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Yeo Joon & Hee Jun

Ah la Saint Valentin ! Une fête que j'affectionnais particulièrement. En fait, je n'avais jamais été seul ce jour-là. Mes nombreuses amourettes m'avaient toujours conduites à fêter ça dignement. Mais aujourd'hui, pour la première fois depuis que ma vie amoureuse avait débutée, je n'avais personne pour m'accompagner. Du coup, je m'étais inscrit à une soirée organisée par l'école. Ils disaient qu'ils composeraient des couples si nous étions seuls et je devinais sans mal que j'allais me retrouver avec une charmante demoiselle qui me laisserait évidemment de marbre. Un soupir passa mes lèvres tandis que je traînais des pieds sur le chemin. Je me rendais à l'atelier d'Ota, celui de l'ébéniste. Je ne savais pas vraiment pourquoi, ni comment c'était arrivé, mais j'avais pris l'habitude d'y aller régulièrement. Cela s'était un peu fait par la force des choses. Il se trouvait qu'être là-bas me faisait du bien. Déjà parce que Yeo Joon était coréen. Cela me soulageait de pouvoir parler sans me soucier de la place des mots, de la traduction exacte et de la réaction de la personne face à moi. J'avais vraiment du mal avec le japonais. Si bien que je parlais de moins en moins, moi qui étais pourtant si volubile habituellement. Et puis il y avait la tranquillité de l'échoppe, le calme du jeune homme. Il était plus vieux que moi et je crois qu'il m'aimait bien. Il ne m'avait pas encore chassé alors c'était bon signe, non ? En tout cas j'en avais fait mon refuge.  

Chose étrange au sein de la mégalopole, la rue dans laquelle j'entrais était comme coupée du monde. On y entendait à peine le bruit pourtant incessant de la circulation ; pas de personnes pressées vous bousculant à tout bout de champ ; aucun magasin racoleur ; juste un peu de paix. Les mains dans les poches, vêtu d'une tenue toute simple - jean, pull près du corps, veste fourrée - j'arrivai devant l'atelier. Je m'attendais à trouver Yeo Joon en train de travailler - il ne faisait que ça. Je me remémorais les nombreuses fois où je l'avais observé à l'oeuvre ; il avait sur le visage une expression à la fois sereine et sérieuse. Son amour pour le bois était indéniable. J'adorais la précision de ses mouvements, le soin qu'il apportait aux détails, la qualité des objets qu'il produisait. Lorsque je voyais des meubles créés par ses soins, je me demandais toujours comment il était arrivé à un tel résultat, en sachant qu'il partait d'un simple bout de bois à la base. J'aurais été bien incapable de faire ça.  

Je poussai la porte en frappant doucement sur le battant, pour signaler ma présence. Et... Le petit sourire que j'avais préparé s'évanouit aussitôt. J'étais juste paralysé dans l'encadrement de la porte, ne me rendant même pas compte que je faisais entrer toute la fraîcheur du dehors. Si je m'attendais à... à trouver l'ébéniste... presque nu !!! Euh... OK, il avait un pantalon mais rien en vue au niveau du haut de son corps. Rien à part ses muscles merveilleusement bien dessinés. La bouche entrouverte, je suivais le mouvement de ses mains, qui séchaient ses cheveux courts. Quelques gouttes d'eau coulaient sur son torse. Il sortait de la douche ? Qui se douchait à cette heure de la journée ?! Et surtout... Enfin on ne laissait pas la porte déverrouillée dans ces cas-là ! C'était un coup à donner une crise cardiaque au premier client venu ! Et au pauvre étudiant qui cherchait les mots qui le feraient sortir de sa transe.

Espérant me ressaisir, je me raclai un peu la gorge et fis un pas à l'intérieur, refermant derrière moi. Il fallait que j'arrêtasse de le regarder si je ne voulais pas finir par saigner du nez. Je déglutis difficilement et retrouvai mon sourire, prenant un air dégagé. « Salut ! Ca va ? Je... te dérange ? » C'était bien la première fois que je m'inquiétais de savoir si ma présence l'importunait. Habituellement, je m'introduisais avec une plaisanterie, un petit pic pour le taquiner. Mais là... Comment aurais-je pu trouver quelque chose de drôle quand mon cerveau venait de griller ?! De toute évidence, le sang avait quitté ma tête pour se concentrer bien plus bas haha ! Inconsciemment, je marquai ma gêne en passant une main fébrile dans ma nuque.

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Je pris le léger haussement d'épaules de Yeo Joon pour une réponse ; je ne le dérangeais pas. Du moins je l'espérais. Tandis qu'il préparait déjà de quoi me réchauffer, je me demandais sérieusement s'il ne pouvait pas enfiler un t-shirt. Avait-il seulement conscience du fait qu'il était incroyablement sexy ? Me mordillant la lèvre sans en avoir conscience, je m'approchai de la table et m'assis face à ma tasse, comme il venait de m'y inviter. "Fruits rouges" était-il écrit sur la petite étiquette qui pendait près de l'anse. Machinalement, je fis un noeud avec la ficelle autour de cette dernière puis relevai les yeux sur l'ébéniste. Toujours pas de haut en vue, malheureusement... Pire encore, il avait de nouveau entrepris de se sécher les cheveux. Sa tête légèrement penchée étirait son cou. Je rendis mon attention à ma tasse fumante, espérant oublier que l'homme face à moi était à moitié nu.  

Il fallait que je trouvasse quelque chose à dire, n'importe quoi, pour chasser ma gêne. Mais c'était plus facile à penser qu'à faire. D'un naturel réservé, ce fut pourtant Yeo Joon qui brisa le silence, en me demandant si j'avais mangé. Un brin surpris, j'haussai à mon tour les épaules. « Pas encore. » Mes yeux rejoignirent les siens, évitant soigneusement de regarder ailleurs. Ce faisant, je me défis de ma veste que je posai à côté de moi, sur mon sac de cours. J'étais venu alléger un peu le poids que m'avait mis sur les épaules ma solitude en ce jour de fête, mais pas seulement. Il se trouvait que j'appréciais beaucoup l'ébéniste. Je l'avais vu si souvent travailler à l'extérieur, par tous les temps, les mains rougies par le froid. Alors j'avais pensé lui offrir quelque chose. Cela ne m'avait pas paru bizarre au premier abord. Mais à présent qu'il était ainsi devant moi, je me faisais la réflexion que mon geste risquait d'être mal interprété. Surtout qu'aujourd'hui était spécial ; il allait vraiment penser que j'avais le béguin pour lui. « Tu as prévu un truc pour ce soir ? Tu as invité une jolie Valentine ? » Je ne voyais pas d'autre explication à la douche qu'il avait prise à cette heure de la journée. Il devait être en train de se préparer pour son rendez-vous. J'étais certain que l'ébéniste était très convoité.  
Les mains autour de ma tasse, je me penchai pour souffler dessus et en refroidir un peu le contenu qui menaçait de me brûler la langue si je le buvais prématurément.  

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Yeo Joon et moi n'avions jamais eu ce genre de conversations. En fait, je réalisais qu'il en savait aussi peu sur moi que moi sur lui. C'était étrange, parce que j'étais du genre bavard, trop même. Je réalisais que je passais mon temps à parler de choses futiles quand j'étais ici. Ce n'était pas de ma faute ; que ce fût l'ébéniste ou son atelier, il y avait quelque chose ici qui me faisait oublier mes tracas quotidiens. Alors forcément, je n'en parlais pas. Lorsqu'il m'apprit qu'il était seul ce soir, je relevai des yeux surpris sur lui. Il s'était assis mais... toujours pas de t-shirt à l'horizon ! Comptait-il réellement achever mon pauvre petit corps inexpérimenté ?
Comme il m'avait retourné la question, je m'étais un instant mordillé la lèvre. Je le faisais toujours lorsque j'étais nerveux ou gêné. Et avouer que j'étais seul pour une occasion pareille, qui plus est à un homme à moitié nu et vraiment très attirant, oui, ça me mettait dans l'embarras. « Hum... Je me suis inscrit à une soirée organisée par l'école... Du coup je pense que je vais devoir me contenter d'une gentille fille pour me tenir compagnie. » Un petit rire - peu convaincu - passa mes lèvres. Je n'avais pas honte de dire que j'aimais les hommes. Je ne savais d'ailleurs pas si j'avais été très clair à ce sujet, néanmoins j'espérais que ça ne dérangeait pas Yeo Joon. Je serais vite fixé : s'il remettait son t-shirt après ça, c'était que mon homosexualité le mettait mal à l'aise.

Il me proposait des ramyuns, ce que j'accueillis avec le sourire. « Ce sera parfait ! » Et vite mangé, malheureusement. En fait, je n'avais aucune envie d'aller à cet événement. J'aurais mille fois préféré rester ici, auprès de mon aîné. Seulement, ce n'était même pas envisageable. Quel adulte sensé aurait accepté de passer la Saint Valentin avec un étudiant souffrant de solitude aiguë. Je ne perdais pas de vue qu'aux yeux de Yeo Joon, j'étais un gamin.
Il captiva mon regard lorsqu'il s'étira. Il était fatigué, raison de plus pour le laisser se reposer quand j'aurai le ventre plein. Loin de me douter que je me cherchais des excuses afin de ne pas prendre sur moi pour demander à l'ébéniste de me tenir compagnie, je continuais de voir Yeo Joon comme le gars sympa et apaisant auprès de qui je venais parfois trouver un peu de réconfort. Souvent même... J'arrivais ici avec une peine de coeur la plupart du temps ; mais je ne lui en parlais jamais. Parce que dès que je passais la porte, j'avais déjà oublié la raison de ma venue. Au lieu de me plaindre, je profitais du moment passé avec l'artisan.
Mon sourire se crispa légèrement lorsqu'il eut fini de détendre ses muscles. Son regard... C'était la première fois que Yeo Joon me troublait. Bien sûr, au début je l'avais jugé beau, craquant. Mais j'avais trouvé en lui un ami précieux. J'avais l'impression de le connaître depuis toujours. Les choses étaient faciles avec lui.

Ordonnant à mon coeur de se calmer, à mon ventre de se détendre, je me redressai soudain. « Oh sunbae ! J'ai failli oublier ! » Je détournai rapidement le regard pour le plonger en même temps que mes mains dans mon sac. Je ne comptais plus lui offrir le présent mais je n'avais trouvé que ça pour calmer la tension qu'avaient fait naître ses yeux sombres. Je sortis alors une paire de mitaines marrons et beiges de mon sac, les lui tendant. Elles étaient tricotées et crochetées suivant des motifs torsadés assez simples. J'y avais ajouté quelques détails comme de minuscules boutons ressemblant presque à des perles discrètes, sans compter la pièce de cuir qui recouvrait les paumes, histoire de ne pas abîmer la laine et le coton avec le bois qu'il manipulait Je lui souris avec enthousiasme, espérant ainsi masquer mon expression embarrassée. « Je devais revoir quelques techniques de tricot et de crochet et... Enfin, je me suis dit que ce serait mieux si ça servait à quelqu'un. Alors... Comme tu travailles souvent dehors, voilà..! » Je les posai devant lui et portai la tasse à mes lèvres. Une, deux gorgées, puis je la reposai. Etait-ce nécessaire de préciser que ce n'était en aucun cas un cadeau de Saint Valentin ? Je regrettais déjà de le lui avoir offert aujourd'hui...

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« Dommage » ? Avais-je bien entendu ? Je ne relevai pas, au cas où...
Yeo Joon m'avait préparé des nouilles instantanées, à présent posées près de ma tasse. Et lui ? Il n'allait pas manger ? Je détestais dîner seul... Du coup, j'attendis qu'il eût découvert le cadeau, histoire de savoir s'il allait se préparer quelque chose par la suite. L'ébéniste essaya les mitaines, me rassurant sur le fait qu'elles étaient à la bonne taille. Elles avaient beau être fines, ses mains étaient bien plus imposantes que les miennes, plus calleuses aussi, alors j'avais peur de les lui enserrer. Je n'avais pas non plus voulu couvrir ses doigts, ayant déjà observé maintes fois à quel point son travail requérait de la précision. Apparemment, il était content, enfin j'imaginais, parce qu'il ne montrait pas grand-chose. Me sentant autorisé à le laisser gérer seul sa surprise, j'avalai à temps pour ne pas m'étouffer avec mon thé. Il venait de déposer un baiser aérien sur mon front, juste avant de me remercier, comme si ça avait toujours été de mise entre nous. Non ! C'était bien la première fois qu'il faisait preuve d'attention envers moi. De vraie attention j'entends. N'était-ce pas même... de la tendresse ? Quelque peu hébété, je le suivis du regard alors qu'il allait ranger les mitaines sur une étagère. Je m'en rendis compte lorsqu'il se retourna pour revenir. Du coup, désireux de me donner une contenance, je pris les baguettes et me mis à manger, espérant que ma gêne passât inaperçue. Sa main passa brièvement dans mes cheveux pour les décoiffer et je pris conscience de la vitesse à laquelle j'avalais le repas lorsqu'il m'intima de manger lentement.  

En le voyant s'asseoir sur la table à côté de moi, je relevai la tête. Heureusement que je n'avais plus rien dans la bouche, sinon il en aurait vu tout le contenu. J'avais la bouche ouverte oui, et l'air assez surpris. Quand Yeo Joon se donnait des airs mystérieux en gardant tout ce qu'il ressentait pour lui, il m'était tout bonnement impossible de cacher toutes mes émotions. J'étais de nature expressive. Un son indéfinissable sortit de mes lèvres alors que je cherchais quoi répondre. En fait non, la réponse était évidente. Seulement la question me surprenait encore. « Hum... Non, je... Je suppose que je ne manquerai à personne là-bas. » Au pire ils appelleraient mon nom et personne ne viendrait. Personne ne m'en voudrait à mon avis. Mais... Yeo Joon avait-il vraiment du temps à perdre avec moi ? Enfin... Est-ce qu'il m'avait demandé ça dans l'espoir que je lui tinsse compagnie ou était-ce juste pour faire la conversation ? Non, si ça avait été la deuxième option, il m'aurait plutôt interrogé sur la nature de la soirée ou sur le genre de personnes que j'espérais y rencontrer.  

Je devais vraiment me ressaisir. Un bref coup d'oeil à mon pot me rappela mes réticences. Je plongeai alors mon regard dans celui de mon aîné pour capter son attention - loin de me douter que je l'avais déjà. « Tu n'as pas faim toi ? » Comme pour donner plus de naturel à ma question et appuyer le fait que je ne tenais pas vraiment à engloutir seul ces nouilles, je levai un peu le pot et dirigeai mes baguettes pleines de ramyuns vers lui. Ce faisant, profitant que son regard fût concentré sur la nourriture, je détaillai brièvement ses traits. Un léger frisson parcourut mon échine. Je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait ce soir. Je n'avais à vrai dire jamais vu Yeo Joon ainsi et cela me déstabilisait totalement. En fait, je ne savais plus sur quel pied danser. Je n'avais aucune idée de ce qui était approprié ou non à présent...

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Yeo Joon n'était qu'à quelques centimètres de mon visage. Je pensais pourtant avoir levé la coupe assez haut mais visiblement non. Alors qu'il venait de me demander de rester, qu'il m'avait souri, il était maintenant en train de me détailler. Je n'étais pas aveugle, non. Par automatisme, mes dents se mirent à torturer légèrement ma lèvre. Mon aîné était vraiment attirant. Je ne l'avais jamais vu d'aussi près, ni aussi attentionné à mon égard. Les nouilles avalées, je ressentis un mélange de soulagement et de déception en le voyant s'éloigner. A quoi est-ce que je m'attendais ?  

Tandis qu'il s'éloignait, je finis les quelques ramyuns qui restaient. « Un film, ça te va ? » Je n'avais même pas encore repris mes esprits alors que lui semblait avoir, au contraire, les idées très claires. Je devais donc me faire des films. J'aurais pourtant juré que... Enfin, passons. Comme il disparaissait déjà dans les escaliers, je me hâtai de finir la soupe puis de prendre ma tasse avant de m'engouffrer à sa suite, éteignant derrière moi. Pendant ma petite ascension, je fis en sorte de me ressaisir. J'étais chez Yeo Joon, le type au visage impénétrable qui se dévoilait soudainement ce soir, qui était mon ami et dont l'atelier était mon refuge. Hors de question que je laissasse ces histoires de Saint Valentin me monter à la tête ! En arrivant dans son salon, je me permis de jeter un coup d'oeil panoramique. La décoration était à l'image du propriétaire, c'était indéniable. Comme il me demandait de choisir le film, je ne prolongeai pas mon observation. Je pris sa place devant la télé et examinai attentivement les titres inscrits sur les tranches des DVD. Certains m'inspiraient plus que d'autres ; parmi eux, l'un retint mon attention. Je ne savais pas vraiment de quoi il parlait, on le découvrirait ensemble. Alors je le mis, me demandant si Yeo Joon en aurait pour longtemps. Dans tous les cas, je l'attendrai pour démarrer le visionnage.  

Je posai ma tasse encore chaude sur la table basse et pris place sur le canapé. Ce dernier était d'ailleurs très confortable. Une chance que je ne fusse pas du genre à m'endormir devant un écran. Soudain, je me raidis. La main de l'ébéniste était dans mes cheveux, son souffle dans mon oreille. Deux petits mots sans importance auxquels il avait donné une allure plus que désirable. Je déglutis difficilement alors qu'il contournait le canapé pour m'y rejoindre. J'esquissai un sourire, soulagé de voir enfin son torse couvert. Ce n'était pas trop tôt ! « J'ai choisi au hasard, j'espère que ce sera bien. » Je tenais à le préciser, au cas où il remarquât que j'avais mis quelque chose qu'il n'aimait pas. Il lança le film, alors j'en déduisis que mon intuition ne me trompait pas tant que ça au final. Deux heures. Deux heures de drame, de dégringolade dans la tristesse et le tragique. Si je m'attendais à ça ! C'était tout moi ça ! On me proposait gentiment de sauver ma soirée et je la pourrissais deux fois plus. J'avais essayé de me contenir, mais à la fin du film, j'avais versé quelques larmes. J'en versais d'ailleurs encore. Espérant que mon aîné ne se retournât pas maintenant, redoutant qu'il se fichât de moi, j'essuyai maladroitement mes joues, encore chamboulé par la mort du héros. Mes mains retombèrent quand je sentis les doigts de Yeo Joon les remplacer dans leur besogne. Il était étonnamment doux, prévenant. J'avais tourné la tête, partagé entre les sentiments qu'il m'inspirait et la surprise. Je ne m'attendais pas à une telle sensibilité de sa part, quoi que j'aurais du m'en douter. Je n'eus rien le temps de répondre. Sa main sur ma joue esquissait de tendres caresses, quand ses lèvres rencontrèrent soudain les miennes. Etions-nous réellement si proches ? Ou s'était-il rapproché à ce point ? Si je fus d'abord sous le choc, je fermai ensuite spontanément les yeux. Qui se serait refusé à un tel échange ? J'avais arrêté de pleurer, les frissons ayant remplacé les larmes, une émotion en chassant une autre. Cette étreinte était douce, chaleureuse, addictive... Rien à voir avec ce que j'avais connu jusque là. La jeunesse avait beau posséder le mérite d'être fougueuse et spontanée, je n'avais jamais eu l'occasion de découvrir la douceur expérimentée d'un âge plus mûr. Etait-ce cela que Yeo Joon dissimulait, derrière son apparence fermée ? Si oui, alors cela valait vraiment la peine de creuser un peu.  

Et puis il recula. Lentement. Je n'ouvris pas tout de suite les yeux, prenant conscience de l'affolement de mon coeur. Il était indéniable que j'avais particulièrement aimé ce qu'il venait de me donner. Mais à présent, j'ignorais totalement quelle attitude je devais adopter. Avais-je le droit de faire comme si rien ne s'était passé ? J'ignorais les motivations de mon aîné. Etait-il dans ses habitudes de se laisser aller de la sorte ? J'aimais à penser que non... Cela me flattait d'un certain côté. Mes paupières se soulevèrent enfin pour que mes prunelles pussent retrouver celles, sombres et à présent baignées de douceur, de Yeo Joon. Mes joues étaient rosies par la gêne qui s'installait trop rapidement. Trop embarrassé, ou plutôt perdu au milieu de la tonne de questions qui venaient de me tomber dessus, je détournai finalement le regard, le laissant vagabonder dans la pièce. Je me raclai même un peu la gorge, espérant que l'artisan ne se méprît pas ; j'avais vraiment beaucoup aimé ce qu'il venait de faire, je ne savais tout bonnement pas comment l'accueillir. « C'est... C'était... Le film était pas mal. Juste un peu triste. Je suis trop sensible parfois... » Mes mots essayaient de rétablir la situation mais je restais coincé dans cette étreinte, comme si elle ne s'était pas encore achevée.

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J'étais perdu. Je ne comprenais pas vraiment ce qui venait de se passer. Pire encore, je ne savais pas quoi faire pour détendre l'atmosphère. Nous ne pouvions pas ignorer la scène ; nous le savions tous deux, elle était importante. Avais-je loupé un épisode ? La vérité, c'était que je n'avais pas vu Yeo Joon se rapprocher de moi. Maintenant que j'y pensais, il avait été plus attentionné ces derniers temps, presque prévenant. J'avais mis ça sur le compte de notre amitié qui commençait à s'ancrer sur des bases de plus en plus solides. Je devais arrêter de me mentir à moi-même ; ce qui me troublait le plus, c'était que je n'étais pas habitué à être sollicité. J'étais le séducteur, j'étais le garçon qui trouvait les autres mignons, intéressants, spéciaux même. A vrai dire, je ne laissais jamais le temps à personne de faire le premier pas. Ainsi, j'avais le sentiment de contrôler la relation et la tournure qu'elle prendrait. L'ébéniste était terriblement attirant, pourtant mon esprit l'avait classé dans la catégorie des amis. Il était plus vieux que moi, il était calme et réservé, il semblait tout simplement inaccessible. Et même s'il aurait pu constituer un vrai challenge, je ne m'étais pas attaqué à ce bel éphèbe. Pour une fois, j'avais eu peur de gâcher ce que nous avions construit avec des sentiments qui s'évanouiraient bientôt. L'attrait de la nouveauté était indéniable ; il suffisait que quelqu'un d'autre apparût et tout partirait en fumée.  

Perdu dans mes réflexions, je n'avais pas remarqué la télé s'éteindre. Je devais partir maintenant. Maintenant. Je reviendrais, je sourirais, je ferais comme si de rien n'était et tout redeviendrait comme avant. Nous aurions vite oublié cet "incident". Je n'avais même pas encore esquissé le geste de me mettre debout que Yeo Joon chercha de nouveau mon attention. Sa main était chaude sur ma joue et son regard... Un frisson me parcourut malgré moi. J'appréhendais la suite. Les yeux de mon aîné n'avaient rien de perdu, contrairement aux miens. Je n'arrivais plus à réfléchir correctement, encore moins à anticiper son prochain coup. J'avais l'impression de jouer aux échecs en n'ayant aucune idée de la stratégie de mon adversaire. Yeo Joon fit bouger le fou. Le pauvre pion que j'étais eut à peine un mouvement de recul avant de se laisser emporter dans l'étreinte du camp d'en face. L'attaque était frontale cette fois. Et fatale. Echec et mat.  

En ouvrant les yeux, je mis un moment à me souvenir qu'effectivement ce plafond n'était pas le mien et que je n'étais pas dans mon lit. A côté de moi, l'ébéniste dormait encore. Durant quelques minutes pendant lesquelles mon cerveau n'était pas encore assez réveillé pour penser, j'observai son visage paisible. Etait-ce... Enfin... Je reportai mon attention sur le plafond, un frisson parcourant mon échine. Non, je n'allais pas dégainer le cliché des images qui défilaient sur le plafond blanc. C'étaient ses mains. Je sentais encore ses mains sur moi. Ces mains qui m'avaient touché comme jamais on ne l'avait fait auparavant. Ses gestes n'étaient pas maladroits. Il avait su me rassurer. J'avais beau ne pas être puceau, sous ses mains assurées, je m'étais senti désarmé. Il était rare que je ne menasse pas la danse... De plus, il y avait une telle douceur dans ses caresses, une tendresse certaine qui avait achevée de me dérouter. Mon coeur en souffrait encore. J'avais beau me mentir à moi-même en permanence, au fond, je savais qu'un jour quelqu'un comme Joon arriverait ; quelqu'un qui remettrait en cause mon mode de fonctionnement, au moins le temps d'une nuit ; parce que sans me l'avouer, je savais comment je fonctionnais, à enchaîner les conquêtes sans les approfondir, sans même croquer dans la pomme. La seule image qui m'apparaissait sur le plafond était le visage transi de plaisir de Yeo Joon. Son expression quand nos corps avaient résonné à l'unisson.  

Je me raidis en entendant les draps se froisser à côté de moi. J'avais raté le coche. Si je voulais partir, il était trop tard. Nous étions dimanche ; je n'avais pu trouver aucune excuse pour filer en douce avant son réveil. Et puis de toute façon, je n'étais même pas sûr d'en avoir envie... C'était juste que... Je tournai la tête et adressai un pâle sourire à mon aîné. Je ne savais pas dans quelle ambiance allait se dérouler la matinée. Les choses qui me paraissaient pourtant si simples hier étaient devenues affreusement compliquées à mes yeux. Je ne savais plus comment me comporter avec l'ébéniste. Et j'avais peur que les choses changeassent après cette nuit merveilleuse.

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Ah oui, très pâle le sourire. La couette venait de glisser du torse de l'ébéniste, dévoilant à mes yeux à peine réveillés le corps qui m'avait tant fait frissonné la nuit dernière. Par chance, j'eus le temps de reprendre mes esprits pendant que Yeo Joon se massait le visage. Je voyais mal mon ami inviter n'importe qui dans son lit ; ou alors il cachait bien son jeu, mais j'avais de sérieux doutes là-dessus. Je l'imaginais plutôt fuir tout contact physique non désiré. Je n'étais pourtant pas sans savoir que de belles femmes prétextaient tout et n'importe quoi pour lui rendre visite. Il y en avait une qui persistait même depuis des mois si je ne me trompais pas, une magnifique brune qui en aurait mis plus d'un à genoux. Se laissait-il parfois tenter par leurs avances ? Quoi qu'il en fût, j'étais là, dans son lit, à me demander, justement, pourquoi j'y étais, moi, Lim Hee Jun, étudiant sans importance.  

« Salut. » Ma voix était rauque, quelque peu éraillée même. Je l'éclaircis le plus discrètement possible. Mes paupières avaient tremblé lorsque ses doigts étaient venus trouver ma joue. Je n'étais pas du genre à m'émouvoir d'un rien, pourtant Yeo Joon parvenait à me mettre dans tous mes états ; mon ventre se serrait, mes joues chauffaient et j'avais du mal à soutenir son regard. Certainement ce dernier était-il trop profond, suggérant qu'il pouvait creuser en moi et dénicher le moindre de mes secrets. Je n'avais jamais été mal à l'aise en sa présence auparavant. Oui, j'avais bien dormi, alors j'acquiesçai, le laissant nous remettre bien au chaud, sous sa couette. Voilà, au moins je ne voyais plus son torse si bien dessiné. Ah non. De nouveau, le draps se faisait la malle tandis qu'il se redressait. N'allait-il donc jamais laisser mes pauvres hormones tranquilles ?! Je me mordillai la lèvre et réfléchis un instant à sa proposition. Oui, une douche, c'était une bonne idée. Je pourrai reprendre mes esprits, mais aussi calmer mon érection matinale. Restait à savoir comment me rendre dans la salle de bains sans que l'artisan n'eût l'idée de détailler encore une fois, de son beau regard, mon corps nu. « Je veux bien oui. Après, je devrai rentrer. Je dois travailler sur un modèle... » Je ressentais le besoin de me justifier, de légitimer mon départ. Je ne voulais pas non plus qu'il crût qu'il y était pour quelque chose, bien que ce fût le cas. Comme je n'arrivais pas à être au clair avec les intentions de mon aîné, je préférais prendre un peu mes distances et y réfléchir.  

Une brève hésitation, puis je déposai un petit baiser sur sa joue, furtif, timide. Je ne le regardai pas en reculant. J'attrapai plutôt mon boxer et l'enfilai sous la couette avant de me lever, prenant garde à rester de dos quoi qu'il arrivât. Je disparus à l'intérieur de la salle de bains et m'adossai à la porte, un soupire passant mes lèvres. Je fis couler l'eau, afin que Yeo Joon, resté de l'autre côté, n'eût pas de soupçons. Dans quoi m'étais-je embarqué ? Je n'avais de toute façon que deux choix face à moi : ne plus revoir l'ébéniste, ou faire en sorte que les choses redevinssent telles qu'elles étaient. J'avais fait taire la chaleur qui s'était insinuée en moi, ne conservant que mes craintes et la tristesses que m'évoquait la fin de cette amitié. Pour une fois, je m'étais senti bien avec quelqu'un, je n'avais vu en lui rien d'autre qu'un ami précieux et je me refusais à perdre ça.

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