Junmin était assis dans la voiture qui l’emmenait au lieu de rendez-vous que son père adoptif lui avait fixé. Ses doigts trituraient le papier où était marqué l’adresse. Il ne savait pas à quoi tout ceci rimait. Son père l’avait appelé la veille. C’était la première fois qu’il entendant sa voix depuis un an, et cela l’a tendu au plus extrême. Il ne s’était pas du tout attendu à avoir une discussion téléphonique avec son père la veille. Mais ce dernier l’avait appelé, lui donnant des informations quant à un diner organisé pour la société, soi-disant. À peine quelques minutes plus tard, un coursier était venu lui remettre un billet d’avion pour Séoul et une adresse. Junmin avait d’abord cru que c’était un piège de la part de son père. Il ne l’avait pas revu depuis un an, il pouvait se passer beaucoup de choses en un an. Son père adoptif avait pu faire des choses bien plus pire, et peut-être voulait-il se débarrasser de Junmin. Ces pensées avaient envahit le jeune homme après le coup de fil de son père. Mais quelque chose le poussa à y aller. Il ne savait pas de quoi il s’agissait, mais peut-être voulait-il montrer à son père adoptif qu’il ne le craignait pas, qu’il n’était pas un petit garçon fragile, et qu’il était tout à fait capable de reprendre la société. Et si son père voulait le faire disparaitre, Junmin s’en fichait au fond. Que méritait-il de plus de toute manière ? Au moins, il aurait connu la même mort misérable que son meilleur ami, ils seraient morts de la même main.

Le vol de Tokyo à Incheon n’avait pas duré très longtemps, mais les pensées de Junmin ne se taisaient pas et continuaient de lui brûler le cerveau. Les intentions de son père étaient-elles correctes ? À quoi devait s’attendre Junmin une fois sur le sol coréen ? De nombreuses hypothèses se formèrent dans son esprit. Des hypothèses toutes aussi farfelues les unes que les autres. Mais la plus grande partie des pensées de Junmin se concentraient sur son père. Comment il devait réagir en face de lui, pourrait-il seulement le regarder dans les yeux après ce qu’il a fait ? Pourrait-il rester calme en face du meurtrier de son meilleur ami ? Junmin tremblait, la peur de ne pouvoir se contrôler en face de son père augmentait au fur et à mesure que l’avion se rapprochait du sol coréen. Et l’atterrissage se fit bien plus rapidement que Junmin ne l’aurait voulu, et il n’avait trouvé aucune réponse à ses questions.

La voiture se gara sur le côté de la rue, indiquant à Junmin qu’il était arrivé. Le trajet avait déjà été payé par son père, il n’avait pas à sortir son porte-feuille. Il se tenait devant la porte, ses mains étaient moites et il n’osait sonner. Son père était-il déjà là ? Junmin se racla la gorge, et appuya sur la sonnette. La porte s’ouvrit quelques instants plus tard, faisant face à une femme d’un moyen âge. Junmin la salua instinctivement, et les grands ouverts mais suspicieux, il entra dans la demeure. La femme abordait un large sourire, comme si elle attendait la visite de Junmin depuis longtemps. « Ton fils est vraiment beau. » Junmin haussa un sourcil, se demandant à qui elle parlait. Son père était là ? Il enleva ses chaussures, et se dirigea dans la salle à manger. Son père se tenait à table, son air sérieux toujours présent. « Bonsoir Junmin. » Junmin resta debout, à quelques mètres de la table, ne voulant pas s’approcher. Sa mâchoire était tendue, les phalanges de ses mains devenaient blanches sous la pression qu’il effectuait en les serrant, et ses yeux ne voulaient pas quitter son père adoptif du regard. Le regard de la femme était posé sur lui, et pour rester poli, il inclina légèrement sa tête face à son père.

Des bruits de pas firent tourner la tête à Junmin. Quelqu’un arrivait dans la salle à manger. Junmin fut surpris en voyant une jeune fille d’à peu près son âge entrer dans la pièce. Il ne bougea pas d’un centimètre, mais son corps se tendit encore plus en voyant le regard d’incompréhension qu’elle abordait. Alors il n’était pas le seul à être perdu ici ? Cela n’envisageait rien de bon pour eux. Junmin s’approcha de la table, et s’assit sur la chaise que la femme lui indiquait. Il se retrouvait à côté de son père. Il n’osait pas faire le moindre geste, attendant la suite des évènements.

Si Junmin avait su qu'il serait retrouvé à une réunion de famille, il n'aurait certainement pas mit les pieds dans cet avion. Il serait resté tranquillement chez lui, se concentrant sur ses compositions. S'il avait su, il n'aurait pas fait attention aux menaces de son père. S'il avait su, c'était sûr qu'il ne serait pas venu. Son père le dégoutait, mais maintenant c'était bien plus que du dégout, bien plus que du mépris. Il avait même honte que cet homme ai pu l'adopter. Il était répugné à l'idée de porter le même nom de famille que lui. Junmin n'osait bouger, n'osait parler, assis à côté de l'homme qui l'avait adopté. Il entendit la femme demandait s'ils désiraient quelque chose à boire, mais Junmin ne dit rien. Se retrouver là, assis à la même table que son père l'effrayait. IL avait l'impression de retourner en enfance, lorsqu'il n'avait le droit à la parole que lorsque celui-ci lui autorisait. Il avala alors sa salive, et attendit. Il savait que désormais il était un adulte, et qu'il n'avait plus à obéir à son père, à ne parler que lorsque ce dernier l'y autorisait, mais pourtant l'éducation qu'il avait reçu, et la peur qu'il avait ressenti petit lorsque son père se trouvait dans la même pièce que lui, remontaient à la surface et il ne pouvait rien y faire. Il baissa les yeux sur son assiette.

La jeune femme qui était descendue quelques minutes plus tôt dit à sa mère ce qu'elle souhaitait comme boisson, après s'être assise en face de Junmin. Il se permit alors de relever la tête, l'observant. Elle avait un visage fin, on aurait presque pu croire qu'elle était mannequin. Mais sa personne n'était pas si étrangère que ça à Junmin. Il savait qu'il l'avait déjà aperçu quelque part, mais il avait beau chercher il n'arrivait à se rappeler de l'endroit dans lequel il avait aperçu la jeune femme. Elle semblait dans l'incompréhension autant que Junmin. Tous les deux étaient perdus au milieu de cette atmosphère tendue. Alors Junmin se détendit très légèrement. Il n'était pas tout seul dans cette situation bizarre. Le silence régnait, la femme n'était pas encore partie chercher les boissons, attendant surement que Junmin se décide sur ce qu'il voulait. Mais il n'osait toujours pas ouvrir la bouche, même pas pour respirer. Le père de Junmin lui mit un coup de coude plutôt violent, bien que caché par la table. Junmin se retint de jurer, et encaissa le coup comme il avait l'habitude de le faire avant. Le coup de son père commençait à ranimer des souvenirs qu'il souhaitait enfouis au fond de lui. Heureusement que la femme semblait insister du regard pour que Junmin lui dise ce qu'il voulait, ou il aurait très bien pu faire une autre crise. Mais il devait se retenir, et agir en homme bien élevé, bien portant, ou la colère de son père ne serait pas très clémente. « De... De l'eau, ça ira. Merci. »La femme s'éclipsa à peine quelques secondes et revint avec quatre verres remplis qu'elle disposa en face de chacune des assiettes. Junmin la remercia en inclinant légèrement la tête. Il sentait le regard de son père sur lui, il n'osait relever les yeux pour le regarder. Il regarda alors en face de lui, rencontrant le regard de la jeune femme qui semblait de plus en plus mal à l'aise, tout comme il l'était. Ils ne s'était même pas présenté, mais à peine cette pensée effleura l'esprit de Junmin que son père parla. « Bien. Je crois qu’il est temps d’éclaircir un peu la situation, commença l’homme en question, Jun Min, voici Yun Hua. Yun Hua, Jun Min. Si nous sommes réunis ici tous les quatre, c’est pour une bonne raison. Yun Hua, je suis ton père. » La jeune femme s'étouffa avec sa boisson, et Junmin qui n'avait alors que pris dans le verre dans sa main, le laissa en suspension dans l'air. Il croyait avec mal entendu. Il reposa doucement son verre, se tournant vers la femme. À son regard fuyant, il en déduit qu'il n'avait pas mal entendu, et ce n'était pas une blague. Il osa alors enfin regarder son père qui le regardait, indescriptible, mais affichant tout de même un petit souris narquois sur son visage. Junmin n'aimait pas quand il faisait ça, rien de bon n'était à prévoir.

Il crispa sa main sur le verre, serrant la mâchoire. Il jeta un coup d'œil à la jeune femme en face de lui. C'était sa belle-sœur ? Il fronça les sourcils. Il s'en fichait bien pour l'instant qu'elle partage le même sang que lui, du moins ce qui devait être vrai puisqu'il était censé être le fils biologique de monsieur Oh. Tout ce qui lui torturait l'esprit, c'était la raison pour laquelle son père leur annoncer ça maintenant. Mais il ne pouvait se résoudre à poser la question qui lui brûlait les lèvres. Il se focalisa alors sur sa demi-sœur, l'observant sous toutes ses coutures. Elle semblait hors d'elle, et encore plus noyée dans l'incompréhension que tout à l'heure. Yun Hua. Cette jeune femme qui devait surement être dans la même tranche d'âge que Junmin, était sa demi-sœur. Il n'arrivait pas à se faire à cette idée. Techniquement, ils n'avaient aucune connexion, puisque Junmin n'avait aucun lien sanguin avec sa famille, mais il considérait tout de même, malgré tout le mépris et le dégout que celui-ci lui provoquait, l'homme comme son père.

Tout le monde était à table, et personne ne pipait mot. Ce fut le père de Junmin - de Yunhua par la même occasion - qui prit la parole. « Allons, mangeons ça va devenir froid. »Mais Junmin n'avait aucune envie de manger, il commençait à sentir la colère en lui. Cependant, il obéit et baissa la tête. Il n'était qu'un lâche qui n'osait pas affronter son père. Il n'osait plus du tout relever la tête, de peur de croiser le regard de Yunhua. Il joua quelques instants avec ses baguettes, les faisant tourner dans son assiette, piquant la nourriture, puis la relâchant. On aurait dit un enfant qui tester la nourriture du coin de l'œil avant de la manger. « Junmin, ne fais pas ton enfant. Tu crois que c'est digne d'un futur CEO de se comporter comme ça lorsqu'on est invité. À ce stade, je pourrai bien te retirer le poste. » Junmin releva subitement la tête. Cette fois, il n'eut plus peur de regarder son père, ou tout du moins la surprise suite à ce qu'il venait de dire venait de masquer sa peur. Mais les yeux perçants de l'homme le forcèrent à détourner le regard, et alors il croisa celui de Yunhua. Et ce fut comme un déclic. « C'est elle ? C'est pour ça que vous nous avez présenté, père ? Vous voulez que ce soit elle, et pas moi ? Je vous fais honte à ce point. »Junmin avait parlé de façon très calme, sa voix était resté stable. On aurait pu croire qu'il avait répété cette phrase des centaines de fois, et que maintenant elle ne lui faisait plus aucun effet, elle avait perdu de sa valeur. Pourtant à l'intérieur, il fulminait. Le poste de CEO de la société, il comptait bien l'avoir. Et ce n'était pas une demi-sœur, aussi séduisante soit-elle, qui allait l'en empêcher.

Junmin avait tout fait pour être le fils exemplaire, celui dont son père serait fier et vanterait tout les mérites. Mais apparemment, il n’en avait pas assez fait encore. Pourtant, il lui avait obéi. Il avait fait tout ce que son père lui avait demandé, de la chose légale à la plus illégale possible. Il avait vendu son corps pour son père. Il espérait qu’il soit fier de lui pour lui avoir si bien obéit. Mais à l’époque, Junmin n’était qu’un gamin naïf et aveuglé par un rêve irréalisable. Avec le temps, il avait grandi et appris que son père ne voyait en lui que l’héritier de sa compagnie. Mais maintenant ? Maintenant que même cela, ce n’était plus destiné à Junmin, maintenant qu’en était-il ? Son père adoptif n’attendait plus rien de lui. Junmin avait fait tout ces efforts pour absolument rien, et cela l’énervait au plus haut point. Pour qui son père le prenait-il au juste, juste une poupée qu’il pouvait manipuler comme bon lui semblait ? Oui, ça devait être ça.

Junmin avait consacré la dernière partie de sa vie à se préparer à ce poste qu’il garderait tout sa vie. Il s’était consacré à ses études, son unique but était de se voir à la tête de la compagnie de son père et d’enfin faire quelque chose de bien dans sa vie. Mais maintenant ? Son père lui enlevait ce pour quoi il vivait principalement ? Junmin n’allait pas se laisser faire. Il en avait assez de se laisser faire, d’être intimidé et effrayé par son père. Il n’était même pas son vrai père. À part quelques papiers, il n’avait aucun droit sur Junmin, de plus il était majeur désormais. Il devait au moins faire ça pour son meilleur ami. Il devait au moins se battre pour lui, le venger. Lui montrer que même s’il est parti là-haut, il ne l’oubliait pas. Junmin était décidé à tenir tête à son père, mais plus facile à dire qu’à faire. Pour l’instant, il était toujours les poings serrés, sans bouger.

La jeune femme se tenait en face de lui, plutôt énervée. Elle n’arrêtait pas de débiter tout un flot de paroles qui donnaient mal à la tête à Junmin. À quoi bon ça servait d’argumenter avec son père adoptif, il savait bien qu’il ne changeait jamais d’avis et qu’il avait ce qu’il voulait, peu importe les désirs de la personne en face de lui. Vous savez, il est comme un de ces méchants dans les dramas qui sont intouchables. Junmin avait beau être énormément énervé contre lui, il savait que ce n’était pas la peine de gaspiller sa salive. Ses paroles n’atteindraient même pas l’homme. Le meilleur moyen pour Junmin était d’aller dans le sens que son père voulait. Il bu une gorgée d’eau, rafraîchissant son organisme qui était en train de bouillir. Il ne sentait pas bien, il avait besoin de prendre l’air. Sa tête commençait à tourner, des petites tâches noires apparaissaient. Il sentait son cœur s’accélérer, pompant le sang de plus en plus vite dans son organisme. Il pouvait le sentir sous sa peau, dans ses bras, dans ses jambes, dans son ventre, dans les veines de son cou, dans son cerveau. Il fallait qu’il sorte avant qu’il n’explose contre son père. Son regard se fixa sur sa demi-sœur, enfin c’était ce qu’elle croyait. Ils n’avaient aucun sang en commun. Son père l’avait osait l’appelé, plus d’un an après ce qu’il avait fait, il avait osé lui ordonner de faire quelque chose, et Junmin n’avait pas su refuser. Il ne savait pas refuser à son père. Et là, il lui présenta sa fille illégitime, qui le remplacerait à la place de la société. Il fulminait. Son père avait tout prévu, comme toujours, et Junmin était persuadé que la jeune fille en face d’elle faisait son indignée sous les ordres de son père. Rien n’échappait au contrôle de Monsieur Oh. Il fusilla Yunhua du regard, jetant son dévolu sur elle. Il ne pouvait s’énerver contre son père sous peine de recevoir une punition plus grande, alors il s’énerverait contre elle. C’était lâche, de ne pas s’opposer à son père alors qu’il avait vingt ans, qu’il était libre et non plus sous la dépendance et la tutelle de ses parents, mais il ne pouvait tout simplement pas. Il avait bien trop peur, après tout ce que son père avait fait.

Il se leva, essayant d’afficher un regard neutre en regardant la maitresse de maison, autrement dit la maitresse de son père. Il se demandait encore comment elle avait pu coucher avec un homme pareil, comment elle avait pu concevoir un enfant avec un homme tel que son père adoptif. Peut-être l’avait-il payé, l’avait-il acheté, comme il achète toutes les personnes qui refusent de se plier à sa volonté ? Quoiqu’il en soit, il s’inclina légèrement devant elle. « Excusez-moi, je ne me sens pas bien. Je vais prendre l’air. » Il n’attendit même pas un signe de tête ou une parole des adultes, et se dirigea vers la porte d’entrée. Il contourna la table, passant à côté de la jeune fille, lui lançant un regard noir, ne pouvant s’empêcher de la regarder. Il enfila à la va-vite ses chaussures, ne prenant pas la peine de mettre son manteau. Il étouffait bien trop dans cette maison, parmi ces personnes. Il ouvrit la porte, et la referma aussi derrière lui. Il avança de quelques pas titubant et s’assit sur le sol, prenant une grande bouffée. Il chercha du regard autour de lui, s’il n’y avait pas quelque chose à jeter, pour se défouler. Il avait besoin de se défouler, de faire sortir la haine qu’il avait en lui. Il n’aurait jamais du accepter de venir ici.

Le vent frais du soir fouettait le visage de Junmin, et son torse à travers son léger pull. Il sentait ses poils s’hérisser à cause du froid, et des frissons l’envahirent, mais il n’y tint pas compte. Le froid l’importait peu, et plus, ça l’aidait à chasser les pensées qui assaillaient son esprit, à vider sa tête. Il n’avait pas entendu la jeune femme s’approcher de lui, et il sursauta lorsqu’il la sentit s’assoir à côté de lui. Il tourna la tête, fixant la cigarette qu’elle tenait du bout de ses doigts. Il suivit son mouvement lorsqu’elle la porta à ses lèvres et tira une latte. Il l’écoutait à peine. Pourquoi lui parlait-elle, d’ailleurs ?  Ce n’était pas comme s’ils étaient amis, ou comme si elle pouvait comprendre. Comment le pouvait-elle ? Il avait travaillé pour ce boulot, même si ce n’était pas celui dont il rêvait au fond de lui, il y tenait. Et son soi-disant père ne décidera plus pour  lui, Junmin était grand, il avait assez vécu comme son père voulait.

Il leva un sourcil suite à sa question, remontant son regard vers son visage. Il l’observa pendant quelques minutes, puis fixa à nouveau ses yeux sur sa cigarette. « T’en as une pour moi ? » Ça faisait quelques temps qu’il n’avait pas fumé, et ce soir, ça ne lui ferait certainement pas de mal. « S’il te plaît." Il était bien élevé quand même, il ne fallait pas qu’elle croit qu’il était un garçon riche et sans cervelle, ou ça lui ferait une raison de plus de prendre son poste. Il regarda devant lui, joignant ses mains entre elles pour se réchauffer. « Oh oui, t’as l’air de la patronne parfaite. » Sa voix était sans émotions, il était comme blasé, comme s’il était un disque qui parlait, sans la moindre vibration. « Ton visage est joli, tu es grande, fine, avec de bonnes proportions. T’as pas l’air conne non plus. Crois moi, mon père sait ce qu’il dit. » Il avala difficilement. Il venait de dire « mon père », c’était pourtant sorti tout seul. « Et puis, logiquement c’est à toi que- » Il se coupa dans sa phrase. Il ne pouvait pas lui dire qu’il avait été adopté. À quoi songeait-il ? « Tu vas accepter sa proposition, d’être le prochain CEO ? » Sa voix était devenue glaciale, dure. Il voulait savoir ce que sa soi-disante demi-sœur pensait de tout ça. À vrai dire, il savait qu’il était inutile de discuter avec son père adoptif. Peu importe sa décision, aucun de ses deux enfants n’auraient le droit de remettre en question son choix. Pas même d’y songer à le remettre en question. Il se retourna vers la jeune femme à ses côtés, la fixant avec son regard noir. « Sache que ce poste, ce n’est peut-être pas mon rêve, mais j’y tiens énormément. Alors, même si mon père m’écarte de ce poste, sache que je me battrai. Je te laisserai pas me prendre ça, je le laisserai pas me prendre ça. » Il se leva suite à ses paroles qu’il venait de sortir d’une voix froide mais sans émotions apparentes. Pourtant, ses mains tremblaient, il commençait à s’énerver sérieusement. Il avait de défoncer tout ce qu’il voyait, et pourtant, il s’agissait de la jeune femme. Alors il se leva, et fit quelques pas devant, essayant de ne plus penser à elle et de se calmer.

Junmin sortit un briquet de sa poche et alluma la cigarette qu’il avait préalablement coincé entre ses lèvres. Il se tourna, se mettant dos au vent. Lorsqu’enfin elle fut allumé, il tira une latte. Il sentit sa poitrine le brûler, mais ça faisait du bien. Il était toujours debout, regardant la ville devant lui. Il tira encore une ou deux fois sur sa cigarette, un peu de fumée ressortant d’entre ses lèvres. La main gauche fermement ancrée dans la poche de son pantalon et sa cigarette entre ses doigts de l’autre main, il faisait quelques pas devant la porte d’entrée. Il shootait dans tout ce qu’il pouvait trouver au sol, ce qui se résumait principalement à des cailloux perdus. Il ne savait plus contre qui il était énervé. Contre lui, pour être toujours aussi faible face à son père adoptif ? Contre elle, avec son visage d’ange pour venir prendre sa place. Contre son père adoptif, pour le priver de tout ce qui comptait dans sa vie ? En y repensant, il ne savait pas pourquoi il l’avait choisi. Pourquoi il avait pris la peine de le prendre comme fils, si c’était pour gâcher autant sa vie. Peut-être Junmin ne s’était pas révélé le fils parfait que monsieur Oh désirait. Parfois, Junmin se demandait qu’elle aurait été sa vie s’il avait vécu avec sa mère biologique au lieu d’être vendu comme un vulgaire téléphone. C’était ça. Il avait été vendu et contrôlé comme s’il avait été un vulgaire objet toute sa vie. Il avait encore du mal à se faire à cette idée, à accepter cette perception cruelle que la vie pouvait être. Les personnes avides et dans le besoin font vraiment des choses ignobles. Ça lui donnait la nausée.

La voix désinvolte de la jeune femme transperçant l’air vint le tirer de ses pensées, et il la remercia inconsciemment pour ça. Il haussa un sourcil. Pas intéressée, hum ? Comme si son père pouvait s’intéresser un minimum à ce qu’elle pensait et voulait. Mais il ne fit aucune remarque. Elle ne connaissait pas ce monde, et autant en préserver le plus de personnes possibles, après tout. Parce qu’il n’est vraiment pas aussi doré et joyeux que ce que les gens extérieurs pensent voir. Il ne pouvait pas être plus d’accord avec la jeune femme. Il n’y avait aucune comparaison à faire entre le dessin et le poste de CEO. Junmin semblait d’un côté. D’un côté, il voulait ce poste. Mais d’un autre, il était jaloux de la jeune femme de faire ce qu’elle voulait. Bien sûr que le futur poste de CEO qui attendait - encore ? - Junmin lui plaisait, il le voulait. Il avait appris à l’apprécier au fil du temps. Mais il s’était découvert une passion. Écrire des paroles. Et peut-être que dans une autre vie, il aurait pris cette voie là.

Junmin décida de revenir s’assoir à côté de la jeune femme. Après tout, elle ne semblait pas dangereuse, il n’avait aucune raison d’être énervée contre elle d’autant plus que ce n’était visiblement pas son choix. Il fallait qu’il apprenne vraiment à maitriser sa colère, et ne pas la diriger vers n’importe qui. Junmin tourna la tête vers Yunhua et haussa un sourcil à sa question. Pourquoi lui demandait-elle ça ? « Je crois pas. » Sa voix était encore froide, mais la colère se faisait moins ressentir dans son ton. Il regarda à nouveau les lumières de la ville devant lui. « Oui. Ça parait un peu logique, j’pense. Et toi ? T’étudies où ? » Junmin finit sa cigarette et l’écrasa contre le sol à côté de lui. Il mit son autre main dans la poche de son pantalon, se protégeant du froid qui commençait à se faire ressentir. « Ah, j’devrai m’excuser de m’être énervée contre toi tout à l’heure, mais j’ai de bonnes raisons. » Non, il n’en avait pas vraiment. Il ne savait même pas pourquoi il disait. Il voulait être franche avec elle. « Et ce n’est pas parce qu’on est… demi-frère et sœur, que je te montrerai de l’affection, ou peu importe quelle autre connerie de ce genre. » Sa voix n’était plus froide, elle était juste neutre, comme d’habitude.

Junmin était toujours autant énervé qu’au début de soirée. À vrai dire, il l’était depuis que son père avait osé le contacter pour lui ordonner de se rendre au Japon, revenant comme une fleur bleue après ce qu’il avait fait. N’avait-il aucune conscience ? Mais il savait bien qu’il était inutile de rester enfermé dans sa colère. C’était une chose facile à dire, mais beaucoup plus difficile à faire pour lui. Déjà qu’il avait du mal à contrôler sa colère, alors si en plus il devait passer outre… Mais rien n’avancera jamais s’il ne se détachait pas un minimum de ses sentiments, s’il n’oubliait le temps d’une discussion la peur et le dégout qu’il ressentait envers son père adoptif, et la colère qu’il avait envers la jeune femme. Même si au fond, il le savait très bien qu’elle était innocente et un dommage collatéral dans l’histoire. Il souffla. Il lui fallait un effort surhumain pour se comporter normalement en leurs présences, à eux deux. Mais il avait plus ou moins réussit avec Yunhua. Enfin, ça allait qu’ils n’étaient que tout les deux, et qu’ils étaient parti sur le sujet de l’école. Mais indéniablement, il y avait toujours un ou deux mots pour évoquer ce qu’il venait de se passer.

Il souffla pour masquer un rire moqueur. Il balança sa tête en arrière, s’appuyant sur ses mains derrière lui, observant les étoiles qui apparaissaient les unes après les autres dans le ciel noir, bien que la plupart était masqué par les lumières de la ville. Preuve d’affection, hein ? Elle devrait s’estimer heureuse d’en avoir au moins eu une. Parce qu’à sa connaissance, lui n’avait rien reçu qu’un, voire même plusieurs, fardeau à porter. Et il arrivait seulement maintenant à s’en défaire petit à petit. Mais forcément, des personnes revenaient mettre de l’huile sur le feu. Il grimaça. Il n’avait pas besoin de sa pitié, et il n’en voulait surtout pas. Quoi de pire que la pitié de quelqu’un que l’on n’aime pas ? Mais il ne fit aucun commentaire, mettant avec difficulté sa rancune et sa colère de côté, pour avoir une discussion d’adulte. « J’suis pas quelqu’un de très sociable, tu risquerais de t’ennuyer. » Il était bien trop poli aujourd’hui, décidément. Il s’ennuyait lui-même. Pourquoi se sentait-il obligé de trouver une excuse pour pas qu’elle ne se sente trop mal ? Après tout, peut-être que c’était lui qui la prenait en pitié, qui sait ? Elle n’avait pas de chance, non plus, d’avoir Monsieur Oh comme père. Dommage qu’elle ait eu à savoir qui c’était, pensa Junmin.

Il se redressa. Sa nuque commençait à le faire souffrir à rester dans cette position peu confortable au final. Il se frotta les mains, enlevant la saleté. Il souffla, contemplant la fumée qui sortait de sa bouche à cause du froid. Il se racla la gorge. Il ne savait pas ce qu’ils attendaient là, peut-être devraient-ils rentrer ? Il n’avait pas envie de faire face à son père. Non, ce n’était pas le problème. Il n’était pas encore prêt à faire calmement face à son père, sans peur et sans colère apparente. Il n’était pas encore prêt à se comporter en réel adulte face à lui, alors que lui n’était qu’un connard. Mais Yunhua semblait être d’un autre avis puisqu’elle se leva et invita Junmin à rentrer avec elle. Il soupira, il y était vraiment obligé ? Il semblerait que oui. Il se leva alors, époussetant son pantalon désormais froissé, et se dirigea à la suite de Yunhua dans la maison, respirant un dernier coup d’air frais avant de faire face aux visages des deux adultes. Adultes. Il avait envie de rire, mais ce n’était pas le moment. Quelle appellation stupide. Si c’était ça, se comporter en adulte, Junmin ne voulait pas en devenir un tout de suite. Sans un regard pour son paternel, il retourna s’assoir à sa table, s’excusant de l’absence un peu trop longue auprès de la maîtresse de maison. Et il attendit. Qu’enfin un des trois parle. Parce que ce n’était certainement pas lui qui allait le faire en premier.

Junmin n’avait jamais été très branché niveau famille. Son père se servait de lui pour son business alors qu’il savait à peine parler correctement, et sa mère ne l’utilisait pas fierté auprès des autres mères des camarades de sa classe. C’était pour cette raison qu’il s’était rabattu vers ses amis dans un premier temps. Avant de savoir que son père n’hésiterait pas à leur faire subir le pire sort pour ne soi-disant pas nuire à Junmin et à son futur. Junmin n’aimait pas être considéré comme une victime de la vie qu’il avait eu, mais il n’était certainement pas le plus gâté des enfants sur terre. Pas étonnant qu’il se trouve asociale face aux autres, sans aucune volonté de s’intéresser à leurs petites vies jugées misérables. Il n’avait même pas d’intérêt pour la sienne. Alors, dans le fond, savoir qu’il avait une demi-sœur, qui plus est, n’était même pas réellement relié à lui par les liens du sang, ne lui faisait ni chaud ni froid. Son père adoptif pouvait bien aller fourrer sa gueule là où il voulait, en ressortir avec des progénitures sous les bras, ce n’était pas son problème. Il ne se sentait même pas peiné d’avoir une famille qui n’était pas soudée, il n’était pas non plus peiné pour sa mère adoptive qui ne se doutait sûrement de rien, ou alors qui faisait semblant. Du moment que tout ceci ne venait pas le déranger dans sa vie quotidienne et dans son futur, il n’avait aucune raison d’y jeter ne serait-ce qu’un coup d’œil.

Même ça n’avait pas été le cas. Il avait fallu qu’il rencontre cette famille cachée. Jusque là, rien de dramatique, Junmin pouvait bien endurer un repas en « famille », même si ça impliquait devoir supporter la présence de Monsieur Oh à côté de lui et de deux autres personnes dont ils ne connaissaient presque rien. Mais il avait fallu que son poste à l’entreprise, son futur soit menacé, et Junmin avait travaillé si dur pour ça, pour s’assurer une place dans la société, pour ne plus avoir à vivre, manipulé par les autres, qu’il s’était littéralement étouffé lorsqu’il avait appris que sa soi-disante belle-sœur pourrait très bien le remplacer en tant que CEO. Et un Junmin énervé, ce n’était pas bon. Même en compagnie de celui qui avait de sa vie un enfer et qui l’effrayait encore énormément. Mais il avait redirigé sa colère contre Yunhua, elle qui n’avait strictement rien demandé de tout ça, qui ne semblait même pas ravie de faire face à son paternel. Elle pouvait sembler du côté de Junmin, mais pour lui, elle n’était qu’une menace. Un tête de mort rouge clignotait au dessus de sa tête à chaque fois qu’il posait les yeux sur elle. Dans d’autres circonstances, peut-être qu’il aurait essayé d’en apprendre un peu plus sur elle, peut-être même qu’une fois retourné au Japon, il l’aurait salué dans les couloirs de l’université et qu’ils auraient mangé ensemble une ou deux fois, en bon frère et sœur. Mais non, Junmin n’était vraiment pas enclin à faire ami-ami avec sa belle-sœur.

Junmin aimait le silence, et pourtant, en ce moment il le détestait. Des sentiments aussi contradictoires pour rien. Aucun son, aucun bruit, juste la respiration des personnes dans la pièce vide. Et pourtant, malgré l’absence de chaos, il sentait des marteaux lui frapper les tempes, ses oreilles bourdonnaient comme s’il était placé à côté des basses en soirée, et l’air extrêmement tendu l’étouffait alors qu’il venait tout juste de rentrer de dehors. Il avait espéré, du plus profond de son être, que le repas se termine ici, que son père adoptif se lève et annonce qu’ils allaient maintenant partir. Junmin ne savait même pas s’il y avait eu un billet retour dans l’enveloppe. Sûrement. Mais quand ? Il ne se voyait vraiment pas passer la nuit ici, dans cette ville, que ce soit dans cette maison ou dans un hôtel. Il avait espéré que la mère de Yunhua intervienne, brisant le silence en leur disant que l’heure de se quitter était sans doute arrivé. Mais rien de tout ceci n’arriva comme il espérait. Oh, son père avait bien parlé. Mais il n’avait en aucun cas parlé d’un départ, d’un repas qui s’annonçait finit, d’une menace effacée. Non, tout ce qu’il avait trouvé à dire, c’était un compliment sur un pendentif que portait Yunhua. Junmin roula des yeux. Sérieusement, qu’est-ce qu’on en avait à faire qu’elle porte un pendentif, même s’il avait été à sa mère avant et qu’il s’agissait d’un cadeau de Monsieur Oh. Junmin était fatigué. Toute cette histoire l’avait vidé de ses forces. Il n’avait même plus envie de suivre la sorte de conversation qui se passait autour de lui. Il baissa la tête, comme pour se renfrogner sur lui-même, et ferma les yeux, essayant de penser à autre chose. Cependant, il n’y parvint pas avec la voix de Yunhua agressant ses oreilles. Elle ne semblait pas parler si fort que ça pour lui vriller les tympans, et pourtant c’était comme si elle était tout près de lui, près de son oreille, ne prenant pas la peine de chuchoter. Junmin releva la tête et regarda Yunhua. Il aimerait être aussi libre face à son père, il aimerait pouvoir réussir à lui parler comme elle le faisait. « Au moins, ça a le mérite d’être clair, non ? » Et puis, après tout, pourquoi ne pas l’être ? Il n’était plus un petit garçon sans aucune défense, il savait se battre. « Je pense que nous devrions l’écouter, et partir. Vous vous êtes déjà assez fait rabaissé pour la soirée, ce serait dommage de se faire descendre plus bas que terre par sa propre fille, n’est-ce pas ? » Junmin regardait en face de lui, fixant son regard dans celui de sa belle-sœur, mais ces paroles étaient définitivement bien adressés à son père. « Ah, quant à la place de CEO que vous allez laisser derrière vous, elle est à moi. Depuis ma naissance. Comme Yunhua a dit, l’affaire est close. » Et sur ces paroles, il se leva, tout de même étonné que sa voix n’ait pas tremblée et que son père ne l’ait pas stoppé. Mais il n’eut pas le temps de faire le moindre pas que son père adoptif se leva aussi et lui mit une claque. Une des plus belles claques qu’il n’avait jamais reçu de sa vie. Enfin, il ne savait pas. Ce n’était pas clairement pas la première fois qu’il se faisait claquer par son paternel. « Tu as bientôt fini de ridiculiser ton père ? Tu me fais honte, Junmin. » Puis, il se retourna vers la mère de Yunhua, sûrement pour aller s’excuser du comportement insensé de son fils. Mais Junmin n’écoutait pas, il mit sa main sur sa joue et la massa pendant une demi-seconde, grimaçant. Il devait surement avoir la joue rouge sang.

Le courage, ce sentiment qui vous donne des ailes, vous permet de passer au delà de vos frontières et de vous affirmer tel que vous êtes. Ce même courage qui lui avait valut une claque monumentale de la part de son père devant sa belle-sœur et la mère à celle-ci. Il aurait peut-être mieux fait de rester silencieux, mais il ne pouvait pas être là à rien faire alors que son poste était en jeu. Il avait porté la main à sa joue, grimaçant, mais lorsqu’il sentit la douleur se répandre un peu partout dans son corps, il se tétanisa. Des images défilèrent devant ses yeux grands ouverts, des images qu’il aurait préféré ne jamais se rappeler. Les coups de poings, les coups de pieds qui volaient, le frappant, abîmant encore plus son corps meurtri. Il se mit à trembler, d’abord des mains puis de son corps entier. Ses tremblements étaient minimes, et pourtant il sentait ses jambes se dérober sous son corps, il ne supportait plus son propre poids. Sa vision devenait floue, ses souvenirs de plus en plus présent dans son esprit. Ce qu’il avait redouté pendant plus d’un an, ce qu’il avait fui pendant plus d’un an l’avait finalement rattrapé. Il regarda le dos de son père adoptif. Tout ceci était de sa faute, à cette être infâme et cruel. Junmin le maudissait du plus profond de son être, il le maudissait tellement qu’il finit par s’en mordre la joue sous ses tremblements. Il poussa une petite plainte. Il n’y était pas allé doucement, maintenant le sang affluait en fines gouttes dans sa cavité buccale et lui donnait un goût amer. Dans son agitation intérieure, il n’avait pas vu Yunhua s’approcher de lui. Il ne releva la tête lorsqu’il crut entendre sa voix auprès de lui avant de la voir déguerpir vers une autre pièce de l’appartement. Il n’avait aucune idée de ce qu’elle avait dit, d’où elle allait, et il s’en fichait un peu à vrai dire. Il ferma les yeux, se rasseyant sur sa chaise et essaya de calmer ses tremblements et d’arrêter le flux d’images et de sensations qui parcouraient son esprit, mais c’était peine perdue.

Junmin sursauta lorsqu’il sentit quelque chose de froid lui tapoter la joue, et il s’apprêtait à l’envoyer balader de sa main lorsqu’il s’aperçut qu’il s’agissait de sa belle-sœur assise à côté de lui. Les tremblements de Junmin n’avaient pas cessés, mais il était bien trop étonné que Yunhua prenne soin de lui pour y penser sur le moment. Enfin, prendre soin de lui. C’était un bien grand mot. Elle ne faisait que lui appliquer un gant d’eau froide sur sa joue. Après tout, toute autre personne aurait fait la même chose qu’elle devant la scène. Cependant, il continuait à la fixer comme si son geste n’était pas des plus anodins. Très peu de personnes, voire aucune ne s’était occupé de lui comme elle le faisait. Et en tant que novice en la matière, il aurait cru qu’elle agissait de manière maternelle. Mais après tout, il était perdu et confus dans ses souvenirs et son passé, qu’en savait-il réellement des intentions de Yunhua ? Il ne savait même plus s’il voyait Yunhua en face de lui ou bien sa mère. Il ferma les yeux, appréciant juste le contact du froid sur sa joue meurtrie, le calmant peu à peu. Il prit le gant des mains de Yunhua lorsque celle-ci lui tendit, et continua de se l’appliquer comme elle l’avait si bien fait. Mais à croire qu’il n’avait pas sa délicatesse. Ça semblait mieux quand c’était elle qui le faisait. Junmin soupira, et voilà qu’il se retrouvait dépendant de sa belle-sœur à qui leur père semblait lui destiner le même avenir que Junmin.

Junmin avala de travers en relevant la tête au son de la voix de Yunhua sur son père. Ce dernier était déjà assez énervé, il n’était vraiment pas conseillé pour elle de lui crier dessus. Et pourtant, au plus grand étonnement de Junmin, Monsieur Oh ne dit rien, et se contenta d’écouter sa fille avec un petit sourire aux lèvres. Arrogant. Monstrueux. Il n’y avait définitivement pas d’autres mots pour le décrire. Il attendit qu’elle ait fini de parler pour regarder sa montre, avant de demander à la mère de Yunhua de lui apporter ses affaires. « Crois moi, les flics ne me posent pas de problème. Tu sais, avec leurs faibles salaires, ils sont bien contents de toucher une prime pour leur éviter un effort supplémentaire d’arrestation. » Il enfila le manteau que lui tendait la mère de Yunhua et prit sa sacoche. « Mon avion part dans une heure, je vous laisse. » Sur ce, il s’inclina légèrement vers l’hôtesse de la maison et sortit, non sans lancer un regard noir à Junmin. Ce dernier était resté tétanisé dans son coin, écoutant les moindres paroles qui sortaient de la bouche de sa demi-sœur. Il en avait appris, des choses, et cela ne faisait qu’accentuer encore plus la haine envers son père adoptif. Quel genre d’humain était-il, en était-il seulement un ? Junmin secoua doucement la tête, sachant cet homme de ses pensées. Il avait réussi à ne pas y penser pendant plus d’un an, ce n’était pas pour qu’une soirée vienne tout perturber. Et pourtant, quelle soirée…

Junmin se sentait nettement plus soulagé, maintenant que son père adoptif était parti, les laissant tous les trois. Il se leva, se dirigeant vers Yunhua, et hésitant, il tapota son épaule pour qu’elle se retourne. « Tu, heu… » Il ne savait même pas exactement pourquoi il était venu vers elle. « Merci. » Il lui tendit le gant, prétextant que sa joue allait bien mieux, même si elle continuait quelque peu à le lanciner. « Tu t’es fait enlevé ? » On ne pouvait pas faire plus direct. Mais Junmin avait besoin de savoir ce que son père avait fait. Après tout, il s’était braqué avant de voir la vérité en face. Ce n’était pas Yunhua dont il fallait se méfier dans cette histoire, et même s’il avait un peu de rancœur – certes injustifiée – à son égard, ce n’était peut-être pas plus mal s’ils apprenaient à se connaître. Peut-être qu’il réussirait à se confier, à raconter ce que son fameux père lui avait fait subir, puisque la jeune femme ne semblait pas s’en être sorti indemne non plus. « On peut aller autre part, j’étouffe un peu. » Il se retourna vers la mère de Yunhua et s’inclina, prenant de lui même son manteau et son sac dans lequel se trouvait ses papiers. Il enfila ses chaussures, et sortit sans attendre Yunhua. Après tout, si elle voulait bien parler avec lui, elle viendrait. Il sortit une cigarette de son sac et la porta à ses lèvres, l’allumant avec son briquet.

Junmin aurait vraiment préféré être né dans une autre famille, ou du moins, avoir été adopté par d’autres personnes. La haine qu’il ressentait envers son père était sans nom. Mais elle restait bien souvent cachée, enfouie sous la peur et l’impuissance face à ce dernier. Tout ce que pouvait faire Junmin, c’était vivre le plus loin possible de lui, essayant de vivre une vie meilleure que ce qui lui avait été imposé durant son enfance, et encore aujourd’hui. Et ça commençait par répondre à son père, lui montrer qu’il n’était pas un pantin sans cerveau, sans émotions, qu’il pouvait utiliser comme bon lui semblait. La réponse ne s’était pas fait attendre, Junmin le savait, qu’il ne s’en tirerait pas comme ça. Il avait beau faire un pas en avant pour faire face à son père, il en faisait deux en arrière immédiatement après. Et cela ne faisait qu’accentuer la haine qu’il ressentait envers lui.

Junmin ne s’était pas retourné lorsqu’il avait entendu la porte s’ouvrir. Il se doutait bien qu’il s’agissait de Yunhua, et ses pensées se confirmèrent lorsqu’il entendit sa voix parvenir à ses oreilles. Il détacha son regard du pont invisible qu’il fixait depuis quelques minutes et leva la tête vers sa demi-sœur. « Allons-y. » Il avait envie de s’éloigner de cette maison au plus vite, et de tout ce qu’il venait de se passer. Il tira sur sa cigarette, attendant quelques secondes avant de faire ressortir un maigre nuage de fumée d’entre ses lèvres. Il haussa les épaules à la question de Yunhua. « Voir à quel point il est vraiment détestable, ignoble, inhumain. » Il avança de quelques pas, se retrouvant dos à Yunhua. « Ça ne m’étonne qu’à moitié, à vrai dire, qu’il te soit arrivé une merde comme ça par sa faute. » Il se retourna vers elle, et lui afficha un grand sourire ironique, et complétement faux. « Bienvenue dans le club des enfants de Monsieur Oh. Si ça s’trouve, on a encore d’autres frères et sœurs. Comme l’autre est pas- rien, laisse. » Il avait été sur le point de dire que sa « mère » n’était pas capable de mettre au monde un enfant, révélant ainsi son secret. Et c’était définitivement le secret à ne pas révéler. La preuve, la seule personne qui avait été au courant de sa véritable origine avait été tué des mains de Monsieur Oh. Et Junmin n’était plus trop sûr de limites de son père, du moins s’il en avait. Il serait sûrement capable de tuer sa propre fille aussi, surtout illégitime, comme il avait mis dans le coma son fils « légitime ».

Il termina sa cigarette, jetant le mégot un peu plus loin, puis il fourra ses mains dans les poches de son jean. « Franchement, si tu peux, restes le plus loin de lui. C’est l’être le plus néfaste que je connais, et j’en ai rencontré des gens, crois moi. » Son ton était blasé, comme s’il était éternellement fatigué de la vie qu’il menait. Il jeta un coup d’œil vers Yunhua. Plus la soirée avançait, plus il se disait qu’il pourrait au final, apprécier cette fille, et bien s’entendre avec elle. Et même si elle n’était pas vraiment sa demi-sœur, même s’ils ne partageaient aucun lien de sang, ils pourraient bien se comporter comme de véritables frère et sœur. Après quelques temps, bien entendu. Junmin n’était pas le genre de personne à s’ouvrir facilement, mais le fait qu’elle connaisse déjà un peu la vie de Junmin de par leur père, il avait l’impression qu’il pouvait parler plus ou moins librement de ce qu’il lui avait subir. Après Juno, ce serait bien la seule personne qui serait au courant de ses mésaventures. « Ma vie a pas été toute rose à cause de lui, t’sais. » Plus il regardait son visage, plus il avait envie de se confier à elle. Mais il n’en savait trop rien. Pouvait-il réellement lui faire confiance ? Pour une fois, Junmin voulait se confier, se libérer d’un poids trop longtemps gardé, mais il n’était pas sûr que cela soit vraiment une bonne idée.

Depuis qu’il savait marcher et compter jusqu’à 100 sans se tromper, Junmin s’était toujours demandé s’il était le seul à vivre de cette manière. Il avait d’abord pensé que c’était une manière normale de vivre son enfance, mais en rencontrant d’autres garçons de son âge, en parlant avec eux, il s’était rapidement rendu compte de son esclavage. Car il n’y avait pas d’autre mot pour décrire son quotidien. Il obéissait à chaque ordre de son père sans ne serait-ce que penser à broncher, ou il serait puni et pas de la plus douce des manières. Et il avait commencé à se poser des questions. Était-il le seul à devoir obéir à son père de cette façon, à devoir faire toute sorte de choses qui le dégoutait ? Était-il le seul à voir sa courte existence ruinée par la faute de l’homme qui prétendait être son père ? D’un côté, il ne voulait pas être le seul. Il ne voulait pas être le seul à subir alors que tous les autres vivaient une enfance normale dans l’amour et la joie. Il ne voulait pas être exclu, être le seul à se voir gâcher son enfance. Mais d’un autre, il souhaitait être le seul. Du haut de sa dizaine d’années, il ne souhaitait à personne de voir son enfance détruite par son paternel, à personne.

Et pourtant, il venait d’apprendre qu’il avait une demi-sœur, plus ou moins. Il n’avait pas su comment réagir, et il devait faire face au risque qu’elle puisse lui prendre sa future place dans la société de son père. Alors, tout nettement, c’était la colère et la haine qui avaient fait leur chemin. Pour Junmin, cette fille ne savait pas ce que c’était de vivre en tant qu’enfant reconnu de Monsieur Oh, elle ne savait pas ce que c’était que de devoir répondre à chacun de ses caprices d’enfant pourri gâté. Et même s’ils avaient le même père, ils n’avaient pas eu la même vie. Yunhua avait sûrement eu une belle enfance, alors que Junmin avait été réduit aux ordres de son père. Et rien que pour ça, il ne pouvait s’empêcher de regarder la jeune femme avec haine. Mais il venait d’apprendre qu’elle n’était pas si épargnée qu’il ne le pensait. Et les informations avaient fait leur chemin dans son esprit ; il en était venu à la conclusion qu’il pouvait au moins essayer de la connaître. Après tout, ils étaient demi-frère et sœur d’après la loi, non ?

Junmin haussa simplement les épaules, un faible rire blasé sortant de sa gorge. Que son père adoptif ait d’autres enfants ne lui importait pas. Il se sentait déjà désolée pour la jeune femme, pas besoin d’en rajouter d’autres à la liste ; si on pouvait éviter les dégâts. Sentir le tabac lui brûler la gorge et les poumons lui fit, dans un certain sens, du bien. Il pouvait se concentrer sur cette douleur physique plutôt que sur la merde qu’était sa vie, son père, son entourage. Et sans qu’il ne s’en rende vraiment compte, la cigarette entre ses doigts arriva à sa fin, comme toutes les choses, et elle partit rejoindre le sol, retournant à la terre. Il hocha légèrement la tête, sûrement pour montrer qu’il prêtait tout de même attention aux paroles de Yunhua malgré son regard perdu sur le sol sur lequel son mégot venait de s’écraser. Oh non, il n’était pas très bavard. Et pourtant, cette envie de dévoiler les plus sombres secrets de son existence le tiraillait. Il esquissa un sourire. Où était le mal, après tout ? Il n’était pas obligé de savoir que Yunhua saurait des informations inédites de sa vie, si elle n’en parlait pas. Quant au fait qu’il puisse faire du mal à sa propre fille, il n’en doutait pas un instant. Tout ce qui comptait pour cet homme était sa réputation et son argent.

« Désolé de t’avoir mal jugé au début. Sincèrement. » Junmin s’était comme senti obligé de commencer par là, s’il voulait être capable de parler de sa vie avec elle. Il savait qu’il avait été en tort, et maintenant qu’il se sentait un peu mal pour Yunhua, il se devait de réellement s’excuser. « J’aimerai beaucoup en parler, mais c’est, hum, personne ne sait rien. » Junmin parlait lentement, il avait du mal à trouver les mots. Il se gratta l’arrière de la têt et laissa un petit rire ironique sortir de sa gorge. « Je sais même pas par quoi commencer tu vois. » Vraiment pas habitué à raconter sa vie, il n’avait aucune idée de comment introduire le sujet. Il fit quelques pas de plus dans le silence, fixant à nouveau le sol sans réelle attention. Au bout d’un certain moment, il se retourna vers Yunhua, indiquant d’un mouvement de sa tête, le café qui se trouvait non loin devant eux. Il ne dit rien, ne laissa même pas le temps à la jeune femme de dire son avis sur la destination qu’il se dirigea vers l’enseigne. Il poussa la porte, une sonnette retentit, les deux serveurs relevant les yeux vers lui. Il se dirigea vers une table écartée des autres, contre la vie qui donnait sur la rue, et s’installa. Il enleva son manteau, la chaleur de la pièce contrastait avec celle de dehors. Junmin regarda Yunhua s’installer en face de lui à son tour, avant que le serveur ne vienne vers eux. « Nous fermons dans 30 minutes. Vous désirez boire quoi ? » Junmin hocha la tête, prenant en compte l’information qu’il venait d’apporter, et jeta un rapide coup d’œil vers les différentes boissons inscrites sur le tableau d’affichage. « Un latte à la vanille, s’il vous plaît. » Il laissa le soin à Yunhua de commander ce qu’elle voulait, lui indiquant d’un signe de main que c’est lui qui payer. Quelque peu mal à l’aise, il posa ses mains jointes sur la table, regardant ses articulations. Il se racla la gorge, et leva finalement son regard vers Yunhua. « Tu me poses des questions, j’y répond. Je pense que ça sera plus facile pour moi d’en parler. » Ainsi, il ne laisserait échapper que ce qu’elle désirerait savoir, et c’était sûrement mieux ainsi. « Si ça te dérange pas. »

Parler, surtout de lui, des problèmes qu'il a du surmonter en étant jeune, n'était vraiment pas quelque chose de facile et de simple à faire pour Junmin. Comment dire à quelqu'un les atrocités que l'on a vécu ? Il détestait se montrer aussi faible devant des gens, être le petit chiot martyrisé qu'il ne voulait pas être. Il était effrayé que s'il révélait son passé à quelqu'un, cela lui coûterait la vie. Après tout, son père en avait été capable par le passé ; la seule personne qui comptait plus que tout pour Junmin à cette époque ; qui pouvait affirmer qu'il ne recommencerait pas une deuxième fois et ce, même s'il s'agissait de sa propre fille. Et pourtant, face à sa demi-sœur, cette peur de lui raconter sa vie, de paraître faible devant elle, cette peur des conséquences n'était pas aussi imposante que s'il était face à Ying, ou Amy. Ce n'était en aucun rapport avec la confiance, ou peut-être un peu. Surement que Yunhua ne comptait pas vraiment pour Junmin. après tout, ils avaient beau être soi-disant frère et sœur, ils ne se connaissaient pas, et même s'ils arrivaient à se connaitre plus par le futur, il en faudrait beaucoup à Junmin pour s'attacher. Il lui en faut toujours beaucoup dans les relations humaines de toute manière.

Et pourtant, même s'il se sentait prêt à parler à Yunhua, dans le fond il ressentait toujours cette gêne et cette peur lui tirailler l'estomac. Il se répétait sans cesse qu'il n'y avait aucune raison pour laquelle son paternel serait au courant de leur discussion, mais il ne pouvait supporter une autre mort sur sa conscience. Son regard fouillait chaque coin sombre autour d'eux, à croire sans doute qu'il frôlait la paranoïa. Aussitôt les commandes servies, il posa ses mains autour du grand gobelet, espérant arrêter les faibles tremblements. Il avait cette désagréable impression d'être observé, d'être écouté par quelqu'un d'autre que Yunhua, et pourtant ce n'était qu'une impression. Il baissa la tête de peu à la première question. "Heu... Je suis resté dans le coma pendant deux semaines, il y a 2 ans. Si ça répond à ta question..." Même s'il savait qu'elle ne serait pas celle qui se moquerait de lui, enfin il espérait, la hantise de se montrer aussi faible le rongeait de l'intérieur et se peignait sur son visage.

Et peut-être qu'il s'était surestimé, peut-être qu'il n'était pas si prêt que ça à parler, surement que ça lui demandait beaucoup plus de courage que ce qu'l avait d'abord pensé. "Tu sais quoi ? On ferait peut-être mieux de.. d'arrêter là." C'est ça, vas-y, montre toi encore plus faible à fuir ta vie, résonnait une voix dans sa tête, lui cisaillant le cerveau. "Pas que... enfin." Il ne savait même plus ce qu'il essayait de dire, perdu entre la peur, la honte et la colère qui émanait de son cœur. "Si je te raconte ma vie, il va pas te laisser tranquille, et que tu sois sa fille ou non, franchement je pense qu'il s'en fout là." Peu à peu, il sentait la colère de toutes les injustices qu'il avait vécu prendre surface, surement car il pensait la jeune femme innofensive, et qu'il pouvait enfin se défouler, et peut-être être un peu plus compris. "Il aime tellement gâcher la vie des personnes, tu peux même pas imaginer à quel point. Il est totalement inhumain. C'est pas ma faute, einh, c'est lui qui m'a rendu faible à ce point, tu... tu peux pas savoir à quel point il est terrorisant. J'veux dire qu-quand tu sais que ton père est capable de tuer ton meilleur ami, la personne qui compte le plus pour toi tout ça parce qu'il avait eu le malheur de savoir que j'suis pas leur-" Il s'arrête net, se rendant compte de ce qu'il était en train de raconter. La colère avait tellement pris le pas, qu'il n'avait plus mesuré ses paroles. Ses tremblements se firent plus forts, elle n'était pas censé savoir tout ça, ou peut-être que si, mais pas dit de cette manière. Il ne savait plus quoi dire, plus quoi faire. après tout, il ne pouvait pas revenir en arrière sur ce qu'il avait fait.

Junmin s’était laissé emballer par les émotions qui coulaient à flot, partant de son cœur et se divulguant dans sa cage thoracique, montant à son cerveau qui ne mesurait plus les mots qui défilaient sur sa langue. Il avait failli aller trop loin, il avait failli lui dire tous ses secrets. Failli. Mais il s’était arrêté, et tant mieux. Rien que de dire ce secret tordait ses entrailles, sa gorge se nouait, la sueur coulait sur son front. Il secoua la tête aux paroles de la jeune femme. « T’excuses pas. » Sa voix était faible d’avoir ainsi révélé son passé à une presque inconnue, et pourtant ils étaient plus liés qu’ils ne l’auraient souhaité. Junmin ne voulait aucune pitié, aucune compassion. Ça le rendait encore plus malade que des gens prétendent comprendre ce qu’il avait vécu. Non qu’il prétendait être le seul à souffrir dans sa vie, mais chaque épreuve et chaque souffrance est différente. On ne pouvait juste pas comprendre ce qu’il avait traversé ni à quel point il avait souffert. Il ne voulait pas non des excuses. Même si son père en venait à s’excuser sincèrement un jour – ce qui n’arrivera probablement jamais – il n’accepterait pas ses excuses. A quoi servent des excuses, elles ne réparent pas le mal fait. Parfois, rarement, il s’excusait pour certaines choses qu’il avait fait. Plus parce qu’il savait que c’était bien vu par les autres de s’excuser que parce qu’il était convaincu que c’était la bonne chose à faire, même s’il se sentait véritablement désolé d’avoir agi de la sorte. Il haussa les épaules, la gorge nouée. Il l’avait prévenu, il lui avait dit que son père était ignoble et inhumain. Il ne put lui faire qu’un signe de tête, approuvant vaguement ses paroles. Ça le dépassait également, mais il avait appris à vivre avec depuis de longues années. Si bien que, aussi douloureux soit son passé, il ne se voyait pas pouvoir vivre son enfance et son adolescence autrement que sous les griffes de son père. Il ne pouvait même pas imaginer son meilleur ami encore en vie, à côté de lui. Tout serait tellement différent, qu’au final ça l’effrayait.

Un brusque mouvement de sa main cognant contre le coin de la table le fit grimacer, et la surprise et la peur se lut sur son visage. Ses pieds rappèrent sur le sol et sa chaise recula de quelques centimètres, grinçant sur le sol. Elle ne pouvait pas savoir, elle ne devait pas savoir. Junmin avait l’impression de se revoir deux ans en arrière lorsqu’il l’avait plus ou moins dit à son meilleur ami – il l’avait plus deviné qu’autre chose, comme Yunhua était en train de le faire. Il n’arrivait pas à réagir, le visage de son meilleur ami apparaissait à la place de celui de la jeune femme, et l’instant d’après il la voyait ensanglantée de la même manière qu’avait été son meilleur ami. Elle ne devait juste pas savoir ça, mais c’était trop tard. Son entêtement fit grincer des dents Junmin. La vérité se lisait sur son visage, et même s’il arrivait à nier, elle ne le croirait surement pas. Il soupira, plongeant sa tête entre ses mains. Il ne dit rien, elle avait deviné, et de par sa réaction elle devait savoir qu’elle avait juste. Que pouvait-il bien dire ? Qu’effectivement, il n’était pas leur fils, donc qu’ils n’avaient aucun réel lien de sang ? Une perte de temps. Alors, il resta comme ça, ses yeux fermés, appuyés contre ses mains moites.

Au bout de quelques minutes, il finit par relever la tête, plantant son regard dans celui de Yunhua. Un soupir traversa ses lèvres, et il s’était résolu à lui dire. Elle savait déjà une partie de la vérité, autant qu’elle sache toute la vérité si son père finissait par le découvrir. Il s’en voulait de penser ça, mais il était tellement méfiant envers monsieur Oh, il était persuadé qu’il était capable de le mettre sur écoute. Il secoua la tête, se traitant de tous les noms. Ça lui montait vraiment à la tête, il abusait parfois. Et ce n’était pas la question du moment. « Madame Oh peut pas avoir d’enfant. » Sa voix était incroyablement faible, comme s’il venait de faire un énorme effort physique et psychologique, et qu’il était épuisé, proche de la mort. « Je- je suis né d’une mère porteuse coréenne. » Il souffla. C’était dit. Quelque part, il se sentait soulagé de s’être confié à elle, bien qu’ils ne se connaissaient pas réellement. Mais il restait cette boule dans son estomac qui ne voulait pas partir, peu importe combien il essayait de se rassurer en se disant qu’il n’y avait peut-être aucun danger à ce qu’elle le sache. « On peut parler d’autre chose ? » Pas besoin d’expliquer le pourquoi du comment, c’était suffisamment compréhensible qu’il ne veuille pas s’étaler sur le sujet. Mais il ne savait pas sur quoi relancer la conversation. Alors, il se laissa tomber dans le fond de sa chaise, calant son dos contre le dossier, laissant ses épaules retomber. La pression ne partit pas, mais il se sentait déjà légèrement plus décontracté.

Junmin secoua la tête. Oh non, il n’était pas son père. Comment pouvait-il l’être, alors qu’ils étaient si différents l’un de l’autre. Junmin ne ressemblait en rien à ses parents, que ce soit physiquement ou mentalement. Et il y avait une bonne explication à ça, explication qu’il venait de donner à Yunhua. « Non, c’est bizarre à dire à voix haute, mais mes parents biologiques sont une mère porteuse et des spermatozoïdes en éprouvette, tu vois. » Inconsciemment, un rire s’échappa de sa gorge pour mourir étouffé la seconde d’après. C’était vrai, dit à voix haute, cela sonnait horriblement bizarre. Peut-être que Junmin n’aurait jamais du connaître d’où il venait, ça aurait évité bien des ennuis. Après tout, en quoi cela avait-il été utile, de savoir qu’il n’était pas lié par le sang à ses parents, et que sa véritable mère l’avait eu seulement pour gagner de l’argent ? Excepté la douleur ancrée à jamais dans son cœur, Junmin n’avait rien eu en retour. Pas un seul grain de joie, de bonheur de savoir qui était sa réelle mère. Son regard perdu redevint glacial, sa voix gifla l’air froidement, comme avant. Avant qu’il se montre faible aux yeux de sa belle-sœur. Comme il était la plupart du temps, le futur CEO froid comme son cœur de pierre, et si mystérieux qu’il est impossible de déceler une quelconque lueur dans ses yeux inertes. « Aux yeux de la loi, je suis bien le fils de Monsieur et Madame Oh. Je ne vois pas pourquoi il veut absolument garder ça secret. C’est pas comme si j’allais retourner vers ma mère biologique, après tout elle m’a eu pour de l’argent. Et j’ai vécu avec la famille Oh, je suis leur fils. » Le cœur mécanique de Junmin était lancé, le bouton on pressé, on ne l’arrêtait plus. Son cœur mécanique qui était apparu après la mort de Juno, qui avait arrêté bien des déclarations de jeunes étudiantes croyant au coup de foudre, qui avait blessé de nombreuses fois Ying, et qui s’empêchait de ressentir une quelconque joie ou douleur.

Il porta sa tasse à ses lèvres, soufflant sur le contenu sans le renverser. La fumée s’échappait encore du liquide crémeux, et Junmin y trempa ses lèvres, les léchant pour ne manquer aucune goutte de sa boisson. Si, plusieurs minutes auparavant, il avait ressenti le besoin de se confier, maintenant il n’en avait plus envie. Parler d’un autre sujet était la meilleure chose qu’il pouvait faire. Junmin n’avait pas envie de s’attarder sur son passé, il n’avait pas envie de paraître déplorable. Heureusement que Yunhua avait quelque chose à dire, d’ailleurs, car les sujets de discussion de Junmin étaient assez restreints. Il n’avait pas l’habitude de parler de cette manière, autour d’un café pour faire connaissance. Qu’est-ce qui lui avait pris, d’ailleurs, de vouloir apprendre à connaître sa belle-sœur ? Il haussa les épaules et se contenta de l’écouter. Il s’esclaffa légèrement, et se recula dans sa chaise. « Non j’sais pas qui c’est, mais ça a l’air d’être un pervers. Fais gaffe s’il te demande de rester à la fin du cours. » dit-il sur un ton à la fois moqueur et amusé. Yunhua avait réussit à faire changer l’ambiance et à détourner complétement la discussion. Et pour ça, il lui en était reconnaissant – ce qui devait bien être la deuxième ou troisième fois de la journée. « Tu es en quelle année ? » Junmin ne savait pas son âge, ni ce qu’elle faisait comme étude. S’ils étaient de la même famille, et qu’ils partageaient la même université, il ferait mieux de s’intéresser un peu à elle, sincèrement. C’était surement la seule personne de sa famille à être.. saine d’esprit ? Il but une gorgée, puis s’avança, posant ses coudes sur la table et son menton dans la paume de sa main. « Apparemment, j’ai une réputation à l’université… C’est vrai ? » L’université était peut-être un bon sujet de conversation. Et Junmin avait plus ou moins envie de savoir ce qui se disait réellement sur lui.