Partir en direction de la forêt m’enchantait guère, je devais l’avouer. Mais à choisir entre rester sur cette plage à attendre que le temps passe et essayer de me rendre un minimum utile, mon choix était vite fait. Nous n’avions de toute façon guère d’options devant nous, sans oublier que la plupart des passagers étaient des étudiants – bien que certains fussent majeurs et vaccinés, je doutais que la compagnie aérienne s’en sorte sans représailles de la part des parents et de l’école si quelque chose en venait à arriver.

« Hors de question que vous y alliez seul. Je viens avec vous. »

Il n’aurait rien à dire pour me dissuader, car j’étais décidée. D’autant que j’exprimais là un bel état des choses ; partir seul était inconscient. S’il en venait à être blessé, ou je ne savais encore d’autre, même avec le talkie-walkie, ce n’était pas suffisant. Il était celui qui devait nous refaire partir après tout. Je filai à mon tour dans l’avion. J’allai jusqu’à ma place, où mon sac à dos m’attendait patiemment. Je l’ouvris, pris une petite bouteille d’eau que j’avais acheté juste avant l’embarquement ainsi qu’un petit sachet de fruits secs. Ce n’était pas grand-chose, mais, je préférai être prévoyante. Mon manteau était large, avec des poches bien plus grandes que mes mains où j’avais la chance de pouvoir fourrer tout un tas d’objets. Rapidement, je ressortis et rejoignis Hinata.

« Allons-y. »

J’esquissai un sourire, bien décidé à retrouver les quelques passagers aventureux que nous avions perdus. J’avais peur, mais, occuper mon esprit à autre chose serait un bon moyen pour ne pas me laisser submerger.

La situation allait en empirant, et j’avais bien du mal à rester optimiste. Je me rassurais cependant en me disant que cette île devait bien être habitée et que les secours finiraient bien par arriver. L’éruption était menaçante, mais, je croisais les doigts pour que celle-ci n’arrive pas en plein milieu de la nuit. J’espérais également qu’elle ne soit pas si forte que cela ; qu’elle n’aille pas jusqu’à rayer la petite île de la carte en grillant tous êtres y résidant, nous compris. Cette pensée lugubre m’arracha un frisson, et je concentrai mon esprit sur de quoi remplir mes poches histoire d’avoir une option dans le cas où notre escapade pour aller récupérer les passagers manquant à l’appel serait plus longue que prévu.

« Certaine. »

J’étais décidée. Je n’étais pas la plus téméraire des jeunes femmes, mais je n’étais pas non plus une poule mouillée. J’appréhendais ce que nous allions trouver en chemin, toutefois, c’était toujours mieux que d’attendre dans l’avion en se tournant les pouces.
J’acquiesçai à sa proposition alors que nous prenions la route. Je me remerciai intérieurement de faire partie de ces personnes qui prennent l’avion dans des tenues confortables ; qui aurait cru que ma paire de baskets serait d’une si grande utilité. J’avais également la chance d’être bien plus athlétique que j’en avais l’air. Le métier de mannequin me forçait à entretenir mon corps, et j’y voyais maintenant un atout tout autre que celui de sculpter son image.

« J’espère qu’ils ne sont pas allés s’aventurer trop loin. »

Dis-je alors. Je ne savais pas si je pensais à voix haute ou si je faisais là une remarque à son attention. Je regardai régulièrement mes pieds, pour être sûre de ne pas trébucher, les mains bien en dehors des poches pour pouvoir me rattraper au mieux lors d’une prochaine secousse.

« Vous saviez qu’il y avait un volcan en vous posant ici ? »

Ce n’était pas une accusation, juste une remarque. Cela avait été soit l’île, soit la mer donc je ne pouvais critiquer son choix. Mais, j’en vins à me demander comment cela s’était passé dans le cockpit. Et puis, cela faisait un peu la discussion.

Je ne m’y connaissais en rien en aviation, ou pilotage en tout genre. Ainsi, la question était venue naturellement. J’espérais qu’il ne le prendrait pas pour lui, car ce n’était pas là mon intention. J’étais simplement curieuse. Je savais que les fenêtres du cockpit étaient de toute façon trop petites pour pouvoir voir un paysage de très loin. Ainsi, même s’ils avaient pu remarquer l’aspect de l’île avant de s’y poser, ce devait être trop tard.

« Vous avez fait de votre mieux. Qui aurait cru qu’on se poserait sur une île dont le volcan n’était pas endormi… »

Au premier coup d’œil, je n’aurais pas cru que ce n’était pas le cas non plus. Comme il l’avait dit, la forêt nous indiquait tout le contraire. Et puis, l’archipel nippon débordait de volcans, certains actifs et d’autres non… Nous continuâmes notre marche et mes pensées se vidaient peu à peu. La fatigue, sans doute. Être sans arrêt sur le qui-vive était épuisant, et je n’avais pas fait une longue nuit avant le vol car j’avais dû revoir mon programme en large et en travers avant le départ. Le grondement sourd raviva nombre de mes sens, et je regardai à mon tour le jeune homme. J’acquiesçai d’un signe de tête à sa question, peu certaine de reprendre notre marche ou attendre encore quelques secondes. Le bruit se calma, et je remarquai qu’aucun bruit ne parcourait plus notre entourage. Enfin, et très soudainement, une volée d’oiseaux fila depuis l’orée du bois.

« Attention ! »

D’instinct, j’attirai le capitaine à moi pour que nous nous baissions. Si les oiseaux quittaient l’île soudainement, et à une heure si tardive, cela ne valait rien de bon. Je les regardai un court instant s’éloigner au-dessus de la mer, tendant l’oreille pour être certaine qu’aucun retardataire n’arriverait en volant trop bas, puis je reportai mon attention sur le jeune homme.

« Vous n’avez rien ? »

J’esquissai un sourire en réponse à son rire. C’était comme si le volcan s’était décidé à nous accueillir avec toute sa fanfare, pour faire de l’occasion quelque chose d’encore plus mémorable que cela ne l’était déjà. Entre nous, il aurait mieux fait de rester endormi… Cela nous aurait facilité la tâche. Je me demandai alors de quelle façon les autres passagers avaient fait passer le temps. De quelle façon ils s’y étaient pris pour relativiser, pour améliorer l’ambiance lourde qui pesait sur chacun de nous. D’un côté, j’imaginais que beaucoup d’entre eux se connaissaient, étant donné qu’une sortie scolaire était en cours pendant le vol… Perdue dans mes pensées, j’avais remarqué malgré tout le changement dans l’air, et avais réussi – je ne savais trop comment – à nous éviter une collision brutale avec une envolée d’oiseaux.

Il allait bien. Il n’avait rien. J’étais rassurée. J’étais rarement du genre empathique, mais je ne pouvais mettre de côté le fait qu’il ait fait de son mieux pour nous sauver la mise à tous. Et puis, finir sa vie à cause d’un oiseau… J’appréciais Hitchcock mais je ne voulais pas être témoin d’une scène pareille. Alors que nous nous relevâmes, je me décidai à attacher mes cheveux. Les ondulations noisettes avaient quelque chose de tout à fait charmant, mais, cela pouvait parfois être bien encombrant.

« Je vais bien, merci. »

Répondis-je simplement à sa question. Nous reprîmes notre marche là où elle s’était arrêtée. Au fond, je ne savais pas si j’allais bien. J’évitai de prendre le temps de trop y penser. Il fallait se contenter d’avancer, et d’espérer croiser le chemin des quelques aventuriers.

« Vous avez une lampe ? »

Demandai-je alors. La soirée avançait rapidement. Bien plus vite que nous le pensions, nous ne verrions plus devant nous. J’avais bien mon téléphone, mais je doutais que la charge tienne bien longtemps.

Ce que nous pouvions facilement conclure était que cette mésaventure mettait notre patience à rude épreuve. J’avais l’impression que le temps était passé terriblement vite, à voir le soleil quitter l’horizon… Et, d’un autre côté, j’avais l’impression que le temps n’en finissait pas dans sa lenteur. La fatigue commençant à s’immiscer doucement dans toute cette histoire, et j’imaginais bien que plus d’une personne allait avoir – ou avait déjà eu – les nerfs craqués.
Alors que je commençai à avoir grand mal à voir où je posais les pieds, je finis par lui demander s’il était armé d’une lampe torche, et je fus soulagée de savoir que c’était bien le cas. Là où nous allions, le sol était peu stable. Il n’était pas impossible que quelques végétaux et autres pierres aient fait quelques chutes suite aux tremblements, et se prendre les pieds dedans n’était pas une option conservable. J’ajoutai à cela ma pensée, peu rassurée je l’avouais, de marcher sur un animal… un serpent, où je ne savais encore quoi d’autre qui pouvait être venimeux ou peu commode.

Je le suivis en silence, alors qu’une voix se fit entendre non loin de nous. Un nouveau tremblement nous ralentit. Je fermais instinctivement les yeux, de peur que quelque chose nous tombe dessus. Puis, le silence se fit à nouveau entendre. Hinata communiqua avec l’équipage resté à bord, et j’écoutais la conversation grésillant dans le bois calme. Je lâchai un léger soupire, en entendant que certains passagers étaient revenus et que la communication par radio semblait prendre une tournure pleine d’espoir.

« Nous devons être sur la bonne voie. »

Dis-je alors qu’il rangeait le talkie-walkie. Je me voulais positive. Notre marche repris, la voix s’était tue. J’avançai d’un pas lent, et sans m’en rendre compte j’attrapai doucement la manche de la veste du pilote. J’avais de bon réflexe, certes, mais si ça continuait je restais persuadée que j’allais me prendre les pieds dans quelque chose.

« Hé ho ! Où êtes-vous ? »

J’élevai alors la voix, dans l’espoir de réentendre l’appel à l’aide d’un peu plus tôt. J’espérais que rien ne soit arrivé de trop mauvais, que cette personne ne soit pas blessée.

J’étais inquiète de savoir dans quel état nous allions trouver la personne qui avait appelé à l’aide avant le précédent tremblement. Il n’y avait eu aucune réponse à mon appel, et je craignais qu’il ne soit dans une mauvaise passe. Le plus calmement possible, nous avancions dans une direction que nous pensions être bonne. Les minutes passèrent, et nous arrivâmes finalement à la rencontre d’une personne inconsciente. Je suis Hinata dans son pas pressé pour rejoindre le blessé.

« Il va bien, n’est-ce pas ? »

M’enquis-je de demander d’une voix inquiète. Il était clair qu’il avait une blessure à la jambe. Toutefois, le reste de son corps semblait intacte. J’espérais qu’il n’ait aucun mal interne, sinon cela allait être compliqué. Je regardai rapidement autour de nous, vérifiant ainsi qu’il n’y ait personne d’autre dans le même état que celui-ci.

« Je vais prendre ça. »

Je me saisis du petit sac que le pilote avait pris avec lui, ainsi que de la lampe poche. Puis, j’aidais à placer le corps évanoui sur son dos. Je m’assurai qu’il était stable, et acquiesçai d’un signe de tête alors qu’il proposait que nous retournions à l’avion. C’était la meilleure chose à faire. Je me mis à ses côtés, et me chargeai d’éclairer notre chemin. Les minutes s’écoulèrent dans un silence que seuls nos pas brisaient. Par chance, nous n’avions pas pris un chemin compliqué et retourner sur nos pas ne nous avait pas perdu d’avantage dans la forêt.

« J’ai l’impression que la plupart des passagers sont revenus. »

Dis-je alors que nous pouvions apercevoir l’avion au loin, et plusieurs individus à sa base.