, un débardeur gris assez serré aussi, j’aurais plus qu’à mettre mon blouson en cuir pour sortir et ce sera nickel. En attendant, il faut que je donne rendez-vous au koala pour le shopping. Je l’appelle donc, mais tombe sur sa messagerie. Pfff quel intérêt d’avoir un portable si on ne décroche pas ? Bah qu’importe, je lui laisse un message, lui donnant rendez-vous devant la tour 109 à 18h00. Là-bas on devrait trouver tout ce qu’il faudra. Mais je ne sais pas si ce sera facile de trouver des costumes taille enfant... Bah on verra.

Il me reste pas mal de temps avant d’aller le rejoindre, j’en profite pour faire une lessive, un brin de ménage et pour jouer à la console avec mes colocs dans la salle commune qui sert de cuisine, salle à manger, salon, salle de télé. Après quelques parties, il est temps que j’y aille. Direction shibuya. Ce quartier j’en connais presque les moindre recoins. Dans ma première vie, je traînais très souvent là-bas dans les lieux les plus branchés du quartier, dans les boutiques les plus chères. Dans ma deuxième vie, j’en avais connu tous les bas-fonds, les petits coins mal-famés, les friperies et les vendeurs de bouffe pas chers. Et maintenant... Je navigue entre les deux, ni dans les boutiques de luxe, ni dans les bouges sordides.

A peine arrivé, je me retrouve encerclé par une foule dense de gens marchant dans tous les sens. Comment je suis sensé retrouver un minipouce dans cette marée humaine ? Peut-être que devant la tour, j’aurais plus de chances de le voir. D’ailleurs elle, je ne risque pas de la louper. Arrivé au pied du bâtiment, j’entends une voix crier mon nom. Mon regard se pose alors sur une espèce de puce qui n’arrête pas de sautiller. Ah bah oui c’est lui, le petit koala.

« Salut... » Le salué-je. « Prêt à faire les magasins ? Ici tu devrais trouver ce qu’il te faut. T’as une idée de l’image que tu voudras donner aux clients ? » Bah ouais selon le rôle qu’il veut se donner, faudra pas aller dans les mêmes boutiques. « On y va ? »

J'espère tellement que les vêtements que j'ai choisi avec tellement de soin pour lui vont lui plaire. J'espère avoir l'air cool et classe. Mais surtout cool. J'aimerais qu'il se dise qu'effectivement je suis pas un gosse et qu'il soit fier d'être vu avec moi.
Mais quand il arrive devant moi, tous mes espoirs s'envolent en fumée. Non seulement les fringues très simples (jean noir, débardeur gris, blouson en cuir) qu'il a mises lui vont à la perfection et lui donnent l'air cool auquel j'aspirais il y a encore quelques secondes, mais surtout elles exacerbent sa beauté à un point inimaginable. Il est magnifique, à couper le souffle… et c'est plutôt moi qui suis fier d'être vu avec lui. Je voudrais même pouvoir le clamer haut et fort à la face du monde. Mais en fait de crier, sa beauté, son attitude cool et sa présence me rendent muet. Tout ce que j'arrive à faire pendant de longues secondes, c'est le regarder bouche bée comme un abruti. Et lui n'a pas tellement l'air admiratif… Quoi d'étonnant quand on a son physique…

- Salut… parvins-je à articuler en retour une fois que j'ai fini de baver intérieurement. Je suis prêt mais j'avoue que le 109 c'est une première pour moi. La dernière fois que j'ais fais les boutique, je suis allé à Venus Fort en fait, c'est un peu moins… huppé. Et pour ce qui est du style… j'en sais trop rien. Je sais pas trop quel rôle je suis capable de jouer mais je suppose… que je vais être obligé de jouer sur mon… apparence mignonne…

J'ai un peu grimacé. J'aime pas l'idée de devoir me résoudre à ça alors que j'essaye de le combattre, mais il faut avouer que je peux pas tellement aspirer au style sauvage, ni séducteur, ni froid ou autre parce qu'avec mon apparence, je serais pas du tout crédible, il faut être réaliste.

Etait-ce une bonne idée de venir ici ? La tour 109, elle est située entre les deux rues les plus fréquentées de Shibuya... Autant dire qu’on se retrouve pire que des sardines dans une boite. Il y a du monde partout autours de nous, qui nous bouscule si on a le malheur de s’arrêter un peu, qui nous frôle en continue, des radiateurs ambulants qui nous piquent notre air et notre espace vital. Pff pourquoi je suis venu ici moi déjà ? Ah voui pour le petit Koala sautillant qui va devenir mon collègue. J’le retiens le boss de m’avoir imposé cette corvée... Je vais lui trouver quoi au petit moi ? Bon heureusement le boss m’a laissé une enveloppe pour payer une partie de ses fringues. Je crois que je vais en profiter pour m’en prendre un peu moi aussi.

D’ailleurs j’ai enfin rejoins le petit koala, qui ressemble plus à une puce tellement il sautille. Ah bah la puce a arrêté de sautiller quand je suis arrivé, elle est même restée un moment sans bouger et sans rien dire. L’est cassée ? Ah non elle répond enfin.

« Venus Fort ? C’est à Odaiba ça non ? Même si c’est moins huppé, on peut trouver des trucs classes. Pas besoin que ce soit des vêtements de grand luxe, il suffit de savoir les porter et les agrémenter avec classe. » Bah ouais, même si c’est vrai que les fringues de luxe ont généralement un petit plus qui fait riche... Ca me rappelle ceux que j’avais dans ma première vie... Ces boutiques de luxe que j’écumais, qui m’étaient même réservées quand j’allais faire les boutiques pour ne pas me mélanger au bas-peuple... Mais cette fois, on va se contenter des boutiques de la tour.

La fin de sa phrase me fait un peu rire. J’avoue, à part un rôle de petite chose mignonne, je ne vois pas trop quel rôle il pourrait prendre. D’ailleurs, vu la grimace qu’il a fait, je suppose qu’il aimerait bien jouer un autre rôle... Mais nan, le petit mignon lui irait bien mieux.

« Hahaha... Je ne te vois pas jouer le rôle du grand méchant ténébreux, limite yakuza... Quoique... Ca serait marrant un Yakuza kawaiii... un chaton qui veut se prendre pour un tigre... Pour le côté mignon... On tente les boutiques pour gosses ? »

Un rire m’échappe encore... Je sens qu’il va s’énerver si je l’emmène dans une boutique pour mioches... Mais bon... Pour une fois que je peux embêter quelqu’un et le taquiner mouahahaha.

Visiblement, Nao est d'accord avec moi : avec mon physique, je ne peux raisonnablement pas prétendre à un rôle autre que ce à quoi je ressemble, donc à une petite chose mignonne. Ca ne me ravit pas, mais bon… peut-être qu'on va réussir à trouver des fringues classes qui ne m'infantiliseront pas trop. Pas du tout serait même parfait. Je ne pense pas être le seul mec du Japon à être si petit, alors on devrait s'en sortir je pense.
J'en suis là de mes réflexions, quand je l'entends évoquer des boutiques pour enfant… et là, ça a beau être lui et j'ai beau en être raide dingue, je vois immédiatement rouge. Je le fixe dans les yeux comme je peux et le fusille littéralement du regard, les poings serrés.

- Pour enfant ?! Tu te fous de moi ?! Ca commence à me gonfler sévèrement que tout le monde me considère comme un môme ! J'ai 21 ans, pas 12, merde ! Etre petit est un handicap mais pas une tare, j'ai droit au respect et à ce que les gens me voient tel que je suis !

Je me tais parce que si je continue, je vais dire des trucs qui vont dépasser ma pensée, mais je n'en pense pas moins. Du coup je me retourne et me dirige vers les portes de la tour 109 men, avant de me retourner vers lui, toujours énervé :

- Bon, tu viens ou quoi ?! On a des fringues à trouver !

Je devrais pas m'énerver sur lui comme ça, je sais bien et je sais au fond de moi qu'il pensait pas à mal, il devait juste faire de l'humour… mais je suis déjà tellement complexé par ma taille, que la moindre allusion me met de travers.
Je rentre donc dans le bâtiment et m'immobilise ensuite pour l'attendre, vu que je connais pas du tout l'intérieur.

Ah, je ne m’étais pas trompé, il n’aime pas les boutiques pour mioches le petit koala. Ce regard tueur qu’il m’a lancé, il aurait eu des flingues à la place des yeux, je me serais fais trucider. Mais bizarrement ça me fait encore rire. Adorable ce petit j’vous dit, un chaton en colère. Je lance un « Gomen » amusé, mais il s’enfuit déjà, passant les portes du bâtiment. J’attends quelques secondes, le temps de calmer mon rire, avant de grimacer en sentant des touristes me bousculer. Pfff pourquoi il y a toujours tant d’étrangers qui flânent en regardant partout autours sauf devant eux et qui bousculent les gens en parlant et riant trop fort. Et là, ce sont des nanas piailleuses, des européennes apparemment, je ne comprends rien de ce qu’elles disent. Mes pauvres oreilles souffrent de leurs kyattages intensifs.

J’essaie tant bien que mal de me faufiler au milieu de la foule bien trop dense pour m’éloigner d’elles et surtout retrouver le petit koala. Mais, pour mon plus grand malheur, une d’entre elles m’attrape par le bras et me retient. Elle me veut quoi celle là ??? Elle se colle à moi avec un grand sourire niais et une pose débile de midinette alors qu’une de ses amies nous prend en photo. He ? Nan mais oh elles sont qui pour oser me prendre en photo avec elles ? Je n’écoute même plus ce qu’elles me disent et je m’écarte d’elle brusquement avant de disparaître dans la foule.

Plusieurs minutes se sont déjà écoulées depuis que le koala a passé la porte de la tour. Est-ce que je vais réussir à le retrouver ? Et s’il était parti dans les magasins en boudant ? Ah bah non, il n’est pas loin et je le rejoins rapidement.

« Gomen... C’est un véritable parcours du combattant pour arriver ici pfffiouf... Ya des folles, elles voulaient pas me lâcher... Encore un peu elles m’auraient kidnappé... Tu te rends compte ? Elles m’auraient séquestré, peut-être même emmené dans leur pays... Mais j’ai réussi à m’enfuir... Ouf... »

Ouais j’en rajoute des tonnes dans le côté dramatique... Voyons voir jusqu’où mon cher futur collègue va marcher ? Je lui balance alors un grand sourire un peu con, faut bien dire ce qui est, avant de me remettre à rire.

Je re-rentre dans le bâtiment et l'attend, trompant mon impatience en observant les étals des boutiques autour de moi. Tout pue le luxe et le chic, le genre d'ambiance dont je suis pas du tout friand et pas du tout habitué non plus, du coup je suis moyennement à l'aise. Heureusement que je ne suis pas seul. D'ailleurs en parlant de ça, il est bien long à arriver alors qu'il était presque derrière moi. Il serait quand même pas parti ? L'inquiétude remplace rapidement la colère et je rebrousse chemin vers l'entrée. J'aurais pas du en fait, parce que ce que je vois fait revenir la colère encore plus vite : c'est qui cette pouffe qui se colle à lui comme s'il était sa propriété ?! Et ces autres pouffes qui prennent des photos ?! Oi, nan mais c'est pas bientôt fini nan ?! Lâchez-le, il est avec moi, merde !
Je les fixe avec mon regard le plus mauvais en espérant qu'elles regardent vers moi et comprennent le message. Mais aucune ne tourne la tête dans ma direction, elles sont comme hypnotisées par lui. Je les comprends, mais c'est pas une raison. Si seulement les yeux pouvaient tuer… je finirais en prison, c'est sûr et certain.
Finalement, il se dégage d'elles et me rejoint. Je suis toujours remonté, alors je l'attrape par le bras et, jaloux, marmonne entre mes dents sans vraiment écouter ce qu'il m'explique :

- Tu trouves ca drôle de te faire tripoter par des dindes ?! Tu n'as pas vraiment essayé de te débarrasser d'elles, je trouve !

Je sais que ma réaction est puérile parce qu'on ne sort pas ensemble, mais je ne peux pas m'en empêcher.

- Bon on y va, avant que j'ai envie de faire demi tour pour les tuer !

Je rebrousse donc de nouveau chemin vers l'entrée et tente de respire lentement pour me calmer. Il va me trouver ridicule, c'est certain, mais c'est trop tard, je peux plus revenir sur les mots que j'ai prononcé. Advienne que pourra quoi.

Et bah… Je ne sais pas quelle mouche a piqué le petit koala, mais il a l’air encore bien plus remonté que tout a l’heure. Qu’a-t-il bien pu se passer pendant ces quelques petites minutes ? En plus son regard, on dirait qu’il voudrait tuer quelqu’un simplement d’un simple coup d’œil. Qui a changé le kawaii petit koala en boule de nerfs meurtrière ? Je n’ai d’ailleurs pas le temps de finir d’expliquer qu’il s’accroche à moi… Enfin plutôt il se cramponne à moi. Euh je vais pas m’échapper hein… Il semble alors dire quelque chose mais avec le bruit de tous les touristes nous environnant, je ne comprends quasiment rien, juste quelques mots… Drôle ? Il n’a pas l’air de beaucoup s’amuser pourtant… Dinde ? Il a faim ?

« De quoi ? Tu veux manger de la dinde ? »

Bah c’est pas mauvais la dinde… Mais c’est pas vraiment l’heure de manger, et puis on a des boutiques a faire. Ah bah d’ailleurs il m’entraine vers une boutique, toujours cramponné à moi d’ailleurs. Au moins, je ne risque pas de le perdre dans la foule.

« Qui c’est que tu veux tuer ? Je te pensais plus pacifique que ça hahaha. Allééé… Calme toi petit koala… »

Je soupire en espérant qu’il se calme sinon ça risque de vite devenir saoulant s’il boude tout le long, surtout que je ne pige pas la raison. La première boutique qu’on rencontre, j’entraine le petit à l’intérieur. Il y a pas mal de trucs classes dedans, mais bon ce n’est pas forcément la moins chère des boutiques. D’ailleurs, dans ma première vie j’y venais souvent, le magasin m’était même privatisé le temps que je puisse choisir à ma guise. Mais ce temps est loin, maintenant je ne suis qu’un client comme un autre, avec encore moins de moyens que les clients normaux de ces boutiques.

« Irasshaimase messieurs. Peut-on vous aider ? Oh mais vous êtes Sasazaki-san ? Ca faisait longtemps que vous n’étiez pas venu. Vous auriez dû prévenir de votre visite, nous aurions arrangé le magasin comme d’habitude… Que désirez-vous voir ? »

Kusoooo… Pourquoi faut-il que le personnel de ce magasin me reconnaisse ? Ils ne lisent pas les journaux ? Ils ne regardent pas la télé ? Pourtant la déchéance de ma famille a fait la une de tous les journaux, tous les journalistes se sont délectés de ces malheurs successifs qui nous ont frappés… C’est d’ailleurs pour ça que je n’utilise plus mon nom bordel… Pffff

« Vous vous trompez de personne je crois… On cherche juste… Des costumes classe pour el p’tit là… »

« Oh… Pardonnez moi… Venez c’est par ici… »

De la dinde ? Qu'est ce qu'il raconte ? Il se moque de moi ou… Non impossible, mon Nao n'est pas comme ça, il a seulement du trouver ce moyen un peu idiot de désamorcer ma colère. Bon, ça ne marche pas des masses vu mon état de nerfs, mais c'est gentil quand même d'essayer. Bien que ce soit sa faute et celle de ces pouffes si je suis aussi énervé. Bref… Bref; bref bref…
Je le suis dans une première boutique et regarde autour de moi. Tout ce que je vois respire le luxe ou du moins la grande aisance financière… ce qui est pas du tout mon cas. Enfin je suis pas pauvre, mais enfin comme je suis juste étudiant, ce n'est pas non plus le Pérou quoi. Je m'apprête à suggérer à Nao qu'on change d'endroit pour que je trouve des vêtements plus à mon niveau, quand on se fait littéralement agresser par les vendeuses et j'écarquille les yeux quand l'une d'elle utilise un nom pour s'adresser à mon compagnon. Sasazaki ? C'est quoi ça ? Le nom de Nao ? Mais ce n'est pas ça qui m'étonne le plus en fait… "Nous aurions arrangé le magasin comme d'habitude" ? Qu'est ce qu'elle veut dire par là ? Je ne comprends rien, mais j'entrevois la possibilité d'en apprendre plus sur l'objet de mes pensées, alors tout mon ressentiment s'évapore et je me rapproche sensiblement d'elles, pressé d'en savoir plus comme une ménagère avide de cancans. Mais mon euphorie est de courte durée, car Nao les détrompe immédiatement. Apparemment elles se seraient simplement trompées de personne en s'adressant à lui. Je retiens un soupir de déception. Voilà une formidable occasion manquée. J'aimerais tellement en savoir plus sur lui, mais il n'est pas bavard à son sujet, c'est le moins qu'on puisse dire.
Du coup, je leur emboite le pas en essayant de surmonter ma déception.

- Dis… les costumes ici doivent coûter une fortune, murmuré-je assez bas pour que les vendeuses ne m'entendent pas, en harponnant son bras dans un geste naturel. Je suis juste étudiant, je ne suis pas assez riche pour me payer des vêtements dans cette boutique. On devrait plutôt aller dans un endroit qui correspondra plus à mes moyens.

Je me sens un peu gêné de lui dire ça alors qu'il cherche juste à m'aider, mais si l'achat d'un seul costume doit me mettre sur la paille, je doute que ce soit un bon calcul. Et puis… plus on écumera de boutiques, plus je passerais de temps avec lui. Mouahaha je suis machiavélique.

Même si j’espère avoir pu détromper cette vendeuse, je sens bien que son regard ne me quitte pas. Pfff quelle idée j’ai eu de venir dans cette boutique ? Je pensais sans doute qu’on ne me reconnaitrait pas depuis le temps, et puis je pense que j’ai changé physiquement… Ou peut-être pas tant que ça finalement… La vendeuse nous emmène dans un rayon où se trouvent des costumes, le petit koala toujours accroché à mon bras. D’ailleurs ce qu’il a dit n’est pas forcément faux, c’est sans doute un peu trop cher ici… Mais autant regarder, on verra ailleurs ensuite… Et puis le boss en paye une bonne partie.

« Bah on va juste regarder au pire… »

La vendeuse nous montre quelques modèles avant de nous laisser quelques minutes pour aller voir une de ses collègues, laissant minipouce essayer différents modèles. J’avoue que je ne regarde pas trop le résultat des essayages, j’ai plutôt l’oreille tendue pour écouter ce que se disent les vendeuses, et d’ailleurs, ça ne me plait pas trop ce qu’elles se disent.

« Mais si, je te dis que c’est lui… Toujours aussi beau… »
« Sasazaki Niko ? Tu es sûre ? Ca fait tellement longtemps qu’il n’est pas venu… »
« Mais si c’est lui… Tu trouves pas ? »
« Si… Toujours aussi classe… Et en plus il a encore plus de charme… »
« Et son air plus adulte, plus posé… »
« Ah voui à le regarder, j’ai aussi l’impression que c’est lui… »
« Mesdemoiselles vous n’auriez pas du travail à la place de cancaner ? »
« Ah… Oui Madame… Sumimasen… »

Pfff et voilà… Ne pouvaient-elles pas se taire ? Et en plus on ne peut pas dire qu’elles étaient discrètes. Heureusement que le magasin est presque vide. Et espérons aussi que le petit koala n’a pas entendu tout ça… Pas envie que mes collègues du bar sachent que je suis un ancien fils de riche comme disent les gens. D’ailleurs la vendeuse revient vers nous pour savoir comment se passent les essayages. Autant en profiter pour se reconcentrer sur le p’tit gars que j’accompagne.

« Alors tu trouves quelque chose de bien ? Oh il est classe celui là, il te va bien... »

Je ne suis pas convaincu, mais me laisse quand même entraîner quand il me suggère de regarder au moins. Bon c'est vrai que faire du lèche-vitrine ne peut pas faire de mal à mes finances. Après c'est vrai que les costumes qu'une des vendeuses me montre sont pas mal, il y en a même un gris perle qui me tape un peu dans l'œil, mais ce ne serait pas raisonnable que je l'essaye vu que je ne peux pas l'acheter. S'il me va, j'aurais juste des regrets et ça me prendra la tête.
Les vendeuses se sont éloignées, pourtant comme elles ne font aucun effort pour parler doucement, je ne peux qu'entendre leur conversation et m'étonne. Sasazaki Niko… Encore ce nom… Est-ce que ce serait vraiment le nom de Nao ? Elles ont l'air sûres d'elles quand elles disent que c'est lui et ont l'air de bien le connaitre aussi (ça j'aime beaucoup moins déjà)… Ca veut dire qu'il a menti sur son identité tout à l'heure quand il a réfuté l'affirmation sur son identité. Mais du coup ça veut dire aussi qu'il venait souvent acheter des vêtements dans cette boutique ? Il avait tant de moyens que ça ? Les quelques informations qu'il m'avait donné sur lui (sûrement pour essayer de me détacher de lui) me reviennent brusquement et je commence à me demander s'il m'a tout dit sur cette période de sa vie. J'ai bien l'impression que non. Que peut-il bien me cacher d'autre ?
Ah zut fini les infos, elles ont du retourner travailler. Bon, bah autant essayer le costume qui m'a tapé dans l'œil, ça me donnera au moins l'air du mec qui espionnait pas une conversation qui lui était pas destinée.
Après quelques instants, je ressors de la cabine d'essayage avec le fameux costume et me regarde dans le miroir. La vache, je me trouve presque beau là-dedans… Je me demande si ça plairait à Nao… enfin plutôt à Niko si j'en crois les vendeuses. Si c'est bien son vrai nom, je ne suis pas méga fan, mais il faut que je sache si ce prénom qui ne lui va pas est bien le sien ou si ces filles font totalement fausse route.

- Content que ça te plaise… Niko, fais-je en le regardant bien en face, tout en espérant ne pas me faire rembarrer.

Même si les vendeuses n’osent plus rien dire, de peur de se faire réprimander par leur chef, je sens encore leurs regards sur moi, et leurs petits rires de midinette… Pfff horripilant. Pourquoi on est venus ici déjà ? Dans cette tour, j’étais un client privilégié dans la plupart des magasins. Même si on change de boutique, ce sera la même chose ? Pfff mais bordel, à croire que personne ne suit les infos… Pourtant la déchéance de ma famille a fait grand bruit à l’époque.

Bref passons… Le petit koala sort avec un costume qui le rend classe, comme ça il ne ressemble pas a un mioche… Bon il est toujours aussi petit, mais on pourrait dire que c’est un effet de perspective. Apparemment le fait que je lui dise qu’il était classe a l’air de lui faire plaisir. Cependant, le dernier mot qu’il prononce me fait légèrement sursauter. Où est-ce qu’il a appris ça ? C’est à cause des autres imbéciles de vendeuses ? Une vague d’énervement m’envahit et ma voix se fait soudain plus froide.

« Ne m’appelle pas comme ça !! Je suis Nao ! »

Niko est mort depuis longtemps, il n’existe plus que dans le tréfonds de ma mémoire. D’ailleurs ça fait tellement longtemps que je n’ai plus entendu ce prénom… En plus je ne l’ai jamais aimé, quelle idée ils ont eu mes imbéciles de parents ? Pff…

« Désolé… »

Il faut que j’arrête de ressasser, ça ne me va pas. Et puis le koala va me poser plein de questions j’en suis sûr. Mais s’il pouvait éviter… Ca m’arrangerait… J’aimerais oublier tout ça…

Ouch… Je m'attendais un peu à ce qu'il n'apprécie pas ce nom (pourquoi il se ferait appeler "Nao" sinon ?), mais pas à ce qu'il me réponde sur ce ton. Donc c'est bien son vrai prénom, mais il ne l'aime pas. Pas étonnant, c'est moche et ça lui va pas du tout. Qu'est ce qui a pris à ses parents de l'appeler comme ça ? Du coup je crois que je l'ai braqué.

- Désolé. Je t'appellerais plus comme ça, promis. De toute façon, Nao c'est plus joli et ça te va mieux. Alors ce costume il me va ? Je ressemble à un hôte ? Je veux pas faire honte à mon professeur.

J'assortis mes paroles d'un sourire que j'espère et qui se veut charmeur, mais je suis pas sûr que ce soit des plus réussi, surtout que j'ai toujours pas le physique avantageux qui devrait aller avec. Mais bon, qui ne tente rien n'a rien alors…
Je me regarde sous toutes les coutures dans le miroir et j'aime bien l'image que je renvoie mais je sais pas si ce sera suffisant.
Et c'est là que j'entends les vendeuses kyater comme des groupies. Au début je croyais que c'était pour Nao vu qu'elles ont l'air de le trouver à leur goût (parce qu'il y a de quoi), mais nan là je les entends distinctement dire "kawaii !". Mon sourire s'évapore et je me tourne brusquement vers elles.

- Je… suis pas… MIGNON ! m'énervé-je. J'ai passé l'âge qu'on dise que je suis mignon !

Ca commence vraiment à me gaver. Surtout que là je cherche à devenir sexy pour le boulot, alors si je suis juste "mignon" c'est pas le but de l'opération.
J'inspire pour me calmer et m'efforce de les ignorer pour me reconcentrer sur mon beau Nao.

Et voilà, je m’en doutais que ma réaction allait choquer le petit Koala… Même s’il ne le dit pas, je vois bien qu’il ne s’attendait pas à ce genre de réaction. Ca fait tellement longtemps que je n’ai plus entendu ce prénom, que je m’efforce de le faire disparaitre. Comment pourrait-il réapparaitre alors que tout ce qui faisait sa vie, ma vie, a disparu depuis si longtemps ? Comment pourrais-je supporter tout ça si tout me revenais ?

Sasazaki… Le nom maudit de ma famille, sali, trainé dans la boue par tous les médias. Comment pouvait-il en être autrement ? Une des familles les plus puissantes du Japon soudainement ruinée, ses entreprises démantelées, rachetées pour une bouchée de pain. Ces visionnaires, puissants, craints, maîtres d’un immense empire industriel qui se font abuser par de simples arnaqueurs… Qu’aurait-il fallu de plus pour faire le plus grand des scoops ? Les calomnier, leur inventer des vies secrètes et les salir toujours plus. Les enfoncer dans le désespoir encore plus pour vendre encore plus de leurs feuilles de chou. Et leur accident, leur mort, il y a eu toutes sortes de scénarios dessus, tous plus débiles les uns que les autres…

Et moi dans tout ça ? Tout le monde s’en foutait. Tant que la déchéance de mes parents faisait vendre, qui se serait soucié d’un ex gosse de riche perdu, abandonné de tous, n’ayant plus d’endroit où vivre ? Voir des commentaires sur les articles disant que ce gosse de riche n’a que ce qu’il mérite, que c’est bien fait pour lui, qu’il aurait dû crever avec le reste de sa famille… Ca ne donne pas envie de continuer à être ce fameux gosse de riche, à utiliser ce nom qui était le sien… Et ça, sans parler de ces longs mois à vivre dans la rue où l’existence se réduit à la simple survie anonyme. Qui se soucie du nom d’un sdf ?

Perdu dans mes pensées, un lourd soupir m’échappe alors que je m’enfonce un peu plus dans le moelleux fauteuil placé près des cabines d’essayage. Tout ça c’est du passé, je ne dois plus y pensé. Je me suis sorti de tout ça, j’ai un endroit où vivre, même si c’est pas vraiment un palace cette petite chambre miteuse, j’ai un boulot, même si être host n’est pas forcément un métier d’avenir. Alors je ne dois plus penser à tout ce qu’il s‘est passé avant, et je dois me reconcentrer sur le mioche, sinon il va sans doute s’énerver. D’ailleurs, je crois qu’il attend mon avis sur le costume qu’il essaye. Hum que dire… ?

« Ouais il te va bien, tu fais pas mioche dedans c’est bien. »

Hum… Sans doute aurais-je dû être plus sympa ou enthousiaste, mais j’avoue que j’ai un peu de mal à me reconnecter à la réalité du moment présent. Voir le petit Koala s’énerver contre les vendeuses, scandant qu’il n’est pas mignon… Le rend plus mignon encore je dois dire. Mais je pense que si je lui dis, il va s’énerver encore. Un rire m’échappe, finalement au moins je pense moins à mon ancienne vie.

« T’as qu’à le prendre… t’es mignon tout plein dedans… »

J'ai l'impression que ce que j'ai dis à propos de son vrai prénom a rendu Nao très… je ne sais pas… pensif, mélancolique… triste ? Je ne veux pas qu'il soit triste, surtout si c'est par ma faute. Je ne savais pas mais ce n'est pas une excuse. Comment faire pour qu'il arrête de penser à ce qui le fait manifestement souffrir ? Lui parler d'autre chose ? Il a quand même l'air très très dans ses souvenirs quels qu'ils soient là. Moi je ne suis pas dans sa tête, mais… je peux peut-être le distraire. Je marche jusqu'à lui et lui met une pichenette sur le front.

- Oi t'as pas l'air très concentré sur mon cas, professeur, fais-je en fronçant les sourcils d'un air qui se veut mécontent. Je viens de dire que j'avais pas envie qu'on dise que j'étais mignon avec ce costume et tu viens de te contredire en seulement deux phrases. Je me doute qu'être là avec moi aujourd'hui ne te ravit pas, mais comme on est là pour moi…

Je m'interromps et tente de me regarder sous tous les angles en me contorsionnant.

- Je le trouve pas mal moi aussi mais par contre… il est malheureusement bien trop cher pour mes économies. Je t'avais dis qu'on aurait du changer de boutique. Cent mille yens pour un costume… et en plus je me doute que c'est pas un des plus chers vu la boutique.

Ca m'ennuie de le laisser vu que visiblement je faisais pas enfantin avec, mais malheureusement les choses étant ce qu'elles sont… Après tout avant d'être embauché comme hôte je travaillais simplement à mi temps comme vendeur dans une crêperie alors on ne peut pas dire que j'ai gagné des millions.
Je soupire et retourne dans la cabine pour remettre mes propres vêtements, en espérant que ce que j'ai dis aura sorti Nao de ses sombres pensées.

Bon ok je sais que j’étais perdu dans mes pensées, mais l’autre mioche il a osé me faire une pichenette ? Rhooo mais il cherche lui… Pff haha ouais bon c’est vrai qu’on est là pour lui et lui trouver des fringues. Et comment le faire râler, lui dire qu’il est mignon. Un sourire en coin, je lui réponds d’une voix amusée.

« Pas ma faute si tu es mignon… Et je ne me contredis pas, on peut ne pas faire mioche mais être mignon quand même… Tu ferais mieux de t’habituer à entendre dire que tu es mignon... J’imagine que les clients vont te surnommer mon mignon ou le p’tit mignon haha. » Je soupire alors, calmant mon rire avant de répondre à la fin de sa phrase. « Bah t’inquiètes… J’avais rien à faire sinon… C’est juste que le boss est un sadique… Il sait que je déteste être réveillé trop tôt le matin, et lui il a pris un matin plaisir à le faire… Grrr »

Ouais nan mais oh !! Le sommeil c’est sacré, le matin surtout… Et le réveil doit se faire en douceur, tranquillement… M’enfin c’est vrai qu’il était midi passé… Mais non c’était encore trop tôt. Je reporte alors de nouveau mon attention sur le petit koala, qui semble bien déçu. Mais pourquoi ? Ah le prix du costume ? C’est vrai que c’est pas donné… Mais le boss m’a donné du fric pour lui en acheter des fringues… Je le soupçonne de vouloir faire de lui la petite coqueluche du club, le petit mignon adorable que tous les vieux pervers voudront s’arracher… Du coup, il faut qu’il soit bien fringué. Et puis pour la peine de m’avoir réveillé trop tôt… c’est le boss qui va payer. J’attends qu’il sorte de la cabine avant de lui lancer.

« Garde le ce costume… C’est le boss qui paye… »

Attendant de voir sa réaction, je me réinstalle plus confortablement dans le fauteuil quand celle qui semble être la responsable du magasin s’approche de moi. Elle porte sur son bras une housse semblant contenir un ou plusieurs costumes. Que veut-elle encore ?

« Sumimasen, Sasazaki-san ? » Je lui lance un regard noir, mais elle continue tout de même. « La dernière commande que vous aviez passée avait été payée et livrée, mais vous n’êtes jamais venu la chercher pour les derniers essais. Deux costumes sur mesure. Voulez-vous les essayer à présent ? »

Alors là, je ne sais plus quoi dire. Avec tout ce qu’il s’était passé, j’avais complètement oublié ça, pourquoi m’en serais-je rappelé ? Et puis ça fait plus de deux ans que cette commande m’attend ici. Pourquoi l’ont-ils gardée ? Hallucinant. Attendant ma réponse, la vendeuse accroche les cintres à des patères avant d’enlever la housse. Deux costumes, un noir et un gris foncé, de superbe facture apparaissent. Rien qu’à les voir, la qualité du tissu, on peut savoir qu’ils font partie des plus chers de la boutique, et sur mesure en plus. Un des bons côtés de mon ancienne vie, les fringues de luxe.

« Euh… » Pourquoi j’hésite comme ça, j’ose à peine toucher le tissu de ces costumes en plus… Pfff… « Pou… Pourquoi pas oui… »

Dire qu’un seul de ces costumes doit valoir bien plus que ce que je peux gagner en un an a travail. Et j’ai l’impression d’entendre d’ici toutes les questions qui doivent tourner dans la tête du petit koala… Un hôte fauché qui va avoir des costumes sur mesure hors de prix…

Mignon, mignon, mignon… Il n'a que ce mot à la bouche et ça m'agace… mais hélas je crois qu'il a raison. Si depuis toutes ces années les gens me qualifient comme ça, c'est certain que les clients du club feront pareil, que ça me plaise ou non et ça peu importe le costume que je porterais. C'est triste et énervant mais je crois qu'il va falloir me faire une raison à ce sujet.

- Bon… je suppose que de toute façon je ne peux pas lutter contre ma… heu… "mignonitude". Alors puisque je serais jamais sexy, je dois probablement faire de ma taille et de mon visage mes atouts. Qu'est ce que tu en pense ?

Je me regarde de nouveau sous toutes les coutures dans le miroir, indécis quant à son achat, jusqu'à ce qu'il me dise que c'était notre patron qui payait. Je me sens rougir un peu. C'est quand même un peu gênant de laisser quelqu'un payer mes vêtements, mais enfin je suppose que puisque c'est un costume pour le travail, c'est logique que ce ne soit pas moi qui en règle la facture.

- D'accord, je prends celui-là dans ce cas. De toute façon je doute d'en trouver un autre qui m'aille aussi b…

Je m'interromps en constatant que mon Nao adoré est soudain occupé. C'est quoi cette histoire de costumes sur mesure non récupérés ? Des costumes sur mesure ici ça doit coûter des centaines de milliers de yen. Comment il aurait pu se payer ça ? Elle doit se tromper, c'est… He ? Comment ça "pourquoi pas oui" ? Il veut dire… que c'est vraiment à lui ? C'est vraiment lui qui a… commandé ces articles de luxe ?
Sans comprendre, je le suis du regard pendant qu'il se dirige vers une cabine d'essayage et passe l'un après l'autre les fameux costumes. Wow… il est fabuleux là dedans. Il ressemble à l'un de ces riches hommes d'affaire qu'on voit dans les drama. De ceux qui sont si écœurement riches qu'ils peuvent s'offrir tout ce qu'ils veulent quand ils veulent. Je comprends pas comment c'est possible en ce qui concerne Nao, mais il est si beau dans ces vêtements de luxe, ça lui va tellement bien (logique si c'est fait sur-mesure)…
Presque hypnotisé, je m'approche lentement de lui et, du bout des doigts, ose toucher le tissu soyeux. Wow… Jamais même dans mes rêves les plus fous je ne pourrais porter quelque chose de ce genre.

- Nao, tu… comment c'est possible que ces costumes soient à toi ? finis-je par demander. Ils doivent coûter des sommes incroyables et je doute que tu puisse te les payer alors… Tu peux m'expliquer ?

Comment se sentir plus mal à l’aise que maintenant ? Dire qu’avant c’était une habitude de me vautrer dans ce luxe, de me faire servir, tout le monde était à mes pieds, j’avais toujours accès aux fringue les plus chères, aux tissus les plus soyeux, la classe internationale quoi. Alors pourquoi maintenant je me sens si gêné face à elle qui me tend ces costumes hors de prix ? Et du coin de l’œil je vois le koala qui me regarde comme s’il avait vu un extra-terrestre. Je crois que c’est pour ça que je me sens si gêné… Ce n’est plus ma vie, c’est tellement loin de moi tout ça maintenant.

Mais le bon sens veut que je ne passe pas à côté de cette opportunité, alors autant en profiter, et puis au moins je pourrais les revendre si un jour j’ai besoin de fric. Après un soupir, je vais dans la cabine d’essayage avec un des costumes et la chemise blanche immaculée dans un tissu luxueux et soyeux, tellement douce sur la peau… Ah j’avais oublié à quel point les vêtements de luxe étaient agréables à porter. Me regarder dans le miroir me ramène à mon ancienne vie. Qu’est-ce qu’il est classe ce costume… Dedans j’ai l’impression d’être quelqu’un d’important… Sa coupe si parfaite.. enfin il est un peu grand pour moi. Ma vie dans la rue m’a fait perdre la musculature que j’aimais entretenir à l’époque malgré les bons petits plats que je mangeais à chaque repas.

« Ah il y a quelques retouches à faire… » Remarque la vendeuse lorsque je sors de la cabine. « Ce sera très rapide ne vous inquiétez pas. » Ajoute-t-elle en prenant quelques mesures et quelques notes.

Je retourne dans la cabine et essaie l’autre costume alors que je lui donne celui que je viens d’essayer. C’est là que le petit Koala intervient, j’aurais préféré qu’il n’assiste pas à tout ça. En plus ses questions, je m’y attendais, mais je ne sais pas comment lui répondre, sans dévoiler mon passé.

« Hum… Si… Ils sont à moi… Enfin on dirait bien, je ne me rappelle plus… » Il faut dire qu’à l’époque j’ai eu d’autres choses auxquelles penser.. Et puis avant cette affaire, j’avais tellement de costumes de luxe qu’un ou deux de plus, ça ne changeait rien. « Je ne sais pas combien ils coûtent et je préfère ne pas savoir. De toute façon, plus jamais je ne pourrais me payer des fringues de ce genre… » Je rigole, nerveusement, en cherchant encore comment expliquer. « Hum… Disons… Que c’est un vestige de mon ancienne vie… » Ca va passer comme ça hein ? … J’en doute…

Des retouches ? Quelles retouches ? De quoi parle cette femme ? Ce costume est parfaitement… Ah non tiens, je n'avais pas remarqué qu'il flotte un peu dedans. Est-ce qu'il était plus fort avant ou alors est ce qu'il a juste perdu du muscle ? Non je n'arrive pas à me l'imaginer avec du surpoids. C'est impossible, il est trop parfait.
Par contre… qu'il confirme que ces merveilles de luxe lui appartiennent me plonge dans la plus totale confusion, surtout quand il parle de vestiges du passé. Je sais bien que je n'ai pas le droit de le questionner vraiment et qu'il ne me doit aucune explication, mais je ne peux pas empêcher ma bouche de formuler en cascade celles que j'ai à l'esprit.

- Comment ça des vestiges de ton passé ? Tu as été riche ? Pourquoi tu es seulement hôte alors ? Comment un homme riche a-t-il pu traverser ce que tu as traversé ? Qu'est ce qui s'est passé ?

Je reprends mon souffle à la fin de ma tirade et le fixe, attendant des réponses. J'aimerais tellement qu'il me fasse confiance, qu'il me parle comme à un ami à défaut de me considérer comme un petit ami potentiel… Je devrais m'inquiéter de ce qui se passera ce soir quand je serais vraiment devenu hôte, mais pour le moment mon esprit est totalement focalisé sur Nao. Je ne peux penser qu'à lui et au mystère qui l'entoure, le reste est devenu accessoire malgré mon appréhension de la soirée. J'ai tellement envie de tout connaitre de lui, que je crois que ça fausse mon jugement sur quoi que ce soit d'autre. Il faut que je sache qui il est vraiment… même si ça ne changera ni mes sentiments pour lui, ni ma façon de me comporter envers lui. Je ne suis pas de ceux dont les sentiments changent facilement.

Les essayages finis, je me change pour mettre mes habits normaux, ça me permets aussi de réfléchir à ce que je vais pouvoir dire au petit koala, en espérant qu’en fait il ne s’en soucie guère et qu’il en oublie même de poser des questions. Ouais bon ça je peux oublier je crois, vu le regard qu’il m’a lancé en me voyant ainsi affublé. Lorsque je ressors, la vendeuse s’empare des costumes, relisant ses notes, pour aller faire les retouches. Je me rapproche du minipouce, l’air de rien, mais à peine ai-je le temps de faire quelques pas que les questions fusent. Ah oui… Il en avait pas mal des questions on dirait… Un petit rire nerveux m’échappe. Dois-je vraiment tout raconter ? Tout ça est tellement loin… Et pourtant par moment si présent à mon esprit…

Je m’affale dans un des fauteuils près des cabines d’essayage et soupire. Par où commencer ? Prendre les questions dans l’ordre ? Pff pas envie de répondre… Mais si je ne le fais pas, je sens qu’il va piquer une crise le petit chou… Et puis peut-être que ça me ferait du bien d’en parler à quelqu’un… Ca pèse parfois si lourd sur mes épaules…

« Les vestiges de mon passé… De mon ancienne vie si tu préfères… » Bon peut-être pas de ma vie antérieure… D’ailleurs comment elle était ma vie antérieure ? Sans doute n’étais-je pas un homme bon pour avoir tant souffert dans cette vie-ci. « Disons que… Je faisais partie des clients privilégiés de cette boutique… Et… De toutes les boutiques de luxe les plus chères qui existent dans Tokyo… Ca te laisse imaginer la réponse à ta deuxième question je pense… » Ca doit suffire à lui laisser imaginer la fortune de ma famille à l’époque. Pour la suite… Hum… « Pourquoi je ne suis que hôte ? Pour… Survivre… Ne plus vivre dans la rue… Quand toutes les portes se ferment, on prend ce qu’on trouve… Et hôte ce n’est pas le pire métier qui existe… »

La suite est plus dure à raconter pour moi. Comment mettre des mots sur tout ça quand on voudrait que ce passé n’ait jamais existé ? Mais j’ai commencé… Autant continuer… Mais en résumé, ça suffira non ?

« Hum… Quand un petit con de gosse de riche perd tout du jour au lendemain… Richesse… Maison… Amis… Famille… Ecole… Et se retrouve sans le moindre yen en poche, sans personne… Il se retrouve à la rue, à tenter de survivre… En faisant tout ce qui lui permet de ne pas crever de faim, et parfois de dormir au chaud… Avant de se faire expulser de la ville pour ne pas ternir son image… De revenir quelques mois plus tard et de trouver par miracle un job dans un host club qui lui fournit en plus un toit… Que demander de mieux ? »

Bon voilà… J’ai tout balancé, même si ce n’est pas dans les détails… Je me demande ce qu’il va en penser le petit koala…

Ma succession de questions a l'air de le plonger à la fois dans ses souvenirs et dans un abîme de perplexité si j'en juge par la lassitude qui a envahi son magnifique visage. Mauvais souvenirs ou pas ? Je n'arrive pas à le déterminer en le regardant. Je vais finir par me sentir coupable de le soumettre à un interrogatoire, mais je suis si curieux à son sujet. Les mystères, moi, ça m'attire. Et qu'est ce qui est plus mystérieux qu'un homme magnifique qui refuse de parler de lui ?
Et soudain, les vannes s'ouvrent, il me raconte ce que je voulais tant savoir : son existence luxueuse, sa famille qui était riche mais a été ruinée, la partie misérable de son existence sans le sou et rejeté de tous… Plus je l'écoute et plus je ressens compassion, tristesse et encore plus d'amour pour cet homme qui a tout perdu mais a tout de même trouvé le moyen de survivre et d'être aussi fort qu'il l'est maintenant.
Le cœur serré par son récit, pourtant assez succin, je m'approche de lui et pose simplement une main sur son épaule pour lui faire part de mon soutien et de ma compassion. Puisque parler de son passé semblait faire ressurgir de mauvais souvenirs, je décide de ne plus l'évoquer. Oui je veux mieux le connaitre, mais pas au prix de sa tranquillité. Après tout c'est du lui de maintenant dont je suis tombé amoureux, je ne sais pas comment j'aurais perçu le lui d'avant, le "petit con de gosse de riche" comme il s'est lui-même appelé.

- Bon, vu que j'ai le costume qu'on était venu chercher, qu'est ce que tu dirais d'aller manger un truc et de se faire un ciné ? Ca me détendra avant… ma première soirée au club.

J'essayais de ne pas trop y penser jusque là, mais c'est vrai qu'à la base, nous ne sommes pas venus pour faire un shopping standard. Non non non, ne pense pas à ça Kazu, tu as proposé tes services en tant qu'hôte en toute connaissance de cause pour rester près de lui alors maintenant il va falloir assumer.

J’avoue que j’appréhende un peu la réaction du koala. Je pense que le récit de ma superbe existence a dû réduire ses idéaux en lambeaux. Je dois être loin du prince charmant qu’il a probablement imaginé. Et puis parler de tout ça… Ca me trouble encore bien plus que je ne l’aurais pensé. Il faut dire que depuis que c’est arrivé, je n’en ai jamais parlé à personne… Je n’aurais même pas pu en parler si je l’aurais voulu, n’ayant plus personne à qui en parler. Mais en en parlant ainsi, je me rends compte que ma vie est vraiment misérable, une vengeance du karma sans doute… Pour avoir méprisé tous ceux que je considérais comme inférieur à moi dans ma première vie, c'est-à-dire presque tout le monde. Après tout, j’étais le roi devant qui tout le monde courbait l’échine en espérant que je daigne m’intéresser à eux.

Une nouvelle fois perdu dans mes souvenirs, une main se pose sur mon épaule, me faisant sursauter. En relevant le regard, je vois l’air peiné du koala, ainsi que sa pitié. Je me raidis involontairement, je hais voir de la pitié dans le regard des autres. Pendant tout ce temps où j’ai vécu dans la rue, je ne voyais que ça, de la pitié, ou comment se sentir encore plus rabaissé alors qu’on est déjà au fond du trou. J’imagine que minipouce ne pense sans doute pas comme eux, mais ça me met tout de même mal à l’aise. Heureusement, il change de sujet.

« Ah … oui… On a un costume, mais il t’en faudra plusieurs et dans différents styles… Mais on verra ça plus tard oui. Hum… Je te laisse choisir si tu veux faire quelque chose, je n’ai pas de préférence… Ouais il faut te préparer pour ce soir… tu vas te faire croquer héhé… » Ajouté-je avec un sourire en coin. Faut bien lui faire un peu peur à ce petit inconscient.

On se dirige alors vers la caisse du magasin, je récupère mes costumes de luxe fraichement retouchés, et donne l’enveloppe du boss à minipouce pour qu’il paye son costume. Une fois sorti de la boutique, je me tourne vers mon collègue.

« Alors… Que veux-tu faire ? »

Je suis tellement près de lui… Si je le voulais, j'aurais juste à me pencher pour l'embrasser… mais je doute qu'il en serait content. Il me dirait sûrement qu'on ne se connait que depuis quarante-huit heures à peine même si je me suis déclaré quasi immédiatement. Ah je suis vraiment dans une drôle de situation…
Je m'apprête à réfléchir au programme qui nous attend, quand Nao évoque la soirée qui m'attend.

- Me… Me faire croquer ? Qu'est ce que… tu veux dire ? demandé-je, soudain assez peu rassuré.

Enfin pour être honnête encore moins rassuré parce qu'intérieurement je suis terrorisé. Je sais que c'est moi qui l'ai voulu pour rester près de lui, mais j'ai entendu dire tellement de choses sur les hôtes et ce que Nao m'a raconté de ses collègues n'a pas aidé du tout à en faire changer l'idée. Qu'est ce que je ferais si un client essaye de me toucher ? J'ai le droit de le repousser, de me défendre ? Qu'est ce que j'ai le droit et pas le droit de faire ? Il faut que je pose des questions à mon instructeur forcé.

- Nao… dis, qu'est ce que je… si quelqu'un me touche, je fais quoi ? Quelle protection on a dans le cadre du club ? Je veux dire… est ce qu'on peut se défendre si un client est trop insistant ou… ou c'est interdit ? Parce que j'avoue que ça me stresse et me fait un peu peur en même temps, alors si je savais les choses à l'avance, ça me permettrait de me préparer mentalement tu vois.

"Me fait un peu peur"… C'est un doux euphémisme, je suis terrifié par ce qui pourrait se passer au cours de la soirée. Je dois avoir l'air d'une poule mouillée à dire ce genre de chose, mais j'ai envie de dire qu'au point où j'en suis, je ne suis plus à ça près.

Je me demande bien ce qu’il va vouloir faire à présent le petit koala. Un ciné ? Un restau ? Ou peut-être rentrer directement chez lui ? Hum… Ca j’en doute, vu comme il ne me lâche pas depuis hier soir… Alors qu’on finit nos affaires dans cette boutique, j’entends sa voix peu rassurée près de moi. Se faire croquer ? Ah ouais hein, pas rassurant ça. Un envie de l’embêter encore un peu surgit et cachant un sourire sans doute un peu moqueur je lui réponds, d’un air détaché.

« Tu pensais qu’un petit chou aussi kawaii que toi allait passer sa première soirée en tant qu’hôte tranquille ? Ils vont tous vouloir te croquer hahaha… »

Je pensais le laisser un peu mariner avant de lui dire que je plaisantais, mais le voilà qu’il me harcelle de questions. Wow c’est un toc qu’il a ses rafales de questions ? Moi qui n’aime pas trop causer en général, avec lui, c’est impossible. Je sens que j’ai pas fini d’en entendre des questions… Sacrée pipelette. Et j’avoue que je ne sais pas quoi lui répondre… J’avoue que ça ne m’est jamais arrivé qu’un client essaie d’abuser de moi… Enfin dans le club… Dans mon ancienne vie, c’est arrivé, souvent, mais je ne pouvais rien dire et je devais me laisser faire. Le club est bien plus civilisé, plus… Sécuritaire… Et le boss veille au grain. Alors la nouvelle perle du club, il va veiller sur lui pour pas qu’on lui abime, histoire qu’il lui rapporte un bon paquet de blé… Il ne devrait pas avoir trop de problème…

« J’en sais rien… tu demanderas au chef… Moi on m’a jamais embêté au club… Alors… ce sera la surprise hahaha. Bon alors… Tu veux faire quoi maintenant ? »

Alors que je rigole encore un peu, je sors mon téléphone pour regarder l’heure. J’avoue que ce genre de gadget m’a beaucoup manqué quand je vivais dans la rue, même si je n’avais plus personne à appeler alors, dans ma première vie j’avais toujours le dernier téléphone, toujours le plus cher et le plus perfectionné , maintenant… Il est beaucoup plus simple, et surtout moins cher…

La réponse de mon Nao et son aveu d'ignorance concernant mes questions ne me rassurent pas du tout bien au contraire. Je n'ai pas l'impression qu'il se moque de moi, donc je ne sais pas du tout à quoi m'attendre. Ou plutôt, vu ce qu'il à dit, je sais un peu trop à quoi m'attendre ce soir justement. L'angoisse commence à former une boule désagréable dans ma gorge. Mais si je laisse la peur me paralyser par avance, il va se passer deux choses : petit a, ça va me gâcher le reste de la journée ; petit b, ça va m'empêcher d'être attentif et efficace au boulot et petit c, du coup je me ferais sûrement engueuler par mon nouveau patron. Après le cirque que j'ai fais pour qu'il m'embauche, ce serait un comble qu'il me vire après une seule soirée. Pour rester près de Nao, il faut que je me montre digne de sa confiance alors… même si je suis terrifié, je ferais bonne figure. Il me suffira de dire fermement à mes clients que je ne veux pas qu'ils me touchent. Je ne pense pas qu'ils me forceront. Du moins… j'espère.

- Heu bah… bah… tu veux… juste venir prendre un café ? demandé-je. Je me disais que… qu'on serait plus tranquilles dans un lieu plus… enfin moins fréquenté. Et ensuite… on pourrait peut-être… aller au club pour que je visite un peu les lieux ?

Bon d'accord, même après avoir visité le club, je ne sais pas du tout ce qu'on pourra faire parce que je doute que ça prenne très longtemps vu que ça n'avait pas l'air gigantesque non plus. Mais après tout, du moment que je suis avec lui, peu importe ce qu'on fait, tout me va.

- C'est moi qui t'invite pour le café. Ou le thé, comme tu veux.