Tenue ➦ Le monde réel ne lui plaisait pas. Les gens avec qui il partageait son quotidien non plus. Sans parler de ceux qui l'attendaient tous les soirs chez lui. À la rigueur, il trouvait son petite frère mignon. Il ne se sentait pas à sa place, ne parvenait pas à s'approprier la grande chambre de la villa familiale et luttait encore pour comprendre les autres. Toutes ses heures de thérapie, avec ses parents ou seul, lui donnaient la sensation qu'il ne s'accordait pas à son nouvel environnement. Il lui semblait qu'il fallait à tout prix le changer pour qu'il puisse rentrer dans la norme. Et cela ne l'enchantait pas. Il voyait l'air gêné de sa mère lors des repas. Il n'en pouvait plus t'entendre que ce n'était pas de sa faute, toutes ces années l'avaient chamboulé. Trop de personnes lui parlaient encore comme s'il était un idiot, un fou. Il ne se percevait pas ainsi. Il se savait normal. Il avait juste besoin d'un peu d'aide encore, qu'on le tienne par la main, parce que c'est tellement plus grand que tout ce qu'il a connu pendant longtemps. Les autres n'essayaient pas de l'épauler. S'ils ne le prenaient pas en pitié, ils l'observaient comme une bête de foire. Cela l'épuisait. S'intégrer le fatiguait. Pourtant, il n'avait pas le choix. Il aurait préféré continuer sa scolarité à la maison d'ailleurs. Ses parents n'avaient pas voulu parce que le psy disait que cela risquait de l'empêcher de s'ouvrir aux autres. Mais malgré le lycée, malgré l'université, il n'y arrivait pas mieux. Minoru continuait de se protéger, de raconter ses histoires et de chanter dans les couloirs. Puis on lui interdisait encore trop de choses. Beaucoup de barrières se dressaient entre lui et les autres. Comme ce couvre feu. Ses parents refusaient de le voir dehors après une certaine heure.

Mais ce soir, entouré de ses frères de deux ans ses aînés et de leur bande d'amis, son père avait cédé pensant qu'il était temps de le laisser vivre comme n'importe quel jeune homme de son âge. Puis il ne risquait rien, les jumeaux étaient avec lui. Il ne se comportait pas comme un frère avec eux, même pas comme un ami. Il se taisait souvent, se montrait poli, courtois. Souriait parfois. Riait quand il le fallait. Mal à l'aise avec eux aussi. Il les suivait de loin sans dire un mot. Personne ne se sentait suffisamment bien avec tout ça pour oser lui parler. Ils franchirent les portes du bar et s'installèrent autour d'une table, sur des banquettes. Et puis, on lui tendit un verre. Minoru resta incrédule. Il leva les yeux vers un de ses frères et d'un mouvement de tête demanda l'autorisation. Il avait toujours besoin qu'on le rassure sur ce qu'il devait faire. Après approbation, il remercia la demoiselle qui lui proposait et trempa ses lèvres dans le premier cocktail de son existence. Pas mauvais, pensa-t-il en faisant une petite moue qui déclencha le rire des jeunes filles présentes. Il se détendit donc et décida de relâcher un peu la pression. Timidement, il s'incrusta dans la conversation tandis que les verres s’enchaînèrent.

Le bar, désormais bondé, diffusait de la musique dont il décodait difficilement les paroles. Soudainement, il voyait les visages des gens d'une autre manière. C'était plus flou. Ses roues portaient une couleur rosée qui lui allait bien et le rendait encore plus mignon. Il tenait un énième verre dans une main, jouait avec les fils d'un trou de son jean de l'autre. Il ne réagit pas quand ses frères, comme la moitié de sa tablée, annoncèrent qu'ils allaient fumer mais l'information arriva jusqu'à son cerveau quand même. Hic, oh bah voilà le hoquet. Il cacha sa bouche en riant de lui-même. Il comprenait maintenant pourquoi les grands personnages de la littérature buvaient autant. Il se sentait dans un autre univers. Mais il remarqua une cuisse inconnue collée à la sienne. Il grimaça en se décalant sans lever les yeux. Cette même cuisse revint et cette fois il la repoussa avec ses mains en secouant la tête. « Non, non. J'aime pas ça. » Chuchota-t-il d'une voix tremblotante. Un simple contact lui déclenchait des frissons de dégoût et avec eux, une possible crise d'angoisse. Mais la personne insista, et Minoru remarqua à ce moment que ce n'était pas quelqu'un qu'il connaissait.

Son visage changea d'expression et afficha immédiatement la vague de panique qui s'insinuait en lui. Le jeune homme, peut être un peu plus âgé que lui, attrapa son menton entre ses doigts. Minoru se figea. Il en lâcha son verre qui se brisa sur le sol en mille morceaux. « Alors mon beau, qu'est-ce que tu fais tout seul ? Tu n'as pas envie de t'amuser un peu ? » Il suivit du coin de l’œil cette main qui caressait sa cuisse et le fit trembler de la tête aux pieds. Non, non, il n'aimait pas ça. Une autre troisième encercla sa taille et il sentit dans sa nuque le souffle chaud de l'autre pervers juste derrière lui. Cela lui hérissa les poils. Pendant de longues minutes, il n'osa pas bouger en sentant ces mains sur lui. Quand cela appuya sur le bouton des souvenirs et fit défiler les images de son ravisseur, alors seulement il réagit. Il se dégagea en usant de toute la force qu'il avait et se leva pour partir retrouver ses frères. Il fut bien vite rattraper par l'un des gros lourds. Et tandis que l'un tirait sur son poignet l'autre le poussait. « Mais lâchez-moi ! » Et ils l'attiraient de plus en plus vers le toilettes. « Non, j'veux pas ! » Mais qu'est-ce qu'un petit mec comme lui pouvait faire face à deux hommes.

Tenue ➦ La vie évoluait dans le bon sens pour moi, malgré que je n'ouvre pas toute les portes comme prévu. Celle nommé « Séoul » restait inlassablement close, comme si je craignais de l'ouvrir et de voir le monde derrière ce battant. Je sais à quoi m'attendre en franchissant cette limite là, alors je préfère largement laisser ce cadre à sa place sans jamais y toucher, ou du moins pas pour le moment. Un jour, je devrais l'affronter, y faire face et prendre mes responsabilités... Mais je crois que je ne suis pas encore prêt à subir la vague qui risque de déferler sur moi. Mon père est comme un tsunami, un raz-de-marée, une montée des eaux. Avec sa colère, il emportera beaucoup sur son passage et je ne tiens pas à perdre mon copain, ni la relation harmonieuse et fragile que nous avions construit ensemble. Si je dois abandonner quelque chose, ce serait ma vie d'avant, celle en Corée du sud. Même si dire adieu à ma mère me briserait le coeur, ainsi qu'oublier les souvenirs vaporeux de ma jumelle. Dans un sens, je sais que ma génitrice ne laissera pas les choses se faire ainsi et que j'aurais toujours une chance de la revoir, quoi qu'il se passe. Pourquoi je pense à tout cela, alors que nous sommes encore loin de ce problème ? Par moment, je dois vraiment chercher la petite bébête pour ruiner ma joie et mon bonheur. Je n'ai pas à m'en faire pour ce détail, même s'il reste présent et menaçant.

Ainsi après les cours, j'ai rejoins le club de danse pour la seconde fois cette semaine. En six mois, je n'ai pas mit les pieds ici par manque de temps et de motivation, toujours le nez dans mes études. Aujourd'hui, j'ai un peu levé le pied sans négliger mon cursus pour autant. Entre mes cours, la danse, Kyann, mes chiens, mon appartement, je ne sais plus où donner de la tête. Ils me font tous courir dans tout les sens, affolé et paniqué à l'idée d'en oublier un seul. Surtout que mes animaux ont besoin de moi pour vivre... Kyann encore, il est assez grand et humain pour se débrouiller, bien qu'il ne sache même pas faire cuire un oeuf. S'il aurait eu un détecteur de fumée dans sa cuisine, ce serait déjà une piscine depuis bien longtemps. Rien que penser à cet idiot m'empêche de bien enchaîner une chorégraphie, m'emmêlant un peu les pinceaux ainsi que les pieds. J'ai l'air fin à tomber par terre comme une crêpe, lâchant un gros soupir de frustration. Sors de ma tête quand je dois bosser, stupide macaque! Les autres doivent me juger à râler tout seul, l'air souvent agacé et contrarié. S'il n'y avait pas Hae Rin dans cette pièce pour m'occuper les idées et me ramener à la danse, sûrement que je piquerais ma crise sur n'importe quoi. Par moment, elle me détend et me rappel que je n'ai pas à penser autant à la fois.

Le club ne dure pas éternellement et j'enchaîne aussitôt sur mon boulot, à quelques courtes minutes d'intervalles. Le temps de rentrer dans les vestiaires pour troquer mon uniforme scolaire contre ma tenue « chic et classe » de barman. En tout, je possède deux tenues dans mon sac de sport et une sur moi. D'ailleurs, je range mes affaires dans mon casier et le verrouille, avant de me diriger vers le comptoir de la boite de nuit, saluant mes collègues. Le second barman me demande toujours si ça va ou si je n'ai pas refait de malaise depuis la nuit dernière. Pourtant, plusieurs jours se sont écoulés depuis ce passage avec Kyann, dans les toilettes. J'ai même réussis à rattraper mes heures perdues en restant un peu plus que d'habitude ou en venant même plus tôt. à présent, je suis clean dans mes horaires et plutôt fier de moi. Après quelques mots et des sourires échangés, je commence mon service pour plusieurs heures à venir. Ce n'est pas si long quand le monde défile au bar en réclamant des commandes, des verres qu'ils soient alcoolisé ou non. Ce soir-là, je refuse bon nombre d'invitation à boire, toujours aussi souriant et aimable avec ma clientèle. Généralement, c'est souvent des filles qui me propose de les accompagner dans leur beuverie, mais je crains toujours d'un Kyann dans les parages. Sans blague, je dois bosser sans déraper, même si l'alcool n'a pas tellement d'effet sur moi. ça ne m'empêche pas de boire des verres d'eau dès que la soif se fait sentir, et c'est plutôt fréquent à force de discuter à droite et à gauche.

Qui dit « boire » dit forcément « envie pressente » et me voilà à dandiner des fesses en tentant de me retenir, jusqu'à entendre le rire du second barman, me disant d'aller pisser un coup. Raffiné, ce gars-là. Je ne perds pas de temps pour le remercier, défaire mon tablier et partir rapidement aux toilettes pour soulager ma vessie. Des souvenirs me reviennent en mémoire et je ne peux m'empêcher de rougir en revoyant la scène érotique avec Kyann. Punaise, il a fallut qu'on le fasse ici, dans cet endroit dégueulasse puant la pisse. Des fois, je me dis qu'il n'a pas de cerveau pour ce genre d'idée et que je ne suis pas mieux pour y céder. Voulant vite fuir ces images, je me lave les mains et file en vitesse hors de la pièce, juste avant de tomber nez-à-nez avec trois personnes. Deux d'entre-elles forçaient un plus jeune à les suivre, l'air malsain et mal intentionné. Je connais cette tête là, celle qui n'annonce rien de bien. Je ne suis pas le genre héro qui vole au secours des gens en détresse, pourtant je ne peux pas laisser ce garçon dans une situation d'urgence. « Hey! » Je venais de me rapprocher de l'un d'eux, par derrière, le surprenant au passage. Il fit volte-face en me voyant, sans comprendre la scène qui se déroule sous ses yeux. Mon poing s'abat durement sur sa pommette, le propulsant un peu vers l'arrière et le forçant à lâcher le plus jeune. Je suis bon pour déclencher des bagarres, surtout quand le second réagit à la seconde et me saute dessus. Bon bah, y a plus qu'à faire le flic et jouer le boxeur en herbe.

Tenue ➦ De l'alcool, Minoru ne connaissait que les effets décrits dans les livres. Pour une raison inconnue, mais que sa psy associait à son terrible passé -sans que ça ne soit fondé d'ailleurs-, il adorait le mouvement décadent. Wilde était son idole. L'opium et la pourriture de l'être, il trouvait cela passionnant, fascinant même. Sauf que voilà que, pour la première fois, il expérimentait ces drôles de sensations qu'on associait à l'ivresse. Il voyait trouble. Il avait l'impression que tout tournait autour de lui. Les voix ne ressemblaient plus qu'à des murmures. Et sans savoir pourquoi, il n'arrêtait pas de rire. Son nez et ses joues prenaient peu à peu une couleur rouge bientôt assez vive. Naturellement, son organisme découvrait ce liquide magique et y réagissait de manière plutôt violente car pas du tout habitué. Il avait beaucoup bu en plus. Combien de verres exactement ? Il se le demandait alors qu'il fixait le mélange coloré de celui qu'il tenait encore entre ses doigts. C'était joli, ça ressemblait à de la peinture. Voilà ce qui lui traversait l'esprit quand les deux pervers vinrent envahir son espace vital. De ses années d'enfermement, Minoru gardait des séquelles plutôt importantes. Il ne supportait pas les espaces confinés, craignait l’obscurité mais surtout les contacts physiques le dégoûtaient. Ces doigts sur son visage, cette jambe contre la sienne. Il ravala difficilement sa salive. Une main sur sa cuisse, une autre sur ses côtes. Il finit par réagir violemment en les bousculant eux et la table où la plupart des verres se renversèrent. Fuir, et vite.

Il tenta de se frayer un passage à travers la foule tout en cherchant du regard l'un de ses frères. Il ne se souvenait pas qu'ils étaient allés fumer. En peu de temps, ils le rattrapèrent. L'un le tira et l'autre le poussa dans la direction des toilettes. C'était si facile de s'en prendre à quelqu'un comme lui. Fébrile, il tenait à peine sur ses jambes. Il devait ça à l'alcool mais aussi à la panique qui s'emparait peu à peu de lui. Il tanguait et menaçait de s'écrouler à tout moment. Puis d'un seul, sans trop comprendre ce qui se passa, l'un des pervers le relâcha et Minoru le regarda tituber pour garder son équilibre. Les connexions eurent bien du mal à se faire dans sa tête. Il voyait la scène sans la voir. Il ne reconnut même pas tout de suite Ji Hyuk. Après quelques minutes -mais surtout quelques coups-, il percuta. « Non, non, non, laissez-le ! » Il se jeta dans la fosse à son tour pour tenter de libérer son sauveur de l'un de ses agresseurs. Il l'attrapa par le bras pour le forcer à lâcher le coréen mais par un coup de coude brutal, il se retrouva jeté au sol. Fesses à terre, il posa ses doigts sur son nez douloureux et en sang. Il grimaça alors que la bagarre continuait sous ses yeux sans qu'il ne puisse rien faire.

D'autres serveurs finirent par passer de l'autre côté du comptoir pour venir en aide à leur collègue. Des clients retenaient les deux pervers tandis qu'on aidait Ji Hyuk et Minoru à se relever. Les grosses brutes furent évacués. D'un mouvement d'épaule, il se dégagea de la prise de l'aimable employé venu à son secours et se précipita vers son héros d'un pas incertain. Il se dressa devant lui, très proche de lui, en fait, il se tenait rarement aussi près de quelqu'un et toujours pas très stable sur ses deux jambes, les larmes aux yeux, il lui sourit faiblement. « Elle est où ta cape ? Les super héros ont toujours une cape. Une fois j'en ai vu un en haut d'un temble. » Il hocha la tête assez lentement comme s'il détenait la science infuse et qu'il partageait ses plus grands savoirs tout en pointant du doigt le plafond pour mimer les hauteurs du temple en question. S'il ne se cachait pas derrière ses histoires, il savait qu'il allait pleurer et il ne voulait pas que ça arrive. Ji Hyuk l'avait déjà vu pleurer trop de fois. Puis, avant qu'il ne puisse trop s'en rendre compte, on les évacua en les emmenant à l'arrière du club, dans les vestiaires. Vaguement, il crut entendre l'un des mecs dire que c'était la responsabilité de Ji Hyuk de s'occuper de ce bordel.

À nouveau, Minoru envoya balader ceux qui essayaient de l'aider et le forcèrent à s’asseoir sur un banc. Qu'ils arrêtent un peu de le toucher. Il leva les yeux et les maudit. Eux, qui le regardaient comme une bête curieuse. Ils balancèrent ce qui devait être une trousse de soin et fermèrent la porte derrière eux. Le jeune japonais resta un bon moment silencieux encore. Puis, après un soupir, s'excusa. « Pardon, j'ai pas fait exprès. » Oui, il était bien en train de s'excuser parce qu'on venait de l'emmerder. Minoru avait l'impression de toujours faire du mal lorsqu'on lui en faisait. Comme sa mère qui pleurait encore parfois rien qu'en le regardant.

Tenue ➦ Ce boulot donne le tournis par moment, entre les clients impatients qui réclament leur boisson, un verre qui nous échappe des mains, une petite erreur qui peut durer des heures, les filles qui ne trouvent rien à se mettre sous la dent, les joyeux qui invite même le barman, et tant d'autres situations plus ou moins ennuyeuses et difficiles à gérer. Tourner en rond, ça donne soif. Ce n'est pas l'alcool qui risque de me rafraîchir la gorge, à moins de vouloir un brasier dans l'estomac et une haleine enivrante et atroce. Je ne suis pas fan de ces trucs-là, même si je ne refuse que très rarement les invitations à boire, premièrement parce que je le supporte mieux que quiconque, deuxièmement parce que je suis jeune et intrépide, puis j'en ai rien à fiche de boire. Sauf quand ça rempli la vessie et qu'il faut la vider en vitesse, prenant sur un temps de pause qui n'est déjà pas très grand. Heureusement, mon collègue est sympathique et n'hésite pas à prendre ma place le temps que j'aille aux toilettes, filant comme une comète jusqu'au trône. Pas besoin de décrire la scène, nous savons tous le cheminement sans devoir entrer dans les détails, puis ce n'est pas le plus important. ça m'a juste permis d'être au bon endroit, au bon moment. Enfin, je crois que c'est une bonne chose pour la personne en face de moi, quand je quitte à peine les sanitaires dans l'intention de retourner au boulot. Ce sera sans moi, encore une fois. Décidément, ils vont me coller l'étiquette de l'attrape-merde ou un truc du genre. Je les enchaîne depuis mon embauche... Pas étonnant s'ils me virent pour ennuies accumulés. D'abord je me fight avec Daejun, après je sauve une jeune fille, puis je m'enfui avec mon copain. La liste est encore longue si je réfléchis plus.

En tout cas, ce garçon avait besoin de mon aide, même si sur le coup, je ne l'ai pas reconnu. En même temps, les deux mongoles qui le traînent me cache la vue et faut limite que je tape sur le plus proche pour avoir un meilleur champ de vision. Et encore, je n'ai toujours pas capté Minoru, en prise avec le second énergumène. Je m'en fiche, j'ai horreur des mecs dans leur genre, à se croire tout permis alors qu'ils feraient mieux d'aller se la fourrer ailleurs. Je rage tout seul, attirant déjà l'attention sur moi. Le type me saute presque à la gorge, chopant ma cravate entre ses doigts pour tirer dessus et m'étrangler à moitié. Ma tenue ne me porte pas préjudice, c'est injuste. J'entends à peine la voix du jeune homme, celle-ci remontant peu à peu à mon cerveau. Minoru ? Il serait temps que je le remarque! « Mi- » La pression se relâche légèrement sur mon cou, alors que mon cadet se reçoit un coup de coude dans la figure, partant violemment en arrière. Non mais, quel enfoiré! Je sens une vague de rage m'envahir, ma main se saisissant de son poignet pour le tordre et y planter mes dents. Je ne suis pas fair-play en bagarre, surtout avec des gigolos pareils. Ils ne perdent rien pour attendre,, parole de Jihyuk.

Le combat n'était vraiment pas équitable avec du deux contre un. Je ne voulais pas que Minoru se prenne un autre coup, que ce soit dans la figure ou ailleurs. Alors je me met souvent entre lui et les deux, prenant la plus des coups sans me plaindre mais en les rendant à chaque fois. Je ne compte même plus les minutes qui s'écoulent durant la bataille, les échos autours de nous me parvenant avec difficulté. Les gens s'affolent, réclament de l'aide, mais ne tentent pas de s'approcher de la bagarre pour séparer les deux camps. Du moins au début, puisque rapidement les deux gros lourdeaux se font retenir et éloigner, tandis qu'on nous vient en aide. J'ai l'arcade ouverte et la pommette gonflée, ainsi qu'un filet de sang s'échappant de mon oreille. Je ne vais pas dire qu'ils tapent comme des filles, ce serait mentir et minimiser les dégâts. Même si ma tête tourne un peu, je peux nettement voir Minoru se rapprocher de moi et sourire, sa voix résonnant dans mes tympans prêt à exploser. Un petit rire m'échappe et je lui réponds en passant une main dans ma nuque. « Je l'ai oublié aux toilettes. » Quel humour à deux yens, ce n'est même pas marrant. Un héros ou une cape en haut d'un temple ? J'avoue ne pas suivre son histoire, l'esprit embrouillé. Il est marrant quand même... Bien que son nez soit en sang. « Tu pisses le sang... Ma cape t'aurait bien aidé. » Mais j'en ai pas, malheureusement. Par la suite, ils nous emmenèrent dans les vestiaires où toute les responsabilités me tombent au coin de la gueule. Je m'en fiche, j'assume mon coup.

Assis sur un banc, ma cravate défaite et ma chemise déboutonnée sur deux boutons, je lâche un soupir de douleur en sentant un coton sur ma tempe. ça pique et je râle, voyant le regard menaçant de l'un de mes collègues. Il doit m'en vouloir pour l'agitation... Mais rien qu'à l'idée que Minoru se soit fait abuser me rend fou. Alors je lui tire la langue et le regarde partir en se plaignant que je suis un sale gosse sans manière. Il le sait depuis le temps, mais bon, passons. Le jeune homme n'est pas mieux que moi, toujours aussi sauvage avec les gens. Nous le sommes tous les deux à notre manière, même si le contact humain ne me fait pas fuir. « Pourquoi tu t'excuses ? » Demandais-je en quittant ma place pour récupérer la trousse de soin en pagaille sur le sol. Je réunis les affaires ensemble pour mieux les examiner et m'en servir, portant mon regard sur lui. « Je peux ?  » à ma question, je lui montre le désinfectant et une compresse, lui demandant la permission pour soigner ses blessures. Avant tout, je pris une serviette propre dans mon casier et lui donne avec un sourire rassurant. « Pour ton nez. » Ce n'est pas beau à voir, heureusement que la vue du sang ne me fait pas peur. Je serais déjà dans les pommes à l'heure qu'il est. « ça va aller ? Ils ne t'ont rien fait d'autre ? Si je les retrouve... Aish! » Agacé, je passe frénétiquement ma main dans mes cheveux en grognant et jurant contre les deux débiles d'avant.

Tenue ➦ Il encaissait une nouvelle fois les coups à sa place alors qu'il restait les fesses à terre et totalement impuissant face à ce terrible spectacle. Minoru n'avait même rien senti quand le coude du gros pervers s'était écrasé contre son nez. L'alcool ainsi que l'adrénaline formaient un puissant anesthésiant. Puis il ne pensait qu'à une chose, Ji Hyuk qui se faisait littéralement tabasser sous ses yeux par sa faute. Le pire résidait dans le fait qu'il voyait flou. Presque au ralentis en fait. Ça tournait tout autour de lui. Si bien que lorsque deux serveurs le soulevèrent pour le remettre sur ses pieds, il garda difficilement l'équilibre. Ses jambes se transformaient en coton. Il ne se redressa que lorsqu'il comprit que Ji Hyuk se trouvait enfin hors de danger. Il se précipita du coup vers lui -et manqua d'ailleurs de s'écrouler en chemin mais quelqu'un le rattrapa-. Qu'est-ce qu'il pouvait regretter d'être là, de lui causer des soucis. Les larmes lui montèrent rapidement aux yeux et il renifla pour les retenir. Il ne devait pas pleurer. Pas alors que son sauveur était bien plus blessé que lui. Il n'en avait pas le droit. Quand il lui répondit qu'il avait oublié sa cape aux toilettes, Minoru se retourna, prêt à aller lui chercher. « Mais faut la récupérer alors ! » Sauf qu'il s'arrêta net en voyant que l'un de ses amis de ses frères s'y rendait. Il n'avait pas envie qu'ils regrettent de l'avoir emmené, d'attirer l'attention ou quoi. Pour une fois qu'il sortait avec eux. Du coup, il pivota de nouveau vers Ji Hyul et posa ses doigts sous son nez pour constater lui-même qu'effectivement, il pissait le sang comme il disait si bien. « Oh, mais ça fait pas mal tu sais. Moi aussi j'ai un don, j'ai jamais mal. » C'était un peu la vérité, il ne sentait rien. Il souhaitait surtout ne pas l'inquiéter. Alors il se força à lui sourire, et essuya ce qui lui coulait sur les lèvres.

On les emmena à l'écart, dans les vestiaires des employés, pour que la foule se disperse à nouveau et surtout pour qu'ils se soignent. Minoru tira nerveusement sur les manches de son pull  tout en se mordillant la lèvre inférieur. Il se détestait de faire subir ça à Ji Hyuk. Presque à chaque fois qu'ils se rencontraient le coréen volait à son secours et se retrouvait salement amoché. Il devait en avoir marre de lui sauver la vie. Il se demandait pourquoi il continuait à perdre son temps avec lui en fait. Il baissa les yeux, coupable. « Parce que c'est ma faute s'ils t'ont tapé dessus. » Il renifla alors que les larmes coulaient désormais silencieusement le long de ses joues. Un gros bébé, voilà ce qu'il était encore. Loin d'être un homme comme ses aînés, il fallait sans cesse veiller sur lui. Il embêtait tout le monde. Il était un poids pour les autres. Il passa ses doigts sur son visage pour enlever toutes les traces de sa faiblesse mais elles revenaient aussi rapidement. Il risquait de pleurer encore un bon moment. Quand il commençait, il se transformait en véritable fontaine. Il leva les yeux et son regard passa de la compresse au visage de Ji Hyuk. Il hésitait. D'un côté, il ne voulait pas qu'il le touche. Et en même temps une petite voix lui murmurait qu'il en avait bien besoin. Il toucha d'ailleurs sa lèvre légèrement ouverte pour voir s'il ne pouvait pas y échapper mais grimaça. « O-oui, mais doucement. » Bredouilla-t-il. Pas parce qu'il avait peur d'avoir mal mais parce qu'il ne voudrait pas réagir violemment et le repousser d'un coup sous la panique. Il prit la serviette qu'il lui tendait pour la passer sur son nez et essuyer le sang.

Des perles salées dévalaient sans pause sur les joues roses du jeune japonais. Tout doucement, les battements de son cœur se calmaient. À l'abri, il n'avait plus à craindre les deux gros porcs. Minoru devait avoir l'air innocent mais il avait tout de suite compris ce qu'ils voulaient lui faire dans ces toilettes. À cette seule pensée, il ravala sa salive et les larmes se multiplièrent. La gorge nouée, la nausée, trop de choses l'empêchaient de respirer correctement. L'alcool détruisait ses barrières. Il hocha tout de même la tête quand Ji Hyuk lui demanda si ça allait alors qu'en vérité il ne se sentait pas bien du tout. « J'voulais pas qu'ils me touchent. Je veux plus qu'on me touche depuis qu'il- » Il s'arrêta là. Le nœud dans sa gorge ne lui permit pas de continuer et d'en dévoiler plus. Même si Ji Hyuk pouvait aisément deviner la suite. Minoru ne lui avait jamais parlé de son passé, de ce qu'il lui était arrivé. Il n'en parlait à personne. Les seules personnes au courant étaient de sa famille ou bien des amis de la famille. « Ji Hyuk ? » Il posa sa main sur sa bouche et posa un regard complètement paniqué sur le coréen. « J'crois que je vais vomir. » Forcément, avec tout ce qu'il avait bu et les émotions par lesquelles il venait de passer, le tout bien mélangé, ça en faisait un peu trop pour le jeune homme qui expérimentait sa toute première cuite.

Tenue ➦ Cette plaisanterie était de mauvais goût, je m'en rends compte en entendant les mots de Minoru. Récupérer une cape imaginaire, ce ne serait pas la meilleure chose à faire. Surtout que justement, elle n'existe pas, ou que dans notre imagination la plus folle. Je ne voudrais pas qu'il cours après un truc sans forme où seulement un mot trône dans notre esprit. J'ai menti pour le coup, est-ce que  je risque de me faire couper la langue ? Au moins, mon cadet ne part pas comme une furie dans les sanitaires, coupé dans son élan par je ne sais quoi. J'ignore qui sont ces gens, si il connait ou pas. Dans tout les cas, je suis plutôt rassuré qu'il reste avec moi et oublie cette fichue cape qui n'a pas lieu d'être. Est-ce que Iron Man possède une cape ? Non, bien sûr que moi. Bon, je n'ai pas de superbe armure non plus. Quel piètre héro je fais pour lui, haha. En tout cas, elle aurait pu être utile comme tissu pour éponger son nez dégoulinant de sang. Je ne suis pas craintif, mais faut avouer que c'est flippant à voir! Il pourrait se vider par les narines... Qu'il ne semble même pas s'en inquiéter. Vraiment ? Mon regard se fait plus perplexe, cherchant à déceler une part de vérité. Un fin sourire vient étirer le coin de mes lèvres, amusé par cette remarque. « Tu as bien de la chance, mais tu ne peux pas rester comme ça, quand même. » Ce serait une négligence de ma part, alors que je lui ai sauvé la peau face à ces deux débiles. Son sourire était un peu tordu mais je n'en fis aucun commentaire, rendant ce rictus en plus fort, sans me forcer. Il y parviendra un jour, j'en suis sûr.

Être mit à l'écart dans les vestiaires n'étaient pas une si mauvaise idée, je pourrais souffler un bon coup et panser mes quelques blessures. Rien de grave, je tiens toujours debout malgré la douleur palpitante dans ma tempe. ça pique, mais je ne suis pas mort pour autant. Ce n'est que superficielle, et d'ici quelques jours, je n'aurai absolument plus rien. Minoru entretient cet aspect bagarreur de moi, sans que je sois rancunier pour autant, au contraire. Je préfère le savoir en sécurité quitte à prendre à sa place, plutôt que le savoir à l'hôpital après une rencontre indésirable. Peut-il seulement savoir à quel point cela est douloureux  psychologiquement de savoir une personne qu'on aime dans un état critique ? Je ne le souhaite à personne, parce que c'est une vraie torture. « Trois fois rien. » Le reprenais-je aussitôt pour avoir le mot de fin et ne pas sentir une once de culpabilité chez lui. Trop tard, les larmes traduisaient ce sentiment qui devait le ronger à l'instant présent. Mince, je m'en veux à le voir dans cet état, alors que je tente de l'aider au mieux. Nous ne sommes pas si différent dans le fond, je pleures autant que lui quand on découvre une de mes faiblesses. Kyann le sait mieux que quiconque... Combien de fois ai-je fondu en larme dans ses bras ? Minoru a droit à cette petite attention que tous mérite, qu'importe qui nous sommes l'un pour l'autre. Je le considère comme un ami, avant d'être mon protégé. Dans l'immédiat, fallait surtout soigner ces vilaines blessures qui risquaient de marquer son beau visage, ce serait dommage pour un garçon aussi mignon que lui. Finalement, il accepta et mon sourire se décupla. « D'accord, fais moi confiance. » Je lui tendis une serviette pour son nez, pendant que j'imbibe la compresse avec du désinfectant, attendant l'occasion de venir la tapoter doucement contre le bord de ses lèvres. « J'ai mon brevet de secouriste, tu n'as pas à t'en faire. » Ce n'est pas vrai, mais je ne suis pas une quiche non plus en soin. On me dit souvent que j'ai des gênes de femme pour savoir cuisiner et soigner, ainsi que nettoyer.

Les larmes ne cessent de couler sur le visage poupin de Minoru, ma compresse retenant un peu de ces larmes salées. Je ne peux continuer dans ses conditions, surtout en le voyant pleurer de plus belle sans que je sache pourquoi. C'était passé, j'étais là, il pouvait décompresser et sécher ses yeux noyés par ce flot. évidement qu'il n'allait pas bien, mais  je préfère m'en assurer malgré tout, malgré le mensonge que je vois derrière cette réponse fausse. « Hey, ça va aller. Ils ne toucheront plus, crois-moi. » Je n'ose le toucher à mon tour pour le réconforter et frotter doucement son épaule. Mon idée reste en suspens, tandis que je me demande pour ce « il ». Minoru a dû vivre une épreuve bien trop grande pour lui, un épisode de sa vie qui l'a détruit à petit feu, pour le rendre aussi résistant qu'un tas de cendre après l'incendie. Il n'a pas besoin de me raconter son histoire pour que je devine que quelque chose de grave lui est arrivé... Même si j'aimerai connaître ce mal qui le ronge. à l'écoute de mon prénom, je relève les yeux vers lui avec ne mine curieuse. Tiens t-il à m'avouer un truc important ? Ah non. à le regarder, ça n'a rien d'un aveux. « Attends! » Je panique un peu, me relevant brusquement pour chercher un truc capable de l'aider. Un bassine ? Un sachet ? Rien de tel sous la main. Dans un casier, je trouve un sac poubelle et le ramène au jeune homme. « Je n'ai que ça.. » Fis-je, désolé. Doucement, ma main se pose dans son dos et je le frictionne lentement comme pour faire passer cette envie de vomir. ça ne l'aidera pas, surtout avec sa crainte du contact physique. Est-ce une bonne idée de le toucher, d'ailleurs ? D'un coup, j'hésite, m'arrêtant aussitôt dans mon geste en éloignant mes doigts de sa colonne. « Tu sais... Il y a des limites dans une soirée, et faut les connaitre pour ne pas finir ivre et malade. » Il doit s'en douter et je ne tiens pas à lui faire la morale. Moi-même je ne connais les miennes, puisque je ne suis pas encore parvenu à les atteindre. « Hey ? Tu voudrais faire quelque chose pour te changer les idées ? Tu n'es pas en forme... Je peux te ramener chez toi, sinon ?» Je m'inquiète vraiment pour lui, mon regard démontrant bien cette pointe d'affolement qui se cache derrière mes faux airs d'adulte.

Tenue ➦ Trois fois rien. Pour lui ce n'était pas trois fois rien. Il trouvait Ji Hyuk bien amoché tout de même. Entre son arcade ouverte et sa pommette gonflée. Le japonais pencha la tête sur le côté pour inspecter un peu mieux les dégâts, oh, et il saignait au niveau de l'oreille aussi. Quel carnage. Il essayait de le faire déculpabiliser, il le savait mais ça ne fonctionnait pas vraiment. Cela le touchait qu'il fasse passer son bien être avant le sien. Alors, Minoru esquissa malgré tout un sourire et celui-ci se noya parmi ses nombreuses larmes. Il ne produisait aucun son pour les accompagner, ne sanglotait pas ou quoi que ce soit. Il pleurait silencieusement comme il en avait l'habitude. Il entendait encore parfois cette voix menaçante gronder dans sa tête. Elle lui disait de se taire et de ne surtout pas faire de bruit. Du coup, les perles salées coulaient sur ses joues sans provoquer d'éclat. Pour montrer que Ji Hyuk se trompait, il pointa du doigt son arcade, puis sa joue et enfin son oreille. Le prenait-il pour un aveugle ? « Je devrais avoir ces blessures, pas toi. Puis j'ai l'habitude d'avoir mal, ça ne m'aurait rien fait tu sais. J'ai une sorte d'armure super puissante. » Dans ce délire qui semblait provenir à la fois de la trop grande quantité d'alcool qu'il avait ingurgité et de son imagination débordante, se cachait une pointe de vérité. Minoru connaissait la douleur au point de ne plus tellement y être sensible. Durant les dernières années passées dans cette cave sombre, son ravisseur l'avait tabassé si violemment que se prendre quelques coups ne représentait pas grand chose pour lui. Par contre, il ne se sentait pas aussi à l'aise avec les contacts physiques. Il hésita un petit moment avant de donner son autorisation à Ji Hyuk. « Je te fais confiance. » Murmura-t-il faiblement et d'une voix tremblotante. Il n'accordait pas ce privilège à beaucoup de monde, à personne en fait. Les seuls qui avaient pu le toucher par le passé étaient les infirmiers qui s'étaient occupés de ses blessures quand on l'avait retrouvé. Depuis, il n'autorisait personne, même pas sa mère, à poser un doigt sur lui.

Tandis que le robinet de ses larmes ne se fermait toujours pas, Minoru tapota son nez pour éponger le sang et garda ensuite la serviette en dessous parce que ça coulait encore un peu. Il tenta de faire de manière à laisser le champ libre à Ji Hyuk pour qu'il puisse s'occuper de sa lèvre. Il grimaça un peu parce que le désinfectant déclenchait une sensation de picotement peu agréable mais il se laissa étrangement faire. Sans doute que l'alcool l'anesthésiait un peu. « J'ai juste eu peur. Je sais ce qu'ils voulaient. » Cette simple pensée lui donna la nausée encore plus. Il ne se sentait déjà pas au top de sa forme mais songer à ça empira son état. Les images défilaient dans sa tête et il pouvait sûrement remercier l'alcool pour ça aussi. Il essayait de les chasser mais cela ne fonctionnait pas. Les souvenirs remontaient à la surface, plus vivaces que jamais. Il fixait devant lui un point qui n'existait pas mais qui peu à peu se mit à bouger de façon étrange. Le sol ne semblait plus droit et il fronça les sourcils à cette constations. Bientôt, la pièce se mit à tourner déclenchant inévitablement une envie de vomir. Ah, les joies d'être ivre. Il alerta son ami qui fouilla les lieux jusqu'à trouver un sac poubelle. C'était mieux que rien car il ne se trouvait clairement pas en mesure de se rendre jusqu'aux toilettes. « Merci. » Et la seconde suivant son remerciement, il rendit tout son dîner dans le sachet plastique. Il ne se rappelait pas s'être un jour senti aussi mal qu'en cet instant. Il en tremblait. Il ne réagit même pas à la main de Ji Hyuk sur son dos. Cela ne le perturba pas. Au contraire, il trouvait ça réconfortant. Il se sentait honteux d'être dans cet état devant lui mais qu'il soit à ses côtés le rassurait. L'estomac entièrement vidé, il se redressa un peu et leva les yeux vers Ji Hyuk, un petit rire lui échappa. « C'est la première fois que je bois. » Il ne pouvait pas le savoir en même temps qu'il avait passé presque dix ans dans une cave et qu'il était en train de réapprendre à vivre comme tout jeune de son âge.

Il noua habilement le sachet pour éviter de faire plus de dégâts et le laissa à ses pieds. Il n'en pouvait juste plus. Il essuya ses joues humides avec ses longs doigts qui tremblaient encore un peu. Son visage n'avait plus aucune couleur. Aussi pâle qu'un cadavre, il faisait vraiment peur. Aller chez Ji Hyuk ? Un autre jour, il aurait sûrement refusé mais comme il ne se trouvait pas dans son état normal il trouvait que c'était plutôt une bonne idée. Il se rappela alors qu'il n'était pas venu seul ici. « Il faut le dire à mes grands frères. Je sais pas où ils sont. Ils ont dit qu'ils allaient fumer mais ça fait un moment que je les ai pas vu. Ce sont des jumeaux tu sais. Et c'est la première fois que je sors le soir alors ça rassurait ma mère qu'ils soient là. » Bon, au moins, il débitait comme il le faisait habituellement. Sauf que là il ne lui racontait que la stricte vérité. Sous l'emprise de l'alcool il n'arrivait juste pas à mentir. C'était trop difficile. Et en quelques secondes, il venait de lui confier plusieurs informations. Déjà qu'il n'était pas seul ici et que ses frères ne s'étaient pas montrés en mesure de le protéger. Et qu'il sortait pour la première fois, une chose est sure, Ji Hyuk allait trouver ça bizarre. Il se leva d'un coup, prêt à partir d'ici, et tituba jusqu'au prochain mur. Il ne tenait pas vraiment sur ses jambes et cela eut le mérite de lui déclencher un fou rire. Un tel fou rire qu'il se tenait les côtes et manquait parfois de s'écrouler. Il s'adossa à la porte et passa la main dans ses cheveux en essayant de se calmer. « Viens, on s'en fout. On leur dit pas. Ils s'en foutent de toute façon. J'enverrais un message. C'est bien aussi un message non ? » Et il ne s'arrêtait plus de rire comme un idiot.

Tenue ➦ Le liquide chaud coulait à peine dans mon cou, tâchant le col de ma chemise blanche, l'imbibant d'une couleur cramoisie et foncée. ça ne fait pas tellement mal, j'ai l'habitude de me battre de temps en temps, mais Minoru ne semble pas convaincu pour autant. Ce sont des blessures qui guérissent et finiront forcément par disparaître un jour ou l'autre. Je n'en garderais aucune cicatrice, aucune séquelle. Pourquoi s'en inquiéter, dans ce cas-là ? Les mots de mon cadet ne me font pas si plaisir, au contraire, je n'aime pas l'entendre dire une telle chose alors que je me suis risqué volontairement pour lui. Les sourcils froncés, je soupire bruyamment en lui lançant un regard sévère. « Ne dis pas n'importe quoi, ça fait toujours quelque chose d'avoir mal ou de recevoir un coup. » Je dois parler sans savoir, comme d'habitude, mais sa fin de phrase me rend curieux. Pourquoi me dit-il ça ? « Tu as l'habitude d'être frappé ? » Demandais-je sans aucune discrétion, avec une curiosité maladive. Ce garçon m'échappe réellement et je ne sais que penser de lui, surtout quand il parle de la sorte, bourré ou non. Qui pourrait avoir l'habitude de la douleur, même après plusieurs coups ? à ce niveau-là, il a dû subir bien plus qu'il ne le laisse voir. ça n'empêche qu'il ne peut rester avec ce nez en sang et ces quelques blessures supplémentaires. ça me ferait trop mal psychologiquement de le laisser ainsi, alors qu'il s'inquiète toujours pour mes blessures. « Tu fais le bon choix. » Je souris pour le rassurer, attendant quand même qu'il s'éponge le museau pour voir l'étendu des dégâts et aviser ensuite. Je ne suis pas infirmière, malgré mes connaissances en soin et en santé. Je sais qu'un peu désinfectant et du temps, soignent les petits blessures comme celle-là.

J'ignore si la serviette absorbe ses larmes ou le sang dégoulinant de son nez, mais elle est très utile dans ce moment-là. Pendant qu'il garde le tissu contre son nez, je m'occupe de désinfecter délicatement sa lèvre avec une compresse et du produit, faisant très attention à ne pas trop y aller brusquement. C'est difficile d'être doux pour un chat sauvage dans mon genre, et je m'imagine à caresser mes chiens avec tendresse pour ne pas lui arracher la lèvre à coup de compresse. à ses mots, je relève mes yeux vers les siens pour l'observer en silence dans un premier temps, puis je répondis en revenant sur sa blessure. « Ce genre d'gars, il leur faut un bon coup d'pied dans les couilles. » Et partir en courant pendant qu'il se dandine comme un asticot. De toute façon, ils n'ont pas eu le temps de faire quoi que ce soit, et heureusement! J'imagine même pas quelle tête ils auraient eu sinon, parce que je les aurais défiguré à main nue. L'état de Minoru s'empire rapidement et je suis bien obligé d'arrêter de tamponner sa lèvre. Je m'éternise dessus depuis tout à l'heure,, alors que ce n'est même plus la peine. La seconde suivante, je courais partout à la recherche d'un truc pour qu'il puisse vomir. Rien de mieux qu'un sac poubelle pour qu'il se vide l'estomac et perde des couleurs. Il n'est franchement pas beau à voir comme ça. Je pris sur moi pour ne pas le regarder, ni l'écouter rendre son repas, parce que c'est toujours sensible ce genre de chose. Manquerait plus que je sois nauséeux à mon tour et partage le sac poubelle avec lui, non merci. à part frotter distraitement son dos d'une manière réconfortante, je ne peux rien faire d'autre. Au moins, il ne réagit pas mal à ce contact, et ça me rassure dans un sens. Quel idiot, sérieux! Je me retiens de le taper sur la tête, roulant des yeux. « Ne bois pas autant si tu ne tiens pas l'alcool. » Je le réprimande comme une mère corrige son gamin, les poings sur les hanches et l'allure droite. « La prochaine fois, tu boiras avec moi. » Protecteur jusqu'au bout, mais au moins, je pourrais toujours mieux le chercher que... Que qui, d'ailleurs ? Il est venu avec qui ici ? En voilà des questions intéressantes qui méritent des réponses.

Avant toute chose, je ne peux le laisser comme ça, dans cet état extrême de fatigue. Mon boulot ? Tant pis, ils commencent à avoir l'habitude de mes fuites et des rattrapages d'horaires. Ils peuvent très bien comprendre que mon ami va mal et qu'il doit rentrer, puis mince, j'ai aucune explication à fournir ! Minoru ne peut rester dans cet état et moi, je me sentirais coupable de l'abandonner. Finalement, il répond à ma précédente question sans que je n'ai à lui poser. « Il ressemble à quoi ? » Même si ce sont des jumeaux, il me faut un portrait à quoi me raccrocher pour les retrouver. Ils doivent s'inquiéter quand même, non ? ça se voit que je ne connais rien de son histoire, ni de sa famille. C'est la première fois qu'il sort ? Quel âge a-t-il pour être si novice dans sa vie d'adolescent ? Je le regarde avec perplexité, le voyant se relever trop brusquement et tituber jusqu'à un mur. Il riait à présent, sûrement pas en état de comprendre les choses. Je soupire franchement en me rapprochant de lui, laissant tout en bordel. Ils s'en foutent ? J'écarquille les yeux avec stupeur, ne comprenant plus rien à rien. « Ils ne t'aiment pas ? » Je ne sais comment expliquer ses mots, sinon. Il ne cesse de rire et je ne m'arrête pas de le regarder, sans savoir quoi faire. « Allons-y, Minoru. Tu as sérieusement besoin de te reposer... » Je perds un peu mes moyens, attrapant son avant-bras pour le tirer vers la porte que j'ouvre maladroitement, sans même la regarder. Mes yeux sont braqués sur lui, réfléchissant à toute vitesse. Que dois-je faire ? Retrouver ses frères pour les prévenir ? Le ramener chez moi pour la nuit et on verra demain ? Bon sang, je suis perdu. « Je fais quoi ? » Je marmonne pour moi-même, tenant toujours le jeune homme entre mes doigts serrés. Il me donne du fil à retordre en étant ivre, le sait-il ? Si ses frères s'en fichent, ils ne le ramèneront pas jusqu'à chez eux.

Tenue ➦ La question, bien trop directe à son goût, l'ébranla. Immédiatement, l'expression de son visage changea et une panique toute nouvelle le prit d'assaut. Il ne se rendait pas compte de ce qu'il disait mais en revanche venait de réaliser ce que Ji Hyuk pensait comprendre. Qu'il s'approche ainsi de ses secrets, de son passé, de lui surtout, le perturbait. Il ne mentait pas pour rien. Il trouvait plus facile de s'inventer une vie que de vivre avec ce que lui offrait la sienne. Il pouvait ainsi se cacher de ses démons. S'il n'en parlait pas alors personne ne pouvait apercevoir ses cicatrices. Les blessures d'un cœur ne se détectaient pas à l’œil nu mais nécessitaient des indices. Minoru ne les donnait pas car il ne souhaitait pas réveiller la pitié chez les gens qui l'entouraient mais surtout parce qu'il ne parvenait pas à faire face à ses maux. Il secoua vivement la tête de droite à gauche pour répondre à sa question. Il n'avait pas l'habitude qu'on le frappe ou du moins plus l'habitude. Depuis quelques petites années plus personne ne le touchait d'ailleurs. Plus de violence mais plus de tendresse non plus. « N-non, j'ai pas voulu dire ça. » Sa voix tremblotante trahissait son stress. Cela montrait qu'il cachait quelque chose de difficilement avouable et il préférait ne pas en dévoiler plus. Il accordait certes sa confiance à Ji Hyuk mais juste suffisamment pour le laisser le soigner.

Il s'occupait si bien de lui. Minoru se sentait vraiment mal de le voir encaisser chacun des coups qui lui étaient normalement destinés. Il s'en voulait. Il se détestait d'être aussi faible. Mais aujourd'hui plus que jamais, il n'aurait rien pu faire contre ces sales types. Dans cet état, il tenait à peine sur ses jambes. La réflexion de Ji Hyuk eut au moins le mérite de le faire un peu sourire. Il renifla de plus belle pour essayer de calmer ses pleurs. Le coréen n'avait pas l'air fâché. « J'y penserai. La prochaine fois tu n'auras pas besoin de me sauver, promis. » Mais là tout de suite, il allait avoir encore besoin de son aide. De plus en plus, l'alcool jouait avec ses sensations. Pris de nausée, il l'alerta quant à son envie de vomir. Ji Hyuk réagit assez rapidement et lui apporta un sac poubelle dans lequel il rendit ses tripes. Le pauvre, être à côté de quelqu'un qui vomit ne devait pas être évident. Entre l'odeur et le bruit, il le trouvait bien courageux. Minoru se promettait de ne plus jamais autant boire. Il ne pensait vraiment pas se retrouver dans un tel état et regrettait tous ses verres multicolores qu'il avait descendus. C'était la première fois et puis comme il n'était pas bien épais, son état s'expliquait. Il hocha la tête au conseil de Ji Hyuk qui sonnait en fait plutôt comme s'il le remettait en place. « Je suis pas sur de vouloir tenter l'expérience une deuxième fois. » Mais n'est-ce pas là ce que l'on dit à chaque gueule de bois ? Plus jamais je bois, plus jamais d'alcool. Minoru risquait de ne pas échapper à cette étrange loi.

Enfin, si ses aînés avaient veillé sur lui, il ne serait pas en train d'ennuyer Ji Hyuk. D'ailleurs, il se demandait où ils pouvaient être. Minoru se doutait bien qu'ils ne fumaient pas une simple cigarette. Il connaissait ses frères, les avait surpris plusieurs fois et même s'il jouait la carte de l'innocence, il n'approuvait pas leur comportement. Cependant, il ne se voyait pas faire un commentaire. Il ne s'autorisait tout bonnement pas à les juger, ils n'étaient pas assez proches pour ça. Avec ses mains, il mima la coiffure de ses frères. « Pas très coiffés, un peu grands et puis pas comme moi en fait. » Non, Ji Hyuk ne risquait pas d'obtenir une description plus précise que ça. Minoru partait déjà dans un fou rire incontrôlable se moquant de sa propre bêtise. L'alcool ne l'aidait pas à se calmer et il devait se tenir au mur pour ne pas s'écrouler. Ses jambes le supportaient difficilement. Mais à nouveau, comme un peu plus tôt, la question du coréen le ramena de façon brutale sur terre. Il cessa de rire lorsqu'il se rendit compte qu'il ne pouvait pas répondre à celle-ci. Il n'en savait rien. Ils ne lui montraient pas. Et inversement d'ailleurs. Minoru n'arrivait pas à s'attacher à eux et les considéraient encore comme des inconnus. Il les tenait à distance parce que quelque chose, et il ignorait quoi, l'effrayait. Il passait d'une émotion à l'autre. Il n'avait désormais plus du tout envie de rire. « Je suis pas sur qu'ils m'aiment. » Répondit-il sérieusement. Il baissa ensuite la tête et manqua de s'écrouler. Il se rattrapa de justesse à la poignet de la porte et se remit à rire. Il se sentait limite schizophrène là. Est-ce que tout le monde réagissait comme ça à l'alcool ? Passer du rire aux larmes, des larmes au rire, c'était normal ? Il se le demandait.

Malheureusement pour Ji Hyuk, le saisir de cette façon par le bras ne fut pas sa meilleure idée de la soirée. Si au début Minoru se laissa faire, ça ne dura pas longtemps. Dès que l'information atteignit son cerveau, il réagit au quart de tour. Il se dégagea avec violence de cette prise et recula de quelques pas. « Me touche pas. » Son rythme cardiaque s'était accéléré. Comme pour empirer la situation, les gens ne cessaient de lui rentrer dedans et de le bousculer dans un sens puis dans l'autre. Il ne se sentait pas bien du tout. Incapable de réfléchir dans ces conditions, il se fraya de force un passage dans cette foule et sans prendre la peine de prévenir son sauveur ou de vérifier s'il le suivait ou non. Il lui fallait juste de l'air. Il réussit à sortir du bar et se retrouva aussitôt face à face avec ses frères assis de l'autre côté du trottoir avec tout le reste de la bande. L'un d'eux prit la peine de rejoindre son cadet et dévisagea par la même occasion Ji Hyuk qui se trouvait juste derrière. Minoru bredouilla quelque chose, comme quoi il rentrait à la maison, son frangin ne chercha pas plus loin et le laissa filer. Sans attendre, il s'éloigna pour finir par terre quelques mètres plus loin car incapable de garder l'équilibre. Il ne risquait pas d'y arriver seul.

Tenue ➦ Il n'a pas voulu dire ça. Qu'est-ce qu'il voulait dire, alors ? Quand quelqu'un est habitué à quelque chose, c'est qu'il le vit plutôt fréquemment. Être habitué à la douleur veut certainement dire qu'il souffre souvent. Je parle de douleur physique, alors j'en conclus qu'il a l'habitude d'être frappé, plus qu'autre chose. Minoru me fait un signe négatif de la tête, répondant d'une voix que je jugerais d'incertaine, mêlant un sentiment de stresse et d'une certaine panique. D'accord, ce n'est pas ce qu'il voulait dire. Je n'insiste pas, haussant les épaules pour bien le montrer. C'est déjà pas mal qu'il me fasse confiance pour le soigner, je ne devrais pas abuser en cherchant à fouiner et à creuser en lui comme un mineur dans une caverne à diamant. à mon avis, ce ne sont pas des pierres précieuses qu'il garde en lui, mais une matière beaucoup moins brillante et éclatante. Tant pis, je laisse ses soucis à sa place pour panser au mieux ses plaies, sans trop parler indiscrètement comme la fois précédente. Contre ce genre d'individu, faut savoir taper au bon endroit. Je lui donne un bon conseil si jamais un con l'embête à nouveau, souriant en même temps que lui, bien que je reste sérieux à travers ma plaisanterie. « Si je peux te sauver, je te sauverai. » Et ce n'est pas un mensonge. Là encore, je le prouve en réagissant à la seconde, récupérant un sac poubelle pour lui donner et attendre qu'il termine. Le pauvre, ce ne doit pas être évident... Je prends sur moi pour penser à autre chose, plus coriace que je le pensais. Bientôt, je pourrais postuler pour être infirmier. Ou conseillé ? En tout cas, il devrait connaître ses limites ou boire avec des gens qui s'inquiètent pour lui, un peu comme moi. D'ailleurs, je lui propose carrément de l'accompagner à la prochaine soirée, histoire de le surveiller de plus près et éviter qu'il se rende une nouvelle fois malade. « Comme tu voudras. » C'est lui qui choisit, après tout.

Minoru était accompagné de ses frères, apparemment. Si j'en crois ses paroles, faudrait que je les retrouve pour leur dire, mais... Franchement, Minoru n'aurait aucune chance d'avoir un rôle dans les experts. Il me décrit les jumeaux d'une façon vague, ça ne m'aide pas du tout et j'en viens à tirer une sale tête, incompréhensible. Il rit tout seul, sûrement amusé par ses paroles ou ses explications. Grands, pas coiffés, le contraire de lui... Ouais bon, quasiment toute la boite est différente de son physique, et je ne peux pas la retourner pour les retrouver. Minoru ne cesse de rire, tenant à peine debout, jusqu'à lâcher une bombe qui doit lui couper le souffle. Est-ce qu'ils l'aiment ? Ce sont ses frères, pas n'importe qui. Avec ma soeur, on s'adorait, nous étions comme ces oiseaux colorés, les inséparables. Jamais l'un sans l'autre, mais certains ne sont pas comme moi, comme nous. à nouveau, j'ai touché un point sensible, comme tout à l'heure avec ma question sur la douleur et le fait qu'il se fasse frapper. Décidément, je ne suis pas doué avec lui... ou beaucoup trop franc. Pas sûr ? Si je m'écoute, je risque encore d'être trop bavard, alors je me contente d'hocher la tête en me pinçant les lèvres, retenant au mieux mes paroles. « D'accord.. Je vois. » Ce serait mieux pour lui que j'arrête avec mes interrogations. La seconde d'après, Minoru manque de se vautrer et se rattrape à la poignée de porte, riant à nouveau comme un gamin. L'alcool ne lui va, quoi que, il est joyeux une fois sur deux. Je ne sais même pas comme je pourrais être le jour où j'atteindrais ce level là. Peut-être que je rirais comme lui, ou peut-être que je me mettrais à chialer comme toute ses fois où je laisse mes faiblesses prendre le dessus. Qui sait, moi-même je ne peux avoir de réponse.

Un peu perdu par son comportement, je m'emporte en attrapant son avant-bras pour qu'il me suive, oubliant sûrement un petit détail. Aussitôt que je tire son bras, Minoru réagit au quart de tour et libère son membre de mon emprise. Stupéfait, j'écarquille les yeux sans même l'avoir perdu du regard. Je le perds d'un coup, le voyant reculer en disant de ne pas le toucher. Merde, j'ai gaffé. « Minoru... » Mais trop tard, le jeune homme s'enfuit dans la foule qui nous entourait après notre sortie des vestiaires. Je le perdis rapidement de vue, criant son prénom par dessus le vacarme du club. Peine perdu, le châtain n'est déjà plus là, envolé parmi les gens ivres et trop nombreux. Pas une seconde à perdre, je lui emboîte le pas en bousculant les personnes sur mon passage, réussissant malgré moi à sortir aussi du bar, m'arrêtant à quelques pas de Minoru, essoufflé. Qui sont ces gens ? Je les dévisage durement, me doutant doucement qu'il s'agit de ses frères. Ils ne le cherchent même pas alors qu'il a failli ... La colère me monte aussitôt à la tête, me piquant le nez et les yeux. Ils s'en foutent de ses paroles, se fichant pas qu'il rentre chez lui ou non. ça m'énerve. Ne sont-ils pas responsable de lui pour sa première sortie ? Minoru s'en contente, filant déjà sans me prévenir encore une fois. ça ne se passera pas comme ça... Quand il chute, je suis le premier à me précipiter vers lui pour l'aider, tandis que j'entends des rires dans mon dos. Ce ne sont peut-être pas ses frères, mais je ne supporte pas cette situation. Tant pis s'il va m'en vouloir, je le laisse assis sur le sol après l'avoir aidé à se redresser à moitié, pressant le pas jusqu'à l'un des jumeau. Mon index vient se taper sur son torse, mes sourcils froncés et la mine sévère. « Tu te prends pour qui, au juste ? T'es même pas foutu de t'occuper de ton frère, ni toi, ni ton clone. » Je peste contre lui, tout en fusillant le second d'un regard noir. « La prochaine fois que vous l'emmenez dans un endroit pareil sans faire attention à lui, je vous règle votre compte à tous les deux. » Bande de merdeux, me retenais-je d'ajouter. Ils ne perdent rien pour attendre, sérieusement.

Tenue ➦ L'âme et le cœur du jeune Sasaki, couverts d’innombrables cicatrices, renfermaient bien des secrets. Il ne laissait rien ni personne y accéder. Il n'extériorisait pas. Il ne cherchait pas à guérir non plus. Il s'adaptait difficilement à ce monde encore trop nouveau pour lui. Tout cela créait un mélange de sentiments étranges et résultait en autant de réactions différentes mais surtout paradoxales. Minoru ne détestait pas son ravisseur, ou plus exactement son agresseur. Il ne ressentait aucune haine malgré les attouchements, les viols et les coups. Pourtant, il ne supportait pas qu'on le touche. Le moindre contact ravivait ces souvenirs douloureux et lui donnait l'impression d'être pris au piège. Si bien que le geste de Ji Hyuk, trop soudain à son goût, le secoua. La réaction ne se fit pas attendre. Il se dégagea aussitôt de ce qu'il jugeait comme trop intrusif. Dans ces moments, il ne parvenait plus réfléchir. La panique s'emparait de lui rapidement. Les gens qui le bousculaient empiraient la situation. Il se sentit étouffé. Désirant remplir ses poumons d'air frais, il se précipita vers la sortie. Il manqua à plusieurs reprises de s'écrouler. On l'envoyait valser dans un sens puis dans l'autre. Dieu que cette porte lui semblait loin. Quand enfin il l'atteignit, il déboula dehors et se retrouva face à ses aînés. L'un d'eux seulement osa traverser la route pour voir ce qui arrivait à Minoru. Le malaise se lit sur le visage de celui qui est resté assis. Tandis que celui qui se tenait devant eux ignorait comment réagir. Beaucoup de monde ne savait pas de quelle façon se comporter avec un cas comme Minoru. Il ne chercha pas à comprendre son cadet et par peur d'empirer la situation, le laissa filer.

Minoru refusait l'aide de ses frères. À chaque fois. Il ne voulait pas interférer avec leur vie. Pour une raison inconnue, il avait l'impression qu'il les dérangeait et qu'il perturbait bien trop leur quotidien. Il se sentait comme un poids sur leurs épaules. Ce soir encore, il s'éloignait d'eux. Mais pas de trop puisqu'il s'écroula à peine quelques mètres plus loin. Cette fois, il ne trouva pas la force de repousser Ji Hyuk lorsqu'il vint à son secours. Il râla un peu mais se laissa faire. Assis sur le trottoir froid, il fronça les sourcils en le voyant partir dans la direction de ses frères. Il fallait qu'il se lève pour régler lui-même la situation. Le coréen ignorait totalement dans quel genre d'histoire de famille il mettait son nez. Celui qui était resté assis se leva pour s'opposer au coréen. « Calme-toi, il est assez grand pour se débrouiller seul. » Minoru rassembla ses dernières forces pour se remettre debout et progressa difficilement jusqu'à l'altercation dont il était la cause. Il se dressa entre eux, face à Ji Hyuk. Il se mit d'ailleurs légèrement à tanguer et ses jambes manquèrent de le lâcher, mais l'un des jumeaux le retint et Minoru se dégagea aussi sec de cette prise. « Laisse-les. » N'était-ce pas le monde à l'envers ? Clairement, son héros ne risquait pas d'y comprendre quelque chose. « Je rentre avec lui, dites à maman que je dors chez un ami. » Sans plus d'explication, il commença à marcher sans se demander s'il prenait ou non la bonne direction. Enfin marcher, il slalomait plutôt. À cette heure-ci, cela n'avait plus d'importance. Il ne devait pas être le seul dans cet état. Ses frères ne protestèrent pas et l'un d'eux, d'un mouvement de tête, incita le coréen à le suivre lui indiquant qu'il comptait sur ce dernier pour veiller sur Minoru.

Le jeune garçon invitait Ji Hyuk à le suivre en faisant de grands signes avec ses bras. Non, il ne lui en voulait déjà plus pour son geste un peu trop brusque. Il ne l'avait pas fait exprès après tout. Puis quelqu'un de normal n'en aurait pas fait un drame. Il ne pouvait que se blâmer. Et en même temps, il fallait bien qu'il le rejoigne. Il ignorait par où il devait aller. Il frissonna et croisa ses bras pour garder un maximum de chaleur. Quand Ji Hyuk le retrouva, il se força à sourire. « Ils n'ont pas besoin de s'occuper de moi. Je leur ai fait vivre un enfer. » Il haussa les épaules. Bizarrement, l'alcool déliait pas mal la langue du jeune Sasaki qui osait se dévoiler un peu plus. Cela se voyait qu'il ne mentait pas et qu'il disait la vérité. Mais surtout, il lui confiait ses véritables sentiments. Ji Hyuk, même s'il ne s'en rendait sûrement pas compte, avait beaucoup de chance. Dommage pour la psy du jeune japonais, elle ne pouvait pas le faire boire pour espérer entendre son histoire. « Est-ce que ta proposition tient toujours ? Je dors par terre, y a pas de problème. » Minoru avait connu de bien pires conditions que passer une nuit sur un carrelage froid. Cela ne le dérangeait pas du tout. Il voulait juste rester encore un peu avec le coréen. Sa présence le rassurait d'une certaine façon.

Tenue ➦ J'ai du louper un épisode, un wagon, ou le train en entier. Pourquoi réagit-il ainsi alors que je voulais seulement l'aider, le guider, le maintenir debout sur ses jambes ? La seconde précédente je pouvais encore le soigner sans qu'il ne se mette à pleurer, et là d'un coup, il me repousse en prenant ses jambes à son cou. Ce n'est pas facile de suivre quelqu'un dans une foule aussi épaisse et en mouvement, pousser d'un bout à l'autre en trouvant difficilement son chemin. Minoru me donne du fil à retordre et je peine à savoir où je vais parmi les gens qui dansent ou qui boivent. Il ne m'a pas attendu, filant comme une flèche sans que je ne sois capable de le suivre de près. Après quelques minutes à me battre, je parviens finalement à la grande porte menant dehors, l'air frais me fouettant le visage et s'engouffrant dans ma chemise. ça change de la chaleur étouffant de l'intérieur, cette brise de saison m'arrachant une multitude de frisson et une plainte quant au froid. Où est-il ? Je laisse aussitôt le problème de température de côté pour m'inquiéter de mon jeune ami, espérant qu'il m'ait quand même attendu dehors. La fameuse bande que je déduis être celle de ses frères jumeaux n'est pas loin du club, à peine à quelques pas de moi. Quant à Minoru, je ne le vois pas avec eux... Mais quelques mètres plus loin, étalé sur le sol et sûrement pas apte à marcher bien longtemps par lui-même. ça me donne carrément une bobine de fils à retordre, là. Ce garçon est du genre insouciant et qui n'en fait qu'à sa tête. Je suis même certains qu'il n'a pas insisté au près de ses frères pour rentrer, et aucun ne l'a retenu puisqu'il partait déjà vers l'inconnu. ça m'agace.

Je le rejoins rapidement pour l'aider à s'asseoir, m'assurant qu'il n'a rien et qu'il va bien malgré son taux d'alcoolémie plutôt élevé. C'est leur faute! Quelle idée de faire boire un gamin qui n'a pas touché une bouteille de sa vie. ça s'apprends doucement ce genre de truc, voir à la maison ou avec des gens qui surveillent. à voir comme ça, ils semblent s'en foutre complètement. Ne mesurent-ils pas le danger de la situation? Et si Minoru était partit seul ? Il aurait pu avoir n'importe quel problème! Sans oublier celui de l'alcool qui mène à des coma éthylique , perte de connaissance, et j'en passe. Faut pas être intelligent pour le savoir, mince. C'est tellement simple à savoir, tellement... Tellement... Aish, ça m'énerve. J'en viens à laisser le plus jeune pour filer vers les autres, m'attrapant avec l'un des jumeaux pour le disputer à ma façon. J'ai l'air d'une maman chat qui veut défendre son chaton, feulant furieusement avec ses poils hérissés. Ils n'ont rien fait pour l'aider, ni même calculé leur coup, et c'est bien pour cela que je monte dans les tours. Les mots vont plus loin que les gestes et c'est le second que je regarde méchamment en me retenant de lui rentrer dedans. D'où il sait se débrouiller seul ? Il allait se faire avoir par des connards, tout à l'heure! Qu'est-ce qui me retient de crier après eux, hein ? Peut-être Minoru qui s'interpose et me fait face, sûrement même. Non mais, regardez le, il ne tient même pas sur ses jambes. Si personne ne le retient, il va finir par tomber à nouveau. Les laisser ? C'est trop demandé quand on fout rien, mais je n'insiste pas et soupire fortement par le nez. à l'écouter, il ne reste pas avec ses frères et je suis bien content qu'il se décide à venir chez moi. Minoru partait déjà dans une direction, sans rien dire de plus, et pendant ce temps je lorgne une dernière fois les garçons en faisant passer un message de menace plutôt silencieux. Ils risquent d'entendre encore parler de moi, qu'ils le sachent. Nouveau soupir à son mouvement de tête et je tourne la mienne vers mon cadet, un peu plus loin.

D'un accord commun avec moi-même, je promet de veiller sur ce gosse en allant le rejoindre suite à ses grands gestes. Il est un peu lunatique,  non ? Sans rajouter quoi que ce soit à l'égard de ses frères, je trottine aussitôt jusqu'à lui, l'écoutant doucement. Dommage que je n'ai pas prit de veste, sinon je lui aurais bien prêté, mais à part ma chemise, je n'ai rien d'autre sur les épaules. « Un enfer ? » Plus je passe du temps avec lui, plus je suis curieux. Il est habitué aux coups et à la douleur, il déteste qu'on le touche, ses frères ne s'occupent pas tellement de lui, ne l'apprécie pas plus que ça et là, il me dit qu'ils ont vécu un enfer par sa faute. Sérieusement, ce garçon est un mystère, une énigme. Je suis très loin de me douter que Minoru se dévoile plus à moi qu'aux autres, surtout sous l'effet de l'alcool. En temps normal, il ne devrait rien dire sur lui, ni sa vie. Enfin bref, nous ne sommes pas là et je ne tiens pas à le forcer à parler. « Bien sûr. T'inquiète pas, j'ai un lit. » Un sourire s'étire au coin de mes lèvres, et j'ajoute pour ne pas qu'il se méprenne. « Je dormirai sur le canapé, ne t'en fais pas! » à mon époque, on ne dort pas sur le sol quand il y a différent moyen de dormir sur une matière plus confortable. Que ce soit mon lit ou mon canapé, tout deux sont à disposition. Les mains dans les poches de mon pantalon, je m'amuse à faire de la fumée avec ma respiration, posant ensuite mon regard sur lui. « J'habite pas très loin d'ici, le quartier d'à côté même. » C'est d'ailleurs pour cela que j'ai choisis cette boite de nuit comme boulot, elle est proche de mon quartier, de mon appartement. Même à pied, ça ne demande pas longtemps à marcher.

Tenue ➦ Minoru voulait juste quitter les lieux le plus vite possible. Et oublier surtout ce qui venait de se passer dans ce sale bar. Malheureusement, il se rendit bien vite compte qu'il ne se trouvait pas du tout en mesure de rentrer seul. Il avait besoin de l'aide de Ji Hyuk. Il aurait aimé ne pas abuser comme ça de sa bonté et réussir à rentrer chez lui mais il savait qu'il n'en était pas capable. Il tenait à peine sur ses pieds. Il décida donc que dormir chez le coréen représentait sa meilleure option, enfin si son offre tenait toujours parce qu'il lui faisait passer une mauvaise soirée quand même. D'ailleurs, il ne voulait pas que ça dégénère encore plus. En particulier avec ses frères. C'est pourquoi, en le voyant s'en prendre à eux, il s'obligea à intervenir en faisant barrière. Il valait mieux qu'ils s'en aillent avant que cela ne dégénère puis il n'avait vraiment pas envie de ruiner l'ambiance ou de leur taper l'affiche devant leurs potes. Il pourrissait suffisamment leur quotidien comme ça. Le pauvre coréen ne semblait pas comprendre pourquoi il prenait la défense de ses aînés. Il le supplia du regard et souffla même un 's'il te plait' pour qu'il abandonne l'idée de remonter les bretelles de ses frères. Quand Ji Hyuk lâcha enfin prise, Minoru le gratifia d'un petit sourire et commença à marcher sans se poser plus de questions. Il attendit tout de même Ji Hyuk un peu plus loin et s'appuya sur un mur pour garder l'équilibre. Il se sentait encore un peu nauséeux, vivement qu'ils soient au chaud.

Un enfer. Avant et après son retour. Il n'imaginait pas leur enfance ou leur adolescence. Leurs parents, déprimés, à remuer ciel et terre pour le retrouver les ignorant. Puis maintenant, le même scénario se produisait, par sa faute encore une fois. Alors qu'ils commençaient tout juste à se relever avec la naissance de son petit frère, ils se focalisaient à nouveau sur Minoru et oubliaient le reste. Le jeune homme ne demandait pas autant d'attention, bien au contraire, il préférerait être transparent mais sa mère, effrayée à l'idée de peut être le perdre une nouvelle fois, le collait. Elle ne se préoccupait que de lui et laissait de côté ses autres garçons. Les jumeaux le lui reprochaient. Ils n'avaient jamais rien dit mais Minoru comprenait grâce à leurs gestes et regards qu'il gênait. Il leur bloquait et monopolisait l'amour de leurs parents. « C'est une longue histoire, mais je crois qu'ils auraient préféré que je ne revienne pas. » Cela blessait l'étudiant mais il sentait qu'il s'approchait de la vérité. Il ne parvenait pas à tisser des liens avec eux. Il lui semblait qu'il ne leur avait pas manqué, qu'il avait face à lui des inconnus. Il voyait toute sa famille comme ça. Il ne se sentait pas chez lui. Il restait distant du coup. Sans réussir à expliquer pourquoi. Peu à peu, il se dévoilait au coréen. Il se rendait même compte que cela lui faisait un bien fou de ne pas se cacher derrière ses habituels mensonges. Dire la vérité le délivrait d'un certain poids. Lorsqu'il lui proposa son lit, Minoru agita les mains pour marquer son refus. Il n'avait pas à faire ça. Il était déjà bien gentil de le recueillir. « Oh non, je dors sur le canapé alors. Ça ira. » Cela le gênait tellement. Il culpabilisait d'être un tel boulet pour lui. En même temps, il était reconnaissant. Avec un petit sourire, il le remercia. « C'est gentil en tout cas, merci. » Ils continuèrent à marcher silencieusement et lentement surtout, parce que Minoru s'arrêtait souvent pour prendre de grandes respirations ou parce qu'il manquait de s'écraser.

Mais au bout d'un moment, ce qui devait arriver arriva. Il prit appui contre un mur, se pencha en avant et une nouvelle fois vomit. Avec une main tremblante, il maintenait ses cheveux en arrière et tentait de rester debout tant bien que mal. Quand il s'arrêta, il essuya sa bouche avec son poignet puis frissonna. Entre le froid et son état, son corps ne supportait plus ce qu'il subissait. « D-désolé, je suis désolé. » Il eut un rire nerveux. Pitoyable. Il était pitoyable et bien conscient de ça. Il se redressa difficilement, souffla plusieurs fois pour calmer sa nausée puis hocha la tête pour indiquer à Ji Hyuk qu'il était prêt à continuer. Il espérait tout de même qu'ils approchaient de son appartement parce qu'il ignorait s'il était capable de tenir sur ses jambes encore longtemps. Il croisa de nouveau ses bras pour se réchauffer et baissa les yeux. Il se détestait d'être comme ça. Si seulement il n'avait pas bu tous ces verres, si seulement il était plus fort que ça. Il comprenait que ses frères soient agacés de devoir toujours faire attention à lui. Il se souvenait qu'avant, au tout début quand il venait de retrouver ses proches, ils le surveillaient tout le temps. Cela les avait sûrement fini par les épuiser. Peut être que Ji Hyuk allait aussi en avoir marre un jour de sans cesse venir à son secours. Ce serait parfaitement compréhensible en fait. « J'ai du mal à vivre comme vous. À prendre le rythme. Je me sentais mieux avant je crois. Quand j'étais enfermé, loin de tout ça. C'est trop effrayant la réalité. » Il haussa les épaules. Il énonçait ça comme la chose la plus banale alors qu'il évoquait pour la toute première fois son kidnapping avec quelqu'un. Sa psy travaillait sur lui depuis presque trois ans et n'avait encore jamais pu entendre un mot de sa part à propos de son horrible expérience. Mais devant Ji Hyuk, et avec l'aide de l'alcool, ça sortait tout seul.

Tenue ➦ J'ai toujours eu le sang chaud, quoi qu'il puisse se passer. Un rien me fait monter les nerfs et réagir en vitesse. Savoir que ses frères ne s'occupent ou ne s'inquiètent même pas pour Minoru, m'a juste donné envie de gueuler pour leur faire la morale. Je n'ai pas l'âge pour assumer le rôle d'un adulte, pourtant je commence déjà à le faire en prenant la parole, voyant la bande gesticuler à mes mots. ça ne fait pas du bien, je m'en doute. ça pourrait partir en live, mais Minoru s'y oppose en me faisant face, sans que je sache dans quel camps il se trouve. L'un ou l'autre, ça ne changerait sûrement rien. Il ne devrait même pas y avoir d'histoire de clan, ni d'animosité entre nous tous. De toute façon, le plus jeune a décidé de venir dormir chez moi et je n'ai aucune raison de le laisser à ses frères, surtout en sachant qu'ils sont irresponsables et pas soucieux du cadet. Minoru ne voulait pas que les choses explosent et volent en éclat, ce que je peux comprendre après quelques secondes à montrer les crocs. Finalement je range mes griffes et remet à une autre fois, qui n'arrivera sûrement jamais. Dans le fond, le voir sourire me suffit à laisser entièrement tomber, même après un regard en biais vers les jumeaux. Ils n'en restent pas moins incompétent. Quelques mètres plus loin, adossé à un mur, je rejoins rapidement Minoru et délaisse ses frères pour me préoccuper seulement de lui.

C'est difficile d'être face à une situation qu'on ne comprends pas, ou que l'on a jamais vécu. Je ne connais pas l'histoire de Minoru, mais je suis déjà sûr et certains de ne pas l'avoir connu. Il parle d'enfer par rapport à ses frères, comme si c'était la raison à leurs comportements. Est-ce véritablement cela ? Je n'y comprends plus grand chose, attendant simplement des explications de sa part. Mais là encore, c'est le black-out complet. Il a beau parler et me donner des infimes détails, ça reste compliqué à comprendre. « Tu es parti quelque part ? » est la seule question qui me vient à l'esprit. Je peux paraître stupide à lui demander, mais comment pourrais-je savoir qu'il a été enlevé et séquestré ? évidement que je n'en sais absolument rien, et qu'à mes yeux, il est "parti" ailleurs sans grande conséquence, comme quand on voyage chez ses grand-parents. Je suis très, très loin du compte. Minoru se dévoile, il ne ment pas, et même ainsi, je pige mal la situation. En attendant, il peut toujours dormir dans mon lit, ça ne me dérange pas du tout. à son refus, je fais la moue puis hoche doucement ma tête. « D'accord, je te laisse le canapé ~ Mais ne te plains pas si Ben et Nuts te reniflent les pieds. » Mes chiens, Ben et Nuts. Je parle rarement d'eux, mais ils sont toujours bien là et aussi chiant qu'auparavant. Un sourire fendit mon visage et je me retiens malgré moi de le décoiffer affectueusement. « ça me fait plaisir. » Discuter en marchant ne fait pas de mal, au contraire. J'ai mon temps pour l'attendre et l'observer, voyant très bien qu'il ne va pas si bien. L'alcool doit le retourner et je n'imagine même pas la gueule de bois demain. Je penserais à lui donner des médicaments en rentrant, pour qu'il ne tombe pas malade suite à sa première cuite.

Comme prévu, il ne tient pas la route et s'arrête définitivement pour vomir. Depuis son rejet de tout à l'heure, je n'ose plus vraiment le toucher et l'aider. J'ai peur qu'il me repousse à nouveau ou reparte en courant. Ce serait dommage, en si bon chemin. Finalement, je le laisse se vider en regardant aux alentours, constatant que la rue est vide, presque morte. Les gens doivent dormir à cette heure, ou se camoufler chez eux, en tout cas. Sa voix parvient aussitôt à mes oreilles et je me tourne vers lui en osant un pas dans sa directement, avant de me raviser à quelconque geste. « Ce n'est rien... On ferait mieux de rentrer en vitesse. » S'allonger, ce serait le mieux pour lui. Nous ne sommes jamais beaux à voir en étant bourré, qu'importe la personne. Il n'a pas à se sentir minable ou moins que rien, je trouve ça même tout à fait normal de réagir ainsi. Un signe de tête et nous pouvons reprendre la route, bien que je sois plus lent pour laisser le temps à ses jambes de me suivre. Encore quelques minutes et nous y serons, juste quelques pauvres petites minutes. Il doit mourir de froid, surtout dans son état "second". ça me tracasse toujours de n'avoir prit ma veste d'uniforme et je serais tenté d'accéléré le pas pour rentrer plus vite au chaud. Enfermé ? Réalité ? Mes yeux dérivent lentement vers lui et je le sonde plusieurs secondes avant d'ouvrir ma bouche. « Je ne sais pas ce que tu as vécu, Minoru, mais chacun possède un rythme de vie. » Ce n'est pas juste, mais c'est ainsi. En même temps, je ne l'agresse pas avec des questions, sachant parfaitement qu'il se sentirait mal ou qu'il ne pourrait y répondre. S'il veut vraiment en parler, qu'il me le dise et je serais une épaule ou une oreille. « J'habite là. » Je lui montre une résidence du doigt, un immeuble qui ne paye pas de mine mais qui tiens toujours la route. Deux pas et nous sommes déjà dans l'entrée, après que j'ai ouvert la porte avec mes clés. « C'est une mauvaise passe que tu vis ? Peut-être que tu trouveras quelque chose à quoi t'accrocher désormais ? » ça peut paraître simple, mais j'ai affronté la mort de ma soeur et la dépression avant de trouver une personne en qui croire et aimer. « Il ne faut pas vivre dans le passé, ce sont les mots d'une personne importante pour moi. »

Tenue ➦ S'il était parti ? Minoru ricana, non pas pour se moquer, mais parce que Ji Hyuk ne se doutait pas un seul instant qu'il s'approchait de la réalité. Car on pourrait dire ça. D'une certaine manière. Après tout, le jeune japonais utilisait lui-même ces termes. Il refusait de prononcer le mot 'kidnapping'. Il ne le voyait juste pas ainsi. Pendant dix ans, celui que les autres qualifiaient de ravisseur avait pris soin de lui. Il n'avait manqué de rien. Minoru s'était attaché à lui et même à la fin, quand ce pervers s'en prenait à lui, il pensait que c'était normal, qu'il en avait tous les droits. Pas étonnant que ses rapports avec les autres soient aussi compliqués à ce jour. La vie sociale de l'étudiant en lettres ne ressemblait à rien. Il mentait à tout le monde. Il refusait qu'on le touche et même qu'on l'approche de trop près. Il espionnait les autres. Ji Hyuk ne réalisait pas la chance qu'il avait. À chaque fois, il le laissait s'occuper de lui. Normalement, il se contentait de prendre la fuite. « J'étais caché. » Drôle de réponse. Cela risquait simplement d'embrouiller encore plus l'esprit du pauvre coréen qui ne comprenait sûrement rien à ce qu'il lui racontait. Pourtant, plus les minutes passaient, plus il se dévoilait. Son état d'ébriété avancé abaissait ses barrières de façon considérable. Mais même sans ses mensonges, Minoru demeurait un véritable mystère. Un faible sourire se dessina sur ses lèvres lorsque son ami évoqua ses bestioles. Il avait dû lui en parler une fois. Il craignait peut être que les autres le touchent mais cela ne le déranger pas venant des animaux. « C'est la première fois que je vais les voir. Je suis content. J'aimerais bien un chien aussi. » Mais ses parents, comme sa psy, le jugeaient encore trop instable pour être en mesure de s'occuper d'un être vivant. Il devait d'abord apprendre à prendre soin de sa propre personne.

Une nouvelle fois, il se vida et appuya sa main contre un mur pour éviter de tomber. Il sentait que ses jambes supportaient bien difficilement son poids. Le pauvre garçon tremblait d'ailleurs de la tête aux pieds. À cause du froid mais surtout parce qu'il se sentait mal. Le monde tournait autour de lui. Une nausée comme il en avait jamais connu. Il s'excusa tout en tapotant sa bouche avec sa main puis hocha la tête pour approuver Ji Hyuk. Et ils reprirent la route. Minoru ne broncha pas durant le reste du chemin. Perdu dans ses pensées, il culpabilisait d'être un tel boulet pour son ami. Il se sentait bête. Il découvrait tout juste les effets de l'alcool et n'avait pas songé une seule seconde en buvant autant que ça puisse le mettre dans un tel état. Le coréen devait le prendre pour un imbécile. Mais qu'y pouvait-il ? Il ne comprenait rien au monde réel et galérait à s'y intégrer. Il avait l'impression qu'on ne voulait pas de lui, qu'il n'appartenait pas à cet univers. On le laissait à la traîne. Tout se passait juste trop vite. La remarque de son sauveur le secoua un peu. Il avait peut être raison. « Sûrement. Mais moi je suis toujours loin derrière. » Est-ce que cela avait seulement un sens ? Ji Hyuk ne devait pas comprendre où il voulait en venir. Comment le pourrait-il ? Il ne connaissait pas son histoire. Il arrivait quelques fois que Minoru ressente ce désir de se confier à quelqu'un. Il pensait alors à sa famille. Ses parents adoreraient sûrement l'écouter mais il n'était pas suffisamment à l'aise avec eux pour ça.

Il leva les yeux vers le fameux immeuble. Alors Ji Hyuk habitait là. Il vivait tout seul ? Minoru aimerait tant faire comme lui. Il serait tranquille. Personne ne viendrait l'embêter. Mais ça n'était pas possible. Puis, pour la toute première fois, le coréen lui posa des questions. Cela surprit Minoru qui resta figé un moment. Une mauvaise passe ? S'accrocher à quelque chose ? Il ne voyait pas tellement ce que tout cela signifiait. Il se détendit quand il lui conseilla d'arrêter de vivre dans le passé. « Et si le présent ne veut pas de moi ? » Il répliqua presque instantanément et en plantant son regard au sien. « J'essaye de vivre normalement mais je n'y arrive pas. J'ai peur de tout. Du noir, des endroits confinés, d'avoir mal, des gens et même de toi parfois. » Alors même qu'il appréciait Ji Hyuk, quand ce dernier l'avait attrapé par le bras, il l'avait vraiment effrayé et pas qu'un peu. Néanmoins, cela ne l'empêchait pas de continuer à lui parler à cœur ouvert. Quand il réalisa ce qu'il venait de lui avouer, Minoru baissa les yeux. Gêné apparemment de lui en montrer autant. « Pardon. » Finalement, il pénétra dans l'appartement du coréen. Il fut aussitôt accueilli par les deux bestioles à poils avec lesquelles il cohabitait. Cela l'aida à se calmer. Il s'agenouilla pour les caresser, les laissa le lécher et presque l'écraser. Un léger rire s'échappa même de ses lèvres. Au bout d'un moment, il se releva et se rapprocha de Ji Hyuk. « Est-ce que tu as encore mal ? » Il tapota sa propre pommette ainsi que son arcade pour désigner les blessures de son super-héros.

Tenue ➦ Caché ? Est-ce une blague ? Il doit sûrement se moquer de moi. à quel moment va-t-il m'avouer qu'il plaisante et que c'est un bobard ? J'ignore pourquoi, mais je préférerai largement qu'il se mette à rire en me disant qu'il ment. Or, ce n'est pas le cas. Il me trouble à parler ainsi, sans être vraiment clair. à l'écoute, il a loupé une bonne partie de sa vie avec ses frères, d'où le fait qu'ils ne s'entendent pas des masses. Je ne suis pas détective mais malgré ma naïveté, je réfléchis d'une certaine manière. Logique serait le bon mot pour me décrire. Ce serait un peu comme un schéma reliant des photos entre elles avec des fils et des épingles. Un énorme tableau qui prend forme dans ma tête, bien que Minoru brouille mes pistes et me fait douter sur quel fil je dois relier à tel point. Par moment, je parvenais à rattacher deux points sans être sûr pour autant. Les liens étaient flou, brouillons, des fois sans cohérence. Je n'arrive pas à le cerner, même après les nombreuses fois où je l'ai sauvé ou qu'on a parlé. C'est difficile quand la personne change de disque un peu tous les jours, comme ce Minoru qui a toujours beaucoup à raconter. Je suis logique, je me doute qu'il ne dit pas entièrement la vérité. Pourtant je n'insiste jamais, je ne le force même pas à arrêter ses mensonges. S'il en a besoin, autant qu'il en profite pour l'instant. Puis, je parle de mes chiens et souris doucement à sa réponse. « Tu verras, ils sont supers cools. Un jour, qui sait ? Je t'aiderai à le choisir~ » Mon sourire se transforme un petit rire mélodieux. J'imagine quel genre de chien pourrait avoir le jeune homme, sûrement un petit mignon et bruyant. Je suis de me douter qu'il n'est pas apte à élever une bestiole comme si c'était un enfant, une vie presque « humaine ».

L'état de Minoru m'inquiétait beaucoup, mais à part le regarder, je ne pouvais rien faire de plus. Il m'a déjà repoussé tout à l'heure, à cause de mon geste brusque, et je ne tiens pas à le violenter à nouveau pour l'aider. Finalement il parvient à tenir sur ses jambes et à reprendre la route jusqu'à chez moi. Ce n'est pas très loin de la boite, même s'il faut marcher un peu pour y arriver. ça me peine de ne pas prendre le métro, mais avec le raffut et les gens qui traînent là-bas, autant éviter un désastre. Minoru se fait silencieux pendant le trajet et je l'imite en regardant devant moi, parfois vers lui pour m'assurer qu'il est toujours là. Un rythme de vie. C'est bien étrange de parler de ça dans ce genre d'endroit, à l'air frais. Le miens fait du mille à l'heure, entre étude, famille et vie privée. Je ne m'en sors pas tellement et j'ai bien peur de couler à tout vouloir gérer. « C'est peut-être le tiens ? Tu ne devrais pas trop forcer. » à trop vouloir rattraper les autres, on fini par les louper. Il était à la traîne, peut-être vivait-il plus doucement que les autres ? Je n'en sais rien, mais plus j'y réfléchis, et plus je sens la migraine venir. Mon immeuble apparaît rapidement dans mon champ de vision et je l'indique à l'adolescent. C'est loin d'être aussi spacieux et luxueux que la résidence où je vivais à Séoul, mais ce n'est pas mal chaleureux. Les questions viennent d'elle-même, sans trop que j'y fasse gaffe. Je voudrais le comprendre un peu mieux et ne pas me sentir aussi perdu. « On a tous une place dans le présent. » Je soutiens son regard, avant d'hausser les épaules. En fait, j'ignore vraiment si on a une place quelque part.

Il a peur, c'est normal... Même de moi. ça me surprend sur le coup, mais à bien y réfléchir, je n'ai pas été très délicat avec lui. « Désolé pour tout à l'heure, je ne voulais pas te brusquer... » Réellement, ce n'était pas mon intention. Qu'il s'excuse pour ça me gêne à mon tour, ce n'est pas la peine qu'il le fasse. Il a droit d'avoir peur, après tout. « Ce n'est rien, t'inquiète pas. » Je le laisse entrer chez moi et rencontrer mes monstres poilus et sautillant de joie. Ils n'ont pas souvent de la visite, en ce moment. Durant quelques minutes, je le laisse s'amuser avec mes chiens en le regardant, bien content qu'il s'amuse et rit en même temps. Mes blessures ? ah, je les avait oublié! « ça ? Trois fois rien, j'te dis! Je ne les sens même plus. » Je fais le fier en tapotant mon index sur le coin de mon sourcil, retenant une grimace. Ah bah ouais, si je touche en même temps... « ça va aller... Tu veux boire un truc chaud ? Installe toi sur le canapé, je vais te chercher une couverture. » Il doit être frigorifié après cette marche nocturne dans les rues. Rappelant Ben et Nuts, je leur ordonne de se coucher dans leur coin avant de me diriger vers ma cuisine, séparée par des bloques au milieu de la spacieuse pièce. Il manque des meubles, mais je n'ai jamais eu besoin d'une grand table avec des chaises, ou même d'une télé ou d'un meuble quelconque pour l'accompagner. C'est presque vide, en réalité.

Tenue ➦ Minoru se demandait seulement si le présent voulait bien de lui. Il ne semblait pas prêt à lui laisser une place. Chaque matin, lorsqu'il se levait, il se préparait à affronter de nouvelles épreuves. On ne lui autorisait aucun temps mort. Lorsqu'il ne subissait pas les moqueries ou les attaques des autres étudiants, il fallait qu'il supporte sa mère. Elle essayait constamment de le faire parler et le jeune garçon prenait ça pour de l'acharnement. Plus elle insistait et moins il parlait. Lors de ses dernières séances chez la psy, aucun mot ne s'était échappé de sa bouche. Elle ne savait plus quoi faire. Mais ce soir, sous l'emprise de l'alcool, l'étudiant en littérature se livrait par petites touches à son héros. Il ne craignait pas Ji Hyuk. Il ne le voyait pas comme une personne qui le jugerait ou s'autoriserait à le rabaisser à cause de son passé. Pourtant, il ne se confiait normalement pas à lui même si sa compagnie l'enchantait. Là, il parlait. Probablement que Ji Hyuk ne comprenait pas grand chose mais il devait bien réaliser que ça ne risquait pas de se reproduire avant un bon moment. « Mais moi je ne vais jamais arriver à être normal. » L'une de ses plus grandes peurs. Les gens pensaient à tort qu'il ne se rendait pas compte de sa situation. Ils s'imaginaient qu'il ne remarquait pas les regards ou n'entendait pas les moqueries. Ils croyaient qu'il avait un retard mental et que sa bizarrerie venait de là. Du coup, ils s'octroyaient le droit de le traiter comme une bête de foire. « Je ne trouverai pas ma place. On ne veut pas m'en laisser. » Il hausse les épaules, défaitiste. On l'empêchait de vivre en le fliquant comme ça mais surtout on ne l'aidait en aucun cas à surmonter ses traumatismes. Ses parents désiraient juste entendre enfin son histoire et savoir ce que son ravisseur avait pu lui faire subir. Ils n'avaient pas vraiment envie de le soulager.

Le brusquer ? Minoru se mordit la lèvre, conscient que jamais quelqu'un d'autre n'aurait réagit d'une façon aussi violente. Il s'en voulait. Ji Hyuk se montrait toujours si attentionné envers lui. « Non, tu voulais juste m'aider et moi... » Son sauveur connaissait la suite, pas besoin qu'il continue. Minoru espérait un jour réussir à vivre avec les autres sans les craindre. Au moins, les animaux ne l'effrayaient pas. Il alla à la rencontre des deux chiens du coréen sans aucune appréhension. Puis après avoir joué un bref moment avec eux, s'inquiéta des blessures de Ji Hyuk. Le pauvre avait encaissé pas mal de coups à cause de lui. Il avait bien vu sa petite grimace. « C'est pas beau de mentir. » Et c'est lui qui disait ça. En s'en rendant compte, il soupira. Il passait son temps à mentir, à se cacher et à se protéger. Du moins, c'est ce qu'il pensait faire en racontant toutes sortes d'histoires à tout le monde. Puis se créer une autre vie lui permettait aussi d'oublier la sienne. Même si malheureusement, cela n'était qu'une solution temporaire. Les mensonges ne l'aidaient pas à effacer sa peine. « Je veux bien un lait chaud, s'il te plait. » Sagement, il s'installa sur le canapé ou plutôt s'y laissa tomber. Cela lui fit un bien fou de ne plus avoir à faire des efforts pour garder l'équilibre. Il remit ses cheveux en arrière puis se redressa légèrement lorsque Ji Hyuk revint avec sa boisson ainsi qu'une couverture. Il posa cette dernière sur le côté et trempa ses lèvres mais sans boire. Brulant. Son petit nez se fronça comme celui d'un chat et il se concentra alors sur Ji Hyuk. « Pourquoi tu ne me poses jamais de questions ? Tu sais que je mens. » Minoru allait rarement si droit au but. Pourtant, il questionna Ji Hyuk en le regardant droit dans les yeux et sans ciller. L'alcool lui insufflait un courage étrange et presque déplacé.

Tenue ➦ Je n'ai jamais autant ressenti de désespoir chez quelqu'un, si ce n'est chez moi. C'était bien avant de rencontrer Kyann, d'éprouver des sentiments que je ne connaissais pas et me faire une raison sur ma situation. Ma vie n'avait aucun sens à cause de mon père et de ses obligations, puis j'ai compris que ce n'était pas à lui de faire ma vie. Certes, je suis toujours au point de départ, loin de la ligne d'arrivée, mais un jour j'arriverai à le surmonter et à passer par dessus ça. En attendant, je ne peux que parler avec Minoru, tenter de déceler les choses qui le tracassent ou de savoir quelques brides de son histoire. C'est compliqué, surtout pour quelqu'un qui n'a vécu de telles expériences et qui ne se doute pas d'une telle chose. Dans le fond, je crois qu'aucune de mes réponses ne pourraient l'aider. Je suis prit au piège dans mon pseudo rôle de psychologue. « Si tu n'y crois pas, tu n'y arrivera pas. » C'est le seul conseil que je peux encore lui donner, avant de finir aussi pessimiste que lui. Faut vraiment que je change de sujet, ramenant l'épisode précédent sur le tapis. ça m'embête qu'il ait été brusqué par mon geste et je m'en excuse rapidement pour ne pas qu'il le prenne mal. C'était une erreur de ma part, il ne devrait pas faire attention. Parfois, c'est normal de réagir ainsi. S'il est traumatisé par ce genre de chose, je comprends qu'il puisse avoir des réactions violentes et me repousser. Pour cela, je viens gentiment le décoiffer en souriant. Une certaine façon de vouloir le rassurer et lui assurer que ce n'est rien.

Mes chiens sont vraiment heureux de rencontrer du monde et de pouvoir faire la fête à quelqu'un d'autre que mon copain. Ils se réjouissent, jouent avec le jeune homme, avant de retourner à leurs occupations habituelles. Minoru en profite pour me parler de mes blessures et je mens aussitôt pour ne pas l'inquiéter. évidement, j'agis d'une manière nulle et me trahis aussitôt. « C'est vrai, mais je t'assure que ce n'est rien. » Un peu de désinfectant, un pansement et le tour sera joué. Ce n'est pas de moi qu'on parle pour le moment, mais surtout de lui. Un hochement de tête et je vais dans le cuisine pour préparer un lait chaud et me faire un café au lait, ça risque d'être nécessaire pour la suite. Les tasses déposées sur la table basse, je lui ramène aussi une couverture et m'installe au sol, le dos contre la table basse. Dans un silence, je l'observe boire et fais de même, ne sachant même pas ce que j'attends. à mon avis, je me doutais bien qu'il ouvrirait sa bouche. Un fin sourire s'étend sur mes lèvres, mes yeux braqués sur lui. « C'est justement parce que je le sais que je ne dis rien. » Je ne peux être plus clair que cela, éloignant ma tasse pour la caler sur mes genoux rapprochés. « Mais si tu veux vraiment que je te questionne... Pourquoi est-ce que tu mens ? » Je pourrais lui poser des tonnes et des tonnes de question, mais je veux surtout savoir celle-ci. S'il ment, c'est bien pour une raison particulière. Après une nouvelle gorgée de ma boisson chaude, je souffle doucement sur le liquide en examinant le bord de ma tasse. Je ne le met pas tellement en confiance en étant aussi rapide, même si je n'ai jamais voulu le questionner avant. « Ce que tu pourrais me dire restera entre ces murs, Minoru. » Dis-je en relevant mes yeux vers lui, sans manquer de sourire pour le rassurer à nouveau. Ce sera un secret entre nous, qui ne sortira jamais d'ici.

Tenue ➦ Pendant que Ji Hyuk cherchait son lait chaud, le japonais se perdit dans la contemplation de son environnement. L'appartement paraissait étrangement vide mais pourtant accueillant. Peut être juste parce qu'il connaissait bien son propriétaire et qu'il accordait une certaine confiance à ce dernier. Cela ne l'empêchait néanmoins pas de lui mentir à chacune de leurs rencontres. Cependant, les choses se déroulaient différemment pour une fois. Minoru se confiait. Il employait des détours mais tout l'alcool que contenait son sang réussissait tout de même à briser de nombreux cadenas et l'aidait à passer au-dessus de certaines de ses barrières. Il ressentait l'envie inexplicable de parler. Alors que ça ne lui arrivait jamais lorsqu'il se rendait à ses consultations hebdomadaires. Cette bonne femme avec son foutu diplôme en psychologie l'ennuyait. Elle l'examinait comme une bête curieuse et ne cherchait pas à prendre soin de lui. Ji Hyuk le sauvait presque quotidiennement et semblait ne lui vouloir que du bien. Il remercia le coréen d'un petit signe de tête lorsqu'il plaça les tasses sur la table. Minoru prit tout de suite la sienne entre les mains histoire de se les réchauffer. Il trempa même ses lèvres mais cela restait bien trop brûlant pour qu'il puisse en boire tout de suite. Et sans s'en rendre vraiment compte, il ouvrit à nouveau la bouche. Qu'est-ce qui lui prenait ? Pourquoi était-il aussi direct ? D'où lui venait ce courage ? Il trouvait que maintenant que Ji Hyuk avait fait la connaissance de ses frères, il n'y avait plus d'intérêt à lui mentir. Il avait vu une partie de sa vraie vie. La réponse du coréen, aussi claire que sa question, le surprit. Ses doigts se crispèrent autour de la tasse. « Cela ne t'énerve pas ? » Minoru n'aimerait pas qu'on lui mente. Il n'avait pas apprécié apprendre que tout ce que son ravisseur lui avait raconté se tenait à mille lieux de la réalité alors il comprendrait que Ji Hyuk ne supporte pas ça.

Ji Hyuk lui renvoya la balle en une seconde. Dans l'esprit de l'étudiant en littérature, tout se brouillait et s'emmêlait. « Pourquoi je mens ? » Répéta-t-il à voix basse. Il se perdait dans ses mensonges pour échapper aux autres et pour se protéger. Il voulait être normal alors il s'inventait une vie différente de la sienne. Une vie meilleure. Même s'il se rendait bien compte que ça ne servait à rien au final. Il ne pouvait s'agir que d'une solution temporaire ou une manière de fuir la réalité. Cela ne pensait en aucun cas ses blessures beaucoup trop profondes. Au fond, il savait qu'il ne risquait rien à tout raconter à Ji Hyuk mais après tout ce temps sans parler, il ignorait par où commencer. Il ressentait ce besoin de se livrer très souvent, de tout déballer mais il ne réussissait pas à l'assouvir. Auparavant, quelque chose le bloquait et là il sentait enfin qu'il pouvait aller au-delà. « Je mens pour me cacher et pour ne plus avoir mal.. » Il renifla bruyamment. Les larmes menaçaient à nouveau de s'écouler le long de ses joues mais il les retenait du mieux qu'il pouvait. Il ne voulait pas pleurer à nouveau devant lui. Il détestait paraître aussi faible. Il comprenait tous ces gens qui le prenaient si facilement en victime. Rien de plus simple que de blesser quelqu'un comme lui. « J'ai vécu dix ans sans ma famille. » Et on y arrivait. Petit à petit, il offrait la vérité à Ji Hyuk. Même si ce processus était maladroit et très bancal, Minoru désirait réellement lui parler de ça. Mais utiliser les bons mots restait compliqué. Ils étaient comme bloqués dans sa gorge. Ji Hyuk allait devoir soit le bousculer encore une fois ou bien lui poser les bonnes questions. D'ailleurs, depuis combien de temps vivait-il au Japon ? Lorsqu'on l'avait retrouvé cela avait fait la une des journaux pendant plusieurs semaines et encore maintenant il n'était pas rare de voir le fameux reportage au sujet de son kidnapping à la télé. Ah mais oui, il n'en avait pas. Cela rassura bizarrement Minoru. Il n'avait sûrement jamais entendu la version des médias.

Tenue ➦ Mon lait chaud doit être révélateur de secret, à moins que Minoru se sente plus à l'aise avec moi et ose ouvrir des portes qui étaient closes jusqu'à présent ? Dans tout les cas, je ne suis pas surpris qu'il m'avoue la vérité. Je ne le prends même plutôt bien, puisque je m'en doutais d'avance. Il ment, je l'ai déjà remarqué, mais je n'ai jamais rien dit. Pourquoi ? Parce que chacun possède une raison qui le pousse à faire quelque chose et que parfois, la personne ne tient pas à se justifier. Si je devais faire mon curieux et creuser un peu chez le jeune homme, il aurait sûrement dû trouver des explications pour me répondre. Or, je ne veux pas le forcer, ni l'embêter. « Pourquoi est-ce que ça devrait m'énerver ? » Il n'y a rien de mal dans l'histoire. Si Minoru ne veut pas étaler sa vie, ce n'est pas à moi de le secouer pour qu'il le fasse. Il ment, il se sait, je le sais, voilà tout. ça m'arrive aussi de déformer la réalité, de modeler les événements à ma façon pour échapper à certaines conséquences. N'ai-je pas menti sur ma relation avec Kyann pour la cacher aux yeux de tous ? Je continue à le faire, pour me protéger, pour éviter bien des catastrophes. Si le jeune homme s'amuse à dire le contraire ou se recréer une vie, c'est sûrement pour une cause particulière. Je ne vais pas lui tirer les cheveux parce qu'il ment, ce ne serait pas honnête non plus. Chacun dit les choses qu'il voudrait dire, même si parfois elles ne sont pas ce qu'elles devraient être. Pour autant, s'il veut des aveux, il peut toujours m'avouer la vérité. Là encore, je ne vais pas me fâcher, ni mal le prendre. Je lui tends un peu la perche pour l'aider, lui promettant que cela restera ici, chez moi. Mieux encore, je pourrais même lui dire que rare sont les gens qui s'aventurent dans mon appartement, et qu'il n'a rien à craindre pour son secret.

Pourquoi je mens. Ce devrait être un bon sujet de rédaction, mine de rien. Je lui laisse le temps de répondre à ma question, prenant aussi l'option qu'il pourrait ne pas le faire. C'est son droit, je ne le force pas à déballer son sac, même s'il devrait mieux se sentir après. Le temps qu'il fasse de l'ordre dans sa tête et puisse former des mots pour en sortir une phrase, je l'écoute en silence. Pourquoi ment-on ? Pour se cacher, généralement. Minoru respect le point important d'un mensonge en lui-même, pour une cause particulière. Pour se protéger, aussi. Il respect un second point non négligeable. Comment pourrais-je lui en vouloir ou m'énerver, sérieusement ? Je vois bien que Minoru fait un effort pour ne pas céder. ça relève de l'exercice, d'une contrainte, mais il tient le coup sans craquer. Dix ans sans famille. Je comprends mieux. Les fils se relient entre eux et je peux enfin faire une supposition plutôt grave. Il a été séparé des siens durant un certains temps. Je comprends mieux les précédentes paroles, les insinuations sans queue ni tête du début. Doucement, le schéma se forme dans ma tête et la brume disparaît. « Je commence à comprendre. » Par où commencer pour ne pas trop le secouer et être plutôt délicat. Je reprends une bouffée d'air et l'examine rapidement. « Tu as été séparé de ta famille en étant jeune, c'est ça ? » Est-ce vraiment la bonne question ? Il me l'a dit plus tôt. Il a été enfermé, caché et cela durant dix ans. C'est clair pour moi, c'est même très clair. « J'étudie la science politique et je sais les risques qu'on encours à retenir quelqu'un contre son gré. » Une peine lourde et des intérêts à payer. C'est évident, finalement. C'est même plus qu'évident quand j'y pense. Pourquoi je n'ai pas fait le rapprochement dès le départ ? Puis, qu'a-t-il vécu dans cette situation ? Je n'ose pas aller plus loin, ni creuser davantage. « Il y a différentes manières de mentir. Tu mens aux autres, je me mens à moi-même. Tous les jours, je me dis que ma soeur est chez moi et qu'elle est avec ma mère, mais je sais que c'est faux. Je sais que je m'invente un monde pour ne pas céder à ce cercle vicieux. » C'est bien la première fois que je lui parle de Min Ah, ou même de moi. Un sourire m'échappe et j'ajoute avant de boire une gorgée de lait chaud. « Mais j'ai rencontré une bonne épaule pour me soutenir. »

Tenue ➦ Parce qu'il trouvait ça lâche de mentir. Parce que personne n'appréciait qu'on lui cache la vérité. Parce qu'il prétendait être quelqu'un qu'il n'était pas. Parce qu'il le sauvait sans cesse et n'obtenait que des mensonges comme remerciements. Parce qu'ils étaient amis mais que pourtant Ji Hyuk ignorait encore tout de lui. Pour toutes ces raisons, Minoru aurait compris que son super héros s'emporte. Et d'une certaine façon, il s'y était préparé mentalement lorsqu'il avait orienté la conversation vers ce problème. Il s'attendait à ce que Ji Hyuk lui remonte les bretelles mais il ne semblait pas avoir l'intention de le faire. Cela l'étonnait. Il ne lui en voulait pas alors pour toutes ces histoires à dormir de bout qu'il lui avait racontées ? Minoru se mordit doucement la lèvre. En tout cas lui culpabilisait. « Je ne sais pas. Je n'ai pas aimé qu'on me mente. Alors je me dis que personne ne doit aimer ça. Non ? » Lorsqu'on était venu le récupérer pour le tirer de sa cave afin de le ramener dans le monde réel, cela l'avait énormément déstabilisé et perturbé. L'adaptation fut rude mais surtout très longue. Il avait vécu pendant dix ans avec une vision déformée de la réalité et lui faire comprendre que rien de tout ce qu'il avait connu jusque là n'était vrai s'avéra très difficile. Son ravisseur lui disait qu'il ne pouvait aller à l'extérieur car tout était trop dangereux pour lui. Qu'il était le seul à l'aimer et à pouvoir le protéger. Qu'il n'y avait rien pour lui dehors. Découvrir qu'en vérité tant de choses l'attendaient et s'offraient à lui chamboula son esprit mais aussi son cœur. Il détestait qu'on lui cache quoi que ce soit depuis mais n'hésitait néanmoins pas à se dissimuler des autres en leur servant des bobards. Ah, l'être humain, cet être constitué de contradictions.

Minoru parlait pour la première fois de ce qui lui était arrivé. Personne n'avait entendu son histoire de sa bouche avant Ji Hyuk. L'étudiant en littérature devait probablement cet excès de courage à l'alcool mais peut être n'était-ce pas une si mauvaise chose. Cela pouvait l'aider à se sentir plus léger ou à faire un pas de plus vers la guérison par exemple. Il gardait de nombreuses séquelles de ces années enfermés. Il craignait l'obscurité. Il ne supportait pas les contacts physiques. Il paniquait facilement. Mais surtout, il n'arrivait pas à en vouloir à l'homme qui l'avait rendu comme ça. C'est principalement pour ce syndrome qu'il bénéficiait d'un suivi psychologique. Il ne voyait pas du tout ce qu'il avait subi comme quelque chose de mal. Après tout, cet homme l'avait nourri, hébergé, aimé et éduqué pendant tout ce temps. Même lorsqu'il avait abusé de lui, Minoru s'était juste dit qu'il en avait le droit. Il voyait ça comme sa façon à lui de le 'payer' pour tout ça. De ce fait, il ne parlait jamais de viol. Il n'osait pas utiliser ce terme et ne comprenait pas que ses proches le fassent. Il ne se le représentait juste pas ainsi. D'ailleurs, une petite voix dans sa tête continuait de lui répéter qu'on ne lui avait rien fait de mal même s'il souffrait aujourd'hui de ces événements. Il hocha doucement la tête quand Ji Hyuk posa sa question puis la secoua. « Non, j'étais bien là-bas. Je n'avais pas envie de rentrer. Je ne savais même pas que je le pouvais. » Tous ses souvenirs avant son enlèvement avaient fini par disparaître avec le temps. Il avala une longue gorgée de lait alors qu'il écoutait malgré tout attentivement Ji Hyuk. Lui aussi, il mentait ? Il se mentait à lui-même ? Minoru fronça les sourcils. Il réalisait qu'il ne le connaissait pas. « Où est ta sœur maintenant ? » Il n'avait aucun moyen de deviner qu'elle ne faisait plus partie de leur monde. Il posait la question en toute innocence et cela se lisait sur son visage.

Peut être que c'était ça le problème ? Minoru n'avait personne sur qui il pouvait réellement se reposer. Pas de véritable ami. Pouvait-il compter Ji Hyuk comme tel ? Il n'en était même pas sur. Néanmoins, que son sauveur ait quelqu'un de ce genre dans sa vie le fit bizarrement sourire. Il avait de la chance. « Tu as de la chance. » Il l'enviait un peu. Cela devait être quelqu'un de bien, il en était sur. « Je ne sais pas si j'aurai un jour quelqu'un comme ça. » Avoua-t-il en baissant les yeux. Qui aurait la patience suffisante pour se faire une réelle place dans sa vie ? Pas grand monde, malheureusement. Il n'était jamais simple de se tenir aux côtés d'une personne psychologiquement détruite. Minoru comprenait les gens qui ne cherchaient pas à le connaître et qui préférait s'éloigner de lui. « Qui voudrait récupérer ce qu'il reste de moi ? » Avec ses blessures, ses traumatismes, ses peurs et sa sensation d'être sali à jamais. Cela devait être trop difficile à supporter.

Tenue ➦ ça fait des mois que je mens à mon père, que je joue un rôle que je déteste et que je ne souhaite à personne... Qui suis-je pour juger ? Minoru ment sans arrêt, je m'en rend compte la plus part du temps, mais je ferme ma bouche à ce sujet. Je devrais m'énerver, le réprimander, dire que c'est mal, etc. Mais non, je n'y arrive pas. Parce que je joue la même carte face à mes soucis, pour m'en éviter beaucoup d'autre. Mon père croit que je suis à Royal pour mieux étudier, mais je ne fais que le fuir en venant ici. Je m'invente des excuses, je me crée un monde pour qu'il tombe dans le piège et se contente de l'image que je veux envoyer. Franchement, mais qui suis-je pour juger un gamin dans son genre ? Nous ne sommes pas différent, même si nos histoires sont sûrement à l'opposé l'une de l'autre. « Tu n'aimes pas qu'on te mente, mais tu le fais. Nous sommes tous les mêmes, Minoru. Nous mentons sans aimer que les autres le fassent... Mais parfois, faut comprendre pourquoi. » Qu'il déforme la vérité pour se donner un genre, là c'est mal. Son vécu, je ne le connais pas. J'ai beau faire des belles phrases et dire amen à ses mensonges, j'ignore absolument tout de sa vie, jusqu'à comprendre doucement il veut en venir. Ce n'est pas bien difficile, j'aurai même dû m'en douter plus tôt. Je parle politique et droit toute la sainte journée, son cas aurait dû me sauter aux yeux, quel idiot. Minoru s'est retrouvé plongé dans un univers malsain, que personne ne voudrait subir. Je comprends qu'il puisse mentir, se créer une nouvelle vie, ou garder ces événements-là pour lui. Je ne peux pas lui faire la moral, même si je trouve ça inadmissible d'abuser de quelqu'un de la sorte. Minoru dit le contraire, avouant être bien, comme si c'était chez lui. « Il ne t'a jamais fait de mal ? Tu pouvais sortir ? » ça m'intrique, quand même. Je n'ai jamais rencontré un cas comme Minoru.

J'en reviens aux mensonges, au fait qu'il ment et que moi aussi. Je me mens à moi-même pour ne pas sombrer à chaque nouvelle crise de larme. Je m'invente une situation agréable et joyeuse, pour ne pas m'avouer que c'est l'inverse. Puis, j'ai une personne sur qui compter pour ne pas y penser et cela y joue énormément. Où est ma soeur ? Un fin sourire se dessine sur mes lèvres et je le regarde sans peine, sans éprouver de la triste. « Sûrement dans un meilleur monde que le notre. » Pourtant, je sens comme un pincement au coeur, serrant mes lèvres pour chasser ce pique de douleur. Min Ah est bien là où elle est, sans soucis, ni rien. Minoru ne peut pas savoir, comme je n'ai pas pu non plus à son sujet. Chacun à son tour, on se découvre. Quelques mois plus tôt, je n'aurai pas été capable de le dire aussi facilement, ni même de retenir mes sanglots. Peut-être ai-je finalement fait mon deuil et que Min Ah repose réellement en paix ? Je l'espère, inconsciemment, j'espère qu'elle va mieux. Depuis le temps, depuis ma rencontre avec Kyann, j'ai cessé de voir le monde à travers ma jumelle, à travers des « elle me regarde, elle est fière, etc ». Je me suis délié de ces chaînes pour vivre pleinement comme je l'entends, sans me soucier des autres. Minoru devrait faire pareil, se sentir libre d'agir à sa guise sans voir le mal de partout. Mensonge ou pas, quelle importance ?

De la chance. « J'ai dû la chercher un peu avant de l'avoir. » Répondis-je en souriant bêtement, repensant à toutes ces rencontres avec l'autre idiot. à maintes occasions, j'aurai pu le perdre, mais il s'est accroché de son côté. Voilà le résultat, nous sommes inséparables. Minoru se dévalorise à la seconde, sans même se laisser une chance. C'est étrange de prendre le rôle du mentor, de celui qui réconforte et redonne un semblant de courage. Ce serait tellement bien s'il pouvait lui aussi évoluer, grandir et découvrir. Récupérer, c'est ainsi que se catégorise Minoru, comme des débris de lui-même. Je fis la moue, avant de tapoter mon torse. « Je n'ai pas toujours été comme ça, avant. » Certes, je n'ai pas son vécu, mais j'ai eu mes expériences aussi. « Mon cas ne m'a jamais terrorisé jusqu'au jour où quelqu'un m'a comparé à un robot, une machine. Je ne pensais qu'à satisfaire mon père, qu'à écouter ses ordres sans avoir de conscience, ni d'envie particulière. J'étais... Un automate, quelque chose de mort. » Je n'ai pas besoin d'alcool pour parler, ni même de fournir des mensonges pour le rassurer. « Quand ma jumelle est morte, j'ai cru tout perdre et m'abandonner aux idéaux de mon père me semblait... Normal ? Sans intérêt ? à croire que ma vie ne m'appartenait plus, haha ~ J'avais l'impression d'être mort avec elle... Mais on m'a retiré cela de la tête, avec force, certes. » Je lui souris doucement, avant de souffler. « Ils disent tous que la vie est courte, mais je trouve pas ça juste. Elle est suffisamment longue pour trouver quelqu'un et en profiter. » Bonne morale, je me sentais pas autant capable de parler avec lui. ça fait du bien en même temps, de vider son sac et de chasser quelques démons. Je me sens vivant aujourd'hui, et c'est le plus important à mes yeux.

Tenue ➦ Tous les mêmes. Minoru pencha la tête sur le côté pendant qu'il analysait les paroles de son sauveur. Il ne pensait pas être comme les autres. Alors appartenait-il à ce 'tous' ? Ses méninges fonctionnaient à une telle vitesse que ça en était surprenant de ne pas voir de la fumée s'échapper de ses oreilles. De plus, il ne réfléchissait pas de la même manière que lorsqu'il se trouvait sobre. Là, tout se mélangeait et s'embrouillait. Il se perdait dans ses pensées et démêlait difficilement les nœuds qui ne cessaient de se créer. Cela lui donnait presque la migraine. En tout cas, même si à ce jour Minoru mentait tout le temps et par automatisme, il savait très bien au fond de lui pourquoi il se cachait comme ça. Il s'agissait de sa manière d'échapper aux autres et de fuir la réalité. Il tentait d'oublier ses mauvais souvenirs mais ils finissaient toujours par le rattraper d'une façon ou d'une autre.Il n'arrivait pas à parler de lui. Il fallait donc bien qu'il trouve quelque chose à dire à ceux qui lui posaient des questions. Alors il inventait des histoires à dormir debout. Il se rendait compte que la plupart du temps on ne le croyait pas mais c'était juste plus simple que de dire la vérité. « Je mens parce que je ne veux pas dire la vérité. C'est comme ça pour tout le monde aussi, pas vrai ? » Sauf que son secret à lui, beaucoup trop gros, nécessitait de mentir plus souvent. Qu'est-ce que les gens penseraient de lui ? Il n'avait pas envie d'attirer leur pitié. Personne n'était en mesure de le comprendre en plus. À quoi bon dans ce cas se dévoiler aux autres ? Ils risquaient juste d'en profiter pour le faire souffrir une nouvelle fois. Minoru craignait tant qu'on profite de ses faiblesses pour le mettre à terre. Il sentait qu'il se laisserait faire une seconde fois. Il ne réagissait jamais quand on s'en prenait à lui. Il encaissait juste silencieusement. « Il voulait juste me protéger. J-je... N-non. Il ne m'a pas fait de mal. Enfin... I-il avait le droit... Je sais pas. Il me... » Et la suite resta bloqué. La détresse se lisait dans le regard humide du jeune étudiant. Ses lèvres tremblaient. Il aimerait en parler à quelqu'un. Il souhaiterait tant se libérer au moins un peu de ce poids. Mais c'était si difficile pour lui.

Si Ji Hyuk apprenait à connaître Minoru petit à petit, l'inverse s'appliquait également. Avec innocence, le japonais lui avait demandé où était la sœur de ce dernier. Il ne s'attendait pas à une réponse de ce genre. Il se mordit la lèvre pour se punir. Quel idiot. Minoru ne savait pas ce que perdre quelqu'un de proche provoquait. Il se rappela des larmes de sa mère lorsqu'il était rentré et de son incompréhension face à celles-ci. Il n'avait pas saisi cette étrange douleur alors mélangée à un bonheur sans nom. Ji Hyuk était celui qui était resté alors que Minoru celui qui était parti. Il sentit cette peine que son ami cherchait à retenir. Il posa même une main tremblante sur son épaule. Une caresse hésitante. Il détestait toucher les autres ou être touché mais une force intérieur le poussa à agir ainsi. Cela ne dura que quelques secondes. Quelques secondes qui lui demandèrent beaucoup de courage. « Je suis désolé. » Puis il retira sa main dans un geste plus rapide. Il souffla ensuite bruyamment à cause de son cœur qui s'était accéléré sous la panique. Rien à faire, il n'aimait pas ça. Il n'y arrivait pas. Pourquoi ? Alors qu'il voyait si souvent des gens s'enlacer et s'embrasser. Cela ne paraissait pas leur déplaire à eux. Pourquoi lui n'arrivait pas à aimer ça ? Il termina son verre de lait. « Je suis sur qu'elle était aussi géniale que toi, pas vrai ? » Demanda-t-il alors qu'il essayait de se l'imaginer. Est-ce que ses frères seraient tristes s'il mourrait ? Il n'en était plus si sur. Ils avaient été touchés par sa disparition mais n'avaient plus tellement l'air de se soucier de lui.

Minoru hocha la tête comme s'il comprenait ce que Ji Hyuk lui disait. Chercher pour l'avoir. Il ne se voyait pas faire ça. Il ne voulait pas en fait. Il sentait qu'il serait un poids pour cette personne. Et puis le coréen se dévoila à lui. Il ouvrait son cœur. Minoru peinait à s'imaginer celui qu'il pouvait bien être avant. Il ne le connaissait qu'en tant que superman. Il l'idéalisait même peut être un peu. C'est qu'il n'hésitait jamais à venir le sauver et à encaisser les coups à sa place alors il le pensait vraiment fort, beaucoup plus fort que lui. En même temps, ce n'était pas difficile. Il frissonna tant toute son histoire le touchait. Cet amour qu'il portait à sa sœur. Si grand, si vivant et si palpable encore. Quel enfoiré, ce foutu destin, de les avoir séparés. Il en était sur, ses frères ne l'aimaient pas comme ça. « Est-ce que c'était difficile de revenir dans le monde des vivants ? » Demanda-t-il doucement. Le Ji Hyuk qu'il connaissait n'avait rien à voir avec celui qu'il venait de lui décrire. Un robot, un homme qui se sent vide et mort. Il ne ressentait aucune trace de tout ça chez lui. Cela avait dû lui demander beaucoup de courage pour remonter cette pente. Un courage dont le jeune japonais ne disposait pas. « C'est beau ce que tu dis. » Il ignorait s'il approuvait sa façon de voir les choses. Il nCe réussissait pas à apprécier le goût de la vie. Il passait encore des journées affreuses. Des cauchemars le hantaient la nuit et le jour de petits malins s'amusaient à lui faire vivre un enfer. Il se trouvait pris au piège une deuxième fois, dans une nouvelle impasse. Et en même temps, un mécanisme venait de s'enclencher. Que Ji Hyuk se mette à nu avant lui le rassurait. Après avoir essuyé ses joues humides, il s'arma de courage pour faire la même chose. « Tout le monde m'étouffe depuis que je suis rentré. Ils veulent connaître la vérité. Mais je peux pas parler de ça. Je ne veux pas, ça deviendrait trop réel. Tu comprends ? » Alors son ravisseur ne serait plus l'homme qui l'avait protégé mais celui qui l'avait enlevé avant de profiter de lui. Quelque chose de bien plus compliqué à accepter.

Tenue ➦ Ce n'est pas la meilleure idée que j'ai pu avoir de jouer les philosophe avec Minoru, il semble perdu et chamboulé. Peut-être que je n'aurai pas dû insister sur son comportement et lui accorder le bénéfice du doute. J'ai voulu le rassurer, mais j'ai crée l'effet contraire, je crois. Je pourrais presque voir la fumée sentir de ses oreilles, manquerait plus que sa cervelle s'échappe en même temps et je prendrai réellement peur. « N'est-ce pas la définition du mensonge ? Exact, nous mentons quasiment tous pour ne pas dire la vérité, mais certains n'ont aucune raison de le faire. » Il peut y avoir plusieurs cas, mais Minoru ne fait pas partie d'eux. Plus les choses à cacher sont importante, plus les mensonges sont grands. C'est la logique de l'humanité, aussi stupide pense-t-on qu'elle soit. Si je disais aux gens que mon père manipule ma vie comme il pourrait tirer les fils d'une marionnette, ils penseront sûrement que je n'ai aucune conviction, que je ne suis pas mieux qu'un chien. Mépris, moquerie, mauvais regard, profit, rejet. Qu'importe où ça mène, ce sera toujours douloureux et infranchissable. Son histoire me laisse de plus en plus perplexe. Est-ce qu'il l'a mal vécu ? Se sentait-il vraiment mal là-bas ? Je ne comprend pas. « Le droit ? Le droit de quoi, Minoru ? Il te ? » Qu'est-ce qu'il pouvait bien lui faire ? Quoi que, je devrais pas aller trop loin, il en a déjà beaucoup trop dit. « ça va aller, ne te force pas à parler de ça, je comprends. » Son regard ne me donnait pas envie d'insister, ni de le secouer. Le jour où il voudra se libérer, je serais là. Ce doit être trop tôt, trop rapide pour l'instant et je peux être très compréhensible.

Cette douleur est présente un peu partout et quoi que je puisse faire, personne ne pourra réellement me la retirer. Ma soeur jumelle était une moitié de moi, une partie de mon être et de ma complicité. C'est difficile à dire, mais je vis avec chaque jour qui s'écoule. Je ne peux faire autrement que voir la réalité en face, réaliser que je suis là parmi les vivants, tandis qu'elle est là-bas parmi les morts. Chacun son monde, chacun son chemin. à part l'étouffer ou la repousser, cette douleur ne disparaîtra jamais vraiment, pesant comme un poids lourd. Le geste de Minoru me surprends, mais je reste silence, me contentant de sourire faiblement. Jusqu'à présent, il ne m'a jamais touché, ni vraiment approché de très près. ça m'étonne ce genre de comportement, mais en même temps ça me fait plaisir. Minoru n'était pas totalement hermétique au monde qui l'entours, je hoche doucement ma tête à ses mots. « Ce n'est rien. » Quelques mois plus tôt, je me serais sûrement transformé en fontaine pour verser toute les larmes de mon corps, mais pas aujourd'hui. Je suis fort, Min ah est ma force. Il me fit rire malgré moi, acquiesçant d'un nouveau signe de tête. « Elle était encore plus géniale que moi. » Et je le pense vraiment. Une sorte de moi-même mais en dix fois mieux, parfaite et sûrement adoré par tous. Ce que je ne suis pas vraiment, en réalité.

C'est dure à avouer, à raconter, comme si c'était un secret difficile à prononcer. Je n'ai pas toujours été son sauveur, son superman. Il fut un temps où c'était tout l'inverse, où je n'étais rien de tout cela, juste une machine sous les ordres d'un tyran. Mon père n'a jamais été quelqu'un d'appréciable ou d'aimable, mais j'ai toujours été obéissant envers lui. Du moins, jusqu'à tomber sur Kyann et comprendre que je vivais dans un gros mensonge. C'est une façon de lui décrire un mensonge, une manière de mentir. Est-ce que c'était difficile de revenir parmi eux ? Je souris, hochant encore de la tête. « Très difficile, je n'aurai jamais cru cela possible. » J'exagère un peu, même si j'ai fui Kyann durant une bonne semaine, pour ne pas briser mon mensonge et garder mes barrières. C'est beaucoup mieux de vivre dans la réalité, d'affronter les choses comme elles viennent. ça me gêne d'ouvrir mon coeur aussi brusquement, glissant ma main dans mes cheveux en gardant un sourire aux lèvres. Beau, je ne pensais pas que mes mots seraient aussi beaux pour lui, mais ça ne peut que me réchauffer le coeur. Son récit devient plus compréhensible et je le regarde un instant. « Ils le savent ? Leur as-tu dit ? » C'est compliqué comme situation, surtout si les adultes ne pigent pas et insistent. Je souffle doucement, sirotant mon verre en songeant à des solutions. Sauf que je n'en possèdent aucune, malheureusement. « Tu as déjà pensé à l'écrire quelque part ? Vider ta tête sur du papier ou dans un ordinateur ? Ce serait une bonne solution pour départager le réel de l’irréel. à moins que tu veux pas accepter la réalité ? » Là est la question. Veut-il seulement se rendre compte que son vécu n'est pas saint, ni amusant. Il a été retenu contre son gré durant des années, en pensant être bien ou que cela soit juste et que son ravisseur possédait un droit sur lui. Il a tord, mais peut-il l'accepter ? Je ne suis pas en mesure de lui balancer cette image au visage.

Tenue ➦ Rien à faire. Il n'arrivait pas à le dire. L'envie ne manquait pas. Il sentait que ça ne pouvait que lui faire du bien et même l'aider à avancer. Mais c'était comme si sa bouche refusait d'utiliser ces mots. Ces mots qu'il entendait pourtant parfois dans la bouche de ses parents, à la télé ou chez sa psy. Il ignorait s'il s'agissait d'un vilain tour de l'alcool mais il les entendait dans sa tête. Il résonnait. Ces questions. Les mêmes. Toujours les mêmes. Qu'est-ce qu'il t'a fait ? Est-ce qu'il t'a touché ? T'a-t-il fait du mal ? Ji Hyuk n'osa pas non plus lui demander. Cela chamboula d'autant plus Minoru. Il réalisait que ces mots dérangeaient tout le monde. Qu'ils gênaient. Il renifla bruyamment et passa ses doigts sous ses yeux pour effacer les quelques larmes qui venaient à peine de couler. Qu'est-ce que Ji Hyuk pensait de lui à présent ? Il disait qu'il comprenait mais qu'avait-il compris ? Minoru se mordit la lèvre. Il ne parvenait plus à chasser les images de ces années passées dans le noir. Elles revenaient sans cesse. Elles lui rappelaient ce qu'il lui avait fait. Ji Hyuk ne s'imaginait peut être pas ce qu'il venait de déclencher. Et puis, comme pas mal de personnes, Minoru passait par différents stades à cause de son état. L'euphorie, la panique et à présent l'angoisse. Cela lui donnait mal à la tête. Mais aussi une envie bizarre et une force étrange. « Tu sais. » Il tourna un peu la tête vers lui pour le regarder. « Tu as deviné, pas vrai ? » Ji Hyuk n'était pas un idiot. Moins naïf que Minoru, il avait sans aucun doute relier tous les éléments entre eux. Il n'avait pas prononcé « le mot » mais il avait deviné ce qu'il avait vécu.

Minoru n'aimait pas qu'on le touche parce qu'il craignait toujours que ce soit pour le blesser. Il associait tous les contacts physiques à de la violence. Même ceux qui ne devraient pas l'être. De la simple caresse au rapport sexuel, il n'avait plus envie qu'on s'approche de lui. Pourtant, il esquissa un mouvement vers Ji Hyuk. Un geste qui se voulait réconfortant mais qui ne s'éternisa pas. Quelques secondes à peine. Mais des secondes précieuses. Il espérait que son héros le savait. Un timide sourire. Il essayait de se représenter la sœur de Ji Hyuk. Elle devait être jolie. Gentille sûrement. Courageuse comme son frère peut être ? Encore plus génial que lui ? Minoru ne dit rien mais il doutait que cela soit possible. Il trouvait Ji Hyuk extraordinaire. Ce mec arrivait toujours au bon moment pour le sauver. Alors qu'ils devaient avoir à peu près le même gabarit, il était fort et n'avait pas peur de se battre. Il pensa d'ailleurs qu'il avait beaucoup de chance d'être apprécié par lui.

Il n'arrivait pas à se dire qu'un jour, Ji Hyuk avait été un peu comme lui. En situation de détresse, faible et sans personne pour le sauver. Pour lui, il était un super héros. Un mec solide. Il découvrait une nouvelle face de son protecteur. Et il l'appréciait encore plus. Il se rendait compte qu'il n'y avait rien de tout blanc ou de tout noir. Que chaque personne avait ses failles. Mais surtout qu'il était possible de se relever et de garder la tête haute. « Mais maintenant, ça va ? » Si Ji Hyuk était revenu dans le monde des vivants, pouvait-il y parvenir lui aussi ? Une nouvelle fois, Minoru se déconnecta de la réalité et se perdit dans ses pensées. Il souffrait depuis que son kidnappeur avait levé la main sur lui. Avant, quand il ne faisait que lui lire des histoires, l'éduquer ou lui apporter à manger, ça allait. Il se disait que c'était normal. Que cet homme le protégeait des horreurs du monde extérieur. C'est ce qu'il lui disait tout le temps. Tu ne peux pas sortir parce que les gens sont tous méchants. Et puis un jour, il l'avait frappé. Parce que Minoru avait refusé de lui faire « du bien ». Comme Ji Hyuk lui avait confié ses douleurs et dévoilé ses cicatrices, il se sentait plus à l'aise. Il lui avoua qu'il étouffait à cause de sa famille. Qu'ils en attendaient trop de lui. Mais surtout que s'il ne voulait pas en parler c'était parce qu'il craignait de rendre ça trop réel. De devoir accepter. Accepter d'être une victime. Et Ji Hyuk frappa en plein dans le mille. Minoru ne voulait pas voir la réalité. Il préférait ses mensonges. Sa question le bloqua. Il se figea. Il resta longtemps à simplement fixer ses pieds. Des tas de choses se bousculaient dans son esprit. « Mes parents savent tout. » Sa voix tremblait un peu et sa respiration devenait bruyante. « Il a tout avoué. » Mais pas Minoru. Lui refusait de reconnaître ce qui s'était passé dans cette cave. « Les coups. » Il parlait tout doucement. On l'entendait à peine. Ji Hyuk avait plutôt intérêt à bien tendre l'oreille s'il voulait découvrir le vrai Minoru. « Les. » Encore un effort. Juste un. Il fallait qu'il prononce le mot. Il était assez grand maintenant pour en comprendre le sens. Il savait qu'il était une victime. Il ne pouvait plus se mentir. « Viols. » Un chuchotement. Mais il l'avait dit. Après tout ce temps, il l'avait dit à quelqu'un. Pas à sa famille, pas à sa psy ou aux policiers. Mais à quelqu'un qu'il ne connaissait pas vraiment et qui pourtant lui sauvait constamment la vie. Et ça faisait sens de le lui dire.