TENUE ■ Quelques jours plus tôt, je fêtais mes 21 ans. C’est toujours un peu bizarre d’être sans mes parents ce jour-là. Mais je ne suis pas le genre à faire la fête pour mon anniversaire, même si toute occasion est bonne pour faire la fête. Mais Eri avait insisté pour qu’on célèbre ça. Eri ? Une fille que j’ai rencontrée sur mon lieu de travail. Je crois même l’avoir repérée la première fois qu’elle a passé commande au Starbucks. Il faut dire qu’elle ne passe pas inaperçu. Et puis elle est revenue le lendemain, puis le surlendemain. A force de la voir quasiment tous les jours, j’en suis venu à lui parler. Et c’est comme ça qu’on est devenu amis. Enfin, amis … Depuis quelques temps, je la regarde différemment. Ou bien est-ce que je m’en rends compte seulement maintenant ? C’est sûr qu’elle m’a plu dès que je l’ai vue. Mais c’est devenu bien plus que de l’attirance physique. Je ne peux plus me mentir à moi-même. Pourtant, je ne lui ai encore rien dit. Pourquoi ? Parce que je suis égoïste. Soyons honnête, si nous sommes ensemble, l’un ou l’autre devra sacrifier son rêve pour suivre l’autre. Et ça, je crois que ni Eri ni moi ne sommes prêts à le faire. On est trop jeunes pour se prendre la tête comme ça. Alors on garde le silence. Parce que je ne suis pas idiot – enfin, pas complètement. J’ai bien remarqué ses regards, à elle aussi. Je me doute que je ne la laisse pas complètement indifférente.

J’arrive finalement devant le petit resto que j’ai choisi. Elle a voulu qu’on le fête, mais c’est moi qui dois l’inviter. Pourquoi est-ce que j’ai dit oui, déjà ? Elle est déjà là à m’attendre et un sourire se dessine sur mon visage. J’aime passer du temps avec cette fille. Parce qu’elle est chiante et belle à regarder. Et puis, elle rit à mes blagues. Ouais, en gros, elle a su me charmer. Avec mes exs, ce n'est pas pareil qu'avec elle. Je veux dire, je m'intéresse vraiment à elle. Une fois devant Eri, je me penche pour embrasser sa joue, faisant exprès de frôler la commissure de ses lèvres avant de me détacher pour l’étudier. « T’as pas trop attendu ? Tu es magnifique ! ».

TENUE ■ Ce soir je me fais payer le restaurant. J'en ai de la chance. En même temps, c'est moi qui ai suggéré l'idée et qui me suis invitée... En effet, il y a quelques jours c'était l'anniversaire de Seiki, je me suis dit que ça serait sympa qu'on le fête ensemble. C'est vrai que ça peut paraître étrange de le fêter que nous deux, comme si nous étions un couple, mais à vrai dire c'est un peu le but. Je connais Seiki depuis un an et demi maintenant, mais bizarrement j'ai l'impression de le connaître depuis toujours, et j'aimerai qu'il reste auprès de moi pour toujours également. Je sais que je pense de façon très égoïste car malgré tout ce je ressens pour lui, je sais très bien qu'il n'abandonnera pas son rêve pour pouvoir m'accompagner dans le mien. Et malheureusement, je ne suis pas sûre de vouloir abandonner mon rêve pour lui non plus, pas tout de suite. Je me torture l'esprit dès que j'y pense alors, par moment, j'essaie juste de ne pas y penser et de vivre au jour le jour avec Seiki.

Malgré que je me fasse payer le resto alors que c'est SON anniversaire, je ne suis quand même pas si nulle que ça, je lui ai acheté un petit cadeau, et j'ai déjà réglé par avance le gâteau que nous mangerons en dessert. Mais pour le moment, je l'attends juste devant le restaurant, pas très réchauffée en ce mois de janvier. Il ne me fait pas attendre bien longtemps, je le vois déjà au loin, se diriger d'un pas pressé vers moi. Il m'embrasse sur la joue dès qu'il arrive et me complimente sur ma tenue. Je ressens une drôle de sensation dans le bas de mon ventre alors que ses lèvres se trouvaient tout près des miennes lorsqu'il me dit bonjour. S'il commence comme ça on est mal parti... « Nan je viens d'arriver. C'est gentil t'es pas mal non plus. » Je lui souris, je ne suis pas très objective envers Seiki, il pourrait s'habiller avec un sac poubelle que j'arriverai à le trouve le beau... A vrai dire, Seiki est loin de ressembler à tous ces mecs pour qui j'arrive à avoir un "coup de foudre" en deux secondes. Avec lui c'est totalement différent et je le sais, ce n'est pas qu'une attirance physique, c'est un tout. « On rentre ? Je caille en robe dehors. ». Je commence à frissonner. Après une courte hésitation j'attrape le bras de Seiki et l'entraîne à l'intérieur du restaurant qu'il a réservé ce soir.

TENUE ■ Ouais, Eri est vraiment magifique ce soir et je ne me lasse pas de la regarder. Mais elle commence à frissoner et je réalise qu’elle n’a ni veste, ni manteau. Est-ce qu’elle sait qu’il fait très froid, particulièrement quand la nuit tombe ? Je ris, me moquant un peu d’elle et me laisse entrainer à l’intérieur. Quelques serveurs nous saluent et l’un d’eux va pour nous installer. J’avais bien spécifié à ce qu’on est la table la plus reculée et la plus tranquille, histoire de ne pas être emmerdé. On commence par commander les boissons puis je me défais de ma veste. L’endroit est timidement éclairé. Le tout donne une atmosphère intimiste. Ouais, bon, moi qui ne voulais pas me la jouer romantique, je crois que c’est raté. Les cartes sont toujours posées sur la table et je n’y prête pas plus attention que ça. En lui jetant un coup d’œil, on dirait qu’elle a un peu de mal à se réchauffer. Sans vraiment réfléchir, je lui attrape les mains et les réchauffe dans les miennes, en frottant dessus. « T’es bête, pourquoi t’as pas pris de manteau ? Tu voulais repartir avec le mien, avoue !? » La galanterie ce n’est pas vraiment mon truc. Tenir la porte, pousser la chaise, porter les sacs … Je n’ai pas le réflexe de le faire et je ne vois pas pourquoi je le ferais, à vrai dire. Les mains d’Eri sont glacées. Elle n’a même pas pris la peine de mettre des gants. Soit elle est tête en l’air soit trop pressée de me voir. Quoique … Je me demande si Eri est le genre de fille à refuser de porter telle ou telle chose parce que ça n’irait pas avec le look qu’elle voulait donner. Le genre à marcher le manteau ouvert parce que ça fait plus classe, à mettre des bonnets uniquement parce que c’est mignon.

Je finis par lâcher sa main et m’appuie contre le dossier de ma chaise. Cela fait quoi ? Une bonne semaine que nous ne nous sommes pas vus. Elle a ses compétitions à préparer, moi je suis occupé entre le boulot, les cours et le club photo. Et puis je ne suis pas un accroc du téléphone. C’est rare les fois où je lui envoie un message et encore plus rare que je l’appelle. Alors forcément, on passe vite des semaines sans se voir. En la regardant, son visage de poupée, ses cheveux qui tombent sur ses épaules, entendre tout simplement le son de sa voix, je réalise qu’elle m’avait manqué. Bon sang, je deviens vraiment chiant à force ! Je finis par tousser pour chasser les pensées de ma tête et plante mon regard à l’extérieur. « Alors, comment ça se passe ton entrainement ? Tu vas participer aux JO cette année ? » Ca voudrait dire que je ne la verrais pas pendant un moment. Ou alors, je ferais un saut. J’ai toujours rêvé de visiter Rio.

TENUE ■ La vérité au sujet du fait que je n'ai pas pris de manteau... En fait, j'étais complètement à la bourre, ayant changé à peu près quinze fois de tenue avant de me décider pour cette robe noire. Au final, je suis partie dans la précipitation, et la tête en l'air que je suis n'a réalisé qu'une fois arrivée au pied de l'immeuble, dehors, que je n'avais pas de manteau. J'aurai bien pu remonter pour le prendre mais à vrai dire, je me suis dit que le restaurant n'était pas bien loin et que Seiki serait déjà là-bas entrain de m'attendre, qu'on rentrerait directement. Malheureusement pour moi, malgré le retard que je pensais avoir pris, je suis arrivée la première et j'ai dû l'attendre... Heureusement, pas assez longtemps pour chopper une pneumonie. « Ouai, j'espérais que tu serais galant pour une fois. » Je grimace avec une petite moue boudeuse, pour l'embêter bien évidemment.

Je regarde nos deux mains les unes dans les autres, Seiki tentant de réchauffer les miennes, le sourire aux lèvres. Je dois l'avouer, je profite de chaque contact que je peux avoir avec lui, chaque fois je crois comprendre ce qu'il ressent pour moi lui aussi. Intérieurement, ça me rassure, mais ça me fait aussi atrocement peur. Finalement il lâche mes mains que je repose sur le dessus de mes cuisses. A croire que pour le moment nous ne sommes pas franchement attirés par les menus car nous ne prêtons même pas attention aux cartes.

Seiki me parle de l'entraînement et des JO. Je lui ai envoyé un message l'autre jour pour lui dire que j'allais y participer. A part Shun et lui, pour le moment, personne d'autre de mes proches n'est au courant. Pas même mes parents. Ma meilleure amie non plus ne le sais pas encore, mais je n'ai pas envie de le lui dire par sms, j'aimerai bien lui apprendre la nouvelle en face, de vive voix. J'hoche le menton, les yeux pleins d'étoiles. « A moi les médailles d'or ! ». Je rigole doucement. Les jeux olympiques c'est mon plus grand rêve, un rêve de gamine. Certaines rêvent de devenir des stars, moi je rêve de monter sur la première marche d'un podium olympique. Je suis totalement excitée à l'idée de partir à Rio cet été. Forcément, cela implique que je ne verrai pas Seiki pendant un bon mois mais en fait, ça arrive qu'on ne se voit pas pendant plusieurs semaines. Et le pire dans ces moments-là, c'est qu'il répond rarement aux messages. Ce qui m'agace plus tout en réalité. « T'auras intérêt de répondre aux sms que je t'envoie quand je serai là-bas » dis-je sur un ton légèrement rancunier.

Mon ventre commence à gargouiller, heureusement je le sens mais il ne fait pas de bruit, pas encore tout du moins. Je m'empresse donc de finalement attraper une carte et parcours le menu des yeux. « Et toi, tu recherches un stage en ce moment ? »

TENUE ■ « Montre-leur de quoi on est capable, Aomine! » Je ne me fais pas trop de soucis pour elle. Eri est une bosseuse. Ça se voit dans ses yeux qu’elle attend ce moment avec impatience. Je sais qu’elle ne laissera pas passer sa chance. Même si ça ne me concerne pas ; même si je ne vais pas pouvoir la voir pendant quoi, un mois ; je suis hyper heureux pour elle. Un peu jaloux aussi, je pense. Eri a la chance de voir son rêve se concrétiser et je suis encore là à trainer. Il faut que je la prenne comme exemple et que je me bouge un peu plus. Depuis que je suis arrivée à Tokyo, je me laisse aller dans mon train-train quotidien. Les cours, le boulot, les révisions, le club et les amis. Je n’ai pas l’impression d’avoir fait quelque chose pour faire avancer les choses. Je me contente de rester là, à attendre que ça se passe. Sauf que voilà, j’ai bossé dur pour mettre des sous de côté et me payer pleins de voyages, mais aussi pour avancer, professionnellement parlant. Malgré tout, je suis encore là, à me laisser vivre. Ça ne va pas du tout.

Je souris à la remarque d’Eri. Encore une fois, je ne suis pas un fan de toute cette technologie. Je préfère le contact direct et ça me soule franchement de communiquer par l’intermédiaire d’un téléphone. Je ne sais jamais quoi dire. Alors j’acquiesce finalement et tapote doucement sur la table. « Si tu m’envoies des photos, je te répondrais », dis-je en lui adressant un clin d’œil. Bien sûr, c’est plus pour la taquiner. Je ne pense pas vraiment ce que je dis. Si, d’habitude, je réponds très peu à ses messages, une fois qu’elle sera à Rio, tout sera différent. Je ne pourrais pas venir l’embêter dans les couloirs de la Royal, ni débarquer à l’improviste à la fin de son entrainement. Quand elle est là, c’est plus simple. Le manque n’est pas le même. J’ai de plus en plus envie de venir la rejoindre à Rio, mais je laisse cette idée me trotter dans la tête. Je décide de ne pas lui en parler, parce que ce n’est pas encore sûr et parce que la surprise sera plus sympa. « Ouais, j’aimerais bien partir un peu. Je sais pas où encore. Mais j’ai postulé à quelques offres à l’étranger … » Indépendamment de ma volonté, on sentait l’excitation dans ma voix. J’avais hâte de partir à mon tour, de découvrir le monde en faisant ce que j’aime. J’avais bien quelques pistes, la plupart au Canada. Mais j’étais un peu superstitieux. Je ne voulais rien dire avant que tout soit sûr. Un trait que je tenais de ma mère d’ailleurs.

Le serveur nous apporta les boissons et à mon tour je me penchais sur la carte. « Ne pense même pas à prendre un de tes jus aux légumes ou bien tes plats basse calories ! Sinon je ne t’invite pas ! » Je comprenais la nécessité pour elle d’entretenir son corps d’athlète, mais par moment, elle pouvait être particulièrement agaçante à contrôler ce qu’elle mange. Pour la peine, je lui attrape la carte et interpelle le serveur, commandant deux udon. Je lève mon verre plein en sa direction et finit par lâcher : « à la future médaillée ! »

TENUE ■ Evidemment, comme c'est mon rêve depuis toujours, je suis totalement excitée à l'idée d'aller aux jeux olympiques. J'ai tellement attendu qu'on m'annonce cette nouvelle et maintenant que c'est fait j'attends impatiemment de poser les pieds sur le sol brésilien et ramener tous pleins de médaille. Bon déjà si j'en ramène une c'est déjà bien. Certes, lorsque je faisais des compétitions avec les juniors jusqu'à l'année dernière, je faisais partie des meilleures mondiales, mais cette année je ne vais plus jouer dans la même cours, encore mois une fois aux JO, je vais me retrouver avec des nageuses qui ont une bien plus longue expérience et qui sont largement meilleures que moi. Mais j'espère tout de même être capable de me défendre, et je suis confiante sur le fait que je ramènerai au moins une médaille.

« T'attends quoi ? Des photos en maillot de bain ? Si c'est le cas tu peux toujours courir... » En plus les maillots de bain une pièce de compétition ne sont pas tout ce qu'il y a de plus sexy. Et puis d'où je lui enverrai une photo de moi dans ce genre de tenue ? Déjà que lorsqu'il vient me voir à la piscine je suis toute gênée de me montrer en si petite tenue devant lui - alors que ça ne me gêne devant personne d'autre...

Je lui demande alors où il en est dans sa recherche de stage. Je sais qu'il rêve de partir à l'étranger, et je sais que ça n'est pas seulement pour ses stages mais pour toute sa vie. Et c'est bien pour ça que je refuse en partie de m'engager avec lui et de lui avouer clairement mes sentiments. Alors, même si je lui pose la question, mon coeur se serre lorsqu'il me répond. Je n'ai pas envie qu'il parte loin, et pour longtemps, j'ai peur qu'il m'oublie. Sa passion est bien plus importante que moi... Qu'est-ce qu'il se passerait s'il trouvait une copine à l'étranger, pendant son stage ? Je n'aurais pas le droit de l'en empêcher, ça n'est pas comme si nous étions ensemble. Mais je ne voulais pas que ça arrive. Je baisse le regard vers mes mains, tout en lui répondant par un hochement de tête timide. Je suis tellement égoïste...

« C'est bon les jus de légumes, si tu en mangeais un peu plus... » Je ne finis pas ma phrase, réalisant que je n'ai pas grand-chose pour la compléter. Le corps de Seiki était plutôt parfait, je ne vois pas trop ce que le jus de légume pourrait lui apporter. Je rigole légèrement. « Ca me va, ça fait longtemps que j'en ai pas mangé » lui dis-je après qu'il m'ai pris la carte des mains. Et puis après tout c'est lui qui paye - pour son propre anniversaire - alors je peux bien le laisser choisir. En plus, ce n'est pas comme si j'étais difficile. C'est sûr que je bois beaucoup de jus de légumes, mais je suis loin d'être difficile niveau nourriture, bien au contraire. Je lève mon verre et trinque avec Seiki. « A ton anniversaire aussi peut-être non ? On est là pour ça ! » Je rigole encore une fois, c'est sûr que vu le contexte, on ne dirait pas du tout qu'on est là pour fêter l'anniversaire de Seiki.

TENUE ■ Je lève un sourcil. Si j’en mangeais un peu plus … quoi ? Mais je vois qu’elle ne me fait pas l’affront de terminer sa phrase, alors je laisse filer. Eri me laisse docilement commander nos plats et on passe à autre chose. je fais résonner mon verre contre le sien. « Ouais … C’est vrai qu’à la base tu es là pour moi. », dis-je en lui adressant un large sourire. Bon, je ne suis pas du genre à fêter mon anniversaire. C’est juste une occasion pour faire la fête. Ce soir, c’est juste l’occasion pour avoir un moment avec Eri. Franchement, la compagnie du sexe opposé, en règle générale je trouve ça plutôt chiant. Je veux dire, c’est sympa un moment. Mais le problème c’est qu’elles peuvent se vexer facilement et puis on doit faire constamment attention à ce qu’on raconte, pour pas les choquer. Mais bon, Eri, ce n’est pas vraiment pareil. Déjà, parce qu’elle ne ressemble en rien aux autres. Pour moi, Eri a toujours été spéciale, même avant que j’ai pour elle des sentiments qui dépassent la simple amitié. Mais c’est facile de rire avec elle … et d’elle, aussi, avouons-le. J’aime l’embêter, la voir se mettre en colère. Parce que la seconde suivante, j’aime la déconcerter, lui pincer la joue, la prendre par les hanches ou lui donner une pichenette sur le front. C’est ma façon à moi de lui dire de ne pas me prendre au sérieux, que je ne pense pas sérieusement ce que je dis.

Je porte le verre à mes lèvres et le vide d’une traite. D’avoir parlé de nos futurs départs à l’étranger a refroidi l’ambiance. Plus nous avançons dans nos vies, plus je vois le moment où nous entamerons chacun nos carrières se rapprocher. Ce moment où nos chemins vont se séparer. A force d’y réfléchir, j’en arrive à la conclusion qu’il faut que je trouve une solution. On ne peut pas se quitter sans s’être dit ce que nous pensons franchement de l’autre. Je me racle la gorge pour dissiper mes pensées. L’heure n’est pas encore aux révélations. Pour être honnête, je ne suis jamais tombé amoureux. Bien sûr, j’ai eu des coups de cœur. Mais ce n’est jamais allé plus loin qu’une passion qui grandit et s’en va aussi sec. Je n’aime pas l’idée de m’enchainer à quelqu’un, de me dire que mes humeurs dépendront d’une autre. C’est trop de prises de tête pour moi. C’est peut-être gamin comme façon de penser, mais c’est mon sentiment actuel. Je pose le verre vide et pose mon coude sur la table pour appuyer ma joue sur mon poing. « Bref, t’as intérêt à faire attention et à pas te laisser embobiner par n’importe quel mec une fois au Brésil ! » Bon, pour changer de sujet, c’était raté. Mais c’était une manière déguisée de lui dire qu’elle n’avait pas intérêt à regarder ailleurs. « Mais sinon … Où as-tu rangé mon cadeau ? » Je ne vais pas le nier, j’aime quand m’offre des cadeaux. Tout sourire, je tends les deux mains vers elle, attendant qu’elle me remette mon cadeau.

TENUE ■ Certes, c'est lui le sujet principal de la soirée, et on a un peu tendance à l'oublier, mais ce n'est quand même pas de ma faute s'il trinque de lui-même pour ma réussite... Je souris à sa réflexion. C'est un peu une excuse tout ça, parce que je sais pertinemment qu'il se fiche un peu de fêter son anniversaire, ça ne lui changera rien à sa vie, c'est juste un prétexte pour se faire un bon resto ! Je regarde Seiki avec des grands yeux lorsque je le vois descendre son verre d'une traite. « Tu as décidé de te prendre une cuite pour oublier que tu es avec moi c'est ça ? » Je rigole légèrement en buvant à mon tour une gorgée, reposant délicatement mon verre sur la table. Je soupire légèrement. « Par qui veux-tu que je me fasse embobiner. Je vais être enfermée vingt-quatre heures sur vingt-quatre entre l’hôtel, le bus et la piscine alors... ». Je ne pars pas en voyage. Au contraire de lui lorsqu'il part à l'étranger, il y va pour découvrir et visiter le pays. Moi, lorsque je pars, j'ai généralement seulement une journée de lire pour flâner, et encore, seulement quand il s'agit de longue compétition.

Et puis je suis une fille indépendante. J'en ai assez qu'on soit toujours sur mon dos. Déjà que mon frère est pas mal dans le genre, si il pouvait intégrer une caméra dans ma peau pour savoir où je suis et ce que je fais 24/24 il le ferait, alors si maintenant Seiki s'y met je ne suis pas sortie de l'auberge !

« Je t'ai rien acheté... » Je fais une petite moue à Seiki avant de partir à rigoler. « Je rigole ! Mais je te trouve un peu pressé quand même, je comptais te l'offrir en même temps que le dessert. Et puis c'est pas bien de réclamer... ». Je nargue Seiki avec un petit sourire en coin. Je n'ai pas du tout l'intention de le lui offrir maintenant. Il attendra. J'ai mis tellement de temps à trouver une idée pour son cadeau que ça serait dommage de le lui donner tout de suite. En vrai j'ai peur que mon cadeau ne lui plaise pas, c'est pas grand-chose. J'ai eu du mal à trouver une idée car même si je connais bien Seiki et que je sais ce qu'il aime, c'est assez délicat. Comme j'ai deux cadeaux pour lui, j'espère quand même que l'un des deux lui plaira, ou au moins qu'il fera semblant. « D'ailleurs, oublie pas que mon anniversaire à moi c'est bientôt hein ! »

TENUE ■ Je ne la crois même pas quand elle me dit n’avoir rien acheté. Ça ne ressemble tellement pas à Eri. Mais je rentre dans son jeu et lui adresse la même moue, avant qu’elle m’avoue attendre le dessert et me réprimander en même temps. Ce n’est pas de ma faute, je ne suis pas de nature patient. Je ne sais pas attendre et quand je suis au courant que quelque chose va me revenir, je ne supporte pas l’attente. Mais je ne fais pas plus l’enfant et décide d’attendre sagement. Enfin, non sans avoir tapoté nerveusement sur la table et plisser les yeux pour lui envoyer mentalement des éclairs. Le serveur nous apporte les plats chauds et je commence déjà à me saisir des baguettes quand Eri me rappelle à l’ordre. Oublier son anniversaire ? Ce serait difficile avec elle, comme elle ne manque pas de me le rappeler à chaque occasion. Les baguettes contre ma bouche, les yeux en l’air, je fais mine de réfléchir. « Ton anniversaire … Hum, c’est à la fin du mois, non ? » Je lève fièrement le doigt, comme si j’avais fourni une bonne réponse. Mais bon, au fond, je sais très bien que son anniversaire est le 15 Février. Je fais exprès de taquiner Eri à ce sujet. Il n’y a pas moyen que je l’oubli, si je ne veux pas m’attirer les foudres de la demoiselle. Elle a beau être petite, il ne vaut mieux pas la mettre en colère. Sans attendre de réaction de sa part, je commence à manger. Je ne suis pas un difficile en plat, j’aime tout, du moment que ça me remplit le ventre. Je regarde Eri du coin de l’œil, juste pour vérifier qu’elle touche à son assiette, au moins deux bouchées et je serais content. J’apprécie l’effort qu’elle fait pour moi ce soir. « Si tu veux, on ira courir ce week-end, mademoiselle la championne. » Je ne suis pas un grand sportif mais j’adore me défouler. Alors ça ne me dérangerait pas que de courir, surtout en compagnie d’Eri. Je sais que nous ne resterons pas sérieux bien longtemps. Ça va très vite se transformer en chamailleries et se finir en compétition. C’est ce que j’aime le plus chez elle : sa spontanéité. Rien à voir avec ces filles coincées qui ne pensent qu’à leur apparence et refusent de se faire remarquer. Le repas se passe plutôt tranquillement. On échange à quelques reprises. Je lui parle des cours que j’ai en ce moment, de mon club de photographies. Je lui promets de lui montrer les dernières photos que j’ai prises. De son côté, je lui demande comment avance les cours, si elle ne privilégie pas la natation, si elle a battu son record du dos crawlé. On parle de sa dernière virée shopping et je me moque gentiment de sa collection de fringues. Un repas normal avec Aomine Eri, en somme. Je pose finalement mes baguettes sur mon bol et m’étire de tout mon long. Mes longues jambes viennent frôler celle d’Eri, planquées sous sa chaise. Je bascule la tête en arrière. Le restaurant s’est peu à peu rempli. Comme nous sommes dans le fond de la salle, le bruit ne nous atteint pas vraiment, enfin, le volume sonore est moins dérangeant que si nous étions au centre de la pièce. Je me redresse légèrement pour me saisir de mon téléphone, dans la poche de mon pantalon et glisse à côté d’Eri. Je m’étale plus que me poser sur elle et lève au-dessus de nos têtes le téléphone qui est déjà sur appareil photo. « Le souvenir de la soirée. Sois jolie ! »

TENUE ■ Il n'oserait jamais oublier mon anniversaire, je le sais, alors je me contente simplement de le foudroyer du regarde lorsqu'il prétend se tromper sur la date. De toute façon il ne pourra pas l'oublier, je le lui rabâche bien assez souvent, comme je le rabâche à tout mon entourage en réalité... En tout cas j'espère qu'il aura plus d'inspiration pour mon cadeau que moi pour le sien, quoi que j'espère vraiment que ça lui plaira quand même !

Nos plats sont arrivés et je regarde avec appétit mon assiette. Seiki a fait un bon choix. En fait, je suis loin d'être difficile sur la nourriture, je crois que j'aime tout, seulement ce sont mes obligations qui m'empêchent de manger ce que je veux. Parfois je me dis que ça n'est pas plus mal, vu que je suis du genre très gourmande et bouffe tout, si je ne pratiquait pas la natation à un niveau élevé avec un régime stricte, je serait certainement obèse aujourd'hui... Et Seiki ne se tiendrait pas en face de moi. C'est vrai ! Je veux bien qu'il m'apprécie pour ce que je suis, mais je suis certaine que si je faisais dix ou quinze kilos de plus, je n'aurais peut-être pas la même place dans son coeur que celle que j'ai aujourd'hui. Enfin que je crois et espère avoir. J'attrape mes baguettes et commencent à manger alors que Seiki garde son regard posé sur moi. « Quoi ?! T'as vu un extraterrestre ? ». Je rigole et continue de manger. Ok, j'ai l'habitude de manger des plats équilibré et de boire des jus de légumes, mais là j'ai faim, et puis je vais pas le laisser payer un truc auquel je ne vais pas toucher alors... Ce soir je mange. « Oui il faudra qu'on aille courir... Et je vais en profiter pour te semer sur le chemin, tu verras qui est la plus forte. » Je lui fais un clin d'oeil pour appuyer mes dires. J'aime le défier, et je sais qu'il est pareil. Il y a toujours une certaine compétition entre nous deux, pour tout, et c'est une des choses que j'aime. Il ne me fait pas passer pour une fille précieuse à qui il ne faut pas toucher un cheveux, et j'aime qu'il me voit de la sorte et qu'il me taquine. Même si j'ai tendance parfois à démarrer au quart de tour...

Le repas se déroule donc dans la bonne humeur. Je finis entièrement mon assiette et pose mes baguette sur le bol. C'est avec surprise que je sens les jambes de Seiki toucher les miennes, me faisant légèrement monter le rouge aux joues. Dès qu'un contact se fait entre lui et moi, mon coeur à tendance à s'affoler, je déteste ça, mais malheureusement je ne peux le contrôler. Je me demande s'il l'a fait exprès ou non. Je finis mes pensées en toussotant légèrement, prenant un verre d'eau pour me rafraichir. Puis je le vois s'emparer de son téléphone et venir à mes côtés, très près de moi. « Qu'est-ce que tu sous-entend comme ça ? Ne suis-je pas déjà jolie ? ». Je suis certes avide de compliments, mais j'essaie surtout de trouver quelque chose à dire pour essayer de lutter contre la gêne qui m'envahit alors que le visage de Seiki est si près du mien. Ca n'est pas la première fois bien sûr, mais la réaction est la même à chaque fois. Finalement il prend la photo et, avant qu'il ne s'éloigne de moi je tourne mon visage en sa direction et lui dépose un baiser furtif sur la joue, avant de le repousser légèrement de moi.

TENUE ■ Est-ce que je dois vraiment répondre à la question ? Bien sûr qu’Eri est jolie. Elle est même bien plus que ça. Mais c’est comme ça entre nous. Incapables de rester sérieux plus d’une seconde, nous passons notre temps à nous tester, à nous pousser dans nos retranchements. Pourtant, la plupart des choses que je dis pour l’embêter, c’est totalement l’inverse que je pense. « C’est vrai que tu as fait un effort pour être potable aujourd’hui. » J’éclate de rire parce que ça sonne tellement faux dans ma bouche que je me marre. J’ai des crampes à force de tenir le téléphone avec le bras tendu. Alors je reprends mon sérieux et la seconde d’après, on entend le bruit significatif de l’appareil photo. Mon bras retombe le long de mon corps et je mets quelques secondes avant de me redresser. C’est pendant ce temps-là qu’Eri pose ses lèvres sur ma joue. Ça n’a rien d’un contact exceptionnel, ou même de drague. Mais ce simple baiser sur la joue me donne des frissons. Combien de temps encore allons-nous nous mentir de cette façon ? Plus je la vois et plus c’est dur de ne pas l’enlacer ou de lui faire des compliments. Quand elle me pousse doucement, je lève mon bras et l’enroule autour de ses hanches pour la coller un peu plus à moi. Ça ne nous ressemble pas. Nous ne sommes pas aussi tactiles, d’habitude. Malgré le fait que j’en meurs d’envie depuis plusieurs mois, je fais de gros efforts pour me retenir et me montrer convenable. Cette fois-ci, on fête mon anniversaire. Alors j’estime que j’ai un peu plus de droit. Pendant les secondes qui suivent, on reste silencieux. Même si j’ai conscience que mon bras est autour de ses hanches, je réalise à peine l’audace dont je viens de faire preuve. Au final, je pose ma tête sur son épaule et ferme les yeux, profitant de ce contact sans doute inapproprié. « Tu devrais m’organiser mon anniversaire plus souvent … », finissais-je par dire. Au bout du compte, Eri et moi c’est juste une affaire de timing. On n’arrive jamais à accorder nos ambitions, si bien qu’on finit toujours par avoir des projets différents. Peut-être devrais-je postuler pour un stage à Rio. Heureusement pour moi, son anniversaire arrive bientôt et c’est une excuse toute trouvée pour me l’approprier une nouvelle fois.

TENUE ■ J'ai envie de taper le haut du crâne de Seiki mais je me retiens. Je sais qu'il plaisante, enfin je crois, j'espère ! Il passe son temps à me chercher, et je fais la même chose. Au fond de moi je pense un tas de compliments sur lui, mais la plupart du temps je suis totalement incapable de les lui dire, les mots restent bloqués dans le fond de ma gorge. Alors je dis autre chose, quitte à me moquer de lui pour l'embêter. Et je réalise qu'il agit de la même façon envers moi - quoi que lui je sais que ça l'amuse de m'embêter comme ça et me voir râler. Quoi qu'il en soit je n'en rajoute pour qu'il puisse prendre sa photo. Il doit avoir mal au bras le pauvre, ça fait un moment qu'il est dans cette position maintenant. Je fais le plus joli sourire, inclinant légèrement ma tête et faisant une "V" aves mes doigts juste en-dessous des yeux. J'espère que la photo rend bien. Mais je ne prends pas la peine de la regarder et m'empresse de déposer un baiser sur la joue de Seiki avant qu'il ne s'écarte de moi.

Je ne sais pas d'où cette envie m'est venue. Enfin si, à chaque fois que je le vois j'ai des envies du genre, être proche de lui est la chose qui me rend le plus heureuse en réalité. Là, j'ai juste saisi l'occasion, il était tout proche de moi, ça aurait été bête de laisser passer l'occasion. Et puis c'est son anniversaire ce soir, il pourrait considérer ça comme son premier cadeau... Je ne m'attends pas spécialement à la réaction de Seiki. Sans rien dire il enroule l'un de ses bras autour de ma taille, me rapprochant une nouvelle fois de lui. Je rougis instantanément, gênée par cette position mais aussi gênée que quelqu'un puisse nous voir. J'ai presque envie de me gifler de penser de la sorte. Mais en même temps je n'ai pas envie de me détacher de cette étreinte, c'est tellement rare, mais ça fait tellement du bien. Le corps de Seiki est chaud et me réconforte. Au bout d'un moment, alors que nous n'avons aucun des deux décroché un seul mot, Seiki pose sa tête sur mon épaule. Je déglutis difficilement, sentant mon coeur battre de plus en plus vite. Je suis incapable de répondre à ce qu'il me dit. Finalement, je le repousse en douceur avant de me lever un peu plus brusquement. « Je reviens ! ». Puis je m'enfuis rapidement. Voila mon gros problème. Avec Seiki, je deviens comme ça instantanément, ce qui m'agace moi-même. Je m'en veux tellement. Il doit probablement m'en vouloir de m'échapper de la sorte mais je vais revenir, j'en profite juste pour faire amener le dessert que j'ai fais préparer. C'est la seule chose que j'ai trouvé pour me libérer de l'étreinte pourtant si douce et agréable du jeune homme dont je suis de plus en plus amoureuse... Une fois les serveurs prévenus que nous sommes prêts pour le dessert, je reviens vers notre table, ne croisant pas le regard de Seiki jusqu'à ce que je m'assois de nouveau en face de lui. « Désolé il fallait que j'aille aux toilettes. Ah et j'en ai profité pour commander le dessert. Je t'ai pris une glace, j'espère que ça te va ? » A peine j'ai finis ma phrase que le serveur arrive derrière moi, face à Seiki, avec un gros gâteau d'anniversaire recouvert de crème, garni de bougies avec une petite écriture "tanjôbi omedetô" en rouge, la couleur préférée de Seiki.  « Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, joyeux anniversaire Seiki-kun, joyeux anniversaire !! » Je chante tout un applaudissant pendant que le serveur dépose le gâteau face à Seiki. Ok, je suis plus à l'aise pour chanter joyeux anniversaire alors que tout le monde nous regarde, plutôt que d'être dans les bras de Seiki quand tout personne ne fait attention à nous... Il faut vraiment que je fasse quelque chose... J'espère quand même que la surprise lui fera plaisir.

TENUE ■ Ca fait du bien, de juste être comme ça. Pourquoi est-ce qu’on ne fait pas ça plus souvent ? Par moment, je trouve qu’on se complique trop la vie. Il suffirait de vivre simplement le moment présent. Mais d’un autre côté, je sais que je ne peux pas faire ça à Eri, comme s’il s’agissait de n’importe quelle fille. Je sais que mon attitude pourrait la blesser, si nous en venions à simplement suivre nos envies. Et ce n’est pas ce que je veux. Décidé à enfin aborder ce sujet que nous évitons depuis des mois, Eri se lève brusquement et s’enfuit je ne sais où. Un peu choqué, sur le coup, je clignote des yeux et ne fais que regarder, bêtement, là où elle va. « Aish ! Si elle voulait aller aux toilettes, elle n’était pas obligée de fuir comme ça. » Je grimace parce que je suis déçu qu’elle se soit enfui, comme ça. Je voulais encore en profiter un peu. Mais d’un autre côté, je suis presque … soulagé. J’étais vraiment sur le point de lui demander ce qu’on allait faire, genre, tous les deux, de cette situation qui n’en finissait pas de se compliquer et de s’envenimer à chaque fois que l’on se voit. Il faut croire que ce n’était clairement pas le moment opportun pour discuter de ça. Est-ce qu’il faudrait seulement qu’on en discute ? Tant pis. Je hausse simplement les épaules et me remet à ma place, bien sagement. Mais bon, c’est chiant d’être seul. Alors j’ai une idée à la con et pianote sur mon téléphone avant d’envoyer mon message. En lisant le destinataire du message, je rigole bêtement, tout seul … Aomine Shun. Des fois, je me dis que je suis un peu timbré. Je sais qu’il n’aime pas que je sois proche de sa sœur. Dans un sens, je le comprends. Si j’avais eu une jeune sœur, je serais sûrement protecteur, refusant qu’elle fréquente n’importe qui. Eri revient au moment où je range mon téléphone. Son excuse de la glace ne prend pas. Eri n’est pas vraiment le genre à faire les choses à moitié. Telle que je la connais, elle m’a préparé un gâteau, qu’elle a insisté pour décorer, avec les bougies qui ne s’éteignent pas quand on souffle dessus. La seconde d’après, quand j’ai le gâteau sous les yeux, je suis ravi de confirmer que je ne me suis pas trompée. Au lieu d’avoir les yeux rivés sur mon gâteau, c’est elle que je regarde chanter à la cantonade un « joyeux anniversaire ». C’est fou ce qu’elle est … mignonne. Malgré moi, je me mords la lèvre inférieure, retenant un sourire béat. Eri, c’est la fille aux milles surprises, celle qui passe par différentes émotions à la seconde. Je finis par m’incliner face aux serveurs, une fois la chanson terminée, les remerciant. « Je vois qu’Eri la perfectionniste a encore frappé ! Merci, Eri, c’est super ! » J’aime quand elle fait attention aux détails, parce que c’est là que je vois qu’elle me connait vraiment. La couleur de l’écriture ne m’échappe pas et ça me rend encore plus heureux. C’est con, en vrai, d’être heureux parce que je vois du rouge. Mais c’est plus fort que moi. Les yeux en l’air, je réfléchis à mon vœu et quand je le tiens, je souffle sur les bougies. Les anniversaires, c’est toujours le moment un peu gênant où tous les regards sont braqués sur vous. Personnellement, ça ne m’a jamais vraiment dérangé. Tranquillement, je coupe deux parts de gâteau que je pose dans deux assiettes avant d’en tendre une à Eri. « C’est une tuerie en plus ce gâteau ! En vérité, tu me stalkes comme une fangirl pour savoir tout ce que j’aime, c’est ça hein !? », dis-je en lui adressant un clin d’œil. Je rigole avant de me reconcentrer sur mon gâteau. Un couple d'un âge certain passe à côté de notre table. La dame se retourne vers nous. Elle a le sourire aimable des personnes âgées attendries par la jeunesse. Je lui retourne son sourire. « Vous êtes adorables tous les deux. Très joli couple » D'abord surpris, je regarde Eri avant de sourire à nouveau et de regarder à nouveau la petite madame. « N'est-ce pas ? Avec un autre, ce ne serait pas pareil ! » En fait, ça m'amuse de déconcerter Eri, même si au fond, je ne fais que dire ce que je pense au plus profond de moi. Avec un autre, ça ne peut pas être pareil.

TENUE ■ Je m'en veux vraiment de ne pas être capable d'accepter mes sentiments pour Seiki. Et puis j'en ai marre de cette situation, jouer au jeu du chat et de la souris ça va un temps, mais au bout d'un moment ça en devient fatiguant. Seulement, comment je pourrais faire changer les choses alors que je refuse d'aborder le sujet ? Seiki non plus n'en parle pas et au fond ça me va comme ça. J'ai peur. Si jamais on se lance là-dessus j'ai affreusement la trouille que toute cette histoire se finisse mal, qu'on se dispute - et ça ne serait pas la première fois - ou qu'on s'évite - ça non plus ça ne serait pas une première. Je n'ai pas envie de revenir à ce jour où nous avons franchi le pas tous les deux, le jour où nous avons été genre vraiment intime si vous voyez ce que je veux dire, et que pendant presque un mois je ne lui ai pas adressé la parole. C'est franchement nul d'en arriver là. Mais j'ai l'impression qu'il peut s'éloigner de moi en une fraction de seconde. Je soupire puis, prenant mon courage à deux mains, reviens vers notre table. J'essaie d'avoir un sourire franc, je veux passer à autre chose.

Je lui parle du dessert que j'ai soi-disant commandé mais Seiki n'a aucune réaction, comme s'il ne croyait pas du tout mes paroles. Un peu déçue je m'apprête à le manifester mais le serveur arrive déjà derrière mon dos. Aussitôt un sourire illumine mon visage et je chante avec confiance, ne croisant pour autant pas le regard brûlant de Seiki qui est fixé sur moi. Une fois la chanson finie je frappe dans mes mains, contente de la surprise. J'appuie mes coudes sur la table et pose mon menton dans le creux de mes mains. « Ca te plait ? ». Bien sûr que je l'ai fais bien, en effet je suis perfectionniste et je l'assume.

Je le laisse couper les parts de gâteau et accepte l'assiette qu'il me tend avec un large sourire. « Je suis désolé chouchou, mais c'est pas toi que je stalke le plus... ». Je fais bien référence à la seule idole que j'ai, Miyuki, le meilleur ami de mon frère, chanteur des Colorful Diamond, en sachant pertinemment que ma réflexion va énerver Seiki, ou en tout cas le faire bouder. Néanmoins c'est vrai, parce que je n'ai pas du tout besoin de le stalker pour connaitre ses goûts, je le connais par coeur c'est tout. Je déguste avec plaisir le gâteau que j'ai commandé, c'est vrai qu'il est bon. Avec toute cette crème c'est pas un simple jogging que je vais devoir faire demain, mais un marathon ! Pendant que je mange, le sourire toujours sur le bout des lèvres, bien que très concentrée sur ma part de gâteau, j'entends la réflexion de cette dame qui passe et sursaute légèrement. « Ah non, nous ne sommes pas en... » je n'ai même pas le temps de finir ma phrase que Seiki prend la parole en la remerciant. J'écarquille les yeux et une fois la dame partie je fixe Seiki la bouche ouverte. Que devrais-je dire face à ça ? Il déconne ou bien il aimerait vraiment que ça soit le cas ? Parce que bien sûr, n'importe qui nous prend aisément pour un couple, sauf que dans ma tête, c'est loin d'être officielle, mais alors vraiment très loin. « Seiki... »

TENUE ■ La dame finit par acquiesce à ma réponse. Le sourire satisfait, elle suit son mari pour finalement sortir du restaurant. Quand mon regard se repose sur Eri, je constate qu’elle a l’air un peu chamboulée. Par ce que je venais de dire ? Certainement. Dans ses yeux, je lis l’incompréhension. Peut-être cherche-t-elle à comprendre le sens de ma phrase. C’est vrai que j’ai plus tendance à rire qu’à être sérieux et à dire des choses sérieuses en riant. Cette fois-ci, c’est la deuxième option. Face à son questionnement muet, je décide de me montrer égoïste. Loin de dévier mon regard du sien, je fixe ses yeux avec le plus grand sérieux. Je n’ai jamais été aussi sérieux, surtout avec elle, depuis des mois. Précisément, depuis cette nuit-là, à ce moment où nous sommes devenus vraiment intimes. Cette nuit-là, je l’ai regardé comme je ne l’avais jamais fait avant et comme je ne l’avais sans doute jamais fait avec une autre. A ce moment précis, j’avais vraiment été très heureux. Quelle ne fut pas ma surprise quand, au matin, je me réveille seul. Eri était parti, elle m’avait laissé là, sans me dire qu’elle partait, sans un mot. Moi qui pensais que nous avions enfin franchi un pas, un grand pas. Moi qui pensais que nous pourrions nous expliquer. Bon sang, j’étais tellement frustré ce matin-là. Elle avait littéralement fui. Est-ce que je lui en avais voulu ? Oh que oui. J’étais en colère contre elle. Je lui en voulais de m’avoir laissé alors qu’elle avait cédé la nuit d’avant. Cette fois-là, j’avais pris mon courage à deux mains, et elle ne m’avait pas repoussé. Si c’était pour arriver à cette conclusion là, j’aurais sûrement préféré qu’elle me recale à ce moment. Parce qu’en plus d’être en colère, j’étais blessé. Parce que même après avoir essayé de reprendre contact avec elle – je ne lui ai jamais autant envoyé de texto qu’à cette période – Eri m’a obstinément évité. Elle ne m’a jamais rappelé ou bien répondu à aucun de mes textos. Et elle ne m’avait jamais autant manqué que là. J’ai vraiment pris conscience que j’étais accroc à cette fille, parce que jamais personne, en dehors de ma famille, ne m’avait manqué autant. Alors j’ai arrêté de lui envoyer des messages, je n’ai pas cherché à la coincer à la Royal, malgré le fait que je connaissais plus ou moins ses horaires d’entrainement. J’ai laissé courir au bout d’un moment, craignant qu’elle ne revienne pas. Sérieusement, j’étais devenu pitoyable. Mais dans un sens, je sais très bien que j’aurais pu être blessant, si je l’avais vraiment attendu à un de ses entrainements. Je sais que j’aurais pu dire des choses que j’aurais regretté, parce que j’avais été blessé et que je ne supportais pas qu’elle m’ai fait ça, alors qu’on avait tout simplement qu’à en parler. Vous me croirez si je disais que j’étais heureux comme un gosse quand elle est réapparue un jour, comme une fleur ? J’avais compris le message, ça ne servait plus à rien d’en parler : elle ne voulait pas de moi, pas comme moi j’en avais envie, en tout cas. Fin de l’histoire, il fallait passer à autre chose. Alors, pendant le court instant où nos yeux sont enchainés, j’espère qu’elle comprend toute la colère et la blessure que j’ai endurée durant ce temps-là. Mais comment le pourrait-elle, de toute façon, quand rien n’a été expliqué ? Finalement, je finis par retrouver mon humeur taquine et lui adresse un sourire en coin, moqueur. « Bah quoi ? T’as vu un extraterrestre ? » Je finis mon assiette, disant une nouvelle fois que le gâteau est décidément trop bon et me ressers une nouvelle part. « Pour les 22 j’en veux un encore plus gros ! »

TENUE ■ Je suis perdue par les dires de Seiki. J'ai toujours su inconsciemment qu'il ressent la même chose pour moi que ce que je ressens pour lui, seulement j'ai toujours cru qu'il ne souhaitait pas aller plus loin et officialiser les choses. Seiki ne détache pas son regard du mien. Il ne dit rien mais quelque chose d'étrange passe par ce regard. Je ne dis rien moi non plus, ce silence ne doit pas être brisé, je le sens. Finalement je pense à quelque chose. Peut-être que le problème vient uniquement de moi ? Je me souviens de cette nuit là, la nuit où Seiki et moi avons fait l'amour. Ca n'était pas une première pour moi, seulement je n'avais jamais ressenti ce que j'ai ressenti avec lui auparavant. Et j'ai pris peur, comme à chaque fois. Cette nuit là, alors que je pensais être la personne la plus heureuse au monde, dès que Seiki s'est endormi je me suis desserrée de son étreinte. Le drap enroulé autour de mon corps je me souviens l'avoir regardé durant de longues minutes, et dès que j'ai senti une larme rouler le long de ma joue, j'ai disparu de la pièce. Alors oui c'est de ma faute, c'est moi qui me suis enfuie, c'est moi qui l'ai évité pendant presque un mois, baissant la tête si je le croisais dans le couloir, ne répondant pas à ses millier de sms. Cette fois là j'ai fais la conne. Le pire dans l'histoire c'est que le jour où je suis revenue vers lui, Seiki m'a accueilli à bras ouverts et ne me l'a jamais fait payer.

Plus les minutes dans le silence passent et plus mon coeur bas fort au travers de ma poitrine. Finalement, Seiki retrouve son sourire et son regard s'adouci avant de me charrier. Je ne lui répond pas et plonge ma tête en direction de ma part de gâteau. « J'ai le temps de préparer c'est dans un an ! » lui répondis-je avant de rajouter, beaucoup plus bas, marmonnant dans ma barbe « Enfin, si on est encore là tous les deux... ». Je ne suis pas sûre que Seiki m'ait entendu, et je n'espère pas d'ailleurs. Je passe alors directement à autre chose, les cadeaux que je suis censée lui offrir me revenant soudainement à l'esprit. « Bon tu veux tes cadeaux où je les revends ? ». Je lui souris et me baisse pour attraper les deux paquets qui sont dans mon sac à main. Un tout petit, en forme de carré, l'autre un peu plus grand et plus rectangulaire. Dans le plus grand se trouve un joli carnet de note, avec une couverture marron en vrai cuir. J'ai pensé qu'avec ses études de journalisme, et en particulier ses stages, Seiki pourrait s'en servir pour prendre des notes. Dans le plus petit se trouve une belle boite à bijou - rouge évidemment - dans laquelle se cache une gourmette en argent avec inscrit sur une face le prénom de Seiki, et sur une autre face sa date de naissance. En réalité, j'ai beaucoup hésité, je voulais mettre mon prénom à l'intérieur de la gourmette, mais je me suis ravisée au dernier moment. Je ne sais pas comment il l'aurait pris. Je pose les deux cadeaux devant lui, le sourire aux lèvres. « Allez, ouvre-les ! »

TENUE ■ Reconcentré dans mon assiette, je vois tout de même Eri du coin de l’œil s’agiter dans son siège et récupérer quelque chose dans son sac. Bien sûr que je veux mes cadeaux ! J’adore qu’on m’offre des cadeaux alors encore plus quand c’est de la part d’Eri. Je suis même curieux de ce qu’elle a pu me dénicher. En tout cas, ça tient dans deux boîtes. « C’est ça ouais ! Tu veux te faire de l’argent au lieu de me faire plaisir ! » Bien sûr, je sais qu’elle n’est pas sérieuse. Elle pose les deux paquets devant moi et je repousse mon assiette, avec mon gâteau pas encore terminé, pour les rapprocher. J’hésite. Le plus grand ou bien le plus petit ? Je me frotte le menton, en pleine réflexion, quand Eri me bouscule pour que je les ouvre. Bon, quitte à choisir je prends le plus grand. Je le retourne dans tous les sens, cherchant un indice. J’adore essayer de devenir ce qu’il pourrait y avoir à l’intérieur. Mais j’avoue que c’est si bien emballé et la forme est si commune, que ça ne me laisse aucun indice. Ça pourrait être tout et n’importe quoi. Alors sans plus de cérémonies, je déchire le paquet. Le papier se retrouve éparpillé sur la table et c’est une boîte. En l’ouvrant, je tombe sur quelque chose en cuir … Je bascule la boîte pour que son contenu me tombe dans la main. « Eri ! T’es vraiment douée pour offrir des cadeaux ! » J’ai de grands yeux tandis que je feuillette le carnet de notes. Sérieusement, il tombe vraiment à pic. Avec le stage qui va arriver, je vais devoir prendre plein de notes. C’est donc vachement utile et sympa en plus. Le cuir est vraiment sympa, quand je passe la main dessus, je m’y vois déjà. Je le pose donc sur le papier cadeau et passe au deuxième. Cette fois-ci, la forme est rectangulaire, mais moins épais. Je n’ose pas le secouer, de peur qu’il s’agisse de quelque chose de fragile. Là encore, je n’ai aucune idée du type de cadeaux. Eri est trop imprévisible. Je défais donc le papier cadeau et tombe à nouveau sur une boite. Mais cette fois-ci, j’ai une bonne idée de ce que ça peut être. Il y a de fortes chances pour qu’il s’agisse d’un bijou. Elle est tarée de mettre autant pour moi. Quand j’ouvre la boite, j’en ressors une gourmette et elle est magnifique. Il y a mon nom écrit dessus, avec ma date de naissance au dos. Ça me fait toujours bizarre quand je vois cette date, parce que ça me rappelle toujours l’abandon de mes géniteurs et l’orphelinat. Mais je suis tellement content qu’elle m’est offert ça que je le mets tout de suite au poignet. Cette fille me connait vraiment par cœur, j’ai l’impression de n’avoir aucun secret pour elle, hormis peut-être cette fameuse lettre de ma mère biologique, que je n’ai toujours pas ouverte. Comme un gosse, c’est limite si je n’ai pas les yeux qui pétillent quand je regarde Eri. « T’as fait des folies ! Ils sont supers. Merci beaucoup, Eri. Mais … c’est ton nom que t’aurais dû écrire dessus. » dis-je en agitant mon poignet où se trouve le bijou, en lui adressant un clin d’œil. Là encore, je ris. Parce que je ne sais pas comment j’aurais pu le prendre. Je me serais sûrement fait des films, m’imaginer que ça signifiait quelque chose, alors que non. Ce n’est qu’un simple cadeau entre amis. Je forme un tas avec les papiers cadeaux que je mets en bout de table et nous ressers, avant de lever mon verre. « Bon, va falloir que j’assure pour ton anniversaire, alors ! »

TENUE ■ L'idée des cadeaux permet de vite passer à autre chose et me fait presque totalement oublier tout ce qui vient de se passer. Même si je sais parfaitement que je vais me battre avec ma couette dans mon lit ce soir, gémissant que j'aurai du faire ci ou na pas faire ça, pour le moment, je pense à autre chose. Je pose les cadeaux que j'ai acheté devant Seiki et l'incite à les ouvrir. J'ai vraiment mis longtemps pour lui trouver une idée de cadeaux. Au début j'avais zéro idée, ensuite j'ai pensé à une écharpe ou un truc comme ça, mais ce n’est pas très original, j'ai déjà acheté ça à mon grand frère pour noël. J'ai aussi pensé à un CD parce que Seiki aime bien la musique, sauf que je ne trouvais pas ça trop chouette comme cadeau d'anniversaire. C'est finalement en me promenant dans une papeterie que j'ai trouvé ce carnet et je l'ai trouvé parfait pour Seiki. Cette couverture en cuir marron foncée lui va parfaite, j'en étais déjà sûr avant, mais maintenant que je le vois le tenir dans ses mains, c'est bien celui qu'il lui fallait. Toute fière je frappe deux fois dans mes mains, un grand sourire sur les lèvres. Le second cadeau est un peu plus personnel. Enfin, je trouve qu'offrir un bijou est personnel... J'ai longtemps hésité avant d'écrire sa date de naissance au dos, j'aurai aimé y écrire mon prénom mais j'avais peur de sa réaction. Peut-être qu'il m'aurait dit que je m’enflamme trop, que nous sommes juste ami lui et moi, et que fera-t-il de cette gourmette lorsqu'il aura une copine ? Ses pensées m'ont longtemps hantées alors j'ai décidé de ne pas le faire. A la place j'ai mis sa date de naissance, qui a aussi une grande signification. Seiki ne sait pas où il est né, il ne connait pas ses parents biologiques et il ne sait pas si un jour il les reverra. Il ne connait ainsi dire rien de sa venue au monde mise à part sa date de naissance - enfin il me semble qu'il s'agit de sa vraie date. Il ne le montre jamais mais je sais qu'au fond de lui, son passé doit certainement le faire cogiter. Sa date de naissance est une preuve qu'il est bien là malgré tout, malgré l'abandon de ses parents il a aujourd'hui vingt-et-un ans, a grandi dans une bonne famille et est aussi devenu quelqu'un de bien. Sa remarque me fait doucement sourire. « Je t'en offrirai peut-être une autre l'année prochaine... »

« J'espère que tes cadeaux te plaisent en tout cas ? » Je lui souris avant de lever mon verre nouvellement rempli et de le cogner doucement contre celui de Seiki. « T'as plutôt intérêt, je me suis ruinée avec les tiens ! ». Bon ok, c'est totalement faux. Parce que j'ai la chance d'avoir des parents riches, je ne suis donc absolument pas en manque d'argent, bien au contraire, et c'est aussi pour ça que j'ai souhaité acheté les meilleurs cadeaux possibles à Seiki, en y mettant le prix. « Ca te dis que tu finisses ton gâteau et qu'on aille marcher un peu ? ». Je commence à étouffer un peu dans le restaurant, et il est maintenant plein. Bien que nous soyons un peu à l'écart il commence à y avoir beaucoup de bruit et j'aimerais mieux être un peu tranquille avec Seiki, à l'air frais.

TENUE ■ Peut-être … La connaissant, elle est sans doute en train de se faire une liste mentale, notant toutes les choses dont je parlerais et que je voudrais posséder. Nos verres résonnent l’un sur l’autre et nous buvons tranquillement. Plus que les cadeaux qu’elle m’offre, c’est l’intention et le geste qui sont derrière qui me touche. Pour ma part, je suis en pleine recherche de son propre cadeau. Je n’ai pas envie de me louper, surtout après cette soirée. J’ai encore un peu de temps, mais faut pas traîner non plus. J’acquiesce et m’empresse donc de terminer mon gâteau. On finit par se lever et je m’avance vers l’entrée là où se trouve le propriétaire, prêt à régler. Il nous demande comment s’est passée notre soirée, si nous avions bien mangé. Je le remercie et lui confirme que c’était très bien. J’aime bien cet endroit, de toute façon. En me baladant, je suis tombé dessus un peu par hasard. L’odeur m’avait donné faim – de toute façon, j’ai souvent faim – et en y entrant, j’avais eu le plaisir d’ajouter cette adresse dans les bons coins où squatter. Alors j’avais décidé d’y amener Eri.

Une fois à l’extérieur, on est pris de court par la différence de température. Un regard vers Eri me fait me rappeler qu’elle est venue sans manteau. Sacré Eri, a-t-elle oublié de finir de s’habiller ou bien cherchait-elle à créer un style. Nous marchons quelques mètres et je me défais de mon manteau pour le lui poser sur les épaules, laissant mes mains là quelques secondes de trop. « Je te ramène à la Royal. Mais j’ai un ami à voir avant. Alors je ne rentrerais pas avec toi. » Je lui avais promis de passer rapidement ce soir. Les mains dans les poches, nous progressions en silence. Pour une fois, je n’avais rien à dire. Enfin, si. Mais je préfère me taire. Nous nous tenons à une distance raisonnable mais comme je ne marche pas droit, mon bras vient frôler le sien.

TENUE ■ Seiki accepte ma proposition et termine rapidement son gâteau avant de se lever. Je lui emboîte le pas et le suis vers la sortie de l'établissement. Je m'incline devant les serveurs qui nous souhaitent une bonne soirée et quitte enfin le restaurant. Le froid me saisit tout le corps dès qu'on franchit le pas de la porte. J'avais complètement oublié que je n'ai pas pris de manteau... Je suis vraiment idiote, la prochaine fois quitte à être en retard je prendrai un manteau, surtout en plein hiver ! Au pire Seiki m’attendra – ou l’autre personne avec qui j’aurai rendez-vous. Heureusement après quelques pas, Seiki me met sa veste sur les épaules et je le remercie d'un simple sourire. J'acquiesce aussi lorsqu'il me dit qu'il me dépose à la Royal. De toute façon nous allons au même endroit non ? A part si l'ami qu'il a à avoir en question ne fait pas partie de la Royal ou alors ne loge pas dans les dortoirs de l’école. « Tu peux aller directement voir ton ami si tu veux, si il n'est pas à la Royal ? ». Je suis une grande fille, je n'ai pas besoin qu'il me raccompagne jusque chez moi. J'ai l'habitude de rentrer de nuit chez moi, par exemple lorsque mes entraînements se terminent tard dans la soirée. Surtout qu’en hiver il fait noir de bonne heure.

Nous marchons tranquillement, côte à côte, pas trop proche mais assez pour que son bras frôle le mien. Le silence qui s'est imposé est presque étrange. Je me mordille la lèvre inférieure. J'ai bien envie de faire quelque chose mais ma tête me hurle d'oublier cette pensée de suite. Pourtant, c'est le coeur battant un peu trop fort que je finis par attraper le bras de Seiki, laissant ma main glisser jusque dans sienne. Je ne dis toujours rien, incapable de sortir le moindre mot face à ce que je viens de faire. Cette soirée est décidément forte en émotion. J’attends une réaction de la part de Seiki, mais avant qu’il dise quoi que ce soit, je sers un peu plus sa main dans la mienne.

TENUE ■ Même si elle était majeure et vaccinée, je n’allais pas la laisser toute seule dans les rues, le soir. Et puis, entre nous, c’était aussi une excuse pour prolonger le moment avec elle. Je sens mon téléphone vibrer dans ma poche et en l’ouvrant, je m’amuse du message envoyé par son frère. Shun est facilement énervable, je dirais. Je lui réponds et je n’ai même pas le temps de ranger mon téléphone que j’ai déjà une nouvelle réponse. Je pianote rapidement et range mon téléphone dans ma poche. C’est e moment-là que choisit Eri pour me tenir le bras. Jusque-là, rien d’alarmant. Je n’ai jamais vu en ce genre de geste un quelconque rapprochement autre qu’amical. En revanche, sa main qui glisse dans la mienne, ça c’est nouveau. Ça m’arrive de le faire, spontanément. Mais c’est plus quand je veux l’entraîner quelque part, dans le feu de l’action en somme. Ce n’est jamais comme ça, quand nous marchons tranquillement comme on est en train de le faire là. Je déglutis silencieusement, ne sachant trop comment réagir. Si je prends sa main, ça voudra dire quelque chose. Et si au contraire je la rejette et met genre ma main dans ma poche, ça voudra clairement dire quelque chose – et pas de positif. C’est quand elle serre sa main dans la mienne que je réagis sans réfléchir. Mes doigts enserrent sa main également. Mais nous ne disons toujours rien. Qu’est-ce que je peux dire ? Le moindre truc qui me vient à l’esprit est carrément maladroit. A la place, je bouge ma main pour entremêler nos doigts. Sérieusement, qu’est-ce que je fous ? Extérieurement, j’ai l’air totalement sûr de moi, complètement à l’aise avec la situation. Intérieurement, j’ai l’impression de devoir résoudre l’équation mathématique la plus difficile de toute ma vie.

Entre Eri et moi, ça n’a jamais été très simple. A commencer par la façon dont on s’est rencontré. Si je l’ai abordé, la première fois, ce n’est pas tout à fait innocent. C’est vrai que je l’avais déjà repérée. Plutôt facile, elle venait quasiment tous les jours. Disons que je me suis servi de cette excuse pour l’approcher, dans un premier temps. En vérité, elle me plaisait déjà. Eri est complètement dans le style de fille qui me plait. Physiquement, je parle. Et plus j’en apprend sur elle, plus elle m’attire. De son côté, je sais aussi que je ne la laisse pas indifférente. Mais d’un autre côté, elle me repousse également, pour je ne sais quelles raisons. Sans doute les mêmes qui me font hésiter actuellement. Nous marchons encore plusieurs mètres la main l’un dans l’autre. La sienne commence à se réchauffer, la pauvre, elle devait vraiment avoir froid. La gourmette glisse sur mon poignet et vient cogner nos mains jointes. « Tu as bien conscience qu’un jour, il faudra qu’on aborde vraiment le sujet ? » Je m’étonne moi-même. J’ai pris mon courage à deux mains. En même temps, nous ne pouvons pas rester aveugles éternellement. Ça crève les yeux et en particulier en ce moment quand nos mains sont de cette façon. Pourtant, je ne la regarde toujours pas. J’ai les yeux obstinément fixé droit devant moi. Je ne dis rien non plus pendant plusieurs minutes, avant de reprendre la parole. « Parce qu’un jour, j’aurais vraiment besoin de savoir où tu veux que tout ça nous mène. » Je n’attends pas forcément de réponse ce soir. En fait, je n’en attends pas du tout. Parce que je ne suis pas encore prêt à l’entendre.

TENUE ■ Je n'arrive toujours pas vraiment à croire ce que je viens de faire. J'ai pris la main de Seiki, d'un air franchement décidé, bien qu'au fond de moi j'étais terriblement hésitante. Mon coeur bat tellement fort que je l'entends raisonner dans mes oreilles et que je suis totalement incapable de percevoir le moindre bruit extérieur. Lorsque je sens que Seiki ne prend pas ma main de suite, la peur commence à m'envahir. S'il me rejette que se passera-t-il ? Je l'ai déjà rejeté une fois, le lendemain de la nuit que nous avons passé ensemble, quand je l'ai évité pendant plusieurs semaines. Durant cette période je n'allais même plus au Starbuck de peur de le voir, alors que j'y vais normalement presque tous les matins... Il aurait toute à fait le droit de me rejeter à son tour. Seulement si c'est le cas, je ne serais pas capable de m'en remettre. Bien sûr ma vie continuerait comme elle l'a toujours été, mais je ne serai plus capable de regarder Seiki dans les yeux. De parler et rire avec lui comme de simples amis. Parce qu'au fond il est bien plus qu'un ami pour moi, et même si je joue la fille aveugle, s'il me dit clairement qu'il ne veut pas de moi, je ne serai plus capable de l'affronter.

Je panique mais finalement la main de Seiki vient serrer la mienne à son tour. Je sens même ses doigts s'entrelacer aux miens. C'est con, mais nous ne nous sommes jamais tenus la main comme ça. Il arrive souvent à Seiki de m'attraper la main pour me tirer dans une certaine direction, et lorsqu'il fait je me sens déjà toute chose, alors imaginez maintenant qu'on se tient la main "pour de vrai". On ne peut plus ignorer la vérité. Et justement, cette vérité sort de la bouche de Seiki au moment où j'y pense. Je ne lui réponds pas tout de suite, à vrai dire je ne sais pas quoi lui répondre. Et moi ? Il ne croit pas que moi aussi je veux savoir ce qu'il en pense ? Est-ce à moi de décider où est-ce que toute cette histoire va nous mener ? Moi qui suis tellement bavarde j'aurais pourtant tant aimé qu'il se taise et que nous restions dans le silence jusqu'aux dortoirs. Les non-dits ne sont peut-être pas la meilleure chose, mais j'aurais aimé, pour ce soir... « Seiki... » Je souffle presque. Que lui répondre ? J'ai envie de lui répondre que je n’ai jamais aimé un mec comme je l'aime lui, que je pense toujours à lui et que je n'ai pas envie de le quitter. Et alors ? Il ne va pas rester ici pour mes beaux yeux de toute manière. Son rêve est de parcourir le monde, et je n'ai pas le droit de l'en empêcher. Alors je lui dis quoi ? « On peut marcher un peu plus vite, j'ai froid... » J'ai envie de me gifler. Je suis tellement conne.

Malgré tout j'accélère quand même un peu le pas. On arrive bientôt de toute manière, mais tout bien réfléchi, je ne peux pas laisser les choses se finir comme ça. « Seiki je... » Je m'arrête de marcher lentement « Je n'ai aucune idée de ce que tu veux de moi... ». C'est vrai. Je crois en la sincérité de Seiki, mais je suis également certaine qu'il refusera de s'engager avec moi. Alors qu'est-ce qu'il attend ? Veut-il que je joue sa petite amie jusqu'à ce qu'il décide de quitter le pays ? J'aimerai simplement qu'il me dise ce qu'il en pense, je serai même prête à jouer la petite amie temporaire pour lui, si c'est pour l'avoir juste un peu auprès de moi...

TENUE ■ Quand je pense qu'elle va aborder le sujet, je panique soudain. Mon coeur s'affole c'est dingue. Mais finalement, une nouvelle fois, nous esquivons le sujet. Si je suis satisfait, je ressens à la fois une pointe de déception. Nous tournons en rond et cette étrange relation commence à nous étouffer. Parce qu'on perd de notre spontanéité à mesure que les sentiments grandissent. Au début, je prenais les choses à la légère. C'était même amusant de voir comment je réagis en sa présence. Et puis, ça l'est devenu beaucoup moins. Maintenant, même si j'en ris ouvertement avec elle, comme si tout ça ne me dérangeait pas plus que ça, je ne peux plus me mentir à moi-même. Et sérieusement ? Ça me fait vraiment chier. J'en ai marre de ne pas trouver une solution qui nous satisfera tous les deux. J'en ai marre de devoir me dire que je vais devoir renoncer soit à elle soit à mon rêve. C'est con, alors que nous souhaitons tous les deux faire de belles carrières, elles sont difficilement compatibles. Eri passera son temps dans les compétitions et moi je passerais mon temps dans les avions. Comment est-ce qu'on pourrait supporter mes absences prolongées et fréquentes ? Sérieusement elle finira par aller voir ailleurs. J'acquiesce et accélère le pas, ma main toujours dans la sienne.

En relevant la tête, je vois les grilles de la royal. Est-ce qu'on va finir la soirée comme ça ? Encore sur des non-dits ? Je soupire et dois me résigner. Je vais pour lui souhaiter une bonne soirée quand elle prend à nouveau la parole. Je me mets devant elle et la regarde. Ce que j'attends d'elle ? Tellement de choses égoïstes. Qu'elle ne parte pas, qu'elle reste avec moi, qu'elle me suive dans mes projets fous et tellement plus encore. J'ai envie qu'elle soit à moi et à personne d'autres. J'attends qu'on saute le pas, qu'on se débarrasse au plus vite de ce cul-de-sac. Mais que va-t-il en ressortir ? J'ai finalement lâché sa main alors je mets les miennes dans les poches de mon pantalon. Je reste silencieux parce que je ne sais pas ce que je peux et ne peux pas dire. Je me contente simplement de la regarder. Pour une soirée d'anniversaire, on peut dire qu'elle prend un curieux tournant. Je lève les yeux et regarde les grilles. Il faut que j'arrête de réfléchir. Au moins pour ce soir. Alors c'est ce que je fais. Sans réfléchir, je sors la main de ma poche et m'avance.  Je la pose sur sa joue et m'avance à mon tour. Je ne suis qu'à quelques centimètres d'elle. Mais là encore, je ne réfléchis pas et me penche au-dessus d'elle et l'embrasse. Ma main passe sur sa nuque et mon autre main enserre sa taille pour l'approcher de moi. Je n'ai pas envie qu'elle se dérobe cette fois. Notre baiser dur un peu plus longtemps, pour lui signifier que je ne suis pas en train fade jouer. Je suis vraiment sérieux et ne profite pas d'une situation favorable. Finalement, je me retire doucement mais la garde toujours prêt de moi. Ce que je veux ? C'est elle. Je lui souris timidement avant de repositionner ma veste sur ses épaules. «  Fais attention en rentrant, Eri. » Et avant qu'elle ne rajoute quoique ce soit qui, au cas où je ne voudrais pas entendre, je tourne les talons et m'éloigne.