La naïveté dont j’avais tendance à faire preuve n’avait cesse de me jouer des tours depuis que j’avais rencontré Ethan. Je savais pertinemment qu’il était complètement ridicule de m’accrocher à un espoir presque vain d’un avenir meilleur, d’un avenir où nous pourrions nous rapprocher au mieux de cette famille que nous aurions dû être si les choses s’étaient passées autrement. J’étais idiote de vouloir être si optimiste. Je le savais, mais, je ne pouvais faire autrement. Si je ne m’accrochais pas à cette idée fantasque alors je n’avais plus rien. Ethan était le seul à pouvoir créer un changement positif dans notre histoire folle, et si nous nous quittions à jamais alors… je serai perdue. J’avais beau avoir cette tendance depuis toute petite à pouvoir m’enfermer dans mes études pour me clore du monde extérieur trop violent, je savais que ma concentration touchait à sa fin. Je n’osais imaginer ce qui se passerait si Ethan devait à nouveau avoir affaire à un père fou de rage, si Fu Hai devait nous quitter faute de traitement. Je deviendrais sans doute folle… Cette pensée m’effrayait. Cette pensée rajoutait à cette crainte que j’accumulais depuis déjà quelques temps, et je n’avais pu faire autrement que de chercher une once de réconfort auprès de cet aîné qu’il m’était interdit de côtoyer trop longtemps.

Une étreinte. Juste un court instant, pas plus. Je ne pouvais supporter le fait qu’il me soit dit de ne pas s’inquiéter pour lui. Fu Hai aussi disait cela, que je ne devais pas m’en faire pour lui. Comment pouvaient-ils imaginer que je puisse faire preuve d’égoïsme ainsi ? Voilà une ressemblance que les deux n’aimeraient surement pas entendre à l’égard de l’autre. J’étais emplie d’empathie. Ma famille était la seule chose qui comptait réellement à mes yeux, et la voir si fragile, si instable et souffrante ne pouvait que me faire du mal.
Les yeux clos, je profitais de ce geste doux et protecteur. Je savais qu’il ne durerait pas longtemps. Pas assez longtemps à mon goût en tout cas. Mais, je n’avais pas d’autre choix. Il me fallait agir en adulte. Bientôt les vendeurs tourneraient leur attention sur nous. Bientôt, quelques clients entreraient dans la boutique et nous verraient. Les gens avaient cette fâcheuse tendance à parler trop vite de choses qu’ils ne connaissaient pas. Si je voulais trouver une solution et agir, il était préférable que je ne sois pas trop connu de cet univers effrayant qu’était celui où vivait Ethan. Sa réponse à mon étreinte empêcha les quelques larmes qui montaient à mes yeux de s’échapper de mes paupières. J’étais certaine de me souvenir de ce moment toute mon existence durant.

« Oui… »

Un murmure à peine audible alors que je le regardais dans les yeux, sa main doucement placé sous mon menton. Cette journée avait été un rêve doux-amer. Je ne l’oublierai pas, jamais. Je ne savais pas si j’en ferais part à Fu Hai… Ce n’était peut-être pas la meilleure des idées. Cela serait sans doute mon moment à Ethan et moi. Moment qui motivait en moi des intentions bien plus profondes qu’une simple séparation. Je savais qu’à présent il me faudrait agir avec réflexion, que je ne pourrais me contenter d’espérer croiser son chemin innocemment. J’allais maintenant devoir étudier mes faits et gestes, apprendre à comprendre cette univers malsain et totalement fou dans lequel il travaillait afin de m’y insinuer du mieux possible. Je ne pouvais décemment pas me résoudre à baisser les bras, mais, j’étais encore bien trop fragile, et ma franche naïveté n’apporterait que des problèmes. Mais ça, il ne le saura pas, pas plus que Fu Hai d’ailleurs. C’était mon nouveau but, afin de protéger les deux êtres que je chérissais le plus au monde.
J’esquissais un sourire triste, et me retournai pour aller reprendre mon sac laissé sur le sol quelques minutes auparavant. Je jetais un rapide coup d’œil à l’environnement immaculé et menteur qui nous entourait, prenant soin d’en retenir chaque détail pour une prochaine visite. Puis, je reportais mon attention sur mon aîné afin que nous quittions la boutique ensemble. J’avais bien du mal à savoir quoi ajouter, mais, une partie de moi ne voulait pas que notre journée se termine sur un silence pesant et inconfortable.

« Merci Ethan, vraiment. C’était une journée fabuleuse. »

Un sourire plus léger apparut sur mon visage, et je le regardai avec douceur. J’aurais aimé lui dire qu’il me raconte comment sa fiancée aura réagi face à la bague. J’aurais aimé lui dire en riant que je lui ferai part de la réaction sans doute foudroyante de Fu Hai lorsqu’il me verrait avec la jolie robe qu’il m’avait offerte. Mais, c’était inutile. Cela aurait été parler pour ne rien dire, car, au final, il nous serait bien difficile de communiquer après cette journée.

Je me sentais terriblement vide. Je savais qu’une partie de cette sensation était due à la fatigue accumulée, car mine de rien, nous avions beaucoup marché. Toutefois, je ne pouvais nier qu’une grande partie était due à ce dépit que je ressentais. Je n’appréciais pas cela. Non, je détestais cela même. Je me sentais faible et minuscule dans un monde immense et dangereux dans lequel je n’avais aucun pouvoir. Cela m’agaçait, me frustrait au plus profond de mon être. Il me faudrait trouver une solution. Je restais certaine qu’il y en avait une. Je ne savais pas encore laquelle. Et, peut-être que m’accrocher à l’once d’espoir qui survivait tant bien que mal en moi n’était pas la meilleure des solutions. Toutefois, je ne pouvais me résoudre à baisser les bras. Mais, ce ne serait pas pour ce soir. J’étais vidée, épuisée et mon esprit ne pouvait penser à autre chose que mon lit, dans lequel je finirais de m’effondrer ce soir, en espérant le cacher du mieux possible à mon entourage.

C’était la fin d’une journée merveilleuse. Après-midi finissait sur une note un peu sombre, mais dont je chérirai chaque souvenir jusqu’à mon dernier souffle. J’avais appris beaucoup aujourd’hui. Je savais également que j’avais gagné une place dans le cœur d’Ethan, même si l’idée même que cela puisse se faire le rendait fou. Qu’importe ses dires et ses contradictions, il était membre de ma famille à présent.

« Je suis certaine qu’elle sera ravie du présent. »

J’esquissais un sourire doux. Effleurant d’un revers de la main une pointe d’amertume à la pensée de cette jeune demoiselle qui pourrait partager le quotidien de ce frère qu’il m’était interdit de revoir. Je doutais qu’il me soit possible que je la rencontre. Pourtant, l’idée de croiser par hasard une femme avec cette même bague au doigt titilla mon esprit, et cette pensée ne me fut pas désagréable. C’était une pensée bien naïve, mais, une pensée qui me sauverait de sombrer pour ce soir.
Je le laissais faire avec son téléphone sans rien dire, passant mon regard sur les beaux magasins du quartier. Je ne savais pas si je reviendrais ici, pour me souvenir ou bien pour le revoir – même de loin, sans qu’il me remarque. J’étais parfaitement capable de cela, même si l’idée était idiote au final… et bien risquée. Sans que je ne m’en rende réellement compte, une voiture ralentit devant nous. A la vue de la belle berline aux vitres sombres, j’arquais un sourcil. Puis, Ethan ouvrit la porte arrière et je compris que c’était là un des nombreux avantages liés à son statut. J’étais à peine capable de me payer le taxi…

« Chez Fu Hai. »

Dis-je, en me glissant sur un siège en cuir noir. C’était terriblement confortable, et je me pus empêcher mes doigts de glisser sur la matière noble. Je pris quelques secondes avant de me rendre compte que je devais donner une adresse.

« A Shibuya, dans le quartier Ebisu. »

Je ne connaissais pas encore l’adresse à la perfection, bien que connaissant très bien le chemin par les transports en commun. Je sortis donc mon agenda de mon sac à dos. Rapidement, je copiais l’adresse exacte que j’avais glissée par précaution dans le petit livret. Puis, j’arrachais la page, et la tendis à Ethan.

« Voici l’adresse complète. »

J’esquissais un sourire. Elle était bien évidemment à destination du chauffeur qui nous conduirait, mais, j’espérais presque qu’Ethan la mémorise. Au cas où. Je me rendais bien compte que je me faisais du mal avec ce faux-espoir malsain qui tournait en mon cœur, mais, je ne pouvais faire autrement. C’était trop dur de faire face à la réalité. Peut-être qu’une fois la porte de ma chambre refermée derrière moi ce soir, je réaliserai enfin la situation sans me mentir d’avantage.

Secrètement j’espérais que le trajet en vienne à durer une éternité ; qu’il y ait des bouchons sur la route, ou une forte pluie obligeant le chauffeur à ralentir. Mais, rien de tout cela n’arriverait. Même au travers des vitres teintées, je pouvais apercevoir la clarté du ciel où pas un nuage menaçant ne se faisait voir. La route, elle-aussi, semblait si dégagée que c’en était prétentieux. Il fallait simplement que je me rende à l’évidence : notre belle journée était terminée. La moteur ronfla un instant, et nous partîmes en direction de l’adresse que je venais de rapidement griffonner sur un bout de papier.
Je regardai Ethan chercher dans ses poches, sans réellement comprendre ce qu’il pensait y trouver. Je ne dis rien, l’observant simplement. Bien vite, une petite carte claire au logo joliment dessiné apparut devant mes yeux. Une carte de visite. Non, sa carte de visite. Je la pris délicatement, fixant pendant de longues secondes son nom inscrit dessus, son statut au sein de l’entreprise mais aussi, et surtout, son numéro de téléphone. C’était quelque chose que je n’aurais jamais cru avoir un jour. J’avais eu l’envie terrible de le lui demander, toute l’après-midi durant, mais n’avais jamais trouvé le bon moment. Au final, j’en étais venue à me dire que c’était inutile et qu’il refuserait. Alors, avoir ce si simple bout de papier cartonné entre les mains m’emplit soudainement d’un bonheur simple que je peinais à dissimuler. Un sourire étira mes lèvres, alors que je relevais mes yeux sur lui.

« Merci beaucoup. »

Bien sûr, je le voyais une nouvelle fois jouer son rôle d’homme détaché qui appréciait me faire comprendre que nos mondes étaient différents et que nous ne pourrions nous revoir. Cependant, je ne pouvais cacher ma joie, un peu naïve d’avoir un moyen de le contacter. Au cas où. « J’ai beaucoup d’argent et ça résout beaucoup de choses. Enfin, je t’aiderai quoi. Si jamais. Si tu veux. » Un léger rire m’échappa, alors que je le regardai se redresser et éviter mon regard.

« J’ai compris, ne t’en fais pas. Je ferai mon possible pour te contacter seulement en dernier recourt. »

Me retenir de ne pas lui écrire plus souvent allait être difficile. Je savais déjà que le réflexe de lui envoyer un message de temps à autre, ou une photo, serait rapidement fait. Toutefois, je ne pouvais me permettre de le faire. Il me faudrait tenir bon. J’étais décidée à ce que notre prochaine rencontre, car, il y en aurait surement une, soit toute autre. Ni larmoyante. Ni parsemée de demande et de pitié.
Je rangeai la carte de visite dans mon portefeuille, et laissai silence s’installer entre nous. Je n’avais pas grand-chose à dire. Je ne savais quoi aborder de plus sans remuer le couteau dans nos plaies. Je ne me sentais pas non plus la force de parler avec légèreté. J’étais épuisée, et mon cerveau ne semblait plus fonctionner correctement. La voiture ralentit à un feu, et je reconnus au travers de la vitre le quartier dans lequel Fu Hai vivait. Nous n’étions plus très loin. « Est-ce qu’elle est heureuse ? » Cette question résonna dans mon esprit et me coupa dans mes réflexions. Je tournai rapidement la tête vers le jeune homme qui avait encore les yeux fixés sur son écran.

« Je pense qu’elle a des regrets mais, elle a trouvé un homme qui la rend heureuse. J’ai besoin de faire quelques efforts pour alléger ses angoisses, ça aiderait sans doute un peu. »

Depuis mon arrivée sur le territoire nippon, je ne l’avais pas contactée. Je n’avais pas répondu à ses messages, et elle passait par le biais de Fu Hai – ce qui devait le rendre fou. Je parlais malgré tout à mon père. J’espérais qu’Ethan en vienne à le rencontrer. Il était un homme bon, juste et simple. La voiture tourna, et ralentit pour de bon. Nous étions arrivés à destination.

« Bien. Je crois qu’il est temps pour moi de rentrer. »

J’esquissais un sourire triste, incapable de bouger d’un centimètre. Il fallait dire au revoir. C’en était détestable, cette situation.

Lui parler, me priait-il de faire. Je n’avais aucune idée de si j’en sentirais la force. Enfin, c’était un peu exagéré, évidemment. Une partie de moi savait pertinemment que j’en viendrais à lui reparler, éventuellement. Je ne pouvais tout simplement pas dire quand. En effet, une autre partie de moi hurlait encore de dédain et de déception face à cette mère qui, pour moi, avait commis un crime bien atroce. Chacun faisait des erreurs. Au plus profond de moi-même, je savais qu’avoir laissé Ethan derrière elle faisait partie du plus grand regret de sa vie. Toutefois, j’étais encore trop emplie d’amertume pour laisser passer cela. Je ne me sentais pas prête à lui reparler. Cela arriverait, mais, pas de sitôt. J’avais tant à régler maintenant, et, je doutais pouvoir lui faire confiance donc… à quoi bon lui faire part de mes pensées actuelles ? Oui, garder le silence pour le moment était préférable. Il me faudrait juste ne pas faire durer cette attente trop longtemps.

« Je le ferai. »

Dis-je alors simplement. Je ne pouvais en ajouter plus. Je ne pouvais non plus mentir en paraissant être motivée par l’idée alors que ce n’était pas le cas. Je le ferai. Un jour.

« Tu finiras par être heureux aussi. »

J’en étais persuadée. Être heureuse était sans doute mon seul but dans la vie… Et, plus le temps passait, plus je me demandais si avoir un rêve d’existence si simple n’était finalement pas complètement prétentieux de ma part. Je pouvais devenir bien des choses, j’avais une grande confiance en mes capacités pour réussir ma vie avec une belle carrière. Mais, de là à être heureuse… Cela me semblait compliqué… J’avais un frère dont la santé filait de plus en plus vers la mort, et un autre inatteignable dans un monde sans merci.
La voiture ralentit, s’arrêta et nous dûmes sortir. J’enfilais mon petit sac à dos sur mes épaules, serrant d’une main le large sac contenant ma jolie robe dont j’espérais avoir un jour l’occasion de porter. Nous nous trouvâmes juste en face de l’immense immeuble où le tout à fait charmant appartement de Fu Hai se trouvait. « A lui aussi, même si on a encore des affaires à régler. » J’acquiesçai simplement d’un signe de tête en réponse à cette remarque. J’espérais que les choses s’arrangeraient. Je savais qu’il me serait impossible d’avoir deux frères qui s’entendent parfaitement, mais, si les deux pouvaient vivre en bonne santé cela me serait suffisant. Je laissai échapper un petit rire à sa remarque sur le travail studieux qu’il me serait préférable d’effectuer ; s’il savait à quel point il ressemblait à Fu Hai en disant cela.

« Merci ! Et, bon courage à toi… pour tout. »

Pour la bague qu’il devait offrir à sa fiancée. Pour oser donner son avis au travail. Pour un jour tenir tête à ce père autoritaire qui lui pourrissait la vie. Pour faire face à ses peurs et peut-être aussi pour passer ce fichu test médical. Je le laissais faire son geste affectueux, un large sourire dessiné sur le visage. Il ferma la portière derrière lui, et je fis signe de la main, sans réellement savoir s’il me regardait au travers des vitres teintées. La voiture gronda un instant, et je tournai à mon tour les talons vers l’immeuble où mon aîné m’attendait sans doute en quête d’explications.

-SUJET CLOS-