Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ Maintenant qu’elle était seule, elle avait du temps à perdre, à méditer sur son acte. Elle se maudissait d’avoir raté son coup, elle aurait dû y aller fermement, ce qu’il l’avait sauvé, ce n’était pas l’intervention rapide et efficace du chinois, simplement qu’au dernier moment, elle avait retenu son propre geste. Maintenant, l’adolescente le regrettait amèrement. Se retrouver en étant de convalescence n’était pas ce qu’elle désirait. Ce qu’elle désirait ? Elle n’en avait pas la moindre idée. Avec le recul, elle réalisait que son acte était irréfléchi mais pour rien au monde, elle le confessera à celui qui venait de la sauver.

Fermant un instant les yeux, elle tenta de réveiller ses membres, elle voulait se lever, parce que rien ne pouvait la retenir, elle ne pouvait pas accepter l’idée que son corps devienne sa propre prison. Comparé à son réveil, ses bras commençaient à répondre et elle pouvait même plier les jambes. Mais son effort fut arrêter par le retour de son tortionnaire, elle s’immobilise et le dévisage. «] Pense même pas à fuir par la fenêtre. J’vais venir te voir régulièrement.  » Pour la première fois, Qing Zhao eut un soupire, pensait-il réellement qu’elle allait acquiescer gentiment ? Il se trompait, mais il devait certainement le deviner que son avertissement ne représentait rien pour elle. « Fais, si tu n’as que ça à foutre » rétorqua-t-elle en serrant le poing.  De toute façon, tout comme lui, elle avait renoncé à l’idée de dormir. Peut-être allait-elle somnoler quelque part au petit jour, profité d’un bain de soleil… mais ce genre de chose n’était possible qu’en semaine. Le week-end, elle se retrouvait enfermée dans cet appartement étouffant. La liberté était une possession qu’elle ne profitait que pendant cinq jours, et encore. « N’en as-tu pas marre parfois ?  » lâcha-t-elle finalement, sans aller au bout de sa pensée.

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ Blasée par la réponse du trentenaire, elle se borna dans son silence. De toute façon, elle était seule et avoir un ami imaginaire n’était absolument pas son genre de style. À contre cœur, elle réalisait que ce n’était malheureusement pour aujourd’hui qu’elle allait pouvoir se lever, quitter le lit. L’anesthésiant que le charlatan lui avait injecté devait pouvoir assommer un bœuf. Soupirant pour la énième fois, elle essaya de trouver une position confortable pour réfléchir à défaut de pouvoir dormir – si elle ne pouvait pas bouger, elle refusait néanmoins de s’endormir –.

Voyant sur la table de nuit, le téléphone de Xia He, elle l’attrapa avant de le déverrouiller. Plutôt que fouiner sur ce qu’il pouvait faire sur les réseaux sociaux, ou ses conversations, elle préféra lancer Youtube et regarder des vidéos, sans grande conviction. Elle espérait seulement que la lumière artificielle la maintienne éveillée. Après tout, les études récentes critiquaient l’effet néfaste de l’écran des smartphone sur le sommeil, autant tester la véracité de ses études. Optant finalement pour des jeux, elle en téléchargea une bonne dizaine et lança les applications, jusqu’à ce que le téléphone rende l’âme, pile lorsqu’il revint la surveiller.

La troisième fois, il ne se contenta pas de simplement vérifié si elle n’avait pas fui, il se laissa tomber sur le lit, faisant alors grincer les ressorts du matelas. « T’as pas trop mal ? J’ai des antis douleurs si besoin. » La douleur, elle était toujours supportable, plus que lui en tout cas. « Tu fais semblant de t’inquiéter, histoire de voir si je peux me lever ? » railla-t-elle un instant, avant de finalement soupirer et ajouter d’une voix moins sarcastique,  « j’ai connu pire. » Même si elle avait mal, elle ne le lui ferait pas savoir. Tant qu’elle pouvait éviter de mêler sa vie à la sienne, elle le ferait. Elle était têtue. « Ton téléphone, charge-le » murmura-t-elle finalement.

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ À la première question posée par Xia He, elle resta un moment interdite. Plissant les yeux pour l’étudier, elle y renonça rapidement, il y avait un temps à la guerre et un autre à la trêve, en l’occurrence, la fatigue et son état de faiblesse l’obligeait à enterrer temporairement la hache de  guerre. Et puis, il semblait curieux, elle pouvait donc étaler sa pseudoscience. En jeu, elle ne s’y connaissait strictement pas en vérité, elle ne faisait  que s’exciter sur l’écran sans réfléchir. Les lycéens et lycéennes de sa classe aimaient bien jouer à ces applications et en discuter, entraînée par un effet mouton, elle s’était retrouvée avec les mêmes jeux installés sur son smartphone.  Mais mentir, se donner l’illusion de savoir des choses, ce n’était malheureusement pas le genre de la chinoise ; elle ne savait pas improviser sur des domaines qu’elle ne maîtrisait pas vraiment. « De tout et de rien, ici, un rien semble les amuser… ils peuvent y passer leur journée dessus » répondit-elle en fixant le téléphone, « un peu comme toi et les réseaux sociaux. » Si seulement c’était vrai, elle serait aux anges. À son plus grand dam, il semblait plus obsédé par ce qu’elle pouvait faire que ce que son téléphone lui notifiait. « Si tu veux, il y a un jeu qui pourrait être parfait pour toi  » murmura-t-elle avec un grand sourire, en subtilisa sans difficulté le téléphone et naviguant d’application en application, au bout de deux minutes, elle lui rendit le téléphone. «  Cadeau, tu peux t’occuper de cette chose, un tamagotchi. Lui, il t’obéira au moins » pouffa-t-elle, fière de sa proposition. Elle ne pouvait réellement pas être sérieuse avec lui, et encore moins sincère. D’une façon ou d’une autre, elle finissait toujours pas l’ennuyer, à sa manière, du haut de ses dix-sept ans. Le forçant à baisser le bras, pour qu’elle puisse voir l’écran, elle retourna sur le menu principal et lança une autre application «  Tiens, cadeau. Tinder. Tu pourras trouver une nana avec. Ne me remercie pas surtout.  »

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ Se mordillant la lèvre pour ne pas parler, elle se garda d’ajouter à sa remarque qu’il n’avait pas besoin de chercher bien loin un clebs, elle ne voyait un juste à ses côtés ; bien têtu et frustrant à souhait. Et même, jamais elle n’accueillerait un tel animal, trop de responsabilité et puis, à l’extérieur, il serait beaucoup plus heureux que de les entendre se tirer dessus à chaque fois qu’ils se trouvaient dans la même pièce. «  Putain qu’une paire de boobies. » Le dévisageant avant de regarder la photo en question, elle haussa les épaules. Les hommes, tous les mêmes. Les garçons de sa classe avaient leur magazine porno caché derrière leur manuel de cours et se les échangeait entre eux durant les pauses. « Yah, évite d’avoir trop de seins en grandissant. Les hommes vont vouloir sortir avec toi que pour les toucher. » Pour le coup, elle lui décocha son regard le plus désabusé, était-il sérieux ? Après un tentative de leçon pour la brider et la faire entrer dans le fil, elle allait devoir assisté à un cours d’éducation sexuelle ou de comment éviter les emmerdes ? « Les hommes comme toi, certainement. De vrais imbéciles. » Maugréa-t-elle en faisant claquer sa langue contre son palais. Parfois, il ne devait pas réaliser à quel point il raconter des conneries, et ça, à longueur de journée. « Enfin, apparemment t’attends pas d’avoir des seins pour sortir avec quelqu’un. » La chinoise se raidit, avant de pouffer de rire. Évidemment qu’il était au courant, il passait plus son temps à être sur son dos, ça ne l’a surprenait même plus. Ce qui l’inquiéta néanmoins, c’était son petit-ami, il n’avait rien dit. « Ça commence depuis le bac à sable » souffla-t-elle avec ironie, avant d’ajouter « Je n’ai beau ne pas avoir de couille, j’en ai plus que to[/color]i » moqua-t-elle, avec un rictus des plus cyniques.

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ L’ombre d’un sourire se dessinait sur ses fines lèvres, amusée, sa léthargie faisait pire que d’assoupir ses muscles, elle déliait sa langue et son humeur. Au vue de sa réaction il y avait besoin de rectification. Utilisant ses pieds pour se propulser vers le haut et utilisant ses mains pour se relever et s’assoir, ou du moins, s’adosser au mur, sans tenter de montrer sa peine, elle rétorqua comme elle avait l’habitude de faire. « Cela voudrait-il dire que parce que je n’ai pas de sein, tu vas vouloir sortir avec moi, parce que les bonnets D ne sont bonnes qu’à regarder ? » Des filles qui attiraient le regard, qui mettaient en avant leur atout, des filles jolies, des filles que souvent les hommes considéraient comme facile, douce ironie du sort. La chinoise en voyait, des adolescentes femmes avant l’heure, mais elle ne faisait que les observer, enviant secrètement cette maturité arrivée avant l’âge. Du moins, au début, parce qu’au final, elle s’aimait telle qu’elle était. Prendre soin d’elle, n’était pas une chose dont elle avait l’habitude, c’était avant tout la survie. Même en arrivant ici, elle n’arrivait pas à baisser la garde. Plus qu’auparavant, mais toujours pas assez, le danger était permanent quand on est conditionné à le penser ainsi. « Qu’est-ce qui te fait dire ça ? Tu veux que je te les montre pour voir à quel point j’en ai ? Les relations longues durées ne m’intéressent pas. Chacun son délire Qing Zhao. Et je pense que tu ferais mieux de réfléchir avec de parler. Tu sais très bien que des couilles j’en ai. Et plus que tu ne le penses. » Elle haussa mollement ses épaules, pas très convaincue mais le faisant surtout le pour provoquer, pour changer. « En quoi cela ne t’intéresse pas ? Parce que tu te fais toujours plaqué ? »

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ C’est avec une certaine difficulté qu’elle réalisait qu’elle parlait de ce genre de chose avec lui. Outre leur conversation qui finissait en bataille de celui qui jettera le plus de chose au sol, pour une fois, peut-être dû à son immobilisation temporaire, elle parlait en n’utilisant que sa bouche et non ses mains ou ses jambes. « Non. C’est cool à toucher aussi. Mais… Tu m’expliques pourquoi je devrais sortir avec toi ? Tu m’aimes ? »  Elle eut l’air le plus blasé au monde, ou encore le plus offusqué. L’adolescente n’était pas certaine d’avoir bien compris. « Tu t’es drogué dans le salon ? » la question fusa de ses lèvres sans même qu’elle le réalise, coupant la parole à son tuteur qui lui expliquait la raison cachée de son célibat apparent. Il détestait lorsqu’elle faisait cela, mais pour une fois que ce n’était pas volontaire. La pensée et les mots n’avaient fait qu’un à l’espace d’un instant, prouvant l’image peu reluisant qu’elle avait de ce dernier. « Je ne sais pas pour les autres » commença-t-elle en appuyant bien le ton sur le dernier mot, « mais lui, il est cool. » Elle réutilisait ses mots, se moquant un peu de lui comme elle avait l’habitude de faire. « Ta raison sonne comme une excuse, ou alors, on dirait presque un morveux qui jette un jouet qu’il ne l’intéresse plus. » Elle haussa ses fines épaules et secoua la tête. Lui qui passait son temps à dire qu’elle devait grandir, n’avait pas pour autant un comportement des plus honorable et responsable. Il ne semblait même pas savoir ce qu’il voulait, ou peut-être qu’une seule chose, preuve que plutôt qu’être un homme de raison, c’était un animal de nature. « Grandis » dit-elle d’un ton sec, en lui faisant une pichenette sur le front, profitant de la petite hauteur qu’elle avait sur lui, toujours allongé.

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ « Pourquoi ? Car il t’obéit au doigt et à l’œil ? Le pauvre, je le plains. » Bingo, du moins, c’était à moitié vrai. Il ne lui obéissait pas, elle avait simplement mis les choses au point avec lui de sorte qu’il avait sa part de liberté. Même si elle se montrait avare de mot avec lui, elle l’aimait bien, non pas parce qu’il cédait à ses caprices mais parce qu’il avait bon fond au final et elle ne faisait que l’utiliser, égoïstement. « Non, je l’aime tout simplement », elle se garda de dire que le mot aimer n’était pas celui qu’un couple réel partageait. Mais qu’importe, Xia He ne semblait pas la prendre au sérieux et d’une certaine façon, il n’avait pas tort. Pour autant, elle ne comptait pas lui confirmer ses soupçons. « Il n’y a que toi qui veuille tout contrôler de la vie d’autrui. À ce rythme, tu finiras seul » rétorqua-elle, presque comme une malédiction. Même si ce n’était pas demain, elle finirait par partir elle-aussi, l’âge ne pouvait être une excuse pour la tenir enfermé dans cette cage.

Décidemment, même en y mettant toute sa bonne volonté (ou du moins, ce qu’il y avait pour lui), elle n’arrivait pas à comprendre son point de vue. D’un autre côté, cela la perturbait et l’agaçait de ne pas pouvoir se mettre dans les chaussures du chinois, mais d’un autre elle se fichait éperdument de ce qu’il pouvait penser, car il avait la fâcheuse manie de vouloir que son mode s’applique à sa façon de penser. Elle refusait d’entrer dans les rangs, maintenant qu’elle avait goûté à la liberté de les avoir quittés, elle ne désirait plus connaître la sensation des entraves qu’il voulait lui mettre. « Je suis grand. Je n’ai pas envie de me soucier de ça, c’est tout. Et puis, si je ramène une femme à l’appart, tu vas lui faire la misère. J’ai pas envie de m’encombrer avec ce genre de sentiment. » Elle ne put s’empêcher de rire, « pourquoi je lui ferais la misère ? Au contraire, pendant que tu t’amuseras avec elle, je pourrais enfin sortir. » Ennuyer la pauvre donzelle serait facultativement son passe-temps, et encore, pas certaine qu’elle le réalise car pour accepter Xia He, il fallait être drôlement cruche et aveugle. « En quoi est-ce encombrant ? Je ne comprends pas. »

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ Parfois, elle se demandait bien ce qu’il y avait dans la petite tête de son pseudo-tuteur. Qu’importe les façons dont elle le lui disait, directement ou indirectement, il ne se rendait pas compte de l’évidence, c’est que dans l’équation « seul », il n’y avait que lui et sans elle. Parmi ses petits camarades, certains vivaient déjà seul, indépendamment de leur parent, mais lui continuait à lui imposer les mêmes règles qu’un petit écolier ou collégien. Il ne semblait pas réaliser à quel point il était envahissant et qu’il dépassait les normes. La seule personne qui pouvait prétendre au rôle de frère et de parent n’était pas ici, au-delà de la mère, quelque part dans la terre du milieu. Elle abandonna, s’évertuer à la raison était une peine perdue d’avance, elle tenterait une autre approche, la prochaine qui arrivait. « Une femme s’est envahissante. Ça veut te prendre ton temps bla, bla, bla… Je n’ai pas envie de m’encombrer inutilement. » Bizarrement, si elle remplaçait le mot « femme » par « Xia He », elle comprenait ce qu’il venait de dire. Il était pire qu’envahissant, il lui demandait tout le temps où elle traînait dès lors qu’elle dépassait l’horaire du couvre-feu établie unilatéralement, et il était encombrant alors qu’il ne devait que remplir le rôle factice de tuteur. « C’est parfaitement ce que je ressens… par rapport à toi ! C’est fou comme tu es incapable de l’comprendre, t’te de pioche » dit-elle en ricanant, réprimant son petite rire bien vite car cela ravivait la douleur de sa blessure. « Mais si toi t’aime ça… Fais. Je suis sûr que tu t’en sers d’esclave ou que tu le forces à sortir avec toi. » Décidemment, il était pire que pessimiste à son sujet, elle était capable d’amour bon sang, mais pas envers lui, jamais. « Autant que tu violes tes conquêtes alors. » Elle répondait du tac au tac. «  P’tain, faut que je te fasse un dessin p’te ? Tu me saoules à ne pas me croire. »

Un vendredi du mois d'octobre

Pyjama ☇ «Tu me vois comment toi ? » La lycéenne se figea, le dévisageant pour voir s’il plaisantait ou non car la réponse était une évidence, à tel point qu’elle ne voyait même pas l’intérêt d’y répondre en vérité. État-il stupide ? Ne retenait-il que ce que bon lui semblait ? La deuxième option lui plaisait bien vu comment elle s’acharnait à lui faire comprendre qu’elle ne voulait pas de lui dans son champ de vision, ou tout simplement dans sa vie. « Tu penses réellement que je te vois en bien ? Jamais ! T’peux crever pour que ça arrive un jour. Tu seras toujours le même, un looser, zéro, pathétique pas fichu d’être réaliste ou honnête ! » La proximité de Xia He ne la gênait pas, au contrairement, elle pouvait bien appuyer ses propos en le regardant droit dans les yeux. «Vous vous voyez quand du coup ? » Elle hausse, les épaules, un sourire amusé aux lèvres. Le fait qu’il s’y intéresse autant ne la surprenait même plus, lui qui aimait tout contrôler de sa vie, même les gens qu’elle fréquentait. Mais son obsession pour tout ce qui la concernait était quelque peu effrayant au fond. Elle n’osait pas imaginer ce qu’il serait capable de faire, si quelque chose dérapait. « Pourquoi ? Tu comptes nous pourrir la vie ? » À ces mots, elle lui mit un coup de boule à la façon d’un joueur de football français dont elle avait oublié le nom, pour le repousser. Partager le même oxygène était une chose qu’elle devait tolérer, mais pas à la molécule près non plus, en plus il empestait la cigarette. « T’en as d’autre de question aussi stupide ? » Sa main glissa en dehors de la couverture pour chercher le verre d’eau, répondre à ce plouc l’épuisait la voix et ses facultés mentales.